Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


Votre recherche dans le corpus : 66 résultats dans 3296 notices du site.

Auteur : Baudrand, Marie-Etienne-François-Henri (1774-1848)
MF-G-L#024_00074.jpg
Vous êtes mieux placé, sous quelque rapport, que nous le sommes ici, pour juger l'état politique du moment. Les documents publics et les correspondances privées vous fournissent des données à peu près suffisantes pour bien asseoir votre jugement, et vous êtes à peu près en dehors de l'esprit de coterie, qui est souvent une cause d'erreur.

Auteur : Baudrand, Marie-Etienne-François-Henri (1774-1848)
MF-G-L#024_00059.jpg
Hier, je dînais au château des Tuileries : après le repas, lorsque le roi eut congédié la plus part de ses convives, sa majesté vint à moi, me demanda si j'avais eu de vos nouvelles ; sur ma réponse négative, le prince me dit : je vois que M. Guizot est bien accueilli par les hommes de tous les rangs de la société, à Londres, et qu'il y jouit d'une juste considération, j'espère que cette considération s'accroitra encore, et que notre ambassadeur conservera cette position qui lui plait, qui lui est avantageuse et dans laquelle il peut bien servir la France et le roi. Je trouve seulement que, dans ses dernières lettres au président du Conseil, M. Guizot parait trop préoccupé des dispositions de l'Angleterre qui lui semblent douteuses envers nous. Guizot est enclin à croire que les ministres anglais traiteront avec les puissances étrangères sur les affaires de la Turquie sans nous.

Auteur : Baudrand, Marie-Etienne-François-Henri (1774-1848)
MF-G-L#024_00049.jpg
Hier je n'ai pu joindre le roi : il est allé à Versailles ; mais ce matin il a lu votre lettre. Sa majesté m'a dit qu'elle ne pouvait que donner des éloges au langage que vous tenez dans cette lettre, qu'elle serait toujours disposée à soutenir, par tous les moyens en son pouvoir, les efforts des hommes de bien qui voudraient maintenir le système politique, si heureusement suivi depuis le 13 mars.

Auteur : Baudrand, Marie-Etienne-François-Henri (1774-1848)
MF-G-L#024_00053.jpg
Sa majesté m'a demandé s'il était vrai que Mme de Lieven dût conduire vos enfants à Londres, au mois de mai prochain. Sur ma réponse négative, le roi ajouta qu'il en éprouverait du regret ; parce que cette dame était considérée dans le West end et dans downing street comme toute dévouée aux intérêts russes.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L#017_00331.jpg
75 Bruxelles le 5 juin 1854

Je fais mes paquets & mes adieux. & je rentre de l’Eglise où j’ai commencé. Ici cela se passe le lundi de la Pentecôte. Brunnow part jeudi, décidement il reste en l’air pour le moment, il retourne à son petit Darmstadt. Kisseleff part également cette semaine pour Wisbade et puis l’Italie. Ces deux messieurs ne sont pas en bonne odeur à Pétersbourg, surtout dans le public. Creptovitch est ravi d’être débarrassé d'eux. Cela le gênait et l'offusquait. Il ne restera plus un russe à Bruxelles.
Pas de nouvelles. On s’étonne des lenteurs partout. Ceci ne ressemble aux choses qui se passaient jadis. Quand on était en guerre on se battait. Cela a passé de mode. Mais comment viendra la paix ? C'est indevinable. Adieu. Adieu. Je suis triste, et vous aussi. Adieu.

Mardi le 6. Voilà une lettre de Morny, il me dit ceci. " Il va se passer en Orient des événements importants, mais seront ils décisifs ? Si nous croisons décidement le fer nous serons en guerre pour bien longtemps. Je crains bien que votre Empereur ma bonne Princesse ne se repente amèrement d’avoir entrepris ces choses. Je devrais dire, j’espère bien, car je suis Français & bon Français. Si l’Allemagne se joint à nous, Dieu sait quel mal on peut lui faire. Et puis toutes les flottes qui n'osent pas sortir du port même à nombre supérieur, ce n'est pas une preuve de grande force ici de confiance en soi. Maintenant chez nous la confiance a repris. Les fonds ont remonté. On ne s’inquiète plus beaucoup de la guerre, on s’y intéresse voilà tout, et si elle est heureuse on s'en amusera. Il n’y aura plus de raison pour qu’elle finisse. Au fond pour nous et notre Empereur nous y avons gagné une position inespérée que 10 ans de paix n'auraient pas produite. Que Louis Philippe serait jaloux s'il vivait encore. "
La reine Amélie passe aujour d’hui. Le roi ira la trouver à Malines et l’accompagnera à moitié chemin d'Ostende. Elle n’a pas voulu s’arrêter ici ni à Laken. Ma lettre était restée hier je la trouvais bête. Je la trouve bien triste aujourd’hui comme je suis triste. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00404.jpg
Val Richer, Mercredi 9 Nov. 1853

Je viens de parcourir, cet immense acte d'accusation contre le complot, de l'opéra comique. Ce sont les mêmes idées, les mêmes desseins, les mêmes paroles que de mon temps. Les noms propres ne signifient plus rien, ni pour le gouvernement, ni pour les conspirateurs. C'est une perversité et une démence permanente, abstraite, qui passe de génération en génération, sans qu’il vaille, la peine de savoir qu’ils en sont les instruments momentanés ; ils ne se distinguent pas les uns des autres, et ils s'attaquent indifféremment à Charles et à Louis-Philippe, à Napoléon III, à Frédéric Guillaume à Ferdinand. Le premier qui trainera réellement ce démon rendra un immense service à l'humanité.
Les journaux ne m’apprennent absolument rien. Sans doute on ne s’est pas encore battu. On ne cache pas longtemps une bataille. Je suis décidé à croire que vous rejetterez les Turcs dans le Danube, et que l'affaire finira par là. J’ai bien des choses à vous dire, mais nous sommes trop près de nous revoir. Nous causerons la semaine prochaine. Je pars décidément. Mercredi soir 16.
J’ai des nouvelles de Broglie, de Piscatory et de Barante qui m’en disent encore moins que les journaux. Barante est frappé de l'apathie universelle, sauf une seule espèce d'homme, la démagogie révolutionnaire : " C'est la seule opinion qui conserve quelque vivacité. De jour en jour, elle manifeste plus de démence et de rage. Elle espère et menace. Les chefs qu’on a ménagés, les envolés des sociétés secrètes qu’on a rappelés du bannissement sont les plus animés. Leur action sur les classes marchandes et sur les gens de la campagne est tout-à-fait nulle ; mais la cherté du pain et surtout du vin, leur donne assez de prise sur les ouvriers de nos villes. " Piscatory ne pense qu’à l'hiver prochain et à la disette.

Onze heures
Adieu, Adieu, à nos prochaines conversations.
Orosmane dit à Zaïre : Mais la mollesse est douce et sa suite est cruelle ; je mets la faiblesse à la place de la mollesse et un politique à la place d'Oromance ; si on n’avait pas été, en commençant, faible avec Lord Stratford, faible avec les Turcs & &, on ne serait pas si embarrassé.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00388.jpg
Val Richer 3 Novembre 1853

Je suis décidé à croire que votre Empereur ne veut pas la guerre, et par conséquent à croire qu’il saisira la première occasion de sortir d’un mauvais pas qui mène à la guerre à la guerre révolutionnaire générale, au chaos Européen.
Si malgré cette perspective, vous aviez votre parti pris de pousser la botte à fond et de jeter bas l'Empire Ottoman pour mettre la main sur les gros morceaux, je comprendrais l'obstination et je n'aurais rien à dire, sinon que le moment est mal choisi pour un si grand coup. Mais je suis convaincu que vous ne voulez pas porter ce coup et alors je ne comprendrais pas que vous ne missiez pas fin, le plutôt possible, à la situation actuelle. Vous n’avez qu'à y perdre. Vous y avez déjà pas mal perdu ; vous y avez perdu votre grand caractère de pacificateur général, de conservateur suprême de l'ordre Européen ; vous avez reveillé les méfiances des autres puissances ; vous vous êtes séparés de l'Angleterre ; vous l’avez unie à la France ; vous avez placé votre plus sûr allié, l'Autriche, dans la situation la plus périlleuse. Vous avez fait autre chose encore ; vous avez fourni à la Turquie une nouvelle occasion de s'établir dans le droit public Européen.
Taxez moi de rancune si vous voulez ; mais ce fût là, en 1840, votre faute capitale, pour isoler, pour affaiblir le gouvernement du Roi Louis Philippe, vous avez alors mis de côté votre politique traditionnelle qui était de traiter les affaires de Turquie pour votre propre compte, à vous seuls sans concert avec personne, vous avez vous-mêmes porté ces affaires à Londres par le traité du 15 Juillet 1840 vous en avez fait de vos propres mains, l'affaire commune de l’Europe. Vous avez été obligés l’année suivante, de faire encore un pas dans cette voie, et la convention des détroits du 13 Juillet 1841, et, de votre aveu, confirmée, pour la Turquie, l’intervention et le concert de l'Europe. Ce n’est pas là, je pense, ce qui vous convient toujours et au fond, et vous deviez être pressés de rentrer avec la Turquie dans vos habitudes de tête à tête. L'affaire des Lieux Saints vous en fournissait, il y a quelques mois une bonne occasion ; après y avoir essuyé, par surprise, à ce qu’il paraît un petit échec, vous y aviez repris vos avantages ; vous l'aviez réglée comme il vous convenait, sans vous brouiller avec la France, et de façon à être fort approuver de l'Angleterre. Pourquoi n'en êtes vous pas restés là ? Tout ce que vous avez fait depuis vous a mal réussi, vous avez eu l’air de vouloir plus que vous ne disiez ; vous n'avez pas fait ce que vous vouliez ; vous vous êtes bientôt trouvés engagés plus avant que vous ne vouliez ; vous avez rallié l'Europe contre vous et jeté la Turquie dans les bras de l’Europe. Pourquoi ? Encore un coup, je ne le comprends pas. Je ne le comprendrais que si je vous croyais décidés à jouer, en ce moment, la grande et dernière partie de cette question, et à mettre, à tout risque, la main sur Constantinople. Et comme je ne crois pas cela, je persiste à penser qu’une seule chose vous importe ; c’est de mettre fin promptement à une situation qui a le triple effet de vous isoler en Europe, d’unir l'Europe contre vous et de placer de plus en plus la Turquie sous la sauvegarde du concert Européen. Vous pouvez sortir de ce mauvais pas, sinon sans quelque déplaisir momentané, du moins sans aucun inconvénient sérieux pour votre politique nationale, et son avenir ; la géographie et le cours naturel des choses vous donnent, dans la question Turque, des forces et des avantages que rien ne peut vous enlever. Pourquoi susciter contre soi un orage quand il suffit de laisser couler l'eau ? Adieu.
J'en dirais bien plus si nous causions. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00302.jpg
Val Richer, Dimanche 25 sept 1853

Si l'Angleterre abandonne la bonne politique, si Aberdeen tombe, si la question passe dans les mains, on Occident des Journalistes, et en Orient des vieux Barbares, il faudra bien que je perde ma confiance dans la paix. La guerre, et la guerre générale, et la guerre révolutionnaire, pour un pareil motif, et avec de telles dispositions de tous les grands gouvernements, ce sera le fait le plus fou, le spectacle le plus ridicule, et le plus gros danger qui se soient vus depuis longtemps dans le monde. C'est encore ma raison pour n'y pas croire. Mais j’ai appris que tout est possible.
Si on veut la paix à Paris, je ne comprends pas qu’on parle mal de Lord Aberdeen, et qu’on désire sa chute. C’est une puérilité de dire qu’il n’est pas l’ami de l'Empereur Napoléon ; Aberdeen est l’ami de tout gouvernement régulier et qui soutient, comme lui et de concert avec lui, la politique de l’ordre Européen. Si j'étais l'Empereur, j’aimerais mieux le concours sans amour de Lord Aberdeen que l’intimité aventureuse de Lord Palmerston et les compliments maladroits de Lord Malmesbury. Si, au fond du cœur, on désire la grande guerre à Paris et si on s'en promet de bonne chances, je n'ai rien à dire, sinon qu’on le trompe, le tempérament de l'Europe n’est pas à la guerre ; ni peuples, ni rois ; il peut y avoir des fantaisies momentanées, de faux désirs de guerre ; les passions guerrières n’y sont pas, et tous les grands intérêts sont pacifiques. Les pouvoirs et les hommes quels qu’ils soient, qui commenceront la guerre sans une nécessité absolue, évidente, seront bientôt omis, maudits et immensément compromis. Il n’y a rien dont il faille plus se méfier aujourd’hui que de ces courants superficiels et passagers auxquels se livre quelquefois l'opinion publique dans le sens de la guerre ; il y avait, en France, un courant de ce genre en 1840, à propos de Méhémet Ali ; si le Roi Louis- Philippe s’y était laissé aller, l'Europe aurait été, sans dessus dessous en 1840, au lieu de ne l'être qu'en 1848. C'est un courant semblable qui paraît en ce moment en Angleterre courant sans profondeur comme sans cause ; si l'Angleterre s’y abandonne et si la France s’y fie pour courir les grandes aventures, elles s'en trouveront mal l’une et l'autre, et toute l’Europe s'en trouvera mal avec elles. Les tendresses de Lord Palmerston et de Lord Malmesbury seront alors une pauvre consolation.
J’ai parlé à mon professeur d’un gouverneur pour la Princesse Koutchoubey et un maître élémentaire en attendant le Gouverneur. Il n’a sous la main, ni l’un ni l’autre ; mais il m’a promis de chercher dès qu’il sera de retour à Paris. Il croit le second plus aisé à trouver que le premier.
J’ai redemandé une réponse à M. Monod. Je m'étonne de ne l'avoir pas reçue. Adieu. Plus de beau temps. Ma course de demain chez M. Hébert sera peu agréable par cette pluie. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00225.jpg
45 Val Richer, Mardi 9 Août 1853
3 heures
Il se peut fort bien que votre Empereur ait eu raison de penser à la Russie plus qu’à l'Europe. Je ne suis pas juge du cas particulier ; mais en thèse générale, on a toujours raison de se préoccuper du dedans plus que du dehors. Le pauvre roi Louis-Philippe se préoccupait infiniment du dedans ; à ce point qu’il en désespérait. Il a certainement en grand tort de faiblir le 22 février, et cette faiblesse a été la cause prochaine de sa chute ; mais il a été de tous, le moins surpris de ce qui lui est arrivé, tant, il en connaissait les causes générales et lointaines, et les regardait comme irrésistibles. Deux dispositions parfaitement contradictoires s'alliaient en lui ; dans l’ensemble, il était sans espérance, sans confiance, convaincu qu’il ne réussirait pas à fonder sa monarchie, que la France était vouée à l’anarchie et à la révolution dans chaque occasion particulière, quand le jour du péril venait, il était imprévoyant et sanguin, convaincu qu’avec un peu d'adresse, de souplesse et de patience. Il reviendrait sur l'eau et se relèverait après avoir plié, les deux dispositions ont également contribué à le perdre ; il a vu à la fois trop en noir et trop en beau ; il a trop désespèré du présent et trop espéré de l'avenir. On pouvait très bien résister en Février 1848, il ne l’a pas cru. Il a cru qu’il reviendrait du renvoi de son cabinet et même de son abdication ; et cela ne se pouvait pas. Il avait cela, et seulement cela, de commun avec Louis XI qu'il faisait beaucoup de fautes, et qu’il excellait. à s'en tirer, et qu’il espérait toujours avoir le temps de s’en tirer. Le temps lui a manqué pour se tirer de la dernière. Le chagrin a été pour plus de moitié dans sa mort. Le désespoir de votre N°43 est mal tombé, ce matin, après les quatre lignes du Moniteur d'hier. Vous aurez certainement eu directement l’avis de l'adhésion de votre Empereur à la proposition combinée à Vienne ? Je tiens pour impossible que le sultan n’y adhère pas aussi. Je suis donc de l’avis du Moniteur, et de la Bourse Je regarde l'affaire comme finie. Vous vous serez beaucoup tourmentée en pure perte. A part l’intérêt Européen, je suis charmé que vous voyez un terme de vos inquiétudes.

Mercredi 10 9 heures
Il me revient que Kisseleff est très content, et qu'on est très content de lui à Paris. Son attitude. et son langage, pendant toute cette crise, ont été très fermes et très tranquilles. C'est Morny qui a renversé M. de Maupas, et fait supprimer le ministre de la police. Il s'est allié pour cela avec Persigny. L'Empereur Napoléon est content de Drouyn de Lhuys et du mélange de pacifique et de guerrier qu’il a mis dans ses conversations et dans ses pièces. Bon pour tous les en cas. M. d’Hautpoul a obtenu la permission de recommencer à se promener, en mer avec son yacht de Trouville.
Mad. la Duchesse d'Orléans confie M. le comte de Paris à Paul de Ségur pour aller faire un tour en Irlande. Adieu, adieu. J'espère que demain le facteur m’apportera votre tranquillité au lieu de votre désespoir.
Par grand hasard, j’ai reçu hier une lettre de Massi ; on me dit : " La paix jusqu'ici n’est pas troublée par l'occupation ; les troupes russes observent la plus exacte discipline et payent tout ce qu'elles consomment.” Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00363.jpg
Val Richer, Mardi 28 sept 1852

Je ne comprends pas pourquoi votre lettre de samedi était restée en retard, il n’y avait certainement aucun prétexte. On a raison d'être frappé et attristé de l'événement de Marseille. Moi, j'en suis surtout humilié pour le pays. Le crime politique y est à l'état de manie. Que de temps de bon et fort gouvernement, et peut être que de nouveaux malheurs il faudra pour guérir ce mal, ou pour l'étouffer !
Autant que j'en puis juger de ma solitude, l'effet est général et partout le même. Redoublement de doute sur l'avenir, en même temps que dans le présent, le gouvernement en sera plus facile. On peut faire tous les Empires qu’on voudra. Si on peut établir la filiation outre la machine infernale de Marseille et les réfugiés de Londres, ou de Bruxelles, je ne vois pas pourquoi, on ne demanderait pas leur expulsion. Ce serait à ces gouvernements là, à se tirer comme ils pourraient de leurs embarras. Ellice aura raison un jour, mais pas de sitôt, et par sur des questions de cette nature-là.
Je ne crois pas, quoi qu’on vous dise, à l'abolition du suffrage universel. C’est un port de refuge qu’on ne se fermera jamais. Ce n’est pas la peine non plus de discuter la recherche de popularité qui a pu faire relever la statue et ramener les cendres de Napoléon. Il y avait au moins, dans cette recherche là plus de générosité que dans les décrets du 22 Janvier et moins de danger que dans la popularité demandée au suffrage universel.
Vous avez raison de vous moquer de moi à propos des obsèques du duc de Wellington. Je ne pensais pas à l'argent.
J’ai envie de dire comme l'Impératrice et de trouver que vous avez eu tort de ne pas rendre à la Duchesse de Mecklembourg et à sa fille leur visite ; je comprends que vous soyez impolie pour éviter d'être fatiguée ; mais il n’est pas plus difficile de faire rouler. cinq minutes votre voiture sur le macadam du Boulevard que sur celui des Champs Elysées ; et l'impolitesse par manie, sans motifs de temps ou de santé, par plaisir de dédain, c’est trop.

10 heures et demie
Mon facteur arrive un peu plutôt. Merci de la lettre de M. de Meyendorff. Je la lirai à mon aise dans la matinée, et je vous la renverrai demain. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00293.jpg
Val-Richer, Dimanche 5 sept. 1852

Quand quelque chose vous empêche de m'écrire, faites-moi écrire je vous prie, deux lignes par Aggy ; non pour me donner des nouvelles, dont je me passerais fort bien quand même, il y en aurait, mais uniquement pour me dire ce qui vous empêche d’écrire, et comment vous vous trouvez ; c'est là ce que j'ai tous les jours besoin de savoir, et ce qui me préoccupe quand je ne le sais pas.
J’ai eu hier des visiteurs de Trouville, des Delessert, des Mallet, Hippolyte de La Rochefoucauld, une bande ; ils ont passé ici la matinée. Il y a beaucoup plus de monde, mais pas plus de nouvelles, à Trouville qu'au Val Richer. Il y a eu de la grande compagnie ; elle s'en est allée ou s'en va ces jours-ci. La quantité reste. Le Chancelier et Mad. de Boigne toujours centre le soir, sauf pour ceux qui vont danser au salon. Et toujours très intelligents sensés et causants.
Le 15 Août a été très brillant à Trouville ; illumination de toutes les maisons sur la plage, et celle de Mad. de Boigne très bien illuminée. Et le 26 Août, elle est allée à un très modeste service dans la petite église d'Hennequeville, pour la mémoire du Roi Louis-Philippe. Il y a du bon sens et du bon goût à concilier ce qui est dû aux souvenirs du passé et aux droits du présent, au pouvoir qu’on a servi et aimé et au pouvoir qui maintient l’ordre au profit de tous. Il n’y a pas, dans ce pays-ci, beaucoup de gens qui sachent faire cette conciliation-là.
Voilà, M. de Persigny qui a repris possession de son portefeuille. Est-ce qu’on ne dit rien de l'objet de son voyage à Londres ? Il me revient qu’en dépit des articles du Times et du Moniteur, l’intelligence est très bonne entre le Président et le gouvernement Anglais, et que s’il avait à recevoir de là quelques bons offices, on les lui rendrait volontiers.
Il me revient aussi que la situation de Fould, même en son absence, devient de jour en jour meilleure. On dit, par exemple, qu'aucun ministre n’est plus admis à envoyer au Moniteur un communiqué sans l'avoir fait passer par le Ministre d'Etat. Dans le gouvernement tel qu’il est constitué aujourd'hui, c’est très sensé.
Le vote du Conseil général des Hautes-Pyrénées que Fould présidait, à dû plaire au Président. C'est à la fois le plus positif et le plus large. Quand, M. de Nesselrode, doit-il rentrer à Pétersbourg ?
Je suis impatient de savoir quelles conséquences auront les ouvertures faites à votre fils Paul et les bontés de l'Impératrice pour lui. Je crains un peu d'humeur et de jalousie ministérielle. Le bon vouloir du pouvoir le plus absolu est bien aisément distrait ou entravé.
Avez-vous entendu dire que la Constitution avait été sur le point, il y a quelques jours d'être suspendue pour deux mois, à propos de son article, très inconvenant, il est vrai, sur le duc de Parme ? Antonini s'en est plaint, avec raison. Le Constitutionnel s’est excusé comme il a pu, et on s’est contenté de son excuse publique. Mais il a eu peur. C’est probablement, pour vous une vieille histoire.

Onze heures
Merci de votre lettre. Je suis bien aise que la restauration de M. de Lamartine vous amuse. Je vous chercherai quelque autre lecture. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00245.jpg
Val Richer. Lundi 23 Août 1852

Contre votre sentiment de faiblesse, je ne sais qu’un remède, l’attention de tous les moments à ne rien faire qui vous fatigue ; pas trop d'écritures, pas trop de conversations, pas de veille ; vous arrêter dés que la fatigue commence à se faire sentir. De la bonne nourriture, et du sommeil. Quand la faiblesse, n’est pas un simple accident, mais le résultat de la vie déjà longue et fatigante, c'est là, je crois, tout ce qu’on peut lui opposer.
Je n’ai encore pris des Eaux Bonnes qu’hier et aujourd’hui, et je crois qu'elles me réussiront. J’ai la gorge, moins embarrassée. Voilà notre bulletin médical. Comme remède, pour vous et pour moi, j'espérais hier le retour du beau temps. Le soleil s'était couché dans la pourpre, et la nuit était brillante d'étoiles. Il fait gris ce matin comme toujours depuis le 1er Août.
Certainement, c’est la mission et non pas la création, comme vous l’avez écrit, vous ou M. de Meyendorff, du président de rendre la France gouvernable. Son oncle avait déjà reçu cette mission là, et ne s’y était pas épargné. Il y avait fait quelque chose et laissé encore beaucoup à faire. J’espère que le Président y fera aussi quelque chose. Mais tenez pour certain qu’il y a, pour la France des conditions de gouvernement hors desquelles, elle n’est pas définitivement gouvernable. Et si l’on s'écarte trop de ces conditions, on ne fait que préparer une nouvelle réaction anti gouvernementale.
Plus je vais, plus je me persuade que le secret du gouvernement, est dans la mesure. Le Roi Louis Philippe appelait cela le juste milieu. Il l’a toujours cherché, pas toujours trouvé, et il n’a pas eu la force de s’y tenir contre tous ceux qui voulaient l'en faire sortir. Il lui manquait un point fixe pour base. Le point fixe et le juste milieu, c’est ce qui fait les gouvernements durables. Il y faut les deux, Louis Philippe roi légitime eût été parfait. Pour durer du moins.
Voilà Lady Douglas duchesse de Hamilton. En vivra-t-elle un peu plus habituellement en Angleterre ? Les [absentes] ne sont pas plus populaires, je crois, en Ecosse qu’en Irlande.
Thiers chez Mad. Sebach m'amuse. Qu'en fait-il, et qu'en fait-elle ? Et que fera Mad. Kalerdgi dans un château près de Francfort ? Est-ce que le comte Adam Potocki sortira de prison et viendra l’y trouver ? Je suis un peu curieux de savoir qui de la France ou de la Belgique, cèdera le plus dans la négociation du nouveau traité de commerce dont on s'occupe, et qu’on a, ce me semble, tant de peine à conclure. Les bonnes relations avec la Belgique, politiques, et commerciales, sont indispensables aux deux pays. Elles paraissent bien compromises. Si vous aviez encore Stockhausen, je vous prierais de le prier de ma part de chercher, pour moi, ce renseignement ; mais vous ne l’avez plus.
Avez-vous lu, dans l’Assemblée nationale, d’hier Dimanche, la lettre parisienne de M. Amédée Achard sur le bal de la halle ? C’est une bouffonnerie un peu longue, mais drôle.

11 heures
Merci de la lettre d’Ellice que je vais lire. Je vous la renverrai. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00497.jpg
Val Richer Jeudi 30 octobre 1851

Hier soir, vers onze heures, le Roi Louis Philippe, signait, il y a onze ans, le Cabinet du 29 octobre. Il a duré sept ans et quatre mois. Quand reverrons-nous quelque chose qui dure autant. J’ai bien l'orgueil du passé, mais il ne me console pas des tristesses du présent. Mon esprit, est partagé entre deux pressentiments, très divers ; celui de mon bon sens qui me fait croire au retour de la monarchie et d’un ordre à peu près semblable à l'ordre que nous avons vu ; celui d’un instinct obscur qui me fait entrevoir, dans ce qui se passe, le commencement d'un état social très nouveau, point glorieux, et pourtant grand et fort, point solide et pourtant toujours à peu près le même, point d'avenir, mais chaque jour se suffisant à lui-même assez du moins pour ne pas être le dernier jour, une décadence à la fois agitée et monotone et durant des siècles.
Je suis très préoccupé de ce qu'on fera de ce qu'on doit avoir déjà fait à Claremont. Et non pas sans inquiétude. Ce sera inconcevable et impardonnable. Mais je crains qu’ils ne craignent qu'on n’exploite ce qu’ils feront, pour les lier plus qu’ils ne veulent être liés. Ils trouveront peut-être quelque biais indirect et disgracieux pour s'acquitter strictement. La poste de ce matin m'en apprendra peut-être quelque chose.
Je trouve toujours qu'on ne sait pas tirer parti, contre Lord Palmerston de ses démarches et de ses paroles. Sa réponse à Fortunato est un acte d’insolence effrontée vraiment, sans exemple. Si, en Angleterre même, l'opposition faisait bien comprendre au peuple anglais ce qu'il y a de frivolement pervers et de dangereux, en définitive pour l'Angleterre elle-même, dans ce patronage affiché, indistinct, de tous les ennemis de tous les gouvernements du continent, je suis convaincu que le peuple Anglais comprendrait et finirait par le trouver mauvais. Mais l'opposition attaque en passant, tel ou tel acte de Palmerston et ne fait point de charge à fond contre l'ensemble et le caractère permanent de sa politique ; et le peuple anglais croit que Palmerston est une espèce de grand patriote anglais, uniquement préoccupé, comme Lord Chatham ou M. Pitt, de la grandeur de l'Angleterre et à qui l'on ne peut reprocher que ce qui se pardonne toujours, la passion de l’égoïsme national. C’est cet absurde mensonge qu’il faudrait mettre en lumière. Je souffre toutes les fois que j'en vais manquer l’occasion.
On m'a envoyé, hier le récit des derniers moments de la Dauphine. C'est beau, précisément parce que ce n'est pas orné du tout. Son testament est admirable de simplicité et de vérité, me disant, ni plus, ni moins que ce qu'elle pensait, et sentait réellement. Cette phrase-ci surtout me frappa : " à l'exemple de mes parents, je pardonne de toute mon âme, et sans exception, à tous ceux qui ont pu me nuire et m'offenser demandant sincèrement à Dieu d’étendre sur eux sa miséricorde aussi bien que sur moi-même, et le suppliant de m'accorder le pardon de mes fautes. "
Il y a de sa part, une charité et une humilité Chrétiennes vraiment sublimes à se confondre ainsi elle-même avec ses bourreaux, et à implorer en même temps, pour eux et pour elle, le pardon de Dieu.

Onze heures

Je ne suis plus préoccupé que de vous. Vous faites bien de rester dans votre lit ; mais il faut que votre lit vous repose. Enfin, j'y verrai moi-même dans quelques jours. Hélas, la présence n’est pas la puissance. Adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00473.jpg
Paris Samedi le 25 octobre

Encore beaucoup de monde hier soir. Vitet, Noailles, le Chancelier, Albert de Broglie, Salvandy, Fould, et la diplomatie. Le chancelier est en grandes éloges de Fould. Il a raison. Sa conduite et son langage sont excellents. Le ministère ne se fait pas, il n’y a pas moyen à moins d'une transaction, peut-être le Président cèdera-t-il un peu. Mais dans ce cas il fallait vous céder à vous, et vous restiez. Mais peut-être le Président était-il bien aise d'un prétexte pour nous chasser. Fould croit à présent que le message sera porté le 4 novembre, seulement il faut que soit proposé un seul ministre comme l’a été le duc de Wellington pendant 3 semaines l’année 34. Fould a trouvé l’expédient bon, on cherchera un duc de Wellington ! Enfin, on a ri.
On parle beaucoup de ce que fera, ou de ce que devrait faire Claremont, vis-à-vis de Frohsdorf. Ils sont capables de se déshonorer. On avait pensé à faire aller, Montebello à Claremont pour rappeler les devoirs de convenance on y a renoncé. Il se croit sûr que tout se fera bien, & spontanément. & que son apparition y aurait [nui]. D’ailleurs depuis les lettres du Times, vos amis sont englobés dans l’extrême colère qu’il y a contre vous à Claremont.
Duchâtel est chez lui faisant ses vendanges. Il viendra probablement du 15 au 20 novembre. Marion a été chez les Thiers tard hier soir. Elle a trouvé le salon triste, Thiers inquiet de lui- même. Le gosier, la langue embarrassés. On dit là tout est bien mauvais mais on s’en tirera, et on finira bien on se moque un peu là de l’importance & de la satisfaction de Changarnier.
Je ne trouve pas le duc de Noailles radieux. Il est agité, occupé de temps à autre passioné. Tout cela restera stérile. Je crois au succès du Président malgré ses fautes. Le Président croit à la platitude de l’Assemblée. Mais il désire peut être qu’elle résiste cela avancerait son affaire. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00364.jpg
Val Richer, Jeudi 2 octobre 1851

Je n’ai jamais voulu aller revoir Neuilly. J’y aurais éprouvé le plus désagréable des sentiments, celui de la colère impuissante. Je ne connais rien de plus hideux que cette fureur destructive de la canaille contre les demeures d’un pauvre roi qui n’avait jamais fait de mal à personne, et qui parmi ses défauts n’avait certainement pas celui d'être dur et hautain envers le petit peuple.
Vous ai-je jamais dit que, pendant que j'étais encore en Angleterre du printemps de 1849, si je ne me trompe des habitants de Neuilly avaient fait une souscription pour contribuer à la reconstruction du château, et que l’un d'entre eux me l'avait envoyée en me priant d’en parler au Roi ? Je lui en parlai, et il me répondait avec le sentiment le plus amer que je lui aie peut-être jamais vu : " Non, tant que je vivrai et que Neuilly sera à moi, il restera détruit. Je trouvai qu’il avait raison.
Thiers est ce qu’il était. Il veut que Henri V et la fusion soient impossibles. La difficulté est assez grande pour qu'un peu de bon vouloir en fasse une impossibilité. Mais il serait bien fâché qu'elle fût moins grande ; et si elle l’était moins en effet, il travaillerait à l’aggraver. Toutes les fois qu’il faudra se classer définitivement, Thiers rentrera dans le camp révolutionnaire. Il n'y a en pareille conversation, qu'une réponse à lui faire, c'est d'opposer impossibilité à impossibilité, impossibilité de durée à impossibilité d'arrivée, et de lui bien mettre sur les épaules la responsabilité de celle dont il se fera le champion. Il n'y a pas moyen de ramener Thiers ; mais on peut aisément le troubler. Il faut avoir son indécision à défaut de sa conversion.
J’ai enfin des nouvelles de Piscatory, à propos de la mort de ma petite-fille. Il me dit en finissant : " Encore un mois de repos avant la lutte où il m'est impossible d’être avec qui que ce soit ; et cependant je prendrai parti. Quoi que je fasse conservez-moi votre amitié ; la quantité de la mienne compense un peu la qualité." Je n’entrevois pas quelle est la monstruosité qu’il médite de faire, et qui peut compromettre mon amitié. Il sera tout bonnement Joinvilliste.
J’ai reçu hier une longue lettre de Dumon. Noire en effet, et très spirituelle. Je ne vous en redis rien. Il vous a sûrement dit tout cela. Que dit-on du résultat définitif des élections belges ? Si le ministère n'a gagné en effet qu'une voix dans le nouveau sénat cela me suffirait pas pour faire passer sa loi, et le ministre des finances, M. Frère, qui est le révolutionnaire par excellence, pourrait bien être forcé de se retirer. Ce ne serait pas mauvais, comme exemple.
Les quatre tableaux qui terminent le manifeste napolitain sont concluants et utiles. Vous intéressez-vous au télégraphe sous-marin ? Vous ne vous doutez pas à quel point le public provincial en est occupé ; il attendait la nouvelle du succès comme celle d’une victoire. L'imagination des hommes est tournée vers ces choses là.

11 heures
Merci de votre lettre de ce matin très bonne, et qui sera utile. Je vous en parlerai demain. Merci et adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00224.jpg
Val Richer, mardi 2 sept. 1851

J’arrive, après avoir moins bien dormi qu'à mon ordinaire ; mais je n’en suis pas si fatigué que vous. J’espère que votre nuit aura été bonne. 2 sept. ! Quelle date avec le meurtre de la Reine et de Madame Elisabeth, c’est le plus épouvantable crime de la Révolution ; crime savant, inventé et exécuté de sang froid. J’ai eu dans les mains l’état des salaires payés aux égorgeurs, tant par jour, et par égorgé. Et il y a eu des gens d’esprit assez sots pour croire que c'était là ce qui avait fait l'héroïsme et les victoires des armées françaises.
J’ai été content hier de ma conversation avec Bertin. Je crois qu’elle sera efficace. Sa disposition naturelle est bonne ; mais il est faible et perplexe, et il sera, il a déjà été très travaillé. J’espère qu’il se maintiendra dans une bonne ligne à propos de cette candidature. Il m'a assez parlé des Affaires d'Allemagne. Il a beaucoup entendu dire à Hombourg que la réaction était excessive et inintelligente, surtout en Prusse. Il parait que le Roi de Prusse est bien décrié.
J'ai vu aussi Salvandy que j'ai grondé de n'être pas venu à Londres. Plus on est décidé à déplaire, plus il faut être respectueux. Il arrivait d’Evreux, où il a trouvé le Duc de Broglie extrêmement vif contre la candidature du Prince de Joinville, et toute la politique dont elle est un fleuron.
Il y a eu à Evreux le 26 août un service pour le Roi. Quatre de ses ministres étaient dans la ville, Broglie, Salvandy, Dupont de l’Eure et Hippolyte Passy. Les deux premiers étaient au service, les deux autres se promenaient dans la rue, ce qui a choqué les passants. Les chefs légitimistes du pays. MM. de Vatimesnil et de Blosseville, étaient au service. Adieu. Adieu.

Je vais faire ma toilette et probablement dormir un peu avant le déjeuner. Je suis las. J'ai terriblement couru depuis dix jours. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00218.jpg
Londres, Mardi 26 Août 1851
Une heure

Je trouve en rentrant votre lettre de Griberich. Merci de me l'avoir adressée directement ici. Je vous dirai pourquoi tenant à avoir vos lettres, comme vous dites avec un si, j’avais cru mieux faire en ne changeant rien. C’est trop long à écrire. Je reviens de l’office. Bien petite église bien pleine. Rien que des Français ; cinq ou six anglais seulement. Deux Princesses étrangères la Princesse Bayration et la Princesse Grasalcovitch.
De mon bord Duchâtel, Dumon, Montebello, Vitet, Tryel, Montalivet, Jayr. Il ne manquait que Salvandy qui n’est pas venu, à dessein, dit-on ; en quoi il a eu tort ; Hébert qui est malade et Canin Gridaine.
Du bord régentiste, Rémusat, Lasteyrie et Ségur. Personne n'a entendu parler de Piscatory ; je ne sais ce qu’il devient. Beaucoup d'autres bons, venus exprès, d'Haubersaert, Ch de la Ferronays, Hippolyte de la Rochefoucauld, Bussion. Les vrais amis nombreux ; les flatteurs rares. Ce qui n'empêche pas les flatteurs d'être les favoris. Dans la tribune réservée, la Reine, la Duchesse d'Orléans, la Duchesse de Nemours, la Princesse de Joinville, le duc de Nemours, le Prince de Joinville, le comte de Paris, le Duc de Chartres, le comte d’Eu et le duc d'Alençon. Point de pompe ; le curé de la chapelle ; l’office des morts complet, grave et simple. L'auditoire recueilli très convenable. Assez de curieux autour, très convenables aussi.
J’irai demain à Claremont. Ce qu'on m’en dit ressemble fort à ce que j'en attends. Triste mélange d'impatience et d'impuissance. Grande ardeur à revenir ; grande terreur d'avoir un avis et de prendre un parti. Et en attendant on prend celui de se laisser faire par ceux qu’on croit le plus capables de nuire. Ils ont perdu le père par leur opposition ; ils perdront les fils par leurs services. J’y vais demain dans l'unique intention de dire mon avis sans y demander de réponse. Il y a, je crois une conduite à tenir, qui n’est pas prompte, mais qui doit être efficace. Reste à savoir si en France, on saura la tenir.
J’ai entrevu Jarnac en sortant de l'église. Il viendra me voir ce soir, et nous causerons. Il est toujours très bon et très décidé.
Ce que vous me dîtes de vous me déplait beaucoup. J'y regarderai, j’espère le 29. Je compte partir, d'ici après-demain jeudi soir. Quand j’aurai fait ma visite à Claremont et donné une matinée à l’exposition, je serai quitte. Le très peu de personnes que j'ai vues me prouvent que les lettres de Gladstone ont fait ici beaucoup d'effet, et de mal. On vient de me les envoyer. Je ne veux écrire à Lord Aberdeen qu'après les avoir lues. Adieu. Adieu, Duchâtel et d'Haubersaert repartent ce soir. Dumon, demain soir. Montalivet avec moi, après-demain. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00215.jpg
Val Richer, Vendredi 22 Août 1851

Je puis répondre à votre question de poste. Vous êtes arriérée d'un jour parce qu'on a retenu ma lettre 24 heures à Francfort pour la lire et la copier à son aise. Précisément celle-là contenait, sur ce que j’avais vu à Paris, quelques détails qui pouvaient intéresser. On n’est, en Allemagne ni expéditif, ni soigneux de voiler ce qu’on fait.
Ma course en Angleterre ne me plait pas. Je n'ai personne à y voir qui me plaise. C’est un devoir que j'accomplis. On m'écrit que la Reine ne recevra personne le 25, la veille, je m’y attendais, personne non plus le lendemain le 27. Je ne pourrai donc la voir que le 28. Je compte bien m’arranger en tous cas, pour repartir le 29. Je saurai d’ici là le jour précis de votre retour à Paris.
C’est vraiment bien dommage qu'Ems ne vous ait pas aussi bien réussi, cette année que l’an dernier. Je me répète encore que peut-être le bien viendra plus tard.
Je vois que l’amiral Parker est arrivé devant Tunis avec son escadre et a signifié au Bey qu’il eût à publier la Hatti-Schériff du Sultan qui règle les relations avec la Porte. C'est précisément là ce que notre flotte est allée empêcher quatre fois de mon temps. Ce n'était pas parfaitement correct ; mais on verra quels embarras renaîtront en Algérie, quand la Porte aura repris l'ascendant à Tunis. J'ai reçu hier une nouvelle lettre d'Alexandrie, trés longue sur les progrès du travail anglais en Egypte. S'il continue sans plus d'obstacle, l'Angleterre sera bientôt établie solidement en Egypte. Lord Palmerston a raison de souhaiter ce maintien pur et simple de ce qui existe aujourd’hui.
Mon pauvre ami Rossi a enfin son monument dans l’Eglise de San Lorenzo. Voici un petit rapprochement assez frappant. C’est Tenerani qui a fait ce monument de Rossi. J’ai une lettre de Rossi qui me demandait que Tenerani près de venir à Paris, fit mon buste. Je vous quitte pour faire ma toilette.

Onze heures
Il me revient, par une source pas très élevée, mais trés rapprochée, qu'on parle assez légèrement, autour de Madame la Duchesse d'Orléans de la candidature du Prince de Joinville. On ne croit pas au succès ; mais on se dit qu'il enlèvera, un million de voix, au Président qui ne sera pas nommé d'emblée et qui ne le sera pas non plus alors, par l'Assemblée. On joue toujours au hasard et pour amener une crise. La Duchesse d'Orléans ira, dit-on, en Allemagne, presque aussitôt après l'anniversaire.
Décidément donc vous serez à Paris le 28 ou le 29 au plus tard. Je hâterai mon départ de Londres, en dépit des amis, car il y a toujours des amis. Granville a certainement eu tort de ne faire visite à aucun Ministre. Quoi, pas même à M. Baroche, ni au Ministre du commerce avec qui il avait été en rapport à Londres ? C'est singulier. Adieu, Adieu.
Je voudrais bien que Paris vous guérit d'Ems. Adieu. Vous ai-je dit qu'à Londres, je serais chez Grillon ? Je crois que oui. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00195.jpg
Val Richer 17 août 1851

J'espère bien avoir une lettre ce matin. Je ne reçois pas celles de Francfort plutôt que celles d’Ems, ni celles de Schlangenbad plus tard. Je suis fâché de ne pas connaître Schlangenbad. Jamais le calme n'a été plus profond qu'en ce moment. Le mouvement de l'Assemblée est fini. Celui des conseils généraux n'est pas encore commencé. Les journaux n'excitent plus aucun mouvement. A peine dit-on quelques mots de la candidature du Prince de Joinville. La réserve du Journal des Débats déplaît évidemment beaucoup à ceux qui y poussent. Quelle leçon, si cela finissait par un coup d'épée dans l’eau ! Ce sera le point délicat de ma visite à Claremont. Mais je m'en tirerai comme Dugueselin se tira de la ville de Rennes, où il était assiégé par les Anglais. Grand stratagème du Connétable. Il met son Chroniqueur en tête de ce chapitre ; et ce stratagème fut de rassembler sa garnison, de sortir de la place bannières déployées et de se faire jour, à grands coups de lance et d’épée, à travers le camp des Anglais. Je parlerai comme Dugueslin marchait bannières déployées et en disant tout ce que je pense. Je ne connais, ni dans mon devoir, ni dans leur intérêt, aucune raison de m'en gêner.
Ce qui m'amuserait, ce serait comme je le vois dans les journaux, que Thiers, Rémusat, Lasteyrie, Piscatory & vinssent là aussi pour le 26 août. La réunion autour du cercueil du Roi serait frappante. La mort change peu de chose.
J'étais inquiet, il y a quelques jours, pour la petite fille de ma fille Henriette. L'affection vient vite en regardant une pauvre petite créature muette qui souffre et qui vous regarde avec des yeux suppliants, où il n’y a rien encore que l’instinct confiant de la faiblesse qui implore secours. L'enfant va mieux. Je ne sais si on viendra à bout de l'élever ; elle est bien chétive. Il y a aussi quelque chose qui saisit et attache dans ce problème de la vie à son début ; une flamme qui vacille ; durera-t-elle ? S'éteindra- t-elle ? C'est le mot de mort à propos du Roi, qui m'a reporté vers ma petite-fille. Qu'il y a loin de l’un à l'autre !

11 heures
Voilà ma lettre, et vous êtes rétablie à Schlangenbad. J'en suis bien aise pour votre repos. La fatigue un peu prolongée, même agréable ne vous va pas. Adieu, adieu. Point de journaux ce matin. Montalivet m'écrit. " La Reine et les Princes vont quitter l’Ecosse. Le Prince et la Princesse de Joinville, retournent directement à Claremont. La Reine et le duc de Nemours feront un détour qui leur prendra plusieurs jours. Je ne crois pas qu’ils soient à Claremont avant le 24. Mad. la Duchesse d'Orléans habitera Claremont et y arrivera de son côté le 22 ou le 24. " Mon plan, à moi, est toujours le même. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00181.jpg
Val Richer, Jeudi 14 août 1851

Je serai donc à Paris le 24, à Londres le 27 ; à Weybridge pour le service le 26, et probablement à Claremont le 27, pour la conversation. Si je resterai à Londres un ou deux jours, c’est ce que je ne sais pas. Je me refuse absolument aux invitations Lord Aberdeen, Sir John Boileau, Croker & & mais peut-être Croker et Sir John Boileau viendront à Londres pour me voir. En tout cas je compte partir de Londres le 29 ou le 30, et être par conséquent à Paris, le 30 ou le 31. Vous voyez que mes plans cadrent avec les vôtres. Je vous prie seulement d'être à Paris le 31 août ou le 1er septembre au plus tard, car j'aurai bien peu de jours à y rester et je n'en veux rien perdre. Je suis entré très activement, dans plusieurs travaux qui ont quelque importance que je veux avoir terminé avant de rentrer à Paris cet automne et qui me laissent peu de liberté.
Je n'ai trouvé les choses, ni si changées, ni si aggravées que vous l’avait écrit Duchâtel. L’intrigue Joinville avance peu, quoique fort active. Les pauvres étourderies du Prince lui-même tombent à terre presque aussitôt que commises. Sauf à recommencer. Les questions qui s’agitent et les événements qui se préparent sont trop gros pour que tout ce petit mouvement y fasse ou y change grand chose. Ce qu’on a gagné, par le progrès de l'union désireuse et réelle entre les deux partis conservateurs est à mon avis bien plus important que les incidents dont on se préoccupe ne sont fâcheux. Voilà la part de mon optimisme. Deux sortes de gens ont raison d'être tristes, des gens difficiles et les gens pressés ; rien de grandement bon ne se fera, ou du moins ne se fera bientôt. Nous avons encore je ne sais combien de sottises à traverser et de sots à user. Ce sera probablement contre ce qui existe aujourd’hui qu’ils s’useront. Quand la France, sera sortie de cet abominable bourbier on trouvera qu'après le malheur d’y être tombée, et tombée par sa faute elle y a eu du bonheur et qu’elle s'en est tiré à bon marché. La candidature Joinville, et la proposition Creton, voilà les embarras réels du moment. Le second fournira peut-être un moyen de sortir du premier.
J’ai été parfaitement content de Berryer. Il n’a qu’une idée fixe, l’élection de l'Assemblée future. C’est à ce but que tout doit être subordonné. Et heureusement, le gros du parti le comprend. Les dissidents même, très peu nombreux commencent à s'inquiéter de l'explosion de leur dissidence et à chercher quelque moyen de boucher le petit trou qu’ils ont fait. M. de Falloux, très sensé et très ferme, mais de nouveau souffrant, est parti pour aller rejoindre sa femme à Nice. Le Président a causé avec Kisseleff, le jour de sa fête à St Cloud, et lui a tenu un langage fort raisonnable. Décidé à se croiser les bras et à attendre que le pays agisse. Il y a toujours des impatients amateurs de Coup d'Etat. Il est peu probable, très peu, qu’ils prévalent quoiqu’on ne soit peut-être pas fâché que le public en ait toujours un peu peur. Cela le rend plus modeste, et plus, empressé à faire lui-même ce qui dispense des coups d'État. Le public s’inquiète d'une circonstance. Un commandement donné, à Paris, au général St Arnauld, le vainqueur de la Kabylie, le plus entreprenant et le plus dévoué des nouveaux généraux africains bien plus capable d’un coup que le Général Magnan de Paris à Londres.
Un de mes amis anglais whig sensé et fort au courant m’écrit : " Lord John has made a promise, a very rash one, it seems to me of a new reform-bill ; and whether, it succeeds or fails, it will not leave us where it founds. I breakfasted this morning with Lord Lansdowne, and tried to find out whether the government had any fixed plan. But I could learn nothing, and I suspect that they have not yet, even seriously considered what they mean to propose. My suspicion is that what they ultimately do propose will be too strong for the Tories and too weak for the radicals ; that they will be defeated by a Tory-radical opposition, and go out ; that a Tory government will come in and reign for 4 or 5 years, and that then the whigs will come back, with a larger or at least a more,(deux mots que je n’ai jamais pu lire).... bill. " Cela me paraît de l'English good sense. Adieu.
J'adresse toujours à Francfort Vous ne m'avez rien dit contre. Votre tête me déplait bien. J’ai peine à croire que vous ne sauviez pas votre fils Alexandre. Ce ne serait pas la peine de prendre tant de peine pour avoir si peu de crédit. Adieu, adieu G

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00163.jpg
Val Richer, samedi 9 août 1851

Montebello m'écrit d'Angoulême où il est allé conduire son fils aîné pour les examens de l’école de Marine. Le pauvre homme est encore sous le coup des inquiétudes qu’il a eues pour sa femme ; il m’en parle avec terreur. La maladie aigüe est guérie, mais il lui reste mal au foie et des crises presque intermittentes qui la font beaucoup souffrir, et qui dureront probablement jusqu'à ses couches prochaines. Montebello compte toujours aller à Claremont vers la fin de ce mois. Il a vu me dit-il à Angoulême le Général de La Rue, inspecteur général de la gendarmerie, homme d’esprit, que je connais beaucoup, et dont le jugement a de la valeur. Le général qui vient de parcourir beaucoup de départements en rapporte l'impression qu'il n’y a et qu’il n’y aura, pour la Présidence, que deux candidats sérieux Louis Napoléon et Ledru Rollin.
En attendant la candidature du Prince de Joinville éclate tout-à-fait. L’ordre est à lire désormais puisqu’il se déclare le moniteur des Régentistes. La conduite me paraît bien peu habile. Le Roi Louis-Philippe n’a jamais voulu se laisser conduire par Thiers. Sa famille, apprendra probablement, après sa mort, combien il avait raison. M. de Lasteyrie dit que M. le Prince de Joinville accepte la candidature, et il en promet, aux uns la fusion, aux autres le contraire. C’est un jeu qui ne comporte pas la durée, ni la publicité. En attendant l'élection, à la Présidence on sonde Paris pour une élection du Prince à l'Assemblée, en remplacement du général Magnan. Mais les coups de sonde ne réussissent pas. Manœuvre pitoyable. C’est bien assez d’une abdication. Est-ce qu’on fera passer tous les Princes par cette même porte ? MM. de Lasteyrie et de Rémusat sont furieux de n'avoir pas été portés par la majorité à la commission de permanence. Et très tristes d'avoir échoué par la minorité. Vous aurez vu, dans la Patrie, la réponse du Président au coup qu'on lui a porté à propos de ses projets d'emprunt à Londres. On avait fait grand bruit d'avance de ce coup-là. Il me paraît que même le bruit ne sera pas grand.
J'ai reçu une nouvelle lettre de mon ami Croker qui insiste encore pour que j'aille le voir à Alverbank quand j’irai à Londres. Il ajoute : " And now let me ask another favor of you. Some one has set about à story that George the IVth had endeavoured to sell the Royal Library (which was afterwards given to the British Museum) to the Emperor of Russia, and Madame de Lieven is quoted as the authority for this statement. I never before heard of any such idea, and I wish you would ask Madame de Lieven with my compliment and best regards, if she can tell me any grounds for such a rumour. I am curious to know how, il such a thing ever happened, it has escaped either my memory or my knowledge, for I had the honour of a good deal of George IV confidence on such matters, though he did not often follow my advice. » Pouvez-vous satisfaire la curiosité de Croker ?
J'ai aussi ma curiosité. Je voudrais savoir qui dit vrai, de l'Assemblée nationale, ou de Lord Palmerston, sur les notes ou lettres venues du nord aux cours de Naples, de Florence et de Rome. Le Journal est bien positif ; et le Ministre a bien l’air de mettre dans sa dénégation un subterfuge. Je suis charmé que vous ayez retrouvé Marion. Il est bien juste que le Prince de Metternich règne un peu au Johannisberg. Je ne sais si ses successeurs feront mieux que lui, mais il ne paraît pas qu’ils puissent faire autrement.
Si vous pouvez à Schlangenbad, à Ems ou à Francfort vous procurer le dernier numéro de la Revue des deux mondes (1er août), faites-vous lire l'article de M. Cousin sur Madame de Langueville. Il y a bien à dire ; mais c’est très agréable spirituel et curieux ; avec un ton tantôt de rigidité pieuse, tantôt de désinvolture aristocratique auquel la vérité manque également dans l’un et dans l'autre cas mais qui a de l’élévation et de la grâce. Cela vous intéressera et Marion aussi.

10 heures
Adieu. C’est tout ce qui me reste à vous dire, et ce qui me plaît mieux que tout ce que je vous ai dit. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00157.jpg
Schlangenbad le 8 août 1851

Je pense bien à la désagréable. situation que vous fait cette sotte conduite de Claremont. Evidemment la fusion qui devrait être le salut de la France en sera le fléau. c.a.d. que la division éclatant chaque pas, il faudra bien deux bannières. Eh bien ce qu’il y a de mieux à faire, c'est de ne s'en plus mêler. Vous irez à Claremont pour la messe funèbre, dites-là la vérité pour la dernière fois, & souhaitez leur le bonjour. Et puis restez tranquille. Qu'ils fassent leurs affaires à leur façon cela ne peut pas être la vôtre. J’espère que la France restera comme elle est plutôt que de retomber aux mains de ces Princes gamins. Je suis convaincue que tel est aussi le sentiment de l’Europe. C’est toujours la lettre de Duchâtel qui m'a mis dans ce train là, car hélas vos lettres il y a bien longtemps que je ne les connais plus. Je suis impatiente d’arriver à Francfort pour tout vérifier.

7 heures. Voici enfin deux lettres le 3 et 4. Le 31 juillet & le 2 août me manquent. Où sont elles ? Vous serez donc à Paris après-demain, & lundi & Mardi. Sans moi, je ne le comprends pas. Arrangez votre course à Londres de façon à être à Paris le 2 ou le 3 septembre j'y serai certainement alors. Vous donneriez bien quelques jours à l'exposition. Ou bien voulez-vous que je revienne plus tôt ? Je puis abréger. J’attends Constantin après le 20. Ici ou autre part. Le 9 samedi. Vraiment je suis toute malade, ma pauvre tête, je ne sais qu'en faire. Je viens de prendre une médecine il fallait me donner cela plutôt. A 4 heures je vais à Francfort mauvaise condition pour reprendre mon rôle de courtisan. Adieu. Adieu.
Vous me direz des nouvelles de Paris. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00155.jpg
Brighton Mardi 30 Janvier 1839(sic)

Les yeux vont un peu mieux, mais ils sont toujours irrités et moi je le suis beaucoup contre mes médecins. Je suis bien curieuse. Tansky écrit qu'on va à l'Empire. Lui même n'a aucun doute. Le croyez-vous ? Du reste sa lettre ne dit rien que nous ne sachions. J'ai dicté une longue lettre à l'Impératrice.
8 h. du soir Lord Brougham est venu et m’est resté 3h. au moins. Il a vu Lady Holland revenant de Claremont. Elle croit la reine mourante. J'ai vu la 2nd édition du Times racontant la journée d'hier à Paris et la promenade à cheval du président. Il n'a qu’à faire tout juste le contraire de ce qu'a fait Louis Philippe : garder son ministère et exposer sa personne et sa cause est gagnée. Vous savez que je le protège. Je serai charmée de le voir se bien conduire. Voici ce que Schwarzenberg a dit à lord Ponsonby. " Je n'envoie pas un archiduc à Londres parce que je ne peux pas exposer un Prince de la maison impériale à rencontrer l'ennemi acharné de l’entente. Voici votre lettre. Et voici la copie de celle de M Armand, ami d' Odillon Barrot. Je vous pris de me renvoyer celle- ci tout de suite. L'intérêt commence à la 3ème page. Adieu. Adieu.
Vous voyez bien que Beyer était une pauvre raison de me quitter ! Adieu.
La mission de Neumann à [?] avait pour objet d’obtenir que la France fût toute seule une expédition pour rétablir le Pape à Rome. L'Autriche ne l'a pas voulu, mais elle demande à son tour à la France de laisser faire cela au Roi de Naples, et que la France et l'Autriche regardent et restent l'arme au bras. Le cabinet prussien a adressé une circulaire à tous les agents diplomatiques, pour déclarer son intime alliance avec l'Autriche et la résolution. de refuser l’Empire. Tout ce que je vous dis là vient de source.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00112.jpg
Brighton Samedi 20 Janvier

Je vous renvoie les deux lettres. Je suis assez frappée de celle de votre hôtesse. Il faut d’abord savoir cependant si vous avez grande confiance dans son jugement, et puis quand même elle dirait vrai ; s’il ne vaudrait pas mieux risquer la non élection plutôt que d’aller se mettre dans cette mauvaise boutique. Voici Barante confirmant un peu les mauvaises dispositions à votre égard. Cavaigac a fait une longue visite à Mad. Rothschild. Elle s’est dit monarchiste ; il a dit que ce serait la reine infaillible de la France, qu’elle ne pouvait être sauvée que par la République qui était comme un malade de la fièvre auquel il faut du quinine pour le remettre. Le quinine est amer. On a administré à la France le remède dans toute son amertume mais ce remède la guérira. Il faut qu’elle soit république. Léon Faucher est entré un moment après, disant que la France ne se sent gouvernée qu’à présent. Duchatel n'y entendait rien. Maintenant les préfets sont contents parce qu'on leur donne des directions claires, précises. Bien glorieux bien satisfait. Avez-vous remarqué les convives chez Falloux ? Tous les partis entourant le président, ce que n'a jamais eu Louis Philippe. Adieu car c’est beaucoup pour [mes yeux] qui ne vont pas bien. Renvoyez-moi Barante, et envoyez lui ma lettre par la poste si elle n’est pas déjà partie par occasion. Ajoutez son N°. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L008_0214.jpg
1 Château d’Eu Samedi 6 septembre 1845,
10 heures et demie du soir

J’aime mieux causer avec vous que de me coucher. Mesurez tout ce que cela veut dire. Je suis peu fatigué et fort peu enrhumé. Moins qu’hier. Temps charmant. Beau soleil, pas assez chaud. Trop de vent ; mais, je ne sais comment peu de poussière. Si l'employé du télégraphe électrique s’était trouvé là au moment où je l'ai demandé, vous auriez su à 10 heures dix minutes que je venais d’arriver à Rouen, à 10 heures cinq minutes, et que j'en repartais à 10 heures un quart. Je suis arrivé ici à 5 heures un quart. Le Roi était à la promenade, en mer, avec tous ses petits enfants dont un seul, Philippe de Wurtemberg, a eu le mal de mer. La Reine m’a accueilli tendrement. J’ai eu le temps de faire, ma toilette complète avant le dîner.
J'ai dîné à la gauche de la Reine, le Prince de Salerne à sa droite. Ne dites ceci à personne, car tout revient ; mais je ne plus résister à vous le dire. La Blache Don Pasquale, moins la belle figure de La Blache. Très bon homme du reste et très empressé pour moi. L’archiduchesse, vrai portrait de sa fille ; assez de ressemblance avec la Reine ; sourde à ne pas entendre les 400 tambours du roi de Prusse. L’air doux et fort polie. Madame la duchesse d’Aumale inconsolable de l'absence de son mari. Madame la Duchesse d'Orléans pas à dîner. Ce soir dans le salon de la Reine. Soyez tranquille; le Prince de Joinville sera ici demain matin. Le Roi l'a appelé et il vient de bonne grâce. Il reconnait que c’est convenable au point d'être nécessaire. On fait toutes sortes de calculs pour savoir quand la Reine arrivera. Les plus vraisemblables la font arriver Lundi, à 5 heures du matin. Trois bâtiments croisent pour venir nous avertir à temps. Le séjour sera court. On croit comme vous qu’elle veut être sur terre Anglaise mardi soir.
La galerie Victoria n’était pas finie. Depuis six jours tous les peintres sont arrivés de Paris, et tout sera prêt demain. Prêt du moins pour l’apparence et l'éclat. C'est fort joli. Toutes les scènes des deux voyages, la Reine au château d’Eu et le Roi à Windsor. Lundi soir, spectacle ; l'opéra comique, Richard cœur de Lion et un petit opéra gai.
En attendant, je viens de passer deux heures assis auprès du Roi, à passer et repasser en revue, tout ce qu’on peut nous dire et tout ce que nous devons dire. Mes thèmes de conversation ont été tous adoptés. Adieu pourtant. A demain le reste. Il n’y a pas de reste, car je vous ai dit tout ce que je sais ce soir. Demain, il y aura autre chose. Salvandy couvert de gloire de se trouver à Eu un tel jour. Je suis logé dans mon grand appartement. Lord Aberdeen sera près de moi Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L008_0151.jpg
23 Val Richer, mardi 19 août 1845

Je suis charmé de vous savoir à Boulogne. Génie qui est allé chercher quelque chose dans mon cabinet à Beauséjour me dit qu’il l’a trouvé charmant, plein de fleurs, si riant et si tranquille ! J’espère que nous y aurons un beau et bon mois de septembre. Avec quel plaisir je reprendrai-là nos douces journées et nos douces soirées ! Je suis bien aise que vous ayez été contente de vos amis d'Angleterre. Cela me plait de penser que jamais peut-être deux étrangers n'ont obtenu là autant d'estime et d’amitié que vous et moi. Je n’ai ce matin absolument aucune nouvelle, si ce n'est de Suisse où l'on s'attend tous les matins à l'explosion de la guerre civile. Les deux partis extrêmes s’y préparent ouvertement, et la Diète et son parti n’en parlent pas pour ne pas se faire de peine. Il se fait là au milieu de l’Europe, un singulier essai des maximes radicales les plus folles. Quand ils seront assez las de leurs fous, ils demanderont à l’Europe de les en délivrer.
Voici mes arrangements. J’ai chez moi les 21, 25 et 27 août, trois grands déjeuners électoraux. Je partirai d’ici le 30 à 5 heures du matin. Je serai à Beauséjour à 6 heures pour dîner, et nous passerons ensemble, la soirée de notre 30. Que de choses je retrouverai en vous retrouvant.
Vous ai-je dit que j’ai écrit au duc de Noailles à propos de sa lettre à vous et de son fils ? Il est allé passer deux jours à Paris. Il a du monde chez lui ces jours-ci. D’après ce qui me revient le parti légitimiste est en plus grand désarroi et abattement que jamais. Mon succès à Rome et le refus du grand Duc de Modène les ont fort déconfits. Ils se croyaient bien établis là.
Voilà une estafette qui m’arrive du château d’Eu. Une réponse du Roi sur des demandes de croix que fait Bresson à l'occasion de l’entrevue de Pampelune. Les Espagnols font de grands, grands préparatifs ; des troupes, des meubles, des chevaux, des taureaux. Ce pays-là passera probablement encore par bien des épreuves bien des hauts et des bas. Cependant, ou je suis bien trompé, ou c’est un pays qui se relève, et qui avant cent ans d’ici aura repris un rang considérable en Europe. On a toujours tort d'oublier que la première résistance à Napoléon est venue de là. Grande preuve d’énergie et de vitalité nationale. Je vous quitte pour répondre au Roi, et pour écrire au Duc de Nemours et à Bresson. Adieu. Adieu.
Comment êtes-vous logée à Boulogne ? Je ne m’y suis jamais arrêté. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L008_0144.jpg
22 Val Richer Lundi 18 août 1845
9 heures

Vous êtes en France. Vous avez certainement passé hier car il faisait beau. Le beau temps continue. J’aurai après demain de vos nouvelles de Boulogne. C’est charmant. Ce sera bien mieux, le 30.
Point de nouvelles du tout ce matin. Sinon des frontières d'Espagne. L’enthousiasme des populations basques, autrefois carlistes, pour les deux Reines, est curieux. Bresson m’en écrit des détails amusants qui lui arrivent à Bagnères d’où il partira bientôt pour rejoindre M. le duc de Nemours à Bayonne et aller avec lui à Pampelune. Les Reines se prêtent de très bonne grâce à ce mouvement populaire. Elles se promènent à dos de mule ou à pied dans les vallées, dans les montagnes. Les paysans illuminent les montagnes, les vallées et escortent les Reines en bande de milliers d'hommes. C’est une fête, et un chant universel de ce côté des Pyrénées qu'on entend presque de notre côté. Le Roi de Prusse ne fait pas mieux sur le Rhin pour la Reine d'Angleterre. Je suis charmé de cet accueil Espagnol. Il consolide le cabinet, satisfait & calme le Général Narvaez. Le gouvernement rentrera à Madrid raffermi. J’ai tort de prédire ainsi sur l’Espagne. Mais voilà mon impression.
A propos du Roi de Prusse, la Reine reste un jour, de plus à Stolzenfels. Elle en partira le 16 au lieu du 15. " On est parvenu, m'écrit-on de Mayenne, à lui faire comprendre que le Roi était fort affecté de voir qu'en public, une visite annoncée et préparée de si longue main, ressemblait si fort à un passage."
Je suis charmé que vous approuviez mon discours. Ici et à Paris, il a fort réussi. On s'en occupe encore. A dire vrai, on ne sait de quoi s’occuper. Le calme est profond, la prospérité toujours croissante, la satisfaction réelle, la confiance dans l'avenir plus grande qu’elle ne devrait. Tout cela ne me supprimera, à la session prochaine, ni un débat, ni un embarras, ni une injure. Le bien et le mal marchent, dans le pays-ci à côté l’un de l'autre, sans se faire tort l’un à l’autre. Nous verrons. Au fond, moi aussi j’ai confiance. Mais quand j'étais jeune, j’avais une confiance joyeuse. A présent, il n'y a pas de joie dans ma confiance. Je sais trop combien le succès même coûte cher et reste toujours mêlé et imparfait. Adieu.
Il faut que j'écrive au Maréchal, au Garde des sceaux, à Salvandy, à Génie. J’écris beaucoup, à vous c’est mon repos comme mon plaisir. Adieu. Adieu.
Je vous trouve très raisonnable sur vos yeux, voyant ce qui est, restez dans cette disposition .

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L008_0126.jpg
17 Val Richer. Vendredi 15 août 1845

Ceci vous trouvera à Boulogne. Je pense avec plaisir que la mer n’est plus entre nous. Quand je nagerais aussi bien que Léandre, le Pas de Calais est plus large que le Bosphore. Et ce pauvre Léandre n'est pas arrivé.
Guillet a écrit à Page de passer à la rue St Florentin et d’y donner son adresse. Je vous engage encore à passer quelques jours à Boulogne avec les Cowley. Vous n'aurez personne à Beauséjour, surtout le soir. Le Roi de Prusse a beaucoup d'humeur de ce que la Reine comme elle le lui a fait savoir ne reste à Stolzenfels que jusqu’au 14 et veut en partir le 15 pour être à Cobourg le 17. Il avait fait de plus longs préparatifs. Il s’est écrié, sur cette nouvelle : " Ah, c’est trop fort. Il y a de la part des Princes allemands et des hommes considérables, fort peu d'empressement pour se présenter chez le Roi de Prusse & lui rendre des devoirs pour lui-même, avant l’arrivée de la Reine d'Angleterre. On va au contraire beaucoup au Johannisberg. On peut évidemment se montrer froid pour le Roi de Prusse et confiant dans M. de Metternich. Le Roi en est choqué. Et comme il est surtout homme d'impressions et d'amour propre, cette petite manœuvre n’aura probablement pas l'effet qu’on s’en promet.
La Reine d’Espagne et même la Reine Christine ont été très bien reçues à St Sébastien et dans les Provinces basques, en général ; mieux qu’on ne s’y attendait. Voilà encore des conspirations qui échouent. Ce ne sont pas les conspirations que le général Narvaez a à craindre ; c'est l'opposition dans son propre parti. Les prochaines cortes seront orageuses. Le grand Duc de Modène a décidément et pour la seconde fois refusé sa fille à M. le Duc de Bordeaux. On a donné un bal à Schönbrunn dans cette vue. Il a déclaré que si le Duc de Bordeaux y allait, ses filles n'iraient pas. Le Duc de Bordeaux a été indisposé. Le parti est très chagrin, très déconfit de cet échec. Ils disent qu’ils n’ont plus d’espoir que dans la seconde fille du Prince Jean de Saxe, 15 ans, bien laide & pauvre ; et que si cela aussi échoue, il faudra que le Duc de Bordeaux épouse une française de bonne maison, car il faut absolument qu’il se marie. La Dauphine a fort essayé de causer politique et France avec l’Electrice douairière de Bavière qui s’y est refusée. Elle (la Dauphine) s'est montrée parfaitement découragée et résignée. On lui a demandé si elle passerait l’hiver à Vienne ou à Frohsdorf : " Je n'en sais rien et cela ne me fait rien, avec le peu de jours qui me restent à vivre, et ce que j’ai à en faire, qu'importe ? " Voilà mon bulletin. Le calme est profond.
Le Roi et tout le château d’Eu ont été charmés de mon discours à St Pierre. Il m'écrit avec effusion. Henriette est décidément très bien. Mais le temps redevient mauvais, froid. Quel été ! J’ai écrit à Charles Greville. Adieu. Adieu.
Vous avez déjà passé où vous passerez après-demain. Il n'y a pas de vent aujourd’hui. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00552.jpg
Paris, le 15 octobre Mardi

Vous comprenez que je n’ai pas fermé l’œil de toute la nuit que chaque coup de vent me faisait bondir d’effroi. La suite de cela est que je suis parfaitement malade. A 10 heures Génie m’apprend que vous êtes à Douvres. J’ai rendu grâce à Dieu. Mais maintenant il faut encore que je vous sache à Calais. Et quand je saurai cela je m’inquiéterai de votre fatigue. Vous ne pouvez arriver dit-on à Eu que fort avant dans la nuit. Vous avez à passer deux nuits sans repos. Si vous êtes clever, vous vous reposerez à Eu toute la journée de demain & la nuit d’ensuite et vous ne reviendrez que jeudi. Pourquoi vous fatiguez hors de mesure ? Je vous l'ai déjà dit je saurai attendre. Songez d'abord à votre santé.
Vous me trouverez un peu malade, mais j’ai Marion pour me soigner. Je n’ai pas bougé hier, je ne bougerai pas aujourd’hui. Le Roi ne sait pas comme j'ai été occupée, inquiète de lui. Il ne faut pas faire des visites en octobre. Adieu. Adieu.
La vraisemblance est que cette lettre ne vous arrivera plus, que vous serez parti, j'ai cependant voulu essayer encore. J’ai eu aujourd’hui votre dernière lettre de Dimanche. Comme tout a bien été là ! Comment cela ira-t-il ici. Adieu. Adieu soignez vous je vous en conjure. Adieu. dear, dear, dearest.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L007_00555.jpg
Château d'Eu. Mercredi 16 0ct. 1844,
9 heures

Je vous en conjure, ne soyez pas malade ; que je ne vous trouve pas malade. Vous ne savez pas à quel point j'ai besoin d'être tranquille sur vous, avec quel sentiment, chaque fois que je vous vois, j’interroge votre physionomie. Que sera-ce quand je vais vous revoir ? Vous le voyez ; je suis prudent je suis clever. J’ai ramené le Roi par Calais. Je reste un jour ici à me reposer. C’est vous qui êtes chargée de m’en récompenser. Portez-vous bien. Je suis bien, très bien. J’ai bien dormi de 5 à 10 heures. J’ai très bien déjeuné dans ma chambre. Quand ma toilette a été faite, l’heure du déjeuner du Roi était passé. Et puis, j'ai besoin et soif de solitude. J’ai donc préféré ma chambre. Une côtelette, une aile de poulet, des asperges, du raisin, et du thé. Est-ce bien ?
Cela vaut mieux que la cuisine de Windsor. Pas de légumes mangeables, excepté les pommes de terre. Pas un bon poulet. Et toutes les peines du monde à avoir du riz ou du vermicel, pour potage, au lieu de turtle. Vous auriez ri du luncheon que nous avons mangé à Portsmouth chez un bon M. Grant, Store keeper qui l’avait préparé pour ses amis de Londres venus pour assister à l'embarquement du Roi. Plus de 10 mille personnes étaient là dans cet espoir. L’amiral Cockburn, était au désespoir de notre changement de plan. Il a lutté obstinément pour le premier projet. Il regrettait. passionnément son spectacle sur mer. Puis, quand on lui a demandé d’envoyer un canot au Gomer, qui était en rade à Spithead il y en a envoyé deux successivement qui sont revenus, tous deux sans avoir pu franchir la barre. Il aurait fallu rester à Portsmouth à attendre que le temps changeât.
En débarquant en France à Calais, à Boulogne, à Montreuil, à Abbeville, partout sur la route, j’ai trouvé l’état d’esprit des populations excellent. Vive joie de revoir, de reprendre le Roi. Vif orgueil de l’accueil qu’il venait de recevoir en Angleterre. Vive satisfaction de la consolidation de la paix. Voilà les sentiments vrais, naturels, spontanés. Je les jetterai à la tête de ceux qui essaieront de les obscurcir, de les dénaturer, de mettre à la place les stupidités routinières et les animosités factices des journaux. Vous avez mille fois raison. Je prendrai ma position et les choses sur un ton très haut. J’en ai le droit, et c’est la bonne tactique. Adien. Adieu.
Dear, dear, infinitely dear. Encore une fois, ne soyez pas malade. Si vous m’aimez, c’est tout ce que je vous demande. Adieu. Je suis charmé que Marion soit là. Adieu. à demain. Charmante parole ! G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L007_00545.jpg
9 Château de Windsor. Dimanche 13 oct. 1844, onze heures

Oui, je pars demain à midi. Je vous ai dit hier si je ne me trompe comment tout est arrangé. N'ayez aucune crainte de Rouen. C’est beaucoup plus prompt moins fatigant et très sûr. Je partirai d'Eu Mercredi matin, entre 7 et 8 heures. Je serai à Rouen à 2 heures. J’en repartirai à 3 heures pour être à Paris à 9 heures.
Soyez bien sûre que vous n'aurez pas plus de plaisir à me voir entrer que moi à entrer. C’est une charmante idée qui me revient à chaque instant et m'illumine le cœur à tel point qu’il en doit paraître quelque chose sur mon visage. Mais personne ici n'y regarde. Vous n'aurez que quelques lignes. J'ai beaucoup à faire aujourd’hui. Jarnac vient de passer deux heures dans mon Cabinet. J’aurai une dernière conversation avec Aberdeen et avec Peel. Je dois voir aussi le Prince Albert. Puis une foule de petites affaires à régler avec le Roi.
Par une faveur que Lord Aberdeen a arrangée, Lord John Russell est invité à dîner pour aujourd’hui. Aberdeen m’a engagé à causer avec lui, assez à cœur ouvert ; et des rapports des deux pays et du droit de visite. Il lui croit bonne intention, et est lui-même avec lui, en termes très bienveillants.
Merci de la lettre de Bulwer. Je vous la renvoie. Il écrit ici sur le même ton parfaitement content de Bresson et de Glücksbierg. Je ne compte pas laisser M. de Nion à Tanger. Lui-même demande à aller ailleurs. J’ai dîné hier à côté de la Duchesse de Gloucester qui me demande de vos nouvelles et m’a parlé de vous avec un souvenir affectueux. Elle m'a dit que la société anglaise avait perdu sa vie en vous perdant. Après dîner de la conversation avec Aberdeen, un peu avec Peel. Un vrai plaisir à revoir les Granville qui étaient là. Lord Granville est réellement mieux ; toujours faible et chancelant, mais se tenant assez longtemps debout et parlant. Le Roi a été très aimable pour eux. Mad. de Flahaut aussi était là. Tout juste polie. Je l’ai été un peu plus, et voilà tout. Du reste d’une humeur visible et naturelle. Personne ne lui parlait, ne faisait attention à elle.
Votre discours final à Aberdeen est excellent, et je le tiendrai. Il faut que je vous quitte adieu, adieu, dearest. Je tâcherai de vous écrire un mot demain, je ne sais comment, et puis d'Eu, Mardi, en y arrivant. Et puis, ce sera fini. Je vais très bien. Vous me trouverez, moins maigre qu'à mon départ. Adieu. Adieu G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L007_00537.jpg
N°8 Château de Windsor. Samedi 12 Oct. 1844, 4 h. et demie

Je sors de la réception de l'adresse de la Cité au Roi. Le Lord maire, les Sheriffs, les aldermen, & des common Council men, 45 en tout. Vous verrez l'adresse et la réponse du Roi, qui a été parfaitement accueillie. Bonnes toutes deux. J’avais écrit la réponse ce matin, et je l’avais fait traduire par Jarnac. De l’avis de Peel, et d'Aberdeen il fallait qu’elle fût écrite lue et remise immédiatement par le Roi au lord Maire. La Reine et le Prince Albert ont passé une demi-heure dans le cabinet du Roi à revoir et corriger la traduction. C'est une véritable intimité de famille et d’une famille très unie.
J’ai eu le cœur remué pour mon propre compte. Au moment de se retirer les commissaires de la Cité ont demandé tout bas qu’on leur montrât M. Guizot, et à peu près tous m'ont salué avec un regard respectueux et affectueux qui m’a vraiment ému. Au dire de tous ici, cette adresse, votée à l’unanimité dans le Common Council est un évènement sans exemple et très significatif. Peel répète souvent qu’il en est très frappé. Plus j’avance plus je suis sûr qu'ici le voyage est excellent, excellent dans le Gouvernement et dans le public. Le Duc de Wellington est venu ce matin passer une heure chez moi. Nous avons causé de toutes choses, même du droit de visite ; évidemment ma conversation lui plaisait, et j'espère qu’il s’en souviendra.
Vous avez raison ; il faudrait que Cowley fût Earl. Je tâcherai de faire arriver cela. J'en parlerai au Roi, qui a déjà très bien parlé des Cowley. Le Roi vient de partir pour une visite à Eton. Il est infatigable. Je suis resté pour écrire, pour vous écrire.
Ne vous enfermez pas dans votre deuil au delà de ce que veut la convenance. Je ne doute pas que la lettre de Constantin ne me touche. C’est un bon jeune homme. J'espère qu’à partir de demain Dimanche, vous aurez l’esprit de m'écrire au château d’Eu et non plus en Angleterre. Lundi encore, écrivez-moi à ici. J’aurai votre lettre mardi, et Mercredi j'irai vous chercher vous même au lieu d'attendre vos lettres.
Nous quitterons Windsor Lundi à midi. La Reine, avec le Prince Albert, reconduira le Roi à Portsmouth. Là vers 3 ou 4 heures elle montera à bord du Gomer, où le Roi lui donnera un luncheon. Après le luncheon, elle quittera le Gomer pour monter sur son yacht, le Victoria Albert et les deux bâtiments sortiront ensemble du port de Portsmouth la Reine pour aller à l’île de Wight, nous pour faire voile vers le Tréport. On ne peut pas pousser plus loin la bonne grâce, et l’amitié. On dit que tout Londres sera lundi à Portsmouth.
Bacourt peut aller à Bruxelles. Je ne crois pas avoir besoin de lui avant le 1er Déc. Et en tous cas Bruxelles est si près. Je vais vraiment très bien. J'en suis frappé surtout pour l’appétit. Il y a bien encore un fond de fatigue surmonté par l'excitation de la vie que je mène et par ma volonté. Pourtant je sens aussi revenir la force, la force vraie et naturelle. Je suis sûr qu'à mon arrivée vous serez contente de moi. Adieu. Adieu. Votre lettre de ce matin m'a bien plu. Seulement vous ne me dîtes rien de votre santé. Adieu, dearest.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L007_00520.jpg
N°7 Château de Windsor, Vendredi 11 Oct. 1844
4 heures

Votre pauvre frère est donc mort. Tristesse ou joie, toute chose m'est un motif de plus de regretter l'absence. Loin de vous ce qui vous afflige me pèse ; ce qui me plaît à moi, me pèse. Je ne puis souffrir cette rupture de notre douce et constante communauté. Je suis vraiment triste que votre frère n'ait pas eu la consolation de mourir chez lui, dans sa chambre au milieu des siens. Il semble qu’on ne meure en repos que là. Et cette pauvre Marie Tolstoy ! Je ne lui trouvais point d’esprit. Mais elle a un air noble et mélancolique qui m’intéressait. Non, vous n’êtes pas seule, car je vais revenir.
Nous partons toujours lundi 14, pour nous embarquer à Portsmouth vers 5 heures et arriver au château d'Eu mardi 15 à déjeuner. J’y passerai le reste de la journée du mardi et je serai à Paris mercredi soir. Bien profonde joie.
Le voyage est excellent et laissera ici de profondes traces. Mais cinq jours suffisent pleinement. Je sors de la cérémonie de la Jarretière. Vraiment magnifique et imposante, sauf toujours un peu de lenteur et de puérilité dans les détails, 14 chevaliers présents. Le Roi, très bonne mine, très bonne tenu ; point d'empressement et saluant bien. Lord Anglesey a failli tomber deux ou trois fois en se retirant. Je ne vous redis pas ce que vous diront les journaux.
Hier à dîner entre la Duchesse de Mecklembourg et la Duchesse de Norfolk. La première spirituelle, et gracieuse ; la seconde pompeusement complimenteuse. Après dîner, Lord Stanley. Longue et très bonne conversation. Il m'a dit en nous quittant : " Je vous promets que je me souviendrai de tout ce que vous m'avez dit. " Je crois avoir fait impression. Le Roi en croit autant pour son compte. Quel dommage de ne pas voir les hommes là tous les trois mois ! Qu'il y aurait peu d'affaires. Lord Stanley m’a fait à moi l'impression d'une grande franchise & straightforwardness. Le tort des Anglais, c'est de ne pas penser d’eux mêmes à une foule de choses, et de choses importantes. Il faut qu'on les leur montre.
Outre Stanley, un peu de conversation avec M. Goulburn. Je les ai soignés, tous. Voilà deux soirées où je vous jure que j’ai été très aimable. Hier trois heures avec Aberdeen. Parfait sur toutes choses. Nous sommes de vrais complices. Nous nous donnons des conseils mutuels. Il est bien préoccupé de Tahiti et bien embarrassé du droit de visite. Ce matin deux heures et demie avec Peel. Remarquablement amical pour moi. Les paroles de la plus haute estime, de la plus entière confiance. Il a fini par me tendre la main en me demandant mon amitié de cœur. A un point qui ma surpris. Du reste très bonne intention ; plus d'humeur. Le voyage en effacera toute trace : mais des doutes, des hésitations et des inquiétudes dans l’esprit qui est plus sain que grand. Il m'a répété deux fois, qu’il s’entendait parfaitement et sur toutes choses avec Lord Aberdeen. Se regardant comme brouillé avec une portion notable de l’aristocratie anglaise, & le regrettant peu.
L'Empereur et M. de Nesselrode ont pris plus d’une demi-heure de notre temps. Les choses sont parfaitement tirées au clair. Il a fort approuvé ma conduite de ce côté depuis trois ans. Que de choses j'aurais encore à vous dire. Mais il faut finir. Mon courrier part dans une demi-heure et j’ai à écrire à Duchâtel. Adieu. Adieu. Dearest ever dearest.

J'oublie toujours de vous dire que je vais bien. Un peu de fatigue le soir. Je suis toujours charmé de me coucher. Mais je suffis à chaque jour, et mieux chaque jour. Je mange, quoique je ne puisse pas avoir un bon poulet. Demain, la Cité de Londres envoie à Windsor son Lord Maire, ses douze Aldermen et 18 membres de son common council pour présenter au Roi une adresse excellente pour lui, excellente pour la France. N'ayant pu obtenir le banquet à Guildhall ils n'en ont pas moins voulu manifester leurs sentiments. Ici, cela fait un gros effet. J’espère que chez nous, il sera très bon. Je n'écris pas à Génie dites-lui je vous prie ceci et quelques autres détails pour sa satisfaction. Adieu adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L007_00506.jpg
N°4 (je crois) Château de Windsor, Mercredi 9 oct. 1844, 9 heures

Soyez tranquille. Je commence par là. Je suis très bien. J'ai bien dormi. Pas si bien que sur le Gomer où je me suis couché Lundi soir, à 7 heures et demie pour me lever mardi à 7 heures après deux ou trois réveils fort courts dans cette longue nuit. Je ne me suis pas douté de la traversée.
Hier soir la Reine pour nous laisser reposer, a quitté son salon à 10 heures. J'étais dans mon lit à 10 heures et demie. J’ai pris, mon bouillon, comme chez moi, en m'éveillant. Voilà le compte de ma santé fait. Je vous répète que le voyage me fait du bien. Mais les lits Anglais sont trop durs.
Soirée fort tranquille hier. Point d’invités, si ce n’est le Duc de Wellington, sir Robert Peel et Lord Aberdeen qui est arrivé tout juste pour dîner. Longue conversation entre lui et moi après le dîner. Je ne sais quel hasard nous a fait commencer par l'Empereur et M. de Nesselrode, et nous n'en sommes pas sortis. J’ai à peu près vidé mon sac sur ce point, écouté avec beaucoup de curiosité et pas mal de surprise. Avec Sir Robert Peel, un commencement de conversation sur ses propres affaires, ses succès financiers, l'état intérieur de la France, ce qui l’intéresse le plus. Le Duc de Wellington extrêmement poli & soigneux avec moi, comme un homme qui se souvient vaguement qu’il a quelque chose à réparer.
J’ai causé assez longtemps avec la Reine ; et longtemps avec le Prince Albert. Ils ont l’air très content. La soirée s’est passée à voir l’Album du voyage de la Reine au château d’Eu, que le Roi lui a apporté.
Ce matin, la Reine a fait proposer au Roi, pour 9 heures et demie une visite au potager et au verger. Il l'a priée de vouloir bien l'excuser. Il reçoit Lord Aberdeen à 9 heures, et sir Robert Peel à 11. Je le verrai entre deux. La Reine est prodigieusement matinale. Le déjeuner est commun, où elle ne va point, est à 9 heures. Je n’y vais pas non plus. Je ne sais quels seront les plaisirs officiels de la matinée. On m'avertit qu'ils commenceront à 2 heures. Adieu. J'espère bien avoir un courrier de Paris ce matin. J’expédierai le mien ce soir à 5 heures. Je vous redirai Adieu.
Le Duc de Wellington m’a demandé si Lord Cowley ne viendrait pas faire une course à Londres - Je sais qu’il se trouve parfaitement à Paris. Il a raison. On me dit qu'il se porte très bien.
Midi, et demie
Voilà votre numéro 2. Merci de votre anxiété. Vous aurez été rassurée le lendemain. Vraiment il n’y a pas de quoi vous inquiéter. Ma santé va bien. Ce qui me manque encore de force reviendra. C'est à mes affaires que je pense. Grand ennui d'y penser tout seul.
J’attends Lord Aberdeen à une heure. Il a vu le Roi qui en a été très content. Peel est chez le Roi en ce moment. Adieu. Adieu. Après vous, ce que j’aime le mieux, c'est vos lettres. Adieu. G.
Je vous renvoie celle de Lady Palmerston. Yes, no harm.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00510.jpg
Paris, Jeudi le 10 octobre 1844
8 h 1/2 matin

Voilà votre bon petit mot de Portsmouth. Merci. Merci. Bien dormi, bien mangé. C'est là ce qu’il faut me dire. C'est la seule chose qui m’intéresse vraiment. Hier soir Génie est venu m’apporter la dépêche télégraphique de Windsor. J’en ai été médiocrement contente, elle ne parlait pas de vous. Sachez bien qu’il n'y a que vous pour moi dans le monde.
A propos de cette dépêche la colère de Génie était sans bornes, restée 23 1/2 heures entre Windsor & Calais ! C'est vrai que c’est fort.
Il est impossible de faire plus. La venue du Prince Albert à Portsmouth à bord du Gomer, c’est parfait. Que je serai curieuse maintenant des détails. Comme les journaux vont nous en régaler ! Je voudrais qu’ils me racontent aussi ce que vous mangez.
Hier pauvre journée de larmes. Constantin m'a écrit la plus touchante lettre du monde. Vous verrez qu’elle vous touchera. Cette lettre a enfin fait pleurer la pauvre Annette. Elle n’a pas quitté son lit depuis l’arrivée de la nouvelle.
J’ai vu hier matin Fagel deux fois, Fleishman, Kisseleff, Bacourt, l'Ambassadeur d’Autriche. J'ai fait ma promenade au bois de Boulogne après mon dîner. J'ai été chez Annette où je suis restée jusqu'à 1 heure de me coucher. Je ferai cela tous les jours. Bacourt vous demande s'il doit attendre votre arrivée. Il voulait aller lundi à Bruxelles pour en revenir le 1er Nbre. Mais si vous en disposez autrement, il fera votre volonté et vous attendra. Il ne sait rien que le fait que vous avez peut être besoin de lui. Fagel est excellent d’abord pour moi (il a le cœur très charitable) et puis excellent par les rapports avec Londres. Lord Aberdeen a lu le rapport de Fagel sur son entretien avec le roi où celui-ci-li a fait un éloge si vif & si mérité d’Aberdeen. Cela lui a fait une satisfaction visible. Il s’est beaucoup loué & d'ici, et de vos agents d'Espagne surtout de Glusbery. C'est absurde de vous adresser tout cela à Windsor. Je ne sais que vous mander. Vous comprenez bien qu'ici il n’y a pas de nouvelles, & que moi plus recluse que jamais à présent à cause de mon deuil, je ne puis rien apprendre.
Le Toulonnais donne votre traité avec le Maroc. Certainement, cela n’est pas en règle. Comment ces choses là arrivent-elles chez vous ? J'espère que Tahiti ne va pas faire un nouvel embarras. Ah que j'arriverais à jeter Tahiti au fond de la mer. Revenez je vous en prie avec le droit de visite au fond de mer aussi. Je ne sais pourquoi, je l'espère beaucoup. Mais surtout je vous en supplie portez vous bien. Dormez, mangez, prenez des forces et parlez moi de cela tous les jours.
Sans doute le Roi se louera de Cowley à Windsor. Je voudrais que cela valût à ce bon vieux homme le titre d’earl. Je n’ai pas vu Lady Cowley hier elle était malade, elle viendra aujourd’hui.

Midi et demi. Dans ce moment m’arrive votre petit mot de Windsor. Mardi 5 heures Mille fois thank you dearest que c’est charmant de lire écrit de votre main : Je suis très bien. Continuez à l’être et à me le dire.
Que la bonne réception de Portsmouth m'enchante. Au fait tous ces hourras feront du bien au roi ici. Cela le réhausse encore. Quelle honte pour les Français de si peu reconnaître ce qu’ils possèdent. Mais savez vous qu’au fond il y a un sentiment d’inquiétude de son absence, on sera content de le savoir de retour. Il manque, c’est un vide. On s’aperçoit que c’est une grande affaire que le roi. Je crois moi que tout ceci fera du bien.

9 heures
J’ai été accablée de visites. Il faut que je ferme ceci & que je le porte chez Génie. Adieu. Adieu. Vos filles sont venues elles ont été très aimables pour moi, et m'ont apporté de charmantes brioches bien chaudes très utiles. Elles ont bonne mine toutes les deux. Adieu. Adieu.
Voilà le petit Nessellrode qui reste aussi. Je vous redirai tout demain. Adieu. Adieu. God bless you dearest.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L007_00516.jpg
N°6 Château de Windsor. Jeudi 10 oct. 1844,
11 heures

Mon courrier de Paris n'est pas encore arrivé, et j'apprends que celui que j'ai expédie hier a manqué, le train de Londres à Brighton et a été obligé de s’en aller par Douvres, ce qui aura retardé mes lettres de douze heures. Voilà des ennuis par dessus les ennuis de l'absence. Vous avez bien raison : l'absence est odieuse, et de plus absurde. Il vient un moment dans la vie ou les intérêts et les affections intimes devraient être seuls écoutés. Mais on est lancé, et on roule. Je roule fort dans ce moment-ci. Tout se passe à merveille. Pour le dehors et la population, je n'ai rien à ajouter aux journaux, sinon qu’ils disent vrai. Faites-vous donner par Génie, le Times et le standard.
Dans l’intérieur, l'accueil est vraiment éclatant et fraternel. On voit que la Reine prend plaisir à déployer sa magnificence et son amitié. Nous avons commencé hier les grands dîners de 100 couverts dans St George Hall et ensuite cercle & musique dans les state apartments. Nous aurons cela tous les jours jusqu'à lundi. Vous verrez la liste du dîner. J'étais à côté de Lady Peel, bien gracieuse et bien timide. J'ai bien employé ma soirée. J’ai beaucoup causé avec Peel, Aberdeen, Sir James Graham, Lord Wharncliff. J’ai été très content de Sir James Graham, et j’ai appris que, dans nos dernières difficultés, il avait été constamment l'un des meilleurs. Avec Peel, je n’ai encore abordé point de question spéciale, et je ne sais jusqu'à quel point je les aborderai. Je suivrai le conseil de Lord Aberdeen. Mais la politique générale la paix et la guerre, les relations avec les divers Etats. Il est très, très pacifique, convaincu que sa force tient à la prospérité des intérêts commerciaux qu’il a fort soignés et qui ne prospèrent que par la paix.
Il m’a fort bien parlé de M. de Nesselrode distinguant expressément son langage de celui de l'Empereur. J’irai chez lui ce matin à une heure. Ni lui, ni moi, ni Lord Aberdeen ne sommes de la course du Roi et de la Reine à Twickenham. Nous en profiterons pour causer à fond. Avec Aberdeen, j’ai entamé hier, et assez avant l'affaire du droit de visite. Je ne puis rien dire encore. Avec ses excellentes dispositions, Lord Aberdeen n’aime pas les changements, les discussions, les entreprises. Mais j’espère le rassurer, et le mettre en mouvement. Je ne puis m'empêcher de vous dire que je suis comblé, comblé par tout le monde. Evidemment l'estime et la confiance sont complètes. Peel a fait un vrai discours au Roi, à mon sujet et le Roi me l’a redit avec plaisir.
Hier avant le dîner, une assez froide promenade, moitié à pied, moitié en calèche. Visite minutieuse du château depuis la chapelle jusqu'à la vaisselle et aux cuisines. Visite de la basse cour et de la ferme. Enfin visite à la petite maison de la Duchesse de Kent. Il pleuvait de temps en temps. Aujourd’hui, il fait assez beau.
Votre paquet pour Paul est à Londres. Mon courrier de Paris n’arrive toujours pas. Cela m'ennuie bien. Voilà qu’on m’apporte quelques journaux de Paris, une lettre de Duchâtel pour le Roi, et rien de plus. redoublement demain. Adieu. Adieu. Mille fois, adieu. G.
Je vais bien.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L007_00492.jpg
Château d'Eu. Lundi 7 oct.
3 heures

Je ne vous répète pas le récit de mes ennuis. Trois heures et demie dans une chaumière, sur la route, à attendre une voiture de Rouen. J'ai beaucoup pensé à vous, et à l'impatience que vous auriez, bien plus vive que la mienne. Cela m'a calmé. Au fait j'étais à couvert, devant un bon feu, et j'étais sûr qu'une voiture m’arriverait. Quand elle est arrivée la seule solide qu'on eût trouvé, les deux glaces des portières manquaient. On y a adapté des rideaux d’épaisse perkalin verte. Un vrai sarcophage, du reste il roulait bien.
Quand j’ai relayé à Tôtes, j’entends un groupe autour de ma voiture. Je ne voyais rien, & on ne voyait rien. J’entends dire : " C’est M. Guizot. Pourquoi s'enferme t-il comme çà ? Il n'en a pas besoin. Ici, tout le monde l’aime ; nous ne sommes pas des journalistes. " Je soulève mon rideau : " Messieurs, c’est que ma voiture s'est brisée et j’ai été obligé d'en prendre une autre qui n’a pas de glaces. - Prenez bien garde de vous enrhumer. M. le Ministre. On dit que vous avez été malade soignez vous. Le commerce a bien besoin que vous vous portiez bien. "
Je les ai remerciés, et j'ai refermé mon rideau. Il y avait cinq ou six gardes nationaux en uniforme, et une vingtaine de petits bourgeois ou paysans. Voilà les assassins qui m'attendent sur la route. Je suis arrivé à Dieppe à 9 heures. J’ai fait faire un bon feu. J’ai expédié une estafette à Eu et une à Paris. J'étais dans mon lit à 10 heures. J'ai assez bien dormi. Pas comme dans ma chambre pourtant. Ce matin à 7 heures et demie, comme j’allais partir, Herbet m'a rejoint. Je l’avais laissé en arrière pour prendre soin de ma voiture. Je suis arrivé ici à 10 h.. Le Dr Fouquier m'attendait à la porte de ma chambre. Il est allé rendre compte au Roi de moi.
J'ai déjeuné dans ma chambre, très bien déjeuné. Puis, j’ai fait ma toilette. Cette maison est très bien tenue. Tout y est commode et prévu. Et puis, je suis évidemment l'objet, des plus tendres soins. L’intérêt personnel habile et élégant fait ce qu’il peut pour ressembler à un peu d'affection. J'y réponds par de la bonne grâce. C’est assez.
Je viens de passer une heure avec le Roi. Content et préoccupé. J’ai des nouvelles, de Sainte Aulaire. Peel sera à Windsor, à l’arrivée du Roi, et est invité pour toute la durée du voyage. Il y aura beaucoup d'invitations pour un jour. Les Cambridge ne sont invités que pour le 10, le jour de la Jarretières. Les deux colliers vacants seront donnés à Lord Abercorn et à Lord Talbot, mais pas ce jour-là. Le Prince Albert viendra-t-il jusqu'à Portsmouth, ou seulement au point ou nous quitterons le chemin de fer ? That's the question. La Reine Louise a écrit qu’il irait à Portsmouth. Adieu.
Vraiment, je suis bien. Point fatigué. Nous verrons cette nuit. J'ai dit au Roi que je me coucherai en entrant sur le Gomer. Il m’a fort approuvé. Beau temps ; mais un peu de vent, et mauvais nord-ouest. Nous dinons à 4 heures et demie, & nous nous embarquons à 6 heures. Adieu. Adieu.
Merci de votre lettre à Lord Aberdeen. Je suis sûr qu'il en tiendra grand compte. Sainte-Aulaire m'écrit qu’il est très préoccupé de mon indisposition. Adieu. Adieu.
Le facteur demande mes lettres. Adieu dearest. G.
Formats de sortie

atom, dcmes-xml, json, omeka-xml, rss2