Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 1er Sept. 1852

Ce que vous me dites de Hübner ne m'étonne pas ; il a de l’esprit, mais son esprit est placé trop bas pour se répandre aisément ; il n’y a que les esprits hauts qui soient communicatifs et libres.
Vous avez en effet bien peu de ressources à Paris en ce moment ; mais vous en auriez encore moins ailleurs. La campagne est bonne à ceux qui ne craignent pas la solitude.
A mon avis, vous avez tort de ne vouloir absolument. d’aucun château ; vous n’y seriez pas, il est vrai, aussi parfaitement, sans gêne que chez vous ; mais vous y auriez un peu de bonne conversation et beaucoup de bon air. Il faut bien choisir entre ses goûts et sacrifier quelque chose des uns à la satisfaction des autres. Je vous fais de la très bonne morale, sans compter sur son succès.
Pour moi, je ne parie plus ni pour contre l'Empire ; il viendra, ou ne viendra pas, comme on voudra ; je n’y pense même plus. Je puis oublier beaucoup le présent.
La guerre devient bien vive, entre le Times et le Moniteur. Je ne crois pas que cela serve le Président en Angleterre où tout le monde lit le Times et personne le Moniteur. Et en France, où personne ne lit le Times, et tout le monde à présent le Monteur, cela n’a d'autre effet que d’apprendre au public, que le Times attaque violemment le Président. Ce sont des polémiques où l’on s’engage pour la satisfaction de son humeur, non pour le service de son intérêt. Je les comprends de l'Empereur Napoléon, il faisait la guerre à l'Angleterre ; il la lui faisait dans le Moniteur comme partout ; ses articles étaient soutenus par ses canons, et expliquaient ses canons. Mais le Président, est et veut, être en paix avec l’Angleterre ; le Moniteur ainsi employé lui rend la paix plus aigre voilà, tout. C’est un mauvais calcul un anachronisme.
Je suppose que vous ne lisez pas le Bernardin de St Pierre de M. Ste Beuve. aussi soigneusement que ses Regrets. Quatre Bernardin de St Pierre à la fois, celui qui a eu le prix à l'Académie, celui de M. Villemain dans son Rapport, celui de M. de Salvandy dans les Débats, et celui de M. Ste Beuve dans le Constitutionnel, c’est beaucoup.
Vous êtes vous fait lire le Rapport de M. Villemain ? Aggy lit-elle bien tout haut ?

Onze heures
Je reçois quatre lignes de Piscatory qui me dit qu’il est malade, et qu’on le croit dangereusement malade, d’une esquinancie. Lui, il se croit mieux ; mais il finit en me disant. " Je pourrai me vanter d'avoir été pendu. " J’en suis très fâché, car j’ai vraiment de l’amitié pour lui. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 30 Août 1852

J’ai dîné hier à Lisieux avec l'Évêque, son clergé et les gros bonnets de la ville. Le clergé toujours bienveillant, pour le président. Les laïques sans enthousiasme pour l'Empire et craignant qu’il n’amène la guerre. Tout le monde sensé dans un horizon bas et court. La conversation ne s’arrêtant pas sur la politique et cherchant, d’un sentiment général à se porter ailleurs ; tantôt sur les questions économiques, tantôt sur les questions religieuses. C’est un assez amusant spectacle que de voir ces bourgeois au fond très peu dévots quoique respectueux essayer de prendre intérêt à la querelle des auteurs chrétiens et des auteurs païens, aux citations des pères de l'Eglise, et à la tenue des synodes des prêtres du diocèse.
Avez-vous lu un article du Globe sur les affaires d'Orient, France and Turkey, bien fait et curieux ? Il me paraît que le renvoi de Rachid Pacha, s'il est sérieux ne tournera qu’à votre profit. Plus on ira, plus on sentira la faute d'avoir relevé solennellement cette question des Lieux Saints. La politique de la France en Turquie depuis vingt ans est un tissu d'inconséquences et d'étourderies.
J’étais moi-même dans cette mauvaise voie, en 1840, jusqu'à mon ambassade en Angleterre. J’ai essayé d'en sortir de 1840 à 1848 en me tenant tranquille en Orient, et en n'y traitant aucune question que de concert soit avec la Porte elle-même, soit avec toutes les grandes puissances Chrétiennes quand il fallait agir contre la Porte, c’est-à dire sur la Porte, malgré elle. Il n’y a pas autre chose à faire, tant qu’on ne sera pas décidé à fondre, avec du canon, la cloche. de ce pauvre Empire. On s'en apercevra. pour la seconde fois, lorsqu’on se sera mis, pour la seconde fois, dans quelque mauvais pas, comme il nous est arrivé en 1840 à propos de Mehemet Ali.
Le Moniteur, est un peu embarrassé à parler convenablement du déplacement du monument élevé au Duc d'Enghien dans la chappelle de Vincennes. C’est une pauvre raison à donner de ce déplacement que la nécessité de faire plaisir aux artistes " en rétablissant la symétrie des belles lignes architecturales du temple bâti par St. Louis. " Une phrase sur " le respect qu’on doit à la cendre des morts " n’est pas une compensation suffisante. Il ne fallait pas toucher du tout à la cendre de ce mort-là. Elle brûle encore et brûlera toujours quiconque y touchera.
Pourquoi M. de Persigny est-il à Londres ? Est-ce, comme, on l’a dit, pour le traité de commerce qu’on a tout récemment démenti ? J’ai peine à le croire. Il y a là des intérêts puissants, et auxquels il est aussi imprudent de toucher qu'au monument du Duc d'Enghien

11 heures
Voilà le facteur et le général Trézel qui m’arrivent à la fois. Je n'ai que le temps de vous dire Adieu, et adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, dimanche 22 Août 1852

Ce mauvais temps continu me déplait ; il gâte les blés du mon fermier qui ne me paye pas et moi, il m'enrhume ; j’ai la gorge prise depuis quelques jours ; je tousse beaucoup le matin. Je vais faire venir quelques bouteilles d'Eaux bonnes. C'est mon remède habituel. Mais probablement les remèdes s’usent à mesure qu’on s’en sert, et surtout à mesure qu’on vieillit.
Que signifie la nouvelle chute de Reschid Pacha ? Je suis enclin à n’y voir qu’une comédie, car Ali-Pacha, qui le remplace a toujours été son homme, et tout-à fait dans la même politique Turcs et Français ne savent comment se tirer de cette question des lieux saints. Il ne fallait pas l'élever, et le jour où l’on voulait absolument l'élever, il fallait commencer par la traiter officieusement avec vous, à Pétersbourg, avec l'Empereur en personne qui, probablement, eût pu être amené à comprendre et que conseillait l’intérêt commun de la Chrétienté. Il est difficile à présent que la France accepte la dernière décision de la Porte, et je ne sais comment fera la Porte pour en prendre une autre.
Je trouve dans les feuilles d'havas un petit article qui indique que le Gouvernement est décidé à solliciter indirectement des conseils généraux, des votes en faveur de l'Empire. On s'y félicite beaucoup de la presque unanimité qui s'est manifestée à cet égard dans les conseils d'arrondissement, et on finit par dire : " Cela présage d’une manière certaine que les conseils généraux formuleront à leur tour cette même pensée plus explicitement et plus unanimement encore. "Les feuilles d'havas sont plutôt adressées, aux fonctionnaires qu'au public, et elles donnent des instructions plus que des nouvelles.
Je vois que Lord Cowley est allé à Londres. Est-ce pour les propres affaires ou pour celles du public. Ce retard prolongé de la réunion du Parlement n’a pas bon air. On concevait le retard des élections, pour les préparer ; mais à présent que les élections sont faites pourquoi en faire attendre le secret ?

Onze heures
Vous répondez à ma question sur Cowley. Quoique je le connaisse peu, je le regretterai s’il s'en va. C'est plus sérieux que Lord Malmesbury. Je viens de prendre un verre d’Eaux bonnes J'en avais apporté. Je vous quitte pour aller me promener un peu avant déjeuner. On dit qu’il le faut. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 16 Août 1852

Si vous avez eu hier soir le même temps que nous, les illuminations auront brillé librement et la fête aura été belle ; le ciel ici était sombre, mais sans pluie, et pas beaucoup de vent. Ce matin, à 5 heures et demie, un temps superbe, pas un nuage ; le brouillard est venu et couvre ma vallée.
L’Electeur de Hesse aurait tort de ne pas faire sa visite. Je comprends qu’on ne vienne pas, c'est une politique ; mais venir et ne pas donner signe de vie au chef du pays, c’est une impolitesse impertinente qui ne convient jamais à de grands seigneurs. Vous me direz ce qui sera arrivé, n'est-ce pas ? J'en suis curieux.
Les journaux de Bruxelles mettent quelque affectation à dire que la Reine Victoria est restée enfermée dans son appartement, à Lacken, depuis le matin jusqu'à 4 heures. Donc temps donné à la conversation avec le Roi Léopold et aux affaires. Je ne doute pas que le voyage, n'ait un but d’amitié et de protection affichée.
Dit-on quelque chose, du pamphlet de M. Victor Hugo ? A en juger par les extraits que je lis dans les journaux, c’est aussi fou et aussi ridicule que celui de Proudhon, avec la fureur contre le président de plus. Voilà deux socialistes qui le proclament, l’un le plus utile ami, l’autre le plus odieux ennemi de la révolution. L’un est proscrit, l'autre bien traité. C’est naturel.
M. Thiers, M. de Rémusat, et les autres sont-ils déjà revenus à Paris, ou bien annonce-t-on leur prochain retour ?
Lord Londonderry est assommant avec sa correspondance. Le Président doit en être bien ennuyé. Il ne peut pas relâcher Abdelkader ; l'Algérie serait bientôt sans dessus dessous, tout le monde le craindrait du moins. Je comprends que le Duc d’Aumale fût embarrassé de le voir retenu par le gouvernement de son père. Mais le Président n’a rien promis à Abdelkader. Pourquoi s’est-il laissé aller à promettre quelque chose à Lord Londonderry, ou à peu près. Il devrait le connaître.
Soyez assez bonne, je vous prie, pour parler un moment de moi à la Princesse Schönberg et lui exprimer tout mon regret de ne pas la voir. J’aurais été charmé de causer avec elle ; elle était, et je suis sûr qu’elle est toujours charmante. Quand on l'a été vraiment, on ne change pas. Adieu.
Vous ne me dites pas si vous avez trouvé un maître d'hôtel. Je ne sais pourquoi les embarras de ce genre, vous troublent tant ; vous vous en tirez toujours bien. Le fou en veut aux papiers et aux bijoux présidentiels. Le ministère de l’intérieur et l’Elysée, c’est trop. 10 heures Pas de lettre. Ou vous n'aurez pas eu le temps de m’écrire, ou votre lettre aura été mise trop tard à la poste qui est partie plutôt. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 14 Août 1852

Je suis très fâché de la mort de votre pauvre maître d'hôtel. Je ne sais pas ce qu’il valait au fond ; mais d'apparence, il vous convenait à merveille, et vous le remplacerez difficilement. Les petites difficultés de la vie ne vous valent rien.
Ce pauvre Tolstoy me touche infiniment. Il est dévoué à ses enfants comme un père et comme une bonne. De quoi donc ce petit garçon est-il si malade ? C'est le second, je pense. J’ai trouvé à l’aîné bien bonne mine quand je l’ai vu à Dieppe. Faites moi la grâce de ne pas laisser ignorer à votre neveu que je suis vraiment préoccupé de lui et de son chagrin. Il y a de mauvaises veines dans la vie, dans la vie domestique comme dans la vie politique ; mais elles s’épuisent.
Vous recommencez à marcher. J'espère que la mauvaise veine est finie. Dieu vous garde ! Avez-vous vu quelque médecin ou chirurgien depuis votre retour à Paris, car Olliffe n’y doit pas être ?
Je suis revenu ici hier à 6 heures avec les entrailles assez souffrantes. Malgré ma sobriété, les dérangements de vie et de régime se font toujours sentir. Je suis mieux ce matin. J’ai dormi longtemps.
Je trouve ici des lettres, mais point de nouvelles. La plus vraie nouvelle à mon avis, c'est le livre de Proudhon, et l'autorisation de paraître que le président lui a donnée, après avoir lu son livre, et la lettre. Je trouve cela grave, sans m'en étonner. Dans un régime de liberté de la presse, ce ne serait rien qu’un mauvais livre de plus par un homme d’esprit, mais aujourd’hui, c’est quelque chose. Peut-être n’est-ce pas vrai. Je le voudrais. Le Président aurait tort, s’il s’engageait dans cette voie-là. On ne peut pas faire à la fois sa cour au Clergé et à Proudhom.
Que signifie le voyage de la Reine d'Angleterre à Anvers ? Est-ce une simple fantaisie de promenade, ou une marque d'intimité protectrice ! On me dit qu’il y a un mouvement de l'Elysée vers Londres, et qu’on verra la preuve dans un traité de commerce qui fera des concessions à l'Angleterre pour l'importation des fers et des houilles. Si ce traité a lieu, il fera du bruit.
Le retard du voyage du Président dans le midi me fait croire au mariage. Je comprends les inquiétudes de M. de Persigny et je ne les crois pas fondées. Si le Président veut réellement se marier, il se mariera que cela plaise, ou non, ailleurs. On ne fera rien de grave pour l'empêcher.

Onze heures 1/4
Mon facteur arrive très tard ; mais en revanche, il m’apporte une lettre intéressante. Pauvre Tolstoy ! Adieu, adieu. A demain les affaires, c’est-à-dire la conversation, c’est à dire l'écriture qui ne vaut pas le quart de la conversation. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°19 Val Richer 20 Juin 1852

Je n'ai pas de goût à vous écrire quand j’attends impatiemment une lettre. Le manque de celle d’hier m’a contrarié plus vivement encore que de coutume. Seriez vous plus souffrante ?
Ni mes lettres, ni mes journaux ne me disent rien. Si nous étions, en temps ordinaire, cette chute de la convention d'extradition entre la France et l'Angleterre, signée et ratifiée par le président et par la reine Victoria, serait un gros échec pour les deux gouvernements, et un gros embarras entre eux. Rappelez-vous ce qui est arrivé quand je n’ai pas fait ratifier la convention sur le droit de visite. Mais aujourd’hui rien ne fait rien. Je suppose pourtant que Lord Malmesbury payera son étourderie.
Décidément les affaires du cabinet Tory vont mal. Lord John est un opiniâtre fellow. Il persiste, en dépit de tout le monde, à être le chef de l'opposition. Il en viendra à bout.
Il pleut. Je me suis levé tout à l'heure par un beau soleil. Mais le ciel redevient tout noir. Je m'en consolerai quand j'aurai une lettre. Je suis plongé dans l’histoire de Cromwell et de son travail pour se faire Roi. Jamais homme n’a eu à la fois tant d’ambition et tant de bon sens. Aspirer à tout et savoir s'arrêter, c’est le seul exemple.

10 heures
Pas de lettre encore aujourd’hui. C'est désolant. Si vous êtes malade, pourquoi ne pas me faire écrire deux lignes, n'importe par qui, par Auguste ou Emilie. La journée sera bien longue. Adieu. Adieu.
On m’écrit : " Il n’y aura point de petite session. Les lois somptuaires seront retirées. Le corps législatif votera le budget sans mot dire, malgré les coups que le Conseil d'Etat, lui a donnés sur les doigts. "

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°2 Paris Mercredi 2 juin 1852
9 heures

En revenant hier de l'Académie j’ai vu vos fenêtres fermées et j’ai passé devant votre porte sans entrer. Cela m'a souverainement déplu, j'en ai été attristé le reste du jour. L'affection et l'habitude, ce sont deux puissants Dieux.
L'Académie elle-même se dépeuple. Hier M. Molé, M. Cousin, M. de Montalembert, le Chancelier n’y étaient pas. Barante part demain. Je partirai probablement le 12. Je suis pressé d'aller m'établir dans mon nid de campagne. A défaut des douceurs de la société au moins faut-il avoir celles de la solitude, le grand air et la liberté.
Montebello est revenu hier de sa Champagne. Il l'a trouvée froide, l'humeur renaissant un peu dans les villes et l'indifférence dans les campagnes, mais un grand parti pris de tranquillité. Tant que le gouvernement fera passablement son métier de gendarme et d'homme d'affaires, il n’a rien à craindre, on ne lui demande, et on n'en attend rien de plus. On ne sent nul besoin de l’aimer, ni de l'estimer. Je ne me résigne pas à cet abaissement et du pouvoir et du public.
J’ai rencontré hier M. de St Priest. Toujours le même modéré inintelligent, fait pour être l'esclave des fous de son parti et la Dupe des intrigants du parti contraire. Il avait, m'a t-il dit de bonnes nouvelles de Claremont. Le capitaine, Brayer envoyé à Frohsdorf avec de très bonnes paroles ; il aurait l’air d'en douter, par décence de légitimiste, mais au fond, il y croyait. Il était sûr aussi que le petit article des Débats, sur Changarnier, était faux et avait été inséré, sans l'autorisation du Général.
Je n'ai moi, aucune nouvelle de Claremont. J'en attends ces jours-ci. Je vois que la Reine, les Princes et M. Isturitz sont allés recevoir à Douvres le Duc et la Duchesse de Montpensier. L'entrevue sera assez curieuse entre les nouveau débarqués et la Reine Victoria ; ils avaient bien de l'humeur quand ils ont été obligés de quitter précipitamment l'Angleterre dans les premiers jours de mars 1848. Mais le temps, la chute de Palmerston et l’amitié de la Reine Victoria pas à cet abaissement et du pouvoir et du pour la famille effaceront tout.
Le Constitutionnel publie ce matin, sauf quelques phrases, la lettre de Fernand de la Ferronnays et la commente avec convenance et perfidie. C’est tout simple. Je persiste dans mon opinion. Le comte de Chambord a eu raison, au fond ; sa lettre l’a grandi, lui, et contribuera beaucoup à isoler de plus en plus le président en France, comme votre Empereur l'isole en Europe ; mais il fallait un autre langage ; il fallait se montrer plus touché des sacrifices et des tristesses qu’on imposait à son propre parti, et en mieux présenter les motifs.
Vous m'avez peut-être entendu dire qu’on disait que M. Duvergier de Hauranne allait fonder à Gênes un journal, dans l’intérêt de son opinion. Il paraît que ce n’est pas, M. Duvergier, mais le Roi de Naples qui veut fonder ce journal, intitulé Il mediterraneo, et écrit en Italien quoique rédigé par un réfugié Français ; et ce n’est pas au profit des opinions et du parti de M. Duvergier, mais contre le gouvernement Piémontais qu’il sera rédigé. On en a beaucoup d'humeur à Turin et on y parle aigrement de l’ambition et des intrigues du Roi de Naples.

4 heures
J’ai des nouvelles de Claremont. de bonne source, et malgré votre scepticisme et le mien elles me paraissent bonnes. On se dit décidé à ne pas attendre l'Empire et à saisir l'occasion du retour du Duc de Montpensier à travers l'Allemagne pour faire une démarche décisive. Nous verrons. Le porteur, si vous avez le temps de l'écouter, vous donnera des détails.
Dumon, qui sort de chez moi est très frappé de ce qu’on nous dit. Il paraît que la situation de Flahaut à Londres est bien désagréable. On dit que le 5 mai, la Reine l’avait invité à Buckingham Palace, et qu’il n’y est pas allé, à cause de la date. On a trouvé que, pour Walewski, c'était bien, mais que pour Flahaut c'était trop. On ne l’invite plus dit-on.
Vous ririez bien si je vous disais les inquiétudes que cause à quelques personnes, à quelques uns de vos amis, votre voyage. Ils craignent votre action auprès de l'Empereur en faveur du Président ; ils disent que l’Elysée compte tout-à-fait sur vous. Si l'Empire se fait en votre absence, c’est vous qui l'aurez fait. Adieu.
Ceci vous sera remis demain matin. Je vous écrirai demain à Schlangenbad. Je serai bien content quand je vous saurai arrivée, et sinon reposée, du moins calmée. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 8 Oct. 1851

Avez-vous remarqué, il y a deux jours dans les Débats un article de John Lemoinne sur Pacifico et Lord Palmerston ? La moquerie était bonne et poignante. Il est vrai qu’il y avait de quoi. Les Anglais seuls ont le talent d’être à la fois puissants et ridicules. Malgré ses éloges pour notre ami, je ne goûte pas beaucoup le discours, de Sir James Graham à Aberdeen. Vide et mou. Des promesses de concessions cachées sous un manteau de conservateur. C'est de là que viennent mes véritables craintes pour l'Angleterre.
Et le manifeste de Kossuth ? Rien ne pouvait donner plus raison à l’interdiction dont il a été l'objet. Un des trois hommes de sens qui, dans le Common Council de la cité, ont voté contre l’accueil solennel préparé pour Kossuth à Londres, devrait demander quand il y arrivera, la lecture publique de cette sotte déclaration. J’ai peine à croire que le bon sens Anglais n'en fût pas choqué.
Ma feuille jaune raconte tous les embarras de Changarnier à propos de son messager de l’Assemblée. Je les comprends. Le général approche du pied du mur. Plus j'y regarde, plus je me persuade que sa candidature n’a point de chances. Il aurait fallu, pour la préparer, une tout autre conduite que celle qu’il a tenue et qu’il tient encore.
Vous voyez que, moi aussi, je n’ai rien à vous dire. Je reçois beaucoup de visites locales. On vient me parler des élections. La préoccupation sérieuse commence. Elle ira vite quand les débats de l'assemblée auront recommencé. Je me tiens parfaitement tranquille. Je ne vais nulle part. Guillaume le conquérant seul aura le pouvoir de me faire faire une course dans mes environs. Je ne sais si j’aurai encore, dans ma vie, quelque chose de considérable à faire ; ce que je sais bien c’est qu’il faudra que la circonstance vienne me chercher chez moi.

10 heures
Voilà deux visiteurs qui m’arrivent de Caen, avant le facteur. Je vous dis adieu en hâte. Je ne fermerai pourtant ma lettre qu'après l’arrivée de la poste. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie. Vendredi 19 Sept. 1851

J'ai vos lettres ici trois heures plutôt qu’au Val Richer, presque en me levant. C'est très agréable. Vous n'aurez rien à faire, car il n'y aura pas de coup d'Etat. C'est l’impression qu'il est impossible de ne pas avoir en province. Le pays n'est pas du tout agité et assez peu effrayé ; il se croit sûr de se tirer d'affaire c’est-à-dire de battre les rouges et de maintenir l'ordre par les voies régulières. Et comme, il ne demande pas davantage, il ne comprendra pas qu'on fasse un coup d'Etat inutile pour avoir cela, et bon uniquement pour avoir autre chose, dont on ne se soucie pas du tout. Est-ce là du bon sens ou une folle imprévoyance ? Nous verrons. En attendant soyez sûre que hors de Paris, personne ne pense à un coup d'état, et que, s’il arrive ce sera un coup de tonnerre que personne ne comprendra et dont tout le monde aura peur.
Mauvais moment pour se marier. Il faut que le président attende Juin 1852, comme mes marchands de Lisieux pour faire leurs grandes commandes de toile et vous pour changer vos tapis. Selon moi, même après 1852, le Président aurait tort de se marier ; il en sera plus embarrassé qu'affermi. Garçon, tous les avenirs lui sont possibles ; marié, il n'en a plus qu’un ; il faut qu’il fonde une dynastie. Et bien des choses qu'on lui passe encore pas tout à fait, garçon, on ne les lui passera plus du tout, marié.
Je trouve comme vous, l'article de l'Assemblée nationale excellent, et très à propos. Tous les jours, j'ai plus de peine à me persuader que cette candidature aille jusqu'au bout. Une seule cause peut la maintenir ; les inventeurs y sont à présent fort compromis ; la retraite leur est difficile ; et le Prince dont iIs font leur instrument n’est guère en état de résister aux inventeurs, et de leur dire décidément un jour non.
J'ai des nouvelles indirectes, mais sûres de Claremont. On n'y est pas, ou du moins on n’y veut pas paraître d'aussi mauvaise humeur contre moi que le dit l’Indépendance belge. On parle très convenablement, même à des gens qui me sont tout-à-fait étrangers.
Avez-vous quelques notions un peu précises sur la teneur de la pièce adressée par la France et l'Angleterre aux Etats Unis à propos de Cuba ? Il se pourrait bien qu’elle fût à Washington, plus nuisible qu'utile. Cette démocratie est plus susceptible que les plus grands despotes, et beaucoup plus inconsidérée. Adieu.

Je me suis promené hier à propos. Tous les jours, j'ai plus de deux heures en calèche dans la forêt entendant de loin la chasse, et en attendant le résultat. Les chasseurs sont rentrés à 4 heures. Le temps est encore assez beau, quoique penchant vers le ciel d’automne.
En revenant de la forêt, j'ai passé une heure dans le Cabinet du Duc de Broglie qui n’était pas venu avec nous, étant très enrhumée. Bonne conversation. Il est très sensé, très décidé dans la bonne voie du moment et n'excluant point les bonnes voies d'avenir mais toujours très frappé de la profonde antipathie du pays pour les légitimistes : " La Reine Victoria est très populaire, très aimée, très honorée, très puissante. Croyez-vous qu’elle pût régner huit jours en Angleterre si elle était catholique ? " Voilà sa question. J'ai des réponses, mais des réponses à longue échéance. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 17 septembre 1851

J’ai dormi cette nuit. Si je n’avais pas dormi je n’aurais plus été en état de vous écrire. Hier Rothschild, Kisseleff, Hubner, Mercier. Thiers a dit à celui-ci que le Président resterait probablement. Rothschild est bien orléaniste & il veut à tout prix sortir de la République. Il ne se dit rien de nouveau. J’ai rencontré hier le Président. Je l'ai salué avec empressement et respect. Il a bien répondu : “ Moi, je suis très pour le président.” Baroche a dit hier à Antonini que Sartiges lui mande que Lopez a été tué dans un combat et que cette nouvelle est un grand débarras pour le [gouvernement] américain. Quand on a appris en Angleterre que la France voulait soutenir Cuba, le langage, a changé & on marche comme la France. Je vous dis ce que me dit Antonini, c’est mon rapporteur. Montebello, ira je crois certainement à Claremont avant le 4 nov. Il veut aller dire que si on persiste, il votera contre la proposition Creton. Adieu. Adieu.
J'écris enfin à l’Impératrice au sujet de mon fils. Je perds patience et je [?] à elle. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, vendredi 8 août 1851

Pardonnez-moi ce petit papier ; j'ai été hier tout le jour et je suis encore aujourd’hui parfaitement stupide. Rien absolument qu’un rhume de cerveau doublé hier soir d’une migraine que m'a donnée un violent orage. Je n’ai jamais vu le ciel tout à coup si noir. Mais cette noirceur a avorté, comme tant d'autres de nos jours : nous avons eu peu de bruit, peu de pluie, et j’ai été me coucher à 9 heures après avoir perdu deux robbers de whist, seule occupation et seul plaisir dont je fusse capable. Je serai encore lourd toute la journée ; demain matin, il n’y paraîtra plus et demain soir je vais à Paris où je resterai jusqu'à mardi soir.
Je lis dans les journaux que le luncheon du Président aux Anglais a été très brillant. On m'écrit le contraire. " Une affreuse mêlée ; 250 couverts et 3000 affamés. Je me suis arrangé pour être du petit nombre des élus ; mais les élus étaient, si serrés qu'ils ne se croyaient pas du tout en Paradis. "
Je crois que vous me recevez plus le National. Je suis frappé de sa phrase pour recommander, le désintéressement à toutes les nuances de l'opinion républicaine en fait de candidature à la Présidence de la République et pour les engager toutes à accepter celui qui aura le plus de chances d'être élu, " quel qu’il soit " Rapprochez ceci de l'accord qui s'est établi à Londres, entre M. Emile de Girardin et M. Ledru Rollin : " Nous sommes d'accord sur tous les points ".
N'entrevoyez-vous pas là le travail qui se fait de ce côté pour la candidature de Prince de Joinville ? Renverser ce qui existe aujourd’hui, et amener une tempête ; n'importe à quel prix, et à quel profit ; tous se promettent le gros lot au sein du grand bruit. Quel spectacle et quelle honte s'ils vont jusqu'au bout ! Je n’y puis croire ; mais j'y regarde très attentivement.

Onze heures
J’attendais impatiemment si votre tête serait guérie. Il faut encore attendre. C'est ennuyeux Adieu, adieu, la seconde cloche sonne pour le déjeuner. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, mardi 5 août 1851

Il me paraît que les fêtes de Paris se passent bien. Le discours de Lord Granville est très bon, le seul vraiment bon et qui ait un sens. Tous les autres sont un peu trop insignifiants. Cela m'amuse de voir les ouvriers républicains crier vive l'Angleterre, pendant que la République donne à dîner au Lord Maire. Le Roi ne faisait pas mieux pour la Reine Victoria, au château d’Eu, ni le peuple royaliste qui criait vive la Reine à son débarquement. Je ne savais pas à quel point j'avais raison. La République me l'apprend tous les jours. J'ai reçu avant-hier une invitation du Président de la République pour aller passer la journée ( de 3 à 7 heures) au Palais de St. Cloud, hier Lundi 4. Je suppose que c’est la fête qu’il donne lui à tous ces hôtes anglais. Comme je vais samedi soir à Paris pour deux jours, j'irai écrire mon nom à l'Elysée pour lui rendre sa politesse.
Autre visite qui m'amuse, c’est celle du Bey de Tunis à Vienne. Il va chercher là aujourd'hui contre la Porte soutenue par l'Angleterre la protection qu'en 1844, il venait chercher, et qu’il trouvait à Paris. Si on laisse Lord Palmerston s'établir à Tunis comme en Egypte, nous ne tarderons pas à avoir, pour l'Algérie, quelque gros embarras. Je doute que l’Autriche prenne efficacement le Bey de Tunis sous sa protection. Elle n'y a que bien peu d’intérêt et elle en a bien plus à être bien avec la Porte. Il y aurait, pour nous, si on savait s'y prendre quelque chose de bon à trier de cette situation, ce serait la reconnaissance, par la Porte de notre établissement en Algérie. Je ne doute pas que l’impertinence de Lord Palmerston au comte Buol ne soit préméditée. Il veut qu'on s'accoutume à le voir mettre sur le même rang les gouvernements et les insurrections, si cela convient à l'Angleterre. Pourquoi se le refuserait-il ? Les insurrections lui en savent gré et les gouvernements le lui passant. Vous savez que c’est dans la baie de Torquay qu'a débarqué Guillaume 3 arrivant en Angleterre. Je suppose que la baie est aussi bonne pour l'embarquement que pour le débarquement.
Le journal l'Ordre annonçait hier bien qu'avec un peu de réserve et d’embarras, la candidature de M. le Prince de Joinville. Pour le parti, cela me paraît une grosse faute ; si cette candidature est jetée dans le public et débattue longtemps d'avance, elle sera usée avant d’être sérieuse. Il me semble que la formation de la Commission permanente et la majorité qui l’a formée jettent un grand désarroi dans les coteries des impatients. Leurs journaux sont non seulement irrités, mais troublés.

10 heures
Je suis fâché qu'Ems ne vous réussisse pas aussi bien que l'an dernier. Le duc de Noailles aura vu qu’il avait tort de se plaindre. Je crois en effet que l’Elysée est content de la majorité ; mais je ne crois pas que la seconde discussion amène un résultat différent. Adieu et Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 4 août 1851

C’est un grand fait que la composition de la Commission permanente. C’est la preuve que le parti monarchique sensé a, quand il le veut, la majorité contre la République, les pointus légitimistes le tiers-parti et le parti Thiers coalisé. Berryer, 402 voix, Dufaure 210 ; voilà les deux vrais termes de comparaison. Qu'il en pût être ainsi, si on le voulait, je le savais ; mais qu’on l'ait voulu et fait, je n'y comptais pas. C’est un grand pas vers l'organisation d'un parti d'avenir. Avancera-t-on dans cette voie ? Nous verrons.
Les pointus Légitimistes et les Régentistes sont furieux. Ils ont raison. On a très bien fait d'admettre Changarnier. On a eu tort d'exclure M. de St Priest. Sa présence dans la commission n'eût rien fait. Son exclusion le repousse parmi les pointus légitimistes, et il a de l'influence dans tout le parti. On prétend que le Duc de Lévis parle assez mal de la visite à Claremont, et dit qu’il n’en savait rien lui avant qu'on l'ait faite. Je ne crois pas cela.
Avez-vous remarqué la réponse de la Diète de Francfort, à la protestation de la France et de l’Angleterre contre l'entrée de l’Autriche, avec tous des États dans la confédération ? C’est bien médiocre. Pourquoi se borner au point de droit, qui est évidemment le côte faible, et ne rien dire de la nécessité anti-révolutionnaire qui est la grande raison ? Vieille routine de bureau. En général, la rédaction diplomatique allemande est faible et bien inférieure à la rédaction Française, Russe ou Anglaise.
Je vous quitte pour aller faire un tour de jardin. Le temps est superbe aujourd’hui et chaud ; ce qui fera grand plaisir à mes orangers, à mes œillets, et à moi.

10 heures
Le facteur m’arrive au milieu de ma toilette et je l’interromps pour fermer mes lettres. Adieu, Adieu.
J’espère que vous n'aurez pas souvent de pareils orages pour troubler vos nuits, et je suis charmé que ma lettre sur la démocratie vous convienne. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 2 août 1851

Je jouis vraiment de votre délivrance. Je sais à quel point vous avez dû être agitée ; et votre agitation m'inquiète et me chagrine comme m'inquiéterait et me chagrinerait une maladie. J'en veux à Couth de vous avoir si étourdiment répondu.
Je crois que vous avez raison sur les fêtes de l’hôtel de ville. On ne pouvait guère ne pas rendre les politesses anglaises et on les rendra magnifiquement. Le Lord maire et les Aldermen viendront-ils en robes et en perruques ? Depuis que je suis ici, j'ai vu des industriels considérables et deux des commissaires Français à Londres. Il y a un peu d'humeur, parmi eux, de la décision qui a supprimé, les grandes médailles d’or qu’on devait donner, en petit nombre aux ouvrages d'élite. Les Français affirment que cette décision a été prise contre eux, par jalousie, et parce qu'en fait d'ouvrages d’élite et parfaits d'exécution ils auraient eu bien plus de grandes médailles que les Anglais cependant, à tout prendre, il restera plutôt de là, entre les deux pays, des impressions bienveillantes et de bonnes relations. Je ne sais si le gouvernement Anglais a fait de la bonne politique intérieure ; mais il a certainement fait de la bonne politique étrangère. On a vu sa puissance, et on lui sait gré de cette façon de la montrer.
Mad. de Ste Aulaire m'écrit que ses visiteurs du Dimanche (à Etiolles) sont très découragés et décourageants. Le Duc de Broglie, Viel Castel & Broglie, ne m’écrit guères ; il est vrai que je ne lui ai pas écrit du tout. Mais il a chargé ma fille de me dire qu’on ne faisait et qu’on ne préparait que des bêtises. L'impression générale est triste et morne, plus que sombre et agitée. Je ne vois pas dans le pays que j'habite, grande ardeur à recommencer, le pétitionnement pour la révision. Il est vrai que déjà ce département-ci a peu pétitionné.
Voilà un fauteuil vacant à l'Académie française. Je ne vois pas à qui nous le donnerons. Il sera très vivement et très petitement disputé. Je perds, dans M. Dupaty un ami très dévoué, très actif, et assez influent dans la sphère académique comme parfaitement étranger à l'arène politique. Galant homme d'ailleurs, d'un esprit aussi sensé dans la vie que léger dans la littérature, et d’un cœur très steady. On est très ému ..., à Alexandrie, du chemin de fer que le Pacha d’Egypte vient enfin de concéder aux Anglais. Je reçois de là une lettre, non signée mais dont je reconnais l'auteur, riche négociant Français établi depuis longtemps en Egypte. " C'est le 12 de ce mois que les signatures ont été échangées. C'est donc à partir de ce moment qu'Abba-Pacha est officiellement le gouverneur du pays pour le compte de l'Angleterre. Ainsi, à moins que l’Europe ne s'y oppose, MM les Anglais vont disposer librement de 90 mille hommes, de 80 à 100 millions, des mines de charbon nouvellement découvertes, des produits inépuisables de la vallée du Nil, de l’Abyssinie & Et cela entre Malte et Aden, au point le plus stratégique du Globe commercialement et militairement parlant ; au point par conséquent le plus favorable pour prélever une dîme sur tous les produits agricoles et industriels du globe & & Et il m'invoque comme si j’y pouvais quelque chose. C'est certainement un grand pas vers la possession du Nord-Est de l'Afrique et de la clef européenne de l'Orient.

Onze heures Vous voilà parfaitement calme. Cela me plaît beaucoup. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Dimanche le 27 juillet 1851

Une nuit blanche. Les nerfs de la tête agacés, courbatures générales, un feu de fièvre hier. Voilà les bénéfices de la lettre de [Coutte]. C'est bien ignoble d'être agitée & malade comme cela pour une question d'argent. I cannot help it. 10 000 £ de moins dans ma fortune je ne m'y accoutume pas. Ellice écrit à [Coutte] pour expliquer. J'affirme que le dépôt est chez lui, c’est ainsi sûr qu'il est sûr que je suis à Ems. Je l'ai remis cacheté, signé chez lui. Il m’en a donné reçu, ce reçu est mentionné dans mon testament. C'est sûr, parfaitement sûr. Sa réponse est laconique : il m’a rendu ce paquet avec tous les autres titres. Je dis que j’ai repris tous les autres titres moins celui-là. Et ma raison était simple. Un très gros paquet, inutile jusqu’en1858, et moi rentrant dans un pays de révolution. Enfin, je vous ennuie, j’ennuie tout le monde, et je suis honteuse. Si l’affaire ne s'éclaircit pas. (ce à quoi je ne vois pas de chance depuis la lettre de Coutts) je déclare que j’ai été volée dans la première maison d'Angleterre. Comment ai-je pu égarer le reçu ? C'est là où ma raison est en défaut. Moi si exacte, soigneuse de mes affaires.
La soirée s’est bien ressentie du départ de Marion, & de Duchâtel & de mes soucis. Nous proclamons tous Duchâtel le plus agréable homme du monde. Si gai, si en train, toujours en bonne humeur, & tant d'esprit tout prêt & tout naturel. Je le crois bien parfaitement égoïste, qu'est-ce que cela me fait ? Je ne suis pas de votre avis sur la fête à l’hôtel de ville. Comment voulez-vous qu'on reconnaisse autrement les politesses faites à vos commissaires industriels & & en Angleterre ? Et vos fêtes à vous sont cossues, magnifiques, et bien supérieures à celles d'Angleterre. Non, M. Berryer a raison. Je saurai à Francfort sans doute des nouvelles des affaires d'Allemagne. Ici je n’ai aucun moyen d’être bien renseignée.
J'ai une petite nièce ici bien gentille et jolie, une Princesse de Lieven mi ditto. Son mari a l'air bourru. Elle dit qu’il la fait rire, & elle l'aime beaucoup. 28 ans de plus qu’elle. Midi dans ce moment une nouvelle lettre de Coutte, m’informant qu’il a en sa possession mes titres. Ouf ! Mais voilà un banquier bien léger. Adieu. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Samedi le 5 juillet 1851

Je suis arrivée hier à 7 heures après un voyage excellent. Je me suis séparée de mon fils à Coblence, bien bon garçon. Ici je retrouve tout, très bien, matériellement, pas une âme de connaissance. Nous avons bien besoin l’un de l’autre. Duchatel & moi.
Votre lettre du 2 qui est venue ce matin. Une d’Ellice aussi. Le discours de Thiers n'a pas fait fortune en Angleterre du tout. Ellice me dit quel effort de déraison ! Lord john est parfaitement raffermi, & restera très solidement. pour l’éternité. Amen. On m’a dit à Bruxelles qu'on ne s’est pas douté à Paris de l’effet produit à Claremont par la lettre du comte de Chambord en février. La duchesse d’Orléans était rendue complètement. On songeait à une entrevue. La proposition Creton renversée par Berryer a renversé toute la [?]. Léopold est très sensé. Il donne les meilleurs conseils. Les doutes que j’avais exprimés à ce sujet ont beaucoup déplus & étonnés. J’ai dit des choses utiles.
A Bruxelles comme partout, on est convaincu de la durée du Président, et comme partout, on la désire car on ne voit rien de bon que cela en fait de choses possibles. A Naples chaque fois qu'on se rencontre, on fait un petit programme de phrases à s'adresser ni plus ni moins. C’est positif. Je crois que je vous ai dit tout ce que j'ai ramassé.
Marion est ravie d’Ems elle a une fort jolie chambre à la gauche de mon salon. L’air est délicieux, ni trop chaud, ni trop froid. Je ne regrette de Paris que vous, car du reste je pense de lui avec mépris, au physique & au moral. Adieu. Adieu. Adieu.
Brunnow ne parle de Walensky que comme d’un polisson. S'il fait comme il parle cela va faire une relation agréable. Le discours à Châtellerault est excellent.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 27 octobre 1850

J'ai négligé de vous dire, qu'on dit qu'à Frohsdorff outre le service funèbre, & le deuil pris en apprenant la mort de la reine des Belges on a encore et de nouveau chargé Salvandy de porter à Clarmont le message de sympathie & de condoléance, & que Salvandy au lieu de s’en acquitter en personne a écrit à Clarmont les paroles mêmes du comte de Chambord. Les nouvelles d’Allemagne sont très contradictoires, cependant vous allez être bien étonné si je vous dis qu’on croit que c'est l’Autriche qui reculera. Voici : les Prussiens entreront ou traverseront en vertu du traité avec la Hesse. Les Bavarois qui doivent y être entrés déjà, se replieront aussitôt l'entrée des Prussiens, en protestant, & resteront l’arme au bras à la frontière. Comprenez moi, je ne comprends pas. On annonce toujours que l’Empereur & [Schwarzemberg] vont à Varsovie mais ils n’y sont pas. Hier Hubner avait l’air de trouver que c'est mon Empereur qui doit une visite au sien. Tout cela est drôle.
J'ai été hier soir chez les Normanby. Lahitte ne savait rien, Viel-Castel que j’avais laissé chez moi n’en savait pas davantage. Chaque heure peut porter une nouvelle curieuse. On soupçonne lord Palmerston de vouloir faire une malice à la France & à la Russie en laissant croire sur leur compte les bêtises qu’a dit le Times et qui ne dément pas absolument le Globe. Je crois qu’en réalité on voulait ici une démarche collective conservatoire & menaçante & que l'Angleterre a été d'avis de notes simultanées. Lady Jersey part Jeudi. Voulez-vous dîner avec elle ici Mercredi ? J’aurai Sainte-Aulaire, Montebello, quelques diplomates, Viel Castel. Si vous disiez non, il faut me le dire, afin que j’ai le temps de vous remplacer mais dites oui. Demain je lui donne à dîner aussi. Adieu. Adieu.
Je serai charmée de voir finir ces adieux là.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi [21] octobre 1850

Beaucoup de monde hier soir. Une conversation à bâtons rompus avec le général Lahitte. Les gros diplomates agités. & cependant le bruit se répand qu'on s’arrange comme de raison. L’inquiétude de mes diplomates à propos d'une double diplomatie ici, ne me paraît pas sans fondement. Évidemment c’est toujours Lord Normanby qui règne à l'Elysée, seulement on tâche doucement d'échapper à ces coups fourrés. L’article du Constitutionnel est fort diversement jugé. Il me paraît qu’on trouve qu'il valait mieux ne pas sonner les cloches pour le renvoi du reste de la guerre. J’ai trouvé au général, du doute, du blâme, de réticences. Un peu de tout. Rien de clair. Je ne sais pas du tout ce que pense le général Changarnier. Tout le monde parle par énigmes. Je vais ce matin avec Hubner à Champlatreux, mais je reviens dîner. Le temps est superbe.
Voici une lettre de Constantin. La Prusse en grande cajolerie pour nous. Le Maréchal nommé chef du premier régiment de l'armée prussienne. Une députation, le colonel en tête, est partie pour Varsovie pour lui rendre les hommes. Petite malice, car l'Autriche n’aura pas songé à cela. On décidera à Varsovie la Hesse & le Holstein. La Prusse renonce à la Constitution de l’union restreinte. Enfin tout est adouci, radouci. Le prince Charles de Prusse parti pour Varsovie aussi, ainsi que le comte de Brandsbourg. Constantin y est. L'Empereur de d'Autriche & le Prince Schwarzenberg doivent y venir. Voilà mes nouvelles. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 16 octobre 1850

Jamais je n’ai vu un visage plus renversé que celui de Kisseleff hier soir, à propos d’un article du Bulletin de Paris sur le départ de M. de Persigny pour Berlin. Je ne l'ai pas lu. Il dit que la France & l'Angleterre vont soutenir la Prusse. Je ne puis pas le croire. Le général Lahitte affirmait l’autre jour, en me parlant, que quoiqu'il arrive, la France restera neutre dans la querelle de la Prusse & de l’Autriche. Ses réponses à ce que vous me demandez au sujet de Morny Je vous envoie l’indépendance Belge. Je ne crois pas que ceci fasse plaisir à vos amis.
Je n’ai pas revu Morny depuis votre départ. S'il est besoin je demandais à l’ambassade d'Angleterre les armes de ce pays à l’époque que vous dites. Les fleurs de lys y étaient, car je les ai encore trouvées en Angleterre. Elles n'ont disparues que de mon temps. Mad. Rothschild est venu me voir hier. Contente & tranquille. On dit que M. d’Hautpoul sera renvoyé. moi je n'avais pas compris cela. Marion a remonté avant hier le général Changarnier & Thiers chez la princesse Grasalcovy. Le duc de Bauffremont qui était ici hier soir sortait de dîner chez le président. Il y avait le duc de Capone & le prince de Canino, deux jolis sujets ! Point de nouvelle de là ! Les conversations sont très animées à Paris & certainement à votre arrivée vous trouverez les têtes très échauffées. La mienne pas j’espère. Vous trouverez dans l'Indépendance l'article du Bulletin de Paris qui passe pour appartenir à l'Elysée. Dites-moi l’adresse de Broglie je suppose que lundi & mardi c'est là que j'aurai à vous écrire. Adieu. Adieu.
Si nous causions il y aurait bien à bavarder. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Vendredi le 27 septembre 1850

Ce mois de septembre est merveilleux. Quelle pitié de le passer à Paris ! J’ai vu assez de monde hier soir. Le général Lahitte, entre autres, qui me plait toujours davantage. Ses bonnes manières, sa belle figure, cet air honnête, sincère, assez de gaité dans l’esprit, rien de cet air de mystère ou d’importance que je déteste, l’esprit dégagé, tout cela me charme. Le duc de Noailles était ici aussi. Dumon, Viel-Castel. Quelques femmes. Rien de nouveau, si non la Hesse. La diète de Francfort se déclarant pour l'électeur, et promettant appui ; il en a besoin. Que va dire la Prusse, qui repousse toute intervention ? Cela peut devenir gros. Voici Fleischmann ; vous voyez qu’il protège peu les petits états. Lord Palmerston a écrit au général Lahitte une lettre de remerciements pour l'accueil fait aux Anglais à Cherbourg. M. Véron fait encore au jourd’hui un article remar quable. Il y a des choses excellentes. Pour la conclusion, je ne la comprends pas. Je n’aurai pas la patience d’attendre, ni lui non plus sans doute. Ce que vous me dites aujourd’hui sur la position du Président est très vrai.
Jugez que les Ellice sont ici depuis 8 jours, & que je ne les ai pas vus encore. Marion m’a suppliée de ne pas même lui écrire, d'ignorer tout-à-fait qu’elle est ici, jusqu’à ce qu’elle. vienne elle-même. Quelque nouvelle grognerie des parents. C’est fort ridicule à elle de s'y soumettre. Ils cherchent un logement et ne trouvent rien. Adieu & moi aussi, je ne trouve rien à vous dire. Adieu. Adieu.
Vous me renverrez Fleischmann. Je suis inquiète de Constantin. Il devait me répondre à une lettre. Il ne le fait pas. Je me mets en tête que son enfant est mort. Je prends quelque fois des idées qui me tourmentent comme des réalités. Sur ce point là il y a un peu de folie dans mon fait. Et une folie de plus, c’est de croire qu'en disant une pareille idée, cela détourne le malheur. Vous allez me trouver vraiment insensée.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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J'ai peu dormi. Je n’ai pas eu froid. Je suis arrivé chez moi à 6 heures. Je suis un peu fatigué. Je me coucherai de bonne heure ce soir. Voilà mes nouvelles.
Mon gendre n'est pas encore revenu de Cherbourg. On l'attend pour dîner. Le Président n’y a guères mieux réussi sur mer que sur terre. Les matelots ont trouvé qu’il ne se tenait pas sur le vaisseau à la place où il aurait dû se tenir, et qui est la place d’honneur. Il s’était mis ailleurs, pour se faire mieux voir. On a dit qu'il avait l’air d’un capitaine d'infanterie allemand qui n’avait pas droit à de l'avancement. Le spectacle marin a été magnifique. Grande politesse mutuelle entre les Français et les Anglais. Adieu, Adieu, Adieu.
J’aime mieux adieu de près que de loin. Adieu. G.
Val Richer, mardi 10 septembre 1850

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Lundi 24 Juin 1850

Peu de monde hier soir, mais choisi. Lahitte, Molé, Montalembert mon favori. Piscatory. Toute la diplomatie. Lahitte ne sachant pas s'il sera encore Ministre demain. Molé en grand doute, mais je crois plus de doute dans la forme que dans le fond. Piscatory très certain que la loi passera. Montalembert incertain aussi. Enfin, nous verrons. Quant à Londres, demain le télégraphe. Les notes échangées pour la conclusion de l'affaire, sont, de la part de l'Angleterre, longue, pompeuse, gracieuse, regret du passé vif désir de faire bon ménage & & Du côté de la France, les faits très simples, pas un mot de politesse, enfin très sec, à ce que m’a dit [Soluise]. Nous verrons, quand nous verrons. Normanby est venu se plaindre des deux paroles de Dupin en pleine assemblée. Lahitte a répondu qu'il n’a aucun contrôle à exercer sur le Président de l’Assemblée. On ne parle pas du tout encore de renvoyer l’ambassadeur, & on ne sait quel ambassadeur. Gros est revenu hier, disant des choses incroyables de la légation anglaise à Athènes. J’ai vidé mon sac. Il fait bien chaud. Mon départ est fixé pour Samedi. Lundi au plus tard, mais vous saurez tout exactement. Adieu & Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 23 Juin Dimanche

Je suis bien mécontente de cette brusque solution en présence de ces publications anglaises dépêche de [Wyze] & deux de Normanby qui ne me paraissent nullement agréables au g[énéral] de Lahitte. Aberdeen en juge ainsi de ces dépêches, il les trouve insultantes, & il pense bien que l’affaire ne sera pas conclue, il m'écrit fortement sur l’utilité qu’elle ne le soit pas avant lundi. J’ai montré cela mais l’affaire est faite ; les regrets n’avancent rien n'effacent rien. Un malentendu, dit-on, a empêché hier que le Moniteur continue une réfutation (de la dépêche de Wyze), publiée sur la Patrie. Il faut au moins que cela paraisse aujourd’hui.
Il devait y avoir un grand dîner à Ferrières, aujourd’hui tout à coup hier, les convives décommandés parce que Mad. de Rothschild est partie subitement pour l'Angleterre & M. de R[othschild] pour le Havre. Vous concevez que cela fait quelque bruit. L[ord] Aberdeen, Ellice, Greville, Beauvale, tous me disent que la dernière phrase du discours de Lord John à Paris des plus insolents pour l'Europe. L’intention était à l’adresse de Lord Aberdeen, mais c’est trop fort & les grandes puissances dit-on ne peuvent pas avaler cela. Ellice pense, que si le g[ouvernement] porte, la chambre des Pairs rejettera toutes les propositions du g[ouvernement] tous les bills venant de la ch[ambre] des Communes. La confusion, l’irritation, les commérages sont au comble à Londres. Beauvale dit que c'est un enfer. Meyendorff m'écrit que rien ne s’arrange en Allemagne. 300 [mille] Russes toujours en Pologne. Le Prince de Prusse arrive demain à Londres pour le bateau du Prince nouveau né. J’ai été interrompue la tête branlante l'heure avance, il faut écrire à notre ami A.[berdeen]. L’acceptation ici a été conçue dans des termes [?]. Drouyn de Lhuys ne retourne pas encore. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 18 juin 1850

J’espère une lettre de vous aujourd’hui. J’ai donné à dîner hier aux Chreptovitz. J’avais entre autres Molé, Changarnier, Morny. Les deux premiers aiment mieux je crois dîner séparément. Le soir je suis allée un moment chez les Hatzfeld. Le g[énéral] de Lahitte y est venu. Je ne sais aucune nouvelle. Seulement rien n’est terminé avec l'Angleterre. On est, je crois, d’accord sur le fond, mais non pas sur la forme. On ne parle que de la dotation. Toujours du doute mais je ne crois vraiment pas possible que cela soit refusé. La discussion à ce que dit Berryer ne viendra que Lundi. Un mot d’Ellice de hier. Mais je n’ai pas à vous parler de Londres. Vous savez tout à présent, & nous, nous n’en savons rien.
Thiers raconte à tout le monde son émotion des [ ?] de St Léonard. On dit qu’il pleure encore en racontant. On dit aussi qu'il est revenu fusionniste. Chreptovitz part après demain avec un grand regret de ne pas vous voir. J’ai écrit à Marion une lettre suppliante, Hélas cela n’y fera rien. Ste-Aulaire me quitte à l’instant. Hier on m’a dit que si l’Assemblée refuse, le pays fera une souscription, et qu'on lui votera 15 millions peut être. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Lundi 17 juin 1850

Grand jour, qui sera je l'espère un grand échec moral, mais que je ne regarde. plus comme devant amener la chute. Mes correspondances de Londres me disent que le duc de Wellington et Sir R. Peel font tous leurs efforts pour assurer une majorité au G[ouvernement] dès lors c'est un hopeless case. Hier vous n'imaginez pas tous les tricks employés par Normanby pour arriver au dénouement le plus tard possible dans la journée. Si je suis bien informée, l’Angleterre cède de tout & il n'y aurait plus d'embarras. que dans la forme de le rédaction. On a tenu conseil à l’Elysée. Pour Normanby il s'agissait de finir après le départ de la poste, afin que l'opposition à Londres ne peut être informée du résultat. En effet ce n’est qu’après 6 heures qu'il est revenu une dernière fois chez G[énéral] de Lahitte. En définitive hier soir rien n'était terminé mais cela peut l'être ce matin si Normanby a reçu ou s’il tient dans sa poche, l’acceptation absolue.
J'avais beaucoup de monde hier soir. On ne parlait que de cela et de l'amendement fait par la commission. Fould m’a dit que le g[ouvernement] n'accepte aucune transaction. Dalmatie qui était ici m’a parlé comme avait fait un enragé de la commission. Pourquoi est-il si mauvais ? Le brave g[énéral] m’a plu encore plus que de coutume. J'ai été le matin à Passy mais Thiers n'y est pas venu. Tout le monde le blâme bien haut de son apparition à la ch[ambre] haute. Quelle inconvenance on redit de tous côtés qu'il est revenu très fusionniste. Lisons donc l’Opinion publique de samedi ou l’Univers de vendredi. Très curieuse & bonne lettre de Claremont. Je l'envoie à l'Impératrice. Adieu. Adieu. Je suis bien impatiente de vos nouvelles. Makan part ce soir pour vous rejoindre. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 13 Juin 1850

Les nouvelles du roi hier étaient si mauvaises que vos amis espèrent que vous hâterez votre voyage. Molé, hier soir, était consterné de l’idée que vous arriverez trop tard. Assez de monde hier soir. Changarnier, Broglie, Molé, Piscatory, le Chancelier Dumon, Duchâtel, tous les gros diplomates. Piscatory pour la dotation tout-à-fait. Chang[arnier] m’a conté que la veille Normanby avait eu une énormément longue conférence avec Lahitte de nouvelles propositions que celui-ci repousse. Cependant Il a fallu tenir un conseil hier. A l'unanimité rejet des propositions de l'Angleterre. comme il y avait eu des méprise sur les conversations. Le militaire a tout rétabli dans une dépêche qui sera portée à la tribune en son temps. En attendant Normanby a dit à [Rnoff] hier, qu'il était honteux de ce marchandage, & il a laissé deviner que Samedi Pal[merston] rendrait les armes. Je mande tout cela à notre ami. Voici une lettre de lui à l’instant même. L'affaire finie on non, si Lord P[almerston] en sort humilié, c’est égal pour la discussion de Lundi. Il ne se dit pas tout-à-fait confiant pour le vote. Peel travaille contre. D’un autre côté Beauvale retire son propos au gouvernement. Ce sera très balancé. Girardin est député. Cela fâche ici. Je n’ai pas trouvé que Molé eut l’air content hier.
Ce n’est qu’aujourd’hui que j'ai la consultation. Je n’en ai pas dormi la nuit, de peur. Vous avez raison pour lady Palmerston. 2 heures Adieu. Adieu. Je tremble de la consultation dans une heure. Adieu. Voici un billet de tout à l'heure

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 11 juin 1850
10 heures

Je fais dire à Lisieux qu'on me retienne la place de la Malle poste pour samedi soir. Je ne puis pas partir d’ici Vendredi ; j’attends quelqu'un ce jour là qui repartira samedi matin. Je serai à Paris Dimanche à 5 heures du matin. J’en partirai lundi soir pour l'Angleterre. Je tiens beaucoup à savoir quelque chose de ce qu'auront dit là les voyageurs qui doivent en revenir samedi, et de ce qu’on leur aura dit. Cela est important.
Outre mes amis, je désire voir, en passant à Paris, le duc de Noailles et Morny. Soyez assez bonne pour arranger cela. Je crois que le duc de Noailles est déjà à Maintenon. Mais Maintenon est bien près, et le chemin de fer bien prompt.
Quel plaisir de vous revoir, encore avant la grande séparation de l’été ! Que de choses à nous dire déjà ! Hélas beaucoup de celles que nous nous serions dites, si nous ne nous étions pas quittés, sont déjà perdues, et ne se retrouveront pas! Quel gaspillage que la vie ! Je regrette d’aller à St Léonard sitôt après le voyage qui précédera le mien. Cela a trop l’air d’un fait exprès et ôtera un peu de l’efficacité des paroles. Mais il n'y a pas moyen. Mes nouvelles de Londres sont aussi mauvaises que celles que vous me transmettez. Le Roi peut encore traîner, mais il peut manquer d’un moment à l'autre.
Je voudrais bien le rappel de Brünnow. Je crois tout-à-fait à ce que vous dit Ch. Greville. La froideur polie et prolongée des grandes puissances du continent est ce qu’il y a de plus efficace. Mais je doute. Palmerston se rendra. Je le crois. Pourtant je suis frappé de son long marchandage et de son effort pour gagner du temps. De là, surtout mon soupçon de ses intrigues à Athènes. Je persiste à penser que l'argent du président passa. Les légitimistes, qui ne veulent pas le consolider ne peuvent pas le faire ou le laisser tomber. Ils doivent redouter toute crise, de vue [?] d’Elysée. Pour eux, dans l'état actuel des choses, il faut que le Président reste précaire ; mais il faut qu’il dure. Et en définitive, la masse des conservateurs votera pour lui. Adieu.
Je me suis levé tard, et j'ai beaucoup à écrire ce matin. Je suis horriblement enrhumé du cerveau. J'éternue comme vous savez. Adieu, adieu. Je le dis plus gaiement que de coutume, comme si j’allais vraiment vous retrouver. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Dimanche 9 juin 1850
8 heures

Savez-vous ce qui arrivera par suite de l'ajournement du débat grec à Londres ? Palmerston recevra d'Athènes quelque note, quelque lettre déclarant que le gouvernement grec ne se soucie pas du tout d'échanger l’arrangement Wyse contre l’arrangement Drouyn de Lhuys, et que, tout considéré, il aime mieux que ce qui est fini soit fini et qu'on n’en parle plus. La différence entre les deux conventions n'est pas assez grande pour que la Grèce y mette un grand prix, et elle aimera probablement mieux ne pas causer ce déplaisir à l'Angleterre dont elle a éprouvé l'acharnement, au profit de l'amour propre de la France qui ne l'a pas efficacement protégé. En sorte que l’arrangement Drouyn de Lhuys sera écarté par la grève sans que Palmerston en ait fait pleinement la concession à la France. Car vous voyez bien qu’il n’a pas encore fait cette concession ; si elle était faite, on ne négocierait plus. Lahitte n’a demandé et ne peut demander que cela. S'il l’avait obtenu, il se serait déjà déclaré satisfait et lord Lansdowne n'aurait pas éludé la discussion. Palmerston discute, marchande. A Paris, il a l’air pressé, mais il ne cède pas davantage. A Londres, il demande du temps, et on lui en donne. Athènes le tirera d’embarras en repoussant cet échange entre les deux conventions qui devient plus insignifiant et plus impraticable à mesure que le temps s’écoule. Et à la fin comme au commencement de l'affaire, par ruse, comme par force, Lord Palmerston aura fait sa volonté. Que dira alors Lord Stanley ? Les honnêtes gens sont obligés d'avoir plus d’esprit et d'être plus fermes que les brouillons. Avoir raison ne les en dispense pas.
Le général Trézel revient de S Léonard et m'écrit : " J’ai trouvé le Roi, fort maigri, fort affaibli, confiné dans sa chambre et fatigué de surcroît par un troisième rhume. Il a consacré plus de force et de vie que cet état n’en devrait faire espérer ; la parole est toujours nette et facile ; l’esprit aussi prompt, aussi lucide que de coutume d'ailleurs quelques symptômes favorables se manisfestaient depuis plusieurs jours dans les fonctions de l'estomac, et donnaient l’espoir que ce dépérissement graduel pourrait s'arrêter. J’ose à peine me livrer à cet espoir. La reine des Belges est fort affaiblie aussi par une fièvre lente assez inquiétante. » Absolument rien de nouveau sur la grande question. Je savais bien qu’on ne dirait rien de plus à Trézel. Toujours le langage de la politique d’attente et d'abstention. Il a paru au général que dans le cas où la famille royale perdrait son chef, le duc et la Duchesse de Nemours seraient assez disposés à prolonger leur séjour en Angleterre, à cause de leurs très bons rapports avec la Reine Victoria, mais que la Reine et ses autres enfants quitteraient bientôt un pays qui ne leur plaît pas.
Vous avez bien raison de consulter Chomel avant de partir. Je vous ai dit qu’Aix la Chapelle m'étonnait. Je ne vous crois point la poitrine malade ; mais c’est un climat rude, et le froid ou l’humidité par dessus l’ennui, c’est trop pour vous.

10 heures
Je suis charmé que Montebello parte. Je me déciderai d'après ce qu’il m’écrira. Je n’ai pas encore la réponse définitive du Duc de Broglie. Je ne me préoccupe guère des trois millions. On les votera. Ou bien on marchandera et on finira par s’arranger. Adieu, Adieu. Je vais déjeuner à Lisieux. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Samedi le 8 Juin 1850

Montebello part demain soir pour Londres, il sera de retour le 16. Il vous écrira dès Mardi 11 pour vous dire au juste l'état dans lequel il aura trouvé le malade. J’avais assez de monde ici hier soir. Les diplomates, & ses amis Français, le favori Merode, le chancelier, Viel-Castel. Celui ci affirme qu’on prendra toutes ses précautions pour la rédaction de l’arrangement quand cet arrange ment sera convenu. Il ne tardera pas à l’être. Palmerston cède peu à peu sur tout. On ajustera les deux conventions de façon à faire disparaître tout ce que celle d’atténuer a d’onéreux de plus que celle de Londres. C’est particulièrement sur l'engagement pris par la reine de ne rien réclamer de l'Angleterre pour pertes & avaries qu’a coûté le différend. Pal[merston] ne voulait pas résilier cela, & Lahitte s’est obstiné. On croit que sous peu de jours, demain peut-être, Lord P[almerston] cèdera tout. Le bruit du rappel de Brunnow ne repose que sur une lettre particulière de Mareschalchi, ce n’est pas suffisant. Les 3 millions courent bien des chances. Personne ne veut laisser passer cela, & je parie que tous ou à peu près le voteront. Cependant il y a des obstinés dans tous les rangs. Légitimistes, conservateurs. M. Moulin par exemple, un des meilleurs. Il ne veut pas. On ne peut pas deviner ce qui se dira aujourd’hui dans les bureaux.
Voici la dernière phrase de la seconde lettre d’Ellice, celle où il m'annonce l'ajournement. I still think the case in the Lord very serious, & that we cannot get out of it. Une lettre du Prince Albert à l’Université de Cambridge prouve de l’humeur contre le Ministère qu'il appelle the present cabinet. Ceci semble très ominous à Ellice La lettre est dans le Galignani. Je crois que vous le recevez. 2 heures. Je n’ai vu jusqu’ici que [Craptovitch] qui n’a absolu ment rien. Je ferme ma lettre très peu intéressante aujourd'hui je crois que le duc de Noailles s'employait hier pour faire voter ses amis pour les 3 millions. Adieu. Adieu

P. S. Thiers part Lundi, il l'a dit hier à M. Molé. La Redorte vient de me raconter 10 bureaux 4 pour, 4 contre 2 douteux. Les autres pas connus encore. D’Houdetot écrit à son frère que le roi baisse visiblement.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 7 juin Vendredi

J’ai trouvé M. Molé, fort malade. très mauvais visage au moins. Jaune, faible. Il a toujours la fièvre. Bonne conversation, rien à relever que vous ne sachiez ou que vous ne deviniez. Il n'était pas bien au courant de la négociation avec Londres. Il croyait toujours que Lahitte ne faiblirait pas. Mais moi je suis convaincue que Lord Palmerston se sera fâché hier de tout accorder, et avec la complicité du télégraphe français vous savez bien qu'en deux heures de temps on peut parler à Londres de sorte qu’en en terminant même qu’aujourd’hui. Cela arriverait encore à temps pour gâter la discussion de ce soir. Quoiqu’il en soit, nos amis de Londres sont des nigauds d'avoir tant attendu. Thiers était du dîner de Hubner. Il m’a dit qu'il a prévenu le Président de son voyage à Claremont et qu'il comptait y aller dans peu de jours croyant le roi assez mal pour craindre qu’il ne meure très incessamment. Je suis sûre qu’il ne sera de vos voyages respectifs comme de vos luttes parlementaires chacun veut garder son discours, pour répondre à celui de l’autre. (tout ce qu’il m’a dit hier m’a prouvé qu’il est entièrement orléaniste.) Pourvu que l’occasion de le faire en vienne à manquer à tous les deux. (Transportez les deux dernières sentences, ce sera plus concret.) On ne sait rien de Varsovie que ce que disent les journaux. Hubner & Hatzfeld sont également perplexes. Schwarzenberg avait quitté Varsovie, & voilà que son empereur s'y rend, c’est au moins ce que dit le télégraphe de Cologne. c’est drôle. Ce qu’il y a de sûr c'est que le Prince de Prusse est allé à Pétersbourg voir l’Impératrice. Lahitte a dit hier à Chreptovitz si Lord P[almerston] me cède tout je ne puis pas ne pas me reconnaitre satisfait. C’est juste.
Je suis de santé comme j’étais à votre départ. Le mien approche le 20 ou 25, mais je crois que Je verrai Chancel avant, parce que que tout le monde traite d’extravagante l'ordonnance d’aller à Aix-la Chapelle pour la poitrine.
1 heure. Ellice me mande que le Cabinet, très alarmé, et craignant une grande majorité contre lui ce soir, & envoyé une pétition à lord Stanley pour la conjurer au nom du bien public, de remettre la discussion à huitaine. Quand on donne des motifs pareils on n'ose pas refuser. Il donc été obligé de fléchir. La discussion est remisé à Lundi 17. Ellice dit qu'il y aura une grande majorité contre le gouvernement. D’un autre côté voici K[isselef] qui apprend, mais par voie détournée, que Brunnow a l'ordre de partir. Je saurai tantôt ce qu'il y a de vrai. Le vrai est que Brunnow avait demandé un congé, Il lui a été accordé pour l’été de 1851. Ceci serait donc un vrai rappel. Il y a une lettre du Prince Albert à l’université de Cambridge qui indique de la défaveur pour le gouvernement. Je n’ai pas lu encore. Vos réflexions sur les 3 millions sont excellentes. J'en ferai usage. Adieu. Adieu. J’attendrai pour ma lettre, mais je n’attends pas de nouvelle nouvelle à vous mandez.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris vendredi le 31 Mai 1850

Triste abominable ressource ! N’avoir plus que mon papier vert pour vous retrouver. Ah que j’avais le cœur lourd hier. et aujourd’hui & tous les jours à venir ce sera de même. Je n’ai vu personne hier matin, le soir j’ai été dire adieu à la Princesse Wittgenstein qui part aujourd’hui. J’y ai rencontré Kisseleff qui viendra tantôt ici pour compléter ce qui peut manquer au petit extrait ! Ensuite chez Madame Kalergis. Molé y était. La négociation avec Normanby se poursuit et avance. Lahitte dit, que dès qu’il aura sa satisfaction il sera satisfait et ne laisse aucune espérance qu’il traîne. Molé comprend très bien l’importance que ce ne soit pas fini avant le 7 juin (la discussion à la chambre des Lords ) mais il est convaincu que tout sera conclu et & rétabli avant. Les petites finesses du métier, les ressources les plus élémentaires sont inconnues, et d’un autre côté le désir de terminer, & de soutenir Lord Palmerston est grand chez le Président. Il paraît que Palmerston cédera tout. Il faut convenir que si cela est ainsi ce sera passablement honteux pour lui. Bref never mind.

2 heures. [Chraptovitch] est venu m’interrompre. Deux heures de conversation excellente, sur tout sur ce qu'il y a de plus intime. Vous êtes le héros de Nesselrode. Le gendre au désespoir de votre départ. Il aurait tant aimé causer avec vous. Le maître est tout-à-fait dans vos idées. Adieu, il faut que je ferme parce que vont venir mes visiteurs. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Mardi le 6 Novembre 1849

C’est le second Lundi que votre lettre un manque. Cela fait le dimanche de Londres, car je compte bien recevoir deux lettres aujourd’hui. Le bavardage se calme. Hier il y en avait peu. Flahaut est venu causer avant de se rendre au dîner du président. Il part aujourd’hui pour Londres. Il est très partisan du Prince. S’il n’avait pas été ambassadeur du roi, il se mettrait de toutes ses forces à servir celui-ci. Cela ne lui est pas possible. Il ne sait quand on fera le le coup, mais il se fera. C'est un parti arrêté. Vous savez qu'on a offert au Prince de lui donner la présidence décénale & 6 millions de rente. Il a dit " C’est trop peu pour un coup d’Etat. " On reproche au Prince de prendre des petits ministres, mais on lui criait de se défaire de Dufaure. Les grosses gens refusant de se mettre à l'ouvrage. Et bien il prend des petits, et il les prend dans les rangs de la majorité. Elle ne peut pas se plaindre. On lui reproche son entourage. Où en trouver un autre ? Tout le monde s'écarte. Ni légitimistes ni orléanistes ne viendraient à lui. Il lui faut cependant des amis. Voilà le duc de Flahant. Voici vos deux lettres. Oui en vérité c’est bien triste, attendre encore ! Mais je crois que l’avis est bon, c'est à vous d’abord qu'il faut songer. Laissez passer la bourrasque, seulement j’y pousserais [si je pouvais]. Hier, comme je vous dis, cela n’avançait pas. Mais je crois les entours plus pressés de jour en jour ils meurent de faim, et Persigny est infatigable. J'ai été hier soir chez Madame de Boigne, trois hommes que je ne connais pas, & très [?] le langage, hostile, dédaigneux pour l’Elysée. J’ai rencontré le Chancelier lorsque je sortais [?] moi encore froide. Mad. de Boigne très empressée, elle [était] venu quelques jours avant [?] voir le matin, et elle ne sort jamais, mais il y avait tant de monde chez moi que nous n’avions pas pu causer. Je ne vous nomme pas mes visites Il y en a trop. Cela ferait une page de noms. Ce que je remarque c'est beaucoup d'empressement et plus d’amitié. Ainsi Mme de la Redorte hier toute fraîche débarquée, toute douce & gracieuse. A propos Flahaut croit qu'il serait très utile que M. de Broglie en causant avec Lord Lansdowne (qui arrive demain), lui parle très franchement de tout ce qu'il pense sur le compte de Lord Palmerston, & sur la conduite de Normanby ici. Il dit que cela ferait plus d’effet que quoi que ce soit. Il désire beaucoup que je fasse parvenir cela à Broglie. Comme je ne le verrai pas je ne sais comment m’y prendre, mais je suis tout-à-fait d’avis que ce serait très bon. Dites le. Je me mets en tête que le président se fera Empereur le 2 Xbre. C'est le jour où Napoléon a pris ce titre. A Paris partout dans les boutiques, dans les cafés on demande l’empire. Je ne vous dis pas ma tristesse de notre séparation. A quoi bon ? Je cherche à me persuader que cele sera plus long. Mais je suis triste du terrain que vous trouverez ici pour votre compte. Triste et indignée. Adieu. Adieu. Adieu.

Beauvale qui me tient bien en courant me dit que Nesselrode est très aimable & doux pour Lamoricière. Celui-ci n’a fait aucune communication. C’est Bloomfield qui est allé se brûler les doigts. Je crois que je verrai aujourd’hui la réponse. L’Empereur m’apprenant les exécutions en Hongrie s’est écrié publiquement. " C’est infâme." Nesselrode a dit à Lamoricière que le gouvernement russe les regrettait profondément & que le public en était indigné. Beauvale approuve le Président et regarde ceci comme une suite naturelle du langage légitimiste si hautement tenu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 2 Novembre 1849
8 heures

Mon impatience de savoir est extrême. Ce Cabinet s’est-il fait de concert entre le président, et la majorité, ou est-ce qu'un coup de tête du président ? Sera-t-il soutenu ou désavoué par la majorité et ses chefs ? Mon bon sens me porte à croire à la première chance. Deux ou trois billets que j'ai reçus hier m'indiquent plutôt l'autre. Cela importe infiniment pour la suite. si la majorité est consentante, si ce sont là des doublures mises en avant- pour faire ce que ne veulent pas faire les premiers acteurs, il n’y a rien de grave à craindre prochainement, la situation actuelle avancera sans se bouleverser. Dans le cas contraire, le chaos peut être imminent. Mon instinct me dit bien que même dans le chaos, il est impossible que les honnêtes gens avertis, et armés, et postés comme ils le sont se laissent battre et chasser. Mais j’ai appris à me défier de mon instinct. Vous me préoccupez avant tout par-dessus tout. Le monde s’arrange comme il pourra, quand il pourra. Il a de la force pour supporter et du temps pour attendre. Mais vous ! Je ne crois pas au danger. Je ne crois pas que votre seconde impression vous trompe, et que vous ayez tort d'avoir moins peur depuis que vous êtes dans la mêlée. Mais qu'importe ce que je crois ou ne crois pas ? Et j’attends et je ne puis faire qu'attendre. Je compte que le courrier, m'apportera tout à l'heure, le sens et la direction de l'incident. Vous avez toute raison ; si le gouvernement a le sens commun, il rappellera d'Orient sa flotte. Toute prolongation de démonstration serait parfaitement déplacée et sotte. Et l'Angleterre devrait en faire sur le champ autant. On vous doit, non seulement le fond, mais toutes les apparences possibles d'égards et de bons procédés. Les questions qui peuvent subsister encore entre vous et la Porte, l'expulsion effective des réfugiés, le lieu de leur retraite, les provinces du Danube, tout cela se réglera, d’autant mieux que l'occident s'en mêlera moins et surtout aura moins l’air de s'en mêler. Je ne puis croire que Sir Stratford Canning s'oppose formellement à ce que la Porte envoie les réfugiés vers tel point plutôt que vers tel autre. Qu'ils aillent en Angleterre ou en Amérique, rien n’est plus indifférent. Une fois sortis de Turquie, ils finiront toujours par aller à peu près où ils voudront en occident. Je ne comprends par Normanby poussant à l'Empire à tort et à travers, sans s’inquiéter de savoir si la majorité en veut, ou n'en veut pas, et uniquement pour maintenir son influence sur le président. Cela me paraît de la part de l'Angleterre, un jeu bien sot et bien inutile. Le joue-t-elle réellement ? Mad. Austin a traduit jusqu'ici, et traduit encore. Elle aura traduit demain tout ce qui est prêt, et elle part Lundi pour aller passer quinze jours à Paris où elle a affaire et d’où elle retournera à Londres. J’aurais ri de votre remarque si je pouvais rire. Je vais faire ma toilette. Vous connaissez cette impossibilité de tenir en place, ce besoin d'aller et de venir ; et de faire quelque chose, quand on ne fait rien et qu’on attend.

Onze heures et demie
C’est évidemment du bien nouveau qui commence. Plus curieux d'abord que menaçant. Il faut attendre pour penser. Adieu, adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 23 octobre 1849
7 heures

Madame Austin m'est arrivée hier. Voici ce que m’écrit Reave : « Je suis revenu à Londres au moment de la discussion turque. Au fond, de part et d’autre, je sens que nous avons pris cette affaire un peu trop vivement et Lord Palmerston en a profité pour jeter une pierre dans le jardin de ses adversaires. Mais il en résulte que l’Angleterre a montré que les endormeurs du Peace congress, ne l’avaient pas tout à fait assoupie, que l'Empereur de Russie s’attachera davantage à son état de repos armé ; et que l’on a acquis ici des notions plus justes sur la valeur vraie de la soi-disant alliance de la République française, qui consiste essentiellement à ne rien faire. A tout prendre, je ne regrette pas cette petite campagne, malgré le petit ridicule qui s’attache à tout excès de vigueur hors de propos. Du reste la mission arrogante du Prince Radziwill et l'exécution militaire de Louis Balthiany, sans la procédure judiciaire qui devait faire ressortir sa culpabilité sont, je crois, les deux fautes capitales des Empereurs alliés. On dit qu’il a été saisi une correspondance de Bathory, étant ministre avec le Roi Chartes Albert. Si cela est vrai, il aurait suffi de constater le fait devant la justice. du pays pour le conduire au supplice d’une manière légitime. »
Vous voyez qu’on sait à quoi s’en tenir à Londres sur le concours qu'on peut attendre de la République française, et qu’on ne croit pas à de bien grands coups après tant de bruit. Vous dites bien : le problème à résoudre pour l'Empereur c'est de concilier la grande attitude avec la raison. Il en viendra à bout, sa boutade n’a pas été heureuse ; elle a retourné contre lui l'Europe qui allait à lui, et elle ne lui vaudra pas en Turquie ce qu'elle lui a fait perdre en Angleterre et en France. Il n'en avait pas besoin pour faire, à l'occasion des affaires de Hongrie, un grand pas vers Constantinople. Le pas était fait ; et s'il tenait à le constater, il y avait dix manières d'atteindre ce but là, à meilleur marché. L'Empereur s’est laissé aller à une première idée, et à un premier accès de vainqueur. Il lui en coutera quelque chose de le reconnaitre et de rentrer dans une autre voie. Mais il le fera. Il a un sentiment trop juste de sa mission et de son intérêt de souverain, je veux dire de grand souverain, pour le lancer et pour lancer l'Europe dans le chaos de la guerre et de la révolution parce qu'on ne lui livrera pas Bem et Dembinski. Je suis très curieux, mais plus curieux qu'inquiet du résultat de la mission de Fuad. Effendi. Reeve me dit peu de chose de l'état des esprits en Angleterre sur nos affaires intérieures. Ceci seulement qui est sensé et qui me plaît assez. « Nos yeux se tournent de nouveau avec. sollicitude vert la France. Si M. Thiers se décide enfin à prendre un rôle plus actif, je ne vois devant lui qu’une des catastrophes qui lui sont familières. Il ne manquerait plus que cette direction suprême pour couronner les malheurs du pays. Je suis de plus en plus heureux que vous soyez complètement étranger à ce qui se passe dans cette assemblée. C'est là, je crois le sentiment de tous vos amis de ce côté de la manche, et de plusieurs de ceux qui m’écrivent de l’autre. Dans une position aussi radicalement fausse que celle de la République, il est impossible de faire autre chose du pouvoir qu’une déplorable fiction. " Je suis content de l’issue du débat sur Rome. Le défilé est passé. Le gouvernement, Président. et cabinet s’en tire sans y grandir, et la bonne cause est la seule qui ait été bien défendue. Ce sont là, pour le moment, les seuls résultats auxquels en toute occasion, il faille prétendre. Je doute que j’ai aussi pleinement satisfaction dans les deux questions encore sur le tapis, l'affaire turque et le rappel des deux branches bannies. On passera aussi ces deux défiles ; mais personne, je le crains ne dira ce qu’il y aurait à dire sur l’une et l'autre affaire, comme Montalembert, et même La Rozière, l'ont dit dans celle de Rome.
Onze heures et demie
Adieu, Adieu. Je n'ai que le temps de fermer ma lettre La vôtre est intéressante. J'en reçois une de Piscatory qui l’est aussi. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 11 oct. 1849
8 heures

Puisque vous n'avez pas été absolus et péremptoires dans votre demande, ni la Porte dans sa réponse, raison de plus pour que l'affaire s’arrange. On trouvera quelque expédient qui couvrira la demie-retraite que fera de son côté chacune des deux puissances. Nous n'avons vu la guerre avorter depuis vingt ans malgré les plus forts motifs de guerre du monde pour la voir éclater par un si misérable incident. C'est comme la guerre entre la France et l'Angleterre pour Tahiti. Nous en avons été bien près ; mais ce n'était point possible. Il me parait que Fuad Efendi n'a pas été renvoyé à la frontière et qu’il doit être arrivé à Pétersbourg. La tranquillité où l'on est à Vienne sur cette question me parait concluante. S'il y avait la moindre raison de craindre, les esprits Autrichiens seraient renversés. Jamais l’Autriche n'aurait été à la veille d'un plus grand danger. Je vous répète qu’à Paris personne ne s’inquiète sérieusement de cette affaire. M. de Tocqueville a été, jusqu'ici, un homme d’esprit dans son Cabinet et dans ses livres. Il est possible qu’il ait de quoi être un homme d’esprit dans l'action et gouvernement. Nous verrons. Je le souhaite. C’est un honnête homme et un gentleman.
Je savais bien que ma petite lettre au Roi pour son anniversaire lui ferait, plaisir. J'ai reçu hier la plus tendre réponse. Après toutes sortes de compliments pour moi, dans le passé : « vous me donnez la plus douce consolation que je puisse recevoir, non pas à mes propres malheurs, (ce n’est pas de cela dont je m’occupe); mais à la douleur que me causent les souffrances de notre malheureuse patrie, en me disant que vous anticipez pour moi une justice à laquelle j'ai été peu accoutumé pendant ma vie. Cette justice, je l'espère et surtout je la désire pour vous comme pour moi. Mais j’ai trop peu de temps devant moi pour me flatter d'en être témoin avant que Dieu m’appelle à lui. La maladie du corps politique est bien grave. Ses médecins n’en connaissent guères la véritable nature, et je n’ai pas de confiance dans l’homéopathie qui me parait caractériser leur système de traitement. J’aurais bien envie de laisser couler ma plume mais je craindrais qu'elle n'allât top loin. Ma bonne compagne, qui se porte très bien, et qui a lu votre lettre, me charge de vous dire qu'elle en a été bien touchée.» J’ai été touché moi de cette phrase : une justice à laquelle j’ai été peu accoutumé, pendant ma vie. Il parle de lui-même comme d’un mort. Lord Beauvale a en effet bien de l’esprit, et du meilleur. Merci de m'avoir envoyé sa lettre. Je regrette bien de ne l'avoir pas vu plus souvent pendant mon séjour en Angleterre. Recevez-vous toujours la Presse ? Je ne la reçois pas, mais, M. de Girardin m'en envoie quelques numéros, ceux qu’il croit remarquables. J'en reçois un ce matin. Tout le journal, plus un supplément, remplis par un seul article le socialisme et l'impôt. Vous feriez je ne sais pas quoi plutôt que de lire cela. Je viens de le lire. Une heure de lecture. Tenez pour certain que cela fera beaucoup de mal. C'est le plan de budget, de gouvernement et de civilisation de M. de Girardin. Parfaitement fou, frivole, menteur, ignorant, pervers. Tout cela d’un ton ferme convaincu, modéré, positif, pratique. Des chimères, puériles et détestables présentées de façon à donner à tous les sots, à tous les rêveurs, à tous les badauds du monde l'illusion et le plaisir de se croire de l'esprit et du grand esprit et de l'utile esprit. Quelle perte que cet homme-là ! Il a des qualités très réelles qui ne servent qu’à ses folies et à ses vices. Personne ne lira ce numéro en Angleterre, et on aura bien raison. Et j’espère que même en France, on ne le lira pas beaucoup. C’est trop long. Mais rien ne répond mieux à l’état déréglé et chimérique des esprits. Je vous en parle bien longtemps, à vous qui n'y regarderez pas. C'est que je viens d'en être irrité.
Onze heures J’aime Clarendon Hôtel. C’est un premier pas. Je vous écrirai là demain. Vos yeux me chagrinent. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, mardi 9 oct. 1849
6 heures du matin.

Votre perplexité me désole. Elle ne me gagne pas encore ; mais au fait elle est bien naturelle. Toutes les bonnes raisons sont contre la guerre. Je devrais savoir ce que valent les bonnes raisons. Je croyais impossible que la France fit, ou laissât faire une stupide folie comme la révolution de Février. L'Empereur aussi peut avoir sa folie. Et alors ! Ne vous y trompez pas ; ce que dit Morny et ce qu’il écrit au Président n’y fera rien. La France fera ce que fera l’Angleterre. Et la France poussera plutôt que de retenir. Et si cela arrivait, vous verriez Thiers et Molé, au moins le premier, entrer au pouvoir, et se mettre à la tête de cette grande affaire, espérant encore, par l'alliance intime de la France et de l'Angleterre ce que Napoléon espérait à lui tout seul, distraire et satisfaire l’esprit de révolution par la guerre, en le contenant. Chimère, mille fois chimère dans laquelle ils échoueraient bien plus vite et bien plus honteusement que n'a échoué Napoléon, mais chimère qui les tenterait (je les connais bien) et qui bouleverserait le monde. Car vous dîtes vrai; ce serait la guerre partout, et la révolution partout. Cela n’arrivera pas ; cela ne se peut pas. Il ne se peut pas que l'Empereur soit aussi fou et aussi aveugle que la garde nationale de Paris en Février. Personne ne peut prévoir, personne ne peut imaginer quels seraient, en définitive, les résultats d’un si épouvantable bouleversement, mais à coup sûr, ils ne seraient bons pour aucun des grands et réguliers gouvernements aujourd’hui debout. La fin du monde profiterait peut-être un jour à quelqu'un certainement pas à ceux qui y auraient mis le feu. Même conclusion de ma part et avec la même conviction. Mais je répète que votre perplexité me désole car enfin la chance existe, et quel serait notre sort, à nous deux, dans cette chance ! J'y pense sans relâche comme si j’y pouvais faire quelque chose. Cela ne sera pas.
Neuf heures
Je n’ai rien à espérer aujourd’hui. Je vous renvoie votre lettre allemande. Intéressante. C’est un homme d’esprit. Assez ressemblant à Klindworth. Je voudrais bien que l’Autriche et la Prusse parvinssent à s'entendre, pour quelque temps au moins, et à rétablir un peu d'ordre, en Allemagne. Si l'Empereur veut bien ou la guerre, il aura la guerre et pas Bem, et Bem bouleversera de nouveau l'Allemagne pour lui faire la guerre. Je ne fermerai ma lettre qu'après l’arrivée de la poste, pour voir si j’ai à vous dire quelque chose de Paris. Midi Le facteur arrive très tard. Je n’ai que le temps de fermer ma lettre. Adieu, Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, 5 octobre 1849

Ce que vous me dites de la différence qui existe entre les demandes de l’Autriche et les vôtres me frappe, et me confirme dans ma première conjecture. Vous ne voulez pas, aujourd’hui, la ruine de l’Empire Ottoman ; mais vous voulez mettre une bonne occasion à profit pour faire un grand pas. Vous demandez péremptoirement l'extradition, au nom de la lutte contre les révolutions. Si la Turquie vous l'accorde c’est un grand coup sur les révolutionnaires ; si elle vous la refuse, c'est une grande raison, et très plausible, pour prendre vous-même vos suretés. Et vos suretés, c’est l’occupation forte et permanente des Provinces Danubiennes qui couvrent vos frontières, et sont contre vous, le foyer de révolution. Vous ne vous les approprierez pas encore tout de suite et d’un seul coup ; mais vous vous y fortifierez, vous vous y établirez ; vous les gouvernerez, provisoirement encore, mais vous-mêmes et en votre propre nom. La Turquie payera ainsi les frais du secours que vous avez donné à l’Autriche, et vous lui prendrez, en provinces les garanties qu'elle vous aura refusées en réfugiés. Et l’Europe ne vous fera pas la guerre pour cela, tandis que si vous attaquez la Porte pour Bem et Kossuth l’Europe la défendra peut-être, probablement même. Si vous attaquez la Porte pour Ben et Kossuth, l’Europe verra là la ruine de la Porte, et de votre part un parti pris de la détruire. Elle ne veut pas souffrir cela. L’Europe est accoutumée au contraire à vous voir avancer et grandir dans les provinces danubiennes. Et même résignée, au fond, à vous y voir établir en maîtres définitifs, car elle regarde cela comme inévitable. Le temps des longues prévoyances et des résolutions fortes prises, en vertu des longues prévoyances est passé pour l’Europe occidentale. La France ne pense plus à cette grande politique et l'Angleterre n'en veut plus. Vous pouvez faire tout ce qui exigerait. que la France et l’Angleterre, pour vous en empêcher adoptassent et pratiquassent de concert cette politique là. Mais il y a tel acte en soi bien moins grave que l'occupation définitive des Provinces Danubiennes qui peut soulever en France, en Angleterre dans toute l’Europe occidentale une de ces émotions publiques soudaines, puissantes qui jettent les gouvernements dans ces résolutions extrêmes auxquelles leurs propres calculs et desseins ne les conduiraient pas. Votre exigence de l'extradition, poussée jusqu'à la guerre, pourrait bien être un acte semblable et produire de tels effets. Si donc l'Empereur ne veut pas engager aujourd’hui, en Orient la question suprême, je ne puis croire qu’il ait fait sa demande avec l’intention de la soutenir à fond ; ce serait trop méconnaître l'état des esprits en Europe et trop risquer pour un petit motif. Je suis tenté de croire à une ambition et à une intention plus détournées. Voilà mon impression, et sur quel raisonnement elle se fonde. Et j'aboutis toujours à ma même conclusion ; la guerre ne se fera pas. Autre raison décisive. L'Empereur, qui en veut surtout aux révolutions, ne peut pas soulever une guerre dont le drapeau serait : « L’Angleterre et la France patronnent et couvrent les chefs de révolutions. » Mais ma raison n'est décisive que si bien certainement l'Empereur ne veut surtout aux révolutions, et ne songe pas à en profiter pour aller à Constantinople. Adieu en attendant votre lettre.

Onze heures et demie La voilà. Et probablement de bien vives agitations de votre part, et de bien longs raisonnements de la mienne pour un incident pas grand chose. C’est égal ; la seule chance valait bien la place que nous lui avons faite. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 4 oct 1849
2 heures

Je ne puis croire à cette guerre ; à moins que votre Empereur n'ait un parti pris de la vouloir, ce que je ne crois pas. Je ne pense qu'à cela et j’arrive toujours à la même conclusion. Ils s’évaderont. Je vois déjà dans un journal de ce matin, que Kossuth s'est évadé. Ce n’est probablement pas encore vrai. Cela deviendra vrai. Faire la guerre parce qu’ils se seront évadés, pour en punir la Porte comme un geôlier négligent ou vendu, est impossible. Certainement si l’Angleterre soutenait effectivement la Porte, la France en ferait autant. Peut-être même, ici, n'en serait-on pas fâché. Une occupation qui serait distraction. Ce pays-ci s’inquiète des francs jamais des millions. Il déteste de donner de l'argent ; mais il aime à le jeter par les fenêtres. Je ne peux me résoudre à examiner sérieusement l’hypothèse où vous ne pourriez habiter ni Londres, ni Paris. Naples, si une fois vous y étiez arrivée aurait, pour l’hiver le mérite du climat. Bruxelles serait froid, mais sûr. La Belgique resterait neutre. Et au moins aussi bonne compagnie à Bruxelles qu'à Naples. Et bien plus près. J’en parle parce que vous m'en parlez. Je répète encore que je n'y crois pas. Mais il résultera de cette affaire-ci une situation bien plus accentuée, comme on dit aujourd'hui, en Europe ; la Russie et l’Autriche d'un côté, la France et l’Angleterre de l'autre, la Prusse entre deux, penchant géographiquement du premier côté, moralement du second. C’est très mauvais. L’Europe coupée en deux c'est de l'encouragement et de la force pour les révolutionnaires de tous les pays. Il ne se peut pas que l'Empereur ne voie pas cela. Certainement si cette guerre éclatait l'Italie et la Hongrie recommenceraient. Et Dieu sait qui les imiterait. Il ne faut pas ouvrir de telles perspectives. Pour la troisième fois, je n'y crois pas. Vous viendrez bientôt à Paris. Mais il est clair, qu’il faut attendre un peu pour y voir plus clair. Avez-vous remarqué dans les débats d’hier 3, la lettre de [Bucha?] ? Assez piquante probablement du vrai. La réponse napolitaine à Lord Palmerston est très bonne. Peu lui importe. Il veut. s'afficher Protecteur de la Sicile. Par routine et par mauvais esprit. Le même partout et toujours. C’est un spectacle qui m'ennuie. Je ne lis pas les Mémoires d’Outre-tombe. C’est vous qui me faisiez lire ces frivolités-là, Outretombe, Raphael. Quand je ne vous ai pas, je ne me doute pas qu'elles paraissent. Je vais demander les passages où il est question de vous. J’ai eu la brochure de M. Dunoyer. Honnête homme, lourd et courageux. Plein de pauvres idées, et d’erreurs de fait sur les journées même de Février, mais beaucoup de sens et de bonne hardiesse sur la situation générale d’à présent. Je n'ai rien du tout de Paris. Ce silence absolu et la nullité des premières séances de l'Assemblée me font croire qu’il se brasse quelque chose. On se tâte, on se prépare, on doute, on projette tout bas ; et en attendant on se tient coi. Je ne crois toujours à rien de plus gros qu’à une modification du Cabinet.
Onze heures et demie
Voici votre lettre. Je persiste toujours à ne pas craindre ce que vous craignez. J’ai écrit à Paris pour être bien précisément tenu au courant des intentions et des dispositions du gouvernement et du public. Ce que j'en sais déjà ne me permets pas de douter que la France ne fasse tout ce que fera l'Angleterre et qu'elle ne pousse l'Angleterre plutôt que de la retenir. Adieu, adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 27 août 1849
3 heures

Je vois que le succès de l'Empereur préoccupe beaucoup les Anglais. Reeve m'écrit : " Aujourd’hui que les guerres de Hongrie, de Bade et de Rome sont finies, et que les armées dominent partout on se demande quel sera le rôle de la politique conquérante. Il me revient des bruits de rapports plus intimes, entre la Russie, l’Autriche et le président de la République représenté par le général Lamoricière ; rapports destinés soit à étouffer les foyers révolutionnaires en Suisse et en Allemagne soit à un certain remaniement des territoires menaçant pour les petits états qui sont peu capables de se défendre et de maintenir l’ordre chez eux. D'après ces bruits, il s’agirait même de mesures prononcées contre la Suisse qui présente en effet de grands dangers. Quoiqu’il en soit, cette politique toute Russe, laisserait tout-à-fait de côté l’Angleterre. Que faut-il penser de tout cela ? Il est certain que nous n'avons rien fait pour nous attirer la confiance de l’Europe ; et personnellement il n'est pas impossible que les yeux de Louis Napoléon se tournent du côté de St Pétersbourg. Mais le sol de l’Europe est peu affermi pour tenter de pareilles expériences."
Vous voyez qu’ils prennent bien vite l'alarme. Les hommes sont toujours, beaucoup plus prompts qu’il ne faut à l'espérance et à la crainte. Que d'agitations perdues? Ici, dans le gros du public on n'a pas l’esprit si éveillé. Les idées sont plus courtes, et les sentiments plus vagues. On n’était pas sans quelque intérêt de routine pour les Hongrois. Cependant votre succès ne déplait pas ; c’est un gage d’ordre et de paix. Cependant on n’est pas sans quelque inquiétude de votre puissance. Aurez-vous envie de vous mêler d'autres affaires ? On espère que non ; mais on n’est pas sûr ; si votre armée rentre tranquillement, en Pologne, vous serez presque populaires, comme puissants et comme modérés. Le mouvement de reprise des Affaires commerciales continue. Rouen, Le Havre, Lisieux, Elbeuf, Lyon sont assez contents. Paris souffre toujours, et les villes de province n’en sont pas fâchés. Il y a vraiment un sentiment de rancune profonde contre Paris. Mais de rancune plutôt que d'émancipation. Il me parait impossible que ce soit par bêtise que Lord & Lady Palmerston prennent si publiquement le deuil de la Hongrie. Il y a là un parti pris, un parti politique. Ils croient qu’il leur vaut mieux d'être populaires parmi les vaincus qu'agréables aux vainqueurs. Et puis la routine, les engagements, les relations personnelles. En tout cas, je conviens que fermer sa porte ce jour-là, c’est bien fort.

Mardi 20 août. 9 heures
Pour la première fois, je me souviens aujourd’hui que je n'aurai rien et j'attends la poste avec indifférence. Je vais dîner chez un de mes amis à six lieues d’ici. Il y aura beaucoup de monde ; un seul homme notable de la société de Lisieux est exclu, le gendre de M. Duvergier de Hauranne M. Target. Il s'est mal conduit envers moi, et j'ai déclaré en arrivant, que je ne le verrais pas. Il me fallait un bouc émissaire, un seul, pour les lâchetés et les trahisons. J’ai pris celui-là à l'approbation générale du pays. Je suis le plus amnistiant des hommes ; si peu d’entre eux peuvent me blesser ! Mais il y a un sentiment public de justice et de convenance auquel il faut donner une certaine mesure de satisfaction.

Onze heures
Adieu. Adieu. Je n'ai que cela à vous dire, et j’aimerais mieux vous le dire de près. Adieu. G. J’ai mes deux lettres aujourd’hui. Certainement je ferai comme vous ; j'irai les demander et me plaindre si cette irrégularité se renouvelle. Vous avez raison sur Milner. C’est un bon homme et intelligent. Cela m'amuse toujours de voir comme nous nous rencontrons, toujours dans le même avis. Je vous disais cela de Milnes, il y a quelques jours. Adieu, adieu, dearest. Je suis charmé de mes deux lettres. Il pleut. Je ne me promènerai pas autant qu’hier. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 10 août 1849
7 Heures

M. Guéneau de Mussy m'écrit: « Mad. la Princesse de Lieven avait surtout besoin d'être rassurée. J’espère y avoir réussi. Un malheureux cas de choléra avait jeté l'effroi dans Richmond, et le médecin de l'endroit n’avait rien trouvé de mieux à faire que de répandre l'alarme chez les habitants et leur dire de se sauver au plus vite. J’ai d’abord engagé la Princesse à n'en rien faire et à s'estimer très heureuse, par le fléau qui court d'habiter un endroit où il n’avait frappé qu’un individu. Elle s'est mise au Star and Garter où l’air est plus vif et lui convient mieux. Je lui ai conseillé de prendre plus d’exercice. Comme il arrive souvent aux personnes chez qui les affections morales et les occupations intellectuelles remplissent la vie, le système nerveux oublie, pour ainsi dire, les fonctions animales, ou s’en occupe avec négligence. Il faut le rappeler à ses devoirs en exerçant la machine. C’est ce que la Princesse m’a promis de faire. La reconnaissance que je garde de son accueil se porte, Monsieur vers une personne à laquelle je serais trop heureux de témoigner en toute occasion le dévouement entier qu’elle m’inspire. Votre lettre du 3 août, m'est arrivée trop tard pour que ma réponse pût partir hier. Je ne ferme la mienne que ce matin pour vous envoyer des nouvelles toutes fraîches de le Princesse que je quitte et que je laisse en très bonne santé. Vous pouvez compter que mes soins ne lui manqueront pas. "
Il me donne, sur Clarencourt, quelques détails qu’il vous a sans doute dits; et il ajoute : « La famille royale me congédie avec une facilité qui m’attriste et me satisfait plus encore. Elle me donne une dernière marque de confiance en me déclarant qu’elle ne prendra jamais que le successeur de mon choix. Je ne sais si je le trouverai. "

J'ai ri de l’histoire de Duchâtel et j'y crois. J’ai rencontré plusieurs fois chez lui cette Miss Mayo, avec sa tante Lady Gurwood ( Est-ce Lady ou Mistriss ?) veuve du colonel de ce nom qui a publié les dépêches du Duc de Wellington dont il avait été l’aide de camp. Toutes deux jolies, hardies, et vulgaires. A Londres et à Paris. cela peut aller ; la foule couvre tout. Mais il a tort s'il l’emmène à la campagne. Dans l’isolement et l’oisiveté de la campagne les voisins ne passent pas même ce que le ménage tolère.
Lord John n'y pense pas de vouloir que la République réduise son armée. Ce n'est pas contre les Russes qu'elle a besoin de 60 000 hommes à Paris. Les réductions qu’elle pourrait faire seraient financièrement peu importantes, et produiraient moralement un effet qui couterait bientôt beaucoup plus cher. La liberté et l'économie deux choses auxquelles, il faut renoncer aujourd’hui. Et quant à la stabilité, que Lord John se désabuse également ; et peut-être un peu vous aussi ; l'Empire ne la donnerait pas plus, peut-être moins que la République. Ce serait un mot et point un fait. Pas d'Empereur, et pas de dynastie. Avez-vous entendu parler des ouvertures de mariage qui ont été faites de divers côtés ? à Stuttgart, à Stockholm. Partout on a éludé. Son oncle gagnait des batailles, quand on avait éludé avec lui. Je doute qu’il en fasse autant. Et il me paraît avoir le bon sens de ne pas le tenter.

Onze heures
Voilà votre lettre. Montebello prend un long détour pour m’arriver. Adieu. Adieu. Je suis fâché pour ce pauvre Ragenpohl. Il m'écrit pas du tout l'air à la paralysie. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond jeudi 19 juillet 1849

Votre petit mot de chez Duchâtel m’a fait du bien. Je l'ai reçu chez lord Beauvale où je dînais. Je me suis mieux tenue que je ne l’avais espéré, et les convives m'ont épargné les phrases banales. Brougham a été très aimable. Ellice un peu endormi. Beauvale mange & ne dit pas un mot, il est charmé qu'on l’amuse et qu’on le laisse tranquille. Grand égoïste. Lord Aberdeen est resté longtemps chez moi avant dîner. Il est très décidé à venir à Paris en 9bre et s'en réjouit tout-à-fait, il vous aime tendrement. Il ne s’attend pas à la majorité demain, mais il voudrait une minorité très respectable.
Ellenborough ne vient pas. Il est malade à la campagne, il a écrit à Lord Brougham ( qui me l’a montré) une lettre très sage très sensée sur la discussion de demain. Lord Aberdeen de son côté a fait part à Lord Brougham de votre recommandation de ne rien dire qui peut gêner les mouvements de la diplomatie française en Italie, & Brougham m’a paru très résolu à observer cette recommandation. Nous verrons car c'est une créature si mobile. Il a vivement regretté de n’avoir pas su le jour de votre départ, il aurait beaucoup désiré causer avec vous avant le débat. Lady Palmerston lui a écrit deux autres lettres, bien aigres & bien inquiètes, il raconte cela fort drôlement.
Je ne suis pas contente de moi. Le malaise continue. Il faut que ce soit dans l'air, car Dieu sait que je me ménage. Le temps est froid. Le vent a soufflé cette nuit. Vous concevez que je n’ai pas dormi, je vous voyais malade en mer.

Midi.
Vous voilà donc en France ! Que c'est loin de moi. Je suis charmée de connaître le Val Richer. Je saurai où vous chercher. Vous aurez un grand plaisir à vous retrouver là, à retrouver vos arbres, votre pelouse, Vos sentiers. Tout cela reposera votre âme. Vous avez là tout le contentement intérieur, de la famille, de la propriété. Je vous manquerai c'est vrai, et je crois que je vous manquerai beaucoup, mais vous avez mille plaisirs que je n’ai pas. Et certes dans cette séparation je suis plus à plaindre que vous. Vous le sentez. Je voudrais me mieux porter et j'y prendrai de la peine, pour vous faire plaisir.
La Reine ayant décidé qu’elle ne viendrait plus à Londres, a reçu hier l’ambassadeur de France à Osborne. Simple présentation, après quoi il est revenu à Londres avec lord Palmerston. La reine a gardé quelques ministres à dîner, elle avait tenu conseil. Elle ne prorogera pas le parlement en personne. Son départ pour l’Irlande est fixé au 2 ou 3 août. Hier encore il m’a été dit de bien bonne source qu’elle est plus que jamais mécontente de Lord Palmerston et qu’elle le lui montre. Adieu. Adieu, mille fois. J’espère une lettre du Havre Samedi. Adieu encore & toujours.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton-Mercredi 22 Nov. 1848
Midi

Je suis toujours sans nouvelles de Paris à vous envoyer. Il est impossible que je n’en aie pas bientôt. Je sais que Duchâtel n'en a pas davantage. Je crois qu’il viendra dîner aujourd'hui avec moi. Je viens de recevoir un billet de Lady Lovelace qui me presse d’aller les voir dans le Surrey. Dumon y va. Comme de raison, je refuse. Je ne veux plus aller nulle part avant Noël, où j'irai passer quelques jours chez Sir John Boileau.
J’irai vous voir Mardi. J'aurai complétement terminé ce que j'écris. M. Lemoinne emportera, le manuscrit à Paris pour que le Duc de Broglie, le lise. Je l’apporterai mardi à Brighton. Je vous en lirai quelques fragments après l'élection du Président, quelle qu’elle soit, et à moins qu'on n'en vienne immédiatement aux mains, il y aura un moment opportun pour la publication. Les chances vont croissant pour Louis Bonaparte. C'est la conviction des Débats qui sont croyables sur ce point.
Je suis de plus en plus inquiet de Berlin mais pas étonné que de Francfort, on abandonne le Roi de Prusse après l'avoir poussé. C’est exactement ce qui arrivait en 1790 et 91 avec le pauvre Louis XVI. Du dedans et du dehors, on l'excitait, on le compromettait ; puis on ne le soutenait pas. Berlin ressemble extrêmement à notre première révolution. La Cour et la nation. Les idées et les façons d'agir. Et je crains que le Roi de Prusse, qui a plus d’esprit, n'ait encore moins de courage, et n'inspire encore moins de confiance que Louis XVI. Moralement, à coup sûr, il ne le vaut pas. Ni politiquement peut-être. Il y a là de plus l'ambition de la Prusse qui veut prendre l'Allemagne C’est vraiment là l’incendie. Le rétablissement même de l’ordre en France ne l'éteindrait pas. Mais il donnerait bien de la force pour le combattre.
Je suis vraiment triste du bruit qui est venu de Rome sur M. Rossi. Je cherche et ne trouve nulle part des détails. On dit que l'ordre n’a pas été troublé. Mais Rossi lui-même qu'est-il devenu sous ce coup de poignard pauvre homme? Quelle surprise pour lui et pour moi si, quand je l’ai envoyé à Rome, tout cet avenir s’était dévoilé devant nous ! J'espère que l’assassin a manqué son coup. Ce n'est peut-être pas vrai du tout. Il manque bien les choses à M. Rossi. Le cœur n'est ni tendre, ni grand. Mais l’esprit est supérieur ; si juste, si fin, si actif dans son indolence apparente, si prompt, si étendu ! Des vues générales et un savoir faire infini. Très inférieur à Colettis par le caractère et l’empire. J’ai pleuré Colettis. Il m’aimait et je l’aimais. Je regretterai M. Rossi, si le fait est vrai, comme un allié utile et un homme très distingué. L’un et l’autre est rare. Il ne m’a pas donné signe de vie depuis Février. On me disait, il y a quelque temps, qu’il disait qu'il ne retournerait jamais en France. S'il a été assassiné, c’est que le parti révolutionnaire de Rome, le considérait comme un obstacle, sérieux. Ce serait un honneur pour son nom.
J’ai vu hier Charles Greville à dîner, chez le Baron Parke. Il ne savait rien. Parlant toujours très mal des affaires de Sicile. Le Roi de Naples me paraît décidé à laisser trainer cette médiation anglo-française, comme on fait à Milan. On se rejoint ici de la nomination à peu près certaine, du Général Taylor comme président aux Etats-Unis. Cass est très anti- anglais.
Puisque vous prenez votre dame assez à cœur pour en être malade, vous ferez bien de vous en débarrasser, à Brighton, tel que Brighton est à présent, vous pouvez vous en passer. Il y aura tel lieu et tel moment où même cette maussade personne vous manquera. Mais après tout, vous en trouverez une autre. Nous aurons le temps de chercher. Marion vous a-t-elle reparlé ? Adieu. Adieu.
Mardi est bien loin. Je ne puis vraiment pas plutôt. Je suis très pressé. Par toutes sortes de motifs. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Drayton-manor. Samedi 18 nov. 1848
5 heures

Nous nous sommes promenés ce matin dans le parc. Nous avons longtemps causé, Sir Robert et moi. Curieuse conversation où il y avait de quoi rire de l'un et de l'autre interlocuteur, si bien que j’en riais en parlant. Nous n'étions tous deux occupés qu’à nous démontrer que nous avions bien fait, lui de briser, à tout risque, le parti conservateur pour réformer la loi des céréales, moi d’ajourner, à tout risque, la réforme électorale pour maintenir le parti conservateur. Et je crois en vérité que nous nous sommes convaincus l’un l'autre. Mais il se fondait surtout sur ce qui est arrivé en Europe " Que serions-nous devenus, au milieu de ce bouleversement si la loi des céréales eût subsisté ? " En sorte que c’est nous qui en tombant lui avons fourni son meilleur argument.
Il me paraît avoir en ce moment une nouvelle idée fixe, c’est l’énormité partout de la « public expenditure. " Cela ne peut pas aller, on ne le supportera pas ; il faut absolument trouver un moyen de réduire, partout, les dépenses de l’armée de la marine d'avoir vraiment le budget de la paix. "Je n’ai pas manqué une si bonne occasion! " Si vous n'étiez pas tombé, si je n'étais pas tombé, cela eût peut-être été possible. La France et l'Angleterre conservatrices et amies, pouvaient se mettre sur le pied de paix, de paix solide et y mettre tout le monde. Mais aujourd’hui, sans vous, sans nous, il n'y a pas moyen. Les révolutions ne désarment pas. On ne désarme pas en présence des révolutions. " Cela lui plaisait. Il ne croit pas au bruit du fils de lord Cottenham. Il écarte la conversation sur ce sujet. Par précaution et par goût. Il n'aime pas cette perspective.
Le dean de Westminster et M. Hallam sont arrivés ce matin. Jarnac ne vient décidément pas. Il est toujours malade. Mon lit était très bon hier soir. Ma Chambre est excellente. Toute la maison est chauffée par un calorifère. Nous nous sommes promenés entre hommes. Lady Peel et Lady Mahon sont allées de leur côté.
Il y a une fille de Lady Peel qui me plaît. Jolie réservée avec intelligence de la vivacité sans mouvement. Je serais étonné qu’elle n’eût pas de l’esprit. Je ne vois pas que le soulèvement de Breslau se confirme. Il paraît que l'exécution de Blum fait beaucoup de bruit à Francfort Le droit est incontestablement du côté du Prince Windisch-Graetz. Reste la question de prudence.

Dimanche 19 nov. 4 heures
Encore une longue promenade à pied, mais pas seul, avec Sir Robert. Lord Mahon, M. Hallam et le dean de Westminster. Conversation purement amusante, mais amicale et animée. Beaucoup de jokes, latins et grecs. Sir Robert m'a mené ce matin au sermon, à Tamworth. Bien aise de me montrer. Il est impossible d'être plus courtois, sincèrement je crois, certainement avec l’intention d'être trouvé courtois, par moi-même, et par tous les témoins. Mais je comprends ceux qui disent que c’est un ermite politique, ne communiquant guères plus avec ses amis qu'avec ses ennemis.
Berlin me préoccupe beaucoup. Je crains que le Roi ne se charge de plus qu'il ne peut porter. Et s’il fait un pas en arrière, il est perdu. Voyez Francfort. Lisez les Débats. La résistance, quand elle devient efficace, effraye même ceux qui l’ont appelée. Ils y poussent et puis ils la repoussent. On ne veut, à aucun prix ; revenir au point de départ. Et on voudrait qu’en se défendant on ne fît de mal à personne. Quel est le plus grand mal, les esprits à l'envers ou les cœurs faibles ? je ne saurais décider. Les deux maux sont énormes.
Je suis bien aise que vous ayez rendu un petit service à Lady Holland. Cela vous dispense des autres. Vous avez bien raison de ne pas vous prêter à ses confidences.
Je n’ai rien de Paris. Je crois vraiment que l'acharnement de la Presse contre Cavaignac ne le serve au lieu de lui nuire. Cependant tout ce qui revient de France, continue d'être favorable à Louis Bonaparte. Parme qui est enfin arrivé hier avec sa femme, a les mêmes renseignements de son beau-frère, Jules de Larteyrie, qui est assez au courant, et qui déteste Louis Bonaparte sans vouloir de Cavaignac. Mad de Larteyrie revient ces jours-ci d'Orlombe. Jarnac la reconduira à Paris. Son mari croit à des coup de fusil, dans les rues de Paris, peu après l'élection, quelle qu’elle soit. La Princesse de Parme à Brighton m'amuse. Certainement votre visite est faite. Vous n’avez plus qu’à attendre. Adieu. Adieu.
Je pars après demain mardi, à 9 heures du matin. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton Samedi le 11 Nov. 1848
9 heures

Je vous renvoie la lettre du Duc de Noailles. Sensée. Tout ce que vous me dites & tout ce qui revient de là prouve encore de l’incertitude sur la présidence, et Cavaignac m'apparait toujours comme un grand malheur. Mais avec l’autre aussi quelle confusion. C'est égal j'aime mieux l’autre. Votre élection dans le Calvados me trouble horriblement. J'espère encore qu’elle ne se fera pas. Prenez-y de la peine. Mais si le malheur voulait que vous fussiez élu, ne serait-il pas simple de leur écrire que ne pouvant par les servir de la prison vous les priez d’attendre, ou d'en prendre un autre. C'est bien clair que vous ne devez pas aller à Paris, à aucun prix. Dites-moi que c’est votre avis.
Peel m’invite à Drayton, mais évidemment avec peu d'espoir que j’accepte. C'est trop loin, je ne suis pas capable de ces tours de jeunesse. Je n’ai rien à vous dire ce matin. Les journaux anglais ne sont pas là encore, et mes Français vont se promener à Bedford. On prend l’hôtel pour la forme. Adieu. Adieu. et toujours Adieu.
Malgré les conduites et les citernes je trouve les accidents de Claremont un peu équivoques. Savez-vous, ce qu’ils comptent faire, car Richmond ne doit pas être tenable ? Adieu. Adieu.

Lady Holland me dit qu'on adore Cavaignac au foreign office, on est convenu avec lui de certains arrangements dans l'Orient. Contre nous sans doute. Normanby et Jérôme Bonaparte qui étaient amis intimes sont brouillés tout-à-fait depuis le mois de Mai, je vous conterai cela, rappelez le moi. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton le 9 Novembre 1848
7 heures

Voici pour vous divertir. Je me suis promenée. Le temps est charmant. Lady Holland, et Vandermeyer sont venus. Il a de l’esprit mais pas tant que je pensais. Je suis devenue difficile. Vous aurez eu ce soir ma lettre de ce matin avec son incluse. La Duchesse de Glocester vient d’offrir au roi sa maison dans le parc. Les Holland vont lui offrir Holland house. Vraiment ils seront trop mal au Star & Garter, quant à mon appartement on le ferme en hiver, parce qu’il est trop froid. Adieu. Adieu. Bugeaud dit de Cavaignac c'est une vache dans une peau de tigre.
Je vous prie ne citez à personne ce que je vous envoie là. Cela pourrait revenir à mon informateur, et il m'en demande fort le secret. Louis Bonaparte à d'Orsay. 29 octobre. " J’ai appris avec peine que le ministère Anglais avait écrit très défavorablement à mon égard. Il me semble que par ma conduite en Angleterre, et par les sentiments que j'ai manifestés, j’avais droit d’attendre plus de bienveillance. Dites-là où vous êtes que j’espère qu'on reviendra sur mon compte ? D'Orsay ajoute. Je ne crois pas que le gouvernement anglais aurait été si imprudent et s'inquiète. Car malgré qu'il se mêle si infructueusement partout, sa prudence l'empêcherait de n'avoir rien à faire avec le choix d’un président en France, et il serait trop juste pour n’avoir pas oublié que Napoléon a couru le risque de la popularité en se faisant dire spécial constable ici, par respect pour les lois de ce pays, qu'il vénère. (plus loin) mon ami sera le véritable Napoléon de la paix. Il ne compromettra pas l’entente cordiale pour des questions dynastiques & &&
J’ai copié textuellement. Je vous dirai quand je vous verrai à qui la lettre est écrite. J’ai l'original qu'il faut que je renvoie beau français !
Autre bout de lettres dont je ne connais pas l’auteur, mais qui me vient de la même source. " tu me fais sourire quand tu me parles des Orléanistes. Nous ne connaissons ici que la république simple, la rouge, démocratique et sociale. Les Légitimistes (parti formidable). Puis enfin les Bonapartistes. ce qu’il y a de certain c’est qu’en cas des mouvements je crois que la garde nationale resterait chez elle, que la ligue fort jalouse de la mobile ne s'unirait point à elle, et qu’il est presque impossible au milieu de ce chaos d'imaginer quels seraient les assaillis ou les assaillants ! Quant à l’artillerie de la garde nationale elle est d'un rouge effroyable ! Voilà ce que je sais, & je défie bien que de tout ceci on puisse tirer une conclusion quelconque.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Lundi 30 Octobre 1848
8 heures
Je pars aujourd’hui pour Cambridge à 2 heures. Cela ne me plaît guères. Nous serons plus loin. Je crains le retard des lettres. J’étais en train de travail. Quand vous n’y êtes pas, c'est mon amusement. Je fais de la très bonne politique. Trop bonne. Toujours la même faute. Je puis vous le dire à vous. Je puis être avec vous aussi orgueilleux qu’il me plaît. Vous savez que je suis modeste en même temps qu'orgueilleux.
Point de nouvelles hier. Je suis allé voir Duchâtel qui n’en avait pas plus que moi. Nous verrons le courrier d’aujourd’hui. Il ne nous apportera pas grand chose. Nous vivrons dans le statu quo jusqu'au 10 Décembre. Mais nous comprendrons mieux une situation vraiment obscure pour moi. Duchâtel soutient que notre procès finira aussi tôt après l'élection du président. Par une ordonnance de non lieu. Si Louis Bonaparte est nommé et Thiers son ministre, il est impossible que notre procès ne finisse pas tout de suite malgré le peu d'envie.
Lisez je vous prie, attentivement le Constitutionnel. Cherchez y Thiers envers Louis Bonaparte. Là est la clef de l'avenir. D'un avenir qui dans aucun cas ne sera bien long, j’espère, mais qui pourrait être très court si Louis Bonaparte n’épousait pas Thiers. Vous devriez engager Marion à écrire à Madame de La Redorte et à la questionner un peu. Peu importe que les réponses soient des mensonges. Vous voyez clair dans le mensonge comme dans la vérité.
Les histoires des Gardes nationaux de Paris ne finissent pas. Le Duc de Somerset a demandé à Panton Hôtel, Panton Street, qu’on en priât quatre à dîner chez lui, n'importe lesquels. On lui en a envoyé quatre dont il a fait une exhibition. Entre autres un Capitaine Gonet qui est un beau parleur, et qui s’est fait l’intermédiaire entre tous ses camarades et la légation de la République à Londres. M. de Beaumont est assez embarrassé de la visite de quelques-uns à Claremont. Il a fait un rapport à ce sujet, fort modéré, atténuant au lieu de grossir. Cependant on croit qu’il y aura quelque mesure prise à Paris, qu’on défendra ces visites en uniforme hors des frontières. Il me paraît qu'à tout prendre l’excursion nationale n’a pas beaucoup plu à Paris. Entre les promeneurs eux-mêmes, il y a un peu de mauvaise humeur. Ceux qui ne sont pas allés à Claremont se sont plaints d'être compromis par ceux qui y sont allés. Ceux-ci se sont fâchés. On dit qu'au retour à Calais, il y aura quelques duels. Ici, évidemment, le peuple les a pris en très bonne part. Adieu.
Je vais faire ma toilette. Je vous reviendrai après la poste. Savez-vous ce qu'a fait Guillaume avant-hier dans un metting où les jeunes gens de King's college se réunissent les samedi pour s'exercer à parler ? Il a fait un speech en Anglais pour M. de Metternich qu’un autre attaquait comme l'auteur, par son obstination, des malheurs de l’Autriche. Guillaume a fait l’apologie de la consistency politique. Assez bien pour être fort cheered et pour faire voter à une voix de majorité, que la consistency était une vertu, non pas un tort. Il m’a redit son speech qui n’était pas mal. Il a pour la politique une passion au moins aussi effrénée que celle de mon garde national d’avant Hier. Midi Je suis désolé que ma lettre vous ait manqué, Elle a été mise à la poste avant 5 heures Peut-être est-ce trop tard pour Brighton. Celle-ci sera mise avant l’heure, par Guillaume que j'envoie exprès. C'est votre seul chagrin de Brighton que je regrette beaucoup. Je prends mon parti des autres. J’ai eu tort de ne pas insister davantage pour vous y conduire moi-même. Je n’aime pas que vous ayez peur et froid toute seule. Adieu Adieu.
Je n'ai qu’une longue lettre de Bruxelles, d’Hébert. Adieu. G. Mes amitiés à Marion, je vous prie.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Lundi 2 oct. 1848
2 heures

J'espère bien que cette indisposition ne sera rien. Vous avez raison de vous tenir tranquille et de manger très peu. Le repos et la diète. Moi aussi, j’ai été un peu incommodé cette nuit. Mais ce n’est rien du tout. Je viens de me promener une heure par un joli temps. Le voilà qui se gâte. Quel déplaisir que la distance !
Je suis allé hier voir Dumon. Il y a dans ce quartier bien des maisons à louer. Même deux ou trois. Grosvenor Place qui me paraît un très bon emplacement. Dumon restera seul lundi prochain. Sa femme et sa fille retournent à Paris. Il quittera sa maison de Wilton-Street, et se rapprochera de l'Athenaeum, sa ressource contre la solitude. Mais il sera toujours fort à portée de ce quartier-là. Duchâtel revient à la fin d’octobre, et passera l’hiver à Londres. Si on ne peut pas le passer en France. Presque toutes les lettres de France croient à une crise prochaine qui nous y fera rentrer. Personne ne dit bien pourquoi ni comment. Mais tout le monde le dit, les simples comme les gens d’esprit, à mon profond regret, ce n’est pas mon impression. Voici la nouvelle qu’on m’apporte ce matin, tout bien examiné, tous calculs faits, Cavaignac et ses amis en sont venus à penser que si on tentait de le faire nommer Président maintenant il ne serait pas nommé, et que tout croulerait. Ils se sont rejetés alors dans l’expédient contraire qui serait d’ajourner la nomination du président de la République jusqu'au moment de la dissolution de l'Assemblée elle-même, c’est-à-dire après les lois organiques. Jusque-là, on resterait et exactement comme on est, sans toucher à cette machine qu'on ne peut pas toucher, sans la briser. On m'assure que c’est là ce qui sera proposé ces jours-ci. La réunion de la rue de Poitiers s'y opposera. Mais on croit qu’elle sera battue, toutes les autres portions de l'Assemblée, y compris les Montagnards, désirant éviter une crise dont elles ne se promettent rien de bon pour elles-mêmes. C’est un gouvernement de plus en plus convaincu qu'il ne peut pas vivre, et décidé à ne pas remuer pour ne pas mourir. En définitive, il n'en mourra pas moins. Mais cela peut durer encore quelque temps.
Les Italiens affluent ici, en colère croissante contre la France et la République. Cavaignac ne sait pas la valeur des moindres paroles en Affaires étrangères. Il a, lui-même tout récemment encore, donné aux gens de Milan, aux gens de Venise, aux gens de Sicile, des espérances qui sont tombées le lendemain après une séance du Conseil. On les renvoie à Londres, en disant : " Nous ferons comme Londres. " Et Londres ne dit rien du tout. Le Roi de Naples n'attaquera, pas Palerme. Il prendra, ou se conciliera successivement toutes les autres villes, laissant Palerme vivre comme elle pourra dans son anarchie. Le temps est pour lui. A Rome on augure très mal du Cabinet Rossi. On dit que le Pape l’usera et le laissera tomber comme les autres. Et s’il veut résister plus réellement que les autres, les Républicains demain le feront tomber. Les fantaisies républicaines sont en progrès dans tous les coins. L'avocat Guerazzi reste le maître à Livourne et se promet de devenir le président de la République Toscane. Le cabinet du grand Duc va se dissoudre. Son président, le marquis Capponi, capable et honnête, aveugle et impotent, déclare qu’il ne peut plus continuer, par impotence et par honnêteté. La fermentation républicaine gagne Gênes de plus en plus ; à ce point que l’idée y circule de s'annexer à la Lombardie autrichienne. Si l’Autriche doit consentir à accepter Gênes comme ville libre et port franc. L'Empereur d’Autriche protecteur du Hambourg de la Méditerranée. Vous voyez que tout n’est pas près de finir là. Adieu. Adieu.
J’ai trouvé l'adresse de Salvo. Il part cette semaine pour aller passer quinze jours à Paris. Adieu, j'espère que demain matin, je vous saurai bien. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Jeudi 7 Sept 1848
8 heures

Je suis arrivé hier trop tard pour vous écrire. Je ne vous dirai pas grand chose ce matin. Demain à dîner. Visite intéressante et utile. Très bonne disposition. Peu d’espérance et beaucoup de sagesse. Quand je dis peu d’espérance, je veux dire peu d’espérance pour le bon gouvernement de l'avenir. Grand effroi des difficultés, peut-être des impossibilités. Le monde s’en va. Ce qui est aujourd'hui s'en ira certainement. Mais comment fera, pour ne pas, s'en aller aussi ce qui viendra après, quoique ce soit assez de penchant à croire qu’il a été la dernière bonne chance, et que n'ayant pas réussi, rien ne réussira. Un peu moins d’inquiétude sur ses intérêts privés mais se créant à lui-même, sur ce point toutes sortes de questions et d'embarras. Extrêmement préoccupé des chances de guerre. Si elle éclate ce n’est plus seulement le monde qui s’en va c’est le monde qui finit. Guerre générale. Un peu plus tôt, un peu plus tard, l'Angleterre y sera attirée. En résumé, tout son ancien esprit, point d’esprit nouveau. Rien n'entre plus. Assez blessé et je le comprends de cette parfaite similitude, égalité établie, dans le discours de la Reine, entre les rapports actuels des deux pays et les rapports antérieurs. Vous aurez bien vu, en lisant le discours que je ne l’avais pas bien entendu. Encore bien plus blessé de l’article du Times d’hier. Les Princes sont allés au Parlement par égard, pour la Reine qui leur avait envoyé des billets. Cela seul aurait dû les faire traiter eux-mêmes avec plus d'égard.
Très bonnes nouvelles d'Espagne et de Séville en particulier. Attendant la nouvelle de l'accouchement. Le Duc et la Duchesse de Montpensier en très bonne position, même auprès des Progresistas qui les épouseraient, au besoin. Quelque inquiétude, non pas sur, mais pour Narvaez. Il pourrait bien être remplacé par O’Donnell, sans que le pouvoir sortît des mains des modérés. La Reine Christine pourrait bien vouloir cela, pour se raccommoder un peu avec Londres. Penchant à croire qu'elle aurait tort, mais ne s'en inquiétant pas beaucoup. L'important, c'est le pouvoir de la Reine Christine et des moderados, et celui-là n’est pas du tout compromis. Grande satisfaction de la correspondance d'Eisenach. L’attitude y est bonne et en parfaite harmonie avec celle de toute la famille. Mais on dit que la Duchesse d'Orléans a maigri. J'ai vu les trois Princes qui revenaient de la chasse. On leur a donné la chasse de l'Avemont. Grand soulagement à l'ennui.
J’ai rencontré en revenant la Reine douairière qui y allait. Et j'y rencontre toujours Lady Cowley, et Georgina. Nous sommes revenus d'Esher ensemble. Le reste à la conversation de demain.
En fait d’intérêts privés, je vous donnerai des nouvelles du procès qui vous touche. Je crois qu’il y a bien des chances d’arrangement. Je vous dirai ce que vous auriez à dire pour y aider. J’attends votre lettre à 9 heures. Mais je ferme celle-ci pour qu’elle parte tout de suite et que vous l'ayez dans la journée. Si quelque chose m’arrive, je vous écrirai ce soir. En tout cas, à demain dîner. Adieu Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mercredi 6 septembre
1 heure

Savez-vous que je trouve le discours de la Reine très bien. & la partie extérieure d'une mesure et convenance parfaites ? Ne le pensez-vous pas aussi ? J'aime assez les Débats ce matin. Langage toujours dédaigneux pour les travaux de l'Assemblée, et puis la fin « puisque le suffrage universel envoie des gens qui ne savent pas lire, à quoi bon la liberté de la presse ? »
Positivement la question italienne dort, on veut du moins le faire croire. Je crois toujours que c'est un calcul pour ne pas effrayer la bourse, et qu’en attendant on prépare, & on fera une petite démonstration à la façon d’Ancône, pas autre chose. Je n'ai rien absolument à vous dire.
Montebello part demain, c’est certainement un chagrin pour moi. J’ai fait la lettre pour Bulwer, bonne, je crois. Ne pensez-vous pas qu'on remarquera, avec un peu de dépit à Paris que la France n’est pas appelée république dans le discours de la Reine ? Moi, je trouve cela très bien. Adieu, car je n’ai pas autre chose à vous adresser adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mercredi 6 septembre
6 heures

J’avais tout-à-fait oublié une promesse de dîner vendredi chez miss Mitchell. Elle est venue me le rappeler tout à l’heure en me disant que M. de Beaumont y dinait aussi et à 6 heures tout exprès pour moi. Voyez donc, je crois qu’il vaut mieux que j'y aille. Pourriez-vous dès lors venir me voir vendredi matin ? What do you think ? Voici les Holland, mauvais moment car je veux dîner.
6 1/2 Salvandy n’était pas attendu du tout dimanche. Cela l’a fort embarrassé, & par-dessus le marché il arrive avec son fils. Les Holland craignent que le speech ne plaise pas à Paris. Deux mots y manquent la reconnaissance & la république. Mais au fait quoi reconnaître ? & ceci ressemble-t-il à une république ? Ils me disent que le roi est tout à la guerre. Non sense. Adieu. Vous me direz si vous venez vendredi et à quelle heure pour que ma voiture soit là. Adieu.
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