Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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4. Paris lundi 30 mai 1853

Je suis votre exemple. Voici ma quatrième lettre. J’ai reçu à la fois ce matin le 1 & 2. L’article du Times du 28 fait beaucoup de bruit. Flahaut en est trés frappé. Tout le monde maintenant est contre nous. On dit que le moins épouffé et peut être seul même le réjoui de la situation, c’est votre Empereur. " il a eu raison, en ne se fiant pas à nous, et le voilà sorti de l'isolement. Il a pour allié l’Angleterre, il n’aura d’autres. " Il est bien plus occupé de Bruxelles que de Constantinople. Le mariage lui déplait beaucoup, ainsi que tous les succès de Léopold. J'ai eu beaucoup de monde hier, mon dernier dimanche. Du bavardage infini sur l’Orient. Toujours le duc de Noailles le plus enragé de tous. Molé bien fâché aussi. Le dernier paragraphe du Moniteur lui paraît très sensé. Au fond je le trouve un peu aussi. Castelbajac ne cesse de rapporter un langage très différent de celui du P. Menchikoff. Tout cela a besoin d'un éclaircissement. Kisseleff a l’air très dégagé et content. Hubner dit : cela s’arrangera. Je ne conçois pas comment ?
Quel dommage que vous ne m'aidiez pas à avoir une opinion. Tous les jours, toutes les heures, j’aurais des choses nouvelles et curieuses à vous conter. Donnez-moi toujours vos réflexions. Votre tableau de la campagne me donne bien envie de cette vie là. Comme elle me conviendrait avec mon salon de Paris le soir.
Cowley a une affaire avec Le duc de Gènes & Villamarina et on dit qu'à Londres on est mécontent de l’ambassadeur. comme je ne connais pas bien l'affaire je n’ai pas d’opinion mais je parierais pour quelque gaucheries de Cowley. On donne un grand bal au duc de Gènes à St Cloud ce soir, demain il part pour Londres. J’attends mon fils aîné aujour d’hui. La grande duchesse Marie ne va plus en Angleterre. La grande Duchesse Hélène ne vient plus à Vichy je crois vous avoir dit cela. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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2 Val Richer, Dimanche 29 mai 1853
8 heures

Je me lève après neuf heures de sommeil. Je sens la fatigue s'en aller. comme la soif quand on boit. Mais il ne fait pas beau ce matin. Vous ne connaissez pas le plaisir de voir pousser vos cerises, vos fraises, vos abricots et vos pêches. Marion vous dira si c’est un plaisir. Je reviens de mon verger à mes journaux à Paris, je les regarde ; ici, je les lis.
Le Moniteur met bien du soin à répéter le Morning Post qui dit que les Cabinets de Londres et de Paris, "ont agi, agissent et agiront à Constantinople avec l'accord le plus parfait et le plus cordial." On est très pressé de rentrer dans l’ornière. Il est vrai que cette fois, vous y avez poussé. Si votre Empereur avait, dés le premier moment, dit avec précision, à tout le monde, que pour se mettre à l'abri des firmants secrets et mobiles, il demanderait pour l'Eglise grecque, ce que la France possédait depuis deux siècles pour l'Eglise latine, c’est-à-dire des capitulations formelles, et que c’était là, pour lui, la question des Lieux Saints, il n’eût pas rencontré, j'en suis convaincu, les obstacles qu’il rencontre aujourd’hui ; car bien qu'énorme en fait et très différente par là de la prétention latine, la prétention grecque est, en soi et en droit, si naturelle et si raisonnable qu’on eût eu de la peine à la combattre. Mais elle ne s’est pas expliqué tout haut, toute entière et tout de suite ; elle a apparu au dernier moment comme une nouveauté par conséquent beaucoup plus grosse qu’elle n'eût paru au premier ; et vous avez créé, à la fin, une situation grave uniquement peut-être parce que vous avez voulu vous épargner, au commencement, quelques embarras de conversation. Je n'en persiste pas moins à penser que la situation grave sa dénouera sans événements graves.

Onze heures
Je persiste toujours, quand même la tentation de conciliation des quatre puissances n'aurait pas réussi. Le feu ne prendra pas à l'Europe pour cela. Vous avez raison, il fallait parler plutôt et plus haut pour vous. Vous voyez que je suis de votre avis, encore plus que vous, car je remonte plus haut. Adieu, Adieu.
Ne soyez pas trop fatigué en partant. Je remercie Marion. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Dimanche le 29 mai

Le Moniteur vous annonce le départ du Prince Menchikoff. Il a longtemps attendu quatre délais successifs. C’est fini. [Kisseleff] croit aux coups de canons immédiats.
En dépit des réflexions du Moniteur, il n'y a que cela de convenable après le fracas, les lenteurs et tout ce que nous avons vu depuis trois mois. Je ne crois pas que l'Angleterre nous fasse la guerre, & la France ne fera rien & ne peut rien faire seule. L’Alarme est grande ici. Voici la lettre d’Ellice d'hier vous y verrez que le ton de Brunnow est devenu un peu arrogant.
Enfin toute cette affaire est une affaire, et les conséquences peuvent être grandes. Ce qui m'effraie c’est la colère où va entrer mon Emp. Si on s'avisait de dire qu'il a manqué à sa parole. Il n'y a pas manqué. Nous n’avons élevé aucune prétention nouvelle. Nous demandons la consécration du rien, & nous les demandons sous une forme plus obligatoire que les firmans, parce que nous avons fait l’expérience de peu de valeur des firmans, témoin Lavalette.
Que de choses curieuses j'aurais déjà eu à vous dire depuis 2 jours ! Je n’ai pas vu Fould. Flahaut est toujours très bien. Noailles a la tête perdue. Que sera ce quand le canon aura tiré ? J'ai eu hier des données détestables sur le professeur Allemand que je voulais prendre. Il faut que j’y renonce et je n’ai personne, et cela à la dernière heure ! Vous me voyez m’agitant ? Comment n'ai-je encore rien eu de vous depuis votre départ. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 8 Novembre

Vous avez le Moniteur et vous savez tout. Jérôme continue à être enchanté, et sûr de son fait. Il a de quoi. Les deux paroles de Fould hier soir me la laissent pleine conviction que le Prince va lui rendre ce que le Sénat lui avait ôté l'héridité de tout cela. Il reste l'homme au Sénat. Une voix a été opposé à l’Empire, c’est celle de M. Vieillard le précepteur du Prince, Sénateur et doté de 30 m. fr. de rente. Je ne sais rien de plus. Ma soirée m'a fatiguée, et je le suis beaucoup aujourd’hui. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 30 oct. 1852

L'affaire Belge me paraît, pour le moment, bien près d'être arrangée ; le ministère Broucker va se former ; il avait été appelé comme le plus propre à terminer les négociations avec la France. Il s'acquittera de sa mission, et la question commerciale ne sera plus un prétexte aux querelles politiques. Resteront la presse et les réfugiés, nous verrons si les Chambres belges feront quelque chose à cet égard.
Albert de Broglie me disait hier que la Suisse était inondée du pamphlet de Victor Hugo ; on l’offre aux voyageurs sur les bateaux à vapeur, dans les auberges. Les radicaux sont toujours les maîtres là, et très malveillants pour le président.
Le Piémont en revanche se loue beaucoup du président. M. de Cavour dit qu’il a été presque étonné de l'accueil que lui a fait le gouvernement français et de la bienveillance, toute politique, qu’on lui a témoignée. Ils n'ont, disent-ils, absolument aucune inquiétude, pour la Savoie et ils comptent sur un appui diplomatique s’ils étaient tracassés d'ailleurs.
Il me paraît qu’il n’y a guère de doute sur la venue du Pape, si on le lui demande formellement. A part toute autre considération, son caractère l’y poussera ; il a le goût de la popularité ; il en trouvera plus en France que partout ailleurs, et comme Pape, et comme formateur libéral.
La Times est bien violent sur l'affaire de l'emprunt Turc. Il y a là quelque chose que je ne sais pas, et qui donne à Londres, et à Paris beaucoup d'humeur, peut être à des gens qui manquent là une bonne occasion de donner beaucoup d'argent.
La Duchesse d'Orléans était très souffrante. vraiment très souffrante avant son accident ; les entrailles en fort mauvais état ; le repos absolu qu’elle a dû garder lui a fait un bien réel. Elle est, à tout prendre, bien aise de retourner en Angleterre, dans sa famille ; elle commençait à la trouver fort seule, délaissée ; elle n’a, auprès d'elle, personne qui puisse lui donner un bon conseil et un utile appui. Elle passera l’hiver dans quelque bon coin du midi de l’Angleterre. Le climat de Claremont ne lui réussit pas.
Le comte de Paris a été très bien au moment de l'accident de voiture intelligent, courageux et affectueux. Je recueille des bribes de conversation, en attendant mieux.

4 heures et demie
Mon facteur vient tard. Abdel Kader ne déshonore pas votre appartement de la Terrasse. C'est un grand homme malheureux. Il y a des grands hommes dans le désert. Adieu, Adieu.
Je crois sans en savoir rien de plus que ce que vous m'en dites, que l'Empire commencera modestement. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 27 oct. 1852

Il était difficile de croire que l’insignifiance des journaux pût augmenter. Elle augmente pourtant. Le voyage du Président les animait un peu. Les cérémonies de l'Empire seront quelque chose, pas longtemps. Tant que la peur du socialisme et la prospérité de la Bourse dureront, ce sera bien. Mais après ? On arrive toujours à ce mot là. On dit ici que le suffrage universel sera convoqué pour le 21 novembre. On n'y pense guère, mais on votera. Je ne crois pas à une diminution considérable du nombre des votes.
Certainement Chasseloup ne donnera pas sa démission. Il est de ceux à qui le régime parlementaire convenait le mieux ; toujours un peu dans l'opposition, sans les efforts et les périls de la résistance. Aujourd’hui, l’opposition serait trop sérieuse. J’ai plus de doute sur Montalembert. Pourtant je n'y crois guère. Annonce-t-on toujours son ouvrage ?
Les états italiens ne savent ce qu’ils font pas plus la Toscane que Naples d'hommes gens condamnés aux travaux forcés pour avoir lu la Bible dans leur maison, avec quelques uns de leurs amis. Cela n’est pas de notre temps parlementaire ou non, pas plus que la torture. Ce qui est déplorable, c'est qu'on use ainsi en sottises la réaction d’ordre à ce moment-ci, et qu’on amènera une réaction, en sens contraire dont on ne saura comment se défendre. Les hommes sont bien sots quand ils ne sont pas bien fous.

Onze heures
Lord Minto a raison de se tenir pour fini. Adieu, adieu. J’espère que vous n'avez pas eu cette nuit l'épouvantable vent qui m’a réveillé trois ou quatre fois. Vous n'auriez pas dormi du tout. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, jeudi 21 oct. 1852

Voici une lettre de Marion qu’il me paraît utile que vous lisiez. Prenez y un peu garde ; ménagez leurs sentiments. Comme vous le dites, ce sont des personnes de votre condition, et elles ont du cœur ; il faut qu'elles se sentent à l'aise avec vous. Vous êtes sujette à vous préoccuper trop exclusivement de ce qui se passe en vous, et pas assez de ce que pensent ou sentent les autres.
Voilà donc l'Empire. Je trouve qu’on a raison d'en finir. La délibération du mal ne sera certainement pas longue. Le vote universel prendra une quinzaine de jours. Puis la réunion du Corps législatif chargé de faire le dépouillement. Le second Empire pourra être inauguré au commencement de décembre, le même jour que le premier.
Reste la question du Pape. Ce qui me revient, par des catholiques fervents, est plutôt contraire à l’idée qu’il viendra. Mon instinct à moi est qu’il viendra si on le lui demande formellement. Mais formellement. Il faudra qu’il soit mis au pied du mur.

Onze heures
Génie m’avait écrit que le régime d’Andral vous réussissait mieux que celui de Chomel, que vous repreniez un peu d’appétit et de sommeil, qu’il vous trouvait lui-même meilleure mine. La même impression m'est revenu aussi d'ailleurs. Votre impression à vous me désole. Olliffe est si je ne me trompe, de l’avis d'Andral pour votre régime.
Les feuilles d'havas annoncent ce matin. que " la majorité qui va sortir de l’urne populaire dépassera par son chiffre, tous les résultats antérieurs, y compris le scrutin du 20 décembre. "
Je ne trouve pas qu’il y ait sujet d'être violent contre la mise en liberté d'Abdel Kader, et je suis plutôt porté à croire qu’elle n'aura pas d’inconvénient. L'Algérie doit être bien changée depuis six ans et lui-même bien dépaysé. Ce que je trouve de mauvais goût, ce sont les injures qu'à cette occasion les journaux du gouvernement nous disent à nous qui n'avons fait, dans cette occasion, que ce que le plus simple bon sens commandait alors et ce que le droit politique autorisait parfaitement. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 18 octobre 1852

J’attends, pour avoir quelque chose à vous dire, qu’on parle d’autre chose que d’une seule chose que je n’ai pas vue, et d’une seule question pour laquelle j’ai mon parti pris depuis longtemps. Le Président est rentré et l'Empire est fait. Après ? C'est bien dommage quand j'ai parié avec vous pour l'Empire, que je ne me sois pas donné toute l’année 1852. Mon seul doute porte à présent sur Napoléon 3. Je n'y puis pas croire. Je suis décidé, sur ce point, à ne croire que quand j'aurai vu.
On m’écrit l'adoption du second fils du Prince de Canino comme décidé. Je ne crois pas cela non plus. A quoi bon se presser. Rien n’y oblige. Il vaut mieux rester maître d'adopter qui l’on voudra.
On m’écrit aussi qu'Armand Bertin, se retire de la rédaction des Débats, emmenant avec lui ses amis, et que le Journal, sous le titre de Journal de l'Empire sera mis à la disposition du gouvernement. Encore une chose que je ne crois pas. Je n'ai que de celles-là aujourd’hui. Du reste, mon repos dans mes champs, loin de tout spectacle et de tout bruit, me plaît, et me convient.
Vous perdez Dumon. Il part jeudi ou vendredi, et ne sera de retour que dans la seconde quinzaine de Novembre. Onze heures Votre lettre me chagrine. Je ne veux pas vous en parler davantage. Je crains que tout ce mouvement ne vous ait agitée de là de votre force. Adieu, adieu.
Pourquoi vous parlerais-je de ce qui ne m'intéresse. pas du tout ? Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 16 oct. 1852

C'est bien dommage que vos yeux soient malades ; ils auraient à regarder. aujourd’hui un magnifique soleil, brillant comme en Juillet. Mais il fait froid.
La réception du Président sera splendide. Le ciel s'en mêle. M. Fould maintient-il le rendez-vous qu’il vous a donné au 16e jour après le retour à Paris ?
Vous aurez de vos fenêtres, le double spectacle du passage du cortège sur la place Louis XV et des amphithéâtres élevés sur les deux terrasses des Tuileries, pour les spectateurs. Ce sera beau. J'espère que vous aurez assez d'yeux pour en jouir un moment.
Je viens d’employer les miens à lire dans le Moniteur une longue pièce du comité des propriétaires de houilles à Mons pour amener le Roi Léopold à l’arranger avec le gouvernement français. Ils sont bien pressés de voir cesser l’augmentation de droits que le decret du président a établis. L'affaire belge d'à présent s’arrangera mais l’arrangement ne mettra pas fin à la situation. Elle est au dessus des questions commerciales.
Je suis assez curieux de lire la circulaire que le gouvernement Belge a adressée à tous les cabinets pour expliquer sa conduite. Elle sera certainement publiée. Je doute un peu de l'opportunité. Il ne peut pas donner publiquement, ses vraies et grandes raisons.
Ma lecture du Moniteur m’y a fait découvrir ce que je ne savais pas ; c’est qu’il se met à publier des Romans feuilletons, comme les autres journaux. C’est inconvenant. Ses romans seront mauvais, comme les autres. Une si méchante invention ne devrait pas pénétrer dans le journal officiel.
24 personnes exécutées à Sinigaglia, chez le Pape, en septembre 1852, pour les crimes de 1848 ! C’est trop tard. Les gouvernements ne peuvent pas commettre de plus grande faute que de faire venir le châtiment longtemps après le crime. L'impression du crime a disparu, blâme moral et peur ; et on a à la place l'impression d'horreur du supplice et de pitié pour le criminel. C'est stupide. La première condition pour l'efficacité de la justice, c’est qu’elle soit prompte.
Je n’ai pas vu le nom de l'Anglais Murray dans ces condamnés. Il me semble qu’il était de cette bande-là. Est-ce qu’on lui a fait grâce ?

Onze heures
Voilà un plaisir. Merci de votre longue lettre. Elle me charme. D’abord pour moi, et puis pour vous, dont les yeux vont un peu mieux. Je ne vous demande point pardon de mon égoïsme. Le papier vert me manquait trop depuis deux jours. Adieu, adieu. G

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 12 oct. 1852
5 heures

Puisque Aggy attend les avis de Clothall, elle ne partira pas. C’était le premier mouvement qui était à craindre. Marion elle-même lui dira, et lui dit déjà de rester. Sa lettre est touchante. Il faut bien que l’âme se dépense quelque part ; quand le bonheur naturel et régulier lui manque, elle se jette dans l’exaltation. Les vieilles filles (pardonnez moi ce mot brutal qui me déplait) sont ou très sèches, ou un peu folles. Marion n’est rien moins que folle ; mais partout où elle trouve un sujet d'émotion, d'affection, de passion, elle s’y précipite, et le cœur déborde. Quand je n'aurais pas déjà de l’autre pour elle, cette lettre m'en donnerait. Qu'ont donc fait ses parents pour la blesser à ce point ? Je suppose qu’Aggy n’a pas besoin que je vous renvoie la lettre de sa sœur.
La Gazette de France, seule, m’a apporté ce matin le discours de Bordeaux. Moins bien fait que celui de Lyon, sauf le para graphe sur la paix qui est très bien dit et très positif. C’était le paragraphe important. Je n'ai jamais douté que ce ne fût là le premier langage et même le premier dessein. Saura- t-on s’y tenir ?
Je présume, d'après ce discours, que l'Empire suivra de très près le retour à Paris. On dit que les Sénateurs iront au devant du président jusqu'à Tours. J’ai peine à le croire.
M. Troplong était, il y a quatre jours, bien tranquille dans sa petite maison de campagne, à huit heures de chez moi. Je crois comme vous que le Pape viendra. Et quand l'Empire aura été reconnu par les grandes puissances, je ne vois pas comment il s'y prendrait pour ne pas venir.
Le Roi Léopold ferait bien de prendre lui-même son parti et de mettre son gouvernement, ministres et chambres, au pied du mur sur cette question de la presse. Il y a certainement là, et depuis longtemps, un grand désordre Européen. Il ne se peut pas que le premier venu ait le droit de pousser, d’une frontière à l'autre, les états voisins dans les révolutions et son propre pays dans la guerre, sinon son propre pays, du moins le pays qui lui donne l'hospitalité.

Mercredi 9 heures
Avez-vous remarqué un article des Débats d’hier sur le suffrage universel ? Trop métaphysique pour votre goût mais spirituel et vrai par un côté ; faisant seulement servir la vrai à voiler et faire passer le faux, ce que je déteste.
Salvandy commence dans l’Assemblée nationale une série d'articles sur l’histoire de la restauration de M. de Lamartine. A en juger par la premier, ils ne seront pas sans intérêt. Je vous parle des articles de journaux, faute d'événements, car aujourd’hui, l'Empire n’est pas un événement. Il en redeviendra un, plus tard.

Onze heures
Vous avez raison de soigner vos yeux. J'espère que cette fluxion passera bientôt. Je vous ai dit à première impression sur le discours. Je viens de le lire et j’y persiste. Le paragraphe qui s'adresse à l'Europe est bon, et bien tourné. Le reste a plus de prétention que d'effet. Si le suffrage universel pouvait tenir ces promesses-là, il serait le maître depuis longtemps. Il n’a jamais fait ce qu’il avait dit. C'est sa nature. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 11 oct. 1852

J’ai parlé de mon mieux à Aggy, deux jours de suite. J’espère qu’entre vous et moi nous l'aurons décidée. Permettez que je ne mette pas Lady Holland tout à fait en tiers. Je suis fort aise du reste qu'elle vous serve. Il faut savoir se serait de tout.
L’article du Times est remarquable. Les feuilles d'havas s'en prévalent, mais sans dire un mot de la condition à laquelle il attache la renonciation à l'exclusion des Bonaparte, et la reconnaissance de l'Empire. Vous aurez la condition, comme le Président aura votre reconnaissance de l'Empire. La paix est dans le besoin, le goût et le caractère de tout le monde.
Duchâtel m’écrit : " Je partage tout-à-fait votre sentiment sur la situation et votre manière de l’apprécier. Je crois comme vous qu’il y a, dans le mouvement en faveur du président, plus de réalité que quelques personnes ne le pensent, c’est un feu qui ne s'allumerait pas de lui-même ; mais la matière inflammable existe, et quand on approche la mèche, elle s'enflamme rapidement et assez vivement. Ce qui est convient aux goûts et au tempérament de la grande majorité de la nation, dont l’intelligence n'est ni assez tendue, ni assez prévoyante pour discerner le manque de racines et de solidité. Nous aurons bientôt l'Empire. Le Président n'y gagnera pas de force vraie et par conséquent il fera un mauvais marché ; mais c’est une phase qu’il était inévitable de parcourir, et quand j’ai vu, il y a six semaines, comment le mouvement se préparait dans les Provinces, je n’ai pas douté, que l'Empire ne fût proche et très proche. "
Vous ne lisez pas le Pays, le rival du Constitutionnel. Il y avait hier un grand article pour prouver aux socialistes que l'Empire de Louis Napoléon peut seul faire pour eux tout ce qu’ils peuvent raisonnablement demander.
Grande attaque aux deux dernières monarchies, et à la République qui ne peuvent rien faire pour les socialistes. Roi d'Algérie serait ridicule. Il n’y a pas assez de Français en Algérie pour leur donner un Roi, et il faudrait aux Arabes un Roi mahométan. Cela ne sera pas. Conquête et colonie, l'Algérie ne peut, de longtemps encore être autre chose.

Onze heures un quart
Voilà une lettre d’Aggy à laquelle je veux répondre encore ; mais c’est trop tard aujourd’hui. J'espère bien que son bon coeur, sa justice, et sa raison surmonteront son chagrin. Adieu adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 11 octobre 1852

Hier il n’y a pas eu moyen de vous écrire. Une matinée toute employée à empêcher Aggy de partir. Quel ouvrage, quelle fatigue pour moi. Marion me parait toucher un peu à la folie. Je vous envoie sa lettre, c’est une exaltation touchante, mais c'est trop. Evidemment ses relations avec ses parents sont bien mauvaises elle les prend en horreur. Qu'ils me l'envoient. Je suis convenue avec Aggy qu’elle attendra ici que ses parents lui permettent de revenir. S'ils la veulent je n’y peux plus rien mais j'ai écrit au Père et à Marion dans un sens très raisonnable, & qui devrait les faire persévérer à désirer qu'ils ne reviennent pas. Je vous remercie du travail que vous faites de votre côté.
Je vous ai fait dire un mot hier par votre petit ami. Cela me venait de Mad. de Contades qui avait lu la dépêche chez Persigny. Ce que dit le Moniteur aujourd’hui n’est pas si clair mais il l’indigne. Au surplus attendons le texte même des discours qui a été dans tous les cas très important. Je regrette que Fould ne soit pas venu.
Le comte [Nesselrode] m'écrit une bonne lettre sur Paul. Il causera avec lui et ne soumettra rien à l’Empereur que d’accord avec mon fils. Meyendorff est très monté contre la presse Belge, & veut qu’on en finisse. Il faut de lois de septembre & qu’elles s’exécutent, la protection de l’Europe est à ce prix. A Berlin on pense de même et qu'il faut forcer le Piémont aussi. La France a le droit de le faire. Cowley a peur de Stratford Canning. Il craint qu’on ne veuille accréditer un nouvel ambassadeur auprès du nouvel empire. Le nonce n'ex prime guère de doute sur l’arrivée du Pape. D’autres diplomates disent qu’il ne faut pas permettre que le Pape vienne. Je crois moi qu'il viendra. Je ne sais rien ce matin. Le Prince de Ligne qui retourne demain à Bruxelles a l'espoir d'être nommé ici, je le désire. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, samedi 2 octobre 1852

Il n'y a vraiment pas de quoi, en vouloir, au Roi Léopold parce qu’il a remis ses Chambres au 26 octobre. On se félicite, sans doute du renversement du cabinet avec lequel on n’a pu s'entendre ; comment veut-on qu’il en forme un autre les Chambres présentes et parlantes ? En elle-même, la difficulté est déjà très grande pour lui ; au moins lui faut-il un peu de temps et de repos.
Je ne crois point à la guerre prochaine. Quand l'Empire sera fait, vous verrez quelles peines, il se donnera pour l'écarter ; j’ai peur qu’il ne la porte, comme on dit aujourd’hui, dans ses flancs ; mais il fera tout ce qu’il pourra pour en accoucher le plus tard possible, et tout le monde l’y aidera. Ce ne peut pas être son entrée en scène.
Il y a si peu de monde à Paris que je ne vous plains guère des ennuyeux que vous a endossés Lady Ellice, le nombre vaut quelque chose quand on n’a pas le choix, mais pourquoi vous laissez-vous faire par Lady Allice, vous qui en général savez si bien vous défendre des endosseurs ?
Je ne sais pourquoi le Journal des Débats et l'Assemblée nationale ne me sont pas venus hier. J’ai eu ces jours-ci quelques détails assez curieux sur l'Etat des journaux. Le Constitutionnel réussira, dans sa lutte de bas prix contre Le Pays ; il le tuera quoique le Pays reçoive, à ce qu’on assure, 20 000 fr de subvention par mois. Le Constitutionnel relèvera aussitôt son prix. C'est le bénéfice de ses annonces qui le met en état de supporter la perte qu’il fait en ce moment sur les abonnements. Elles lui vaudront cette année 500.000 fr. Le Siècle est en gain. Les Débats, et l'Assemblée nationale se soutiennent. Tout cela ne vous fait pas grand chose.
Madame de Brandebourg reste-t-elle un peu longtemps à Paris ? D'après ce que vous m'en dites, je serais bien aise de la connaitre. Quand reviennent les Hatzfeldt ?
Sauf l'ennui d'être malade, la petite Princesse est-elle bien fâchée d'être obligée de passer l’hiver à Paris ?
Vous devriez résumer vos souvenirs sur le duc de Wellington ; un portrait de caractère, appuyé sur des anecdotes particulières, et intimes ; ce serait vrai et piquant. Un grand homme qui n’est ni un homme d’esprit, ni un homme de coeur (non pas cœur, courage) cela est rare et vaut la peine d'être peint.

Onze heures.
Je n’ai pas du tout vos dernières paroles. Je vous voudrais au moins quelques semaines d’un mieux soutenu. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 30 sept. 1852

Je n'aurais pas deviné, d'après les journaux que Marseille eût été un peu moins enthousiaste que Grenoble, et je m’en étonnais, car certainement l'opinion des deux villes est et a été de tout temps différente. Montpellier sera un peu moins enthousiaste que Marseille. Le Président retrouvera tout l'enthousiasme en quittant Bordeaux, à Angoulême.
Je regrette qu’on n'ait pas arrêté tout le complot. C’est un malheur pour tout le monde, et pour tous les temps que de tels scélérats échappent. Certainement Thiers est de bien mauvais goût d'attribuer ceci à la police. Il a assez vu de ces complots-là pour savoir qu’il y en a toujours plus que la pluie, elle-même n’en sait et n'en dit.
On me dit que la Reine et le Prince de Joinville sont partis pour Lausanne avec l’intention de faire effort pour ramener Mad. la Duchesse d'Orléans à Claremont. L'accident a été plus grave qu’on ne l’avait dit ; mais elle est bien.
Charles Pozzo fait bien d'avoir peur. C’est une manière de rappeler qu’il est le neveu de son oncle. On l'oublierait aisément.
Si je croyais au parti pris de chercher querelle à la Belgique, je croirais qu’on a pris, pour commencer, le prétexte de la négociation commerciale. J'en connais les difficultés, car j’ai eu à les résoudre deux fois ; mais elles ne sont pas insolubles ; il faut seulement n'avoir pas peur des clameurs de quelques industries intéressées. J’ai donc peine à comprendre qu’on n'ait pas abouti, car la situation de la Belgique vis-à-vis de la France, est moins bienveillante, il est vrai, mais plus faible qu’elle n’était de mon temps. Je ne crois pourtant pas au parti pris de chercher querelle. On n'en est pas là.
Le petit Lord John Russell n’a rien perdu de son énergie. Je suis sûr que son discours à Perth a eu du succès. Vous verrez que Lord Granville a raison. Si Dieu leur prête et nous prête vie, nous verrons un cabinet Russell, Aberdeen et Graham, et vous aurez le plaisir d'avoir Lord Granville à Paris.
L'Indépendance Belge dit que M. Bacciochi est allé à Constantinople pour s'entendre avec le sultan sur la mise en liberté d'Abdel Kader. Avez-vous entendu dire cela ? Je n'y crois pas. Et ce que surtout je ne crois pas, c’est que le sultan consente à se faire le geôlier d'Abdel Kader pour débarrasser le Président de cet ennui.

Onze heures
Adieu. J’aurais trop à vous dire sur le retour des mots lac français. Grosse faute, et que rien n'explique. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 28 sept 1852
Six heures

J’ai été pris toute la matinée par des visites de Paris et de Lisieux. Elles viennent de partir.
Je causerais volontiers avec vous ; mais vous êtes trop loin.
L'Impression que je vous ai dite m'arrive de tous côtés, la machine infernale inquiète plus que sa découverte ne rassure. C’est de la force dans le présent, et du doute sur l'avenir. Cela pousse à l'Empire et on se dit que l'Empereur ne sera pas plus à l’abri que le Président. L’espoir de la stabilité s'en va d’autant plus que le besoin s'en fait plus sentir.
La lettre de M. de Meyendorff est intéressante comme le faisant bien connaître lui même. Bon jugement et bon cœur. Propre à être ministre et père. Ses fils sont-ils, des jeunes gens distingués ? Je les lui voudrais tels.
Nous avons un véritable ouragan. Je viens de faire le tour de mon jardin, en marchant tantôt avec, tantôt contre le vent, à grand peine. J’aimais beaucoup cela quand j'étais jeune. C’est un des goûts de ma jeunesse que je puis encore satisfaire.

Mercredi matin
Au lieu de l'ouragan d’hier soir, voilà le plus beau soleil du monde.
Avez-vous lu le second article de John Lemoinne sur le Duc de Wellington ? Beaucoup trop long mais spirituel et animé. Du reste, je crois, comme M. de Meyendorff, que vous trouvez le Duc un peu ennuyeux, après sa mort comme de son vivant.
On me dit que faute de femme royale, le Président pense à la fille au prince Czartorinski. Je n'y crois pas ; mais certainement on en a parlé autour de lui. Cela ne vous plairait pas.
Est-ce qu’on ne dit rien de l'objet du voyage de M. Bacciochi, en Orient ? Il avait été question de donner un avertissement officiel à l'Assemblée nationale à propos de son article sur le duc de Wellington. C’était, dit-on, l’avis du garde des sceaux, M. Abattucci qui a porté la question au Conseil ; mais MM. de Maupas, Fould et Drouyn de Lhuys s’y sont opposés.

Onze heures
Les rencontres chez vous m'amusent. Vous vous en tirez toujours à merveille, vous êtes une spécialité pour la fusion apparente et extérieure. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 27 sept. 1852

On m’a apporté hier de Lisieux la Patrie que je ne reçois pas. Qu'est-ce que cette machine infernale saisie à Marseille ? Quand une diabolique invention a paru une fois dans le monde, elle y devient endémique et à l’usage de tous les scélérats. Ceci précipitera probablement l'Empire, si quelque chose était nécessaire pour le précipiter, ce que je ne crois pas.
Mes journaux du reste ne contiennent absolument rien, sinon les débuts du Duc de Brabant à Bruxelles comme orateur. Roi et peuple belge attirent fort aujourd’hui les regards de l'Europe. S’il y a des événements, ils commenceront par là. J'en doute. En tout cas, ils se feront attendre longtemps.
Je n’ai pas goût à vous écrire jusqu'à ce que j'aie ce matin de vos nouvelles. Il fait très beau ici, et un temps vif qui doit vous être sain. J’espère que vous avez ce temps-là, au Bois de Boulogne.

11 heures et demie
Vos deux lettres (samedi et dimanche) m’arrivent à la fois, et tard. Très intéressantes. Ceci peut avoir des conséquences bien graves. Quand en finirons-nous des idées horribles ? Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Dimanche 26 sept 1852

Je ne m'étonne pas qu’on attribue au Président quelques vues d’aggran dissement en Afrique ; c’est là qu’il peut tenter quelque chose de ce genre avec le moins de danger du côté, soit de Tunis, soit du Maroc. Je doute que l’Europe, et peut-être même l’Angleterre lui fissent, pour cela, une guerre immédiate ; mais il en résulterait, pour eux, au dehors, surtout à Londres, une situation très gâtée, et au dedans de graves embarras financiers, car, sur ce terrain-là les guerres ne rapportent rien et coûtent énormément. Et tout docile qu’il est, son Corps législatif ne serait guère disposé à lui donner beaucoup d'argent pour de telles conquêtes. A tout prendre, elle lui seraient, je crois plus nuisibles que profitables, et le Constitutionnel a raison de prêcher deux fois par semaine, comme il le fait, l'Empire pacifique et commerçant. Il ne faut pas pousser l’imitation au-delà du nom.
On vient de prendre un petite mesure que vous n'avez certainement pas remarquée, mais dont l'effet sera mauvais dans les départements, c’est la suppression de l'institut agronomique de Versailles. Pure économie, je crois ; on ne sait où en faire, et on en a besoin. Je n’ai pas la moindre opinion sur le fond de la question ; mais je sais, et je vois, autour de moi, que cet établissement plaisait aux propriétaires agriculteurs un peu aisés, et qui veulent que leurs enfants soient bien élevés en restant agriculteurs. Il était fondé ; il commençait à bien marcher. On trouvera cela léger [?] Sans compter qu’on met ainsi à la porte une douzaine de savants considérables qui crieront.
Cela vous est égal, et à moi aussi ; mais je vous dis ce qui me vient à l’esprit en lisant mes journaux.
Qu’est-ce que c’est que votre belle hongroise ? Sera-ce une remplaçante de Mad. Kalerdgis ?
Le discours de Lord John Russell à Stirling en l'honneur du duc de Wellington m’a plu ; la louange est vrai, et dit avec une simplicité ferme. Il n’y a rien de tel que de mourir pour n'avoir plus d'adversaires.

Onze heures
Pas de lettre du tout, ni de vous, ni d’Aggy. C’est trop peu. Donc adieu et adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Dimanche le 26 Septembre

M. Fould est venu hier me raconter la découverte de la machine infernale à Marseille. Très préoccupé de cela. On a pris tout le monde. Il croit à des ramifications à Londres. [Brignoles] il est très monté contre les [gouvernements] libres. On le fera sentir. Sentir aux uns, dire à un autre. Mais ceci peut même loin. Il faut voir l'influence que cet événement de Marseille aura sur le reste du voyage, il y a trois semaines encore. Dimanche le 16, il rentre à Paris. Entrée solennelle. Molé est venu hier très frappé de l’événement et triste, Dumon triste aussi. On croyait les fusillés oubliés. Les proportions de ceci étaient affreuses. De centaines de personnes y périssaient. Du reste Molé content de la pensée qu'on va être affranchi en même temps de la République et du suffrage universel ; Fould ne disait hier encore qu’il sera brisé après l’Empire. Celui ci est bien décidé, je ne sais si l'événement de Marseille le rapproche. (Voici votre lettre. Comment vous ne comprenez pas pourquoi la Reine ne fait pas seule. Mais ce serait son argent, elle aime mieux que ce soit celui de Parlement parenthèse) Vous voyez que c’est Hardinge qui commande l’armée. Choix très convenable. On s'occupe beaucoup à Londres de l’idée d'une descente. Le duc de [Wellington] la croyait très possible. et le Times peut la rendre vraisemblable autant que le complot de Marseille. Quoi ? Si l'on demandait à l'Angleterre l’éloignement des exilés ? It will end by war, voilà ce que répète Ellice depuis 4 ans 1/2.
J'ai montré à M. Fould ce que vous m'avez dit du discours du Prince à Lyon, cela lui a fait plaisir, mais quant à la remarque sur ce que le [gouvernement] de [Lord Palmerston] a rendu des respects à la mémoire de Napoléon, il dit qu'il courait après la popularité et que l’ayant reconnu là, la statue et les cendres ensuite ont eu cela pour à l'Angleterre l’éloignement des exilés ? It will end by war, voilà ce que répète Ellice depuis 4 ans 1/2. J'ai montré à M. Fould ce que vous m'avez dit du discours du Prince à Lyon, cela lui a fait plaisir, mais quant à la remarque sur ce que le [gouvernement] de [Lord Palmerston] a rendu des respects à la mémoire de Napoléon, il dit qu'il courait après la popularité et que l’ayant reconnu là, la statue et les cendres ensuite ont eu cela pour mobile. Il n'y a rien à répliquer c’est vrai quant à la légitimité elle n’y avait rien à faire. Pardon du petit bout de papier, je suis avare. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Samedi 25 sept. 1852

L'article du Moniteur est certainement ce qu’il y a eu jusqu'ici de plus positif. C'est une vraie déclaration d'Empire. Le Président fait jusqu'au bout ce qu’il a dit ; pour ceci, il ne veut venir qu’à la suite et obéir, sinon à la force, du moins à la volonté publique. Tout le monde le poussera, depuis le peuple jusqu'au Moniteur. Alors il acceptera. Je ne sais pas si le jeu était indispensable ; mais il est bien joué, et il le sera jusqu'au bout. Je ne crois pas que le bout soit bien loin.
Autre grande personne qui ne veut pas prendre d'initiative ; la Reine Victoria pour les obsèques du Duc de Wellington. Je ne comprends guère cette hésitation. Pourquoi ne pas faire soi-même, et tout de suite, tout ce qui se peut faire pour honorer un grand serviteur de la couronne ? Il me paraît que j’avais raison de croire que Lord Hardinge serait commandant en chef. Je le vois dans mes journaux. Est-ce sûr ?
Si Chomel voit aller voir la Duchesse d'Orléans, je suis bien aise qu’il ne vous quitte que lorsque vous commencez à être mieux. La Duchesse d'Orléans ferait bien, je crois, de ne retourner à Eisenach que lorsqu'elle sera tout-à-fait rétablie ; elle est là bien seule et bien loin.
J’ai reçu hier des nouvelles de Mad. de Staël qui me dit que les Broglie la quittent tous dans les premiers jours d'octobre pour revenir à Broglie. Mad. d’Haussonville est allée rejoindre son mari à Gurcy. Il y est fort tranquille, et ne songe plus qu’à chasser.
J’ai peine à croire que le Roi Léopold joue dans la question commerciale avec la France. Ses ministres actuels ne se refusent à ce que la France demande que parce qu'ils n'osent pas ; ils craignent les Chambres et l'opinion Belges. Les ministres que Léopold aurait, s'il renvoyait ceux-ci, oseraient encore moins ; ils auraient tout le cri libéral contre eux. Je n’entrevois pas comment on sortira de cette impasse. Ni à Paris, ni à Bruxelles on n'osera céder. Voilà votre petite lettre. Il ne dépend ni de vous, ni de moi de faire des nouvelles, et la correspondance ne vaut pas la conversation. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 25 Septembre 1852

J'ai demandé hier au nonce des détails sur l’entrevue à Rome. Les journaux sont bien renseignés. Cela s’est passé comme cela. Quelle impertinence ! Exiger les dossiers pour se faire juge d'une affaire jugée par un [gouvernement] étranger. Je suis bien aise du fiasco. J'ai une lettre de Meyendorff que je vous enverrai quand je l'aurai bien déchiffrée. Le [général] de l’Etang envoyé d'ici a dîné chez Buol avec la Duchesse de Parme. Elle a été charmante pour lui. J'ai revu hier le duc de Noailles. Il a été cause que je vous ai quitté si brusquement. Il est très décidément pour la léthargie. Vous voyez que le voyage est fabuleux. Grenoble et Valence dépassent tout ce qui a précédé. La [grande duchesse] de Mecklembourg est venu hier me faire visite. Grande politesse car je n’y ai pas même été par carte ni rendu visite à sa fille. C'est une bonne femme, animée, en train, curieuse. Mais trop shy pour venir dans mon salon. Je crois que l'absence de Kisseleff sera bien courte. Adieu et adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Jeudi 23 sept. 1852

Je trouve le discours du Président à Lyon très bien fait, le meilleur qu’il ait fait. On ne tire pas mieux parti de sa situation et de son nom. On ne fait pas mieux servir les faits passés aux intérêts présents. Toutes les paroles répondent à des dispositions instinctives du peuples, réelles et bien comprises. Je n’y vois qu’une faute ; c’est la malice contre la légitimité à propos de la statue équestre de Napoléon. Cela n’est ni grand, ni juste. Le gouvernement de Juillet a remis la statue de Napoléon sur la colonne de la place Vendôme, et Napoléon lui-même sous le dôme des Invalides. Cela vaut bien une statue équestre. J'étais ministre à l’une et l'autre époque et j’ai bien le droit de dire que jamais gouvernement ne s’est plus généreusement conduit envers la mémoire d’un prédécesseur dont les descendants restaient des rivaux. Cela m'amuse de prendre, en ceci, fait et cause pour la légitimité et de reporter sur elle le mérite des actes du gouvernement de Juillet. Mais je n’ai pas tort.
Au fond, ce n’est pas contre la branche légitime seulement, c’est contre les deux monarchies précédentes, contre toute la maison de Bourbon que l'allusion est dirigée, et là est l'injustice comme l’artifice ; à cela près, le discours est habile et a très bon air.
Voilà la guerre commerciale engagée entre la France et la Belgique. On vient. de doubler les droits d’entrée, sur les houilles et les fontes belges. La nouvelle négociation a donc tout-à-fait manqué. Cela peut devenir sérieux. Mais rien ne devient sérieux maintenant, rien du moins de ce qui peut aboutir à la guerre.
Je vous parle toujours des Feuilles d’Havas. Je suis frappé d’un petit article que je trouve dans celles d’hier, pour prendre le parti du Duc de Wellington contre les journaux qui l'ont attaqué, en attaquant l’article de l'Assemblée nationale. La défense est très convenable, de fond et de ton. On veut évidemment n'être point responsable des mauvais procédés et du mauvais langage envers l’Angleterre.
Vous ne lisez plus le Journal des Débats. Faites-vous lire pourtant, dans le numéro d’hier mercredi, un article de M. St Marc Girardin sur les Mémoires de Mallet Dupan. Très sensé, très spirituel et très piquant. Avez vous lu, ou du moins parcouru ces Mémoires de Mallet Dupan ? C'est, sans aucune comparaison, ce qui a été écrit de mieux sur la Révolution Française. C'est la vérité vue et entendue au milieu de la fumée et du bruit du canon.
Je ne vous parle que de discours et de journaux, et c’est à votre santé que je pense surtout. J'espère avoir ce matin de vos nouvelles, par vous et que vous me direz que vous recommencez à manger. Adieu, en attendant je vais faire ma toilette.

Onze heures
Voilà une lettre qui me fait bien plaisir. Mangez et dormez. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Mercredi 22 sept. 1849
9 heures et demie

Je suis dans mon Cabinet depuis six heures. Je n'ai pas encore mis le pied dans le jardin quoiqu’il fasse un soleil superbe. Je suis plongé dans mon histoire de la révolution d'Angleterre. Notre temps me sert beaucoup plus pour la comprendre qu’elle ne m'éclaire sur notre temps. Personne, ne me croirait si je disais que je cherche bien plutôt dans le présent des lumières sur le passé que dans le passé des allusions au présent. C'est pourtant très vrai.
Savez-vous un effet qu’on n’a pas prévu ? Il est très probable que ces bruyantes et innombrables démonstrations dont les journaux sont remplis, feront l'Empire ; mais en le faisant, elles l’usent d'avance. On en aura trop entendu parler quand il sera proclamé. On attendra et on demandera autre chose.
Le Constitutionnel allait avant hier au devant des craintes qu'inspirent déjà ces autres choses ; il promettait un Empire qui ne serait pas l'Empire, qui ferait des sociétés de crédit foncier et des chemins de fer une monarchie pacifique et bourgeoise. C’est trop de bruit pour arriver là. Il fallait attendre plus patiemment la nécessité de la monarchie ; elle serait venue, et elle serait venue plus tranquillement, sans blaser d'avance et sans exciter outre mesure. J'en reviens toujours, au chancelier Oxenstiern, qu’il y a peu de sagesse, même dans ce qui réussit !
C'est probablement par mauvais vouloir pour Lord Douro que le Duc de Wellington n’a pas fait de testament ; il a voulu que son second fils, qu’il aime mieux, et qui a des enfants, ont la moitié de sa fortune. Peel et Wellington, jamais les fils n'ont moins ressemblé aux pères ; le contraste est choquant.
Je suis convaincu qu’il y a de la faute des pères en cela, et que des enfants vraiment bien élevés, et en intimité avec leur père, n'en sont jamais si loin, quelque différente que Dieu ait fait la pâte, de toutes les jalousies, celle de père à fils est la seule que je ne comprenne pas du tout. Je ne conçois pas de plus grande satisfaction que de se survivre, et de la perpétuer soi-même dans ses enfants. J’ai pourtant vu de grands exemples de cette jalousie là, et dans de bien frappantes occasions.
Je vous quitte pour faire ma toilette. Je suis impatient de savoir Aggy revenue.

Onze heures
Je remercie Aggy de ses quelques lignes, quoiqu’elles me chagrinent. J’espère qu’un peu de nourriture vous relèvera de votre abattement. Le temps mou et pluvieux paraît vouloir casser ; peut-être qu’un air plus sec et plus vif vous vaudra mieux. Adieu, Adieu, en attendant demain. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 20 sept 1852

Voici ce que dit la correspondance Havas : " Ce que veut le peuple sous un régime comme le nôtre qui a le suffrage universel pour base, doit infailliblement se réaliser. Le prince Louis Napoléon efface complètement sa volonté dans cette affaire de l'Empire, et il a pleinement raison. C'est la seule des questions intéressant la France à propos de laquelle l’initiative ne lui appartienne pas.
S’il désirait changer son fauteuil présidentiel, pour un trône, ce désir de son ambition n'aboutirait que par le libre et spontané consentement du peuple. Si au contraire le Prince tient à garder sa situation actuelle, il est trop l'homme de la France pour ne pas faire au peuple le sacrifice de ses goûts, car il accepte pour lui-même, et il est toujours prêt à pratiquer cette soumission à la volonté populaire qu’il prescrit et impose aux autres.
Peu importent donc, dans cette question, les sentiments du Prince, c’est la France qui doit faire entendre sa grande voix ; et quand l'heure sera venue quand aux yeux même des partis et de l’Europe, il sera plus clair que le jour que la France veut l'Empire, le Prince n'aura plus qu’à remplir son devoir en obéissant à la France. "
C'est le commentaire de la réponse à Charles Dupin, et le commentaire est aussi clair que le texte. Reste toujours à déterminer le moment où l’on jugera que la France a parlé assez haut et qu’il faut absolument obéir.
Autre article d'Havas, très pompeux, sur le vaisseau l’Austerlitz lancé à Cherbourg, en présence du ministre de la marine ; on raconte les détails de la cérémonie, et on finit en disant : " Le vaisseau l’Austerlitz, qui porte le plus beau nom peut-être de nos fastes militaires, avait été mis en chantier sous l’appellation de l'Ajax, le 17 Avril 1832, il y a plus de vingt ans. " Vous voyez que, bien loin de regretter, on se vante d'avoir débaptisé ce vaisseau du nom que nous lui avions donné. La querelle ne peut avoir aucun résultat, et ne vaut pas qu’on y insiste.
En mettant son corps à la disposition de la Reine, le Duc de Wellington a évidemment voulu de grandes funérailles. Que dit-on du prince Albert, comme commandant en chef ? J’ai peine à croire que le choix fût approuvé en Angleterre. Au fond, ce serait peut-être la meilleur, mais c’est certainement le plus compromettant. Si ce n’est pas lui ce ne sera pas le Duc de Cambridge. Pas de Prince du tout en ce cas.
En fait de militaire, je ne vois nulle part le nom de Lord Anglesey ; il n'est question que de Lord Fitz-Roy Somerset ou de Lord Hardinge. Celui-ci est le plus gros. Je parierais pour lui, si je pariais. Que va faire le Roi de Bavière en Espagne ? S'amuser, je suppose. Les Rois se sont toujours beaucoup amusés ; mais autrefois ils s'amusaient sur place. Cela valait mieux.
Voilà, M. frère d'Orban décidément hors du Ministère Belge. Je suis porté à croire que la nouvelle négociation aboutira à l'adoption par les Chambres Belges, de la première convention, et qu'au fond, on ne se propose pas autre chose. Le procédé serait trop étrange, s’il était sérieux.
Je vois, en parcourant les Débats d’hier, qu’ils ont répété l’article d'Havas sur le vaisseau, l’Austerlitz, Est-il vrai que le Duc de Wellington, et Croker se sont vus à Folkstone ? Je le voudrais pour la satisfaction de mon ami Coker qui est bien malade, et que la mort du Duc aura certainement frappé.
11 heures et demie
Mon facteur arrive tard. Il a tort, car votre lettre aussi me plaît. Quel est donc le nouveau traitement ? Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 19 sept 1852

Je suis impatient d'avoir de vos nouvelles ce matin, et de savoir ce qu'aura dit Chomel. J’espère qu’il aura un peu élargi votre régime alimentaire. Il faut certainement ne pas donner à votre estomac beaucoup de fatigue, puisque ce sont les organes digestifs qui sont souffrants et fatigués. Mais il faut aussi soutenir les forces de ces mêmes organes pour qu’ils puissent continuer leurs fonctions. Toujours de la politique de juste milieu, aussi indispensable que difficile, et aussi difficile, qu'indispensable.
J’ai parcouru hier soir les journaux que je n’avais pas vus tant que je vous voyais. Pur acquis de conscience, car il n’y a rien.
Lisez un petit roman, la Messe noire, dans la Revue contemporaine des 1er et 15 septembre. Assez intéressant mélange. des moeurs du Moyen- ge et des nôtres, d'un amour de la croisade et d’un amour de salon. Je ne sais si l'article de M. Vitet sur le Louvre vous intéressera. Il m’a intéressé. C’est une histoire du monument, de toutes les vicissitudes, et une discussion de son avenir. Très sensible et spirituelle. Peut-être un peu technique pour vous.
Je trouve ici des torrents de pluie. Je n’ai pas pu hier passer plus d’un quart d'heure dans mon jardin. La température est extrêmement douce.
Je vois que Lord Mahn sera l’exécuteur testamentaire du Duc de Wellington comme de sir Robert Peel. Cela le consolera un peu de n'avoir pas été réélu au Parlement. Lady Mahon était une des petites favorites du duc. N’y aura-t-il pas, pour le Président, quelque inconvénient au grand éclat du début de son voyage ? Nevers ne peut guères être surpassé, et il est difficile que ce niveau là se maintienne. La saison des fleurs est trop avancée ; il n’y en aura pas assez partout pour embarrasser les jambes de ses chevaux, et les empêcher de marcher.
J’ai des nouvelles de Barante qui me dit : " On est bien tenté, quand on a tiré les ficelles, de prendre les mouvements de Polichinelle pour des actes vivants ; c’est un grand danger. "

Onze heures
Ne vous inquiétez pas trop du changement de régime ; la politique de juste milieu ressemble souvent à la politique de bascule ; on se porte à droite après s'être porté à gauche, là, où le secours devient, pour le moment, nécessaire. Adieu, Adieu.
Je reçois une longue lettre de ce pauvre Sauzet. Quelle ombre ! Bien honnête, sensée et pompeuse. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 18 Septembre 1852

J'ai oublié de vous dire tantôt que j’ai lu l'Assemblée nationale. L’article sur le duc de [Wellington] m'a beaucoup frappé. Comme il est bien fait.

19 Dimanche. Je suis très engourdie depuis hier soir, un demi-sommeil perpétuel, et pas moyen de manger, je ne veux plus de rien. Voilà le premier effet des nouveaux remèdes. C'est un peu excessif, & je ne sais pas si ces messieurs sont dans la bonne. route. Je continue à obéir.
Morny est venu hier et est resté deux heures. Très intéressant. il ne doute pas de l’Empire, tout en raisonnant comme moi. Toutes fois l’année finira encore en république. Tout le monde est frappé de l’article de l'Assemblée nationale sur Wellington & Napoléon. Je l'ai donné à Morny. Il est irréprochable, mais il donnera de l’humeur. Le voyage est en fin roulant d'enthousiasme. Cela devient monotone, je désire que cela reste monotone. J’ai vu peu de monde hier ; le soir rien que Kalerdgi Dumon et Kisseleff. La chaleur hier était étouffante. Votre lettre ce matin me plait.
A moi aussi le dernier moment a laissé un souvenir bien doux. J’étais restée plus triste que satisfaite des 3 jours. Ceci a effacé et j'ai le coeur remis en place.
J’ai eu une lettre de Paul. On veut qu'il fasse une sorte de noviciat qu'il passe quelque temps à Petersbourg avant de reprendre la carrière active. Cela ne me plait pas du tout ni à lui, & pour commencer sa santé ne le lui permettrait vraiment pas en hiver. Nous verrons tout cela se débrouiller au retour de Nesselrode dans un mois. Il est dans le ravissement de Castellane. Adieu, pas de nouvelles ce matin. Je ne verrai du monde qui dans la soirée. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer. Lundi 6 sept 1852

Vous me demandez des lectures. Vous intéressez-vous d’autant plus à un temps que vous vous en êtes plus, et plus récemment occupé ? Si c’est là votre disposition, quand vous aurez fini l’histoire de la Restauration de Lamartine, prenez l’histoire des deux restaurations de M. Vaulabelle, un moment ministre de l’instruction publique sous le gouvernement provisoire, après Carnot, je crois. Six volumes non terminés ; cela va jusqu'en 1827 et à la chute de M. de Villèle. C'est l’histoire révolutionnaire de la Restauration ; parfaitement révolutionnaire ; tout est bon pour défendre ou répandre la révolution ; tout est légitime contre la légitimité ; l’auteur accepte et accepterait tout y compris la ruine de la France, plutôt que de transiger une minute avec les adversaires quelconque de la Révolution. Cela dit, c’est un livre curieux, sérieux, fait avec soin, avec un certain talent lourd, mais passionné, avec conscience quant à la vérité des faits et même avec une certaine intention d'impartialité quant aux personnes. C’est un mauvais livre qui mérite d'être lu.
Il y a quatre ouvrages à lire sur l’histoire de la Restauration ; Lamartine et Vaulabell, plus Lubis, celui- ci est la droite Villèle et gazette de France ; plus Capefigue, recueil d'anecdotes, de documents, écrit avec une fatuité pédante et intelligente. Tous livres faux, et dont aucun ne restera parce que, ni pour le fond, ni pour la forme, aucun n'est l’histoire ; Lamartine seul offre çà et là pour la forme, des traces d’un esprit et d’un talent supérieurs ; mais tous amusants aujourd’hui et nécessaires à consulter plus tard, pour qui voudra connaître notre temps. Si vous aimez mieux quelque chose encore plus près de nous, lisez l’Europe depuis l'avènement du Roi Louis-Philippe, jusqu’en 1842, par Capefigue, dix volumes. C'est bien long et bien médiocre, mais animé, plein de détails sur les faits, sur les personnes, et plutôt vrai que faux, un long bavardage écrit par un coureur de conversations et de nouvelles qui ne vit pas habituellement dans le salon, mais qui y entre quelque fois.
Si vous voulez les romans, demandez les trois ou quatre nouvelles de Mad. d'Arbouville, la femme, laide et morte, du Général d’Arbouville. Vous l’avez rencontrée, je crois, chez Mad. de Boigne. Vraiment une femme d’esprit, dans le genre roman, du cœur elle-même, et l’intelligence du cœur des autres. Je crois qu’il y en a quatre, Marie, Le médecin de village, je ne me rappelle pas le nom des deux autres. Ils ne portent pas le nom de l'auteur, mais tout le monde sait de qui ils sont. Voilà ma bibliographie à votre usage.
Je m'attendais à votre réponse sur Lady Palmerston. Il y a beaucoup de sa faute, un peu de la vôtre. Elle a mérité que vous vous détachiez (je ne veux pas dire détachassiez) d'elle ; mais vous vous détachez aisément quand vous n'aimez plus beaucoup. Vous ne tenez pas assez de compte du passé, même du vôtre.
Deux romans qui me reviennent en tête vraiment spirituels et intéressants, Ellen Middleton et Grantley manor, de Lady Georgia Fullarton. Moi qui n’en lis point, j’ai lu Grantley Manor qui m'a plu, et surtout attaché. C’est un peu tendu.
Comme je ne lis jamais les journaux Allemands, je ne savais pas qu’ils fussent violents contre le Président. Mais je vois que faute de répression à Berlin, Tallenay vient d'adresser à ce sujet une note à la diète de Francfort. C'est faire une bien grosse affaire. Je ne doute pas que la diète me réponde, très convenablement ; mais après ? Gouvernements, ou amants les plaintes inefficaces ont mauvaise grâce.
On annonce l’arrivée à Paris du Marquis de Villamarina, comme ministre de Sardaigne en remplacement de M. de Collegno. S'il vient, vous ferez bien de l’attirer chez-vous. C’était autre fois un homme d’esprit. Il y a longtemps à la vérité.
Pauvre Anisson qui est venu mourir subitement à Dieppe. C’était un bon et honnête homme, aussi honnête que laid. Ce sera un chagrin pour Barante.
Quel volume ! Presque comme si nous causions. C'est bien différent pourtant. Adieu. en attendant la poste, je vais faire ma toilette.

11 heures
Je n'ai plus de place que pour adieu. Adieu. G. On m'écrit que le Sénat sera convoqué pour le 20 novembre.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Samedi 4 sept. 1852

Evidemment, il faut que Fould revienne et que le Président parte. Leur voyage à travers la France vous donnera seul quelques nouvelles à entendre, si ce sont là des nouvelles. Rien ne se ressemble plus que les voyages de Princes, tous les lieux deviennent semblables pendant ces jours là, et tous les incidents sont les mêmes.
La lutte du Moniteur contre les journaux Anglais continue. Elle est bien plus vive dans les feuilles d’Havas qui jouissent du privilège de l’incognito. Là on prédit la chute de l’aristocratie anglaise, de la monarchie anglaise ; on leur déclare que cette chute arriverait demain s'ils recevaient, comme nous, le bien fait du suffrage universel. Comment résisteraient-il à cette voix du peuple & &.
Ce sont les colères de l’ancien Empire avec le suffrage universel de plus. L'Empereur avait usé deux ou trois fois du suffrage universel, mais il se gardait bien d'en parler tous les jours. C'est vraiment une maladresse extrême, et si inutile !
On m'écrit que le comte de Chambord a reçu la démission de M. de Pastoret par une lettre officielle, très courte et très sèche. Pas un mot de remerciement ni d’ancienne amitié. Cela fait supposer à la brouillerie quelques motifs plus sérieux que ceux qui ont paru. C'est le Duc de Lévis qui est maintenant chargé des affaires financières du comte de Chambord. Cela le fera résider plus habituellement à Paris. On dit qu’il n'en est pas fâché.
Il avait été très sérieusement question de la retraite de l’armée Française de Rome. Mais le Pape n’a pas voulu donner l’assurance que ses propres gardes lui suffisaient, et prendre, l’engagement de ne pas appeler les Autrichiens. Alors on reste, et le Pape en est bien aise, car les Français lui sont plus commodes et moins compromettants que les Autrichiens.
Êtes-vous contente de votre nouveau maître d'hôtel ?

10 heures et demie
Pas de lettre. J’espère bien que ce n’est pas pour raison de santé. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 1er Sept. 1852

Ce que vous me dites de Hübner ne m'étonne pas ; il a de l’esprit, mais son esprit est placé trop bas pour se répandre aisément ; il n’y a que les esprits hauts qui soient communicatifs et libres.
Vous avez en effet bien peu de ressources à Paris en ce moment ; mais vous en auriez encore moins ailleurs. La campagne est bonne à ceux qui ne craignent pas la solitude.
A mon avis, vous avez tort de ne vouloir absolument. d’aucun château ; vous n’y seriez pas, il est vrai, aussi parfaitement, sans gêne que chez vous ; mais vous y auriez un peu de bonne conversation et beaucoup de bon air. Il faut bien choisir entre ses goûts et sacrifier quelque chose des uns à la satisfaction des autres. Je vous fais de la très bonne morale, sans compter sur son succès.
Pour moi, je ne parie plus ni pour contre l'Empire ; il viendra, ou ne viendra pas, comme on voudra ; je n’y pense même plus. Je puis oublier beaucoup le présent.
La guerre devient bien vive, entre le Times et le Moniteur. Je ne crois pas que cela serve le Président en Angleterre où tout le monde lit le Times et personne le Moniteur. Et en France, où personne ne lit le Times, et tout le monde à présent le Monteur, cela n’a d'autre effet que d’apprendre au public, que le Times attaque violemment le Président. Ce sont des polémiques où l’on s’engage pour la satisfaction de son humeur, non pour le service de son intérêt. Je les comprends de l'Empereur Napoléon, il faisait la guerre à l'Angleterre ; il la lui faisait dans le Moniteur comme partout ; ses articles étaient soutenus par ses canons, et expliquaient ses canons. Mais le Président, est et veut, être en paix avec l’Angleterre ; le Moniteur ainsi employé lui rend la paix plus aigre voilà, tout. C’est un mauvais calcul un anachronisme.
Je suppose que vous ne lisez pas le Bernardin de St Pierre de M. Ste Beuve. aussi soigneusement que ses Regrets. Quatre Bernardin de St Pierre à la fois, celui qui a eu le prix à l'Académie, celui de M. Villemain dans son Rapport, celui de M. de Salvandy dans les Débats, et celui de M. Ste Beuve dans le Constitutionnel, c’est beaucoup.
Vous êtes vous fait lire le Rapport de M. Villemain ? Aggy lit-elle bien tout haut ?

Onze heures
Je reçois quatre lignes de Piscatory qui me dit qu’il est malade, et qu’on le croit dangereusement malade, d’une esquinancie. Lui, il se croit mieux ; mais il finit en me disant. " Je pourrai me vanter d'avoir été pendu. " J’en suis très fâché, car j’ai vraiment de l’amitié pour lui. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 30 Août 1852

J’ai dîné hier à Lisieux avec l'Évêque, son clergé et les gros bonnets de la ville. Le clergé toujours bienveillant, pour le président. Les laïques sans enthousiasme pour l'Empire et craignant qu’il n’amène la guerre. Tout le monde sensé dans un horizon bas et court. La conversation ne s’arrêtant pas sur la politique et cherchant, d’un sentiment général à se porter ailleurs ; tantôt sur les questions économiques, tantôt sur les questions religieuses. C’est un assez amusant spectacle que de voir ces bourgeois au fond très peu dévots quoique respectueux essayer de prendre intérêt à la querelle des auteurs chrétiens et des auteurs païens, aux citations des pères de l'Eglise, et à la tenue des synodes des prêtres du diocèse.
Avez-vous lu un article du Globe sur les affaires d'Orient, France and Turkey, bien fait et curieux ? Il me paraît que le renvoi de Rachid Pacha, s'il est sérieux ne tournera qu’à votre profit. Plus on ira, plus on sentira la faute d'avoir relevé solennellement cette question des Lieux Saints. La politique de la France en Turquie depuis vingt ans est un tissu d'inconséquences et d'étourderies.
J’étais moi-même dans cette mauvaise voie, en 1840, jusqu'à mon ambassade en Angleterre. J’ai essayé d'en sortir de 1840 à 1848 en me tenant tranquille en Orient, et en n'y traitant aucune question que de concert soit avec la Porte elle-même, soit avec toutes les grandes puissances Chrétiennes quand il fallait agir contre la Porte, c’est-à dire sur la Porte, malgré elle. Il n’y a pas autre chose à faire, tant qu’on ne sera pas décidé à fondre, avec du canon, la cloche. de ce pauvre Empire. On s'en apercevra. pour la seconde fois, lorsqu’on se sera mis, pour la seconde fois, dans quelque mauvais pas, comme il nous est arrivé en 1840 à propos de Mehemet Ali.
Le Moniteur, est un peu embarrassé à parler convenablement du déplacement du monument élevé au Duc d'Enghien dans la chappelle de Vincennes. C’est une pauvre raison à donner de ce déplacement que la nécessité de faire plaisir aux artistes " en rétablissant la symétrie des belles lignes architecturales du temple bâti par St. Louis. " Une phrase sur " le respect qu’on doit à la cendre des morts " n’est pas une compensation suffisante. Il ne fallait pas toucher du tout à la cendre de ce mort-là. Elle brûle encore et brûlera toujours quiconque y touchera.
Pourquoi M. de Persigny est-il à Londres ? Est-ce, comme, on l’a dit, pour le traité de commerce qu’on a tout récemment démenti ? J’ai peine à le croire. Il y a là des intérêts puissants, et auxquels il est aussi imprudent de toucher qu'au monument du Duc d'Enghien

11 heures
Voilà le facteur et le général Trézel qui m’arrivent à la fois. Je n'ai que le temps de vous dire Adieu, et adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 26 Août 1852

Je reviens à votre faiblesse. Essayez de rester dans votre lit plus tard, le matin. Quand on est très fatigué, rien ne repose comme le lit. Vous pouvez lire, écrire, déjeuner dans votre lit, si vous ne vous leviez qu'à onze heures ou midi, vous auriez un peu plus de forces pour le reste de la journée. Faites vous usage des pastilles de Vichy ? Elles aident beaucoup à la digestion.
J’ai lu les Regrets du Constitutionnel. Je ne chicane pas sur les détails. En gros, c’est vrai, spirituel, piquant et poli. De la bonne morale, et de la guerre bien faite. Morale et guerre bien vieilles. Cela est arrivé et cela a été dit depuis le commencement du monde. Mais ce qui est arrivé recommence et ce qui a été dit est bon à redire. Je n'objecte donc point.
Voici seulement ce que je voudrais ajouter. Comme il y a des gens qui sont mécontents dès qu’ils ne gouvernent plus, de même il y en a qui sont contents qui que ce soit qui gouverne, et de quelque façon qu’on gouverne. Les uns trouvent que rien ne va plus dès qu’ils ne sont plus là les autres que tout va bien tant que Dieu les laisse ici. On fait bien de se moquer du dépit des uns et d'exploiter la platitude des autres. Seulement il faut voir toutes choses et appeler chaque chose par son nom.
Il y a aussi des gens qui pensent que tous les gouvernements sont ou également bons, ou également mauvais, et qu’il n’y a jamais de raison pour en regretter, ou en désirer un plutôt qu’un autre. Je ne suis pas de cet avis. Je crois qu’il y a du choix en fait de gouvernements comme en fait d’appartements ou d'étoffes, et qu’il y a des pays mal gouvernés, comme il y a des hommes mal logés et mal élus. Vous savez que je ne suis ni de la secte des sceptiques, ni du tempérament des apathiques. De plus, je dirais volontiers de cette petite guerre ce que vous me disiez de Cromwell, à quoi bon ? What use ? Un simple particulier fait et dit ce qui lui plaît, un gouvernement ne doit faire et dire que ce qui le sert. Je ne vois pas en quoi cela sert le gouvernement de faire ainsi taquiner des hommes dont les uns se tiennent tranquilles et dont il exile les autres quand ils ne se tiennent pas tranquilles. Le gouvernement ne peut pas ne pas sentir que le concours actif et bienveillant des esprits et des classes élevées, lui manque, et il ne peut pas croire que ce manque soit, pour lui, un fait indifférent. A sa place, je penserais constamment à rallier ou à désarmer ces classes et ces esprits-là, et pour y réussir, même un peu, je serais constamment, avec elles, ou avec eux, tranquille, poli et inoffensif. Point d'avances et point de coups d’épingle. La dignité du pouvoir n'y perdrait rien, et sa relation avec ce monde-là y gagnerait quelque chose. Il n’y a point de dépit qui soit inabordable aux bons procédés des puissants. C’est une maladie qu’on ne guérit pas, mais qu’on peut faire rentrer. Elle est ridicule cela est sûr ; mais en l'attaquant, on l'envenime, et on lui donne des prétextes pour s'exhaler et se répandre. Il vaudrait mieux la traiter de telle sorte qu'elle fût embarrassée de se montrer et que tout le monde la trouvât en effet ridicule si elle se montrait. Je dis ceci dans la supposition que M. Sainte-Beuve parle comme le gouvernement le désire et pour lui plaire. Si ses regrets ne sont que la malice d’un homme d’esprit qui moralise pour son compte, je n'ai rien à dire ; il en est bien le maître, et il a raison de s'en donner le plaisir.

Onze heures
Votre lettre vient tard. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 24 août Mardi 1852

Je ne suis sentie si lasse hier que j'ai fermé ma porte et je me suis couchée à 9 heures. J’ai mal dormi, ma faiblesse augmente. Pour peu que cela continue, j'y périrai. Je n'ai pas d’autre mal, mais je suis prête à crier de faiblesse. J’ai vu du monde le matin, il y a ici peu d’accord dans les procédés le 15. Il me semble qu'à tout prendre c’est les anglais qui se sont le mieux prêtés à la Célébration. Je vous ai dit Berlin. A Hanovre le peuple a [?] d'immortelles ce jour-là la colonne de Waterloo sur une place publique. Enfin il y a de quoi donner ici beaucoup d’humeur, mes sources d’information sur ici me manquent. J’ai rencontré hier au bois le Prince. Très gracieux salut. J’étais avec la princesse Schonberg. Elle est chez moi tous les jours. Elle a de l’esprit, mais pas beaucoup, moins qu'il y a 12 ans.
Les Conseils généraux voguent en plein empire. Ceci vous prouve que je lis le Moniteur. Je n’ai que lui, tous les autres journaux m’ennuient je ne les vois plus. La conclusion du traité avec la Belgique était hier l'événement diplomatique. Je ne m'y connais pas. Adieu. Adieu, car voilà qu'on m’interrompt.
Avez- vous lu les regrets dans le Constitutionnel ?

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 21 Août 1852

On me dit que M. de Rémusat est retourné chez lui dans sa terre de Laffitte, près de Toulouse. Il n’a donc pas refusé de rentrer. Peut-être aura-t-il écrit une lettre pour constater qu’il n’avait pas demandé à rentrer. Il est fier, et taquin. Je n’ai du reste aucune nouvelle de lui, directe ni indirecte.
Si Mad. Kalerdgi veut venir à Paris, elle a tort de se mettre mal avec les autorités Française et Russe, de Paris ; à moins qu’elle ne soit sûre de réussir à les renverser. Il ne faut pas tenter ces choses-là, et ne pas réussir. Il me paraît que la part de la petite intrigue de société est assez grande dans votre monde diplomatique.
Je lis dans l’Assemblée nationale, un beau récit de la rentrée du jeune Empereur à Vienne. Y a-t-il quelque exagération ? Le succès du voyage en Hongrie et de la rentrée doit faire venir l’eau à la bouche au Président. Je doute que la session des conseils généraux rende tout ce que peut-être on en attend. Personne n'est disposé à prendre grand peine, ni la moindre initiative. On a envie de rester comme on est, rien de moins, rien de plus. L'absence, non seulement involontaire, mais volontaire, de toute prévoyance est le trait du moment.

11 heures
Je n'ai pas de lettre ce matin et rien de plus à vous dire. Adieu donc et continuez de marcher sans vous fatiguer. Il fait ici, un temps affreux. Le mois d'Août nous fait faire pénitence de nos plaisirs du mois de Juillet. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 14 Août 1852

Je suis très fâché de la mort de votre pauvre maître d'hôtel. Je ne sais pas ce qu’il valait au fond ; mais d'apparence, il vous convenait à merveille, et vous le remplacerez difficilement. Les petites difficultés de la vie ne vous valent rien.
Ce pauvre Tolstoy me touche infiniment. Il est dévoué à ses enfants comme un père et comme une bonne. De quoi donc ce petit garçon est-il si malade ? C'est le second, je pense. J’ai trouvé à l’aîné bien bonne mine quand je l’ai vu à Dieppe. Faites moi la grâce de ne pas laisser ignorer à votre neveu que je suis vraiment préoccupé de lui et de son chagrin. Il y a de mauvaises veines dans la vie, dans la vie domestique comme dans la vie politique ; mais elles s’épuisent.
Vous recommencez à marcher. J'espère que la mauvaise veine est finie. Dieu vous garde ! Avez-vous vu quelque médecin ou chirurgien depuis votre retour à Paris, car Olliffe n’y doit pas être ?
Je suis revenu ici hier à 6 heures avec les entrailles assez souffrantes. Malgré ma sobriété, les dérangements de vie et de régime se font toujours sentir. Je suis mieux ce matin. J’ai dormi longtemps.
Je trouve ici des lettres, mais point de nouvelles. La plus vraie nouvelle à mon avis, c'est le livre de Proudhon, et l'autorisation de paraître que le président lui a donnée, après avoir lu son livre, et la lettre. Je trouve cela grave, sans m'en étonner. Dans un régime de liberté de la presse, ce ne serait rien qu’un mauvais livre de plus par un homme d’esprit, mais aujourd’hui, c’est quelque chose. Peut-être n’est-ce pas vrai. Je le voudrais. Le Président aurait tort, s’il s’engageait dans cette voie-là. On ne peut pas faire à la fois sa cour au Clergé et à Proudhom.
Que signifie le voyage de la Reine d'Angleterre à Anvers ? Est-ce une simple fantaisie de promenade, ou une marque d'intimité protectrice ! On me dit qu’il y a un mouvement de l'Elysée vers Londres, et qu’on verra la preuve dans un traité de commerce qui fera des concessions à l'Angleterre pour l'importation des fers et des houilles. Si ce traité a lieu, il fera du bruit.
Le retard du voyage du Président dans le midi me fait croire au mariage. Je comprends les inquiétudes de M. de Persigny et je ne les crois pas fondées. Si le Président veut réellement se marier, il se mariera que cela plaise, ou non, ailleurs. On ne fera rien de grave pour l'empêcher.

Onze heures 1/4
Mon facteur arrive très tard ; mais en revanche, il m’apporte une lettre intéressante. Pauvre Tolstoy ! Adieu, adieu. A demain les affaires, c’est-à-dire la conversation, c’est à dire l'écriture qui ne vaut pas le quart de la conversation. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 10 Août 1852

C'est dommage que la note du Journal de Francfort sur le prétendu traité du Morning Chronicle, ne soit pas mieux rédigée, elle est pleine de bon sens. C'est de la politique à la fois vraie et prudente ; accord rare. Mais les Allemands ne savent jamais donner, même au bon sens, le mérite de la simplicité et de la clarté.
Je suppose que les exilés ne se le feront pas dire deux fois pour rentrer. Il me revient que Thiers s'ennuyait autant en Suisse qu’en Angleterre. Mes Anglais me disent qu'à Londres, son ennui avait fini par devenir un sujet de moquerie générale. Les Anglais seuls, à mon avis n'avaient pas le droit de s'en moquer eux qui s'ennuient tant, et chez eux plus qu'ailleurs.
C'est surtout pour Rémusat et Lasteyrie que ceci me fait plaisir ; ce sont d'honnêtes gens peu riches, que l’exil dérangeait beaucoup et qui le supportaient dignement.

11 heures
C'est dommage, en effet que vous quittiez Dieppe au moment où M. de Persigny y arrive. Les conversations auraient été intéressantes. D’autant qu’il est loin, ce me semble, de voir les choses comme elles sont. Le mal, s’il vient, viendra de là ; des désirs et des alarmes révolutionnaires. Ce sont les dragons qui amèneront la guerre.
Je suis bien aise que vous ayez fait venir Kolb pour vous ramener. Vous ne me donnez pas aujourd’hui des nouvelles de vos jambes. Je pars demain pour Caen à 7 heures du matin. Je ne vous écrirai pas demain, et probablement cette petite course troublera un peu notre correspondance. Je serai de retour ici, Vendredi. Je ne vois rien dans mes journaux et je n'ai point de lettre. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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54 Val-Richer, Mercredi 4 août 1852

Je suis très contrarié des quinze jours d'immobilité auxquels Velpeau vous condamne ; il a probablement raison. Mais c’est bien ennuyeux. J’aurais mieux fait de ne pas aller vous voir ; vous ne seriez pas montée dans ma chambre, et vous ne seriez pas tombée. C'est là tout ce que j'ai de mieux à vous dire.
L'insignifiance des journaux est complète. Ceux qui ne peuvent pas critiquer ne veulent pas louer. Pour surcroît le Journal des Débats, m'a manqué hier. Quand on supprime ainsi à l’esprit son aliment, on devrait supprimer aussi l'esprit lui-même. Cela se fera peu à peu.
J’ai eu hier une longue lettre de Barante qui prévoit ce résultat, car il me dit : " Lorsqu'on ne s’intéresse pas à soi-même on est indifférent à tout ; l’esprit s'éteint quand les sentiments sont glacés ! "
Il m’écrit du Mont Dore, où il est allé pour ne pas être repris l’hiver prochain de son extinction de voix.

Jeudi 5 Août
Je n’ai pas fait partir hier cette page qui n'en valait pas la peine. Vous ne m’avez pas écrit non plus. J’espère bien que ce n’est pas quelque mauvaise raison, accident ou autre. Je n'ai pas plus de nouvelles aujourd’hui qu’hier.
Mon fils, m'en apportera peut-être quelqu’une demain il est allé passer 48 heures à Paris pour un examen. Mes Anglais arrivent aussi demain.
Je vois que les élections des conseils généraux sont ce que j’attendais, ou immense majorité ministérielle c’est-à-dire présidentielle. Il me semble aussi que les pétitions impériales commencent à circuler. On m'écrit que les exilés espèrent quelque chose, du 15 Août. Ceux d’entre eux qui sont petits et modestes accepteraient volontiers l'Empire, s’il devait les faire rentrer. Que feraient les autres, Thiers, Rémusat, les généraux ? Il ne serait pas glorieux, pour eux de rentrer au milieu des Vive l'Empereur ! Ils rentreraient pourtant, s’il le leur permettait.
Avez-vous lu, dans le Galignani du 3 un article curieux du correspondant américain du Times sur Kossuth ? Il fera plaisir à Hübner.

11 heures
Voilà une lettre qui ne me plaît pas. Vous vous faites vous-même bien plus de mal que vous n'en avez. C'est singulier d'avoir l’esprit si juste, si ferme sur toutes choses, excepté sur soi-même. Je suis bien fâché de n'être plus là. Adieu, adieu. Merci de la lettre de Beauvale. Merci pour vous et pour Aggy. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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53 Val-Richer, Mardi 3 Août 1852

Je ne trouve pas que le Constitutionnel soit aussi aimable pour M. Fould que je m’y attendais à travers les félicitations et les compliments, on sent percer un peu de froideur, et quelques réserves. Est-ce que Fould serait rentré dans les affaires sans concert avec Morny et contre son gré ?
Autre remarque. La rentrée de Fould coïncide avec l’épuration du Conseil d'Etat en raison des votes dans le procès des biens d'Orléans trois des Conseillers d'Etat qui ont voté contre les décrets du 22 Janvier sont, l'un révoqué, l'autre mis à la retraite, le troisième placé autrement, et plus mal. Cela cadre peu avec l'avènement au pouvoir d’un opposant aux décrets. Il est vrai que M. Persil ancien garde des sceaux du Roi Louis-Philippe, est nommé Conseiller d'Etat en remplacement de M. Cornudet, révoqué. Est-ce que cela serait donné aux Orléanistes, à titre de dédommagement ? M. Persil est un homme capable, qui aurait mieux fait de rentrer aux affaires un autre jour et par une autre porte, puisqu’il y voulait rentrer.
Le Moniteur s’est empressé de démentir indirectement le bruit répandu que l’entrée à l’Ecole normale avait été interdite aux élevés protestants, à cause de leur religion. Il a bien fait. La liberté des cultes est un des droits auxquels, ce pays-ci tient le plus et que l'Empereur Napoléon, a le plus soigneusement respecté. Il paraît bien que M. Fortoul ministre de l’instruction publique avait fait ou dit quelque chose dans le sens dont on parlait. Il se sera ravisé. C’est un homme d’esprit, un peu léger.
Donnez-vous bien du mal pour être un grand homme ; votre statue, en bronze sera vendue aux enchères, au bout de deux siècles, à la porte de votre propre pays, pour 7.270 francs pas un quart de la valeur du bronze. C'est ce qui vient d’arriver à ce pauvre Gustave Adolphe dans l'île d'Héligoland. La statue avait fait naufrage l’un dernier, en venant de Rome à Gothenburg, et la municipalité de Gothenburg, qui l’avait commandé n'a pas voulu la racheter des mains des pauvres marins d'Héligoland qui l’avaient repêchée. Il est vrai que Gustave Adolphe n'en reste pas moins Gustave Adolphe. Sa statue a pu se noyer, mais non pas son nom. Du sein de leur séjour inconnu, les grands hommes doivent à la fois jouir de la longue trace qu’ils ont laissé ici bas, et prendre en pitié les accidents d’ingratitude et d’oubli qui leur arrivent. Je me figure que l'impression causée par le spectacle de ce monde, quand on est est hors, et complètement détaché, doit être celle d’un dédain bienveillant, et doux.
Adieu, en attendant votre lettre. Je vous quitte pour faire ma toilette. Je voudrais bien apprendre qu'avant hier Dimanche, vous avez posé le pied par terre sans trop de douleur.
// si vous écrivez à M. Fould, ce qui me paraît probable, seriez-vous assez bonne pour lui dire que du fond de ma retraite, je suis charmé de le voir rentrer sur la scène ? Il s'y conduira certainement en homme d’esprit, et de sens et tout le monde aura à y gagner. //
11 heures
Merci de votre petite page. C'est bien long ce que dit Velpeau. Je regrette de n'avoir pas été là quand il est venu. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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49 Val-Richer Vendredi 23 Juillet 1852

M. de Persigny a de l’esprit et de la foi, ce qui est bien plus efficace que de l’esprit. Son discours aux articles a dû agir sur eux ; la foi est communicative. Mais les commentaires ne valent pas le texte, en voici un que je trouve dans les feuilles d'havas : " L’art a désormais de beaux horizons ; dans son libre développement, il côtoiera les merveilles de la civilisation moderne sans descendre des sommités où il plane, car le prodigieux avènement du Prince Louis Napoléon a ranimé cette fibre poétique qui sommeillait chez le peuple depuis l'Empire, et qui s'accommode, si bien des inspirations de l'art. Les artistes auront désormais un protecteur plus puissant que tous les rois de la terre le peuple lui-même ressaisissant, avec sa dignité ses allures chevaleresques et artistiques. " Nous n'avons plus maintenant qu'à attendre des Michel Ange et des Raphaël démocratiques.
Je viens de me lever. Le temps, est magnifique ; le soleil, qui se lève, en même temps que moi, chasse devant lui les vapeurs de ma vallée. Je suis vraiment bien fâché de ne pas aller vous voir aujourd’hui. J’aurais aimé à arriver à Dieppe, par ce beau temps. J'espère qu’il fera aussi beau mardi.
Si le Président revient aujourd’hui à Paris, il sera mieux traité du ciel qu’il ne l'a été à Strasbourg au moment du défilé villageois. Je prends toujours en compassion les fêtes populaires dérangées par la pluie.
Il me paraît que tous les Princes Allemands se sont conduits courtoisement dans cette occasion, Prusse, Wurtemberg, Bade, Hesse, et je ne sais combien d’autres. Je serai curieux de la relation que vous donnera Fould, car j'ai enfin trouvé son nom dans les Débats.
Que faites-vous du duc de Richelieu ? Je soupçonne qu’il est de ceux qu’on rencontre volontiers une demi heure une fois par semaine, mais dont la société quotidienne et prolongée n’a pas grand intérêt. Il ne me paraît pas qu’on s'amuse beaucoup à Trouville ; le chancelier a souffert de la chaleur. On attend beaucoup de monde, dans le mois d'Août.
Vous ne me dites rien d’Aggy. Comment se trouve-t-elle et comment vous en trouvez-vous ? Comme conversation elle ne vaut pas Marion. Je présume qu'Ellice ne lui écrit pas autant qu'à sa sœur. Savez- vous ce qu’il dit de leurs élections ?
11 heures
Pas de lettre et rien de plus à vous dire. Adieu donc. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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48. Val-Richer, Jeudi 22 Juillet 1852

Ce retard, jusqu'à mardi me contrarie beaucoup. Je m'étais promis de vous voir demain. Je ne pouvais pas refuser cette semaine à Broglie qui part pour trois mois, la semaine prochaine. Et toutes choses sont ennuyeuses à arranger de loin. Enfin, à Mardi.
Je voudrais vous envoyer tous les jours quelque nouvelle un peu amusante. Il n’y a pas moyen. Pour surcroît de disette, mon Journal des Débats m’a manqué hier. Il n’en sait et n'en dit pas plus que les autres, mais je suis accoutumé à mettre un peu plus de valeur à ce qu’il dit. Puisque le Président va à Bade, et prolonge son séjour à à Strasbourg, je présume qu’il arrange son mariage à la bonne heure.
Je sais gré à votre Empereur de ne vouloir pas de cette Princesse pour son fils à cause de son voisin. Il n’est pas intraitable, et sait soigner ce qui lui convient, même quand l'origine lui en déplait. C'est le complément de sa visite au Roi Charles-Jean.

10 heures et demie
Voilà votre lettre d'avant hier mardi, car décidément vous ne m’avez pas écrit lundi. J'espère que votre souffrance est passée. J’ai entendu bien parler de M. Godet, à des connaisseurs.
Le temps qu’il fait doit vous convenir, chaud et point étouffant.
Je crois que vous êtes injuste envers lord Aberdeen. Il n’est pour rien dans le Morning Chronicle. Ce sont, il est vrai, des gens de ses amis, le Duc de Noailles, Lord Canning, M. Smythe qui ont acheté, ce journal est qui le fait faire. Mais lui n'en est point et ne s'en mêle point. Je ne lui connais en fait de journaux, de relations qu'avec le Times et il met trop d'importance à celle-là, pour en cultiver d'autres.
Si la Princesse de Prusse quitte Bade au moment même, ce sera en effet une assez grosse impolitesse. J’en doute. La curiosité l'emportera.
Je viens de jeter un coup d’oeil sur mes Débats, deux numéros à la fois. Ils annoncent la modification ministérielle, M. Magne est un très bon ministre des travaux publics. Mais je ne comprends pas pourquoi M. Turgot à la secrétairerie d'Etat à la place et M. Casabianca.
On m'écrit que le comte de Chambord vient d'adresser à ses amis une nouvelle note encore plus catégorique quant au serment. Il l'a fait à cause des élections prochaines des consuls généraux. Cela chagrinera bien des gens ; mais si j'en juge par ce qui m’entoure et ce qui me revient, la plupart, obéiront. Adieu, Adieu.
La cloche sonne, le déjeuner. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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41 Dieppe Jeudi le 22 juillet 1852

Mardi est bien loin, mais je suppose qu'il arrivera un jour. J'ai été tracassée et occupée. J’ai beaucoup réfléchi au Moniteur, je ne puis pas laisser là cette affaire d'un autre côté je ne veux rien faire sans Kisseleff. Je lui adresse donc aujourd’hui. une lettre pour Persigny. Il me dirigera là dedans, je vous dirai ce que j’aurai fait. Je ne sais pas de nouvelle. M. de St Priest a été ici, toujours très fusionniste mais vous savez que je ne le connais pas. Vous parlez très sensibly de l’Empire. A propos vous me deviez 5 Francs au ler Juillet nous ferons un autre pari si vous voulez. Lord Cowley que je vois tous les jours ne sait rien de nouveau d'Angleterre. On m’envoie de là le grand article qui a motivé le communiqué du Moniteur sur moi. On promet entre autre à Marion un mari et une fortune si elle me dispose à servir le président auprès de l’Impératrice. Le tout est de cette force. Comment va-t-on ramasser de ces choses là & y répondre. Est-ce possible ? Adieu. Adieu.
Je ne suis contente ni de la mer ni de ma santé. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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46 Val-Richer Mardi 20 Juillet 1852

J’ai eu hier trois lettres de Paris toutes également insignifiantes, quoique de gens bien informés. La chaleur, le voyage du président, et les chiens enragés, on ne s'occupe que de cela. Je ne vois pas que nulle part en Europe, on fasse rien de plus important, excepté en Angleterre. Croyez-vous que la question ministérielle se décide à la petite session qui va avoir lieu à la fin d'août, ou que ce soit une pure formalité, après laquelle tout débat sera remis au mois de Novembre ?
Quel est le journal Anglais auquel s'adresse le communiqué du Moniteur. Je ne lis ici que mon Galignani qui ne contenait absolument rien de semblable.
Le Roi Léopold tarde bien à revenir à Bruxelles. Il veut probablement laisser en paix ses ministres qui s'en vont dans l’embarras avant de s'y mettre lui-même. Je trouve qu’il serait bien bon d'accepter cet embarras. Ses ministres actuels ont encore la majorité Ils sont tenus de gouverner tant qu’ils ne l’ont pas perdue. C'est le jeu du Roi, je pense de les obliger à rester jusqu'à ce qu’ils la perdent en effet, et à convenir qu’ils ne se croient pas en état d'affronter les élections. Les Rois constitutionnels ont bien des ressources quand ils ont l’esprit et le courage d’un [?].

11 heures
Voilà mon facteur. Je n’irai vous voir que mardi prochain 27. Le Duc de Broglie m’écrit qu’il part le 29 pour la Suisse et il me demande, s’il peut venir que voir d’ici à lundi. Il ne peut me dire précisément quel jour ayant du monde, chez lui. Je tiens à le voir avant son départ. Je resterai donc chez moi jusqu'à lundi 26 inclusivement, et mardi, j'irai vous voir. Wasa est un beau nom même détrôné. Adieu. Adieu.
Je suis charmé, pour vous, que le temps soit rafraîchi. Pour moi, je regrette le soleil. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 4 nov. 1851

Je jouis encore de vos deux lignes d'hier. J’espère bien en avoir quelques unes aujourd’hui. Pourvu que votre soirée de Dimanche ne vous ait pas trop fatiguée. Entre le besoin de distraction et la crainte d’agitation, vous êtes très difficile à arranger. Pourtant, je penche, en général du côté de la distraction, l'ennui vous agite plus que la fatigue.
Je suis fort aise que Molé soit pressé de me voir ; mais la presse quant aux choses mêmes n’est pas si grande. Je ne crois pas tant à ma nécessité et à mon efficacité que quelques jours de plus ou de moins y fassent quelque chose. En fait d'envie de hâter mon départ, j'ai résisté à mieux que cela. Je serai à Paris dans huit jours, et bien à temps pour n’y rien faire. J’ai absolument besoin de cette semaine pour ma réponse à M. de Montalembert qui est en bon train.
J’ai bien envie que vous ayez pu voir Mérode avant mon arrivée, et lui dire ce que je vous ai dit du discours de son beau-frère ; discours dont on peut tirer un grand succès, et un grand effet, et qui, s'il restait tel qu’il est, serait probablement pour lui, l'occasion d’un grand échec, comme son rapport sur la loi du Dimanche.
Je suis désolé que le Duc de Montmorency ne soit pas parti. C'était très bien, comme vous l’avez senti au premier moment. Et s’il ne va pas, parce que Thiers ne l'aura pas voulu, ce sera déplorable. Déplorable comme fait, déplorable comme symptôme. Je fais ce que je puis pour me persuader qu’il y a moyen de nous tirer de nos vieilles ornières. Nous y retombons toujours. Etrange pays aussi obstiné que mobile !
Sait-on enfin positivement si c’est la Reine, ou le Duc de Nemours qui a écrit au comte de Chambord, et si réellement on a écrit ? Je ne veux pas croire qu’on se soit borné au service funèbre de Claremont et d’Eisenach.
J’ai vu hier les députés d’ici partant le soir pour l'Assemblée. Ils partent semés. Rejet de l'abrogation de la loi du 11 Mai ; ajournement de la proposition Créton ; et puis, adoption de la loi municipale et de modifications indirectes qu’elle introduit dans la loi du 11 mai. Parti pris de tout subordonner au maintien d’une majorité de 400 voix. Je m'étonne que M. Molé se laisse aller, ou paraisse se laisser aller à un sentiment trop rude envers le Président. Ce n’est pas dans ses allures. Je ne doute pas que le président ne cherche un accommodement, et ne finisse par accepter plus que l'Assemblée elle-même lui donnera, après avoir rejeté sa propositions d’abrogation. Je crois tous les jours moins au coup d'Etat. Pas plus par le général [Saint Arnaud] que par le général Magnan. Tout le monde est un peu fou ; mais les vrais fous sont très rares.

Onze heures
Tant mieux que votre soirée de Dimanche ne vous ait pas trop fatiguée. Je vois que vous avez encore assez de force pour animer la conversation. Adieu, adieu, et merci à Marion. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 2 Novembre 1851

Je ne suis pas malade comme vous, mais j’ai eu hier et cette nuit une forte migraine ; ce qui fait que je me lève tard, et que vous n'aurez qu’une courte lettre.
J’ai beaucoup travaillé depuis quelque temps, et je veux travailler beaucoup cette dernière semaine. Je sais le peu de temps dont je dispose à Paris. Si ma réponse à M. de Montalembert n’est pas tout-à-fait finie quand je partirai, elle en sera bien près.
J’espère bien apprendre ce matin que le mieux s'est soutenu pour vous. Ce sera parfait si je l’apprends de vous-même. Vous aurez vu que j’avais fait grand attention à l'article du Constitutionnel sur M. de Persigny, et que j'en savais le sens. Si cela aboutissait à son renvoi, ce serait en effet très significatif, et une facilité pour reculer.
Je ne suis pas inquiet de la reculade, pourvu que le débats de l'Assemblée n'enveniment pas trop les plaies. Si elle le conduit aussi sensément que sa commission de permanence, si elle cherche le succès plutôt que le bruit, elle aura certainement le succés. L’ajournement de la proposition Créton et probablement aussi de la candidature de M. le Prince de Joinville me paraît être la résultat naturel et obligé de la situation actuelle. Il n'y a de majorité qu'à cette condition.
Le Duc de Montmorency est-il bien réellement parti ? J’ai des nouvelles de Duchâtel. Rien de nouveau. Mêmes observations, même impressions et mêmes conjectures que les miennes. Il ne reviendra qu'à la fin de novembre.

Onze heures
Je suis moins content aujourd’hui qu’hier. Je maudis Pétersbourg. Je sais avec qu’elle lenteur vous vous remettez de secousses pareilles. Adieu, adieu. Je ne vous ferais pas grand bien si j'étais là, mais je suis bien pressé d'y être. Adieu. Je remercie toujours Marion, vrai trèsor. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 27 octobre 1851
Midi

Voilà le ministère. Vous saurez mieux que moi en décider la couleur. Je n’ai vu personne encore, rien que le Moniteur. A tout hasard je vous envoie les noms, car je ne sais pas si vous recevez les journaux du soir. Chasseloup était ici hier, ne sachant rien. La Redorte très curieux à entendre. Très mécontent. Le pays d'où il vient, ardent comme lui-même l’était, pas le Président ; aujourd’hui en blâme comme lui et très vivement. Faute énorme dont le Président [?] ne pourra pas se relever. L'Assemblée qui était très bas, est redevenue très respectée. Sa conduite tranquille a beaucoup plu. L'espoir et le conseil de La Redorte sont qu’elle continue comme cela mais qu’elle tienne bon et ferme. Jamais accorder l'abrogation. Selon ce qu'il avait recueilli dans 24 heures, grande consternation à l’Elysée du jugement si unanime de toutes les classes élevées. Heckern me disait hier que Morny & Persigny se disputent l'influence. Morny pour qu'on recule. Persigny pour qu'on avance. Je suppose que le ministère est dans l’opinion Morny.
J’ai rencontré hier le Président il avait l’air fort triste. Les diplomates curieux, inquiets de l’inquiétude de leurs gouvernements. Mad. de la Redorte a pris le deuil de la Dauphine. Mad. Roger aussi chez moi hier soir. Celle-ci blame & noir. L’autre tout noir. Les dames russes sont venues chez moi hier en deuil. Je les en ai louées. Est-ce loué ? ou louées ? La Redorte dit que ce qui cause le blâme universel c'est que la politique personnelle marche à front découvert. Adieu. Adieu.
Rien encore de Pétersbourg. Peut-être aurai-je pour toute réponse le silence. Est-il possible ! Je suis toujours misérable. Un artichaut & deux quenelles de volaille, les forces s'en vont. Adieu. Adieu.
Corbin Justice
Turgot. Aff. étrangères
Charles Giraud Instruction
Thorigny Intérieur
Casabianca agriculture
Lacrosse travaux publics
Saint-Arnaud la guerre
Fortoul marine
Blondel Finances
Maupas La police.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 13 Oct. 1851

La conversation de mon petit homme, vous aura intéressée. Le résultat de son voyage sera bon. Il importe beaucoup que le Journal des Débats se tienne en dehors de toute cette intrigue, et le langage du Duc de Broglie à cet égard a été aussi net ; aussi positif que le mien. L’ébranlement me paraît grand sur la loi du 31 mai. Si le Président se sépare dans cette question, du parti de l’ordre et fait un pacte quelconque avec la gauche, ou une portion quelconque de la gauche, il se tire d’un embarras du moment pour se perdre infailliblement un peu plus tard. Si au contraire il manoeuvre bien un peu en dehors du, et un peu de concert avec le parti de l'ordre, il peut amener, à la loi du 31 mai, certaines modifications qui mettront fin à cette question entre les honnêtes gens, et dont il aura, lui président, le profit comme l’honneur, en restant séparé de la Montagne, comme il l’est à présent ce qui est pour lui selon moi, la condition du Salut. Le Président a entre les mains, dans cette question de la loi du 31 mai, un moyen de négociation avec les diverses fractions du parti de l’ordre, qui peut l'aider beaucoup, s'il sait s'en servir à résoudre les autres questions embarrassantes et périlleuses pour lui. Créton, révision, élections & & &.
On me mandait la note de Palmerston à Francfort au moment où vous m'en parliez. Ce serait un acte inconcevable si ce n’était pas un système. Il est décidé à se porter partout, le patron des littéraux, sans s’inquiéter de savoir s’ils sont ou non des révolutionnaires chez lui, il ne craint pas la contagion ; et au dehors, le patronage lui sert. Je suis convaincu que c'est une détestable politique, pour l'Angleterre comme pour le continent ; mais c’est la politique bien arrêtée de Palmerston, non seulement il la pratique, mais il y croit. C'est son esprit qu’il faudrait changer. On y réussirait encore moins qu'à le renverser. Kossuth l’embarrassera. Mais il n'est pas embarrassé de recaler. Surtout quand il n’y a rien à faire, et qu’il ne s’agit que de modifier un peu le ton du Globe ou du Morning-Post.
Kossuth est un grand ignorant ou un grand sot. Il a gâté, pour plaire un moment aux Jacobins de France, toute sa position en Angleterre. J'attendrai avec impatience, le résultat. de votre lettre à l'Empereur. Votre fils Alexandre me préoccupe. Pauvre garçon, accoutumé à Naples, à Castellamare, à se promener dans toute l’Europe, pour s'amuser ou pour se guérir. Échanger cela contre Pétersbourg ou le Caucase.
J'ai reçu hier une lettre de Saint-Aignan qui me frappe assez par sa vivacité contre la candidature du Prince de Joinville. C’est fort simple de sa part car il est, lui, très fusionniste. Mais son langage m'indique qu’il y a là tout un coin de l'ancien orléanisme à qui cette candidature déplaît mortellement. 1 heures Ce n'est pas la brièveté de votre lettre, ni l'absence de nouvelles. qui me déplaît ; ce sont vos nerfs et votre insomnie. Guérissez de cela ; je me consolerai du reste. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 11 Oct 1851
Sept heures

Cela me déplait bien de n'avoir pas eu de lettre hier. J'espère que ce n’est pas autre chose, qu'une méprise de domestique ou de la poste quand on s'écrit tous les jours, il est difficile que cela n’arrive jamais. Si vous étiez souffrante, je compte que Marion m'écrirait. Je le lui demande formellement quoique je ne crois pas avoir besoin de le lui demander.
On me mande de source certaine, que le général Changarnier a formellement déclaré qu’il s'abstiendrait dans la proposition Créton, et qu’une fois sa candidature acceptée par les légitimistes, il la maintiendrait envers et contre tous, y compris M. le Prince de Joinville lui demandât-il lui-même de la retirer. Que le Général ait dit cela, je n'en puis guère douter. Qu'est-ce que cela veut dire ? Est-ce de sa part, un acte indépendant et vraiment personnel, ou bien est-ce arrangé avec Thiers, de l'aveu de Claremont ? Est-ce une manière de retirer, sous main, la candidature du Prince de Joinville, et d’y substituer celle de Changarnier en la faisant accepter d’abord par les légitimistes ? Ceci serait très possible, s’il était possible que Changarnier se prêtât à une telle rouerie. On me mande d'ailleurs que Thiers travaille décidément à faire sa retraite sur la candidature Joinville. On ajoute que le gâchis va croissant. Quand il n'y a pas moyen d'empêcher le gâchis, il faut au moins y voir clair.
Je vois que le manifeste de Kossuth à Marseille commence à faire en Angleterre l'effet que j'ai prévu. Les indifférents, comme le Times, comprennent et attaquent. Les bienveillants comme le Globe essayent d'excuser. Palmerston trouve sûrement que Kossuth est un maladroit, qui lui gâte son jeu. Nos journaux à nous n'exploitent pas assez cet incident. Ils devraient commenter le manifeste, et l'admiration qu’en témoignent les révolutionnaires. Cela aiderait les Anglais à comprendre.
Dans la solitude où vous laisse votre diplomatie n’entendez-vous rien dire du tout de ce qui se prépare en Autriche ? Je suis curieux de savoir comment s'arrangeront ensemble les deux idées qui sont là en présence : fortifier l’unité de la Monarchie autrichienne, et laisser à chacun des Etats qui la comptent, une existence et des institutions locales. La conciliation est difficile. C'est cependant le problème. Je présume que c’est la Hongrie qui paiera tous les frais de la Révolution.
9 heures
Génie arrive et me remet votre lettre. Je vous pardonne et je ne vous pardonne pas. Il était bien aise de me faire écrire deux lignes par Marion. Votre lettre à l'Empereur est ce qu’elle doit être pour réussir. Si elle ne réussit pas, je n'en parlerai plus. La lettre à l'Impératrice devait suffire. Je ne suppose pas qu’elle ne la lui ait pas montrée, ou qu’il ait voulu que vous lui demandassiez cette grâce à lui-même. Adieu, adieu. La conversation qui m'arrive est curieuse. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris samedi le 11 octobre 1851

J’ai enfin dormi, et c'est là tout ce que j'ai à vous apprendre. Les journaux sont pleins du bruit d'un changement. Votre petit ami auquel j’ai confié ma lettre hier, a pu vous porter les dernières nouvelles. Moi, je les ignore, entièrement. Je n’ai vu personne qui pût m'en donner. Viel-Castel ne sait ou ne dit jamais rien, & c’est le plus capable de mes visiteurs d’hier. Lasteyrie a parlé avec humeur feinte ou réelle de la conduite des Princes qui font toujours des bêtises. Il a parlé aussi avec une colère très sincère quoique contenu de Changarnier et tout joute sincère parce qu’elle était coutume. Il croit à la réélection du Président. Me voilà au bout.
Mon fils Paul va venir. Je le crois très effrayé. S’il va en Russie, ce sera pour lui bien pire que pour son frère. Et s’il ne va pas dans 6 mois on met le séquestre sur ses biens. Ce qu'il fera probablement sera de vendre ses terres et très mal. Comme il a des capitaux cela ne le dérangera pas. Et pour ce qu'il dépense il restera toujours beaucoup trop riche. Nicolas Pahlen va venir passer l'hiver à Paris. Kossuth fait un véritable événement en Angleterre. Palmerston reculera certainement. Le Morning post l’indique. Le journal des Débats serait-il bien informé à propos de Gladstone Palmerston & la diète de Francfort ? Hubner revient aujourd’hui de Corse. Adieu. adieu
Francfort est vrai. Je viens de l’apprendre à l’instant.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 8 Oct. 1851

Avez-vous remarqué, il y a deux jours dans les Débats un article de John Lemoinne sur Pacifico et Lord Palmerston ? La moquerie était bonne et poignante. Il est vrai qu’il y avait de quoi. Les Anglais seuls ont le talent d’être à la fois puissants et ridicules. Malgré ses éloges pour notre ami, je ne goûte pas beaucoup le discours, de Sir James Graham à Aberdeen. Vide et mou. Des promesses de concessions cachées sous un manteau de conservateur. C'est de là que viennent mes véritables craintes pour l'Angleterre.
Et le manifeste de Kossuth ? Rien ne pouvait donner plus raison à l’interdiction dont il a été l'objet. Un des trois hommes de sens qui, dans le Common Council de la cité, ont voté contre l’accueil solennel préparé pour Kossuth à Londres, devrait demander quand il y arrivera, la lecture publique de cette sotte déclaration. J’ai peine à croire que le bon sens Anglais n'en fût pas choqué.
Ma feuille jaune raconte tous les embarras de Changarnier à propos de son messager de l’Assemblée. Je les comprends. Le général approche du pied du mur. Plus j'y regarde, plus je me persuade que sa candidature n’a point de chances. Il aurait fallu, pour la préparer, une tout autre conduite que celle qu’il a tenue et qu’il tient encore.
Vous voyez que, moi aussi, je n’ai rien à vous dire. Je reçois beaucoup de visites locales. On vient me parler des élections. La préoccupation sérieuse commence. Elle ira vite quand les débats de l'assemblée auront recommencé. Je me tiens parfaitement tranquille. Je ne vais nulle part. Guillaume le conquérant seul aura le pouvoir de me faire faire une course dans mes environs. Je ne sais si j’aurai encore, dans ma vie, quelque chose de considérable à faire ; ce que je sais bien c’est qu’il faudra que la circonstance vienne me chercher chez moi.

10 heures
Voilà deux visiteurs qui m’arrivent de Caen, avant le facteur. Je vous dis adieu en hâte. Je ne fermerai pourtant ma lettre qu'après l’arrivée de la poste. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 6 Oct. 1851

Avez-vous lu Baruch ? Baruch c'est l'article de M. Vitet sur M. de Barante et la Convention, inséré dans la Revue des deux mondes et répété dans l'Assemblée nationale. C'est excellent. Je n’ai rien lu de meilleur ni qui fasse justice plus ferme et plus claire de tous les révolutionnaires, passés ou présents, acteurs ou historiens de révolutions. C'est un peu long pour vos yeux. si vous ne l’avez pas lu, priez Marion de vous le lire ; elle y prendra plaisir comme vous.
Les légitimistes ont raison dans les deux résolutions qu'ils ont prises et ils feront bien de prendre la troisième, celle de voter pour le président tant que le rétablissement de la monarchie par la fusion ne sera pas possible. Monarchiques dès que cela se pourra, et gouvernementaux au profit de l’ordre, et de la paix tant que cela ne se pourra pas, voilà leur rôle. Rôle qui non seulement convient à leur intérêt de parti, car il leur épargne l’échec définitif et empêche qu'on ne leur souffle la Monarchie ; mais qui les met en sympathie et en bons termes avec la masse de la population, ce dont ils ont grand besoin. La France est monarchique au fond, et gouvernementale en attendant ; que les légitimistes soient comme elle, c'est, pour eux, le meilleur; moyen d'amener la France à être un peu comme eux ; ce qu’il faut absolument pour que la fusion et la Monarchie deviennent possibles. Que dit-on de la reculade de Thiers dans l'ordre ? Ce n'est pas lui qui a eu la pensée de la candidature du Prince de Joinville ; il ne l'a pas conseillée ; il n'en accepte pas la responsabilité. Je le reconnais bien là ; étourdi et irrésolu, téméraire et timide, ne poursuivant jamais, dans les mauvais pas les lièvres qu’il a levés. Reste à savoir si cette reculade est une manœuvre calculée ou un mouvement de retraite par embarras.
Henriette me quitte aujourd'hui et partira le 16 de Paris pour Rome. Seriez- vous assez bonne pour demander, de ma part, à M. de Hatzfeldt, s'il pourrait donner à M. de Witt quelques mots de recommandation pour M. d'Usedom qui est toujours, je crois Ministre de Prusse à Rome, et qu’on dit homme d’esprit. Ma fille, très bonne Protestante comme vous savez, désire avoir à Rome quelques connaissances protestantes surtout dans la légation de Prusse qui a à Rome une chapelle. Je donnerai à M. de Witt une lettre pour Garibaldi qu’il ira lui porter lui-même pour en avoir quelque appui auprès de la douane de Civita Vecchia, qui est, dit-on, assez difficile. Ils comptent vivre à Rome très retirés ; mais encore faut-il faire entrer ses malles et y pratiquer sa religion sans embarras. Vous serait-il possible de savoir où sont à présent, le Duc et la Duchesse de Mignano ? S'ils étaient à Rome, la Duchesse serait pour ma fille une ressource. Mais j’en doute. Onze heures Je n’ai rien de plus à vous dire qu'adieu, en attendant mieux. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 3 Oct. 1851

J’ai eu hier à l'occasion de votre lettre un long entretien avec mon fils. Deux bons résultats. Je crois le mal moindre qu'on ne vous l'a dit. J'espère qu’il ne se reproduira pas. Je suis sûr, autant qu'on peut l'être, qu’il m'a dit vrai. Il est naturellement vrai, et il me respecte beaucoup. Il est convenu de ce qui avait pu donner lieu à ce qu'on vous a dit. Il usera beaucoup moins l’hiver prochain du spectacle, du bal et du monde. A travers sa popularité, il croit avoir dans son collège, un camarade envieux et ennemi, qu’il a déjà rencontré parlant mal de lui et s'appliquant à lui nuire. Son caractère à lui a besoin d'être contenu. Il a de la vivacité et du laisser aller. Double danger. L’esprit est juste, le cœur très droit et très affectueux. J'y veillerai de plus près. Vous avez très bien fait de m'avertir et je vous en remercie encore. La vérité est toujours bonne à savoir, et venant par vous, elle ne peut m'être déplaisante, fût-elle amère.
Mon fils se porte très bien. Il a mené ici, depuis six semaines, une vie de mouvement physique, et de repos domestique qui lui a parfaitement réussi. Il retourne lundi à Paris, en même temps qu'Henriette, pour rentrer au Collège. Il logera chez son Professeur jusqu'à mon retour. Henriette partira de Paris le 16 ou le 17, pour s'embarquer à Marseille par le bateau du 21.
Avez-vous lu dans les Débats la note française du 19 Juillet à la Diète sur l'incorporation de tous les états autrichiens dans la confédération ? Elle est solide au fond ; quoique confuse et tronquée. Je suis curieux de savoir. Si cette question sera bientôt reprise à Francfort et si le Prince de Metternich, exprimera un avis.
Mon journal jaune dit que la candidature du Prince de Joinville, en remplacement du général Magnan est complètement abandonnée. En avez-vous entendu parler ? A en juger par l'impression que je vois se répandre et grandir autour de moi, Fould a raison. Plus on approche de la crise, plus le désir du Statu quo se prononce. Toutes les peurs et tous les doutes sont au profit du Président. Il a là une puissante armée. Si la baisse des fonds, la langueur des travaux, tout le malaise public vont croissant, cette disposition ira aussi croissant. Ce qu’il est difficile de prévoir, c’est l'effet que produiront les débats prochains, de l’Assemblée ; ils peuvent troubler beaucoup le sentiment public et le jeter momentanément hors de sa propre pente. Ce pays-ci ne sait pas de défendre; il se retrouve quand il a été perdu ; mais on peut toujours le perdre. Je me méfie du mois de novembre.

Onze heures
Je reçois une foule de petites lettres, et il est tard. Adieu, Adieu. Je vais lire l'article du Constitutionnel. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 27 Sept 1851

Le pasteur de Caen est arrivé hier soir. J'accompagnerai l'enfant ce matin au cimetière du village, à une demi-lieue d’ici. La mère est bien, quoique elle ait beaucoup de peine à dormir Le temps est beau aujourd’hui. Hier, il pleuvait et grêlait à torrents.
Bien certainement, l’une des plus grandes difficultés du Gouvernement dans ce pays-ci et l'une des plus abondantes sources de nos maux, c'est l’horreur qu’ont les hommes considérables pour se dire mutuellement la vérité. Le courage de nous déplaire, les uns aux autres nous manque tout-à-fait. Que de fausses espérances et de fausses démarches on supprimerait si on supprimait la moitié seulement des réticences et des silences ! Presque tous nos embarras avec Changarnier, et une bonne partie de ses embarras à lui viennent de là. On ne les fera pas disparaître, en se traitant de grand capitaine et grand orateur. Je suppose qu’entre les légitimistes et dans le comité des douze, on n’est pas plus courageux que dans votre salon et que les embarras, les chimères et les hésitations continueront dans cet interview-là comme par le passé et comme ailleurs.
Faites-moi la grâce de demander à M. de Hatzfeldt s’il sait quel est l’auteur d’une brochure intitulée. France et Europe ; six lettres tirées du portefeuille d’un homme politique, imprimée à Berlin en 1849, et qui m’est venue de là. Brochure très monarchique et très Prussienne, assez spirituelle quoique très confuse. Quatre des lettres sont adressées à moi, à M. Thiers, à M. de Nesselrode et au Ministère Manteuffel ; elles finissent par demander un congrés de souverains.

10 heures
Je n'ai que le temps de vous dire adieu. On se réunit dans mon Cabinet pour la prière commune. Adieu. Adieu. G.
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