Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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224 Baden le 25 juillet jeudi 1839 8h.

Voici encore votre N°222 vous m’avez envoyé vos lettres deux jours de suite comme je vous l’ai proposé ; et moi attendu que vous me redemandiez l’alternat je ne vous ai pas écrit avant hier. Il y a confusion dans le ménage, mais j’aime mieux ce que vous avez fait que ce que vous avez dit. Et peut-être me rendrez-vous ceci à l’inverse. Je vous écris par un orage effroyable. Il n’y a que cela à Bade. C'est insoutenable. Et je n’aime pas l'orage par dessus la solitude. J'ai cependant quelques petites distractions, mais bien petites. Le Prince Emile de Darmstadt, M. de Blittersdorff qui a de l'esprit et qui sait des nouvelles. Le prince de Montfort fils de Jérôme Bonaparte qui est bête ! Le comte Buol, très agréable. Le prince Emile regarde l’affaire du mariage comme décidée. Il m’a conté beaucoup de détails qui m'ont intéressés. Mon grand Duc était amoureux de l'Angleterre moins la petite Reine qu’il n’aime pas du tout, et il a raison.
Voici la Turquie en train de redevenir plus que jamais la grosse affaire de l'Europe. Outre la destruction de l’armée turque en Syrie, le Capitaine Pacha est parti avec sa flotte en dépit des ordres de Constantinople et attend à Rhodes comment les partis vont se dessiner en Turquie. c.a.d. qu'il donne à tous les autres Pachas l'exemple de l’indépendance. Dans cet état de choses la crise de l’Empire ottoman est imminente et nous ne tarderons pas à reparaître sur la scène. J'ai des lettres de Lady Cowper, de Lady Granville. J'ai peu de forces pour répondre. Je suis toujours fatiguée, sans jamais rien faire pour cela, car je marche fort peu. Mad. de Flahaut m’invite beaucoup à aller la trouver à Wisbade, elle y sera dans huit ou dix jours. Si Bade ne me plaît pas plus qu’il ne m’a plu jusqu'ici, il se peut que j'y aille. Et cependant je suis les déplacements. Tout est pour moi un effort.

5 heures. Voici votre lettre. Décidément tous les jours est une bonne invention et j'y reste pourvu que vous y restiez. Nous faisons un peu comme lorsqu'on marche ensemble. hors de mesure et que chacun de son côté cherche à la rattraper ? Je parie que maintenant vous allez être en défaut. Je me suis séparée de Malzahn aujourd'hui avec regret. Sans avoir beaucoup d'esprit, il en a et du jugement. Il connait bien les affaires. Cela me faisait une ressource. Il vaut mieux qu'Armin, vous l’aimeriez à Paris, et son extérieur est parfaitement bien. Il m’est venu aujourd'hui une nouvelle vieille connaissance le Prince Gustave de Muklembourg Schwerin oncle de la duchesse d’Orléans. C'est un ennuyeux, mais plein d’humilité et bon garçon je crois.
Je vous demande pardon de la mauvaise tournure de me première feuille. J'ai pris la feuille à rebours Il y a de grands commérages et de grands scandales à Bade. Et cette pauvre petite Madame Welleiley fort gentille et innocente petite femme est fort troublée d'un bien vilain article qui a paru dans les journaux Anglais sur son compte. Son mari n’a pas assez d’esprit pour traiter cela comme il convient, et je crains qu’il ne soit cause de plus de publicité qu’il n’est nécessaire. Les procès sont des bêtises.
Adieu Adieu. Voulez-vous avoir un mot de M. Royer Collard à propos de l’effet qu’a produit la commutation de la peine de Barbés " tout n’est pas perdu, quand la lâcheté révolte. " Je vous prie d'oublier que c’est moi qui vous ai dit cela. Adieu encore mille fois de tout mon cœur.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad Samedi 17 août 1850

J’ai eu hier la visite du duc de Noailles & de M. Berryer. Ils sont venus à 3 h. & m'ont quitté à 7. Le duc de Noailles. est dans le ravissement, du comte de Chambord, il ne le connaissait pas. C'est de l’enthousiasme qu'il inspire d'abord, par sa superbe figure, à la fois de la grandeur, de la vivacité marquée par le bonheur. Ensuite sa conversation excellente, pleine de sens, de tact, voyant les choses par les côtés vrais et pratiques. Le fond parfait, susceptible de développement, mais dés à présent de l’autorité, une autorité naturelle simple. Noailles en est enchanté. Berryer bien content aussi. Il avait fait venir celui-ci à Hanovre en même temps que le M. de la Ferté (gendre de Molé) & Fernand de La Ferronnays. Ces deux-ci font chez lui le service de chambellan. Tous les trois demeurent chez lui & font partie, de sa suite, à tel point que Berryer a dû demander hier au prince la permission de venir me faire visite. Il y avait avant hier trente représentants à la soirée du comte de Chambord. Sur ceux-là 9 sont de la commission, je ne me suis rappelé que les noms de Benoist d’Azy, [Watis], [?] & Renneville. M. de Neuville gendre de M. de Villèle est là aussi et partageant l'enthousiasme général.
Larochejaquelin est parti avant hier sans dire adieu, mécontent de ce que le comte de Chambord aie donné toute sa confiance à Berryer. Quand on a annoncé hier matin son départ, le comte de Chambord a dit " j'en suis plus fâché pour lui que pour moi." Ce même jour il s'apprêtait à lui faire une forte réprimande. Il lui déplait fort de voir la discussion dans le camps de ses fidèles, et il exprime à toute occasion sa ferme volonté qu’on se conduise autrement à l’avenir. L’esprit le plus conciliant le plus patient, & le plus confiant dans l’avenir. On dit qu'il est impossible en le voyant de ne pas s’en croire certain comme lui. Une heureuse physionomie. La plus grande aisance, tenant son salon comme s'il était Roi depuis dix ans. Sa journée commence à huit heures. Depuis ce moment jusqu’à 5 heures, une audience après l’autre. Sans un instant d'intervalle, à 5 dîners de 20 couverts. Il ne se promène qu’après 7 heures jusqu’à 8, en rentrant réunion chez lui jusqu'à 10. Les dames tous les deux jours. Voilà le récit.
Berryer retourne à Paris le 22 je crois. Le duc de Noailles. restera peut être un peu plus longtemps. Le comte de Chambord part à la fin du mois. Ces Messieurs avaient ouï dire que la Grand duchesse Hélène venait à Wiesbaden tout de suite. Je m'en vais m’en informer, si cela était je serais dispensée d d'Ems. et j’irais la trouver à Wiesbaden. Mais je doute que cela soit ainsi. Mon rhumatisme va mieux mais le temps reste mauvais. On dit qu’on ne voit que des Français à Wiesbaden c’est bien autre chose que Belgrave square. Mad. Alexandre Girardin y est aussi. Adieu. Adieu.
On tient à Wiesbaden les meilleurs propos sur la famille d’Orléans.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 15 août jeudi 1850

J'avais eu deux lettres hier. Je n’en ai point eu aujourd’hui c’est juste. Je suis mécontente de moi ici. Depuis trois jours un rhumatisme universel, et aujourd’hui par une gaucherie impardonnable le bain, froid, au lieu d’être chaud. J’ai poussé des cris d’horreur, j’ai fait ce que j’ai pu pour me bouillir plus tard mais cela n’a pas réussi. Le temps est affreux, pluie & brouillard.
La princesse Grasalcoviz est venue, elle n'apporte que des belles robes, voilà son contingent. J’ai eu une lettre de Berryer. Il reste à Wiesbaden jusqu'au 20. Il viendra me voir ici ; il voudrait que j’allasse là, je ne le ferai pas. Je ne sais rien. Thiers écrit à la princesse Grasalcoviz pour l'inviter à venir dîner chez lui à Bade. Il y reste jusqu'à la fin de septembre. Elle a la tête tournée de Thiers. Je lui pardonne d’être folle, mais elle est méchante. En y pensant un peu, quel drôle de spectacle que cette réunion de Wiesbaden, d'abord sans doute des intrigues, des querelles à cette cour. Comment Berryer & Larochejacquelin peuvent-ils aller ensemble ensuite, ou plutôt avant, tous ces représentants (on dit qu'il y en a 9 qui font partie de la commission du 25 chargée de veiller à la sûreté de l’état, aux institutions du pays), au lieu de résider à Paris, comme c’est leur devoir, sont là, grossissant la cour du prétendant. C’est fort singulier. Mais la république sera bonne fille, elle n'y fera pas attention, pas comme vous pour Belgraw Square, & certainement ceci est plus gros. Le 16. Triste journée hier. Malade, de la pluie, personne, pas même le duc de Parme, je crois qu'il était à Weisbaden. La princesse Grasalcoviz, Mad. [Malorte] et celle-ci est partie ce matin. Vraie perte pour moi, car elle est vraiment charmante, & m'a beaucoup soignée. Adieu, adieu. J'aurai certainement des visites intéressantes ces jours ci. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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229 Baden jeudi le 1er août 1839

Vous m'avez écrit une lettre des plus intéressantes par les nouvelles que vous me donnez. Si ce que vous me dites sur l'Orient se confirme, si Méhémet Ali va non pas régner, mais gouverner à Constantinople ce sera certainement le dévouement le plus inattendu, le moins désiré par nous, qu'il soit possible de concevoir. Et si c’est M. de Metternich qui a tramé cela et sera son coup le plus habile. Mais je ne crois pas encore. Comment Méhémet irait-il se livrer, livrer sa tête à moins. d’être maître absolu du terrain, ce qu’il ne peut pas être. Tout cela est fort curieux à observer. Et j'en suis fort curieuse. Le projet électoral de la gauche me semble bien démocratique ! Je vous remercie beaucoup de toutes ces notions. Les premières surtout m’intéressent au plus haut degré. Continuez car aujourd’hui que j’ai perdu M. de Malzahn je suis peu informée à moins ce que vous me donnerez.
Ma nièce Meschersky est arrivée pour passer quelques jours avec moi. Il y a d’autres personnes venues aussi mais rien qui me plaise ou me convienne. En Anglais de peines de ménage bien frivoles. La petite Madame Wellesley se retire beaucoup de cela vu les journaux j'y gagne, car je le vois davantage et elle est gentille.

4 heures. Je vous envoie copie d’une partie de la lettre que j'ai reçu hier de notre consul général à Londres, auquel j'avais simplement demandé d’apprendre l’exact montant du capital. Cette réponse m'a beaucoup surprise. Je lui ai écrit de suite pour lui dire que je doutais beau coup que la loi anglaise pût s'appliquer dans ce cas ci à une étrangère et que je ne ferais aucune démarche jusqu’à ce que j'ai acquis la certitude la plus complète que je me trouve sous la régie de cette loi. Qu’en pensez-vous ? Cela me parait bien singulier ! Quelles seraient vos lois en France dans un cas pareil ? Imaginez que j'ai encore eu toute une matinée de notaires. Le premier plein pouvoir n’était pas suffisant ( celui d'avant hier) il a fallu tout recommencer. Je suis excédée de ces affaires. Que j'aime à vous entendre dire que vous êtes seul. Quel égoïsme ! mais cette affection est si égoïste. Il n'y en a qu’une qui ne le soit pas. Mes enfants ! J'étais heureuse de leur bonheur quand même il ne leur venait pas de moi. Mais vous, je veux qu’il vous manque quelque chose, et beaucoup. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlagenbad le 14 août 1850
2 heures

Je ne me lève que dans ce moment. Le fils du duc de Noailles est venu me voir de Weisbaden. J'ai été obligé de le recevoir quoique dans mon lit. Il m'apportait une lettre de son père d'Aix en Savoie, qui s'annonce pour ce soir à Weisbaden. Il veut savoir où je suis. C’est très commode, je suis tout près. Le comte de Chambord a témoigné une grande joie quand il apprit hier que le duc de Noailles arrivait. Jules a été trouvé le prince à Cologne, il l'a vu arriver avec Berryer et autre qui s'étaient portés à sa rencontre à Hanovre. A Cologne il a simplement passé la nuit. Tous les Français ont fait la navigation du Rhin avec lui, à Weisbaden ils ont trouvé beaucoup d’arrivés de Paris. 9 ou 14 représentants (l'un ou l’autre chiffre j’ai oubliée) et entre autres Benoist d'Azy et quelques autres qui sont de la commission de permanence tous ravis du comte de Chambord. On dit une tête remarquable avec beaucoup de vivacité dans le regard, et une manière digne et charmante. Hier on lui a présenté M. Vezin représentant orléaniste je crois. Il accueille tout le monde avec beaucoup de bonne grâce. Tous les jours 20 personnes à sa table, la maison bien montée. Tous les deux jours soirée. Hier une centaine de personnes. Des dames. La duchesse de Noailles arrivée aussi avec son mari. Tout cela va faire bien du bruit. Probablement de la fumée. Berryer reste là encore. Le prince s’occupe tout le jour. Il n’est encore sorti qu’une fois pour se promener. Il a sa livrée et cela a bon air.
Voilà mes nouvelles de la ville voisine. J'ai bien peur que le duc de Parme ne m'ennuie. Il a l’air parfaitement heureux. de venir chez moi le soir. Il est très intime. Il ne manque pas d'esprit, mais il est un peu bruyant. Décidément je n’irai pas à Weisbaden, ma curiosité ne pourrait être satisfaite qu’en faisant savoir au comte de Chambord que je suis curieuse de lui, et cela je ne le ferai pas. On ne le rencontre pas à la promenade, ainsi je me passerai de le voir. Le 15. Vite je finis. Je me suis levée tard, je ne suis pas bien pardon pardon. J’ai eu deux lettres hier 11 et 12. J’ai peur de n’avoir rien aujourd'hui

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad Mardi le 13 août 1850

Les journaux me paraissent fort occupés des dîners militaires du Président. Vous ne manderez quelque chose de Paris sur ce sujet. Est-ce que je retrouverai la république. J’ai eu un mot de Chreptovitch de Kissingen. Il partait avec son beau père pour Vienne. Il avait été question de lui donner l’initiative de Londres pendant l'absence de Brunnow mais on a trouvé que c’était faire trop d'honneur à l'Angleterre, et afin de faire le contraire on y laissera M. de [Bey], parfaitement bête, chargé de ne rien faire.

4 heures Voici votre lettre du 10. Merci, merci. Constantin me fait un long bulletin de Berlin. Le roi enchanté de votre enchantement de Stalgenfeld. S'il avait su, il vous aurait fait préparer un appartement. Le roi aussi bien que le Prince de Prusse mécontent de la Duchesse d’Orléans. Occupés de l'avenir de la France, écoutant Constantin avec curiosité et de son avis. Le comte de Chambord a passé la journée du 6 à Postdam. Il y a fait une impression très favorable. On l'a traité avec de grands égards. Le roi & son frère avaient [mis] le St Esprit. Périgny en est désolé. L’Empereur va faire un voyage d’inspection à Kiev & & et rejoindra plus tard à Varsovie l’Impératrice qui y va dans trois semaines. Venise est possible pour l'hiver, mais rien n’est décidé.
Le 14. Je vous écris de mon lit. Le temps humide ne me va pas. Je n’ai pas dormi. J'ai des douleurs partout. Quel ennui. Hier Mad. Malorte a été à Wisbaden. Elle a vu le Général de Changarnier et lui a même parlé. Elle est dans l’enthousiasme de sa bonne grâce de son grand air. Il lui a dit à revoir à Paris car tant que je n’y serai pas il n’y aura pas de repos en Europe. C’est gros. Il me semble qu'il a la même confiance que le Président. C’est l'effet qu'il a fait sur Mad. M. C'est une personne très sensée, & je crois à ses impressions. Pour moi, je n’irai pas à Wiesbaden malgré ma curiosité. C’est loin c’est fatigant, & j’ai ici une détestable voiture. Le duc de Parme a passé la soirée chez moi. Il me plonge dans l'Italie. Cela ne m’intéresse pas encore beaucoup. Si je suis réduite à sa société il faudra bien que cela vienne. Adieu. Adieu. Je suis bien contrariée de mon lit.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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233. Baden Lundi 5 août 1839

Montrond est arrivé hier, inquiet de trouver un lit et un dîner. Baden est si plein qu’il n'y a plus de logement. Son ami M. Benazet y pourvoira je suppose. Je l’ai vu hier soir en passant, mais ce matin à 7 heures il était chez moi. Il vient de Plombières. Il y a laissé M. Molé en espérances et sa belle santé. M. Cousin rempli d’éloges du roi et en grande assurance de l'entrée de Thiers. Lui Montrond croit que le Roi a envie de vous et de Thiers ensemble, mais probable ment le plus tard possible. Le gouvernement russe vient d’ordonner qu’il n’y aura plus que l’argent. En espèce qui aura cours chez nous. Dites-moi si cette mesure favorise les transactions à l’étranger, c.a.d. si c’est un bon moment pour faire passer mois argent en France ou en Angleterre. Je voudrais bien vous consulter sur divers choses mais vous êtes trop loin. On est toujours trop loin quand on n’est pas tout près.
Il faut que j’achève aujourd’hui mon roman de Félix. Après m’avoir fait la Déclaration d’hier il est allé se coucher, il n’a reparu que ce matin. Il était parfaitement ivre. Moi qui n’ai aucune connaissance de ces cas là, je croyais le pauvre homme fou. Pépin m’a éclairée. Le coupable est revenu en pénitent. J’ai dit de belles choses bien grave ment, sans rire, car ordinairement sa mine me fait rire, et tout est oublié, mais l’idée de perdre Félix avait gâté ma nuit. Et voilà comment j’ai toujours des soucis. Pardonnez-moi ma distraction des feuilles de cette lettre. Je ne suis pas ivre cependant. Il pleut ce matin ; hier il faisait superbe. J'ai eu hier une longue visite de Lady Chesterfield. Elle est un peu bête, un peu jolie, un peu ruiné. Je la connaissais fort peu en Angleterre, mais il est d'usage pour les Anglais de venir tout de suite chez moi, comme les vrais catholiques vont saluer les images dans les lieux saints

1 heures
Je viens de rencontrer un Rotschild s’en retournant à Paris que j'ai chargé d’arrêter pour moi le premier de l’hôtel Talleyrand. Si le prix n’est pas au dessus de 12 milles francs ou l’entresol pour 8 milles c.a.d. qu'il me rendra compte encore de tout cela et des arrangements à prendre. Au fond c’est la situation la plus agréable . Si le consul général de Londres a raison, le premier ne sera pas trop cher. Et s'il se trompe, j’ai de quoi fournir à l’entresol. Il me survient une affaire importante. Je n'ai que le temps de vous dire adieu. Demain vous serez ce que c’est.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 6 août 1850 Mardi
5 heures

Que c’est triste de recommencer à écrire ? Voilà un orage semblable à celui du jour de votre arrivée, mais comme il a bien fini alors. Je n’attends rien au bout de celui-ci. Je viens de dîner avec mon fils. Kolb est revenu. Il a arrêté pour moi à Schlangenbad l'appartement de la princesse de Prusse. Elle le quitte samedi matin, moi j’y entre samedi soir. Excepté la princesse, qui n'y sera plus, il n’y a personne absolument. Je me suis fait lire votre lettre, je la trouve belle, évidemment elle a fait de l'effet.

Mercredi 7
Hier nous avons passé une moitié de la journée à nous barricader contre le soleil et une chaleur étouffante, l’autre moitié en précautions contre le tonnerre & une pluie battante. La journée entière passée sans promenade. Mon fils & moi tous seuls. Le soir votre petite princesse de Beauvau, & le Prince de Chalais. Aujourd’hui il fait parfaitement froid, & pas un rayon de soleil. Vous m’avez tout enlevé. Une longue lettre d’Ellice. Je m'en vais l’étudier, & je vous l’enverrai demain. Voici la fin d'un long article de la presse du 4 à propos de votre lettre. " M. G. vient de se venger en homme d'esprit. Il s’est montré tout à la fois plus libéral que M. Thiers plus religieux que M. de Montalembert & plus républicain que M. le Président de la république. " Je cite parce que vous ne lisez pas la presse.

2 heures. Voici encore un temps détestable, du veut de la pluie, & très froid. C’est trop triste. Vous et le beau temps de moins ! Je n’ai rien à vous dire, que mon plaisi,r mon regret. Ces huit jours ont été charmants. Recommençons l’année prochaine, mais mieux. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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171. Paris lundi 22 octobre 1838

J’ai fait hier ma dernière grande promenade au bois de Boulogne avec mon fils. Il me quitte aujourd’hui. Il n’est pas homme d'esprit, mais il est si doux, si bon, si affectueux pour moi et il a tant de bon sens que c’est vraiment une bien douce société pour moi. Il retourne à Naples. Il me promet de revenir me trouver l’été prochain, que sera l’été prochain pour moi ?
J'ai eu beaucoup de monde hier au soir ; je n'avais de fixe que les Holland & Berryer, c’était une affaire commune ; les autres entrent quand ils voient les lampes. On s’est écouté vers les onze heures, & alors a commencé la véritable causerie avec Granville du plus. Il me parait que Berryer et Lord Holland ont été réciproquement frappés l’un de l’autre. Berryer compte sur une session importante ; dont vous & M. Odillon Barrot serez les principales figures. Il trouve Thiers fort effacé dans la chambre, et votre parti fort grandi par la presse. Il est impatient de vous revoir. En attendant il fait à ce qu’il dit le paysan.
Les Holland partent samedi, ils ne peuvent pas vous attendre. Cette affaire du Canada va amener des délibérations du Conseil, & peut être, une convocation du parlement. Cependant, ils ont confiance dans le général Colburne qui garde son commandement, & qu’on dit un homme de guerre & un homme de tête, supérieur. Lady Burgharsh est venue aussi hier au soir. Elle est bien changée. La pauvre femme a perdu il y a deux ans un enfant, une fille de 16 ans, charmante. Mon ambassadeur parle à tout le monde de ses embarras de maison. C'est un peu ennuyeux & on commence à en rire, mais lui en maigrit. Les Appony passeront le 8 Novembre dans leur maison, ils sont enchantés. La Duchesse de Talleyand a donné hier à dîner à M. Molé & Mme de Castellane. Si elle ne les nourrit pas mieux que moi ils seront un peu étonnés. Adieu.
Le temps est ravissant. Je vais m’établir aux Tuileries. Si vous y veniez avec moi, quelle jolie causerie nous aurions dans ce bon air qui est si gai aujourd’hui. Moi, je ne le suis pas. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 16 juillet 1851

Comme de raison je n'ai rien eu aujourd’hui. Vous vous éloigniez. Qu’est-ce qu’un Baron de Renduff qui dit qu’il était ministre du Portugal à Paris à l’époque de la Révolution ? Il tombe chez moi comme une bouche hier soir. Je dis que je ne le connais pas. Duchâtel lui dit la même chose. Il reste un peu, & puis il part et quand il a été parti, il nous est venu un souvenir vague de l’avoir vu.
Nous nous sommes amusés au piquet, au lansquenet à des bêtises, à 9 heures je renvoie tout le monde.
J’ai l’esprit un peu tourmenté sur Paris. Attendu que je n'ai point pris de robes, je crois qu'il arrivera là des choses qui m’empêcheront d’y retourner, excellente raison n'est-ce pas ? Parlez-moi raison je vous prie afin que je sois rassurée.
J’avais passé chez Mad. d’Ust. Elle vient de me rendre ma visite, c'est une aimable personne tout à fait. Elle était accompagnée d'un vieux général. J’irais voir la petite princesse. Je suis bien aise de faire des politesses au roi Léopold. M. van Praet a été parfaitement poli pour moi. Jamais je n'oublierai cette belle et bonne voiture qui m’a conduit à Cologne.
Je ne vous ai pas parlé de ma santé encore. Cela ne va pas si bien que l’année dernière, j’ai un an de plus. Le temps aussi est exécrable. Adieu. Adieu, vous êtes donc seul au Val-Richer ? Je ne vous conçois pas tout-à-fait seul. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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168. Paris, vendredi le 19 octobre 1838

J’ai passé une bien mauvaise journée hier. J’avais les nerfs tout à fait dérangés. Je me suis promenée assez longtemps au Bois de Boulogne avec mon fils ; le temps était passable. Avant le dîner, j’ai eu une longue visite de Montrond. J’ai dîné seule avec Marie, Alexandre dînait chez M. de Pahlen. Le soir, mon fils est allé au spectacle, Marie à l’Ambassade d'Angleterre, et moi dans mon lit. J'ai un peu dormi, & je me sens moins malade aujourd’hui.
Montrond est assez questionneur, assez causant, et assez en bonne humeur. Il a certainement beaucoup d'esprit. Il dit que Thiers est en bonne disposition. Il espère que vous l’êtes. Il ne dénigre personne, mais il exalte le roi. La Duchesse de Talleyrand a vu le Roi hier elle est bien traitée là. Elle essaye d’être bien un peu partout. M. Salvandy va beaucoup chez elle. Ma grande Duchesse Marie épouse vraiment le Lenchtemberg, les Russes jettent les haute cris avec raison, c'est égal, il sera notre gendre. On lui prépare un beau palais à Petersbourg, il doit y arriver dans huit jours. Nous aurons l'honneur d’être cousin de Louis Bonaparte. Il entre au service de Russie, (le gendre par Louis Bonaparte).
Le comte Woronzoff s’est démis de son gouvernement de la mer noire. Il était trop populaire. On a fait sa femme ce que je suis; ou espère par là calmer son mécontentement. Je suis ravie des dîner d'Adieux. Les Adieux de Normandie ne sont pas comme les nôtres.
On s'occupe beaucoup de l’Espagne. Je ne crois pas du tout que le dénoue ment soit prochain mais je crois sûrement au triomphe définitif de Don Carlos. Selon les propos de Montrond je croirais qu'on n’est pas tout-à-fait content du duc d’Orléans, ne savez-vous quelque chose. A propos, la cour désirerait le retour des Flahaut. On trouve qu’il n’y a plus un salon à Paris, & c’est vrai. M. de Talleyrand, Madame de Broglie, Madame de Flahaut de moins, c’est beaucoup. Quelle pauvre ville que votre grande ville, quand on en est réduit à avoir besoin de Marguerite. Adieu. Adieux.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris vendredi le 12 septembre 1851

Saint-Aulaire est venu hier & Vitet & Montebello, voilà pour la matinée. Le soir je n’ai vu qu’Antonini tout seul. J’expédie d'abord celui-ci. Valdegamas avait dîné chez lui se louant extrêmement du gouvernement français qui met la flotte des Antilles aux ordres des gouverneurs de Cuba. Tandis que le gouvernement Anglais donne raison aux américains. Morny aurait eu une entrevue avec Mallat. Est-ce vrai ?
Ce que je sais c’est que Morny est à la chasse. Vitet était bien sombre. Si on ne convient de rien avant l'Assemblée, la gauche proposera les loix pénales contre les votes illégaux & il sera bien difficile de s'opposer. Changarnier pousser à ce vote tant qu’il peut. Comment entre l'Elysée & les légitimistes n’'y a t il pas quelque rapprochement ? Si cela était, tout pourrait aller. Je suis étonnée que le duc de Noailles ne soit pas venu me voir hier. Il passait la matinée en ville. J'ai oublié de vous dire qu'on a envoyé chercher Falloux. C'est Berryer qui me l’a dit. Montebello serait bien d'avis qu'on s’arrangeât avec le président. Saint-Aulaire croit savoir que le duc de Broglie est en grave blâme des lettres dans le Times. C'est un peu l’opinion de tout le monde. Barante dit que son département est très Joinvilliste.
Vous avez là tous les commérages que je sais. Marion a dîné hier chez Salomon Rothschild en famille avec Changarnier. Mad. (James] seule manquait elle est à [Ferrières]. Changarnier folâtre et disant à Marion qu’elle avait eu tort de nous quitter avant hier. Il n'a de secret pour personne. Sa politique est la plus nette dégagée de tout image. Il est monarchien, & veut un Roi. Il n’a pas dit lequel. Le ton de la maison était hostile à l’Elysée. La Rochejaquelein disait hier à Montebello que sa candidature, qu'il avait traité lui-même de plaisanterie devenait très sérieuse, & qu'il avait déjà au-delà de 600 m. voix ! Le duc de Lévis parle très mal de tout projet de rapprochement avec l’Elysée. Marion a vu hier matin M. Royer, très animé et se moquant beaucoup de Changarnier.
Mes nuits continuent à être mauvaises. Je n'ai pas à me plaindre d’autre chose. C'est bien assez. Le Prince Metternich trouve comme moi la lettre d'Aberdeen pitoyable. Marion est convaincu que Gladstone et peut-être même notre ami n'ont pas été fâché de se réhabiliter auprès des libéraux et de reprendre un peu de la popularité que leur avait fait perdre leur vote sur le bill Catholique. Elle pourrait bien avoir raison. Ma lettre est une vraie mosaïque on m’interrompt. Joaillier & tapissier. Je suis embarquée pour ma chambre à coucher. Il faut aller. Mais j’arrête pour les autres. On m’interrompt. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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48. Lundi le 25 Septembre
10 heures

Je l’ai parfaitement prévu, pensé sans vous le dire, que les amis s’inquiéteraient, & vous tourmenteraient encore plus que les ennemis. Vous ne m’apprenez, donc rien de nouveau. J’avais l’instinct de cela de mille autres choses quand je vous disais, il y a trois semaines je crois que notre bon temps était passé. Soyez en sûr ces huit jours de parfaite liberté ne peuvent plus renaître. Mais que de tristes réflexions à faire pour moi ! Savez-vous bien où tout cela peut mener ? Nous ne sommes qu’au début de tracasseries interminables, et croyez-vous que l’Empereur permette, puisse permettre que mon nom se trouve mêlé à des intrigues françaises puis-je m’y exposer moi-même quel air cela a-t-il ?
Dans mon pays Monsieur je suis une très grande dame, la première dame par mon rang, par ma place au Palais et plus encore, parce que je suis la seule dame de l’Empire qui soit comptée comme vivant dans la familiarité de l’Emp. & de l’Impératrice. J’appartiens à la famille voilà ma position sociale à Pétersbourg, et voilà pourquoi la colère de l’Empereur est si grande de voir le pays de révolution honoré de ma présence. Monsieur ne riez pas quoique j’en ai grande envie, c’est du grand sérieux. Avec des idées pareilles imaginez ce qu’il va dire quand lui arriveront les commérages, les petits journaux, les grands peut-être, que sais-je, des tracasseries politiques, et vous Monsieur emmènerez-vous un auditoire pour voir, entendre, ce qui se fait, ce qui se dit dans mon cabinet vert ? Persuaderez-vous des amis méfiants, des ennemies acharnés ? Vous me faites sortir Monsieur d’une position qui était devenue bonne qui serait devenue meilleure. Je suis toujours restée au courant des affaires de l’Europe.
Je n’ai jamais connu les intrigues de partis en France que pour en rire. Je n’ai pas pris plus d’intérêt à un homme politique qu’à un autre. Voilà ce qui était bien, ce qui faisait pour moi, de ce qui se passe ici, un spectacle animé curieux mais rien qu’un spectacle dont je jouissais avec ma petite société en pleine innocence, & pleine insouciance. Déjà cette position commence à s’altérer, je le vois à la mine de la petite diplomatie de petite espèces. Elle est encore un peu ahurie, et je ne manque aucune occasion de la dérouter. Je poursuivais dans cette intention mais cela me réussira-t-il ? Je vous ai montré pour mon compte le très mauvais côté de ma position actuelle. J’ai été chercher le pire parce qu’en fait de mal, j’aime à échapper aux surprises, je veux vous dire cependant que je ne m’agite pas, je ne m’inquiète pas plus qu’il en faut. Je compte un peu sur mon savoir-faire, infiniment sur mon innocence. Nous verrons comment cela pourra aller.
Mais arrivons enfin à ce qui nous importe à nous. Quand vous reverrai- je? Je vous ai écrit une triste lettre hier, n’était-elle pas même un peu brutale Je me sais jamais ce que j’ai écrit, mais j’ai toujours souvenance de l’impression sous laquelle j’ai écrit. Cette impression était bien mauvaise. Elle n’est guère meilleure aujourd’hui. J’ai un chagrin profond. Vous ne sauriez croire tout ce que j’essaye pour me distraire. Ne vous fâchez pas je cherche à me distraire de vous car lorsque je me livre à vous dans ma pensée je me sens toujours prête à fondre en larmes. Je me puis pas vivre comme cela, je ne puis pas me bien porter, vous voulez que je me porte bien. Mais que faire, qu’imaginer ?
Je lis un peu. Je me promène plus longtemps que de coutume. Le soir je quitte ma place, je fais de la musique je dis des bêtises. Enfin je ne me ressemble pas. Hier au soir si vous étiez entré vous ne vous seriez pas reconnu chez moi. Marie occupant mon coin, ce coin encombré de gravures, et garni, par M. Caraffa, dont les yeux noirs trouvent, les yeux bleus de Marie fort beaux. M. Durazzo M. Henage je ne sais quel jeune anglais encore. Moi au piano avec toute la Sardaigne qui chantait on me rappelait des morceaux de Bellini, Adair quelques autres je ne sais plus qui. Le piano est devant une glace. J’y voyais la porte, & je me suis dit vingt fois, cent fois " S’il entrait ! " Et je voyais dans la glace que mes yeux prenaient une autre expression.
En vérité Monsieur je ne conçois pas comment je pourrai aller longtemps comme cela et je frissonne en vous disant cela. Madame de Castellane est venue chez moi hier matin, et en m’attendant nullement à l’objet de cette visite ; elle m’a fort adroitement amenée à ne pas pouvoir lui refuser d’aller dîner chez elle un jour. Cela ne me plait pas cependant. J’ai choisi jeudi. Pendant qu’elle était là je reçu un billet de M. Molé. Un billet de phrases galantes, qui ne demandait pas de réponse. Tout cela veut-il couvrir les pêchés passés, ou servir de masque à de nouveaux ? Ah, j’ai le Temps sur le cœur.
2 heures. Je viens d’écrire une bonne et forte lettre à M. de Lieven. Je crois que vous en sériez très content. Je ne comprends pas ce qu’il pourra y répondre. Mon fils qui est auprès de lui me mande qu’il est comme fou sur le chapitre de mon séjour ici, et qu’il n’y a pas moyen de placer un mot en ma faveur. C’est une vraie démence. Que de tracas de tous les côtés, que des images qui s’amoncellent ! Et les compensations en bonheur que j’ai trouvées, que le ciel a mis sur ma route quand reluira-t-il pour moi ?
M. de Broglie va revenir pour les couches de sa fille. Cela ne peut-il pas faire un petit prétexte ! Mais par dessus tout la santé de votre mère ? L’air n’est-il pas plus froid en Normandie ? Les cheminées ferment ici elle serait mieux. Pourquoi ne pas établir d’avance qu’il faut rentrer plutôt en ville. Vous n’avez pas d’habitudes sur ce chapitre, car vous n’êtes établi chez vous à la campagne que depuis cette année. Et mon dieu que me sert de vous fournir toutes ces raisons, si elles ne vous viennent pas à l’esprit, si elles ne vous viennent pas au cœur (Oh la mauvaise parole).
Je ne pense pas ce que je vous dis, mais permettez-moi d’être triste, extrêmement triste, & de le rester tant que vous ne m’aurez pas fourni une date. Le 25 aujourd’hui m’a fait mal. J’y avais tant compté. Ce salon ce cabinet que je regardais avec tant de complaisance en pensant au 25, auxquels je trouvais un air si gai, si charmant, il me font un effet désagréable aujour’’hui en y entrant j’avais envie de fermer les yeux. Demain je dîne chez Pozzo, j’avais dit d’avance que je ne serais pas chez moi le soir. Je pensais que le 26 vous en revenant de la noce & moi du dîner nous passerions notre soirée dans mon cabinet ; que vous prendriez du thé à la petite table. Je pensais à de si jolies pensées. Cela fait mal aujourd’hui. Adieu Monsieur, adieu, comme toujours plus que jamais adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris samedi le 20 7bre 1851

Longue visite de Hatzfeld le matin. Très souffrant & très chagrin de l'être. Très sensé à discuter les chances. Il ne croit pas si facile d’écarter les lois pénales, si la [proposition] Creton est rejetée, les légitimistes tranquilles de ce côté, se retourneront de l’autre pour empêcher la réélection. Croyez-vous cela. On parle beau coup de discussions dans le camp légitimiste. Je ne sais rien, je n’ai pas revu le duc de Noailles.
La [duchesse] de Montebello va mieux. Le soir assez de monde et beaucoup de conversa tion sur l'unique sujet. Le nonce est inquiet en pensant que l’armée à Rome peut se trouver Dieu sait en quelles mains dans quelques mois. Je vous envoie Ellice sans presque l’avoir lu moi-même, mais cela me parait curieux, pour l'Angleterre. Renvoyez-moi cette lettre elle appartient à Marion qui ne l’a pas lue. Je ne lui en ai envoyé que la première partie à Ferrières. Elle y reste jusqu’à lundi. Il fait très froid ici. Adieu. Adieu.
J’ai dormi mais je suis mécontente. Ce sera un mauvais hiver. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris vendredi le 19 septembre 1851

J'ai vu hier M. Fould très longtemps. On ne songe pas à un coup d'État. Il serait sans aucune cause ni prétexte à présent. L'Assemblée se réunira. La [proposition] Creton sera rejetée. La loi pénale pour vote inconstitutionnel sera rejetée. La révision aura au moins la même majorité. Mais alors, le prétexte est trouvé. Devant tant de manifes tations du voeu public entravé par la minorité révolutionnaire, il faut faire. Qui fera ? C’est incertain. L’irrégularité sera commise de l’une ces trois manières : de concert avec l'Assemblée, sans l’Assemblée, ou par le pays. Pourquoi les légitimistes sont-ils si mal pour le Président ? Pourquoi un dédain dans leurs journaux ? Il est sensible aux bons comme aux mauvais procédés. Si on s'approche on sera accueillis. Très disposé à bien recevoir M. Molé moi, mais il faut que quelqu’un commence. (deux fois dans la conversation & sans aucune provocation de ma part) Le Président ne songe pas à se marier. Il n’a point, il n’aura point de dynastie. Il ne se fera pas empereur et l’avenir de la France y songe-t-il ? Henry V hériterait de lui. A part cela, la conversation a été bonne et sensée. Il est parfaitement sûr de son affaire. Le Président n’a qu’à attendre. On lui sait gré de sa patience. Joinville n’a pas de chances et en eut-il tant mieux car c’est cela qui rallie les hommes sensés au président. J’ai parlé de l’Assemblée prochaine, il n’a pas pris cela beaucoup au sérieux on ne peut pas recommencer ce mode de suffrages. C'est une loterie. On peut avoir une chambre rouge tout comme une bonne chambre. Le vote par arrondissement. Il faut revenir à cela. J’en conclus que le coup d’état qui doit se faire embrasserait cette question aussi. Je crois vous avoir répété l’essentiel.
Certainement toute la manière de Fould indiquerait de la tranquillité & de la confiance. Il regrette qu’il n’y ait pas de rencontres. Si on se parlait cela pourrait aller mieux. J'ai manqué hier le duc de Noailles. Je le regrette. Je suis inquiète de Montebello. Il n’est pas venu me voir, & je vois qu'il n'a pas été à la commission. Le voici qui m’a interrompue. Sa femme avait été mal. Elle va mieux j’ai dormi. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 18 septembre 1851

J'ai bien certainement adressé ma lettre Mardi comme vous me l’indiquez & comme je fais pour celle-ci. Mes lettres sont toujours mises dans la boîte à 2 1/2. Il n’y a pas de ma faute si vous ne les recevez pas. Voici une nouvelle de Lisbonne de la meilleure source quelqu'un du Palais. [?] est arrivé là chargé de négocier un mariage pour le Président avec la fille de Don Pedro. Vous savez que je vous ai toujours dit que c’était tout trouvé si le Prince Louis se mariait. Mais dans ce moment il n’a à offrir qu’un avenir très menacé. Le gouverne ment français avait donné à Païva une frégate à vapeur pour le mener a Lisbonne. J’ai vu hier soir Dumon Viel Castel & Ribeaupierre arrivés tout frais de Pétersbourg aimable homme.
Quel excellent article hier dans l'Assemblée nationale. Bien rigoureux, bien net. Le pauvre Montebello est inquiet de se femme. Ils sont à Beauséjour. La fièvre a repris de plus fort Voici Saint-Aulaire qui sort de chez moi. Il a vu du monde bien renseigné ce matin. On croit à un coup d'Etat immédiat, tout au moins se croit-on sûr qu’il arrivera avant la réunion de l’Assemblée. Ah mon dieu & moi que faire ? Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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49. Mardi 9 heures le 26 septembre

Mon Dieu que vous avez raison lorsque vous me dites " Vous avez rencontré sur votre chemin bien peu d’affections vraies." Que vous avez raison encore quand vous attribuez bien ma méfiance à cette triste habitude de n’avoir jamais trouvé de vrai dévouement. Je vous remercie, je vous remercie beaucoup de m’expliquer si naturellement cette injustice dans mon caractère. Ce défaut n’était pas dans mon cœur, il y est venu par l’expérience mais Monsieur, cette découverte c’est vous qui me la faites faire ce matin par votre lettre. Je voudrais bien vous dire, vous prouver tout ce que je vous en porte de reconnaissance. Eh bien, je vous entends d’ici vous ne voulez une preuve une seule. Vous l’aurez. Je veux croire croire, tout ce qui me vient de vous, croire en vous, ne croire qu’en vous. Ah si vous saviez comme ces élans de mon âme sont sincères, comme cette promesse vient du fond de mon cœur vous m’aimeriez dans ce moment si vous étiez auprès de moi.
Je suis triste de penser que mes deux dernières lettres vous auront donné de l’humeur, et j’ouvrirai la vôtre demain avec un peu de crainte. J’ai peur de vous Monsieur, oui j’ai peur, quand je sens que j’ai pu vous déplaire, que je vous ai montré de l’impatience, de l’injustice. Pardonnez-moi, pardonnez moi, je vous en prie. Regardez au fond de tout cela, pardonnez-moi la forme. Vous verrez comme bientôt vous n’aurez plus rien à me pardonner & vous serez joyeux de votre ouvrage. Je relis votre lettre & j’y trouve bien quelque chose à redire. En parlant des soucis qui pèsent sur les hommes, de leurs devoirs de tous genres, vous ajoutez : " Si leur situation était un peu abaissée, leur considération tant soit peu diminuée, ils perdraient un peu, beaucoup peut être dans la pensée, dans l’imagination, & quelque jour dans le cœur des personnes qui les aiment le plus." De qui parlez-vous là Monsieur, il n’est pas possible que vous ayez pensé à moi en écrivant cela. J’aime votre gloire, parce que vous l’aimez, j’aime tout ce que vous aimez, mais pour moi pour ma satisfaction ? Ah c’est votre cœur seul qu’il me faut. Vous, un cottage. Vous, toujours, sans cesse, sans autre intérêt sans autre distraction pour vous, comme pour moi. Voilà Monsieur comme aime une femme. Mais vous n’êtes pas femme, vous ne comprenez pas. Je vous demande seulement de ne pas mépriser ce que vous ne comprenez pas.Dans ce moment Monsieur je me sens plus haut que vous.
Me voila donc attendant celle dissolution avec une impatience ! Je crains d’y montrer trop d’intérêt. Hier soir j’ai demandé quand elle aurait lieu. J’ai essayé de donner à mon accent toute l’indifférence possible, je crains que cela ne m’ait pas beaucoup réussi. M. Molé était chez moi, il m’a dit : " ni tout de suite, ni très tard. Un juste milieu." cela ne m’a pas beaucoup avancé. J’ai été un moment seule avec lui, il est venu de bonne heure. Il est plein de recherches, de manières gracieuses. Il va à Compiègne demain. Il veut que je remette à lundi le dîner chez Mad. de Castellane afin qu’il puisse en être. Tout cela ne me plaît pas trop, & il m’est difficile de m’en tirer. L’article du Journal des Débats hier lui a paru être écrit tout à fait dans votre intérêt.
M. de Pahlen, Pozzo, M. de Boigne, Mad. Durazzo et le prince Schenberg passèrent la soirée chez moi. Je la finis tête-à-tête avec Pahlen, c’est toujours de mon mari que nous parlons ensemble, & quoique ce soit triste nous avons fini par rire. J’ai eu une lettre de M. Thiers ce matin de Cauterets encore. Il s’ennuie. Le 1er octobre il le quitte avec sa famille. Ils iront passer quelques jours chez M. de Cases ou chez M. de Talleyrand, et puis il va établir sa famille à Lille & lui-même veut aller en Hollande. Il passera par Paris peut-être, il n’en est pas sûr mais s’il y passe je le verrai.
On m’écrit de Valençay que la visite de M. Salvandy a eu pour objet de faire comprendre que M. de Valençay ne pouvait pas être fait pair à la prochaine nomination. Cela a donné beaucoup d’humeur. Je veux tout de suite avoir expédié toutes mes petites nouvelles. M. de Hugel est fou. Je m’en étais aperçu un peu ; vous ne sauriez croire l’instinct & que j’ai pour cela, & hier au soir M. Molé m’a dit avant que je lui en parlasse qu’il le croyait dérangé. Il vient chez lui à huit heures du matin tous les jours, les larmes aux yeux, lui découvrir une nouvelle conspiration.
Je reviens à vous. Il est dix heures & demi, vous recevez ma lettre ; encore une mauvaise lettre, je suis en grande colère contre moi-même et vous êtes si doux pour moi, si doux, si bon ! Mais, Monsieur l’absence ne vous vaut rien. Vous faites tant de mauvaises découvertes sur mon compte ! Si cela dure encore vous finirez par trouver que vous avez fait un bien mauvais marché, venez prendre tranquille possession de votre bien, & vous penserez autrement. Je suis bien aise des bonnes nouvelles de votre mère & de vos enfants ; mais vraiment établissez les ici, vous serez moins inquiet pour votre mère ; est- ce que vous ne trouvez donc pas cela vous même.
Ce n’est plus de moi que je parle. Je dîne aujourd’hui chez Pozzo. J’irai embrasser Lady Granville avant de m’y rendre. Ils arrivent ce matin, c’est un grand plaisir pour moi. 1 heure M. l’officier de la légion d’honneur est venu m’interrompre ; après lui mon énorme toilette, maintenant je vais faire ma première promenade. Ah ! si je pouvais aller vers vous au lieu de cette lettre ! Si tout à coup je me trouvais dans ce cabinet que vous fermez à clé ! Monsieur, je vais dire mille bêtises. Faites-moi taire. Vous me promettez de me nommer un jour dans la lettre que je reverrai demain ou après-demain. Mais sur cela vous seront arrivées mes mauvaises lettres, vous vous serez fâché, vous n’aurez plus en envie de me donner le moindre plaisir. Monsieur je crois que je me trompe encore, vous aurez eu pitié de moi, vous m’aurez plainte, mais vous ne m’aurez pas punie. Demain à 10 h 1/2, je me dirai que vous n’êtes plus fâché, que vous m’aimez encore, toujours, oui toujours, toujours.
Ah ! Que d’adieux, je vous adresse en répétant un mot toujours. C’est celui-ci qui est le bon aujourd’hui toujours.

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Paris le 16 septembre 1851 Mardi

Depuis minuit je n'ai pas dormi. Voilà une belle nuit ! Je suis accablée. Comment pouvez-vous penser que Metternich soit aise de l’article du [Journal] des Débats. Si quelque chose pouvait l’empêcher d’aller à Vienne ce serait cet article. C'est un bien mauvais service qu’on lui a rendu là. Il l’aura lu en route. C'est avant hier qu'il a dû quitter le Johannisberg.
Le duc de Noailles est venu hier chez moi tout éploré. Il se rendait à Mouchy de Maintenon où la nouvelle de la mort de la Vicomtesse est venue le trouver hier matin. Elle était morte subitement dans la nuit. C'est encore une perte. pour le parti, & un peu pour le monde. Montebello avait eu le matin par un voyageur des nouvelles curieuses de Claremont. Le prince de Joinville disant que si des troubles survenaient en France il répondait au Constitutionnel en allant en Bretagne planter son drapeau c.a. d. celui de Henry V. La Bretagne étant la province la plus légitimiste de France. Il dit encore qu'on se moque de lui ou qu'on l’offense quand on suppose qu'il puisse jamais accepter d'être président. Ceci vient d’excellente source. On se le redit avec précaution. Le Times effraie tout le monde. Qu’est-ce que c'est que vos Princes ? Je les tiens en grand mépris.
Je n’ai rien à vous dire. La journée s'est passée hier très bien. On avait cru à quelque chose. Le président a été très bien reçu partout. Adieu. Adieu. Voilà encore de l’Indépendance

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Paris lundi le 15 septembre 1851

J'ai mené hier Kisseleff à [?] nous y avons passé deux heures. Je suis revenue dîner chez moi. J’ai trouvé très occupé de ce qui doit, ou de ce qui devrait se passer. S'il voyait le président voici le conseil qu'il lui donnerait. Une présence de cette multitude de partis incohérents voulant les uns une chose, les autres une autre, devant l'impossibilité de parvenir à s’entendre, lui le représentant de 6 millions se croit le devoir et le droit d’aviser & de sauver le pays et il le proclame.
La Constitution est suspendue, la France en état de siège. Il appelle à lui un ou deux représentants de chacun des partis honnêtes du pays. Et dans ce conseil intime on délibère et décide d'une autre forme de gouvernement et puis on l'impose au pays. Tout ceci demande des mesures vives. Ainsi, l’arrestation de tous les meneurs incommodes, [?] Cavaignac & Changarnier. Si le Président ne fait rien du tout, ou s'il fait tièdement, il est perdu et la France avec lui. Il ne faut pas risquer la proposition Creton. Voilà en gros & brutalement l’opinion de [?], je vous prie de ne point me compromettre ni lui. J'ai vu assez de monde hier soir mais je ne sais rien. On s’étonne bien de l’article sur l’Autriche & le Prince Metternich dans Le Journal des Débats. [?] au corsaire ou au charivari de parler de [?] qui arrivent solennellement, mais M. Bertin a vécu dans le monde.
Il n'y a pas un mot de vrai dans tout ce qui est relatif à Metternich, il va à Vienne parce que depuis longtemps il aurait pu le faire, mais il n'a pas été invité. Je suis bien contente de ce que dit le Times sur Gladstone. Morny a vu Mallak mais cela a été sans importance. Après mes insomnies, vient mon estomac. Un grand dérangement. Je n’ai pas de Médecin. Oliffe arrive enfin demain. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche le 14 septembre 1851

J’ai vu hier Montebello. Kisselef ; le soir Dumon, Viel Castel, Antonini & Hubner. Celui-ci revenait de Champlatreux où je vais faire visite ce matin. Le Times est toujours un sujet de causerie. On ne me dit pas sur cela tout ce qu’on pense mais au fond on regrette qu'il y ait prétexte à vous attribuer les matériaux de ces articles. & tout ce ce que j’accorde c’est que vous avez peut être trop dit à des bavards. Je crois que la rancune sera longue à Claremont. Andral dit que le duc Decazes est perdu. Saint-Aulaire m’a dit l’autre jour tout le contraire.
Marion me manque et me manquera toute la semaine. Votre fille va être à Hyéres dans une grande solitude, mais le climat. est dit-on charmant. Pas de nouvelle du passeport cela m'inquiète tous les jours davantage. Adieu, vous voyez qu’aujourd’hui je suis maigre.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 13 septembre 1851

Le duc de Noailles est venu hier matin. Il ressemble parfaitement au duc de Broglie. “c'en est fait de la France. Nous périssons, seulement j’aime mieux périr avec le Président qu’avec le prince de Join ville " Voilà toute sa politique. On fait venir M. de Falloux. C'est l'homme utile & convenable si l’on peut faire quelque chose. Mais rien ne pourra être fait que lorsqu'on aura vraiment peur. Peur à l’Elysée, puis dans le camps légitimiste. Ce moment sera la proposition Creton. Si elle passe, ou alors les légitimistes se déclarent. Berryer passe à l’Elysée & dira pourquoi. Mais il faut que l’Elysée prenne en retour des engagements. Si la proposition est rejetée ou écartée, on restera comme on est. Des bruits de coup d’état ont circulé dans la journée. Cela vient de quelques déplacements de régiments. Mad. Royer qui est venue voir Marion était toute pleine de cela.
Le soir Dumon, Kisseleff, Antonini, Mercier. Rien de neuf. Marion me quitte aujourd’hui pour huit jours. D'abord chez les Royer & puis à Ferrières. J'ai un peu dormi cette nuit, mais cela ne va pas encore. Adieu. Adieu. C’est drôle, Barante.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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66. Samedi 21 octobre midi

Dès que mon fils sera parti. Je vous rendrai un compte détaillé de tout ce qui me regarde, jusque là imaginez vous que depuis 9 h jusqu’à 6, il est là, sans cesse. Que nous avons un travail immense à faire ensemble, que j’ai la tête rompue, renversée, que je n’en puis plus & que si mon cœur est toujours, sans cesse à votre service, mon temps ne l’est pas du tout que je ne sais où trouver deux minutes. Il part après demain. Pauvre jeune homme placé entre son père & sa mère dans des circonstances aussi pénibles.
Je n’ai aucun espoir de ramener mon mari, il a perdu la tête. Il faut que je ramène l’Empereur & vous concevez la difficulté si j’échoue, il y aura un éclat terrible, mais rien ne m’ébranlera. Vous savez où je trouve ma force. J’ai vu M. Génie deux fois ce matin. Il m’a porté votre petit billet & demain il viendra prendre un mot de ma part pour vous l’envoyer par M. Grouchy. Vous voulez un mot, vous l’aurez, je le veux aussi, je veux vous donner de la joie. Je sais ce qu’est elle est immense pour moi.
Thiers a passé deux heures chez moi hier. Il est entré boudant, son humeur s’est éclaircie, et il est sorti enchanté. C’est vous qui faisiez sa mauvaise humeur. Il est ministériel ; si les ministres le soutiennent aux élections. Mais au fond de part ni d’autre cela ne me parait encore bien solidement établi. Il est drôle, il est bavard mais comme j’ai été frappée du peu de facilité & d’élégance avec laquelle il s’exprime ! Comme je suis gâtée il est parti ce matin pour Lille il sera ici la première semaine de Nov. Lui et Berryer se trouveront en présence à Aix & à Marseille on les oppose l’un à l’autre dans les deux villes.
Voyez avec quelle hâte je vous écris, voilà une correction plus ridicule encore que celle de l’autre jour.) Ma santé se ressent de toutes les émotions et les tracasseries qu’on me donne, je ne dors pas. Ah quand me laissera-t-on tranquille. Adieu. Adieu. Vos lettres me soutiennent. Je les aime plus que jamais & plus que jamais adieu. Dans mon n°64, j’étais moins agitée à 9h. qu’à 1 h. parce que j’avis prié mon fils de ne me dire que le matin les choses qui pouvaient m’irriter le plus. Voici les paroles de l’Empereur : " Mon honneur et ma dignité sont blessés par votre femme, elle seule a osé jamais mon autorité. Faites vous obéir par elle, si vous n’y réussissez pas, c’est moi qui la réduirez en poussière." Il nous reste à voir comment ?

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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47. Paris, dimanche le 21 Septembre 9h1/2

Quel triste réveil. Votre lettre, vous savez ce qu’elle contenait cette lettre ? Point de noce. Votre mère malade. Vos occupations électorales en province, pas la plus légère espérance d’une course à Paris, et tout cela m’arrive le jour où devait tenir pour moi tant de bonheur !
En même temps, je reçois deux lettres de mon mari dont je vous transmets les passages importants dans la première du 5 Sept. il me dit : "Tu me fais de nouvelles propositions sur un voyage de circumnavigation pour te rencontrer au Havre ! S’il n’existait pas des entraves insurmontables à une telle entreprise, j’y aurais pensé à deux fois d’après les allusions qui ont été faites à ce sujet à mon passage par Carlsbad. Ce sont les conséquences nécessaires d’une fausse position trop prolongée. Il est urgent qu’elle subisse une modification d’un côté ou de l’autre."
Dans la seconde lettre du 10 Septembre " Ton N°356 m’est parvenu hier, le précédent n’est point entré encore. C’est pour cela peut-être que celui-ci ne m’est point intelligible. Tu sembles avoir reçu la lettre par laquelle je te demandai de me faire connaître ta détermination. Je suis dans l’obligation d’insister sur une réponse catégorique, car je dois moi-même rendre compte des déterminations que j’aurai à prendre en conséquence. Je t’exhorte donc à me faire connaître sans délai, si tu as intention de venir me rejoindre on non. Je dois dans un délai donné prendre une résolution quelque pénible que puisse m’être une semblable nécessité."
Que direz-vous Monsieur de tout cela ? Il est évident par la première, que des commérages ont voyagé jusqu’à Carlsbad ; & par la seconde qu’il a pris envers l’Empereur l’engagement de me forcer à tout prix à quitter Paris ? Voilà où j’en suis. Savez-vous ce qui arrivera ? L’Empereur lui permettra de venir sous la condition expresse de m’emmener et lui viendra avec empressement, incognito me surprendre. Car voilà sa jalousie éveillée, & je le connais. Il est terrible. Il est clair qu’il ne croira pas un mot des certificat du médecin. Car il me dit dans une autre partie de sa lettre " il est plaisant de remarquer que les médecins de Granville le renvoient de Paris, & que les tiens t’ordonnent d’y rester, ils sont complaisants, avant tout." Si, si ce que je crois arrive, c’est sur la mi octobre que mon mari serait ici. Qui me donnera force & courage ? Je suis bien abandonnée.
Ma journée hier a été plus triste que de coutume. Votre lettre m’avait accablée. J’ai eu de la distraction cependant, le prince Paul de Wurtemberg pendant un temps, qui m’a fait le récit de tous les embarras existants encore pour le mariage. Mon ambassadeur en suite. Ma promenade d ’habitude au bois de Boulogne, mais  tout cela n’y a rien fait ; à dîner il m’a pris d’horribles souvenirs. Je n’étais qu’à eux, à eux comme aux premiers temps de mes malheurs. Tout le reste était à la surface tout, oui vous-même. Le fond de mon cœur était le désespoir, je ne trouvais que cela de réel. Je demande pardon à ces créatures chéries d’avoir
été si longtemps détournées de mon chagrin. Je demandais à Dieu comme le premier jour, de me réunir à eux dans la tombe, dans le ciel, tout de suite dans ce tombeau. Je n’entendais & ne voyais rien, Marie parlait je ne l’écoutais pas et tout à coup des sanglots affreux se sont échappés de
mon coeur. Vous ne savez pas comme je sais pleurer. Vous ne pourriez pas écouter mes sanglots, ils vous feraient trop de mal.

J’ai quitté la table, j’ai pleuré, pleuré sur l’épaule de cette pauvre Marie qui pleurait elle-même sans savoir de quoi. J’ai ouvert ma porte à 9 h 1/2. Je n’ai vu que mon ambassadeur & Pozzo.
Ma nuit a été mauvaise, & mon réveil je vous l’ai dit.
Midi
Qu’est-ce que votre mère vous donne de l’inquiétude, puisque le cas de la dissolution échéant vous pourriez être forcé de la quitter pendant quelques jours ne serait-il pas plus prudent, & plus naturel de la ramener à Paris, d’y revenir tous, de vous y établir. Cette question ne vous est-elle pas venue ? L’été est fini, la campagne n’est plus du bénéfice pour la santé.
Un courrier de Stuttgard a posté au prince de Wurtemberg défense de conclure le mariage à moins qu’il ne soit stipulé que tous les enfants seront protestants. La Reine exige qu’ils soient tous catholiques, le prince se conforme à cette volonté qui est celle de la princesse aussi, & il a écrit au roi de Würtemberg en date du 19 par courrier français qu’il passerait outre si même le Roi n’accordait pas son consentement. Dans ce dernier cas cependant il est évident que le ministre de Würtemberg n’assisterait pas à la noce & que cela ferait un petit scandale. Le prince Paul jouit de tout cela. Il abhore son frère. Hier il a dîné à St Cloud
pour la première fois depuis 7 ans.
Je cherche à me distraire en vous contant ce qui ne m’intéresse pas le moins du monde. Adieu Monsieur, dès que je suis triste, je suis malade, j’espère ne pas le dernier trop sérieusement. Je voudrais me distraire, je ne sais comment m’y prendre.
Dites-moi bien exactement des nouvelles de votre mère, & dites-moi surtout, si vous n’auriez pas plus confiance dans le médecin de Paris & les soins qu’elle trouverait ici.

Adieu. Adieu toujours adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 11 septembre 1851 Jeudi

Je réponds à vos questions. Pas un de mes diplomates n'a encore vu Thiers, Marion seule l’a vu. Elle l'a trouvé engraissé de très bonne humeur. Ses femmes disent qu’elles veulent aller en Écosse. Lui a dit à Marion, qu’il ne s’en souciait pas, & il a joute, je ne veux pas que le Times raconte mes conversations. La vraisemblance est qu'il n’ira pas. Quant à Berryer je l’ai vu hier soir. Il arrivait de la campagne pour avoir aujourd’hui à midi une réunion avec ses ami Noailles & &. Après quoi il s’en retourne de suite à la campagne. Il doute de son voyage à Frohsdorf. Je crois qu’il ne le fera pas.
J'avais hier soir tous mes diplomates & Vieil Castel. Hubner avait eu la veille une audience d'une heure & demie chez le Président. Il en est sorti charmé. Il l’a trouvé plein de sens, & de convenance & d'esprit. Son impression est qu'il est en pleine confiance et sans aucun projet de coup d’état. Il a parlé de Joinville et ne croit pas à ses chances. Il faut l’une ou l’autre condition être légitime ou souverainement populaire. (C'est une autre expression dont il s’est servi, mais à peu près cela) il n’a pour lui ni l’un ni l’autre. Je retourne à Changarnier. Il s’est moqué selon sa coutume à peu près de tout le monde seulement en parlant de Molé il a dit, il ne faut pas que j'ai [?] car dans ce moment il est bien pour moi. Vous ai-je dit que je lui ai raconté la duchesse d'Orléans, se moquant des dîners fusionnistes, & disant Changarnier m’appartient ? Cela l’a piqué un peu et il m'a assez longuement raconté, qu’il ne devait rien aux Orléans.
Hatzfeld le matin. Il est malade et ne sort pas le soir. Il trouve insensé que je veuille me renouveler. Il croit à un hiver très agité mais tranquille dans la rue. Mais vers le premier de Mai si rien n’est décidé, il enverra sa femme en Angleterre, & il me conseille d’y aller alors. Croyez-vous cela vrai ? Voici mon affaire je crois. J’ai envie d’être propre, il n’y a pas assez de péril pour me refuser ce plaisir. Si je n’en avais pas envie, j’ai les meilleures raisons pour ajourner après la crise. Voyons décidez.
Vous aurez soin de me dire comment on adresse des lettres à Broglie. La Duchesse de Maillé est morte hier matin. On dit que c'est une perte. Elle était un centre, et une personne très utile. Montebello va s’établir demain avec sa femme à Beauséjour. Je suis très contente de votre lettre à Gladstone. Soyez tranquille, je n'en abuserai pas. Vous avez encore. été bien modéré. L’article dans l’Indépendance contre vous a fait de l’effet, ce n’est pas dans la correspondance de Paris mais le Leading article. Cela a l'air de venir de la cour. Je vous l’envoie pour le cas où vous ne l’ayez pas. et voici qui je découpe aussi une lettre de Paris sur ce même sujet qui est bien faite / & que je lis à l’instant. Adieu. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 10 Septembre 1851

Hier M. de Buttenval, arrivé de Turin. Il est bien noir sur l’Italie. Pas le Piémont là cela va assez bien, & l'on se rapproche un peu de l’Autriche. Mais à Milan, à Florence à Rome, c’est aussi mal que possible. La compression autrichienne arrivée à sa dernière limite dans les deux premières villes. Une explosion, probable. Il ne sait rien sur Naples.
J’ai eu un long tête-à-tête hier soir avec le Général Changarnier. Il a beaucoup parlé et bredouillé, car vous savez que je ne saisis pas tout ce qu'il dit. Il s’est plaint des défiances, des maladresses, du manque d'ensemble dans le parti conservateur. On ne devait pas voter la révision, les départements n'ont été que les échos de la majorité. Elle est donc puissante. Elle pourrait donc faire mieux & autrement qu’elle ne fait. Sur la candidature Joinville il pense comme moi à peu près ; seulement il ne lui préfère pas comme moi le président. Il ne veut ni de l’un ni de l’autre. Et si c’était le Président nous aurions la guerre tout de suite. Il la ferait pour se soutenir. Cela faisait réponse l’indépendance est fort injurieuse pour vous au sujet des lettres sur Claremont.
Je vous écris vite et mal. J'ai les nerfs mal arrangés. Toujours de mauvaises nuits, toujours de l'agitation. Oliffe est revenu hier. Il me trouve changé et mon pouls aussi. Il dit que cela se remettre, mais je ne suis pas entrain de me remettre. J’avais fixé d’aller à Champlatreux aujourd’hui, j'y renonce C'est de la fatigue Adieu. Adieu. Adieu
On a fait hier l’opération à Decazes. Il ne va pas mal aujourd’hui !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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73. Paris, Samedi 28 octobre 1837, 9 heures 1/2.

Tout hier s’est passé sans Génie, sans Grouchy. Et comme ce mot que je n’ai pas m’eût fait du bien ! comme je l’attendais, comme j’ai essayé de deviner ce que contient cette petite lettre ! Je me suis adressée de si douces épithètes. Couchée sur mon canapé vert, je me suis retournée sur la glace et je me suis dit des choses charmantes, et j’ai vu que l’illusion commençait à devenir très vive, à l’animation de mes yeux. Sont-ils comme cela quand je vous regarde ? Ils m’ont plu hier à moi.
Je suis toujours souffrante comme à Abbeville, plus que cela même. J’en suis très affaiblie. Je ne marche pas même dans la chambre. Je reste couchée, couchée très horizontalement. J’espère être debout mardi.
Hier matin j’ai vu les Flahaut très longtemps, et puis lady Granville qui est restée chez moi jusqu’au moment de mon dîner. Le soir il m’est venu cette petite Mad. Graham, la plus sotte femme du monde, qu’on tolère pour Pozzo. Est-il possible qu’il aille s’accrocher à cela ? La petite princesse, l’ambassadeur de Sardaigne qui m’a enfin demandé de vos nouvelles , car il ne vous a pas nommé jusqu’ici. Il a sur le cœur la visite que vous ne lui avait pas faite. M. de Simon, Pozzo que j’ai fort réjoui en lui montrant une lettre de lord Grey qui annonce positivement, un changement d’administration, ou une modification dans le ministère actuel, c’est-à-dire l’entrée de lord Durham. Moi je n’attache pas aux paroles de lord Grey qui annonce positive ment le changement d’administration, ou une modification dans le ministère actuel, c-a-d de l’entrée de lord Durham moi, je n’attache pas aux paroles de lord Grey la même valeur que Pozzo veut y mettre.
En général n’avez-vous pas trouvé qu’on rabat toujours un peu de l’opinion qu’on a des gens dès qu’on vit familièrement avec eux ? Cette règle a ses exceptions. comme toutes les règles, & je sais bien que j’en ai rencontré une ou c’est l’inverse. Il me semble que vous allez dire la même chose.
Pour en revenir à lord Grey, c’est une grande réputation, et au fond un petit homme, vous pouvez compter que ce que je vous dis là est vrai. Savez-vous bien qu’on pense à Berryer. On le trouve abattu, mécontent, ce qui est vrai, je lui ai trouvé cet air là aussi. Si on pouvait le gagner, quelle conquête. Voilà le Rubini trouvé y voyez vous la moindre vraisemblance ? Je vous assure que moi je crois qu’on y songe.
11 1/2 J’écoute, j’épie. M. Génie ne vient pas. Qu’est devenue la lettre ? Où la trouver ? Paris est bien grand. Dans votre lettre de ce matin vous me l’annonciez pour hier bien soir. J’en deviens fort inquiète, ce qui est une manière convenable de vous dire que j’en suis avide, affamée, oui affamée. Ah mardi nous n’aurons plus besoin de rien, & de personne. Mardi viendra-t-il jamais ? Adieu. Adieu.

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Paris le 9 Septembre 1851 Mardi

Thiers est revenu en très belle humeur, il dit que le pays est bien plus démocratique qu’il ne l’avait cru, mais qu'il s'accommoderait très bien de la forme monarchique recouvrant le socialisme. Il va à Londres. Voilà ce qui m’a été dit hier de source à ce qu’il me paraît. Changarnier est bien animé. Plein de professions de dévouement à la bonne cause. Il met toute la gloire à la servir, mais il ne peut pas affecter cela sans compromettre son élection à la présidence sur laquelle il compte, à quoi il travaille, & qui servira au moins à diviser les voix. On veut lui imposer un certain engagement, obtenir quelque garantie, il est prêt à la donner, il faut inventer, chercher. L'Elysée semble disposé à se rapprocher de Molé, on dit même de Changarnier ; je vous redis ce qu'on me dit et tout cela est encore à l’état de symptômes. Je n’ai pas vu Changarnier. J’ai vu hier Mad. Decazes. Elle est convaincu que Joinville sera élu. Elle dit : " Pourquoi pas ? Ceci vaut mieux que 1830. On ne chasse personne. " On fait aujourd’hui l'opération de la peine au Duc Decazes. Il en a fort peur. Lord Granville est ici. Il est venu me voir hier. Spirituel & doux, & ne m’apprenant rien de nouveau.
Je ne me sens toujours pas bien. Pas de sommeil et très nervous. Adieu. Adieu. Adieu.

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Paris le 8 septembre Lundi

Votre lettre sur Aberdeen est excellente. Vous me direz ce que vous lui aurez dit. La mienne est partie, de la tristesse de la part [?] qu'il a à une mauvaise action. Votre observation sur le langage de Changarnier à la Commission me parait bien juste aussi, & neuve. Je ne l’ai entendu faire à personne. Je saurai des nouvelles de lui aujourd’hui.
Hier soir j’ai vu la diplomatie y compris le nonce et mon nouveau favori le Prince San Giacomo. Vraiment charmant. Rien de nouveau du tout. Paris est désert & ignorant. Le Président s’est établi à St Cloud pour la chasse. Constantin me mande qu'on est ravi des ordonnances autrichiennes. L’entrevue entre Le Roi de Prusse & l’empereur d'Autriche à [?] a réussi à merveille. J'écris aujourd’hui à l'Impératrice par une bonne occasion. Adieu ma lettre est pauvre. Je crois que je vaudrai mieux demain. Adieu. Adieu.

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74. Dimanche 29 octobre
9. heures

Ah ma dernière lettre ! Quel plaisir car tout ce que cela annonce !Je viens de recevoir la vôtre, et enfin enfin,j’ai reçu hier à 6 heures celle que M. de Grouchy m’avait apportée. Je vais la relire encore et encore elle est bonne, elle est charmante, mais elle n’efface pas la première. Je vivrais cent ans que je ne pourrais pas oublier la sensation que m’a causée la première. Et cette émotion se renouvelle chaque fois que je relis, & je le fais tous les jours. Mais après vous avoir vu. Je n’y reviendrai plus. Cela devient votre affaire vous vous chargerez de remplacer les lettres. Il vient de me prendre un remords. J’ai reçu la seconde lettre. Elle m’a fait un autre plaisir, un plaisir plus doux, plus tranquille, pas si vif, pas si animé que la première, il l’était trop. Je viendrai me calmer auprès de la seconde, et cependant il y a bien des ressemblances, avec la première, mais il y a quelque chose, je ne sais quoi, qui me fait y jouir de vos paroles avec plus de liberté d’esprit & de conscience. Je me brûle à la première, je me chauffe à l’autre. Que de bêtise je voudrais ! Je voudrais me passer le temps. Il y a encore presque 60 heures d’attente, elles me paraîtront plus longues que les trois semaines ensemble.
Hier on m’a conseillé la calèche et au pas. Je me suis donc fait traîner un peu, très peu, cela ne m’a pas fait de mal, mais il a fallu me faire porter pour remonter mon escalier.
Rubini a reparu hier à l’opéra tout le monde y était, moins mon Ambassadeur, Lady Granville & M. Sneyd qui ont passé la soirée chez moi. Elle ne m’a quittée que très tard. Avez-vous lu dans le National du 21 un portrait de M. Thiers ? Il y a des choses très spirituelles.
A propos j’allais oublier de vous remercier de Monk, que M. Génie m’a apporté hier. Je vais le lire La dernière lettre de M. O’Connel à lord Cloncerry va, je crois, décider le divorce des Ministres avec le grand agitateur. Je suis fort disposer à croire qu’on acceptera le soutien des Torries modérés. Peel va venir passer quelques jours à Paris à ce qu’on me dit
Midi. Je me sens mieux aujourd’hui décidément mieux. Mais je ne serai pas encore tout-à-fait bien mardi & vous me trouverez faible. Au fond depuis quatre mois, il ne m’est pas arrivé de passer huit jours entiers tranquilles, ou bien portante. Lorsque ma santé commence à se remettre il m’arrive une bombe qui m’abat. Entre les lettres qui m’arrivaient de l’Occident et celles quelques fois qui ne m’arrivaient pas de l’Occident, j’ai eu toujours du chagrin, de l’inquiétude, et je ne compte décidément m’arranger avec ma santé que depuis le 31 octobre. Il a l’air d’être bien près, mais qu’il me semble loin !
Adieu. Que voulez-vous que je vous dise , Je ne sais pas plus parler que vous. Je retrouverai la parole le 1er novembre peut-être. La vieille sûrement pas. Adieu. Adieu. Toute notre vie, n’est-ce pas ? Adieu !

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Paris Dimanche le 7 Septembre 1851

Plus j’y pense, plus je suis contente de ce que vous avez fait à Claremont. Comme cela a éclairé la situation ! & puisque vos princes sont de si pauvres gens, tant mieux que cela soit proclamé. Quelle mauvaise race et comme la bonne aura toujours raison de se défier d'eux.
Carlier a dit hier à [Kisseleff] qu'on a saisi surtout des papiers importants. L’affaire n’ira pas devant le jury. Elle sera jugée plus sommairement. La grande chose à présent c’est les élections. On les veut très prochaines. A la question si cela serait encore cette année, il y a eu doute à cause de mouvement de [communes] du nouvel an, mais certainement cela sera au mois de janvier. J’ai vu hier Hatzfeld, Dumon & Kisseleff. J’avais fermé ma porte aux autres. J’étais trop fatiguée. Hatzfeld est d’opinion que les arrestations sont un prélude. Le public ne s’est pas ému le moins du monde. On peut aller de l’avant & de degrés en degrés faire un coup d'Etat qui n’a pas l’inconvénient d’un coup de tonnerre. Je crois qu’on serait fâché à l’Elysée de voir la candidature Joinville tout à fait morte, car elle sert à effrayer les légitimistes et à les rapprocher de l'Elysée. Quant à nous autres nous sommes très décidément pour le Président. Il n'y a pas mieux, il n’y a pas si bien, il n'y a même personne.
Je n'ai plus entendu parler de Morny. La Redorte est parti depuis plusieurs jours. Je n'ai pas encore fait savoir à Changarnier mon retour. Je le ferai demain. Je vous ai dit qu'il va aujourd’hui à Champlatreux avec Montebello. Molé m'écrit pour me presser beaucoup d'aller le voir. J’irai dans la semaine mais pour quelques heures seulement. Comme vous dites bien sur Lamartine ! J'ai un peu dormi cette nuit, pas beaucoup. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
351. Paris jeudi 23 avril 1840,
3 heures

Il fait trop chaud pour sortir encore. J’attends plus tard. Je suis bien aise que vous alliez passer votre journée à Holland House. J’ai eu la visite de Mme Appony ; de là, jamais rien d’intéressant. Mon ambassadeur est en travail de son courrrer et de deux ou trois dîners qu’il donne la semaine prochaine : d’abord à Molé, j’en suis et puis à Thiers, je n’en suis pas. Il n’y aura que des hommes. Je suis fâchée qu’il commence par Molé. Vous ne sauriez croire comme Ellice est occupé ici. Il travaille avec ardeur à ranimer l’amour anglais. Il y a bien bonne votonte réciproque vraiment votre succès à la Cité me me fait un grand plaisir.

Vendredi, 10 heures
Je rentre déjà de ma promenade. Le temps est ravissant. J’ai marché avec mon fils. Il part après demain pour Londres où il ne veut passer que 3 jours et puis il reviendra chez moi pour me quitter lorsque j’irai en Angleterre. J’ai eu votre lettre en rentrant, j’attendais ce que je vous ai demandé. Je crains que demain cela ne m’arrive trop tard pour m’en servir. J’ai fait hier ma promenade au bois de Boulogne avec le duc de Devonshire ; les sourds entendent très bien en voiture. Il m’a raconté l’Angleterre, la Cour surtout, et m’a étonnée de bien des choses. J’ai dîné seule avec mon fils. Le soir j’ai vu Lord Granville et Lord Leveson qui est venu passer ici quelques jours, Ellice, Montrond, les deux Pahlen, Fagel, M. de Bourqueney. Ellice est parfaitement amoureux de M. Thiers. Je dine aujourd’hui avec celui-ci chez les Granville. Vous aurez Ellice à Londres de lundi en huit. Il est très choqué de ce que pas un Ministre n’ait diné à la Cité avec vous. En effet, c’est fort impoli pour la Cité et même pour vous. N’en avez -vous pas eu un peu de surprise dans le monde où vous vivez ? Il est vrai que la Cité est très Tory, mais l’absence totale est une mesure un peu forte. Lord Leveson se moque aussi de Brünnow. Cela me parait établi. Adieu Monsieur, on va bien chez vous, et ce beau temps confirmera la convalescence. Adieu.

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Paris Samedi le 6 septembre 1851

J’ai vu assez de monde hier soir, et un moment Dumon & Vitet seuls. Nous avons parlé de la lettre dans le Times. Ils sont d’avis de regretter les détails de la mise en scène. Il y a peu de convenance à ce récit pris par le menu. Cela m’avait frappée aussi. Je vous crois brouillée avec Claremont dès cette lettre car il est clair que c’est dans vos conversations qu'on aura recueilli tout cela. L'effet est excellent pour la chose essentielle est peut être un peu dommageable pour vous. Je suis étonnée qu’aucun journal ennemi ne relève cela encore. Je ne vois pas ce qu'il y a à faire. Il faut laisser passer.
On rit beaucoup du journal des Débats d’hier. Le Constitutionnel en tire bon parti ce matin. Léon Faucher a dit hier. Les arrestations sont très nombreuses, & les papiers sont trés importants. A quelqu’un qui lui demandait si l’on avait arrêté quelques représentants, il a répondu, pas encore.
Hubner reconnaît parmi les personnes saisies le plus mauvais des assassins du [général] Latour. Je n’ai pas vu Montebello hier. Sa femme allait moins bien. Moi je me plains aussi. Deux nuits sans sommeil. Je ne saurais comprendre cela. Votre petit ami est venu tout à l'heure. Nous avons parlé de ce qui fait le sujet du commencement de cette lettre. Il n'est pas de mon opinion, & il m'y a fait renoncer facilement. Il y avait tant de monde dans ce salon qu’il n’est pas nécessaire de vous attribuer le récit. En attendant cette lettre du Times fait un bruit énorme. Hubner croit qu’elle retentira bien fortement dans toute l’Europe. Quel abaissement pour les Princes ! Je crois la candidature ruinée par là, ce serait une bien bonne affaire. Je ne sais rien de nouveau à vous dire. Thiers est attendu aujourd’hui. Adieu. Adieu.

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Paris le 21 septembre 1851

J'ai vu hier Morny longtemps. Il venait une querelle, vous quereller de ce qu'on lui a redit qu’il ne voulait plus d’Assemblée. Ce n’est ni à vous, ni à moi qu'il l'a dit. Moi je l'ai deviné à son sourire, on n’est pas bien coupable de dire que Morny rit. Tout ce que cela me prouve c’est qu'il ne pense pas tout-à-fait ce qu’il pensait il y a trois semaines. Certainement il est plutôt sombre que gai. Il ne m’a rien dit que je puisse relever mais mon impression générale est du découragement. Il doit être raccommodé avec le Constitutionnel car il admire fort ses articles politiques. Il ne voit aucun moyen de compter sur le courage de l'Assemblée en supposant même qu'on se rapproche des hommes importants, ce à quoi on ne me paraît pas trop songer. J'ai manqué hier soir M. Fould.
Le samedi je suis en vacances. J’ai été le passer chez la jeune comtesse avec Ribeaupierre & Kisseleff. Aujourd’hui le temps est atroce. Montebello vient tous les jours. Sa femme l’inquiète mais c’est toujours la même chose. Je ne vois rien à ajouter à ma lettre. Adieu. Adieu.

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Paris lundi le 22 septembre 1851

J’ai vu assez de monde hier soir, considering le désert. Les deux ministres, mes voisins & le corps diplomatique, & Lord Brougham qui avait déjeuné le matin à Walmart avec le duc de Wellington. Fould est toujours in good spirits. Chasseloup très sensé spirituel. Je n’avais jamais causé avec lui. J’ai trouvé sa manière bonne & le fond très raisonné & bien jugé du nouveau, il n'y en a point. Le Prince de Joinville écrit à beaucoup de marins, & certainement cette correspondance prouve la résolution d'accepter. Fould avait voulu faire un peu clandestinement le voyage ds cristal palace, je crois qu'il y renonce. Les Mouvements de bourse demandent à être surveillés.
Il regrette que vous reveniez si tard. Il est fâché que Molé ne soit pas ici. C'est vrai à la veille d'un si grand événement en revenir que le jour de la bataille, c’est peu prévoyant. Fagel avait vu le Président le matin. Il lui avait paru triste et lui a parlé sur ce ton. Montebello est allé à Châlons pour les commis agricoles. Il ne revient que jeudi. Brougham est en blâme d’Aberdeen comme nous. Mais il n’a pas fait comme nous, il n’a pas osé le lui dire. Ils se sont écrit sans toucher le sujet. Le prince Metternich est reçu triomphalement sur toute sa route dans le midi de l’Allemagne. Bade, Wurtemberg, la plus mauvaise partie. Il arrive aujourd'hui à Vienne. Je ne vois plus Hatzfeld que le matin, il est trop malade pour sortir le soir. Mécontent, triste & un peu noir. Très sensé. Marion ne me reviendra que jeudi. Adieu. Adieu. Comme vous dites-vrai sur Thiers & Ellice !

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Paris Vendredi le 5 Septembre 1851

Voici Aberdeen. Vous me dites très vrai sur les Débats. Aujourd’hui ce journal est en retraite. Je vous enverrai copie de ce que me dit Beauvale sur Claremont. Le voici ; Marion est expéditive. Comme vous avez bien fait de parler à Claremont. Je suis charmée que les Débats aussi répètent la conversation. Les arrestations font assez d’effet. Il me semble avoir compris que la commission incitait le [gouvernement] à faire des démarches auprès du [gouvernement] anglais.
J’ai vu hier soir des Napolitains. Le [Prince] San Giacomo entre autres ami de mon fils Alexandre. Il arrive de Vienne. Schwarzenberg lui a dit : " Il nous restait une espérance. Un ministre conservateur en Angleterre. C’est fini, L. Aberdeen même fraie avec la Révolution. " Il est impossible de se conduire plus pitoyablement. que ne l'a fait notre ami. Dites-moi que vous lui avez écrit et dit des vérités, de mon côté ce n’est pas fini. Je lui en dirai de bonnes sur sa lettre. What en apology ! Je ne sais vraiment rien. J'ai vu hier Montebello, le soir des diplomates, ils ne savent pas grand chose. J'ai mal dormi, je ne retrouve pas mon équilibre. Adieu. Adieu.

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Paris le 2 octobre

Je me suis trompé en écrivant ou vous en lisant. Je parlais de la lettre du Times dans le temps & vous avez lu Thiers. Je veux ajouter à ce que j'aurais pu vous dire hier ceci. Fould en me parlant de la proposition Creton & de ses chances me dit : moi-même si je ne servais pas ce gouverne ment ci, je me croirais obligé de voter pour la proposition. Et puis Thiers avait dit à Marion en parlant du Président : " Changarnier a eu tous les torts dans la rupture. " Dumon se dit malade. Le soir, il vient chez moi le matin. Il est vrai qu'il a mauvais visage. Il a rectifié le dire de Fould en ce sens. - Si l'Assemblée veut décider la révision à la majorité des voix, je la soutiendrai. - Cela change beaucoup le sens, & rend la phrase irréprochable. vous savez que je parle de messages présumés. Tous les jours les perplexités augmentent c.a.d. dans l’opinion des bavards irresponsables & ignorants.
J'ai vu hier la duchesse Decases. Elle croit que le Président perd. Il me semble qu’elle le désire, le corps diplomatique devient tous les jours plus ardent pour le succès du Président. L'article de Véron ce matin me paraît fort bon. J'avais hier soir Viel Castel, Stratford Canning est très embarrassé. Il avait donné au sujet du chemin de fer à la Porte des assurances que la conduite du Conseil anglais à Alexandrie a démenti. Ce sera un démêlé entre Palmerston & Canning. On refuse à Kossuth de traverser la France et on trouve fort mauvais qu'on lui ait permis de mettre pied à terre à Marseille Adieu voilà tout je crois. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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464. Paris, dimanche le 25 octobre 1840

Je vous écris à tout hasard ; je ne voulais plus le faire, mais votre lettre de vendredi 4 heures où vous ignoriez tout me fait croire qu’il est impossible que vous arriviez aujourd’hui peut-être passerez-vous à Beauvais demain, après l’entrée de la poste. Je n’ai cependant rien du tout à vous dire sinon que les journaux sont les échos fidèles des paroles que prodigue M. de Broglie, et selon lesquelles il est persuadé que vous n’accepterez pas ! Tout le monde me rapporte cela. On vous attend et on ne fait pas autre chose. J’ai pleuré vraiment pleuré en apprenant la mort de lord Holland je vois d’après votre lettre que j’ai fait plus que la plupart de ses intimes. C’est vrai les Anglais sont froids.
J’ai été hier aux Italiens. La Somnambula ravissante musique. Encore une scène d’amour, mais un scène abominable J’ai détourné la tête. Ce matin, il me semblait que vous pouviez arriver à tout instant. J’ai tout hâté, me voilà, mais " le bien aimé ne viendra pas."

2 heures. Montrond sort d’ici. Il dit que Thiers dit beaucoup et Mignet aussi pour lui qu’il vous soutiendra cordialement. Le Roi le croit, pour quelques jours. Le Roi n’est pas inquiet Thiers est gai. Le dire de Montrond est qu’il n’y a encore rien de fait - il m’a même dit que le Maréchal avait envie des Affaires étrangères. Adieu vraiment je n’ai rien à vous dire de plus et puis je ne sais pourquoi votre dernière lettre ne m’inspire pas. Il y a quelque chose de froid, je cherche, j’ai trouvé, et c’est tout bonnement que vous n’avez pas compris quelque chose. Je suis sûre que j’ai raison. Adieu cependant. Adieu, comme si vous m’avez dit adieu bien tendrement.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 13 octobre 1851

Pas de lettre par la poste, ce qui me fait espérer Génie. Pas de nouvelles ce qui fait croire qu’on délibère. Molé m'écrit un mot pour me dire qu’il ne sait rien. Je suis aussi avancée que lui. La statue de Guillaume le conquérant est exposé aux Champs Elysées. Elle est affreuse. Sa vue ne pourra pas inspirer vos paroles.
J’ai vu beaucoup de monde hier mais rien que des étrangers. En français il n’y avait que Chalais. et d’Aremberg. Hubner est revenu très gai. Il a tout-à-fait de l'aplomb. Valdegamas me dit que Narvaez reste tout l'hiver ici. Voici Génie qui m’envoie la lettre d’Ellice que vous me renvoyez. Comme il n’est pas venu lui-même, je ne sais rien. Adieu.
J’ai vu Montebello un moment bien inquiet de sa femme & ne sachant pas un mot de rien.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 12 octobre 1851 Dimanche

Je n'ai absolument rien à vous dire sur la crise. Je n’ai vu personne hier qui put m'en donner des nouvelles en me rappelant ma dernière conversation avec [Fould]. Je suis portée à croire qu’il y aura modification à la loi, & modification dans le Ministère. Je ne crois pas à [?] tranchée.
J’ai passé 10 heures bien inutilement dans mon lit. Je n’ai pas dormi du tout. Ces insomnies accusent un bien mauvais état de nerfs. Je suis accablée aujourd’hui. J’essayerai de dormir en calèche. Je ne vaux rien pour ce soir, et cependant, il faudra ouvrir ma porte. Montebello est à Passy. Je ne l’ai pas vu encore. Il parait que sa femme n'était pas encore partie pour Tours. Adressez lui donc votre lettre à Paris 73 rue de Varennes. Je serai curieuse de causer avec lui.
Le pauvre Constantin a perdu son second fils âgé de 12 jours seulement. Il répète qu'Alexandre ne peut pas subir un pareil qu arrêt et que l’Empereur ne peut pas l’avoir ordonné. C’est le mot d’ordre, nous verrons. Si vous vous attendiez à des nouvelles, ma lettre va vous désappointer. Cela n’est pas ma faute. Adieu. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris samedi le 11 octobre 1851

J’ai enfin dormi, et c'est là tout ce que j'ai à vous apprendre. Les journaux sont pleins du bruit d'un changement. Votre petit ami auquel j’ai confié ma lettre hier, a pu vous porter les dernières nouvelles. Moi, je les ignore, entièrement. Je n’ai vu personne qui pût m'en donner. Viel-Castel ne sait ou ne dit jamais rien, & c’est le plus capable de mes visiteurs d’hier. Lasteyrie a parlé avec humeur feinte ou réelle de la conduite des Princes qui font toujours des bêtises. Il a parlé aussi avec une colère très sincère quoique contenu de Changarnier et tout joute sincère parce qu’elle était coutume. Il croit à la réélection du Président. Me voilà au bout.
Mon fils Paul va venir. Je le crois très effrayé. S’il va en Russie, ce sera pour lui bien pire que pour son frère. Et s’il ne va pas dans 6 mois on met le séquestre sur ses biens. Ce qu'il fera probablement sera de vendre ses terres et très mal. Comme il a des capitaux cela ne le dérangera pas. Et pour ce qu'il dépense il restera toujours beaucoup trop riche. Nicolas Pahlen va venir passer l'hiver à Paris. Kossuth fait un véritable événement en Angleterre. Palmerston reculera certainement. Le Morning post l’indique. Le journal des Débats serait-il bien informé à propos de Gladstone Palmerston & la diète de Francfort ? Hubner revient aujourd’hui de Corse. Adieu. adieu
Francfort est vrai. Je viens de l’apprendre à l’instant.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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2. Boulogne midi dimanche 2 juillet 1837

Vous voyez comme je cours Monsieur. C’est superbe, et puis c’est insupportable car j’arrive et le bateau à vapeur est parti il y a deux heures. Il faut patienter jusqu’à demain 9 heures ! Soyez assez bon pour un faire passer le temps. Causons un peu et nous pouvons le faire bien commodément. Mon appartement est bien tranquille, pas le moindre bruit. Cela me fait une nouveauté après la bruyante rue de Rivoli. J’ai la vue de la mer de cette mer que j’aime tant & que vous connaissez si peu, & que je vous prie d’aller regarder pour me faire plaisir en descendant de voiture tout à l’heure j’ai senti une main saisir la mienne. Cela m’a donné une palpitation involontaire. C’était celle de lord Pembroke. Il ne valait pas la peine de m’agiter. Comme vous n’êtes pas femme, vous ne comprenez pas les bêtises que je vous dis là.
J’avais reçu en partant de Paris une lettre de mon mari. Je l’avais oubliée. Je l’ai ouverte aujourd’hui. Il m’écrit du 15 juin. Je me sens bien triste aujourd’hui. Je ne l’ai jamais été autant. Monsieur ces paroles dites ce jour là m’ont bien frappées.
4 h. Je viens de dîner, & j’ai reçu quelques visites. J’ai fait parler lord Pembroke, il a quitté Londres hier les Torys sont découragés, toutes les faveurs de la reine sont pour les Whigs. Lord Melbourne passe tous les jours deux heures de la matinée avec elle. Toutes ses idées sont accueillies. On ne dit rien de l’esprit et des opinions de la reine. On dit seulement qu’elle sait haïr, mais c’est bien quelque chose à 18 ans ! Elle veut à toute force chasser l’amant de sa mère. Elle le fait magnifiquement. Elle donne au chevalier Conroy trois mille lires sterling de pension pour qu’il s’en aille. Lord Pembroke s’est avisé de me parler aussi de french politics, il me dit : " Nous autres Torys nous n’avons qu’un vœu, c’est de voir M. Guizot aux affaires."
Mais monsieur ce n’est pas de politique que je veux vous parler, Je cherche... C’est de musique. Vous savez comme Je l’aime cette musique ! Comme elle m’enivre, comme elle me plait. Et bien, je l’entends, je la sens. Je n’ai pas lu aujourd’hui. j’avais trop lu hier, j’en ai mal aux yeux mais j’ai pensé à ce que j’avais lu j’ai trouvé des paroles qui m’ont été répétées. " Le paradis sur la terre." Il venait donc d’elle ? Et c’est avec elle qu’il était trouvé !
8 h. Je vous demande pardon Monsieur de vous parler à tort et à travers de tout ce qui me vient dans la tête. Quel début de correspondance et cependant, vous voyez bien que je ne vous dis rien, rien de ce que je voudrais dire. Je n’aime pas la contrainte. Je n’aime pas les souliers étroits ; un ruban qui me serre, & bien je n’aime pas plus les lettres que je vous écris, comment n’ai-je pas pensé à cela en m’engageant dans cette correspondance ? Dites Monsieur ne vaudrait-il pas mieux la laisser-là ? Hier & aujourd’hui ont été bien mal. C’est à dire bien maladroite. cela va vous fâcher, & je me sens toute humiliée d’avance de cette fâcherie.
Adieu Monsieur, adieu. C’est mon dernier mot de cette terre de France dans quelques heures je trouverai des émotions terribles. Ces pensées me font frémir. Le manteau de Raleigh (je crois que c’est le nom/ sera-t-il assez puissant ? Ah Monsieur j’ai le cœur brisé. Pensez à moi, prenez pitié de moi, je suis bien malheureuse. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 10 octobre 1851

Pardonnez-moi hier, je n’étais plus en état d'écrire une ligne. J’avais passé ma matinée en allées & venues, consultations & & pour l’affaire de mon fils. Constantin me conseille une lettre à l’Empereur. Je l'ai écrite de suite, je l'ai fait partir. Quel sera son sort ? Je vous envoie la copie. La croyez-vous bonne ? Hélas si elle ne l’est pas, il est trop tard. M. Fould est venu hier matin. Il est décidé pour le maintien de la loi du 31 mai. Il admettrait quelque modification, mais l'abrogation jamais. Un changement de Ministère est très possible. Odilon [Barrot] sera ministre peut être. Pourquoi M. de Falloux ne le serait-il pas ? Il l'a bien été. Les Légitimistes doivent comprendre que leur intérêt est de soutenir le président.
J’ai lu un passage de votre lettre où vous prêchez cela aussi. Cela lui a fait un grand plaisir. Le coup d’état, il n’y a pas de raison pour le faire. Et après tout on a aisément raison de l’Assemblée. Elle reviendra très divisée et très impuissante. La candidature Joinville ne fait aucun progrès. Partout c’est le président qu’on nomme. Grande résolution de faire de la force. On proposera [par exemple] la déportation pour les sociétés secrètes. Voilà à peu près tout ce qu’il m’a dit je vous envoie la lettre d’Ellice, vous me la rendrez par Génie. John Russell [...]

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 8 octobre 1851

J’ai trouvé Molé très bien de santé & imperturbable dans son opinion : que si le Président ne fait rien, il est perdu. Et il est très parfaitement pour le Président. Les articles de l'Union, l’Opinion publique & le Messager édifient sur la candidature Changarnier. Il a refusé de voter contre la [proposition] Creton. On a négocié l’abstention, & je ne sais si l'union s’en contente. Je ne crois pas jusqu’à présent. J’ai vu hier soir beaucoup de monde. & Fould & le duc de Noailles entre autres. Celui-ci aussi grognon & muet qu'il sait l’être. Très insupportable. On fait mieux de rester chez soi. Nous nous sommes querellés sur la lettre du Duc de Nemours. Lui trouve pitoyable qu’un Prince écrive à un journaliste. C’est peut être vrai, mais le genre admis, je trouve la lettre excellente, moins l’hospitalité.
Fould avait comme toujours l'air confiant & gai. Nous sommes restés cinq minutes seuls il était tard. Voici les seules paroles : faire de l'ordre à outrance. Les rouges attendent et espèrent tout des divisions. L'assemblée ne sera pas écoutée, elle est mourante. Mais le Président, il a la puissance, la force. On lui conseille beaucoup d'agir Fould n’est pas de cet avis, cependant ceci ne m’a pas paru définitif.
Mad. de l’Aigle qui revient d'Angleterre a beaucoup vu la famille royale. La reine très fusionniste, mais sans aucune autorité, les princes mal entre eux. Les jeunes disant devant Nemours, si nous avions été à Paris la monarchie ne serait pas touchée. Mad. Joinville mal avec Mad. de Nemours. La première très ambitieuse & gouvernant beaucoup son mari. La reine veut finir dans un couvent.

2 heures le duc de Noailles sort d'ici très content de Carni, il voudrait bien qu’on le prit au journal [Assemblée] nationale. Très content de vos conseils, ce qu’était aussi extrêmement M. Molé à qui j’ai montré hier votre lettre. Soutenir le président. Rester gouvernemental en attendant qu'on puisse faire la Monarchie. L’air est au coup d’état, cela revient de plusieurs bons côtés. Je ne puis plus aller. Mon pauvre Alexandre on lui refuse le passeport et on l’invite à aller au Caucase ! De l’ironie par dessus le marché. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Samedi le 4 octobre 1851

Le duc de Noailles est venu me voir hier un moment. Vous devez savoir que le Comité légitimiste a décidé ces deux choses. 1° on ne choisira pas de candidat avant l’élection de la nouvelle assemblée & l'on pressera cette élection 2° on ne prendra pas pour candidat à la Présidence un nombre qui aurait voté pour la proposition Creton. L’exclusion est formelle, et elle a été formellement annoncée au général Changarnier Il est évident qu'il a repoussé, et qu’il votera pour. Voilà donc qui est fini. Je trouve l'humeur des Légitimistes très tranchante. Certainement ils finiraient par voter pour le Président actuel.
J’ai rencontré Thiers chez la [duchesse Mackikoff], il y est tous les jours & tout le jour pérorant, ne se compromettant pas. Je lui ai dit quelques petite paroles provocatrices il ne s’est pas laissé entraîner. Il est monarchiste orléaniste et puis c’est fini. Très contenu sur les personnes. Enfin je n'ai rien à citer. On ne se battra pas dans la rue, les rouges sont battus d'avance. On se battra beaucoup à l’Assemblée & & & bien amusé comme tout le monde de la correspondance sur Abdelkader. Cela passe vraiment toute imagination ! Je me permets de blâmer la réponse du président. Lamoricière veut [rosser] Londonderry quand il viendra à Paris.
J’ai vu le soir mes diplomates. Je n’ai pas vu Dumon. Il ne m’est pas très fidèle. On ne parle que d'ici. Je ne sais pas un mot sur ce reste de l’Europe. Thiers était bien monté hier contre l'Angleterre. Sur ce point il dit comme tout le monde. Vitel est parti pour 15 jours pour les environs de Dieppe. Narvaez & Bulwer sont les plus grands amis du monde. Celui-ce retourne à Londres. Lady Cowley est fort malade. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Vendredi le 3 octobre 1851

J’ai vu hier matin Saint-Aulaire & Vitet. Celui-ci un moment seulement. La commission de permanence s’était ajournée au bout d'une demi-heure. On a parlé des discours de M. Léon Faucher. On a décidé qu'on lui ferait des questions à la tribune. Changarnier a dit de Léon Faucher qu’il ne fallait pas le prendre au sérieux. Fould a rencontré hier quelqu’un à qui il a parlé sans beaucoup d’assurance Il avait le langage triste, et a laissé la conviction que la loi du 31 mai serait abrogée. Il a dit que c’était une idée fixe dans la pensée du Président. Selon lui, il n'y a que deux vrais pouvoirs, ou la légitimité, ou le suffrage universel. Il représente et veut représenter celui-ci. Odillon Barrot se met en mesure de redevenir Ministre, car Léon Faucher & quelques autres cesseraient de l’être. Barrière est revenu bien malade encore.
Hier soir longuement seule avec Changarnier. J’ai dit ce qu'aurait dû dire Marion. Vous deviez rester à la tête du parti de l'ordre. Vous avez excité des méfiance. Vous n’avez pas d’armée, où est votre parti ? & & & de trés belles vérités. Il a été très irrité. Ah, je n’ai pas de parti ? Si je parle à l'Assemblée tout le monde m’obéit vous verrez quand j'irai à la tribune. Mais que veut-on de moi. Que j'écrive sur mon chapeau [?] Henry V ? Mais c’est insensé. Je suis perdu & tout le monde l'est avec moi. Est-ce que je n’ai pas assez dit ce que je suis. Je l’ai dit pendant 2 heures en tête-à-tête à Berryer. Il est sorti de là disant : que j’étais très réservé. Ce sont des menteurs. On veut toujours me croire orléaniste. Je ne le suis pas du tout. Je n'ai aucune raison de l’être. Alors il m’a fait un beau morceau sur son élection qui ne dépend que des Légitimistes. Qu’ils lui doivent seulement 400 mille voix & c’est fait, il est entre les cinq. Alors un discours à la tribune racontant ses services. Etranger à la Révolution de 30, à celle de 48, étranger à toutes les batailles sanglantes à Paris. En connaissant de batailles que celles sur le sol algérien, à Paris trop batailles pacifiques, voilà l'homme qu’on présente à la France. Très beau discours que ferait Berryer ou tout autre, & il est nouveau. J'écoutais en toute humilité et attention. Grandes éloges de St Priest, Nettemont, Barthélemy. Grande haine de Berryer. Peu d’estime pour les grands hommes. Grande confiance dans sa popularité en France. Mais Thiers lui-même dit que hors Paris, on ne vous connaît pas en France. C’est menti, il n'y a pas un [?] qui ne connaisse mon nom. Depuis trois ans j'ai rempli la France de mon nom. Toujours haine du Président, de mon Président. Je vous promets que j'empêcherai votre Président de le redevenir. Je ne sais ce que je saurais faire mais je suis sûr d'empêcher. Voilà le ton pendant une heure.
Beaucoup de diplomates sont venus ensuite. Il est resté jusqu'au bout de la soirée. Dumon a voulu causer avec lui. Cela ne prenait pas. A moi il avait dit, je ne suis un candidat qu’avec vous, il ne me convient pas d’aller me proposer à d’autres. Je crois que voilà tout sur Changarnier. J'ai fait l’éloge du Président. Nous n’avons eu qu'à nous louer de lui, politique, honnête, & pacifique. Il est parti de là pour l'appeller le candidat de l'Empereur Nicolas. Enfin cela m’a amusée.
Grasalcoviz est arrivée. Elle a eu hier chez elle. Thiers & Changarnier. Kisseleff va mieux. Que dites-vous de la correspondance entre Londonderry & le Président, c'est impayable. Le temps est laid et froid. Paris vaut mieux je crois que la campagne. La duchesse de Montevago a dîné à St Cloud avant son départ, elle est partie hier, après le dîner on a joué au lansquenet. Elle a gagné deux mille francs au Président dont elle était très honteuse. Adieu. Adieu.
[Changarnier] m’a dit que le duc d’Aumale est en pleine approbation de ce qui s'est fait à Claremont. Il m’a dit encore 1000 contre 1 que Joinville se proclamera candidat. Il n’attend que la proposition Creton. Pour celle-là [Changarnier] croit fermement qu’elle sera rejetée. D’autres pensent le contraire, et disent que si l’exil est levé Joinville annoncera qu’il ne veut pas de la Présidence. Il ne veut que rentrer en France.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 1er octobre 1851

J’ai vu M. Fould hier soir, très confiant et très sérieux. Je lui ai dit mon inquiétude il s’en est fort diverti. Certainement il y aura un message. On en est occupé déjà. Les intrigues n'inquiètent pas. Quand on verra le travail [?], les fonds baisser, l’agitation & la peur gagner tout le monde, on viendra à [rescipi ?] & on sera trop heureux de se rallier autour du président. Les légitimistes doivent l’aider à refaire des institutions monarchiques. Voilà le langage. En attendant le Prince s'amuse à St Cloud & son entourage s’y ennuie, avant hier gand dîner dans le salon de la Reine. La belle Mademoiselle Montejo & sa mère la duchesse. Un grand concert de 30 personnes. Fould y va à ce qu’il me semble tous les jours.
J’ai vu Dumon hier matin ; il me dit qu'il vous a écrit ; quand il partira, ce qui sera dans 10 jours, je n’aurai plus de causerie française du tout. Kisselef est malade. Hubner & Hatzfeld en voyage. Vous voyez que je suis très délaissée. Je voulais aller à Champlatreux mais c’est fatigant.
J’ai entendu ces jours-ci parler de votre fils avec les plus grands éloges. Il a une grande popularité dans son collège et dans le monde, mais je dois vous dire qu'on vous blâme de permettre qu'il prenne si jeune encore et sans frein aucun, des plaisirs qui ruinent sa santé. Outre que c’est d'une morale un peu relâchée qui étonne de votre part, c’est d'une imprévoyance qui étonne encore plus. Il est dans l'âge où la constitution se forme & s'endurcit. L'ébranler à présent c’est un immense risque. Pensez au malheur que vous avez eu ! Je vous dis là des choses dures mais vraies. Personne n'ose vous dire la vérité, je crois que c’est parce que personne ne vous aime autant que je vous aime. Veillez sur votre fils & retenez le.
Constantin a un nouveau petit garçon. Personne ne m’a parlé de la Belgique, mais il me semble que le ministère n'y est pas en triomphe. Les Ligue ont marié hier leur fils à M. de Talleyrand. Il va célébrer cela très pompeusement et magnifiquement à [Bélocil]. Don Magnifico tout-à-fait. Il est de l'opposition au Sénat. Adieu, car je ne vois pas de nouvelle à vous dire. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 23 septembre 1851 Mardi

Personne ne sait me donner des nouvelles de M. de Montalembert. En sortant tantôt je passerai moi-même à sa porte pour m'en enquérir. Je ne pourrai vous mandez que demain si j’ai fait quelque découverte. M. Carlier a dit hier matin à un diplomate. " Nous allons bien mal. Si nous avions de nouvelles élections nous serions perdus. " Textuel. l’inquiétude commence à devenir générale. Qu’est-ce que ce sera vers Novembre ?
Jai vu hier soir [Glucesberg] entre autre. Son père est convalescent ils ne sont plus inquiets. On me dit que Thiers est engraissé et de très bonne, humeur. Boutonné quant à la candidature Joinville. Pas d’opinion. Il a passé chez moi hier, sans en trouver. M. Pougoulat /je crois que je dis bien / votera pour la rentrée. des Princes. On dit qu’une grande partie des Légitimistes fera comme lui. Le sort de cette cette proposition est fort douteux et le temps qui coule est à l’avantage de Joinville. Peut-on courir ce risque-là ? Mais les grands hommes se proclament / il n'y a que le petit homme qui soit ici, & il ne perd pas son temps. Dumon était noir hier. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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42. Mardi 19 septembre 9 heures 1/2

Quand je reçois vos lettres, dans le moment où je les lis, je suis si heureuse si parfaitement heureuse que pour cet instant là il me semble que je ne regrette pas votre absence. Cette impression dure deux minutes, cinq minutes peut-être, & puis le désir, l’ardent désir de vous voir là près de moi, bien près de moi, devient si vifs, il s’empare si entièrement de tout mon être que j’étends les bras, j’appelle mais à voix bien basse, je répète mille fois ces trois petits mots que vous m’avez appris, (oui vous me les avez appris) et un triste, un long soupir finit tout cela, et je me réveille bien complètement pour trouver devant moi une éternelle journée qui ne m’offre plus d’autres ressources que de venir vous redire toujours la même chose de la même manière, et d’une manière si froide que je me suis saisi d’un grand mépris pour mes lettres. Monsieur comme vous m’étonnez en me disant qu’elles-vous plaisent ! Je sais bien qu’elles pourraient vous plaire, mais je n’ose pas vous plaire, et il y a des jours & des moments où cette contrainte m’est insupportable. Dans ce moment surtout, ah si je pouvais vous dire tout ce que j’éprouve. Monsieur quand vous le dirai-je ?
Sera-ce dimanche ou lundi, pourquoi vous obstinez-vous à ne pas répondre à cette interrogation, est-ce que vous méditez quelques iniquités ? Je fis hier avant dîner une très longue promenade avec la petite princesse ; toute l’avenue de Longchamps à pied. c’est presque trop, & j’arriverai très fatiguée au dîner de mon ambassadeur. Il y avait trente personnes à table. M. Molé & l’ambassadeur de Sardaigne furent mes voisins ; ma droite était mieux occupée mardi dernier !
A propos il ne faut pas que j’oublie de vous dire que M. de Brignoles qui s’est vanté à moi de la rencontre dans la cour de l’hôtel des postes m’a dit qu’elle lui avait fait un extrême plaisir. C’est bien plus personnel que celui que vous a causé sa vue. J’aime bien cet ambassadeur, je l’aime beaucoup. Les dîners de M. de Pahlen ne durent jamais moins de deux heures. C’est donc une grosse affaire que les voisins. M. Molé était en train; nous avons causé de tout. Il est dans la plus parfaite assurance sur le résultat des élections. M. Thiers ne fera à ce qu’il parait que traverser Paris, il ira à Lille attendre l’ouverture de la session. M. Salmandy est à Valençay, avec des projets de conquête. On a bien fait sonner hier le retour en Normandie. Pour m’enlever tout prétexte de crainte, j’ai répondu en riant qu’il faudrait d’abord que j’en eusse ; et puis un instant après, on a cité les quelques jours inexpliqués passés à Paris ; ce qui fait un système de guerre très incohérent qui allait assez comme remplissage des deux heures de dîner mais qui n’ira pas longtemps comme cela. La séance après le dîner fut longue et je suis obligée là de rester la dernière. Cela dura jusque vers dix heures. Il était trop tard pour mon salon.
La petite princesse allait au spectacle la Sardaigne chez Madame de Castellane ; je m’y laissai entraîner je la trouvai couchée. M. Pasquier y vint. Elle fit un récit un peu étrange, & puis M. Molé arriva pour faire le thé comme s’il était dans son ménage ; cela me fit me redresser un peu et je partis. Monsieur cet intérieur là est d’un parfait mauvais goût, je suis fâchée de l’avoir vu ainsi, je me sentis parfaitement déplacée. Je fus dans mon lit hier avant onze heures. Il fait une chaleur excessive j’en souffre. J’aime l’air d’automne et de printemps. Mais le chaud comme le froid me sont insupportables.
J’ai lu à mon déjeuner une lettre de Madame de Dino ; elle me demande si vous irez toujours en nov. à Rochecotte. Elle vous croit sans doute établi à Paris. Elle s’ennuie, elle demande des nouvelles. Je n’en sais pas je n’en demande pas. Je ne suis plus curieuse de rien. Je ne pense qu’à la Normandie, c’est là où je vis, je ne veux des nouvelles que de là. Que me fait tout le reste du monde, il m’importune. Je voudrais vivre dans un bois, un petit cottage, toute seule. J’irais ouvrir la porte deux fois le jour ! Monsieur, j’étouffe de tout ce qui se présente à ma pensée. Défendez-moi de vous écrire, défendez moi de me livrer à de si doux rêves, Venez me défendre tout cela ; ici je vous obéirais ; de si loin je me révolte, je pense si pense ! Ah mon Dieu jusqu’à ce que j’arrive à ne plus savoir ce que je vous dis.
Adieu. Adieu et comment ! Jamais je n’ai tant appuyé sur ce mot. Adieu. Quoique ma lettre ne porte la date que d’une seule heure j’y suis revenu vingt fois. Je vous ai quitté, je vous ai repris, & je ne la ferme que dans ce moment 2 heures. Il me semble que je ne vous fais toute cette inutile explication que pour me ménager le prétexte d’un nouvel Adieu. J’en suis insatiable aujourd’hui. Votre lettre m’a mise dans ce train. Je ne sais pourquoi. Venez donc encore chercher cet adieu de ce côté-ci.

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Paris le 30 septembre 1851 Mardi

J’ai vu peu de monde hier, mais j’ai su par Marion quelques rapportages. Mad d'Asur lui a fait visite le matin. Et elle a remonté Thiers à dîner chez lady Sandwich. Assise entre lui & M. Royer à table. Il a parlé de Changarnier de ce qu’il eut été s'il avait su se conduire, précisé ment dans les mêmes termes que vous m'en avez parlé le matin & que Marion avait lus. Il n'épargnait rien à la ressemblance. Il n’est pas sûr que le prince de Joinville passe. Le pays est encore fort attaché au nom du Président. Quant à Changarnier c'est risible, le pays ne le connaît pas du tout, il aura pour lui les Légitimistes, & encore.. Beaucoup d’incertitude sur la proposition Creton. Thiers avait dit le matin à Mercier ( qui est venu chez moi le soir) Si Henry V était possible se serait ce qu'il y aurait de mieux peut-être. Mais c’est archi impossible. Le pays, le repousse absolument. Il est impossible. Il nous faut la Monarchie, il ne nous reste donc que la branche cadette, et bien pour faire arriver la Monarchie il faut que le Prince de Joinville soit à la tête du [gouvernement] du pays. Il ne serait pas longtemps président. Tout autre ferait durer la République. Le pays s’y accoutumerait, je ne veux pas de cela. Voilà mes motifs et pourquoi le Prince de Joinville a raison de se laisser faire.
Dumon hier soir était fort noir. On parle de message pour le 4 nov. invitant l'Assemblée à voter la révision à la simple majorité. C’est M. Fould qui avait dit cela à je ne sais qui que Dumon ne m’a pas nommée, le même anonyme ayant rencontré hier aussi M. Granier de Cassagnac celui-ci aurait ajouté et si l’Assemblée recule devant cette illégalité, on casse l'Assemblée. Mais l’armée que dira-t-elle, que fera-t-elle ? Voilà à quoi personne ne répond. On devient très triste très inquiet. Fould a dit que tout s’en allait dégringolant, crédit, ouvrage. & & De raisonnements en raisonnements, on en vient à dire qu’il n'y a que la guerre qui puisse tirer de là. On a tant jasé & si tard que j'en ai très mal dormi cette nuit. Je me lève et il est midi déjà. Bastide & Cavaignac se donnent tous deux pour Joinvillistes.
J'ai fait hier la plus mélancolique des promenades. J’ai été voir Neuilly. Ah quel aspect horrible ! Adieu. Adieu

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Paris Lundi le 29 septembre 1851

J’ai vu toute l’Europe hier soir mais pas de France du tout. Pas un échantillon. Les Normanby sont revenus engraissés, joufflus & de très belle humeur. Il dit que dans tout le midi on ne connaît que le Président. Il a beaucoup vu là M. Royer, qui s’est dit parfaitement autorisé à tenir le langage de sa lettre. Normanby lui a montré le premier la fameuse lettre de Thiers, il en été abasourdi. [Noailles] n'a pas vu Thiers. Byng dit que Thiers se croit menacé d’être mis à Vincennes. Aujourd’hui le Président vient en ville pour un conseil de ministres. Il fait cela une fois la semaine, une autre fois c’est les Ministres qui vont à St Cloud. Il voit Normanby aujourd’hui.
La Princesse Menschikoff qui voit Thiers, beaucoup, me dit qu’il était, il y a quatre jours encore très inquiet d'un coup d’État. Personne n'y croit aujourd’hui. Je n'ai rien absolument à vous dire. Je suis bien aise que votre fille aille à Rome. C'est une idée heureuse. Elle y aura l’esprit bien agréablement occupé & quant à l'air, il n y a rien de mieux. Adieu.
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