Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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239 Baden Dimanche le 11 août 1839 9 heures

Je me sens aujourd’hui plus faible que de coutume. Mes nerfs sont dans un état pitoyable. J'ai bien besoin de vous pour me remettre, j’ai besoin de votre affection, de vos soins, de vos conseils, il me faut un appui. Je vous assure que je ne me conçois pas livrée encore pour bien des mois à mes seules ressources, c'est à dire à mes bien tristes pensées. Vous ne savez pas comme elles sont tristes ! Comme elles le deviennent tous les jours davantage. Les journaux confirment ce que vous me dites des nouveaux embarras ministériels. Mais je ne crois à rien. Ils iront comme ils ont été. Les Flahaut sont menacés de perdre leur seconde fille, elle crache le sang. C’est pour elle qu’ils viennent aux Eaux en Allemagne et qu’ils iront ensuite passer l'hiver en Italie.

1 heure. J’ai été à l’église. Toujours un superbe sermon. Le texte était votre lettre. Nous reverrons ceux que nous avons aimés, mais j'aime encore mieux votre lettre que ce superbe sermon. Vous avez raison. Je viens de recevoir une seconde lettre de Benkhausen qui explique tout, comme vous le dites.
J’ai l’administration et non la possession du Capital. J’écris de suite à mon frère, pour tout remettre à sa place. J'ai du regret d'avoir mal compris, pour dire la vérité c’est Mad. de Talleyrand et Bacourt qui me l’ont fait comprendre comme cela ; car vous savez bien que moi, je ne m'y entends pas. Mais il faut absolument que ce soit moi qui lève l’argent. Les droits en Angleterre emporteront 1000 £ ce qui réduit le Capital à 44800 £. Pouvez-vous me dire si dans le plein pouvoir que j’ai donné à Paris à mon frère, il est suffisamment autorisé à faire pour moi cette opération ? Je vous envoie copie de la lettre que je lui écris. Savez-vous bien que je me sens toute soulagée par cette lettre de Benkhausen ? C’est si vrai qu’étant fort malade ce matin me voilà mieux. Je suis débarrassée de ces richesses imaginaires qui m'étaient on ne peut plus désagréables.
Je viens de lire des rapports de Vienne. Vos Ambassadeurs, le vôtre, celui d'Angleterre et l’internonce sont de parfaites dupes. Le divan est entre les mains de M. de Bouteneff et c’est par lui que le divan négocie avec Méhémet Ali. Je vous dis ce qui dit la diplomatie à Vienne. Metternich est fort inquiet de ce que nous ne parlons pas. Ne vous ai-je pas toujours dit que c’était notre affaire et que nous n’entrerions pas en causerie sur cela. Adieu. Adieu mille fois, adieu. Je reçois dans ce moment une lettre de mon fils Alexandre du 31 juillet dans laquelle il me dit qu’on venait de recevoir les nouvelles de la défection du Capitan Pacha, & de la défaite de l'armée Turque, que comme cela amènera des complications graves que peuvent influer sur mes projets pour cet hiver, il se hâte de m’en donner avis !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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247 Du Val Richer Vendredi 16 août 1839 9 heures

Tenez pour certain que nous nous ne pensons pas à autre chose, qu’à maintenir le statu quo en Orient. Nous ne demanderions pas mieux que de le maintenir tout entier : nous serions volontiers, là, aussi stationnaires que M. de Metternich. Mais quand nous voyons tomber quelque part de l’édifice, et quelqu'un sur place qui essaye d’en faire une nouvelle maison, nous l'approuvons, et tâchons de l’aider, ne pouvant mieux faire. C’est ce qui nous est arrivé en Grèce, en Egypte ; ce qui nous arriverait partout où viendrait un autre Méhémet Ali. Sans compter que ce pays-ci a le goût du mouvement de la nouveauté des parvenus gens d’esprit que partout où il les rencontre, il prend feu pour eux, et que son Gouvernement est bien obligé de faire un peu comme lui. Ce que nous ne voulons pas, c’est que Constantinople se démembre au profit de Pétersbourg ou de Vienne. Et notre principale raison de ne pas le vouloir, c’est que le jour où cela arriverait, il faudrait que quelque chose aussi, vers le Rhin ou les Alpes se démembrât à notre profit. Nous pressentons que nous sérions forcés de vouloir ceci, qu'on nous casserait aux oreilles qu’il faut le vouloir, et nous n'avons nulle envie d'être mis au défi de courir cette grande aventure ou de passer pour des poltrons si nous ne la courons pas. Nous sommes pacifiques, très pacifiques, et nous ne voulons pas être poltrons.
Je dis nous, le pays. Voilà toute notre politique sur l'Orient. Et pour soutenir cette politique là, on pourrait nous faire faire beaucoup de choses. Nous regarderions comme un acte de prudence des combats sur mer, au loin, pour éviter une guerre continentale et à nos portes. Nous souhaitons, le statu quo en Orient parce qu'il nous convient en Occident. Le démembrement de l'Empire turc, c'est pour nous le remaniement de l’Europe. Le remaniement de l’Europe personne ne sait ce que c’est. Et nous sommes un pays prudent, très prudent, quoiqu'il ne soit pas impossible de nous rendre fous encore une fois, nous le sentons, et n'en voulons pas d'occasion. En tout ceci l'Angleterre pense comme nous et nous nous entendons très bien. Mais elle a une autre pensée qui n’est qu'à elle, et qui nous gêne dans notre concert. Elle ne veut. pas qu’il se forme dans la Méditerranée aucune Puissance nouvelle ; ayant des chances de force maritime et d'importance commerciale Elle ne le veut pas, et pour la Méditerranée elle-même, et pour l'Inde. De là son inimitié contre la Grèce et contre l’Egypte ; inimitié qu'elle voudrait nous faire partager, ce dont nous ne voulons pas n'ayant point d'Inde à garder, et ne craignant rien pour notre commerce dans la Méditerranée. L'Angleterre voudrait s’enchaîner, et nous enchaîner avec elle au statu quo entier, absolu, de l'Empire Ottoman. Nous ne voulons pas. parce que nous ne le croyons pas possible, parce que nous n'y avons pas un intérêt aussi grand, aussi vital que l’Angleterre ; parce que l'entreprise si nous nous en chargions ensemble pèserait bientôt sur nos épaules plus que sur les siennes et nous compromettrait, bien davantage en Europe. Voilà par où nous nous tenons et par où nous ne nous tenons pas l'Angleterre et nous. En ce moment l'Angleterre nous cède ; elle renonce à poursuivre son mauvais vouloir contre l’Egypte. Elle y renoncerait, je crois très complètement, si elle était bien convaincue que de notre côté nous tiendrons bon avec elle pour protéger contre vous soit le vieux tronc, soit les membres détachés et rajeunis de l'empire Ottoman. Elle doute ; elle nous observe. Il dépend de nous de la rassurer tout-à-fait, et en la rassurant de lui faire adopter à peu près toute notre politique.
Vous savez l’Autriche. Jamais je crois, nous n'avons été si bien avec elle. Elle est bien timide ; elle est si peu libre de ses mouvements que la perspective de la moindre collision, même dans l'Orient et pour l'Orient seul, l’épouvante presque autant que celle du remaniement de l’Europe. Cela se ressemble en effet un peu pour elle car elle tient à l'Orient et à l’Occident ; ses racines s'étendent des sources du Pô, bouches du Danube, et l’ébranlement va vite de l’une à l'autre extrémité. Cependant je crois que si elle y était forcée, si les habilités dilatoires perdaient toute leur vertu, elle agirait avec nous, et qu'elle l’a à peu près dit. Si c’est vous-même qui pacifiez l'Orient, qui présidez à la transaction entre Constantinople et Alexandrie, qui donnez un trône au Pacha pour ne pas cesser de protéger vous-même le Sultan sur le sien, il n’y a rien à dire. Vous aurez bien fait, et nous n'en serons pas très fâchés. Vous aurez gardé votre influence ; nous aurons obtenu notre résultat.
N'est-il pas très possible que tout finisse ainsi du moins en ce moment, et que sous les mensonges des journaux, sous les fanfaronnades des Gouvernements, au fond nous agissions tous à peu près dans le même sens, n'ayant pas plus d'envie les uns que les autres de rengager les grands combats ? Je suis bien tenté de le croire. Samedi 9 heures Pas de lettre ce matin. Cela me déplaît toujours beaucoup et m'inquiète un peu. Adieu. Adieu à demain. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
252 Paris Mardi 27 août 1839

Le médecin veut absolument l’essai au moins des bains de mer, et il veut que je m’y rende le plus tôt possible. Quel jour pourriez-vous venir à Rouen ? Delà je vous mènerais dans ma voiture à Dieppe. Vous resteriez avec moi, chez moi, quelques jours. Tout cela me parait si facile ! Répondez-moi. Il se peut que je parte déjà samedi ou dimanche. Je vous dirai cela. Ne pourrait-on pas ignorer que vous allez à Rouen ? Car je n'aimerais pas les journaux. Je ne dors pas, je ne mange pas, ah j'ai bien certainement une pauvre mine, n'espérez pas le contraire.
J’ai vu hier Appony & Médem. Je sais à peu près tout. Le premier est glorieux, et il perce dans les récits la petites satisfaction de nous croire un peu humiliés, ce que je ne relève pas du tout des paroles de Médem. Nous ne demandons pas mieux que de voir la querelle entre les deux Barbares terminée, et nous agirons avec les autres pour cela, mais rien que cela. Nous ne voulons pas que sur ce point la conférence s’établisse à Vienne. Nous la voulons à Constantinople. Hier il paraissait que les quatre la feraient à Vienne sans nous. Voilà ce qui n’ira pas à moins de se brouiller avec nous. Nous verrons. L'Angleterre et l’Autriche n’offrent à Méhémet Ali que l’hérédité de l'Egypte, quelle bêtise ! L'Angleterre veut qu'il rende la fiotte de suite. S'il refuse, qu'on rappelle les Consuls d’Alexandrie. S’il persiste encore dans son refus, que les flottes alliées s'emparent de Caudie. Je ne vois pas que vous puissiez vouloir tout cela. Encore une fois nous verrons.
Le Roi est parti fort tranquille sur la situation. Vous avez fait je vous en demande pardon, une bêtise en déclarant par hâte que vous entrerez dans les Dardanelles si nous entrions dans le Bosphore. Il est évident que c’est l'Angleterre qui vous a mis en avant ne voulant pas le dire elle-même. Nous avons répondu que dans ce cas nous rappellerions notre Ambassadeur de Constantinople regardant cela comme une rupture de notre traité par le Divan. Et puis la guerre. Vous voyez bien que vous ne la voulez pas et que ces propos là étaient fort inutiles. Vous vous êtes montrés satisfaits et même reconnaissants de notre réponse si franche, et vous y avez reconnu une nouvelle garantie de paix. Tout cela est drôle. Adieu, adieu. Je meurs de fatigue, marcher dans la chambre me fatigue ; mais adieu ne me fatigue pas encore.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
256 Du Val-Richer Lundi soir 26 août 1839 9 heures

Voyons un peu nos affaires. Je ne saurais fixer aujourd’hui le jour où je pourrai aller vous voir. J'attends après-demain M. Devaines, son fils et une autre personne. Il faut que je les aie vus pour régler ma marche. Quel ennui que tous ces arrangements quand je n'ai d'autre envie que d'être près de vous, de vos voir, de vous entendre, de vous parler, de vous retrouver vous, changée ou non, et mon bonheur qui ne peut changer. Mais répétez-moi en attendant que le Dr Chemside ne vous trouve pas aussi changée que vous l’imaginez. Si vous allez, ou si vous pouvez aller à Dieppe, il est probable que je l'aimerai mieux que Paris. Sauf vous, je n'irais pas à Paris en ce moment. Il n’y a rien à faire, et on dira que j’y viens faire quelque chose. Mon absence, ma parfaite tranquillité sont d’un bon effet; je le sais, les gens d'esprit me le disent. Cela ne signifie rien si je ne puis vous voir qu'à Paris, et au fait cela ne signifie pas grand chose ; peu importe quelques lignes de journaux et quelques conversations de badauds. Mais toutes choses égales d'ailleurs, je crois que je préférerai Dieppe, ne fût-ce que pour ce que vous m'en dites. Dieppe ou Boulogne, cela se ressemble, n’est-ce pas ? D'ici là reposez-vous bien. Il faut être bien reposée.
Vous trouvez l'Orient en voie de pacification. Nous sommes tous d'accord, d'accord du moins de nous mettre d'accord et d’en traiter ensemble. Nous avons failli faire tout le contraire. Nous avons dit que si vous alliez à Constantinople, nous irions dans la mer de Marmara ; et que de façon ou d'autre, nous serions tous où vous seriez. Vous avez pensé que puisqu’il fallait se résigner à être tous ensemble mieux valait l'être sans embarras qu'avec embarras. Nous sommes contents. Les difficultés commencent mais nous croyons les périls passés.
J’attends des nouvelles de mon pauvre ami Baudraud. Il est malade et ne pourra probablement pas aller à Constantinople. Nous nous sommes beaucoup écrit. Mais que de choses nous aurons à nous dire !

Mardi matin 7 heures
Le plaisir de vous sentir plus près de moi ne s’use pas. Qu’on devient modeste dans ses prétentions ! J’ai appris hier que je n'aurais pas ici, dans le mois de septembre, deux personnes qui auraient pu y venir. M. & Mad. de Rémusat. Ils étaient dans leur terre, près de Toulouse, quand ils ont appris que leur fils aîné, qui a tout juste l’âge d’Henriette, était malade, très malade dans son Collège, d’une fluxion de poitrine mêlée d’accès de fièvre typhoïde. Ils sont accourus à Paris la mort dans l'âme. Ils ont trouvé leur fils hors de danger et à présent il va très bien. Quand je les ai sus à Paris, je les ai engagés à venir passer quelques jours ici avec l'enfant rétabli qui aurait sans doute besoin de la campagne. Ils font mieux que cela ; ils l’emmènent en Languedoc, où ils retournent jusqu'à la session. M. de Rémusat veut se trouver à Toulouse au passage de M. le Duc d'Orléans.
Il y a vraiment quelque tentative d'accommodement en Espagne. La situation de D. Carlos devient toujours plus mauvaise. Celle de la reine Christine pas meilleure. Marote a été assez féroce pour avoir le droit d'être un peu complaisant. Les oscaltados qui reviennent en majorité dans les Cortes témoignent quelque envie d’essayer de la faiblesse après la folie. L’Angleterre s’ennuie d’entretenir, un désordre d’où elle n’a pas même pu tiré un traité de commerce. On essaiera peut-être là aussi d’une conférence.

9 heures
Au nom de Dieu, que vos nerfs se reposent ! Je ne puis vous dire le chagrin qu'ils me font. Que sert de vous le dire ? C'est ma prétention de n'avoir plus besoin de vous dire combien je vous aime. Ai-je tort ? Plaisir oui, grand plaisir. Besoin non, plus du tout. Rouen vaudra certainement mieux que Dieppe. C'est plus près. Mais vous ne pouvez pas prendre de bains de mer à Rouen. J’apprends à l’instant même que M. de Metternich est fort malade, dangereusement me dit-on, vous le savez sans doute. Cela n'aiderait pas aux affaires d'Orient. Adieu Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
251. Paris lundi 26 août 1839 midi

C’est tout ce que je peux faire que de vous écrire deux mots. Jamais je ne me suis sentie si faible. Je ne sais que faire. Je me repose, je me repose beaucoup au point de n’avoir voulu voir encore personne. Et bien, je me sens plus mal. Je ne dors pas. Mes jambes me manquent. Ma tête s'en va. J’attendrai, avec impatience votre réponse à ma lettre d'hier. Je veux faire ce que vous voulez. Voulez-vous que nous nous voyions à Rouen, il me semble que c’est près de chez vous. Je ne veux rien moi qu’être un peu tranquille et vous voir. Si vous saviez quelle pauvreté que mes nerfs. Le médecin croit que la mer les remettra. Mais que de conditions il faut pour cela ! Il faut trouver quelqu'un qui m’accompagne. Il faut que là je trouve quelque ressource. Car seul vous savez bien que pour moi c’est mourir.
Et l’Orient, quelle bagarre ! Et le ministère Anglais quelle pauvre. situation ! Il me semble que tout le monde est malade comme moi. Adieu. Adieu. N'ayez pas de rhumatisme et ayez toujours pour moi la même affection, la même. Adieu. Adieu.
Lord Beauvale m'écrit de Vienne. "Je suis retenu ici pour ces affaires turques où nous ne ferons pas grand bien. L’avantage d'être cinq est d'empêcher les grosses sottises, mais pour faire quelque chose de bon s’est une machine trop compliquée. Il y a toujours des roues qui tournent en sens contraire. Comment voulez-vous que cela marche ? "

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
255 Paris, Vendredi 30 août 1839

Voici votre n° 258 qui me dérange ou qui m’arrange, je ne sais pas bien lequel. Vous venez mardi. C’est charmant. Mais je voulais. partir mardi c’est contrariant. Et bien je reste, je vous verrai ce jour-là à Paris au lieu de vous voir à Rouen. Le reste nous le combinerons, car j'espère bien que ce n’est pas pour m’échapper que vous venez ?
M. Molé est venu hier un moment, il reviendra aujourd'hui il a eu 10 jours de fièvre. J’ai vu maintenant toute la diplomatie. Elle attend votre réponse à la demande de l'Angleterre d'employer la force contre le Pacha. Nous verrons. Le Prince Metternich a eu la tête embarrassée pendant huit jours, c’est sa femme elle même qui l'écrit. Il est très faible, on ne veut pas qu'il s'occupe. le moment est bien choisi pour rester désœuvré ! On me dit que mon fils aîné a donné sa démission. Je n’ai pas de nouvelles de Pétersbourg. Adieu, adieu.
Vous ne dites pas si je dois encore vous écrire. Savez-vous que personne valait mieux, personne n’aurait parlé, mais vous avez décidé autrement, et je me range. Adieu. Je veux que vous sachiez comment vous me trouverez et pour cela voici comme on me trouve maigrie, hâlée, et l’air faible. préparez votre imagination à tout cela, et n'ayez par l’air trop étonné. Certainement je suis mieux car je ne me suis pas en train de mourir comme à Baden. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
259 Du Val-Richer, vendredi 29 août 1839, 7 heures

Raisonnablement, j’aime mieux que vous restiez à Paris. Cela est plus commode. Je regretterai pourtant la solitude de Dieppe. Il n'y a pas moyen d'accorder tous ses désirs. Mon projet est d’aller dîner lundi à Evreux avec le Duc de Broglie. J'en repartirai dans la nuit et je serai à Paris mardi matin. J'espère que cela ne contrariera pas vos arrangements. Nous chercherons ensemble une maison. Génie m'en indique trois qu’il a visitées. Deux ne me paraissent rien valoir. L’une rue de Grenelle très près de Mad. de Talleyrand en face du passage Ste Marie, dans une maison de Mad. de La Rochejacquelein au rez-de-chaussée avec un jardin, 6000 fr. La vieille Duchesse de La Force demeure au premier. L'autre, rue de Varennes, près de la rue du Bac. C’est un hôtel [?], beaucoup trop loin. 11 000 francs. La troisième me semble meilleure, rue St Dominique entre la rue Belle-Chasse et l’hôtel du Consul d'Etat, presque en face des Brignole. Elle appartient au comte de Schulenbourg. 10 000 francs. Une belle cour des communs assez bien disposée. Un rez-de-chaussée seulement. Deux salons une salle à manger, une salle de billard, quatre chambres à coucher, des dépendances suffisantes. Un petit jardin de forme irrégulière et pas gracieuse resseré entre le Jardin du Conseit d'Etat et celui de Pozzo. Voici l'objection. C’est au Nord. Mais vous devriez le voir.
Le Pacha a bien raison de refuser. Vous voyez que déjà on n'avoue pas la proposition. Si j'étais de ses amis, je lui conseillerais ce qu’il a imaginé lui-même maintenir et attendre. L’Angleterre a une bien petite politique.

9 h. 1/2 Je vais décidément dîner à Evreux lundi. Si vous deviez être mardi à Rouen, ou à Dieppe, j’irais d’Evreux vous chercher là. Mais si vous êtes encore à Paris mardi j’y serai, moi, dans la journée de mardi et là nous verrons. Cela me paraît l’arrangement le moins compliqué. En tout cas je recevrai encore votre réponse à ceci, et même à ce que je vous écrivais demain car je ne passerai Lundi matin, à Lisieux qu’après l’arrivée de la poste. Adieu. Adieu. Il y a mille à parier contre un, contre la guerre.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
256 Paris, Samedi le 1er août 1839

Mardi donc, et ici. Que je suis réjouie de vous voir ! Le savez-vous bien ? J'ai causé longuement avec M. Molé hier. Il trouve tout ce qui se passe pitoyable, et ne conçoit rien à la politique qu'on suit à l’égard de l’Orient, se traîner à la remorque de l'Angleterre ! Il a vu le Roi il y a 15 jours qui lui a fait de grands éloges de ses ministres, des capacités du Maréchal pour les Affaires Etrangères. M. Molé l’a félicité de sa satisfaction et il a trouvé drôle que ce soit à lui que le roi dise tout cela car il les a fait entendre même, qu’il n’avait jamais vu des Ministres qui lui convinssent autant. Chacun d'eux est jaloux de lui plaire, et de de lui faire tous les petits plaisirs possibles ! Appony. Brignoles, Médem, Bulwer. Voilà ce que je vois.
Avez-vous du mal à me dire du N° 61 rue de Lille occupé longtemps par Mme de St Priest ? C’est juste derrière le grand palais du quai d'Orsay. Je trouve cette maison complète. Tout juste ce qui me faut. Je cherche ses défauts parce que je ne veux rien conclure légèrement. On me dit qu'anciennement Madame de Boigne habitait ce rez de chaussée. Il est très convenable, vous viendrez me décider.
Le temps est triste aujourd’hui et je ne suis pas encore à mardi, ce qui fait que je ne suis pas gaie. Mad. de Mentzingen me quitte demain j'en suis très fâchée. Je n’ai rencontré personne que puisse me convenir aussi bien qu’elle. Adieu. Adieu. Vous voulez que je vous écrive encore demain. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
268 Paris Samedi le 21 septembre 1839,

Je sors tous les soirs malgré la pluie que voulez-vous que je devienne ? Je tue le temps faute de pouvoir l’employer. La femme la plus sotte ne mène une existence plus bête que la mienne. Les journées deviennent bien courtes. La causerie serait si bonne, si douce quand le jour disparaît. Et vous êtes au Val-Richer et moi seule, seule, seule ici. J'ai vu Armin hier au soir chez lui. C'est un ami de désespoir qui m’a pris. Je l’ai trouvé seul bien établi et bien étonné de ma visite. L'étonnement l’a rendu bavard.
L’affaire d’Orient n’offre plus de danger. L'Angleterre s’entend avec nous. Il n’y a que la France qui soit en bravades, sans doute pour les députés. Aussi n’y fait-on pas grande attention voilà à ce qu'il me semble la situation du moment.
M. de Jennisson ne se presse pas de me faire place. Il a cependant remis son bail à Démion. Moi je suis pressée de sortir d'ici d’autant plus qu'on m'en chasse. Il y a des gens qui me disent qu'il faut me hâter. de signer et de conclure avec M. Démion sans cela, s'il trouve 60 francs au dessus de 12 mille je perds l’appartement. Je vais faire cela aujourd’hui.
Je n’ai rien de mon fils, rien de mon frère. Soyez sûr qu'on ne prendra. pas la peine de m'informer de mes affaires. Génie dit que le Val-Richer est bien humide ; cela va mal à votre rhume. Et comment rester tard dans l’année dans un lieu humide ? Songez à cela, si non pour vous, pour vos enfants, votre mère. Adieu. Adieu, continuez-vous à recevoir des lettres de M. Duchâtel ? Vous ne me dites pas une pauvre nouvelle. Il me semble que vous vivez à Kostromé. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
267 Paris, Vendredi le 20 septembre 1839
9 heures

J’ai vu Bulwer et madame Appony hier matin, et Pozzo le soir. Il était infiniment mieux que je ne l'avais vu depuis mon retour. Bulwer travaille à mes histoire de M. Carming. Il me demande quelques matériaux ; je n'ai rien, ou plutôt j'ai beaucoup, beaucoup dans ma mémoire et un peu dans un cahier, mais je ne les lui livrerai pas. Il n'avait point de nouvelle.
La cour va le 25 à Fontainebleau. Il y aura des invitations. Le Roi des Pays-Bas épouse de la main gauche une chanoinesse Melle d'Outremont. Ces rois sont drôles. Je connais cette dame elle ressemble un peu à la Duchesse de Poix. Elle a un peu plus de cinquante ans.
1 heure. Appony sort de chez moi, mais il ne m'apprends rien de nouveau. On dit que nous nous rapprochons de l'Angleterre et que l'Angleterre propose de retirer le gros de sa flotte, & de en laisser qu’un ou deux vaisseaux aux Dardanelles. Peu ou beaucoup me parait la même chose Adieu, adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
269 Paris, Dimanche 22 septembre 1839
10 heures

Bulwer est venu hier pendant mon dîné me porter une lettre qu'il venait de recevoir de Cuming et une incluse de Paul à celui-ci traitant toutes deux du capital à Londres. Paul charge Cumming de prendre toutes les mesures légales pour me pour suivre au cas que je lève le capital avant son arrivée et que je retire les fonds. Cuming parait être dans la plus horrible perplexité. Il renouvelle la prière que je donne à Paul mes pleins pouvoirs ! Jugez si j’irai les donner après cette insolence. J’ai très simplement répondu à Bulwer que je viens de demander les lettres of administration pour qu’au retour de mes fils il n'y ait pas de temps de perdu et que je puisse leur faire tout de suite la remise de leurs parts et que ce sera mon banquier à Londres que je chargerai de la leur remettre. A cette occasion Bulwer m’a écrit qu'il avait eu des Affaires d’argent avec Paul et que sans douter le moins du monde de son honneur, il devait convenir qu’il n'avait jamais rencontré personne qui traitât en matière d’argent d'une si étrange façon que lui, et qu’il prendrai soin de n’en avoir jamais avec lui. Vous devinez que toute cette discussion m’a fait un effet mauvais comme santé, et que je n’ai pas dormi la nuit. Ma sœur qui a dû assister au partage du mobilier me mande dans une lettre indéchiffrable que je n’aurai pas de vaisselle !
Mon fils Alexandre m'écrit en date du 7 qu'il se rendait avec son frère chez mon frère pour une dizaine de jours. Qu'à son retour ils feraient leurs préparatifs de départ. Leurs oncles, les frères de mon mari ont procédé à l’enterrement en Courlande sans attendre ses fils & sans leur en donner avis ! Quelle famille ! Vous savez maintenant toutes les agréables nouvelles que j'ai eues hier. Je vous enverrai la lettre de ma sœur après avoir encore essayé de la lire, je ne crois pas que vous y parveniez. Savez-vous ce qui m'arrive au milieu d’un peu de colère, c’est de rire, vraiment rire de la manière dont tout se passe. Voici la lettre de ma sœur, vous rirez sans doute aussi. Je reçois dans ce moment une réponse de Berkhausen dans laquelle il me demande de lui envoyer les noms, prénoms, & titres du Prince de Lieven, date de son décès. Mes noms, prénoms & titres, et ajoute : " aussi tôt que votre altesse m’aura fourni ces renseignements je me procurerai les lettres d’administration en question que j’aurai l’honneur de lui adresser, pour qu’elle veuille bien y apposer sa signature et au moyen de ce document M. le Prince de Benckendorff qui se trouve déjà muni des pleins pouvoirs de votre altesse pourra toucher par l’entremise d’un fondé de pouvoir le montant des fonds laissés par le feu Prince de Lieven entre les mains de M. Harmann et C°."
Dites-moi ce que cela veut dire, pour quoi faudra-t-il que j'envoie cela à mon frère ? Je m'imagine que cela vient de la lettre de Paul, que Cuming mande à Bulwer qu'il avait montre à Berkhausen. Vous savez que mon frère est fort bien pour Paul et que celui-ci se croit à tout événement en meilleures mains chez mon frère que chez moi. Conseillez-moi, que faut-il que je fasse ? Ce tour du monde me parait parfaitement puéril, mon frère m’ayant dit surtout, " qu'à l’égard du capital j’aurai à m’entendre avec Paul ". Je crois que vous avez copie de cette lettre Ah, quand serai-je sortie de toutes ces horreurs ?
Madame de Talleryand est arrivée. Je la verrai ce soir. Il est parfaitement certain que nous sommes fort rapprochés de l'Angleterre. et que cela s’est opéré par suite de votre refroidissement avec elle. Nous boudons ceci, et on laisse M. de Médem, sans la moindre instruction et sans la moindre réponse nous donnons raison à l'Angleterre dans son hostilité contre l’Egypte. Les positions ont essuyé un change ment notable. Ce qui ressort le plus évidemment de tout cela c'est le maintien de la paix. Tant mieux votre lettre est bien courte, mais vous ne toussez pas, j'en suis bien aise. Encore une fois il fait bien humide au Val-Richer. Je ferai votre commission à Bulwer pour Lord Chatham. Adieu. Adieu, mille fois.
Renvoyez-moi le chef d’oeuvre de ma sœur. Nous avons appris à écrire ensemble. Son éducation a duré deux aux de plus que la mienne. C'est pourtant une très bonne femme, & qui a plus d’esprit que moi, c’est ce que j’ai toujours entendu dire.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
273 Du Val-Richer, Dimanche 22 Sept 1839 7 heures

Je viens à vous en me levant. Quand j'ai du monde, je ne dispose pas de ma soirée. Elle n'est pas amusante, savez-vous à quelle condition on supporte le commun des hommes ? à condition d'avoir quelque chose à en faire. Quand on les emploie, quand on va a un but à la bonne heure ; le but anime la route, l'utilité enfante l’intérêt. Mais le vulgaire pour rien, pour s’en amuser, et pour l'amuser ! C’est bien lourd.
J’ai là sous les yeux quelque chose de bien lourd aussi ; un jeune ménage, marié depuis deux mois, une jeune femme de 19 ans, ni laide, ni jolie, ni spirituelle, ni bête, ni glacée, ni animée, parfaitement insignifiante, ordinaire, une jeune femme, rien de moins, rien de plus. Comment se marie-t-on à cela ? Le vulgaire en passant dans un salon, c’est beaucoup ; mais le vulgaire dans l’intimité, pour toujours ! Je n'ai jamais compris qu’on s'y résignât. J’aurais été à ce compte, un bien mauvais mari.
Le Roi des Pays-Bas sera-t-il un bon mari pour Melle d’Outremont ? Il me semble qu’il était, pour la première, assez dur et peu fidèle. celle-ci aura, je pense, les infidélités de moins à subir. Je crois, comme vous, que dans la disposition de tout le monde, peu ou beaucoup de vaisseaux aux Dardanelles, c'est fort la même chose. Pourquoi ne se le dit-on pas, comme nous le disons ? Mais il faut être prêt les uns contre les autres, même quand on marche ensemble. Que sait-on ? Le hasard !
Voici ce que m'écrit hier un ministre. " Le Rois, m’a parlé hier de vous, fortement avec un vif désir de votre appui, et un sentiment très profond de tout ce que vous êtes. Pour moi, mon cher ami, qui n’ai qu'une petite responsabilité & un médiocre souci de moi-même, l’honneur sauf, je n’en attends pas moins la session avec une grave anxiété. L'affaire d’Espagne est un accident heureux et un mérite. Mais la Turquie nous reste avec tous ses hasards ; et il me semble cependant qu'avec cette intention de paix qui est générale et que doit partager un souverain prudent et conséquent, tout absolu qu’il est, une ambassade habile et active serait d’un poids immense, et pourrait prévenir ce qui deviendra peut-être inévitable, sans que personne le veuille, mais parce que personne ne saurait le détourner à temps. Je suis un faible politique, mais je n'ai pas une autre pensée que celle-là dans le temps actuel. "
Vous voyez qu’on a toujours bien envie, de m'avoir et de m'éloigner. On ne fera ni l’un ni l’autre. Lisez, dans le dernier cahier de la Revue des deux mondes (15 septembre) un long article sur le Duc de Wellington, à l'occasion de ses dépêches. Il vous intéressera. C’est un assez curieux spectacle que ce vent d’impartialité qui souffle sur nous et nous fait rendre justice contre le sentiment populaire si cela s'accorde jamais avec un fort esprit national, ce sera très beau.
C’est Pascal, je crois, qui dit : " je n'estime point un homme qui possède une vertu, s’il ne possède en même temps et au même degré, la vertu contraire. " Il a raison. Mais c’est bien de l’exigence. A la vérité on n'obtient rien de bon des hommes qu'à force d’exigence.

9 heures et demie
C’est bien vrai que vos soirées et les miennes, vous chez Armin, moi avec mon jeune ménage, c’est absurde ! Et nous serions si bien ! Il n’y a point de nouvelles. Je vous dis tout ce qu’on m’écrit. On est fort occupé des émeutes du Mans de la réforme du Conseil d'Etat & Tout cela ne vous fait rien. Vous avez raison de bien finir l’affaire de l'entresol. Il n'y a point de sûreté avec ce monde là. Adieu. Adieu. Le plus long adieu possible. Il n'y a de long que ce qui est éternel. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
273 (par erreur cela devrait être 272) Paris Mercredi 25 Septembre 1839
10 heures.

M. Démion est venu hier me porter son bail avec M. Jennisson. Je l’ai gardé pour le faire lire à M. Génie qui m’a fait quelques observations. Demain, je signerai.
J’ai dîné hier chez Pozzo avec un peu de diplomatie et le Duc de Noailles. Le matin j’avais vu chez moi Armin, Brignoles, Lord de Manley, arrivé hier de Londres. Il est whig, frère de Lord Duncannon qui est dans le Cabinet. Il parle mal de la Reine, avec un peu de pitié du ministère. La Reine épousera le Coburg, c'est ce qu’on croit beaucoup en Angleterre. Je ne crois pas que j'aie un mot de nouvelles à vous dire. A propos, la lettre de ma sœur. Vous avez plus compris que moi, et dans ce que vous avez souligné, je devine sur la première page par rapport à l’argenterie, et sur la seconde, vous pouvez écrire au banquier. Voilà tout ce que je sais de plus que vous. Et vous savez au total beaucoup plus que moi.
On m’a raconté hier l'histoire de Paul venue par un voyageur russe de ses amis qui arrive de Pétersbourg. Elle est très grave et très extraordinaire. Il se trouvait sur une liste de promotions présentées par Nesselrode à l’Empereur. Nesselrode avait dit à Paul que cela se ferait que c’était juste, et qu’il lui en répondait. L’Empereur accepte tout, & raye de sa main impériale. Le nom de mon fils. Une heure après il donne sa démission de tout, diplomatie, chargé de cour. (Il était chambellan de l’Empereur.) Il a eu mille fois raison et je suis furieuse. Voilà donc comment l’Empereur se conduit envers la mère et envers le fils de l'homme qu'il appelait " son ami ".
1 heure Adieu. Je vais donc à Champlâtreux, je serai de retour ce soir à 10 heures. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
276. Du Val Richer, Mercredi 25 sept. 1839

Mes hôtes me quittent ce matin. J’en suis bien aise. J’aime mieux la solitude que l'ennui des hommes. D'ailleurs, je parle de solitude, bien à mon aise au milieu d’une famille nombreuse, et animée, et qui m’aime. C’est curieux à quel point on se laisse aller à se servir des mots complaisamment pour soi-même et sans prendre la peine de regarder, s’ils sont vraiment vrais.
Je me séparerai aussi cette semaine de Washington. Je vais finir. A regret. C’est une grande âme, et qui a fait bien simplement de grandes choses par de grands motifs. J’ai pris plaisir à vivre en intimité avec lui.
Voici ce que m'écrit de Londres un jeune Dillon, homme d’esprit établi en France par mes soins et qui est allé y passer quinze jours. Il connait bien du monde.
I have been several influential Whigs who are unonimous in regarding their cause as in the atmost peril. The Tories must get into office within a very short space of time. They have been gaining ground slowly but surely within the last twelve monthes. Tthe blunders of L. Palm and the excesses of the Chartists have frightened many among the moderate Whigs into the arms of the Tories. The great and indeed, the only support of the Ministry are the Irish party and the court ; but both are, as you know, far from popular en England. The affair of Lady Flora Hastings, has decidebly brought the Queen into great national disreporter. It is almost needless to speak of the detestation in which O'Connell, the priests and the entire Irish party are held by the great bulk of the English and scotch people. It is a sort of phrenzy, the like of which has not bien witnessed since the days of the League or the Paritans. Really, were it not for a few scattered rays of the philosophy of the 18th century that occasionnally illumine the intellectual gloom ot the British Empire we should witness today scenes that have not been surpassed even by the Inquisition. The fanaticism of the Tories is not one bit greater, than that of their antagonists, tre Papists. Both would burn, main and crucify, il they could, as in the old orthodox times of Bonner or of King Edward. The Tories have great advantage, on their side. They have wealth, talent and political organization. They are, if we forget for a moment, the crudity of some of their political tonets an admirable model as a political party. Still, although, they seem destined to enjoy a passing triumph soon, they will, I feel convinced, be ultimately discomfited. O'Connell is a knotty block. He yields to none of the Tories, in energy, and he has proved himself latterly te be an able statesman. As he is hardened against defeats, 80 he is not likely to be intimidated by that with which he is now menaced. His cause is a good one, and he has behind him seven or eight millions of miserable but resolute zenlots in whose hands the British Constitution has latterly placed a formidable and destructive weapon. O'Connell backed by these will always be able to elog and retard the working of the British constitution. The English people who are not disposed to drive Ireland into open insurrection, will at length grow tired with these and similar embarrassments. They will seek again to remove them by destroying their cause, and a tardy justice will at length be rendered to Ireland.
En voilà bien long. J’ai fini parce que j’avais commencé. Mais pour un jeune Irlandais, ce n'est pas mal de pénétration, et de sens. 9 h. 1/2 Je suis charmé que vous ayez enfin ce bail. Et si Jennison ne veut rien vendre, ce ne sera que mieux. Vous vous meublerez tout-à-fait à votre gré. Plus le Cabinet deviendra radical, plus les Torys acquerront de chances. Adieu. Adieu. Je n’ai pas de soleil aujourd'hui. Mais l'adieu est le même. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
271 Paris Mardi le 24 septembre 1839
9 heures

J’ai vu hier Madame de Talleyrand, que j’ai trouvé bien maigrie depuis que je ne l'avais vue à Bade. Elle a eu l’air étonnée d’apprendre par moi que le duc de Noailles était à Paris. Est-ce de la comédie ? Le petit Bulwer ne manque jamais de venir au moins tous les deux jours. C'est une bonne petite créature et fort intelligent. Ah, j'ai oublié de lui parler de Lord Chatham, pardon ; ce sera à la première visite. M. Démion est venu m'annonçait qu'aujourd'hui il m'apporterait le bail. Voilà un démenti aux mauvais pressentiments de M. de Pogenpohl. Je ne sais plus rien sur le mobilier de Jennisson. Il se ravise peut être et ne veut plus rien vendre Je suis toujours bien aise que les questions soient séparées. Il se sera passé quelque chose entre le propriétaire et le locataire que j'ignore et dont je n’ai pas à m'inquiéter. Démion dit que j'aurai l’appartement le 15 octobre. Nous verrons.
Lord Clarendon va entrer dans le Cabinet anglais, il sera privy seal. M. Maranley remplace Lord Howick à la guerre. Cela ajouté aux précédentes modifications donne une grande prépondérance au parti radical dans le ministère. 1 heure. M. Démion vient de m'apporter le bail de M. Jennisson. Je vais le donner à Génie pour qu'il le revoie avec attention, et puis je signerai.
Adieu, je suis bien aise du soleil, à cause de votre rhume, et puis un peu pour moi. Je vais demain dîner à Champlâtreux. Je reviens coucher ici. Je crois que cette petite course me fera du bien. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
275 Paris, vendredi le 27 Septembre. 1839

Je trouve singulier que vous vous obstiniez à tousser. Vous y êtes trop sujet. Il me semble, lorsque vous êtes en santé, que vous devriez vous laver le cou le matin avec de la glace, cela fortifie beaucoup. Si vous n’aimiez pas la glace mettez un peu de vinaigre dans de l’eau, tous ces conseils là sont bons. Mais dites-moi bien vite que vous êtes mieux, que vous êtes bien.
J’ai prié Génie de vous rendre compte de la mémorable scène d’hier avec M. Démion. Imaginez une scène, je crois même qu'il n’a pas été très poli pour moi. J’en avais une grande envie de rire. M. Génie a été d'une bonté parfaire pour moi, mais sa physionomie a singulièrement déplu à Démion. Le dénouement a été que j'ai emporté la clause de sous location et que j’ai fait abandon de toutes les autres que Génie avait en réserve. J'ai signé mais M. Démion n’est plus de mes amis et vraiment je ne sais pourquoi. Que le ciel me préserve d’affaires Je ne suis pas faite pour elles. Démion prétendait que personne ne se mêlât des miennes, que lui !
J'ai été dîner chez Mad. de Talleyrand, et de là chez Mad. Appony, où j’ai trouvé ma diplomatie, avec le petit Nesselrode fils du ministre. Brunnow lui a parlé de mes affaires et lui a dit que j’aurais 50 milles francs. Vous savez que je ne sais encore rien, il a un peu mal parlé de Paul pour ce qui me regarde. On trouve que M. de Brünnow a l'air d'un sot. C'est bien sa mine.
L’Empereur a envoyé de beaux cadeaux à la Reine comme reconnaissance de l’accueil qu’elle a fait à son fils. Le Duc de Wellington se pressait de retourner à Douvres pour m'y recevoir. Le Ministère Anglais est très satisfait de l’état des affaires partout. Même la mort de Runget-Sing ne l’incommode pas du tout. Les affaires d’Orient l’arrangeront. Voilà Lady Cowper. Les Diplomates ici ne me paraissent pas être de très bonne humeur.
Je verrai demain M. de Valcourt et je lui remettrai tout l’arrange ment de mon appartement. Il prendra à M. de Jennisson ce qu’il croira devoir me convenir. C’est le 15 octobre que j’entre dans la maison. Mais c’est du 1er que je paye. M. Démion dit que c'est l’usage. Adieu. Adieu. Guérissez-vous de votre rhume. Pourquoi ne vous prierait on pas à Fontainebleau ? Voilà une idée qui me vient tout à coup. Ah si cela était ! Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
280 Du Val Richer, samedi 28 sept 1839 5 heures

Je ne veux pas faire comme ces deux derniers jours, ne vous écrire que le matin quand je ne le puis plus. Je m'ennuie d'être si peu avec vous. Votre conversation me serait si agréable ! Je suis fatigué, mal à l'aise. Il faut que je me mette à la diète, car quand j’ai mangé, j’ai toujours plus de toux et d'oppression.
Pour une fois, Démion a raison. Quand on entre le 15, on paye à partir du 1er. Ayez en effet le moins d'affaires que vous pourrez. Vous n’y êtes. pas propre. J'attends toujours avec impatience que tout soit revenu de Pétersbourg, vraiment fini, signé. J’ai de tout votre monde, une défiance sans mesure. Les meilleurs sont si indifférents et si légers. C’est sitôt fait d'oublier. Ne trouvez-vous pas qu’il y a dans tous nos journaux un concert de modération pour l'Espagne. Ils semblent tous tremblants que les Cortes ne fassent quelque sottise. La Reine d’Espagne est bien puissante, en ce moment. Quelles vicissitudes !
Bolingbroke, qui venait de chasser du conseil de la Reine son rival le comte d'Oxford et d'être chassé lui même par les Whigs ses ennemis, écrivait à Swift : " Oxford a été renvoyé mardi ; la Reine est morte Dimanche. Quel monde est celui-ci, et comme la fortune se moque de nous ! " On l’oublie toujours.

8 heures
Je voudrais en avoir fini de la journée de demain. Quand je suis en bonne disposition, je m’arrange avec l'ennui ; je m’y prête et cela va. Mais il faut avoir sa voix, ses jambes ; il faut parler et marcher tant qu'on veut.
Est-ce sincèrement ou par diplomatie que Lady Cooper trouve toujours que tout va bien ? Il faut une foi aussi robuste que la vôtre de la mienne dans la bonne constitution de l'Angleterre pour n'être pas inquiet de ce mouvement continue et accéléré sur la pente radicale. Au fond, je ne le suis pas. Je crois toujours qu’on se ravisera & se ralliera à temps. Ce sera un bien grand honneur pour les gouvernements libres, car l’épreuve est forte. Si elle finit bien, il n’y aura pas eu dans le monde, depuis qu’il y a un monde, une plus belle histoire que celle de l’Angleterre depuis cinquante ans. Mais il ne suffit pas qu'elle se tire de là sans révolution. Il faut qu’elle garde un grand gouvernement. C'est là le point le plus difficile du problème.

Dimanche, 9 heures
Je me lève ayant très bien dormi, selon ma coutume, mais toussant toujours et avec de l'oppression. Je vais voir mon médecin qui me dira que c’est un rhume, qu’il faut me tenir chaudement et attendre. Et j'attendrai. Voilà le 276.
Il y a un mois que j’ai écrit à M. Duchâtel d’y bien regarder, que nous finirions par nous trouver seule, et vous avec tous les autres notamment avec l'Angleterre. Encore une des moqueries de la fortune.
Moi aussi, je voudrais bien causer avec vous. Il y aurait bien un troisième parti à prendre. Mais on ne le prendra pas. Vous avez agi habilement. Vous vous êtes faits les plus fermes champions de l’intégrité de l'Empire Ottoman, non plus à vous seuls, mais en commun avec tous ceux qui la voudraient comme vous. N'allant pas à Constantinople, personne n’ira, et vous restez toujours avec le droit d’y aller quand la Porte vous le demandera ! Cette affaire-ci se règle en dehors de vos habitudes. Vous avez plié devant la nécessité, mais sans changer de position. Vous pouvez vous redresser quand le jour viendra.
Adieu. Adieu. J’attends vingt personnes, et j'ai ma toilette à faire. Adieu G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
281 Du Val Richer. Lundi 30 sept. 1839 9 heures

Je me sens beaucoup mieux ce matin. C’est une singulière chose que la rapidité avec laquelle ce mal de gorge m’envahit s’établit, semble près de devenir une maladie et s'en va. Je suis persuadé qu’en y prenant un peu garde, dans trois ou quatre jours, il n’en sera plus question. Mais c’est bien décidément mon mal.
Je sais peut-être moins de détails que vous sur l'Orient. Quand les affaires ne vont pas à leur satisfaction, ils m'en instruisent plus laconiquement surtout quand l’événement confirme mes avis. J’ai reçu cependant ces jours-ci deux lettres qui sont d'accord avec ce que vous me dites. Mais vous aussi vous êtes trop loin. Deux heures de conversation toutes les semaines nous seraient bien nécessaires. A vous dire vrai, je ne me préoccupe pas beaucoup de cette affaire là quant à présent. Deux choses seules m'importent ; la paix pour le moment, le fond de la question pour l'avenir ; la paix ne sera pas troublée, ni la question au fond résolue. Je tiens l’un et l’autre pour certain. Il ne sortira de tout ceci qu’un ajournement pacifique. Que l’ajournement soit plus ou moins digne, plus ou moins habile, qu’il en résulte plus ou moins de gloire pour les manipulateurs, il m'importe assez peu. Je ne m'étonne pas que Mad. de Castellane vous choque. Elle n'a point de mesure dans la flatterie. Là est la limite de son esprit et le côté subalterne de sa nature. Du reste, rien n'est plus rare aujourd'hui parmi nous que le tact des limites. En toutes choses, nous sommes toujours en deçà ou au delà. C’est le défaut des sociétés renouvelées par les révolutions ; il reste longtemps dans leurs mœurs quelque chose d’informe et de gros, je ne veux pas dire grossier. Il n'y a de fini et d'achevé que ce qui a duré ; ou ce que Dieu lui-même a pris la peine de faire parfait. Mais il ne prend jamais cette peine là pour les peuples.
Voilà votre N°277 et en même temps des détails sur l’orient qui m’arrivent très circonstanciés trop pour la distance où nous sommes.
Vous menez bien votre barque. Vous travaillez à vendre le plus cher possible l'abandon, c’est-à-dire le non renouvellement du traite d'Unkiar-Skelessy. Vous avez tout un plan, dans lequel tout le monde, a son poste assigné contre Méhémet Je ne crois pas à l’exécution. C’est trop artistement arrangé. Je ne suis point invité à Fontainebleau. Je ne sais pas si je le serai. Je suis bien loin. On le sait officiellement. Pour peu qu’on trouve d'embarras à m'inviter moi, et non pas, tel autre, on a prétexte pour s’en dispenser. Adieu. Adieu. Moi aussi, j’attends l'hiver. Je vous en réponds. A propos, je ne sais de quoi, je ferai comme vous avez fait quand j’ai oublié votre commission auprès de Berryer. J’attendrai que je voie Bulwer pour lui demander moi-même des renseignements sur Lord Chatam.
Adieu, quand-même. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
282 Du Val Richer, Lundi soir 30 sept. 1839 8 heures et demie

Il n’est bruit que de la nouvelle coalition, votre Empereur, Palmerston et les radicaux. Aurait-elle la majorité à Londres ? On en doute fort. Palmerston trouvant bon que vous entriez, vous dans le Bosphore et l'Asie mineure, tandis qu'il ira lui sans nous à Alexandrie, cela sera-t-il bien reçu du Parlement ? On croit que cela ne s’y présentera pas. Même avec le correctif d'un corps d’armée Autrichien pour faire le siège de St Jean d’Acre, où il n’ira pas. Tout cela a un peu l’air des mille et une nuits. Il n’y a guère, dans chaque affaire, qu’une ou deux grandes politiques. Quand on n'en veut pas, on tombe dans les politiques petites et arbitraires. De celles-là, il y en a mille.
En attendant, vous parait-il vrai, comme on me le dit, que le Cabinet anglais est plus sérieusement menacé que jamais ? On l'a dit si souvent que cela finira pas arriver sans que je le croie. Voilà Zéa décidément rentré en scène. Si les Cortes dont dissoutes comme tout l’annonce, un parti bien voisin de lui dominera dans les nouvelles. J’en suis bien aise, même politique à part. Je lui souhaite du contentement. Je ne sais pourquoi le bruit se répand dans notre Province que Don Carlos doit y venir habiter et qu’on y cherche un château pour lui. Ce qu’il y a de sûr c’est qu’on a fait visiter deux grands châteaux à peu près abandonnés, et très convenables pour un Prince abandonné.
N’allez pas vous ruiner en curiosités. Quand vous aurez vos affaires signées, vous ferez tout ce qui vous plaira. Je n’ai de ma vie été si méfiant.

Mardi, 8 heures 1/2
Avez-vous décidément adopté la bibliothèque de l'entresol pour votre chambre à coucher ? Je suis bien impatient de vous voir là. Où seront nos habitudes? Vous trouverez votre maison peuplée. Jaubert est arrivé ; fort peu préoccupé de la politique de l'Orient, à ce qu'on me dit ; il n'y a pas moyen d’en rien tirer à ce sujet. Ce n'est pas du tout un esprit de politique étrangère. Il a rapporté de Constantinople une grande préoccupation des conspirations de l’extrême gauche. Elles continuent de plus en plus basses, comme on dit les eaux sont basses. Singulière société qui ne veut ni du haut, ni du bas, ni du soleil, ni de la boue ! Comment viendra-t-elle à bout de s'organiser et de suffire à ses affaires ? Je ne pense pas à autre chose, en fait de choses, depuis deux mois que je vis en Amérique.

9 heures et demie
J’attends mon médecin aujourd'hui. Je voudrais bien qu’il fût de votre avis qu’il en fût positivement. Quoique ce qu’on appelle la raison me dise que j’ai tort de désirer cela. Je suis désolé du mariage de votre femme de chambre. Mad. de Mentzingen ne pourrait-elle vous envoyer sa pareille ? Vous avez confiance aux allemandes. Il vous faut une femme de chambre qui vous convienne beaucoup, et vous plaise un peu. La petite lectrice que Génie vous a donnée vous convient-elle, dans son état, et vous en servez-vous ? Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
279 Paris Mardi 1er octobre 1839,

Je viens d'écrire un mot à Bulwer pour lui demander ce que vous voulez au sujet de Lord Chatham. J'ai sur le cœur votre rancune, car il y en a beaucoup dans les derniers mots de votre lettre. J’ai passé ma matinée hier à l'entresol avec M. de Pogenpohl, & M. de Valcourt. Il ne me donnera que demain ses idées sur ce que je dois prendre ou laisser. comme tout est long ! Je crois que je me laisserai, entraîner a beaucoup de dépenses ; si vous étiez ici vous m'arrêteriez.
J'ai été le soir chez Madame Appony. Je les ai trouvés seuls et évidemment de mauvaise humeur, ce qui a fait que pour commencer je n’ai rien pu apprendre ; si non le nombre des convives, la promenade & & et tout cela m’intéressait fort peu avec un peu de patience et quelque petites paroles provocantes, je suis parvenue à savoir, que le Roi est excessivement blessé de la conduite de l’Empereur, et furieux contre l'Angleterre. Nous n’avons pas encore dit un mot à la France, c'est un dédain qu’on supporte malaisé ment. Quant à l'Angleterre ce changement subit semble de la plus insigne mauvaise foi. Au surplus personne ne sait encore se l'expliquer. On attend des éclaircissements : on espère encore que la majorité du conseil anglais opposera à la volonté de Lord Palmerston. Quand à celui-ci il est à nous tout-à-fait. Quelle drôle de chose ! Appony, comme je viens de vous le dire est de bien mauvaise humeur et même un peu aigre pour nous. d’abord. C’est qu'on ne nous aime pas et que ce triomphe politique donne à notre diplomatie un lettre qui choque. Et puis, et je sais cela par expérience, un diplomate ne peut pas se défendre d’un peu de partialité pour la cour auprès de laquelle il réside, surtout s'il y est bien traité comme l’est Appony dans la circonstance présente, l'Autriche sera appelée à tempérer un peu le mauvais vouloir de la Russie & de l'Angleterre contre la France, mais au fond Metternich sera fort aise de notre rapprochement avec Londres. Je crois que j'ai deviné votre troisième parti. C’est ne rien faire. On m’y parait assez disposé ici. C’est plus sûr ; ce n’est pas bien grand ! Ah que les choses auraient pu être mieux menés avec d’autres diplomates que ceux que vous employez à l’étranger.
Vous voyez bien que je vous dis à peu près rien. J’aurais tant de choses à vous dire de près. Savez-vous ce qui me chagrine c’est que si nos relations restent aussi aigres qu’elles le sont dan ce moment, Pahlen ne reviendra pas, & que Médem se prolongera ici indéfiniment. Or, pour moi, j'aime bien mieux Pahlen que Médem. Je suis charmée de ce que vous me dites de votre santé aujourd’hui et cependant je persiste à croire que vous habitez un lieu qui ne vous vaut rien parce qu'il est trop entoure de bois, trop humide. Je sais indirectement, que mes fils seront à Londres dans quinze jours ou trois semaines au plus, que Paul y passera l’hiver, et qu’il retourne en Russie au printemps prochain. Alexandre pourra être à Paris vers le 1er Novembre. Avez-vous lu l’ordre du jour de l’Empereur à Borodino ? On est prodigieusement blessé ici. En général tenez pour certain qu'on est de bien mauvaise humeur. Le Roi restera à Fontainebleau assez de temps encore. Après il retournera à St Cloud et ne prendra ses quartiers d’hiver que le 1 Novembre. Les enfants d’Espagne vont à Fontainebleau aujourd'hui pour y rester huit jours. Le maréchal ne revient ici que dimanche. La diplomatie reste donc en vacances. Adieu. Adieu. Au revoir. Je ne sais pourquoi ce mot se trouve là. Il a coulé de ma plume sans ma volonté.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
283 Du Val-Richer, mardi soir 1 octobre 1839 8 heures

Mon médecin me trouve bien. Il a examiné avec grand soin l'état de ma poitrine. Il n’y a rien. C’est un rhume, qui tient bien à une mauvaise disposition des bronches. (c'est le mot savant ) et qu’il faut soigner, mais qui n’a rien du tout de grave. Il pense comme vous, que l’humidité ne me vaut rien et que je ferai bien de ne pas rester ici trop tard. Ma maison n'a pas l'ombre d'humidité ; mais l'atmosphère en a beaucoup, rien n’est plus sûr. Il va passer ici deux jours et me regardera bien. Je me sens beaucoup mieux. J’ai peu toussé aujourd'hui. L’appétit, qui m’avait quitté, me revient.
Pourquoi ne voulez-vous pas que je pense à votre intérêt ? Est ce que ce n’est pas le mien ? Je ne puis m’y donner tout entier à mon regret infini ; mais tout ce que j’y puis donner, j'en jouis autant que vous. D'ailleurs, je ne veux pas arriver enrhumé à la session. Je vais m’arranger en conséquence. Je ne puis vous en dire davantage aujourd'hui. Je tiens trop à la vérité avec vous à la vérité précise. Mais vous pouvez vous fier à moi.
Il y a des gens d’esprit qui ont pensé au troisième parti dont je vous parlais. Ils disent que la coalition de l'Empereur et de Lord Palmerston est très facile à condition que Méhémet ne se défendra pas, car s'il se défend, et fait marcher son fils sur Constantinople jamais Lord Palmerston ne fera trouver bon à l'Angleterre que les Russes soient appelés pour l'arrêter. Du reste le peuple de Paris même celui qui pense à quelque chose, pense bien peu, me dit-on, à l'Orient et au cabinet.
La grande préoccupation, c’est la perspective d’un mauvais hiver, la cherté, la disette, la Banque de Londres chancelante. On dit que la saison vous a maltraités aussi, et que la Russie méridionale est menacée d’une grande disette.
Charlotte me revient à l'esprit. Voulez-vous que je fasse chercher une femme de chambre de Suisse ? Mad. Delessert en a toujours sous la main. Je suis entouré d’un monde très protestant, très pieux, et qui, sous ce rapport là, ne vous donnerait rien que de bon. Ce bon Génie est fort troublé de me craindre malade. Il m'écrit que si je le suis, il viendra s'établir au Val-Richer. Mon médecin lui a écrit ce matin même pour le rassurer.

Mercredi, 9 heures
J’ai très bien dormi. Le sentiment de chaleur et de fatigue que j’avais dans la gorge et la poitrine disparaît dans trois ou quatre jours, il ne restera rien du mal que la nécessité de prévenir ce qui pourrait en amener le retour. Savez-vous si Mad. de Boigne est de retour à Paris, et sinon où elle est ?

9 h. 1/2
Je n’ai pas la moindre rancune de votre oubli de Lord Chatam. J'en avais une vieille à cause de la vôtre pour mon oubli de Berryer. Je me la suis passée dans cette occasion-ci. Et elle est passée. Mon troisième parti vous voyez n’était par aussi terne que celui que vous avez imaginé. Du reste vos présomptions sont justes ; on a beaucoup d'humeur et on espère que les collègues de Lord Palmerston ne seront pas tous de son avis. Adieu. Adieu. Oui au revoir.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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289 Du Val Richer, Mardi soir 15 0ct 1839 9 heures

Prenez-vous quelque intérêt à la querelle du Roi de Prusse avec ses sujets catholiques. Je soupçonne l’archevêque de Posen de s'être enfui pour être repris, et pour attiser un peu le feu que le Gouvernement Prussien essayait de calmer. Rome est encore avec les états protestants comme les Princes légitimes avec les sujets rebelles. Ils se croient tout permis et ne se tiennent jamais pour obligés à rien. Et cette perfidie arrogante les perd plus que toute autre cause. On finit par se persuader qu’il n'y a pour en finir avec eux, d'autre moyen que la force et l'extermination. Je ne sais ce que vous aura dit Lord Granville ; mais malgré son aigreur, le Morming Chronicle a bien envie qu’on ne se sépare pas de nous. Je parie toujours que l'affaire s'arrangera du consentement de tout le monde. On veut bien se bouder, se taquiner ; mais personne ne veut se brouiller avec personne.
Dit-on les nouvelles propositions de l'Angleterre comme on me les a dites, la moitié de la Syrie au Pacha, sauf St Jean d’Acre et en cas de besoin, toutes les flottes ensemble à Constantinople ?
Quand vous aurez le Lord Chatam, dites-moi ce que vous pensez de ce caractère-là. J’aime bien mieux votre impression que le livre, que je lirai pourtant à mon retour.
Il me vient des nouvelles de Thiers, toujours plus aigre contre MM. Passy et Dulaure, et de plus en plus embarrassé de la Réforme électorale. Si les affaires d'Orient s’arrangent, il sera en effet fort embarrassé, car il n’y aura point de champ de bataille au dehors ; il faudra en chercher un au dedans, et il n’aime pas, ceux-là.
Du reste plus militaire que jamais ; la tête lui tourne des guerres impériales ; il ne parle que de l’armée de la triste condition de l’armée du peu qu’on fait pour elle qui est pourtant le seul appui du pouvoir. A Lille, il assiste à toutes les revues, et passe sa vie avec les officiers de la garnison. Sa femme est de nouveau fort malade.

Mercredi, 8 heures
Quand vous verrez Tscham soyez assez bonne pour lui demander si M. Eynard et M. Naville de Châteauvieux sont à Genève en ce moment. Il doit le savoir. Hier, je n’ai pas mis le nez hors de la maison. Il a pli tout le jour. Ce matin il fait le plus beau soleil du monde. Beau sans chaleur, ce qui n’est jamais qu'une demi-beauté. La lumière ne suffit. pas ; il faut le feu. Il me semble que ma toux s’en va tout à fait. Mais je sens bien que l’humidité me la rendrait. Il me déplaît que vous vous soyez établie sans moi rue St Florentin. J’aurais voulu assister au début, et le partager. Vous trouvez-vous bien ? Je regarde avec plaisir ce soleil qui brille sur vous. De qui vous vient le maître d’hôtel que vous avez pris ?

9 heures et demie
J'ai besoin de relire la note de Bruxner pour la bien comprendre et vous l'expliquer. Ce n’est pas trop de notre esprit à tous deux. A demain les affaires. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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286 Paris Mardi 15 octobre 1839

Je suis bien aise de vous savoir arrivé. Il pleut. Il doit faire bien humide au Val-Richer. Voici copie exacte de la lettre de Bruxner, reçue dans ce moment. Expliquez la moi, je ne la comprends pas. Le fait est que je ne comprends rien en fait d’argent.
Hier Bulwer, Zéa, Appony Brünnow le matin. Et puis des courses d'affaires c'est-à-dire de meubles. Après le dîné chez Mad. Appony dans mon lit de bonne heure, je ne me sens pas bien. Je crois que je suis fatiguée, je le serai un peu plus encore aujourd’hui, car je déménage.
J’attends M. de Valcourt qui va prendre possession du mobilier, et puis j’y passerai moi-même. ma matinée se passera à cela.
Je dînerai chez les Appony, si je suis encore capable de sortir. Adieu, Adieu. Je crois que vous vous trompez tous ici. Et que la Russie et l'Angleterre s’entendent. En général je vous trouve ici mal informés. Lord Lansdown est à Vienne ! Vous vous souvenez que j’ai disputé sur cela avec vous. Adieu. Adieu, mille fois.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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291 Du Val-Richer, Jeudi soir 17 oct 1839 9 heures

Je me suis promené hier longtemps. Le temps était admirable. Aujourd’hui la pluie a recommencé au moment où j'allais sortir. J’ai pourtant eu quatre visites de Lisieux J'admire les gens qui font cinq lieues par la pluie pour venir passer une demi heure avec moi. Il faut que je sois bien aimable. Je le suis pourtant fort peu cette année pour mes amis de Lisieux et des environs. C’est au mois d'Octobre qu’on me donne à dîner. J’ai déclaré que je n’en accepterais aucun, que j'étais encore enrhumé, que je ne voulais pas l'être pour la session, et que mon médecin m’avait interdit d’ici là toute course, tout dîner. Je suis à mon neuvième refus. On me les pardonnera. Je m'en porterai mieux, et je serai libre plutôt.
Je ferais volontiers cinq lieues pour aller dîner rue St. Florentin et je suis sûr que je ne m’en porterais pas plus mal. Du reste, pour la première fois depuis six semaines presque, j’ai eu aujourd’hui le sentiment de la pleine santé. Je n’ai pas toussé du tout, ni éprouvé la moindre peine à respirer.

Vendredi 7 heures

Comment s’est passé votre dîner Fleischmann ? A-t-il eu l’air aussi ahuri en vous le donnant qu'en vous y priant ? Est-ce que les Granville ne sont pas arrivés ? Vous ne m'en dîtes rien. L’impopularité de la Reine me paraît en progrès. On exploite bien longtemps contre elle cette pauvre Lady Flora Hastings. Il y a des fautes interminables.
Savez-vous si Lord Ponsonby reste décidément à Constantinople ? Il avait été question de le rappeler lorsque nous avons rappelé l’amiral Roussin. Mais on ne paraît pas disposé, pour le moment à faire comme nous. On n’ose pas non plus faire autrement. C’est de la bien petite politique.

4 heures
La poste ne m’arrive qu'à onze heures. Une roue de la voiture s'est brisée à Mantes. Je commençais à m'impatienter. Je vous aime beaucoup. Je vous le dirai à mon aise demain, en attendant mieux. Il faut aujourd’hui que je renvoie promptement le facteur ; sans quoi ma lettre vous manquerait demain. Adieu. Adieu. Je vous en prie, ayez de jolis tapis. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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290 Paris, le 19 octobre samedi 1839

Je n’ai vraiment pas le temps ni la force de copier les papiers et les explications que m’a envoyés mon frère. J’en suis fâchée, car je voudrais vous tout montrer. J'ai fait lire tout cela hier à M. de Pogenpohl. Voici l’explication. La loi ne me donne que la 7ème part aux arendes comme aux biens fonds. Ainsi c’est en règle. Le question de la partie mobilière en Courlande a été évidemment, parfaitement oubliée. Il est d’avis que je dois la reproduire rigoureusement Paul peut refuser d'entrer en discussion, mon abandon étant complet, honorablement il ne le peut pas. Ce serait un tort de plus. Voici donc maintenant ma fortune. 2 mille francs de pension. Et le quart du Capital Anglais. Cela fera 36 milles francs en tout et pas davantage. Les 52 milles francs car ce n’est pas plus de l’année de veuve, couvriront ma dépense depuis juin et l'achat du mobilier. Je ne compte pas sur cinq sols des capitaux qui peuvent se trouver en Russie. D'abord il est clair par la lettre de mon frère que Paul ne veut pas même dire ce qu'il y a avant d’avoir touché le capital Anglais. Et quand il l’aura touché il est probable qu’il ne se trouvera rien, ou peu de chose. Les effets sont encore à partager, ma sœur est chargée de cela pour mon compte. Vous savez comme je comprendrai ses lettres. Au bout de tous mes calculs je trouve qu'en tout y compris toutes mes propres ressources, j'aurai 60 milles francs de rente & pas davantage. vous verrez que c’est exact. Mes fils auront chacun 110 mille francs de rente. Voilà assez parler d’affaires.
Le courrier de Médem venait de Londres. L'Angleterre n’a pas accepté nos propositions. Ses contre propositions ne sont pas très claires. Le question reste à peu près comme elle était mais il y a quelque rapprochement entre Londres et Pétersbourg dans l'ensemble de nos relations. J'aurai des tapis qui vous plairont. Le dîner de M. Fleichman valait mieux que son invitation. Je ne sais pas si on rappelle Ponsonby. Je le demanderai, mais j’en doute, on ne voudra pas encore fâcher Lord Grey. et les mémoires à payer à vérifier. Ah quelle bagarre, et comment vous écris je deux lignes qui aient le sens commun. Adieu. Adieu.
Je n’ai pas fait de promenade depuis 5 jours. Je ne parviens pas à bouger de chez moi. Adieu. Adieu. God bless you. Voyez comme je vous écris des lettres élégantes. Si vous me voyez entre les tapisseries, les lampistes, les marchands de bronze, et les changements de maître d'hôtel & de femme de chambre

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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292 Paris lundi 21 octobre 1839

J'ai reçu hier Lady Granville, Cela m’a fait un gros plaisir. J’ai passé une heure de la soirée avec elle. Voici l’extrait. Le ministère est bien pauvrement établi. Mais il n’y a pas moyen que les Torry entrent, par conséquent ceux-ci resteront. Melbourne plus puissant que jamais, tout puissant. Il ne bouge pas de Windsor. Palmerston ditto. La Reine a reçu son courrier froidement. Elle n’a pas l'air de faire attention à lui. L’entourage le trouve charmant, beau, bien élevé, du tact. Il est un peu embarrassé du peu d'accueil que lui fait la Reine. On désire en Angleterre qu’elle l’épouse on croit que cela rétablirait un peu sa réputation qui est bien ébréchée. Melbourne ne presse ni ne retarde le mariage. La vraisemblance est qu’il se fera.
J'ai fait un bout de chemin à pied hier au bois de Boulogne. J'avais besoin d’air. J’étais restée enfermé presque toute la semaine. Je ne dors pas assez. Je me tracasse l’esprit et je sais bien cependant que cela n'en vaut pas la peine. Je suis fatiguée & cependant bien contente d'être sur la place Louis XV. C’est charmant tous les jours, et tout le jour. Que vous avez bien fait de m'encourager à prendre cet appartement ! Je vais dîner chez Lord Granville.aujourd’hui. J’essayerai de le faire parler. Cela ne me réussira pas si bien cependant qu’avec le gentleman of the Press.
Vous savez que le 1er Novembre c'est-à-dire dans dix jours je me mettrai à vous rendre la vie dure. Tous les jours je vous demanderai quand vous venez. Adieu Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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296 Du Val-Richer, Mercredi 25 oct. 1839
7 heures

Ma journée a été prise hier par M. Hèbert, qui me reste encore aujourd’hui. C’est un homme de quelque importance dans la Chambre. Il a du sens, du courage et de la parole. Il m’a toujours été très fidèle. Mais c'est une terrible chose qu’un brouillard qui rend la promenade impossible, et la conversation permanente. Je ne connais plus que vous au monde avec qui en fait de présence et de conversation, je n’arrive jamais au bout de mon plaisir. Mon hôte ne sait rien. Il vit depuis deux mois à la campagne, en vacances. Sa disposition me paraît être celle des gens sensés du centre, le mécontentement expectant, peu de confiance et peu d’ambition.
Vous verrez que D. Carlos, pour avoir ses passeports, sera obligé de prier sérieusement Cabrera et le comte d’Espagne d'en finir, & qu’ils ne lui obéiront pas. Raison de plus pour ne pas les lui donner de sitôt ; il faut qu’il ait autant d'envie que la reine Christine de voir cesser la guerre civile, et qu’il emploie ce qu’il a d'influence pour nous comme il l'a employée contre nous. Bourges doit être bien ennuyeux, pas plus pourtant qu’Elisando, je pense. Je ne suppose pas que les visiteurs Carlistes suffisent pour charmer le séjour. Quel puérile parti !
Il me paraît que Berryer poursuit sa candidature à l’Académie française car on m'en écrit de nouveau. Parlerait-il du Roi comme il convient dans son discours de réception ? Demandez-le lui tout simplement si vous le voyez. Remarquez-vous, de votre côté un léger, bien léger mouvement pour nous adoucir un peu dans notre refus de faire comme l’Angleterre.
Plus j'y pense, et plus je répète, pour la politique ce que Mirabeau disait pour la morale : " la petite tue la grande. " Et je le répète contre tout le monde.
Pour rien au monde, je ne voudrais épouser la Reine d’Angleterre. Vous n'aviez pas bonne opinion de l'avenir conjugal de la Princesse Charlotte. Je parierais bien plus contre cet avenir-ci. Je ne sais pourquoi, car au fait je n'en sais rien. Mais j’ai cette impression. Peu importe du reste au résultat. Le Prince de Cobourg ne l'en poursuivra pas moins, et ne s'en félicitera pas moins, s’il l'obtient. Puis le temps s’écoulera ; les mécomptes viendront les ennuis, les colères, les regrets peut-être. C'est le train de la vie. Bien peu y échappent, même de ceux qui le prévoient.

9 heures et demie
Je m’attendais, en effet au dénouement de Félix. Vous faites bien de le garder. Moi aussi, j’attends le beau mois de Novembre. Adieu. Adieu. Je vous quitte bien brusquement. Mon hôte entre dans mon Cabinet. Si c'était vous !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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295. Paris jeudi 24 octobre 1839

Lord Brougham est mort. Il a été tiré en se promenant en voiture dans son parc ; les chevaux l'ont emporté et tout brisé, il a été jeté de la voiture, foulé aux pieds des chevaux & roues ensuite. C’est horrible. Voilà une des gloires de l'Angleterre qui a disparu, car bien que fou, c’était un esprit très supérieur, très universel, et vous verrez que tous les partis s’uniront en Angleterre pour le reconnaître et proclamer cela une perte nationale. Savez-vous qu'on dit que Lady Clauricarde avait pour lui un sentiment très tendre et qu’elle sera très malheureuse de cette mort ?
Thiers est venu chez moi hier, mais il ne m’a pas trouvé, j’en suis fâchée. J'ai dîné chez les Granville, il n’y avait que Montrond. Ils étaient bien troublés de la nouvelle de Brougham. J’ai pris froid hier en courant les boutiques. Décidément il y a rien de plus malsain que de se meubler. Le temps est affreux, J’ai des douleurs à la têtes, je crains un retour de ma fluxion. Adieu.
Je suis tourmentée de mille petites tracasseries, ma nouvelle femme de chambre est partie. Elle n’a pas aimé la rivalité de l'Anglaise, et comme celle ci me plait extrêmement je n’ai pas hésité à me séparer de l'autre. Je cherche donc de nouveaux et cette pauvre Charlotte est malade du chagrin de tous ces retards. Je vous conte toutes mes peines. Adieu. Adieu.
Midi Bulwer me fait dire dans ce moment que Brougham n’est pas mort. Je ne conçois pas cette étrange mystification. Le duc de Bedford est mort. On accuse M. d'Orsay de la fausse nouvelle sur Brougham. J'ai reçu la réponse de Burkham. Les lettres of administration sont entre ses mains pour être remises à mon fondé de pouvoir quand je le désignerai.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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297 Paris, le 26 octobre 1839, Samedi.

Imaginez-vous que Brougham à forcé M. Shafto, un de ses amis résidant avec lui à le Campagne d'écrire à Londres le récit circonstancié de sa mort, pour voir l’effet que produirait cette nouvelle. Une pure plaisanterie. Concevez-vous pareille chose. Le prince Metternich a répondu. Appony épouse, et a la promesse d’un poste indépendant en attendant il sera attaché ici. Vous ai-je dit que mon frère me parle de ce mariage aussi, et se réjouit que sa fille sera auprès de moi? Cela veut dire qu'il sera ravi que je reste à Paris. Il n’a pas de termes d'improbation assez forte pour l’affaire secrète et surtout pour le cordon donné à Espartero ! Point de nouvelles de tout.
Le Roi a été enchanté de revoir Lord Granville. J’ai été encore courir les boutiques de vieux meubles hier, le soir chez Mad. Appony et puis Lady Granville. Je ne laisse entrer chez moi personne, j’ai un peu des coquetteries pour mon appartement et je ne veux pas le montrer qu’il ne soit prêt. Je ne reçois qui Bulwer & Lord Granville, & Thiers l’autre jour dans ma chambre à coucher.
On me dit que tout sera arrangé la semaine prochaine. Le tout me coûtera 30 mille francs & j'espère pas d'avantage. vous êtes fort heureux de ne pas vous trouver auprès de moi dans ce moment, je ne vous parlerais que tapissiers et ébénistes. Peut être cependant que je vous dirais autre chose aussi ! Adieu. Adieu mille fois.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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309 Du Val-Richer, Mardi 5 Novembre 1839
7 heures et demie

Il y avait avant-hier du cream cheese à déjeuner, et il y a ce matin sur ma vallée un brouillard, tout-à-fait pareil. On dit que la Normandie ressemble beaucoup à l'Angleterre. Elles se tenaient évidemment avant le déluge, et il y a entre elles, depuis le déluge, des rapports continuels. Si jamais vous avez mangé à Londres de belles poires et de belles pommes elles venaient peut-être du Val-Richer. Les fermiers Normands les expédient par milliers, et il part toutes les semaines, du port de Honfleur vingt mille œufs pour l'Angleterre. J’entends shabby comme vous, et c’est parce que je l’entends que je m'en défends. Je ne vous vole jamais rien, car je vous donne tout ce dont je dispose. Voilà nos questions de Dictionnaire vidées.
Plus j’y pense, plus je me persuade que Benkhausen n’a pas d’inconvénient. Tout sera fini plus vite. Je n’espère toujours rien quant au mobilier de Courlande. Mais au moins la suppression ne passera pas inaperçue. Je suppose que vous avez envoyé à Cumming copie des questions que vous airez adressées à votre fière.
Que voulait faire. M. de Metternich de la mission de M. de Brünnow ? Terminer l'affaire d'Orient sans s'en mêler, ou nous brouiller avec l’Angleterre sans y paraître ? L’un et l'autre a échoué. Je vois, par ce qu’on m'écrit, qu'on a peu d'inquiétude, et qu’on laissera traîner dans l’idée que le temps est au profit du Pacha, qui possède. On a bien fait de renvoyer M. de Labrador, s'il s’agitait encore pour D. Carlos. Nous ne devons aux partisans de D. Carlos que la stricte légalité et à D. Carlos lui-même qu'une politique raisonnable dans sa froideur. L’Europe a envoyé un aigle qui s’appelait Napoléon et qui la troublait, mourir à Ste Hélène. Nous ferons vivre quelques mois à Bourges D. Carlos qui nous tracasse. Il y a eu tout juste proposition.
J’ai aussi mes tribulations d’intérieur. Mon concierge d'ici est malade. Je craignais hier une fluxion de poitrine. On me dit qu'il est mieux ce matin. C’est un factotum très intelligent et qui met sa fierté à être à mon service, ce qui fait que je lui passe des défauts.

10 heures
Je craignais ce qui est arrivé. La poste n’étant venue chez moi que très tard, m'en est répartie que très tard, et n'aura pas été à Lisieux à temps. Vous aurez eu deux lettres ce matin. Mauvaise compensation. Tout cela cessera dans huit jours. Les tristes chances de la vie seront les mêmes ; mais nous serons ensemble. J'espère que vous me direz bientôt que vous avez des nouvelles d'Alexandre Adieu. Adieu. J’aime mieux le Duc que Benkhausen Dix mille francs, c’est beaucoup pour une commission. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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311 Du Val-Richer, jeudi 7 Novembre 1839
8 heures

On emballe autour de moi. Il part après demain, par le roulage des caisses de livres, d'effets, de fruits. C’est un vrai déménagement tous les ans. Mais celui-ci me plait.
Le Journal des Débats et le Moniteur sont en effet assez amusants. Et comme il arrive, ils ont tous deux raison. Ce qui me frappe aussi, c’est le Constitutionnel d'avant-hier mardi. Il est bien à la gauche. Depuis quelque temps Thiers avait paru chercher à se rapprocher du centre. Le voilà qui s'en éloigne fort. Je m’y attendais. Nous causerons de tout cela. J’ai perdu l’habitude de causer. Mais je la reprendrai avidement. Viendra-t-il beaucoup de vos Anglais, cet hiver à Paris ? Il me semble que non puisqu'ils partent pour l'Italie. A présent que vous voilà fixée à Paris, vous deviendrez une étape pour tout ce qui ira d’Angleterre sur le continent. Personne ne passera sans vous voir.
J’en suis fâché pour Bulwer. C'est peu aimable de la part de Lady Granville. Est-ce qu’ils ne l’ont pas vu, avec plaisir succéder à Aston ? Le leur a-t-on donné sans leur demander, si le choix leur convenait ?
Je comprends qu'on ait de l'humeur contre le Roi Guillaume. Mais en conscience, il ne doit rien aux trois Puissances. Elles lui ont donné de belles paroles et l’ont complètement abandonné en toute occasion. Politique à part, et ne fût-ce que par malice, il a bien fait. Il a bien fait aussi au fond. Il est rentré dans sa position naturelle. Il appartient, par toutes sortes de raisons à la politique occidentale. L'affaire de la Belgique, l’en avait seule éloigné. Et puis c’est la condition d’un peuple de négociants de rester étrangers aux querelles des trônes et des races, et de faire partout ses affaires. Du reste soyez sûre qu'avant de reconnaître il a consulté le Johannisberg.

10 heures
Mes lettres ont tort de vous arriver tard. Je ferai mieux moi-même. En attendant, je vous quitte pour donner les livres que je veux remporter. Vous avez bien raison de ne trouver aucun salon bon, ni personne aimable. Ne soyez bien que chez vous et avec moi. Adieu. Adieu dearest. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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314 Du Val-Richer Dimanche 10 Nov. 1839
8 heures

Vous n’avez pas d’idée de l'activité qui règne dans cette maison. Je plante un bois ; je fais un chemin. Je redresse des allées. Je sème des fleurs pour l’été prochain. Et mon factotum est encore dans son lit. Ce n'est rien de grave. Mais il ne sera sur pied et bon à quelque chose que lorsque je serai parti. J'admire quel air d’importance et d'entrain on peut mettre à des choses dont on se soucie si peu. Les soins et les agréments de la vie extérieure sont charmants dans le bonheur ; mais il n’y a pas moyen d'en faire le bonheur même. Je ne l’ai jamais cru, ni tenté.
A part son chagrin, le Chancelier doit avoir bien de l'humeur autant qu’il peut en avoir. On ne lui a pas envoyé une levée de Pairs bien éclatante. On a en pourtant bien de la peine à se mettre d'accord sur ces vingt noms. Le Roi a livré une grande bataille pour M. Viermet le plus ridicule des hommes de courage. Il ne l’a emporté que la veille du Moniteur, à 10 heures du soir. Enfin il l’a emporté, tandis que le Chancelier a été battu sur M. Etienne, dont il ne voulait pas. Que disent les Granville, que dit surtout Bulwer des Affaires d'Espagne ? L'Angleterre reste-t-elle là à la tête des radicaux ? Poursuivra-t-elle sa rivalité d'influence avec nous ? Je reprends intérêt à l’Espagne. J’ai recommencé depuis que je connais Zéa. En lui, pour la première fois, j’ai entrevu un homme au delà des Pyrénées. Evidemment, il y a là, dans ce moment quelque chose à faire. Bien difficile ; mais la difficulté dans la possibilité, il n’y a que cela qui vaille la peine qu’on y mette la main. Je ne comprends pas pourquoi vos caisses arrivées au Havre, ne sont pas depuis longtemps à Paris. Ce n’est qu'un ordre d'expédition à donner. Quelque grand serment que soit Rothschild, il peut faire cela, sans déroger.

9 heures et demie
Vous serez ce matin aussi contrarié que moi du jeudi au lieu du mercredi. Pas plus, je vous en réponds. Je ne vous dirai qu’une chose. Finissez avec vos fils. Il faut absolument qu’ils vous donnent, en échange du leur part du capital anglais, l’ordre à Bruxner de vous envoyer ce qui vous appartient. Je ne comprends pas comment ils ont pu l’empêcher, comment Bruxner, s'est laissé interdire par eux ce qu’il était de son devoir de vous envoyer sur le champ. Mais tout cela est si étrange, hommes, choses, procédés, pays que je ne compte sur rien et ne m'étonne de rien. Pourquoi ne chargeriez-vous pas Cumming de cela comme du reste ? Il en sait assez pour que cela de plus ou de moins ait bien peu d'importance. Mais sans aucun doute, ordre pour ordre, argent pour argent. Je suis affligé, blessé, irrité, humilié de tout cela. Adieu. Adieu. Au moins vous n'avez plus d'inquiétude. Adieu Dearest. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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313 Paris lundi le 11 novembre 1839

J'ai eu une longue lettre de Lady Cowper. Le prince Albert doit quitter l’Angleterre demain, mais personne ne doute que la reine ne l'épouse bientôt. On le trouve charmant. Ces chartistes n’inquiètent personne. L’Inde veut tout le monde en grand triomphe. Le ministère est très fort. Voilà Lady Cowper. Le prince Esterhazy que j’ai vu hier soir à son débotté dit autrement. Les Torys auront probablement la majorité dans la chambre. Et s'il y avait dissolution ils auraient une majorité de 70 voix. Le ministère est donc plus fragile que jamais. Mais l'Angleterre peut fort bien aller sans gouvernement tout est solide là. J'écris à Pétersbourg ; je ne puis pas attendre vos avis. Bulwer écrira à Cunning pour tacher officieusement d'éclaircir les deux points. Nous verrons. On ne parle pas du duc de Bordeaux si ce n’est pour confirmer ce que disent les journaux, que c’est un coup de tête que le duc & la duchesse d’Angoulême sont furieux, que le Pape est très embarrassé & & moi, je ne le croyais pas un homme ; il fait acte de volonté. C’est probablement une sottise, mais il n'y a pas de mal d'en faire à 19 ans. Cela ne peut pas vous inquiéter, il n’y a pas de quoi. Je suis fort pressée d'écriture, je vous montrerai jeudi tout ce que j'écris, que le ciel me tire enfin de toutes en désagréables affaires. Adieu. adieu. Je suis interrompue, tracassée, ennuyée. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
223 Du Val Richer, Samedi 20 Juillet 1839 3 heures

J’ai trouvé mes enfants très bien. Cependant Guillaume tousse un peu depuis quinze jours. Il mange et dort parfaitement. Il est très gai. Mon médecin dit que ce n’est rien du tout et que quelques pastilles d’ipécacuanha l’en débarrasseront.
Le Duc de Wellington s’est bien fâché contre Lord Melbourne. J'en ai été un peu surpris. Non qu’il n’eût parfaitement raison ; mais au dire de Pozzo, il y a entre eux la meilleure, intelligence ; et Lord Melbourne ne fait à peu près rien sans s'en être de près ou de loin, entendu avec le duc. Du reste il arrive à Birmingham ce qui arrive dans les grandes villes des Etats Unis d'Amérique, ce qui arrivera partout où la contagion de l'esprit démocratique aura atteint le gouvernement lui-même. On élit des magistrats mais il n’y en a plus. Il n’y a que des adorateurs et des serviteurs de la multitude. Elle est pour eux ce qu’était le Pape au Moyen-Âge pour l’Europe chrétienne. Leur premier mouvement est de la croire infaillible, et ils ne se décident à la réprimer un peu qu’en cas de nécessité absolue et après les derniers excès. Lord John s'est mieux défendu aux Communes que Lord Melbourne chez les Lords. Lord Melbourne a toujours l’air d’un homme qu'on réveille en souriant, et qui dit : " Laissez-moi tranquille. Pourquoi me tracassez-vous ? Croyez-vous que je sois là pour mon plaisir ? J’y suis pour vous empêcher d'être dévorés par cette bête. féroce. " Le Parlement ne sera prorogé que dans la seconde quinzaine d'août.

8 heures
Je rentre de bonne heure quoiqu’il fasse beau. Les soirées normandes sont trop humides pour moi. Je retomberais dans ces éternuements insensés qui m'hébètent et me fatiguent. Décidément, l’atmosphère du midi est la seule agréable la seule ou la chaleur ne soit pas celle d’une étuve et la fraîcheur celle d'une cave. C'est bien dommage que le proverbe ait raison : " Où la chèvre est attachée, il faut qu'elle broute. " J’aimerais bien à choisir mon herbe. A tout prendre, je me suis assez réglé, dominé, gouverné selon la raison, et je passe pour cela. Mais il me prend quelquefois de furieux accès de fantaisie, un désir passionné de n'en croire que mon goût mon plaisir. Personne ne saura jamais ce qu'il ma fallu d'effort la semaine dernière pour ne pas partir pour Baden dans la journée, et y aller voir moi-même.

Dimanche 6 h. 1/2
Je me lève de bonne heure ici, comme vous à Baden. Le calme du matin est charmant. La nature est animée et il n'y a point de bruit. Je crois que je travaillerai beaucoup, et avec plaisir. Pourvu qu’on ne vienne pas trop me voir. J’attends la semaine prochaine M. et Mad. Lenormant ; puis M. Devaines et son fils, puis M. Rossi. Mad. de Boigne qui ira passer un mois chez Mad. de Chastenay, près Caen, me fera une visite en passant. Ma route n'est pas tout à fait achevée. Cela éloignera quelques personnes.
Ne mettez pas grande importance, à ce que vous lisez dans les journaux sur les dissensions intérieures du Cabinet, sur le travail de M. Dufaure au profit, de la gauche, &. On essaie d’amener cela en le disant ; mais cela n'est point. Il n’y a dans le Cabinet point de dissensions, point de travail de personne au profit de personne. Ils sont tous contents d'être où ils sont, chacun tâche à se maintenir bien avec ses anciens amis pour en tirer quelque appui, M. Dufaure avec la gauche, M. Duchâtel avec le centre ; mais tout cela, sans conséquence. Au fait, ils s'accordent sans peine ; et quand ils différent, chacun dit son avis, le Roi décide, et ils n’y pensent plus.

9 heures
Je suis désolé que le courrier vous ait manqué. J’aime mieux que cela soit tombé sur le jour où vous avez eu Lady Carlisle. Lady Granville m’avait dit qu’elle irait passer une journée avec vous. Merci de ce premier aperçu sur vos arrangements. Ils me conviennent, à présent, il me faut les détails. Adieu. Adieu. Vous aurez été bien rassurés sur Paris. Adieu dearest. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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6. Beauséjour Mardi le 15 août 1843 à 10 heures

J'ai dîné hier chez Cowley. L'humeur n’était pas trop bonne, on demandait ironiquement à Bulwer si les voitures de voyage de la Reine Christine étaient dans sa cour, d’un autre côté on espérait que le régent n'irait pas en Angleterre. Bulwer part ce soir pour Dieppe et va décidément passer deux jours à Londres. Il sera de retour ici le 24.
Plus je pense à l’affaire d’Espagne plus je vois noir. Si l’on entre une fois dans la voie des paroles aigres cela ira bien mal. Il est très évident que l'Angleterre se trouvera dans la question du mariage à la tête de tout le reste de l'Europe. C'est là ce qui va lui donner et lui donne peut être déjà courage. Or, Aberdeen sait être brutal quand il n’a pas peur. Il faudrait lui ôter l'occasion. Que je voudrais vous parler !
La pieuse contesse est ven hier me dire son dernier mot. Je la précède aujourd’hui à Versailles. Elle veut aller demain coucher à St Germain. Je ne demande pas mieux. Je lis dans le journal de Pétersbourg que le bateau qui avait touché Copenhagen était arrivé à Cronstadt le 29 juillet. La lettre de d’André était du 31. Vraiment St Priest se sera trompé. Mais nous allons voir cela bientôt. Bulwer vient de m’interrompre. J'ai écouté, et j’ai parlé ! L'Angleterre prescrit à Acton la reconnaissance du Gouvernement à Madrid. Aberdeen est dans les idées les plus douces. J’ai accepté, et puis j’ai dit qu’il me revenait de tous côtés des inquètudes sur le mariage que les grandes puissances allaient se mettre en campaqne sur cela qu’il fallait faire bien attention à une chose. C’est que la seule, l'unique chance peut-être pour que le duc d’Aumale fut roi serait le cas où les puissances s'aviseraient de l’exclure d'avance. Cette parole prononcée d'une manière tant soit peu officielle serait comme un défi, et personne en France ne supporterait cela tandis que si on laisse les choses aller d’elles mêmes ; si on ne gâte pas en tripotant et en se méfiant, il est bien sûr que cela ne se fera jamais. Je vous dis en gros ce que j’ai donné comme mon opinion mais cela est entré pour rester dans la tête de Bulwer. Il va à Londres. A propos l'Ambassade anglaise croit savoir que Sébastiani va à Londres en mission. Bulwer ne m'en paraît pas fâché car il sait qu’il est bienveillant. Je remets ceci à Génie que je vais chercher. J’aurai, j'espère une bonne lettre aujourd’hui. Adieu. Adieu. Mille fois, parlez-moi du 26 ou de quelque chose avant. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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8. Versailles Mercredi onze heures
Le 16 août 1843

J’ai quitté Beauséjour à 4 heures. Je suis venue dîner seule ici, à 8 la jeune contesse est arrivée. Elle ne m’a pas ennuyée. Mais voici de son côté. Elle me dit tout à coup - Il doit être bien tard chère Princesse. - Quelle heure pensez-vous qu'il soit ? Près de onze heures. Il était huit heures 3/4. Vraiment j’ai peur qu’elle ne supporte pas longtemps le tête-à-tête.
Je me suis couchée à 10 h. J'ai très bien dormi. A 8 h, j'étais sur la Terrasse. Il faisait frais et beau. J’ai déjeuné, j’ai fait une toilette et me voici. La jeune comtesse est allée se promener dans les galeries, déjeuner chez Mad. de la Tour du Pin. J’y étais conviée aussi, mais je reste. Je vous écris et j’attends votre lettre.
Bulwer parle très sérieusement. Au fond il trouve le Cadiz ce qu’il y a de mieux et de plus pratique surtout. Le fils de Don Carlos impossible. Naples peu vraisemblable comme disposition espagnole. Dieu garde dit-il que qui que ce soit mette en avant un prince étranger quel qu'il soit. Car aussitôt la France serait forcée de lui opposer un Prince d’Orléans. Il ne faut pas à tout prix que la lutte de candidats s'engage. Il ne faut se mêler de rien. Il dit cependant que l'Angleterre doit agir pour empêcher que les Cortès ne nomment le duc d’Aumale, car malgré la résolution du Roi le cas pourrait devenir embarrassant. Si l'Angleterre veut en finir, je crois bien qu’elle arriverait au résultat contraire, mais enfin ce n’est que le dire de Bulwer. Il a beaucoup répété que son gouvernement était dans les meilleures dispositions d’entente avec la France. Il a insisté sur le bon effet qu’aurait la présence de Sébastiani, fort respecté à Londres. Cependant ne sera-t-il pas un peu trop Whig pour les gouvernements actuels ?
Tout ce que vous me dites dans votre N°3 me plaît. Vous avez pris si doucement mes reproches. De la manière dont vous me répondez, je trouve bon toutes vos faiblesses. Mais voici ce que je ne pourrais jamais trouver bon c’est que je fusse renvoyée au delà du 26. Vous pouvez être faible pour votre mère, mais vous ne serez pas injuste et dur pour moi. Je reste donc ferme dans ma foi pour le 26.
Midi et demie. Voici le N°4. Je comprends fort bien la première page, car Génie m’avait confié ce qui était venu de Londres. J’espère que vous aurez consenti à rétrancher le petit mot déplaisant. Il ne faut pas que vous ayez à vous reprocher un seul fait ou geste qui empêche de s’entrendre. Mais quel dommage que vous ne soyez pas ici. Je le répète : un jour de retard dans des affaires comme celle-ci c’est beaucoup risquer et vous dites mieux que moi. Je vous copie. " tout cela a besoin d'être conduit avec un grande précision et heure par heure." Et vous êtes à 46 lieues ! Mais au moins vous reconnaissez l’inconvénient, tout le monde le pensait, et moi aussi, par dessus toutes les autres choses. Revenez, revenez. Ceci est votre grand moment vous n'avez rien eu de si grave, de si important, et de si directement posé sur vos épaules depuis 3 ans bientôt que vous êtes ministre. Et c’est là le moment que vous avez choisi pour vos vacances. Pardonnez-moi si je reviens. Mais vraiment je voudrais impress upon your mind combien cela est sérieux pour vous. Je comprends toutes vos jouissances au Val-Richer, & j’essaie même de n'être pas jalouse ; mais je suis désolée de ce que votre sommeil soit toujours troublé. Enfin votre mère en vous voyant comme cela accablé de travail, vous laisserait bien partir, car elle reconnaîtrait que la politique est sa vraie rivale Adieu. Adieu.
Je renvoie Etienne avec ceci. Je regrette que mon N°7 soit arrivé à Génie trop tard pour vous être envoyé par la poste. Je l’avais donné à [?], à 4 pour le poster de suite. Il ne s’est présenté qu’après 6. Nouveau grief. Par dessus la glace & & Adieu. Adieu. Aujourd’hui variante avant le 26. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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8 Val. Richer, Samedi 19 Août 1843
8 heures

Je viens de dormir neuf heures de suite. Il y a longtemps que cela ne m'était arrivé. J’ai beaucoup marché hier. Le soir, j'étais rendu. J'espère bien qu'il n’est plus question de votre point de côté.
Je n’avais pas bonne idée de votre essai de coucher à St Germain ou à Versailles. Quand on parviendrait à réunir, dans une chambre d’auberge, tous les conforts possibles, comment arranger le dehors, le bruit, le mouvement, les chevaux, les postillons, les voyageurs ? Il faut voyager ou rester chez soi. Enfin nous serons à Beauséjour, mardi. Il fait toujours beau. Je compte, pour nous, sur un beau mois de septembre.
Je ne parviens pas à voir comme vous l’Espagne en noir. Sans doute la situation est grave et difficile ; il faut y bien regarder, et la suivre pas à pas. Mais au fond, elle est bonne, très bonne ; et en définitive, après toutes les oscillations et tous les incidents possibles, c’est le fond des choses qui décide. La conduite sera bonne aussi. J’ai de plus maintenant l'autorité car j'ai réussi. Je m’en servirai au dedans et au dehors. Au dedans, je crois à ma force dans la discussion. Au dehors, je crois au bon sens anglais. Voilà ma confiance. Voici mes craintes, car j’en ai plus d'une. Je crois que les Espagnols les vrais meneurs ne veuillent absolument un grand mari, et que ne pouvant avoir Aumale, ils ne reviennent au Cobourg. Je crains que malgré le bon sens de Londres, les vieilles routines Anglaises et Palmerstoniennes ne persistent dans les agents secondaires et éloignés, que l’esprit d’hostilité contre la France ne les porte à fomenter toujours en Espagne, les intrigues Espartéristes et radicales. Je crains que la bouffée de raison et de modération qui souffle en ce moment en Espagne, ne soit courte, et qu’on n’y retombe bientôt dans l’anarchie des passions et des idées révolutionnaires. Trois grosses craintes, n'est-ce pas ? Je m'y résigne. Il y a, dans le fond des choses de quoi lutter contre ces périls-là. Je sens tout le poids du fardeau que je porte. Mais je suis convaincu que les hommes qui ont gouverné leur pays, dans les grands temps n’en portaient pas un plus léger. Il faut accepter sa condition.

10 heures Voilà le 10. Je suis charmé que le point de côté soit passé. Vous avez toute raison de ne pas choquer la jeune comtesse. Je ne partirai d’ici que mardi, et ne serai à Auteuil que mercredi. Je reçois à l’instant même une lettre du Roi, qui m'avertit que Salvandy est parti d'Eu hier soir et viendra demain au Val-Richer. Tout n'est pas arrangé, bien s'en faut d'après ce que me mande le Roi. Pourtant il y a du progrès. Il faudra que j'aille faire une course à Eu dans les premiers jours de septembre ! Je l’ai promis au Roi et il me le rappelle encore aujourd'hui. Ce sera deux nuits en voiture et 36 heures de séjour. Je vais lire le discours de Palmerston sur la Servie. On m'écrit de Londres qu'il a fait de l'effet, et la réponse de Peel pas beaucoup. Adieu. Adieu. Je n’aime pas ces 24 heures de séparation de plus, mais il le faut.
Adieu. Cent fois G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°1 Château d’Eu Jeudi 31 août 1843 - Midi.

Je quitte le Roi pour vous écrire. Il vient de me promener dans la Smahla dont il est épris comme si c'était celle d'Abdel-Kader et qu'il l'eut prise lui- même. Il est singulièrement jeune. Parfaitement heureux de ce qui arrive, par les grandes raisons, et par les raisons jeunes ; charmé de bien arranger et montrer son palais comme de veiller aux intérêts de son trône. Il aura de très bonnes conversations, très franches. Avec Lord Aberdeen s’entend. Avec la Reine, pas un mot de politique, à moins qu'elle ne le provoque. La Reine arrivera samedi, toujours wind and weather pemitting, qui sont excellents en ce moment. Galanterie du ciel bien nécessaire, car on n'entre pas au Tréport comme on veut. Le Prince de Joinville est parti hier pour Cherbourg, où il est allé attendre la Reine qui n’y sera que demain dans la journée, et seulement pour voir le port prendre un pilote. On est convaincu ici qu’elle n'ira pas à Paris. Rien de ce qui est venu d'elle ne donne lieu de le supposer. On s’attend à trois jours de séjour. Un grand déjeuner dans la forêt pour un jour. Magnifique promenade. Un spectacle pour un autre jour. Il y a eu bien des incertitudes, quant au spectacle. Duchâtel s’est plaint qu'on eût choisi le Gymnase, d’abord parce que c’est le seul théâtre qui n'ait pas voulu fermer aussi longtemps que les autres, à la mort de M. le Duc d'Orléans ; ensuite parce qu'il est devenu ennuyeux. Le Roi à trouvé qu’il avait raison et le Gymnase est congédié, à sa place l'Opera comique et le vaudeville votre ami Arnal. La grande calèche dans laquelle le Roi ramènera la Reine du Tréport est vraiment belle et de bon goût. Place pour les deux familles royales, au complet. La Reine sera au rez-de-chaussée dans l’appartement des Belges, convenable et tout plein de curieux portraits. On met dans sa Chambre un très grand lit, un lit anglais. Les tapis sont ôtés. Le Roi me demande, si je suis d'avis de les remettre. Je dis que non. Il fait chaud et les parquets sont très beaux, beaucoup plus beaux qu'aucun parquet anglais. La Smahla est vraiment un village de tentes en bois, qui seraient somptueuses en Afrique. Le Duc d’Aumale et le duc de Montpensier, qui arrive demain y logent. Le Duc de Nemours ne revient pas. On a pensé qu’il ne devait pas quitter son camp, laisser là dix mille soldats oisifs et dans l’attente, et toute la population, en mécompte. Je crois qu’on a raison.
C’est Lady Canning et miss Leeds qui accompagnent la Reine. Lord Aberdeen a mon appartement ordinaire. J'en ai un bien plus petit et plus simple, mais très suffisant, près du sien. La ville est pleine, archipleine, surtout d'anglais qui viennent de Dieppe, du Havre, de Boulogne, même de Southampton et de Brighton.
Un petit cabinet, place pour un lit et une chaise, se loue 25 fr. pour une soirée. Le Roi a été obligé de louer 40 chambres dans la ville. Je vous conte tout, pêle-mêle comme tout est et se fait sous mes yeux. Pourtant tout est à peu près prêt, et si la Reine arrivait demain, elle serait reçue convenablement.
Je suis arrivé à 9 heures, après une nuit très belle et très douce. J’ai assez dormi, dormi et pensé à vous tour à tour. Un peu à la Reine d'Angleterre. La Reine des Belges m'a dit à déjeuner qu’un des plaisirs qu’elle se promettait de son voyage était de me revoir. Je m'attends un peu à un siège en règle, dans l’intérêt Cobourg. Je ne trouve ici pas plus d'indécision que je n’y en apporte. La Reine est encore ébranlée de l'accident du pont. La chance était vraiment affreuse et sans la vigueur et la présence d’esprit du second postillon, on ne conçoit pas ce qui ait pu les sauver. La Reine se méfiait de ce pont, et ne se souciait pas d’y passer. " Je dirai mon mea culpa toute ma vie de ne l'avoir pas fait descendre.» m'a dit le Roi. Le petit Paris n’a pas eu peur du tout, ni du coup de canon qu’il venait de tirer. Cela a plu au Roi. Mad. la Duchesse d'Orléans y était , et aussi le duc de chartres, le Prince et la Princesse de Joinville, le duc et la duchesse de Cobourg, le duc d’Aumale, tous, excepté Madame de Nemours a bien failli être Roi m'a dit la Reine à déjeuner. Dieu se plaît à entrouvrir et à fermer l'abyme. Adieu.

Le Roi est allé se promener. Je lui ai demandé la permission de venir écrire. La poste part à 2 heures. Il me reprendra à son retour. Adieu. Adieu. Quel beau temps. J’ai voyagé jusqu'à 5 heures et demie dans un brouillard énorme. Le soleil a lui sur Eu au moment où j'approchais. En dix minutes, le brouillard a été balayé. Voilà la Musique qui annonce le départ du Roi pour la promenade. On a fait venir de Londres le God save the Queen et la musique du régiment l’apprend. On a aussi la marche saxonne du Prince Albert. Adieu, adieu. Adieu. J’espère qu’il fait aussi beau à Versailles. Je ne sais ; mais je ne trouve pas dans cette lettre assez de vous et pour vous. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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9 Au château d'Eu. Mercredi 6 sept. 1843,
7 heures

Vous avez beau mépriser la musique instrumentale. Vous auriez été entrainée hier par un fragment d'une symphonie de Beethoven que les artistes du conservatoire ont exécutée, avec un ensemble, une précision, une vigueur et une finesse qui m'ont saisi, moi qui ne m’y connais pas et cette succession de si beaux accords, si nouveaux et si expressifs, étonne et remue profondément. Tout le monde, savants et ignorants, recevait la même impression que moi. Je craignais que ces deux soirées de musique n'ennuyassent la Reine. Il n’y a pas paru. Ce soir, le Vaudeville et Arnal. Nous avons trois pièces, mais nous n'en laisserons jouer que deux. Ce serait trop long. Avant le dîner, une petite promenade, au Tréport, toujours plein de monde, et toujours un excellent accueil. Avant la promenade, la visite de l’Eglise d’Eu qui est belle, et du caveau où sont les tombeaux des comtes d’Eu, les statues couchées sur le tombeau, les comtes d'un côté, leurs femmes de l'autre, et le caveau assez éclairé, par des bougies suspendues au plafond, pour qu’on vit bien tout, assez peu pour que l’aspect demeurât funèbre. Les Anglais sont très curieux de ces choses là. Ils s'arrêtaient à regarder les statues, à lire les inscriptions. Notre Reine et Mad. la Duchesse d'Orléans n'y ont pas tenu ; elles étaient là comme auprès du cercueil de Mrs. le Duc d'Orléans. Elles sont remontées précipitamment, seules, et la Protestante comme la Catholique sont tombées à genoux et en prières dans l’Eglise devant le premier Autel qu’elles ont rencontré. Nous les avons trouvées là, en remontant. Elles se sont levées, précipitamment aussi et la promenade, a continué.
J’ai eu hier encore une conversation d’une heure et demie avec Aberdeen. Excellente. Sur la Servie, sur l'Orient en Général et la Russie en Orient, sur Tahiti, sur le droit de visite, sur le traité de commerce. Nous reprendrons aujourd’hui l’Espagne pour nous bien résumer. Le droit de visite sera encore notre plus embarrassante affaire. " Il y a deux choses m’a-t-il dit, sur lesquelles notre pays n’est pas traitable, et moi pas aussi libre que je le souhaiterais, l'abolition de la traite et le Propagandisme protestant. Sur tout le reste, ne nous inquiétons, vous et moi, que de faire ce qui sera bon ; je me charge de faire approuver sur ces deux choses là, il y a de l’impossible en Angleterre, et bien des ménagements à garder. " Je lui demandais qu’elle était la force du parti des Saints dans les communes : " They are all Saints on these questions. " Je crois pourtant que nous parviendrons à nous entendre sur quelque chose. Il a aussi revu le Roi hier et ils sont tous deux très contents l’un de l'autre. La marée du matin sera demain à 10 heures. On pourra sortir du port de 10 h.
à midi.
Ce sera donc l'heure du départ, nous ramènerons la Reine à son bord comme nous avons été l’y chercher. Il fait toujours très beau. Je demande des chevaux pour demain soir, 9 heures. Je vous écrirai encore demain matin pour que vous sachiez tout jusqu’au dernier moment. Pas de santé de la Reine à dîner. Les toasts ne sont pas dans nos mœurs. Il faudrait porter aussi la santé du Roi, et celle de notre Reine, et peut-être pour compléter nos gracieusetés, celle du Prince Albert. Cela n'irait pas. Je ne me préoccupe point de ce qui se passe entre la Cité et Espartero. C'est ma nature, et ma volonté de faire peu d’attention aux incidents qui ne changeront pas le fond des choses. Lord Aberdeen, m'en a parlé le premier, pour me dire que ce n’était rien et blâmer positivement Peel d'avoir dit qu’Espartero était régent de jure. Il n’y a plus de régent de jure, m’a-t-il dit, quand il n’y a plus du tout de régent de facto. La régence n’est pas, comme la royauté, un caractère indélébile, un droit qu'on emporte partout avec soi. J’ai accepté son idée qui est juste son blâme de Peel sans le commenter, et son indifférence sur l'adresse de la Cité qui du reste est en effet bien peu de chose après la discussion et l’amendement qu’elle a subi.
Vous auriez ri de nous voir hier tous en revenant de la promenade, entrer dans le verger du Parc, le Roi et la Reine Victoria en tête, et nous arrêter devant des espaliers pour manger des pêches. On ne savait comment les peler. La Reine a mordue dedans, comme un enfant. Le Roi a tiré un couteau de sa poche : " Quand on a été, comme moi, un pauvre diable, on a un couteau dans sa poche. " Après les pêches, sont venues les poires et les noisettes. Les noisettes charmaient la Princesse de Joinville qui n’en avait jamais vu dans son pays. La Reine s'amuse parfaitement de tout cela. Lord Liverpool rit bruyamment. Lord Aberdeen sourit shyement. Et tout le monde est rentré au château de bonne humeur. Adieu. Adieu. J’oublie que j'ai des dépêches à annoter. Adieu pour ce moment.

Midi et demie
Nous venons de donner le grand cordon au Prince Albert, dans son cabinet. Le Roi. lui a fait un petit speech sur l’intimité de leurs familles, et des deux pays. Une fois le grand cordon passé : " Me voilà votre collègue, m'a-t-il dit en me prenant la main ; j’en suis charmé. " Je crois que la Jarretière ne tardera pas beaucoup. Je vous dirai pourquoi je le crois.
Le N° 7 est bien amusant. Pourquoi ne pas être un peu plus spirituel d'abord ? Cela dispenserait d'être si effronté après. Le pauvre Bresson a bon dos. Il n’a jamais voulu rien forcer, car il n’a jamais cru qu'on vînt. Je reçois à l’instant une lettre de lui. M. de Bunsen venait d’écrire à Berlin le voyage de la Reine comme certain. Bresson est ravi : " Il faut, me dit-il, avoir, comme moi, habité, respiré pendant longues années au milieu de tant d'étroites préventions de passions mesquines, et cependant ardentes, pour bien apprécier le service que vous avez rendu, et pour savoir combien vous déjouez de calculs, combien de triomphes vous changez en mécomptes. "
C'est le premier écho qui me revient. Je dirai aujourd’hui un mot de Bulwer. Soyez tranquille sur la mer. Nous ne ferons pas la moindre imprudence. Je me prévaudrais au besoin de la personne du Roi dont je réponds. Il n’y aura pas lieu. Le temps est très beau, l’air très calme. Le Prince Albert est allé nager ce matin avec nos Princes. Le Prince de Joinville reconduira la Reine jusqu'à Brighton et ne la quittera qu'après lui avoir vu mettre pied sur le sol anglais.
Voici ma plus impérieuse recommandation. Ne soyez pas souffrante. Que je vous trouve bon visage ; pas de jaune sous les yeux et aux coins de la bouche. Si vous saviez comme j'y regarde, et combien de fois en une heure ! Je n’arriverai Vendredi que bien après votre lever ; pas avant midi, si, comme je le présume, je ne pars qu'à 10 heures. Adieu. Adieu. Il faut pourtant vous quitter. Nous partons à deux heures pour une nouvelle et dernière promenade dans la forêt. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°4 (je crois) Château de Windsor, Mercredi 9 oct. 1844, 9 heures

Soyez tranquille. Je commence par là. Je suis très bien. J'ai bien dormi. Pas si bien que sur le Gomer où je me suis couché Lundi soir, à 7 heures et demie pour me lever mardi à 7 heures après deux ou trois réveils fort courts dans cette longue nuit. Je ne me suis pas douté de la traversée.
Hier soir la Reine pour nous laisser reposer, a quitté son salon à 10 heures. J'étais dans mon lit à 10 heures et demie. J’ai pris, mon bouillon, comme chez moi, en m'éveillant. Voilà le compte de ma santé fait. Je vous répète que le voyage me fait du bien. Mais les lits Anglais sont trop durs.
Soirée fort tranquille hier. Point d’invités, si ce n’est le Duc de Wellington, sir Robert Peel et Lord Aberdeen qui est arrivé tout juste pour dîner. Longue conversation entre lui et moi après le dîner. Je ne sais quel hasard nous a fait commencer par l'Empereur et M. de Nesselrode, et nous n'en sommes pas sortis. J’ai à peu près vidé mon sac sur ce point, écouté avec beaucoup de curiosité et pas mal de surprise. Avec Sir Robert Peel, un commencement de conversation sur ses propres affaires, ses succès financiers, l'état intérieur de la France, ce qui l’intéresse le plus. Le Duc de Wellington extrêmement poli & soigneux avec moi, comme un homme qui se souvient vaguement qu’il a quelque chose à réparer.
J’ai causé assez longtemps avec la Reine ; et longtemps avec le Prince Albert. Ils ont l’air très content. La soirée s’est passée à voir l’Album du voyage de la Reine au château d’Eu, que le Roi lui a apporté.
Ce matin, la Reine a fait proposer au Roi, pour 9 heures et demie une visite au potager et au verger. Il l'a priée de vouloir bien l'excuser. Il reçoit Lord Aberdeen à 9 heures, et sir Robert Peel à 11. Je le verrai entre deux. La Reine est prodigieusement matinale. Le déjeuner est commun, où elle ne va point, est à 9 heures. Je n’y vais pas non plus. Je ne sais quels seront les plaisirs officiels de la matinée. On m'avertit qu'ils commenceront à 2 heures. Adieu. J'espère bien avoir un courrier de Paris ce matin. J’expédierai le mien ce soir à 5 heures. Je vous redirai Adieu.
Le Duc de Wellington m’a demandé si Lord Cowley ne viendrait pas faire une course à Londres - Je sais qu’il se trouve parfaitement à Paris. Il a raison. On me dit qu'il se porte très bien.
Midi, et demie
Voilà votre numéro 2. Merci de votre anxiété. Vous aurez été rassurée le lendemain. Vraiment il n’y a pas de quoi vous inquiéter. Ma santé va bien. Ce qui me manque encore de force reviendra. C'est à mes affaires que je pense. Grand ennui d'y penser tout seul.
J’attends Lord Aberdeen à une heure. Il a vu le Roi qui en a été très content. Peel est chez le Roi en ce moment. Adieu. Adieu. Après vous, ce que j’aime le mieux, c'est vos lettres. Adieu. G.
Je vous renvoie celle de Lady Palmerston. Yes, no harm.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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22 Boulogne Mardi 19 août 1845, 10 heures.

J’ai passée une mauvaise nuit, mon attaque de bile provenant d’un mauvais dîner. A Londres mon dîner & ma santé étaient parfaits. J’ai vu les Cowley à peu près toute la journée hier. C’est une grande ressource. Il est vrai de dire que s'ils n y étaient pas, je ne serais pas à Boulogne.
Londres m’a fait au fond un grand plaisir. Ce sont d'aimables et bonnes gens. C’est de la grande société. Je me trouve dans mon élément, et je n'en ai jamais autant joui. Mes yeux ont été un grand chagrin pour moi seulement parce que je n'ai pas pu vous écrire, car du reste ils ont servi beaucoup à l'agrément de mon séjour. Je vous expliquerai cela c’est trop long pour l’écrire.
L’impression générale que je remporte est, une excellente situation pour Peel, de la résignation du côté de la partie sensée de l'apposition (John Russel) bonne envie de tous de rester bien avec la France. Peu d'espoir que cela dure par plusieurs raisons que je réserve aussi pour la causerie. Très bonne entente avec la Russie et grande confiance de la solidité de cette amitié là. Pas beaucoup de vénération pour le Metternich d’aujourd’hui et complète pitié pour le Roi de Prusse, un extravagant, un fou.
Je suis bien aise que la reine des Belges se soit trouvé à Brüchl. Jeudi pas de lettre aujourd'hui. Qu’est ce que cela ?... la voilà qui arrive. Merci, merci. Surtout de me nommer le 30 août. Quel plaisir nous nous reverrons ce jour-là ; ce sera un Samedi. Samedi en huit. C'est charmant jusque là je me traînerais un peu ici, un peu à Mouchy peut-être. Je ne sais pas bien encore. En attendant adieu, & bien des adieux.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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2 Paris dimanche 12 juillet 1846 onze heures
Je n’ai rien à vous raconter. Qu'une bonne nuit. Il fallait bien finir par dormir. Mad. Danicau sait lire dans les gros volumes ; elle sait manger et se promener, elle parle et elle sait aussi se taire. Je l’ai menée à Boulogne. Les fils y étaient. Ils m'ont confirmé ce fait incroyable et très suspect que Mercredi on racontait à la bourse à 2 heures l’accident d’Arras c.a.d. une heure avant qu'il ne soit arrivé. Les journaux parlent de mettre Rothschild en jugement : les fils sont persuadés qu'il va revenir de suite. Je ne sais rien, je n’ai pas eu de lettre de nulle part. Annette est partie pour Dieppe. Génie n'est pas venu me voir hier. Peel me répond une lettre. pleine de rodomantades du passé. Et puis il finit : " You know I always declared against a government by suffrance." C'est un esprit orgueilleux & irrité. Je vais commencer à ne plus l’aimer autant. 1 heure. J’ai été à l’église. pendant ce temps Génie est venu quoique je lui eusse écrit pour le prier de venir me trouver entre 5 & 6 heures. Il n’a pas aussi envie de me voir que vous. Et il se pourrait fort bien que je parte sans que nous nous soyons rencontrés. Vous voyez bien d’après cela que je ne sais pas le plus petit bout de nouvelles. C'est beaucoup, vous perdre vous, & toute l’Europe par dessus le marché. Mad. Danicau revenue de Bar hier m’a dit que l'élection de votre candidat, M. Jamin je crois, est fort compromise car il n’est pas aimé là ni lui, ni son père. Il pourra vous arriver des surprises. Adieu. Je crois qu'il est prudent de fermer ma lettre de bonne heure vu le dimanche. Pauvre dimanche, pauvres jours de la semaine. Plus de plaisir, plus de bonheur, plus de causerie plus de nouvelles. Et vous bien content au Val Richer. Voilà de la grosse jalousie qui perce. Quand est-ce que vous me ferez le sacrifice de deux jours seulement de bon air & de campagne, à nous deux ? Adieu. Adieu. Adieu
3 heures. Voici que me sont tombés à la fois. Sir Robert Adair, Génie, & la Redorte. Jugez comme c’est commode ! Il est clair que je n'ai vraiment causé avec personne. Génie écloppé m’a montré Rayneval du 2. Dites-moi s'il y a quelque chose de plus dans la lettre particulière. Adair rit beaucoup de la situation anglaise. Cela ne durera pas. Grey fera sauter le Cabinet ou bien il sortira et ira porter ses tracasseries à l’ennemi. Peel l'homme le plus puissant de l'Angleterre. La Reine un chiffon dont personne ne s'embarrasse. La Redorte dit que Thiers est un sot on ne s’y prend pas bien. Pour les élections il faut une question que les électeurs comprennent. Et bien ! Ils ne comprennent rien à la politique étrangère cela leur est indiffèrent. Mais les fonctionnaires députés à la bonne heure, voilà ce qu’il faut dénoncer, et cela tout seul, & ne pas y mêler le Roi. Et puis, Thiers a contre lui deux essais malheureux. On ne veut plus de lui. Je vous ai tout redit, & je vous redis Adieu. Adieu.
Me revoilà encore. W. Hervey est venu me lire une lettre de Keene. Seconde entrevue entre Aberdeen & Peel : Aberdeen le priant de le regarder comme un collègue prêt à lui donner renseignements & conseils, & plus jamais comme un rival, car jamais il ne reprendra les affaires. (hennebey? !) Tout marche doucement & bien. La sugar question décidera de la dissolution si on est battu ou dissout ; si non on laissera vion? le parlement tout son temps. Question d’Espagne très irritante. Bresson a dit que si on prenait un foreign prince la France lâcherait Don Carlos, grande rienine et révolte à Londres. J’ai dit que probablement c’était menti, mais qu’après tout, l'Angleterre avait fait quoi que cela en interdisant un prince français. Ici on reste dans un choix d'une demi douzaine. C'est trop long à vous conter, mais je vois bien que cela va devenir gros et tout de suite. Don Enrique est attendu à Londres où on se prépare à le très bien recevoir. Et bien qu'on l’épouse ou lui ou son frère, soyez sûr qu'Enrique va devenir the favorite et qu'il se présentera sous le patronage de Palmerston premier succès. Adieu. Adieu. Reve? va en Autriche pour voir si la monarchie menace ruine. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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3 Val Richer, mardi 14 Juillet 1846

Pas d'estafette cette nuit. A sa place un gros orage. Le tonnerre a roulé pendant une heure et demie. Il faut de l’espace au tonnerre. Les rues de Paris lui déplaisent ; on ne l'y entend pas. La mer et les bois, c’est là qu’il triomphe. J’avais envie de dormir, et pourtant. j'écoutais avec plaisir comme un bruit champêtre. J’ai très bien dormi après et ne me suis levé qu'à 7 heures après m'être couché avant 10. Je me soigne avec une obéissance exemplaire. Hier soir, à 8 heures, je suis rentré pour éviter le serein. J’ai cette éternelle disposition, à l'éternument qui n’est rien qu'un ennui, mais bien, un ennui.
Je viens d'écrire à Sir J. Easthope. Bien, je crois ; indiquant que la confiance peut se gagner, que je désire sincèrement qu’on la gagne, mais qu’il faut la gagner. C'est le commentaire d’une phrase d’une lettre de vous à Lady Palmerston. J’écris aussi à Brougham. Brièvement. Il abuse des lettres. Il est saisi d’une haine aveugle contre les Whigs, et sera contre eux au Parlement et dans le monde, d’une activité tout aussi aveugle. Je ne veux ni me l'aliéner, ni me livrer à lui. Les relations de ce genre sont l’ennui du métier. Amis ou ennemis, de la confiance ou de la guerre, à la bonne heure, mais se méfier et ménager, c'est l’ennui. L’Espagne, me préoccupe beaucoup. Si l'Angleterre épouse D. Enrique, nous retomberons dans la vieille ornière, la lutte des partis Espagnols modérés et progressistes, & le patronage français et anglais au service de cette lutte. Situation très incommode, car ce qu’on abandonne le plus difficilement, c’est un ancien patronage. Question d'influence politique et d’amour propre personnel. Je crois bien que dans cette lettre, j'aurai le bon bout. Si les Progressistes espagnols avaient le pouvoir à Madrid, et que de concert avec Londres, ils m'offrissent D. Enrique, je serais fort embarrassé à le refuser. Mais ce sont les modérés qui dominent en Espagne ; ils ne voudront pas de D. Enrique, et si je les décide à vouloir du Duc de Cadix, l’embarras du refus sera pour l’Angleterre, qui ne refusera pas, je crois. Au fait, je ne crains pas beaucoup cette alternative, et la question ainsi placée, n'a pour nous, plus de bien mauvaise issue. Notre principe et notre honneur sont saufs, en tout cas. Je cause avec vous, en attendant votre lettre qui n’arrive pas. L’orage aura retardé la malle.
6 heures et demie Voilà votre lettre. Nous nous rencontrons parfaitement sur D. Enrique. Comme toujours. Quoique cette situation soit difficile, je l’aime pourtant bien mieux que la chance du Cobourg. Ce que vous dit Könneritz de la Constitution en Prusse me parait probable. Il y aura encore plus d’une oscillation de ce genre. Ce qui n'empêche pas qu’on ne marche vers la constitution. La dépêche de Pétersbourg est bonne en effet, bonne avec complaisance. On a pris plaisir à l’écrire. On fera tout ce qu'on pourra pour être bien avec nous, comme gouvernement, sans changer d’attitude personnelle. Je puis, après ce qui s’est passé depuis cinq ans et ma raideur de 1843, m'accommoder assez de cette situation. Elle ne manque pas de dignité, et peut avoir de l'utilité. Voici une lettre intéressante de Londres. Renvoyez-la moi, je vous prie, dès que vous l'aurez lue. Soyez sûre que le Cabinet Whig a quand on regarde à ses adversaires, une meilleure position, et plus de chances de durée qu’on ne le dit. C’est dans son propre sein que sont les germes d’une dissolution, peut-être assez prompte. Lord John, lord Palmerston et Lord Grey n'iront. pas longtemps ensemble. Il faut que je vous quitte pour répondre aux lettres d’affaires. Celle-ci est bien froide, bien d’affaires. J’ai tout autre chose dans le cœur. Je ne m'accoutume pas en me promenant que vous ne soyez pas avec moi. Je m'arrête pour vous attendre. Je me retourne pour vous chercher. C’est surtout quand quelque chose me plaît que vous me manquez Adieu. Adieu. Vous partez donc demain pour Dieppe. Allez ensuite chez la vicomtesse. Il ne faut pas s'annoncer pour ne pas aller. On s’attire de la malveillance. Même de la part de ceux qui auraient autant aimé qu’on ne leur eût rien annoncé. Adieu. Adieu, dearest. J’enverrai toujours mes lettres à Génie. G.
Ibrahim Pacha dit que la nation anglaise l’a reçu comme il a été reçu par le Roi des Français.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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4. Paris Mardi 14 juillet 1846 onze heures.

La lettre d'Aberdeen est charmante. Tout ce qui vient de Peel est un peu tendu comme son jarret. Comme Aberdeen a raison de ne point vouloir venir à Paris. Ma journée a été mauvaise hier. Verity est parti. 2 heures après j’ai pris mal aux yeux. Je suis très nervous de cela. J'ai renoncé à Dieppe. Je m’en vais voir aujourd’hui ce que je puis trouver à St Germain. J’ai vu hier matin Harvey Fleischmann, Kisseleff, Pahlen, Decazes, Génie. Rien de tout cela qui vaille la peine de dire quelque chose. Hervey toujours préoccupé de l'Espagne, & voyant là de loin de gros orages. C’est très probable. Je parle toujours de Don Enrique comme votre candidat N°2 depuis l'origine. A diner chez les Cowley, il n’y avait qu’Adair. Trop vieux, trop sourd, et trop lent. Mon voisin est tout cela aussi de sorte que ce n'était pas drôle. Lady Cowley triste, pas un mot de nouvelle. J’ai fait un tour en calèche accompagnée jusqu'à 10 h. J’ai passé une mauvaise nuit. Il y a eu de l'orage mais sans rafraîchir l’air. Il fait étouffant. Suis-je tenue à une indemnité envers le courrier qui devait m’accompagner ? et dans ce cas là quoi ? Je lui avais toujours dit qu’il n’y avait rien de décider et que je l'informerais aussitôt que je le serai, ce que j'ai fait. 2 heures Génie est venu causer. Nous avons beaucoup causé de votre ménage ; nous sommes d’accord sur ce point qu'Henriette devrait s’accoutumer à le mener, tenir les comptes, & &. C'est des habitudes bonnes à prendre dans toutes les conditions de la vie. En Angleterre il n'y a pas de jeune fille des plus huppées qui n’entend fort bien & dans le plus menu détail les affaires de ménage. Cela fait partie d'une bonne éducation. Henriette me paraît avoir un peu de disposition aux idées trop grandes. Il arrive alors des mécomptes dans la vie. De l’ordre & de l'économie sont nécessaires également aux riches & à ceux qui ne le sont pas. Je fais là de la morale mais vous ferez bien de songer à cette partie-là. Je crois que Melle Wesly saurait y aider. Vous voyez que voilà une pauvre lettre. Je suis furieuse de ce qu'on vous réveille la nuit. C’est de la maladresse de votre part, car vous savez très bien que si le roi s’en doutait il en serait désolé. J’ai prie Génie de faire parvenir cette observation en haut lieu par Duchatel ou autrement. Que je m’ennuie sans vous ! Adieu. Adieu. 4 heures. W. Hervey est venu il m'a lu une petite lettre de Bulwer accompagnant une dépêche monstre sorte de tableau de la situation de l’Espagne depuis un an. Les partis, les personnes. C’est pour mettre Palmerston au fait de tout ce qui est survenu. Je n'ai pas lu cela naturellement. La petite lettre atteste un peu d'humeur entre Aberdeen sans qu'il le nomme, mais il dit qu’il aurait eu envie des ? de Naples, car Madrid lui déplait. iI est question dans cette lettre des mariages possibles ou impossibles. des mêmes ? De Bresson avec les Carlistes : il ne sait pas si tous les tripotages français n’auraient pas pour but de rendre tout impossible sauf Monpensier ! J'ai bien fait, je crois, de dire que c’était peut être le jeu qu'on jouait à Madrid chez la reine ? que pour ici cela ne réussirait pas du tout. à quoi Hervey a dit: mais c’est que Bulwer & beaucoup d’autres ne voient pas pourquoi pas. Et certainement Palmerston laissait le ? plus aisément qu'Aberdeen. Car il a plus de courage. J’ai dit tout cela, bêtises. Epousez franchement Cadix ou Séville, donnez-vous la main pour cela, & finissez l’affaire. Bulwer a lu la lettre de Christine au roi sur Tenerife. Est-ce que je dis bien ? Mais vous savez ce que c’est. Pas un mot de Palmerston encore comme affaires. On attend jeudi Adieu adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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3. Paris lundi 13 juillet 1846 10 heures

Voici votre N°1. J’ai eu presque de la colère en voyant ce chiffre. C’est le commencement des mauvais jours, de tant de mauvais jours. Hier toute la diplomatie est venue chez moi le soir. Il n'y manquait personne, car même le Prince de Ligne y était. Je lui plais beaucoup car mes imprécations contre les chemin de fer sont encore d'un ton plus élevé que les siennes. Sa femme a vu de ses yeux 21 cadavres, et il y avait des carcasses entières qui n’étaient pas retirées de l’eau. Les journaux étouffent tout cela, & sont toujours des vilaines de bourse. Mais que dire de cette providence qui s’adresse à l’aristocratie d'une manière si frappante. 13 voitures culbutées. La 14ème celle où sont les enfants Ligne. La 15. La P. ? Crartoue? 16. Mad. Lauriston 17 La Princesse de Ligne, saines & sauves. Passons. Könneritz m’a dit qu’il n’y aura pas de Constitution en Prusse. Cela a été décidé à une dernière réunion du Conseil. Le Prince de Prusse est parti pour Pétersbourg laissant à tout événement une protestation formelle contre tout projet. Armin à qui j'en ai parlé doute. Mais il ne doute que parce que cela lui déplait. La Vicontesse est évidemment in distress, elle me prie de ne venir que Samedi. J’irai d'abord à Dieppe & si Dieppe me déplait j’irai chez elle, voilà qui est dit. Je crois que je ne partirai que mercredi. Je dine aujourd’hui chez les Cowley avec le vieux Adair. Je hais les paquets et les embarras, me voilà enfoncée là dedans. J'ai bien repensé à votre Espagne. Quel dommage que vous n’ayez pas bâclé un mariage quelconque. Vous avez eu 7 monthes Warning. Aujourd’hui ce même Enrique qui eût été de votre fait, ne passera plus pour cela. Palmerston s'en chargera. Et cependant il me semble encore que ce que vous avez de mieux à faire serait de l’épouser franchement. Qu’on puisse le dire appuyé, par vous comme par l'Angleterre. Car sans cela il y arrivera en dépit de vous. Cela me tracasse. Je n’ai pas encore causé du tout avec Génie. Je ne sais si aujourd’hui vaudra mieux que hier. La chaleur m’accable. Est-ce que j'arriverai à Dieppe ? 4 heures. Kisseleff vient de me montrer une très bonne dépêche en réponse aux légions d’honneur. Je suppose que Désages vous l'envoie. Adieu. Adieu. Adressez toujours vos lettres à Génie. Encore adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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4 Val Richer, Mercredi 15 Juillet 1846,

Vos yeux malades me déplaisent beaucoup. Presque autant que vos yeux bien portants me plaisent. Vos yeux bien portants ont, par moment, un caractère de profondeur de regard recueilli et intérieur, admirable. Je les vois tels dans ce moment-ci. Qu'ils ne soient pas malades. Mad. Danicau vous lit-elle beaucoup ? Vous ne me dites rien d'elle. Je suis presque bien aise que vous renonciez à Dieppe. Je n’y avais pas goût. C’est bien loin pour ce que vous alliez y chercher. Et en cas de grand ennuis, il faut deux jours pour revenir à Paris. J’aime mieux St Germain ou Versailles. Je pense que vous allez samedi à Mouchy. Moi, j’irai ce jour-là établir Pauline à Trouville. Je devais y aller demain. Quelques arrangements me font retarder de deux jours. Fleischmann tient-il sa parole ? Le temps est resté un peu gâté de l'orage. Je me suis moins promené hier. Pourtant une course d’une heure dans les bois. On m’annonce pour aujourd’hui beaucoup de visites. Si je savais m’ennuyer, l’occasion serait bonne. L’état des esprits est excellent, ici et dans les environs. Je ne crains que le trop de confiance. Tous les nôtres se croient sûrs du succès trop sûrs.
Rien aujourd’hui d’aucun point. Si ce n’est de Bruxelles où l’Infant D. Enrique s’est rendu en deux jours, à charge à tout le monde, en particulier à sa sœur qui parle mal de lui et dit qu’il faut bien le veiller. Il ne s’est entouré que des émigrés progressistes. Il a dîné le 14 à la Cour, et il part aujourd’hui même pour la Hollande, d’où il ira sans nul doute à Londres. Vous avez toute raison de parler toujours de lui, comme de notre candidat N° 2. J’attends la première lettre de Jarnac pour lui écrire en détails à ce sujet. A tout prendre, je serais bien aise que Bulwer quittât Madrid pour Constantinople. C'est aussi l’avis de Bresson. Palmerston a été à Tiverton, bien réservé sur les affaires étrangères, et bien aigre sur Peel. Il me paraît impossible que l’hostilité ne recommence pas bientôt entre eux. Les Whigs feront ressortir les fautes de Peel, et il ne se laissera pas faire, je suppose. Je reçois un mot de Flahaut qui trouve sa retraite (la retraite de Peel) magnifique. Mais M. de Metternich a été très choqué de l’éloge de Cobden.
J’avais tort tout à l'heure de vous dire que je n’avais rien de nulle part. J’oubliais ce mot de Flahault qui me demande de la part de Metternich, des renseignements très détaillés sur l'organisation et le service de la Gendarmerie en France. On veut établir un service semblable en Galicie. On vient, d’Autriche, nous emprunter de la police. Pas un mot sur le discours de Montalembert et sur mon silence. Flahaut a tort. Que M de Metternich ne lui en ait rien dit, je le comprends ; mais il devrait avoir lui des informations, des conjectures, sur ce que Metternich en a pensé, et me les dire. Il fait comme bien d’autres, plus en pouvoir que lui ; dès qu’il y a quelque embarras, il s'efface. Vous ai-je dit qu’il avait écrit à Morny ? Il y a peu de temps qu’on lui disait que je n'étais pas content de lui, que j’avais envie de donner son poste à un autre, &. pour peu que cela fût vrai, disait-il, il voudrait le savoir, car pour rien au monde, il ne voudrait rester à son poste contre mon gré ou seulement contre mon goût. J’ai pleinement rassuré Morny. Adieu.
Je reviens à vos yeux. J'en attends de meilleures nouvelles. Merci de vos excellents conseils pour Henriette. J'en ai fait usage d’autant que je les avais devancés. Elle est à l’œuvre. Vous avez mille fois raison. Vous êtes vous-même, un modèle d’ordre. Adieu. Adieu. Je viens d’écrire longuement au Roi sur l’Espagne. Adieu G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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5. Paris le 15 Juillet 1846

Rien qu’un mot aujourd’hui. Je suis reprise des yeux. J’ai fait venir Chermside. On va me mettre au bain. Ce soir médecine. J'ai une éruption sur la poitrine. Il dit que ce n'est rien, que tout cela provient de la chaleur. Hier j’ai été à St Germain. J’ai arrêté un appartenent pour huit jours, mais je ne pourrai probablement. pas y aller. Car dans cette inquiétude de mes yeux ce serait pire qu'une autre catastrophe. Ma femme de chambre m'a annoncé ce matin en pleurant qu’elle est atteinte du même mal que Mad. de Meulan. Concevez-vous plus de guignon à la fois ? Et me voilà livrée à moi- même, sans appui. Vous au Val Richer. Marion à Brighton. Verity c.a.d. mes yeux en Angleterre. Je suis très triste. Je vous renvoie [linche?] Merci, merci. Je n’ai pas bonne opinion de ce qui se passera au foreign office. Je n'ai rien d'Angleterre un mot de Brougham aujourd’hui. Toujours la même chose. Des bêtises. La lettre de Jarnac sur Peel est curieuse. Génie affirme que vous avez reçu dimanche une lettre particulière de Rayneval. Et vous me dites que non. 2 heures. Je viens de prendre un bain, nous verrons comment cela me réussira.
4 heures. W Hervey revient d'une visite chez Madame à Neuilly. Il a été frappé de lui entendre parler encore de Trapani, & il soupçonne Narvey d'envisager cette espérance. Or Palmerston serait certainement contre Trapani. J’ai dit que cela avait été du dû & du gré du gouvernement anglais. Le candidat soutenu par la France. Qu’elle n’insiste pas si l’Espagne n’en veut pas. Mais que s’il avait des chances il est bien clair qu’elle ne pourrait pas s’y opposer et qu’elle devrait même les soutenir. Il me parait que Hervey a déjà écrit dans le sens d'une marche commune pour l'un des fils de François de Paule, demain il attend des directions de Londres, ou au moins quelques indications. Voilà mon pauvre bulletin. Je n’ai rien de plus que ma tristesse. Adieu. Adieu. On ne me permet pas de sortir aujourd'hui.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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6. Paris Jeudi le 16 juillet 1846

En allant à Trouville voyez je vous prie dans le cas de ma venue là je pourrais avoir un pied à terre pour moi, Mad. Danicau. femme de chambre & domestiques. Il n'est pas impossible que je m'y porte. Je vais aujourd’hui à St Germain. Je ne sais comment cela va me convenir. Je suis fatiguée de mon emballage. Mais mes yeux sont un peu mieux qu'hier. J'ai vu du monde hier soir mais on ne m'a rien dit d’intéressant. Lady Cowley, les Gallière, Durazzo, & quelques diplomates. Pas Armin, il me voyait partie. Ce matin j'ai des lettres de Bacourt, Allen, Peel, Greville Je n'ai rien là j'emballe. Je lirai dans mon loisir de St Germain. Merci, merci de votre lettre. Le Prince Belousky est mort. La femme est arrivée 6 heures après.
3 heures Voici la lettre de Greville assez curieuse. Renvoyez la moi Hervey n’a pas un mot. Cowley non plus. Palmerston n’a pas répondu encore à la dimension offerte vendredi dernier. Il est évident que la reine n’est pas gracieuse pour les nouveaux. Elle ne les a pas eus à diner. Palmerston suit avec Ibrahim Pacha & pas même la France. Madame a mal parlé à Hervey de la reine Christine. Elle lui a parlé aussi avec un peu de souci des élections. Le roi ira à Eu le 30 juillet, pour en revenir le 14 août. Adieu. Adieu. Je pars pour St Germain. Tout est réglé avec Génie. J’aurai vos lettres, & vous les miennes exactement. Adieu. God bless you.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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6 Val Richer Vendredi 17 Juillet 1846

Quel plaisir me fait ce N°6, si court ! J’étais tres inquiet de vos yeux de votre solitude sans yeux. Puisqu'ils allaient mieux hier, ce ne sera, je l’espère, qu’un incident. Je vous l’ai dit ; j’aime mieux St Germain que Dieppe. Quant à Trouville j’y vais demain, et j'aurais bien du malheur si je n’y trouvais pas pour vous un bon gite vraiment bon, le mieux possible là, car je ne veux pas que vous y veniez pour y être mal. Mais quel plaisir si vous y veniez ! Aussi vif que de vous voir de bons yeux. Vraiment, il y aurait pour vous dans cette course-là, pas plus de fatigue et plus d’agrément que dans toute autre. El Mouchy ? Y avez-vous renoncé ? Vous ne m'en dîtes rien. J’y aurais quelque regret. La vicomtesse aura remué ciel et terre pour vous préparer un peu de bonne compagnie. Je serais fâché qu'elle eût un mécompte. Je n'aime pas les mécomptes, ni donnés, ni reçus. Comme il vous conviendra du reste. Merci de la lettre de Greville. Intéressante. Je vous la renvoie avec une de Reeve que vous me renverrez. A peu près la même chose. Le parti Tory se réformera. Et un jour, il s’y formera un chef. Peel ne le redeviendra pas. A moins d’incidents bien imprévus. Et de l’autre côté les nuances se fondront dans un grand parlé libéral, qui n’en sera pas plus homogène. Et le jour qui ne sera pas très loin, ou l’esprit radical y prévaudra trop les Torys reprendront le pouvoir. Je doute que Gladstone, leur soit un chef dans les Communes. Je voudrais bien. Il est très honnête et d’un esprit doux et élevé. Nous verrons. Il y a bien à regarder là.
Le courrier d’aujourd’hui ne m'apporte rien du tout. Sinon le mouvement des élections qui s'anime un peu. Je suis charmé que Casimir Périer se porte candidat à Paris, et je désire beaucoup qu’il réussisse. Cela me convient électoralement et diplomatiquement. Adieu. Je serai court aussi aujourd’hui. J’ai un énorme paquet de signatures à donner. Je ne suis pas aussi oisif ici que l’an dernier. J’ai gardé les affaires. Je me promène pourtant beaucoup. En bien bon air. Point trop chaud. Hier il a beaucoup plu. Adieu. Adieu. Merci de vos yeux. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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7. Val Richer, Samedi 18 Juillet 1846, 6 heures

Où êtes-vous à St Germain ? Je suppose au Pavillon de Henri 4. Vous ne me l’avez pas dit. J'espère que vous y avez plus beau temps qu’il ne fait ici ce matin. Ma vallée est sous un voile de pluie. C'est ennuyeux pour aller à Trouville. J’y vais pourtant. Je pars à onze heures. Le soleil percera peut-être d’ici-là. Le temps est très variable depuis deux jours. Je vous dirai demain matin ce que j'aurai trouvé pour vous à Trouville. On dit que la maison où ma fille, et Mlle Wislez vont s’établir est la meilleure de l’endroit, la plus confortable, par la vue, et au dedans. Elles ont le projet de s’établir au second étage et de laisser le premier disponible. Je vous dirai quand j'aurai vu. L’aide de Guillet y sera. Facilité de plus.
Le Roi fait venir du château d’Eu son portrait en pied par Winterhalter, et le donnera à Lord Cowley. A propos de portrait, il a fait faire, en porcelaine, à Sèvres, d’après Winterhalter, deux très beaux portraits de la Reine Victoria et du Prince Albert, pour Windsor. Mais à la dernière cuisson, une crevasse s’est déclarée dans celui du Prince Albert, ce qui sera difficile à réparer. Peut-être faudra-t-il recommencer ? En attendant. celui de la Reine est parti. On dit que c’est un chef d’œuvre.
Le Roi a été frappé de la dépêche de M. de Nesselrode sur les croix. Voici sa phrase : " Cela est gracieux. Il y a quelque progrès ; mais je doute fort que cela aille plus loin. " L’idée de l’initiative franche avec Londres pour l’un des fils de D. François de Paule est fort approuvée. Je vais la mettre à exécution, lundi probablement. J'en écrirai en même temps à Madrid et à Naples. La Reine Christine m’a mis bien à l'aise à Naples en faisant attaquer elle-même dans ses journaux, par son secrétaire Rubio, la candidature de son frère Trapani, et en en rejetant sur nous la responsabilité. C'est bien elle qui l'abandonne et la tue. Je réserverai pour cette combinaison-là, comme pour celle de Montemolin, les chances de retour, toujours possibles avec un tel monde. Je maintiendrai notre principe tous les descendants de Philippe V si seulement, nous nous portons selon les termes, vers celui qui peut réussir, favorable à celui-là sans en abandonner aucun. Rien encore de Londres qui indique avec un peu de précision ni sur cette question-là, ni sur aucune autre, le tour que va prendre Palmerston. La réserve des Whigs est extrême. En tout, la situation donnée, je ne trouve pas leur début malhabile. Ni de mauvais air. C’est assez tranquille, et sensé. Avez-vous remarqué ces jours-ci un article du Morning Chronicle qui n'aura pas fait plaisir à Thiers ? On lui donne poliment son congé, comme War-party. N’avez-vous rien reçu de Lady Palmerston ? Avez-vous écrit à Byng ? Mad. Danicau sait-elle vous lire le Galignani ? Le Prince de Joinville et sa flotte, et sa rencontre là, avec le Duc d’Aumale, ont fait grand effet à Tunis. Nos affaires sont bonnes à l'est et à l’ouest de l'Algérie. Après son apparition devant Tripoli, il (Joinville) ira à Malte, de là à Syracuse, de là une visite au Roi de Naples, puis une au grand Duc à Florence, puis une au Pape à Rome. Tout sauvages qu’ils sont, ces Princes là se montrent volontiers quand il y a quelque effet à faire. Ils se regardent bien comme les serviteurs du pays et obligés de soigner ses intérets et sa grandeur. Le comte de Syracuse passera, dit-il, l’hiver prochain à Paris. Il va parcourir la France, en attendant. Voilà mon sac vidé. Mon cœur reste plein. Loin de vous, il se remplit de plus en plus. Nous nous croyons bien nécessaires l’un à l'autre. Nous le sommes plus que nous ne croyons.
9 heures Je vais déjeuner et partir pour Trouville. Bon petit billet de St. Germain. Je suis content de vos yeux et de Mad. Danicau. Bonnes nouvelles de Londres même sur l’Espagne. Ce demain les détails. Je suis pressé. Soyez tranquille. Rien à craindre que la pluie. Adieu. Adieu. Adieu. G.
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