Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Baudrand, Marie-Etienne-François-Henri (1774-1848)
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Hier, je dînais au château des Tuileries : après le repas, lorsque le roi eut congédié la plus part de ses convives, sa majesté vint à moi, me demanda si j'avais eu de vos nouvelles ; sur ma réponse négative, le prince me dit : je vois que M. Guizot est bien accueilli par les hommes de tous les rangs de la société, à Londres, et qu'il y jouit d'une juste considération, j'espère que cette considération s'accroitra encore, et que notre ambassadeur conservera cette position qui lui plait, qui lui est avantageuse et dans laquelle il peut bien servir la France et le roi. Je trouve seulement que, dans ses dernières lettres au président du Conseil, M. Guizot parait trop préoccupé des dispositions de l'Angleterre qui lui semblent douteuses envers nous. Guizot est enclin à croire que les ministres anglais traiteront avec les puissances étrangères sur les affaires de la Turquie sans nous.

Auteur : Baudrand, Marie-Etienne-François-Henri (1774-1848)
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Vous êtes un écrivain célèbre et un publiciste de premier rang ; dans vos écrits vous avez apprécié les époques les plus brillantes de l'histoire d'Angleterre, votre nom est mêlé à tout ce qui s'est fait de plus important en France depuis dix ans, tout absent que vous êtes, vous exercé une influence réelle sur ce qui se passe ici, quoi qu'invisible, vous êtes un des auteurs du drame animé qui se développe sous nos yeux ; en voilà plus qu'il n'en faut pour faire de vous à Londres un Lion de proportions gigantesques et cependant je ne vous ai considéré que comme homme politique : comme philosophe et littérateur, vous excitez la sympathie d'une classe nombreuse jouissant d'une considération dans les cercles de la capitale des trois royaumes.
Et je me suis réjoui de votre départ : je le crois utile pour vous et par conséquent pour la France.

Auteur : Baudrand, Marie-Etienne-François-Henri (1774-1848)
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Hier je n'ai pu joindre le roi : il est allé à Versailles ; mais ce matin il a lu votre lettre. Sa majesté m'a dit qu'elle ne pouvait que donner des éloges au langage que vous tenez dans cette lettre, qu'elle serait toujours disposée à soutenir, par tous les moyens en son pouvoir, les efforts des hommes de bien qui voudraient maintenir le système politique, si heureusement suivi depuis le 13 mars.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 13 Juin 1850

Les nouvelles du roi hier étaient si mauvaises que vos amis espèrent que vous hâterez votre voyage. Molé, hier soir, était consterné de l’idée que vous arriverez trop tard. Assez de monde hier soir. Changarnier, Broglie, Molé, Piscatory, le Chancelier Dumon, Duchâtel, tous les gros diplomates. Piscatory pour la dotation tout-à-fait. Chang[arnier] m’a conté que la veille Normanby avait eu une énormément longue conférence avec Lahitte de nouvelles propositions que celui-ci repousse. Cependant Il a fallu tenir un conseil hier. A l'unanimité rejet des propositions de l'Angleterre. comme il y avait eu des méprise sur les conversations. Le militaire a tout rétabli dans une dépêche qui sera portée à la tribune en son temps. En attendant Normanby a dit à [Rnoff] hier, qu'il était honteux de ce marchandage, & il a laissé deviner que Samedi Pal[merston] rendrait les armes. Je mande tout cela à notre ami. Voici une lettre de lui à l’instant même. L'affaire finie on non, si Lord P[almerston] en sort humilié, c’est égal pour la discussion de Lundi. Il ne se dit pas tout-à-fait confiant pour le vote. Peel travaille contre. D’un autre côté Beauvale retire son propos au gouvernement. Ce sera très balancé. Girardin est député. Cela fâche ici. Je n’ai pas trouvé que Molé eut l’air content hier.
Ce n’est qu’aujourd’hui que j'ai la consultation. Je n’en ai pas dormi la nuit, de peur. Vous avez raison pour lady Palmerston. 2 heures Adieu. Adieu. Je tremble de la consultation dans une heure. Adieu. Voici un billet de tout à l'heure

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 27 octobre 1850

J'ai négligé de vous dire, qu'on dit qu'à Frohsdorff outre le service funèbre, & le deuil pris en apprenant la mort de la reine des Belges on a encore et de nouveau chargé Salvandy de porter à Clarmont le message de sympathie & de condoléance, & que Salvandy au lieu de s’en acquitter en personne a écrit à Clarmont les paroles mêmes du comte de Chambord. Les nouvelles d’Allemagne sont très contradictoires, cependant vous allez être bien étonné si je vous dis qu’on croit que c'est l’Autriche qui reculera. Voici : les Prussiens entreront ou traverseront en vertu du traité avec la Hesse. Les Bavarois qui doivent y être entrés déjà, se replieront aussitôt l'entrée des Prussiens, en protestant, & resteront l’arme au bras à la frontière. Comprenez moi, je ne comprends pas. On annonce toujours que l’Empereur & [Schwarzemberg] vont à Varsovie mais ils n’y sont pas. Hier Hubner avait l’air de trouver que c'est mon Empereur qui doit une visite au sien. Tout cela est drôle.
J'ai été hier soir chez les Normanby. Lahitte ne savait rien, Viel-Castel que j’avais laissé chez moi n’en savait pas davantage. Chaque heure peut porter une nouvelle curieuse. On soupçonne lord Palmerston de vouloir faire une malice à la France & à la Russie en laissant croire sur leur compte les bêtises qu’a dit le Times et qui ne dément pas absolument le Globe. Je crois qu’en réalité on voulait ici une démarche collective conservatoire & menaçante & que l'Angleterre a été d'avis de notes simultanées. Lady Jersey part Jeudi. Voulez-vous dîner avec elle ici Mercredi ? J’aurai Sainte-Aulaire, Montebello, quelques diplomates, Viel Castel. Si vous disiez non, il faut me le dire, afin que j’ai le temps de vous remplacer mais dites oui. Demain je lui donne à dîner aussi. Adieu. Adieu.
Je serai charmée de voir finir ces adieux là.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 23 Juin Dimanche

Je suis bien mécontente de cette brusque solution en présence de ces publications anglaises dépêche de [Wyze] & deux de Normanby qui ne me paraissent nullement agréables au g[énéral] de Lahitte. Aberdeen en juge ainsi de ces dépêches, il les trouve insultantes, & il pense bien que l’affaire ne sera pas conclue, il m'écrit fortement sur l’utilité qu’elle ne le soit pas avant lundi. J’ai montré cela mais l’affaire est faite ; les regrets n’avancent rien n'effacent rien. Un malentendu, dit-on, a empêché hier que le Moniteur continue une réfutation (de la dépêche de Wyze), publiée sur la Patrie. Il faut au moins que cela paraisse aujourd’hui.
Il devait y avoir un grand dîner à Ferrières, aujourd’hui tout à coup hier, les convives décommandés parce que Mad. de Rothschild est partie subitement pour l'Angleterre & M. de R[othschild] pour le Havre. Vous concevez que cela fait quelque bruit. L[ord] Aberdeen, Ellice, Greville, Beauvale, tous me disent que la dernière phrase du discours de Lord John à Paris des plus insolents pour l'Europe. L’intention était à l’adresse de Lord Aberdeen, mais c’est trop fort & les grandes puissances dit-on ne peuvent pas avaler cela. Ellice pense, que si le g[ouvernement] porte, la chambre des Pairs rejettera toutes les propositions du g[ouvernement] tous les bills venant de la ch[ambre] des Communes. La confusion, l’irritation, les commérages sont au comble à Londres. Beauvale dit que c'est un enfer. Meyendorff m'écrit que rien ne s’arrange en Allemagne. 300 [mille] Russes toujours en Pologne. Le Prince de Prusse arrive demain à Londres pour le bateau du Prince nouveau né. J’ai été interrompue la tête branlante l'heure avance, il faut écrire à notre ami A.[berdeen]. L’acceptation ici a été conçue dans des termes [?]. Drouyn de Lhuys ne retourne pas encore. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris, dimanche 13 octobre 1844, 9 heures

Quelle excellente lettre que celle de vendredi ! Evidemment vous êtes content ; cela me rend toute heureuse. Cela aura été un bon et utile voyage. Pour beau, c’est clair. Les journaux anglais sont dévorés par moi, je lis tout. Je suis ravie, et la Cité par dessus le marché. Tout cela se fait grandement, royalement. Il est impossible que cela n'impose pas un peu ici, et beaucoup sur le continent. Dans tous les cas cela sert plus que de compensation aux mauvaises manières du continent. Enfin c’est excellent. J'espère que vous lirez cette lettre-ci tranquillement à Eu. Non, je me trompe, elle ira sans doute vous chercher a Portsmouth. C’est donc décidément Portsmouth. Je regrette. Je vais encore passer une nuit blanche, c’est-à-dire noire car toutes les idées de cette couleur assaillait mon esprit. Vous avez vent contraire et du vent trop fort, aujourd’hui cela ne vaudrait rien. Fera-t-il mieux demain ? Comme je serai dans l'anxiété mardi !
J’ai vu longtemps Génie hier, & puis la jeune comtesse, revenue depuis une heure seulement et qui est tout de suite accourue. Mad. de Strogonoff, quelques autres indifférences. Je me suis promenée dans le bois mais un moment seulement, j'avais des crampes d’estomac. J’ai été dîner chez le bon Fagel, personne qu’Armin, Bacourt, Kisseleff. Je les avais nommés. A huit heures je les ai envoyés dans ma loge aux Italiens, et je suis allée comme de coutume chez Annette. En rentrant à 10 heures j’ai trouvé Marion m’attendant sur le perron. Elle venait d’arriver avec ses parents. Joyeuse, charmée et charmante.
J’ai assez mal dormi, mais mes douleurs sont un peu passées ce matin. une heure. Je rentre de l’église. J'ai bien prié, remercié, demandé. Génie était venu avant dans la crainte de ne pas me rencontrer plus tard. Il est content aussi du voyage. Il parait que l’effet est excellent. Mon avis est que vous preniez à l’avenir votre politique sur un ton plus haut. Oui, la paix. Oui, l’alliance de l'Angleterre ; la seule bonne, la seule possible. Que vous dédaignez toutes les misérables chicanes que vous défiez vos adversaires, que vous les réduisiez ainsi ou à se taire ou à vous renverser. Prenez grandement votre parti là dessus. Vous en aurez l’esprit plus tranquille et le corps mieux portant. Tout le monde est venu me faire visite ces jours-ci, ( non pas que j'ai vu tout le monde ) Salvandy même ; mais pas de mad. de Castellane. Adieu. Adieu, que le ciel vous protège et vous ramène en bonne santé. Adieu.
Génie me dit cependant que cette lettre va vous attendre à Eu. Adieu encore dearest.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°2 Paris Mercredi 2 juin 1852
9 heures

En revenant hier de l'Académie j’ai vu vos fenêtres fermées et j’ai passé devant votre porte sans entrer. Cela m'a souverainement déplu, j'en ai été attristé le reste du jour. L'affection et l'habitude, ce sont deux puissants Dieux.
L'Académie elle-même se dépeuple. Hier M. Molé, M. Cousin, M. de Montalembert, le Chancelier n’y étaient pas. Barante part demain. Je partirai probablement le 12. Je suis pressé d'aller m'établir dans mon nid de campagne. A défaut des douceurs de la société au moins faut-il avoir celles de la solitude, le grand air et la liberté.
Montebello est revenu hier de sa Champagne. Il l'a trouvée froide, l'humeur renaissant un peu dans les villes et l'indifférence dans les campagnes, mais un grand parti pris de tranquillité. Tant que le gouvernement fera passablement son métier de gendarme et d'homme d'affaires, il n’a rien à craindre, on ne lui demande, et on n'en attend rien de plus. On ne sent nul besoin de l’aimer, ni de l'estimer. Je ne me résigne pas à cet abaissement et du pouvoir et du public.
J’ai rencontré hier M. de St Priest. Toujours le même modéré inintelligent, fait pour être l'esclave des fous de son parti et la Dupe des intrigants du parti contraire. Il avait, m'a t-il dit de bonnes nouvelles de Claremont. Le capitaine, Brayer envoyé à Frohsdorf avec de très bonnes paroles ; il aurait l’air d'en douter, par décence de légitimiste, mais au fond, il y croyait. Il était sûr aussi que le petit article des Débats, sur Changarnier, était faux et avait été inséré, sans l'autorisation du Général.
Je n'ai moi, aucune nouvelle de Claremont. J'en attends ces jours-ci. Je vois que la Reine, les Princes et M. Isturitz sont allés recevoir à Douvres le Duc et la Duchesse de Montpensier. L'entrevue sera assez curieuse entre les nouveau débarqués et la Reine Victoria ; ils avaient bien de l'humeur quand ils ont été obligés de quitter précipitamment l'Angleterre dans les premiers jours de mars 1848. Mais le temps, la chute de Palmerston et l’amitié de la Reine Victoria pas à cet abaissement et du pouvoir et du pour la famille effaceront tout.
Le Constitutionnel publie ce matin, sauf quelques phrases, la lettre de Fernand de la Ferronnays et la commente avec convenance et perfidie. C’est tout simple. Je persiste dans mon opinion. Le comte de Chambord a eu raison, au fond ; sa lettre l’a grandi, lui, et contribuera beaucoup à isoler de plus en plus le président en France, comme votre Empereur l'isole en Europe ; mais il fallait un autre langage ; il fallait se montrer plus touché des sacrifices et des tristesses qu’on imposait à son propre parti, et en mieux présenter les motifs.
Vous m'avez peut-être entendu dire qu’on disait que M. Duvergier de Hauranne allait fonder à Gênes un journal, dans l’intérêt de son opinion. Il paraît que ce n’est pas, M. Duvergier, mais le Roi de Naples qui veut fonder ce journal, intitulé Il mediterraneo, et écrit en Italien quoique rédigé par un réfugié Français ; et ce n’est pas au profit des opinions et du parti de M. Duvergier, mais contre le gouvernement Piémontais qu’il sera rédigé. On en a beaucoup d'humeur à Turin et on y parle aigrement de l’ambition et des intrigues du Roi de Naples.

4 heures
J’ai des nouvelles de Claremont. de bonne source, et malgré votre scepticisme et le mien elles me paraissent bonnes. On se dit décidé à ne pas attendre l'Empire et à saisir l'occasion du retour du Duc de Montpensier à travers l'Allemagne pour faire une démarche décisive. Nous verrons. Le porteur, si vous avez le temps de l'écouter, vous donnera des détails.
Dumon, qui sort de chez moi est très frappé de ce qu’on nous dit. Il paraît que la situation de Flahaut à Londres est bien désagréable. On dit que le 5 mai, la Reine l’avait invité à Buckingham Palace, et qu’il n’y est pas allé, à cause de la date. On a trouvé que, pour Walewski, c'était bien, mais que pour Flahaut c'était trop. On ne l’invite plus dit-on.
Vous ririez bien si je vous disais les inquiétudes que cause à quelques personnes, à quelques uns de vos amis, votre voyage. Ils craignent votre action auprès de l'Empereur en faveur du Président ; ils disent que l’Elysée compte tout-à-fait sur vous. Si l'Empire se fait en votre absence, c’est vous qui l'aurez fait. Adieu.
Ceci vous sera remis demain matin. Je vous écrirai demain à Schlangenbad. Je serai bien content quand je vous saurai arrivée, et sinon reposée, du moins calmée. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft Lundi 21 août 1848
Midi

Mauvais jour. Pas de lettre et une violente tempête. Vous n'aurez que du petit papier. J’ai passé ma matinée à lire une immense discussion de la Chambre des communes sur Vancouver Island. Un vraiment très beau discours de M. Gladston. Peu agréable pour Lord Grey. Il est en bien grand déclin. Vous ne regarderez jamais à Vancouver Island. Il y aura pourtant là un jour un grand Empire... Anglais ou Americain. C'est là la question This is a great subject, dit M. Gladstone the small begining of a great subject. As Wordsworth our greatest modern pact said : " The boy is father to the man." Le discours est tout-à-fait beau, et a eu un grand succès. Ch. Buller a défendu lord Grey, spirituellement et sensément mais petitement. Je n'ai rien de mieux à vous dire. Si vous étiez là, nous parlerions de tout. Qu’y avait-il donc de si charmant dans ma lettre du 16 ? Je ne me rappelle que quelques phrases sur l'Impératrice qui en effet pourront lui plaire. Les siennes m’avaient beaucoup plu.
Voilà donc l'Empereur rentré à Vienne. Comme les choses qui se ressemblent le plus se ressemblent peu ! Tout le monde a dit que c’était une seconde édition de la fuite de Varennes. Mais ici le retour est une fête. L’Autriche est encore bien monarchique, son histoire est la seule belle de ce moment. L'archiduc Jean à Francfort et Radetzky à Milan. M. de Metternich doit être bien content que cela soit fait, et un peu triste de ne l'avoir pas fait. Pas plus de nouvelles, ce matin de Paris que de Londres. Je ne suppose pas que le débat sur l’enquête ait pu commencer aujourd’hui. On attendra la fin de la distribution des Papiers. Les journaux anglais traitent le Général Cavaignac aussi bien que les journaux français Lord Palmerston. De part et d'autre, on s'amadoue. On a raison. Adieu. La tempête ne se calme pas. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, Dimanche 20 Août 1848
Une heure

Je quitterai Lowestoft le vendredi 1 ou le samedi 2 septembre. Je n’ai pas voulu vous le dire avant d'en être sûr. J’arriverai à Brompton vers 7 heures du soir. Si vous étiez à Londres, je vous verrai le soir même. Mais à Richmond, je ne puis vous voir que le lendemain. Ainsi à Samedi 2 ou Dimanche 3. D’aujourd’hui en quinze, au plus tard. Oui, c’est bien long. Je regrette bien que votre fils soit parti. J’avais un peu espéré qu’il trainerait jusqu’à mon retour, ou bien près. Quel plaisir de vous retrouver !
Je ne crois pas à Pierre d’Aremberg, même doublé de Lady Palmerston. Si une telle issue est jamais possible, ce ne peut-être qu’après un bien plus long et bien plus mauvais chemin. Mettez les uns au bout des autres, tous les partis, qui sont contre, et mesurez ce qu’il faut pour qu’il s'en détache successivement de quoi grossir assez le parti pour. Je ne suis pas aussi éloigné d'admettre ce qu’on vous a dit de la Duchesse d'Orléans, et je me l'applique un peu. Rappelez-vous ce que je vous ai dit de ce qui lui a été répondu et conseillé de Claremont. - Ne pas décourager ; n'admettre, ni ne repousser. Il se peut qu’elle ait écrit dans ce sens. Vous voyez déjà paraître ces vanités de parti qui ont déjà fait et qui feront encore tant de mal à ces combinaisons- là. Pierre d’Aremberg veut que la Duchesse d'Orléans ait pris l'initiative. Le Roi m’a dit qu'elle avait reçu des ouvertures. C'est aussi ce que m’avait à peu près dit le duc de Noailles. Je n'ose vraiment pas apprécier, ce qu’il faudrait de temps et de malheur pour forcer les vanités et les impertinences mutuelles des deux partis à se subordonner à leur bon sens. Ils se seraient sauvés vingt fois, l’un et l'autre depuis 60 ans. S'ils avaient su le faire. Mais ils ont toujours mieux aimé être battus chacun à son tour que puissants ensemble. Je serai bien heureux et bien étonné si jamais ils se guérissent de cette sottise. Nous n'avons ni vous ni moi jamais vu un tournoi, et ces grands coups de lances émoussées qui faisaient la gloire des chevaliers et le plaisir des Dames. Les tournois de paroles ont remplacé les tournois de lances. Mais plus vif, plus brillant. Lord Palmerston est plus réfléchi, plus calculé. Je ne sais si les spectateurs se sont bien amusés ; mais à coup sûr les acteurs ne se sont pas fait grand mal. Et n'admirez-vous pas la badauderie du Journal des Débats qui n’a pas assez de termes pour louer Lord Palmerston ? Ce n’est pas tout-à-fait de la badauderie. Le Journal des Débats, et avec grande raison ne veut pas de la guerre et il sait très bon gré à Lord Palmerston de la main courtoise qu'il tend à la République pour l'aider à sortir du défilé où ses vanteries l'avaient engagée.
M. Reeve m'écrit : " Je suis allé à Hertford House, voir M. de Beaumont. Son langage est identique avec la politique qu’on a pratiquée avec succès pendant bien des années dans le même hôtel. En fait, ils ne trouvent rien de mieux à faire que ce que vous avez fait ; alliance anglaise, entente cordiale, politique modeste, tout y est, moins peut-être la bonne foi. Ils se soucient fort peu de l'Italie, mais uniquement des engagements d’honneur que la France a pris dans cette affaire et ils acceptent d'avance toute espèce de transaction."
L’Autriche peut ne consulter que sa propre sagesse et réduire la transaction au strict nécessaire. Pourvu qu'il y ait un air de transaction, on en passera par ce qu’elle voudra. Ce que vous a dit Lady Palmerston de M. de Beaumont est très vrai. Point du grand monde, ni grand esprit. Gentilhomme honnête et littéraire. Pas assez d’esprit pour avoir du bon sens d'avance. Assez de droiture pour en retrouver au dernier moment. De ceux qui ouvrent la porte aux coquins et aux fous, et qui essayent de les contenir quand ils les ont fait entrer. Il n’aura ni à Londres, ni à Paris point d'influence réelle ; il ne fera et n'empêchera rien ; mais c’est un nom décent sur ce qu’on fera. Voilà les pièces communiquées. Il faudra bien donner la fin après le commencement. Je penche toujours à croire à un débat avorté, à un vote insignifiant. A moins que la passion insolente de MM. Ledru Rollin. Louis Blanc et Caussidière ne force le parti modéré à enfoncer l'épée jusqu'à la garde. Ce ne sera pas Odilon Barrot qui le fera. Je doute que Thiers s'en mêle. Si le débat n’avorte pas, il en sortira, un gros événement.
J'ai bien de la peine à avoir un avis décidé sur la rue St Florentin. Cela me plairait que vous le gardassiez. J’aime les bonnes apparences. J'y crois même un peu. Mais vous m'avez dit que vous étiez ruinée, que vous dépassiez votre revenu. Ce sera une grosse charge. Rothschild abusera de votre envie. Et qui sait pour quel temps ? S'il ne vous demandait pas de faire un bail, s’il vous laissait l’appartement de six en six mois, ce serait plus praticable. Adieu. Adieu. En tout cas, j'aime que nous débattions cette question. Adieu. Je suis charmé que nous ayons un jour fixe.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, Dimanche 13 août 1848
Une heure

Certainement, je suis triste. Je vous ai dit mille fois que, sans vous, j'étais seul. Et la solitude, c’est la tristesse. Je la supporte mais je n’en sors pas. Les Anglais n’y sont pour rien. Dans la belle Italie, je ne serais pas autrement. Peut-être l'Italie me dispenserait-elle d’un rhume de cerveau qui me prend, me quitte et me reprend sans cesse depuis quatre jours. Je me suis déjà interrompu deux fois en vous écrivant pour éternuer trente fois. J’espère que la mer, m'en guérira. La mer n’est pas humide. Décidément, en ceci, je ne suis pas comme vous. J’aime la mer devant moi. Elle ne m’attriste pas. Elle est très belle ici. Et cette petite ville est propre, comme un gentleman. Mes enfants commencent à se baigner demain. Aurez-vous quelqu’un à Tunbridge Wells ? Je ne vous veux pas la solitude, par dessus la tristesse. Il me semble qu’à Richmond lord John, Montebello et quelques visites de Londres ou à Londres sont des ressources que vous n'aurez pas ailleurs. Il est vrai que j’entends dire à tout le monde que Tunbridge est charmant. C’est quelque chose qu’un nouveau lieu charmant, pour quelques jours.
Il me revient de Paris qu'on n’y croit pas plus que vous au succès de la médiation. Ce n'est pas mon instinct. Si la situation actuelle pouvait se prolonger sans solution, je croirais volontiers que la médiation échouera. Elle vient, comme vous dîtes, plus qu'après dîner. Mais je ne me figure pas que l’Autriche se rétablisse purement et simplement en Lombardie et Charles Albert à Turin. Les Italiens conspireront, se soulèveront, la République sera proclamé quelque part. La République française sera forcée d’intervenir. C’est là surtout ce qu’on veut éviter par la médiation. Il faut donc que la médiation aboutisse à quelque chose, que la question paraisse résolue. Elle ne le sera pas. Mais à Paris et à Londres on a besoin de pouvoir dire qu'elle l’est. Pour sortir du mauvais pas où l'on s'est engagé. Tout cela tournera contre la République de Paris mais plus tard. On m'écrit que ces jours derniers le général Bedeau, dans des accès de délire criait sans cesse. "Je n’avais pas d’ordres! Je n'avais pas d’ordres." Vous vous rappelez que c’est lui qui devait protéger et qui n’a pas protégé la Chambre le 22 février.
Je suis bien aise que Pierre d'Aremberg soit allé à Claremont. Tout le travail en ce sens ne peut avoir que de vous effets soit qu'il réussisse ou ne réussisse pas. Quand on était à Paris, en avait assez d'humeur contre Pierre d’Aremberg qu'on ne voyait pas. Je suppose qu'on aura été bien aise de le voir à Claremont. A Claremont on est d’avis que la meilleure solution de la question Italienne, c'est de maintenir l’unité du royaume Lombardo-Vénitien en lui donnant pour roi indépendant un archiduc de Toscane. Idée simple et qui vient à tout le monde. Je la crois peu pratique. Un petit souverain de plus en Italie, et un petit souverain hors d’état de s'affranchir des Autrichiens, et de se défendre des Italiens. Ce serait un entracte, et non un dénouement. Je doute que personne veuille se contenter d’un entracte. Adieu. Adieu.
C’est bien vrai, les blank days sont détestables. Demain sera le mien. Votre lettre de Vendredi m'est arrivée hier, à 10 heures et demie du soir. Je venais de me coucher. Je m'endormais. On a eu l’esprit de me réveiller. Je me suis rendormi mieux. Je viens de recevoir celle d’hier samedi. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park Vendredi 11 Août 1848,
Onze heures

Tallenay n'a pas réussi à se faire laisser l’honneur de la reconnaissance de la République. Gustave de Beaumont est un honnête homme et un gentleman. Plus de mouvement d’esprit que d’esprit, modéré d’intentions et emporté de tempérament. Point Thiers du tout. Opposé à Thiers, autrefois, quand ils étaient ensemble dans l'opposition. Rapproché de lui aujourd’hui par la nécessité, mais au fond méfiant et hostile. Un des plus actifs de la tribu Lafayette dont il a épousé la petite-fille.
On dit à Paris que Tallenay est rappelé pour m’avoir salué et dit bonjour dans la rue, ce qu'il n'a pas fait. Je serais étonné si Gustave de Beaumont, me rencontrant, ne le faisait pas. Puisque la médiation commune a lieu sérieusement, je penche à croire qu’elle réussira, au début du moins. Les embarras et peut-être les impossibilités viendront après. L'Italie ne sera pas réglée. Mais la République y aura gagné d'être reconnue, et l'Angleterre d'avoir engagé la République dans la politique pacifique au moment de la crise.
Je reviens à ce que je vous disais hier, je crois ; le Président Cavaignac sera une seconde édition du Roi Louis-Philippe. Résistance et paix. Avec bien moins de moyens, de se maintenir longtemps sur cette brèche, où il sera bientôt encore plus violemment attaqué. Ce qui est possible, ce qu'au fond de mon cœur je crois très probable, c’est que les trois grosses révolutions de 1848, France, Italie et Allemagne n'aboutissent qu'à trois immenses failures. Pour la France et l'Italie, c’est bien avancé. L'Allemagne trainera plus longtemps, mais pour finir de même. Grande leçon si cela tourne ainsi. Mais le monde n’en sera pas plus facile à gouverner. Excepté chez vous, l'absolutisme est partout aussi usé et aussi impuissant que la révolution. Et il n’y a encore que la société anglaise qui se soit montrée capable d’un juste milieu qui dure. Je suis dans une disposition singulière et pas bien agréable ; chaque jour plus convaincu que la politique que j’ai faite est la seule bonne, la seule qui puisse réussir et doutant chaque jour d'avantage qu’elle puisse réussir. La lettre que je vous renvoie est très sensée. Je vous prie de la garder. Je vous la redemanderai peut-être plus tard. Si c’est là une chimère, c’est une de celles qu'on peut poursuivre sans crainte car en les poursuivant on avance dans le bon chemin.
Savez-vous notre mal à tous ? C’est que nous sommes trop difficiles en fait de destinée. Nous voulons faire, et être trop bien. Nous nous décourageons et nous renonçons dès que tout n’est pas aussi bien que nous le voulons. J’ai relu depuis que je suis ici, la transition de la Reine Anne à la maison d’Hanovre, et le ministère de Walpole. En fait de justice, et de sagesse, et de bonheur, et de succès, les Anglais se sont contentés à bien meilleur marché que nous. Ils ont été moins exigeants, et plus persistants. Nous échouerons tant que nous ne ferons pas comme eux. Je vous envoie avec votre lettre un papier anonyme qui m’arrive ce matin de Paris, par la poste. Les Polonais sont aussi mécontents de la République que le seront demain les Italiens. Je suppose que l’un d’entre eux a voulu me donner le plaisir de voir que je n'étais pas le seul à qui ils disent des injures. La grosse affaire à Paris, c’est évidemment le rapport de la Commission d'enquête. De là naitra, entre les partis, la séparation profonde qui doit engager la lutte définitive qui doit tuer la République. Dumon m'écrit : « Si je trouve Londres trop triste, j'aurais assez envie d'aller attendre à Brighton le jour où nous pourrons rentrer en France, le jour me semble encore assez éloigné. C’est déjà bien assez pour Cavaignac d'avoir à mettre en jugement les fondateurs de la République sans qu’il se donne l’embarras de mettre en même temps hors de cause les ministres de la monarchie. » Tous les procès à vrai dire, n'en font qu’un et il n’est pas commode à juger. On l’ajournera, tant qu’on pourra. Adieu.
J’aurai demain votre lettre à Lowestoft. Je pars à 4 heure. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham-Park, jeudi 10 août 1848

Midi
Voici mes deux raisons pour cette mer-ci. Il y a ici deux jeunes gens qui me plaisent et dont l’un paraît se plaire fort à moi et à ce qui me tient. Je suis bien aise d'être quelques jours de plus près d’eux, sinon chez eux. De plus ici, le voyage est fait ; donc bien moins de dépense. Ce n’est pas à Yarmouth que nous allons, mais à Lowestoft, jolie petite ville neuve et en train de grandir, avec une belle plage. J’y suis allé hier. J’y ai trouvé une petite maison sur la plage, propre et suffisante, moins chère que Yarmouth et Cromer. Nous allons nous y établir demain. Ecrivez-moi là : 9 Marine Terrace. Lowestoft Norfolk. Le chemin de fer va jusqu’à Lowestoft. Trois trains chaque jour qui vont à Londres, en 5 heures et demie. Nous aurons nos lettres le lendemain, comme à présent. Et puis dans les premiers jours de septembre, nous n'aurons plus de lettres.
Vous espérez que je commence à sentir le vide. Je vous gronderais si j’étais à Richmond. Il est bien évident que nous ne nous sommes jamais tout dit. Je suis décidé à essayer à mon retour. Nous avons assez d’esprit pour tout entendre, et je vous aime trop pour que la confiance, qui est ce qui vous manque, n’y gagne pas. Si vous étiez bien persuadée de ce qui est, c’est-à-dire que vous êtes tout ce dont j'ai le plus besoin au monde, vous pourriez avoir comme moi quelquefois de la tristesse, jamais d'humeur. C'est fort triste d'être triste. C’est bien pis d'être mécontent. Je veux absolument réussir à extirper de votre cœur toute possibilité de mécontentement.
Votre lettre où vous me racontez Ellice me revient ce matin, avec celle d'Aberdeen. Je crois tout ce que vous a dit Ellice. Je trouve que Cavaignac s’use sans se diminuer, et que Thiers avance sans grandir. Même les coups de fusil à vent ne le grandissent pas. Il tiendra beaucoup de place dans ce qui se fera un jour, mais il ne le fera pas. Certainement si l’Autriche veut garder la Lombardie, il y aura la guerre. Je n’ai pas grande estime de la République, ni des Italiens. Mais je ne puis croire que ni les Italiens, ni la république acceptent à ce point les victoires de Radetzky. En même temps je ne puis croire que l’Autriche n'accepte pas cette occasion de sortir glorieusement de la Lombardie qui la compromet, pour s’établir solidement dans la Vénétie qui la couvre. Je croirais donc au succès de la médiation Anglo-française si Charles-Albert n’était pas dans la question. Mais les Lombards, qui ont eu tant de peine à vouloir de Charles-Albert sauveur, ne voudront plus de Charles-Albert vaincu, et l’Autriche aimera mieux donner la Lombardie à tout autre qu'à Charles-Albert. C'est de là que viendront de nouvelles difficultés, et la nécessité de nouvelles combinaisons. L’Autriche y trouvera peut-être son compte, soit pour fonder au nord de l'Italie quelque chose qui lui convienne mieux que Charles-Albert, soit pour empêcher que rien ne s'y fonde. Si Charles-Albert ne gagne, ni la Lombardie, ni la Sicile, ce sera un grand exemple de justice providentielle. Il se passe quelque chose à Madrid que je ne comprends pas. Pidal ministre des Affaires étrangères c’est bon. Mais pourquoi Moss, son beau-frère, quitte-t-il Madrid pour Vienne ? Et que signifie l’arrestation de Gonzales Bravo ? En avez-vous entendu parler ? Brignole n’est donc pas rappelé. Je le vois toujours en fonctions. Je viens de recevoir la nouvelle Assemblée nationale. Très fidèle à l’ancienne. Le seul journal qui sans dire le mot, se donne nettement pour monarchique. Quelle est l’attitude de la Presse ? Je trouve les Débats bien faits, et tirant bon parti de leur modération pour faire ressortir l'incurable instabilité de ce gouvernement qu’ils n'attaquent point. J’ai ce matin des nouvelles de Claremont. Assez bonnes. On y est de l’avis de M. Flocon et on se tient fort tranquille. J’ai aussi des nouvelles d’Eisenach. On s’y porte bien ; on y vit dignement ; en grande partie aux frais de la Duchesse de Mecklembourg. Sans voiture. Le petit Prince a reçu la visite de quelques camarades de Paris. Adieu.
Pauline va bien. Je n’ai plus aucun sentiment d’inquiétude, Sir John aussi ira mieux. Adieu. Adieu. Vous ne me dites pas si votre fils est parti. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Samedi le 5 juillet 1851

Je suis arrivée hier à 7 heures après un voyage excellent. Je me suis séparée de mon fils à Coblence, bien bon garçon. Ici je retrouve tout, très bien, matériellement, pas une âme de connaissance. Nous avons bien besoin l’un de l’autre. Duchatel & moi.
Votre lettre du 2 qui est venue ce matin. Une d’Ellice aussi. Le discours de Thiers n'a pas fait fortune en Angleterre du tout. Ellice me dit quel effort de déraison ! Lord john est parfaitement raffermi, & restera très solidement. pour l’éternité. Amen. On m’a dit à Bruxelles qu'on ne s’est pas douté à Paris de l’effet produit à Claremont par la lettre du comte de Chambord en février. La duchesse d’Orléans était rendue complètement. On songeait à une entrevue. La proposition Creton renversée par Berryer a renversé toute la [?]. Léopold est très sensé. Il donne les meilleurs conseils. Les doutes que j’avais exprimés à ce sujet ont beaucoup déplus & étonnés. J’ai dit des choses utiles.
A Bruxelles comme partout, on est convaincu de la durée du Président, et comme partout, on la désire car on ne voit rien de bon que cela en fait de choses possibles. A Naples chaque fois qu'on se rencontre, on fait un petit programme de phrases à s'adresser ni plus ni moins. C’est positif. Je crois que je vous ai dit tout ce que j'ai ramassé.
Marion est ravie d’Ems elle a une fort jolie chambre à la gauche de mon salon. L’air est délicieux, ni trop chaud, ni trop froid. Je ne regrette de Paris que vous, car du reste je pense de lui avec mépris, au physique & au moral. Adieu. Adieu. Adieu.
Brunnow ne parle de Walensky que comme d’un polisson. S'il fait comme il parle cela va faire une relation agréable. Le discours à Châtellerault est excellent.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Dimanche le 27 juillet 1851

Une nuit blanche. Les nerfs de la tête agacés, courbatures générales, un feu de fièvre hier. Voilà les bénéfices de la lettre de [Coutte]. C'est bien ignoble d'être agitée & malade comme cela pour une question d'argent. I cannot help it. 10 000 £ de moins dans ma fortune je ne m'y accoutume pas. Ellice écrit à [Coutte] pour expliquer. J'affirme que le dépôt est chez lui, c’est ainsi sûr qu'il est sûr que je suis à Ems. Je l'ai remis cacheté, signé chez lui. Il m’en a donné reçu, ce reçu est mentionné dans mon testament. C'est sûr, parfaitement sûr. Sa réponse est laconique : il m’a rendu ce paquet avec tous les autres titres. Je dis que j’ai repris tous les autres titres moins celui-là. Et ma raison était simple. Un très gros paquet, inutile jusqu’en1858, et moi rentrant dans un pays de révolution. Enfin, je vous ennuie, j’ennuie tout le monde, et je suis honteuse. Si l’affaire ne s'éclaircit pas. (ce à quoi je ne vois pas de chance depuis la lettre de Coutts) je déclare que j’ai été volée dans la première maison d'Angleterre. Comment ai-je pu égarer le reçu ? C'est là où ma raison est en défaut. Moi si exacte, soigneuse de mes affaires.
La soirée s’est bien ressentie du départ de Marion, & de Duchâtel & de mes soucis. Nous proclamons tous Duchâtel le plus agréable homme du monde. Si gai, si en train, toujours en bonne humeur, & tant d'esprit tout prêt & tout naturel. Je le crois bien parfaitement égoïste, qu'est-ce que cela me fait ? Je ne suis pas de votre avis sur la fête à l’hôtel de ville. Comment voulez-vous qu'on reconnaisse autrement les politesses faites à vos commissaires industriels & & en Angleterre ? Et vos fêtes à vous sont cossues, magnifiques, et bien supérieures à celles d'Angleterre. Non, M. Berryer a raison. Je saurai à Francfort sans doute des nouvelles des affaires d'Allemagne. Ici je n’ai aucun moyen d’être bien renseignée.
J'ai une petite nièce ici bien gentille et jolie, une Princesse de Lieven mi ditto. Son mari a l'air bourru. Elle dit qu’il la fait rire, & elle l'aime beaucoup. 28 ans de plus qu’elle. Midi dans ce moment une nouvelle lettre de Coutte, m’informant qu’il a en sa possession mes titres. Ouf ! Mais voilà un banquier bien léger. Adieu. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Drayton-manor. Samedi 18 nov. 1848
5 heures

Nous nous sommes promenés ce matin dans le parc. Nous avons longtemps causé, Sir Robert et moi. Curieuse conversation où il y avait de quoi rire de l'un et de l'autre interlocuteur, si bien que j’en riais en parlant. Nous n'étions tous deux occupés qu’à nous démontrer que nous avions bien fait, lui de briser, à tout risque, le parti conservateur pour réformer la loi des céréales, moi d’ajourner, à tout risque, la réforme électorale pour maintenir le parti conservateur. Et je crois en vérité que nous nous sommes convaincus l’un l'autre. Mais il se fondait surtout sur ce qui est arrivé en Europe " Que serions-nous devenus, au milieu de ce bouleversement si la loi des céréales eût subsisté ? " En sorte que c’est nous qui en tombant lui avons fourni son meilleur argument.
Il me paraît avoir en ce moment une nouvelle idée fixe, c’est l’énormité partout de la « public expenditure. " Cela ne peut pas aller, on ne le supportera pas ; il faut absolument trouver un moyen de réduire, partout, les dépenses de l’armée de la marine d'avoir vraiment le budget de la paix. "Je n’ai pas manqué une si bonne occasion! " Si vous n'étiez pas tombé, si je n'étais pas tombé, cela eût peut-être été possible. La France et l'Angleterre conservatrices et amies, pouvaient se mettre sur le pied de paix, de paix solide et y mettre tout le monde. Mais aujourd’hui, sans vous, sans nous, il n'y a pas moyen. Les révolutions ne désarment pas. On ne désarme pas en présence des révolutions. " Cela lui plaisait. Il ne croit pas au bruit du fils de lord Cottenham. Il écarte la conversation sur ce sujet. Par précaution et par goût. Il n'aime pas cette perspective.
Le dean de Westminster et M. Hallam sont arrivés ce matin. Jarnac ne vient décidément pas. Il est toujours malade. Mon lit était très bon hier soir. Ma Chambre est excellente. Toute la maison est chauffée par un calorifère. Nous nous sommes promenés entre hommes. Lady Peel et Lady Mahon sont allées de leur côté.
Il y a une fille de Lady Peel qui me plaît. Jolie réservée avec intelligence de la vivacité sans mouvement. Je serais étonné qu’elle n’eût pas de l’esprit. Je ne vois pas que le soulèvement de Breslau se confirme. Il paraît que l'exécution de Blum fait beaucoup de bruit à Francfort Le droit est incontestablement du côté du Prince Windisch-Graetz. Reste la question de prudence.

Dimanche 19 nov. 4 heures
Encore une longue promenade à pied, mais pas seul, avec Sir Robert. Lord Mahon, M. Hallam et le dean de Westminster. Conversation purement amusante, mais amicale et animée. Beaucoup de jokes, latins et grecs. Sir Robert m'a mené ce matin au sermon, à Tamworth. Bien aise de me montrer. Il est impossible d'être plus courtois, sincèrement je crois, certainement avec l’intention d'être trouvé courtois, par moi-même, et par tous les témoins. Mais je comprends ceux qui disent que c’est un ermite politique, ne communiquant guères plus avec ses amis qu'avec ses ennemis.
Berlin me préoccupe beaucoup. Je crains que le Roi ne se charge de plus qu'il ne peut porter. Et s’il fait un pas en arrière, il est perdu. Voyez Francfort. Lisez les Débats. La résistance, quand elle devient efficace, effraye même ceux qui l’ont appelée. Ils y poussent et puis ils la repoussent. On ne veut, à aucun prix ; revenir au point de départ. Et on voudrait qu’en se défendant on ne fît de mal à personne. Quel est le plus grand mal, les esprits à l'envers ou les cœurs faibles ? je ne saurais décider. Les deux maux sont énormes.
Je suis bien aise que vous ayez rendu un petit service à Lady Holland. Cela vous dispense des autres. Vous avez bien raison de ne pas vous prêter à ses confidences.
Je n’ai rien de Paris. Je crois vraiment que l'acharnement de la Presse contre Cavaignac ne le serve au lieu de lui nuire. Cependant tout ce qui revient de France, continue d'être favorable à Louis Bonaparte. Parme qui est enfin arrivé hier avec sa femme, a les mêmes renseignements de son beau-frère, Jules de Larteyrie, qui est assez au courant, et qui déteste Louis Bonaparte sans vouloir de Cavaignac. Mad de Larteyrie revient ces jours-ci d'Orlombe. Jarnac la reconduira à Paris. Son mari croit à des coup de fusil, dans les rues de Paris, peu après l'élection, quelle qu’elle soit. La Princesse de Parme à Brighton m'amuse. Certainement votre visite est faite. Vous n’avez plus qu’à attendre. Adieu. Adieu.
Je pars après demain mardi, à 9 heures du matin. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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9 Au château d'Eu. Mercredi 6 sept. 1843,
7 heures

Vous avez beau mépriser la musique instrumentale. Vous auriez été entrainée hier par un fragment d'une symphonie de Beethoven que les artistes du conservatoire ont exécutée, avec un ensemble, une précision, une vigueur et une finesse qui m'ont saisi, moi qui ne m’y connais pas et cette succession de si beaux accords, si nouveaux et si expressifs, étonne et remue profondément. Tout le monde, savants et ignorants, recevait la même impression que moi. Je craignais que ces deux soirées de musique n'ennuyassent la Reine. Il n’y a pas paru. Ce soir, le Vaudeville et Arnal. Nous avons trois pièces, mais nous n'en laisserons jouer que deux. Ce serait trop long. Avant le dîner, une petite promenade, au Tréport, toujours plein de monde, et toujours un excellent accueil. Avant la promenade, la visite de l’Eglise d’Eu qui est belle, et du caveau où sont les tombeaux des comtes d’Eu, les statues couchées sur le tombeau, les comtes d'un côté, leurs femmes de l'autre, et le caveau assez éclairé, par des bougies suspendues au plafond, pour qu’on vit bien tout, assez peu pour que l’aspect demeurât funèbre. Les Anglais sont très curieux de ces choses là. Ils s'arrêtaient à regarder les statues, à lire les inscriptions. Notre Reine et Mad. la Duchesse d'Orléans n'y ont pas tenu ; elles étaient là comme auprès du cercueil de Mrs. le Duc d'Orléans. Elles sont remontées précipitamment, seules, et la Protestante comme la Catholique sont tombées à genoux et en prières dans l’Eglise devant le premier Autel qu’elles ont rencontré. Nous les avons trouvées là, en remontant. Elles se sont levées, précipitamment aussi et la promenade, a continué.
J’ai eu hier encore une conversation d’une heure et demie avec Aberdeen. Excellente. Sur la Servie, sur l'Orient en Général et la Russie en Orient, sur Tahiti, sur le droit de visite, sur le traité de commerce. Nous reprendrons aujourd’hui l’Espagne pour nous bien résumer. Le droit de visite sera encore notre plus embarrassante affaire. " Il y a deux choses m’a-t-il dit, sur lesquelles notre pays n’est pas traitable, et moi pas aussi libre que je le souhaiterais, l'abolition de la traite et le Propagandisme protestant. Sur tout le reste, ne nous inquiétons, vous et moi, que de faire ce qui sera bon ; je me charge de faire approuver sur ces deux choses là, il y a de l’impossible en Angleterre, et bien des ménagements à garder. " Je lui demandais qu’elle était la force du parti des Saints dans les communes : " They are all Saints on these questions. " Je crois pourtant que nous parviendrons à nous entendre sur quelque chose. Il a aussi revu le Roi hier et ils sont tous deux très contents l’un de l'autre. La marée du matin sera demain à 10 heures. On pourra sortir du port de 10 h.
à midi.
Ce sera donc l'heure du départ, nous ramènerons la Reine à son bord comme nous avons été l’y chercher. Il fait toujours très beau. Je demande des chevaux pour demain soir, 9 heures. Je vous écrirai encore demain matin pour que vous sachiez tout jusqu’au dernier moment. Pas de santé de la Reine à dîner. Les toasts ne sont pas dans nos mœurs. Il faudrait porter aussi la santé du Roi, et celle de notre Reine, et peut-être pour compléter nos gracieusetés, celle du Prince Albert. Cela n'irait pas. Je ne me préoccupe point de ce qui se passe entre la Cité et Espartero. C'est ma nature, et ma volonté de faire peu d’attention aux incidents qui ne changeront pas le fond des choses. Lord Aberdeen, m'en a parlé le premier, pour me dire que ce n’était rien et blâmer positivement Peel d'avoir dit qu’Espartero était régent de jure. Il n’y a plus de régent de jure, m’a-t-il dit, quand il n’y a plus du tout de régent de facto. La régence n’est pas, comme la royauté, un caractère indélébile, un droit qu'on emporte partout avec soi. J’ai accepté son idée qui est juste son blâme de Peel sans le commenter, et son indifférence sur l'adresse de la Cité qui du reste est en effet bien peu de chose après la discussion et l’amendement qu’elle a subi.
Vous auriez ri de nous voir hier tous en revenant de la promenade, entrer dans le verger du Parc, le Roi et la Reine Victoria en tête, et nous arrêter devant des espaliers pour manger des pêches. On ne savait comment les peler. La Reine a mordue dedans, comme un enfant. Le Roi a tiré un couteau de sa poche : " Quand on a été, comme moi, un pauvre diable, on a un couteau dans sa poche. " Après les pêches, sont venues les poires et les noisettes. Les noisettes charmaient la Princesse de Joinville qui n’en avait jamais vu dans son pays. La Reine s'amuse parfaitement de tout cela. Lord Liverpool rit bruyamment. Lord Aberdeen sourit shyement. Et tout le monde est rentré au château de bonne humeur. Adieu. Adieu. J’oublie que j'ai des dépêches à annoter. Adieu pour ce moment.

Midi et demie
Nous venons de donner le grand cordon au Prince Albert, dans son cabinet. Le Roi. lui a fait un petit speech sur l’intimité de leurs familles, et des deux pays. Une fois le grand cordon passé : " Me voilà votre collègue, m'a-t-il dit en me prenant la main ; j’en suis charmé. " Je crois que la Jarretière ne tardera pas beaucoup. Je vous dirai pourquoi je le crois.
Le N° 7 est bien amusant. Pourquoi ne pas être un peu plus spirituel d'abord ? Cela dispenserait d'être si effronté après. Le pauvre Bresson a bon dos. Il n’a jamais voulu rien forcer, car il n’a jamais cru qu'on vînt. Je reçois à l’instant une lettre de lui. M. de Bunsen venait d’écrire à Berlin le voyage de la Reine comme certain. Bresson est ravi : " Il faut, me dit-il, avoir, comme moi, habité, respiré pendant longues années au milieu de tant d'étroites préventions de passions mesquines, et cependant ardentes, pour bien apprécier le service que vous avez rendu, et pour savoir combien vous déjouez de calculs, combien de triomphes vous changez en mécomptes. "
C'est le premier écho qui me revient. Je dirai aujourd’hui un mot de Bulwer. Soyez tranquille sur la mer. Nous ne ferons pas la moindre imprudence. Je me prévaudrais au besoin de la personne du Roi dont je réponds. Il n’y aura pas lieu. Le temps est très beau, l’air très calme. Le Prince Albert est allé nager ce matin avec nos Princes. Le Prince de Joinville reconduira la Reine jusqu'à Brighton et ne la quittera qu'après lui avoir vu mettre pied sur le sol anglais.
Voici ma plus impérieuse recommandation. Ne soyez pas souffrante. Que je vous trouve bon visage ; pas de jaune sous les yeux et aux coins de la bouche. Si vous saviez comme j'y regarde, et combien de fois en une heure ! Je n’arriverai Vendredi que bien après votre lever ; pas avant midi, si, comme je le présume, je ne pars qu'à 10 heures. Adieu. Adieu. Il faut pourtant vous quitter. Nous partons à deux heures pour une nouvelle et dernière promenade dans la forêt. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton-Mercredi 22 Nov. 1848
Midi

Je suis toujours sans nouvelles de Paris à vous envoyer. Il est impossible que je n’en aie pas bientôt. Je sais que Duchâtel n'en a pas davantage. Je crois qu’il viendra dîner aujourd'hui avec moi. Je viens de recevoir un billet de Lady Lovelace qui me presse d’aller les voir dans le Surrey. Dumon y va. Comme de raison, je refuse. Je ne veux plus aller nulle part avant Noël, où j'irai passer quelques jours chez Sir John Boileau.
J’irai vous voir Mardi. J'aurai complétement terminé ce que j'écris. M. Lemoinne emportera, le manuscrit à Paris pour que le Duc de Broglie, le lise. Je l’apporterai mardi à Brighton. Je vous en lirai quelques fragments après l'élection du Président, quelle qu’elle soit, et à moins qu'on n'en vienne immédiatement aux mains, il y aura un moment opportun pour la publication. Les chances vont croissant pour Louis Bonaparte. C'est la conviction des Débats qui sont croyables sur ce point.
Je suis de plus en plus inquiet de Berlin mais pas étonné que de Francfort, on abandonne le Roi de Prusse après l'avoir poussé. C’est exactement ce qui arrivait en 1790 et 91 avec le pauvre Louis XVI. Du dedans et du dehors, on l'excitait, on le compromettait ; puis on ne le soutenait pas. Berlin ressemble extrêmement à notre première révolution. La Cour et la nation. Les idées et les façons d'agir. Et je crains que le Roi de Prusse, qui a plus d’esprit, n'ait encore moins de courage, et n'inspire encore moins de confiance que Louis XVI. Moralement, à coup sûr, il ne le vaut pas. Ni politiquement peut-être. Il y a là de plus l'ambition de la Prusse qui veut prendre l'Allemagne C’est vraiment là l’incendie. Le rétablissement même de l’ordre en France ne l'éteindrait pas. Mais il donnerait bien de la force pour le combattre.
Je suis vraiment triste du bruit qui est venu de Rome sur M. Rossi. Je cherche et ne trouve nulle part des détails. On dit que l'ordre n’a pas été troublé. Mais Rossi lui-même qu'est-il devenu sous ce coup de poignard pauvre homme? Quelle surprise pour lui et pour moi si, quand je l’ai envoyé à Rome, tout cet avenir s’était dévoilé devant nous ! J'espère que l’assassin a manqué son coup. Ce n'est peut-être pas vrai du tout. Il manque bien les choses à M. Rossi. Le cœur n'est ni tendre, ni grand. Mais l’esprit est supérieur ; si juste, si fin, si actif dans son indolence apparente, si prompt, si étendu ! Des vues générales et un savoir faire infini. Très inférieur à Colettis par le caractère et l’empire. J’ai pleuré Colettis. Il m’aimait et je l’aimais. Je regretterai M. Rossi, si le fait est vrai, comme un allié utile et un homme très distingué. L’un et l’autre est rare. Il ne m’a pas donné signe de vie depuis Février. On me disait, il y a quelque temps, qu’il disait qu'il ne retournerait jamais en France. S'il a été assassiné, c’est que le parti révolutionnaire de Rome, le considérait comme un obstacle, sérieux. Ce serait un honneur pour son nom.
J’ai vu hier Charles Greville à dîner, chez le Baron Parke. Il ne savait rien. Parlant toujours très mal des affaires de Sicile. Le Roi de Naples me paraît décidé à laisser trainer cette médiation anglo-française, comme on fait à Milan. On se rejoint ici de la nomination à peu près certaine, du Général Taylor comme président aux Etats-Unis. Cass est très anti- anglais.
Puisque vous prenez votre dame assez à cœur pour en être malade, vous ferez bien de vous en débarrasser, à Brighton, tel que Brighton est à présent, vous pouvez vous en passer. Il y aura tel lieu et tel moment où même cette maussade personne vous manquera. Mais après tout, vous en trouverez une autre. Nous aurons le temps de chercher. Marion vous a-t-elle reparlé ? Adieu. Adieu.
Mardi est bien loin. Je ne puis vraiment pas plutôt. Je suis très pressé. Par toutes sortes de motifs. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Lundi 30 Octobre 1848
8 heures
Je pars aujourd’hui pour Cambridge à 2 heures. Cela ne me plaît guères. Nous serons plus loin. Je crains le retard des lettres. J’étais en train de travail. Quand vous n’y êtes pas, c'est mon amusement. Je fais de la très bonne politique. Trop bonne. Toujours la même faute. Je puis vous le dire à vous. Je puis être avec vous aussi orgueilleux qu’il me plaît. Vous savez que je suis modeste en même temps qu'orgueilleux.
Point de nouvelles hier. Je suis allé voir Duchâtel qui n’en avait pas plus que moi. Nous verrons le courrier d’aujourd’hui. Il ne nous apportera pas grand chose. Nous vivrons dans le statu quo jusqu'au 10 Décembre. Mais nous comprendrons mieux une situation vraiment obscure pour moi. Duchâtel soutient que notre procès finira aussi tôt après l'élection du président. Par une ordonnance de non lieu. Si Louis Bonaparte est nommé et Thiers son ministre, il est impossible que notre procès ne finisse pas tout de suite malgré le peu d'envie.
Lisez je vous prie, attentivement le Constitutionnel. Cherchez y Thiers envers Louis Bonaparte. Là est la clef de l'avenir. D'un avenir qui dans aucun cas ne sera bien long, j’espère, mais qui pourrait être très court si Louis Bonaparte n’épousait pas Thiers. Vous devriez engager Marion à écrire à Madame de La Redorte et à la questionner un peu. Peu importe que les réponses soient des mensonges. Vous voyez clair dans le mensonge comme dans la vérité.
Les histoires des Gardes nationaux de Paris ne finissent pas. Le Duc de Somerset a demandé à Panton Hôtel, Panton Street, qu’on en priât quatre à dîner chez lui, n'importe lesquels. On lui en a envoyé quatre dont il a fait une exhibition. Entre autres un Capitaine Gonet qui est un beau parleur, et qui s’est fait l’intermédiaire entre tous ses camarades et la légation de la République à Londres. M. de Beaumont est assez embarrassé de la visite de quelques-uns à Claremont. Il a fait un rapport à ce sujet, fort modéré, atténuant au lieu de grossir. Cependant on croit qu’il y aura quelque mesure prise à Paris, qu’on défendra ces visites en uniforme hors des frontières. Il me paraît qu'à tout prendre l’excursion nationale n’a pas beaucoup plu à Paris. Entre les promeneurs eux-mêmes, il y a un peu de mauvaise humeur. Ceux qui ne sont pas allés à Claremont se sont plaints d'être compromis par ceux qui y sont allés. Ceux-ci se sont fâchés. On dit qu'au retour à Calais, il y aura quelques duels. Ici, évidemment, le peuple les a pris en très bonne part. Adieu.
Je vais faire ma toilette. Je vous reviendrai après la poste. Savez-vous ce qu'a fait Guillaume avant-hier dans un metting où les jeunes gens de King's college se réunissent les samedi pour s'exercer à parler ? Il a fait un speech en Anglais pour M. de Metternich qu’un autre attaquait comme l'auteur, par son obstination, des malheurs de l’Autriche. Guillaume a fait l’apologie de la consistency politique. Assez bien pour être fort cheered et pour faire voter à une voix de majorité, que la consistency était une vertu, non pas un tort. Il m’a redit son speech qui n’était pas mal. Il a pour la politique une passion au moins aussi effrénée que celle de mon garde national d’avant Hier. Midi Je suis désolé que ma lettre vous ait manqué, Elle a été mise à la poste avant 5 heures Peut-être est-ce trop tard pour Brighton. Celle-ci sera mise avant l’heure, par Guillaume que j'envoie exprès. C'est votre seul chagrin de Brighton que je regrette beaucoup. Je prends mon parti des autres. J’ai eu tort de ne pas insister davantage pour vous y conduire moi-même. Je n’aime pas que vous ayez peur et froid toute seule. Adieu Adieu.
Je n'ai qu’une longue lettre de Bruxelles, d’Hébert. Adieu. G. Mes amitiés à Marion, je vous prie.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Lundi 2 oct. 1848
2 heures

J'espère bien que cette indisposition ne sera rien. Vous avez raison de vous tenir tranquille et de manger très peu. Le repos et la diète. Moi aussi, j’ai été un peu incommodé cette nuit. Mais ce n’est rien du tout. Je viens de me promener une heure par un joli temps. Le voilà qui se gâte. Quel déplaisir que la distance !
Je suis allé hier voir Dumon. Il y a dans ce quartier bien des maisons à louer. Même deux ou trois. Grosvenor Place qui me paraît un très bon emplacement. Dumon restera seul lundi prochain. Sa femme et sa fille retournent à Paris. Il quittera sa maison de Wilton-Street, et se rapprochera de l'Athenaeum, sa ressource contre la solitude. Mais il sera toujours fort à portée de ce quartier-là. Duchâtel revient à la fin d’octobre, et passera l’hiver à Londres. Si on ne peut pas le passer en France. Presque toutes les lettres de France croient à une crise prochaine qui nous y fera rentrer. Personne ne dit bien pourquoi ni comment. Mais tout le monde le dit, les simples comme les gens d’esprit, à mon profond regret, ce n’est pas mon impression. Voici la nouvelle qu’on m’apporte ce matin, tout bien examiné, tous calculs faits, Cavaignac et ses amis en sont venus à penser que si on tentait de le faire nommer Président maintenant il ne serait pas nommé, et que tout croulerait. Ils se sont rejetés alors dans l’expédient contraire qui serait d’ajourner la nomination du président de la République jusqu'au moment de la dissolution de l'Assemblée elle-même, c’est-à-dire après les lois organiques. Jusque-là, on resterait et exactement comme on est, sans toucher à cette machine qu'on ne peut pas toucher, sans la briser. On m'assure que c’est là ce qui sera proposé ces jours-ci. La réunion de la rue de Poitiers s'y opposera. Mais on croit qu’elle sera battue, toutes les autres portions de l'Assemblée, y compris les Montagnards, désirant éviter une crise dont elles ne se promettent rien de bon pour elles-mêmes. C’est un gouvernement de plus en plus convaincu qu'il ne peut pas vivre, et décidé à ne pas remuer pour ne pas mourir. En définitive, il n'en mourra pas moins. Mais cela peut durer encore quelque temps.
Les Italiens affluent ici, en colère croissante contre la France et la République. Cavaignac ne sait pas la valeur des moindres paroles en Affaires étrangères. Il a, lui-même tout récemment encore, donné aux gens de Milan, aux gens de Venise, aux gens de Sicile, des espérances qui sont tombées le lendemain après une séance du Conseil. On les renvoie à Londres, en disant : " Nous ferons comme Londres. " Et Londres ne dit rien du tout. Le Roi de Naples n'attaquera, pas Palerme. Il prendra, ou se conciliera successivement toutes les autres villes, laissant Palerme vivre comme elle pourra dans son anarchie. Le temps est pour lui. A Rome on augure très mal du Cabinet Rossi. On dit que le Pape l’usera et le laissera tomber comme les autres. Et s’il veut résister plus réellement que les autres, les Républicains demain le feront tomber. Les fantaisies républicaines sont en progrès dans tous les coins. L'avocat Guerazzi reste le maître à Livourne et se promet de devenir le président de la République Toscane. Le cabinet du grand Duc va se dissoudre. Son président, le marquis Capponi, capable et honnête, aveugle et impotent, déclare qu’il ne peut plus continuer, par impotence et par honnêteté. La fermentation républicaine gagne Gênes de plus en plus ; à ce point que l’idée y circule de s'annexer à la Lombardie autrichienne. Si l’Autriche doit consentir à accepter Gênes comme ville libre et port franc. L'Empereur d’Autriche protecteur du Hambourg de la Méditerranée. Vous voyez que tout n’est pas près de finir là. Adieu. Adieu.
J’ai trouvé l'adresse de Salvo. Il part cette semaine pour aller passer quinze jours à Paris. Adieu, j'espère que demain matin, je vous saurai bien. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Jeudi 7 Sept 1848
8 heures

Je suis arrivé hier trop tard pour vous écrire. Je ne vous dirai pas grand chose ce matin. Demain à dîner. Visite intéressante et utile. Très bonne disposition. Peu d’espérance et beaucoup de sagesse. Quand je dis peu d’espérance, je veux dire peu d’espérance pour le bon gouvernement de l'avenir. Grand effroi des difficultés, peut-être des impossibilités. Le monde s’en va. Ce qui est aujourd'hui s'en ira certainement. Mais comment fera, pour ne pas, s'en aller aussi ce qui viendra après, quoique ce soit assez de penchant à croire qu’il a été la dernière bonne chance, et que n'ayant pas réussi, rien ne réussira. Un peu moins d’inquiétude sur ses intérêts privés mais se créant à lui-même, sur ce point toutes sortes de questions et d'embarras. Extrêmement préoccupé des chances de guerre. Si elle éclate ce n’est plus seulement le monde qui s’en va c’est le monde qui finit. Guerre générale. Un peu plus tôt, un peu plus tard, l'Angleterre y sera attirée. En résumé, tout son ancien esprit, point d’esprit nouveau. Rien n'entre plus. Assez blessé et je le comprends de cette parfaite similitude, égalité établie, dans le discours de la Reine, entre les rapports actuels des deux pays et les rapports antérieurs. Vous aurez bien vu, en lisant le discours que je ne l’avais pas bien entendu. Encore bien plus blessé de l’article du Times d’hier. Les Princes sont allés au Parlement par égard, pour la Reine qui leur avait envoyé des billets. Cela seul aurait dû les faire traiter eux-mêmes avec plus d'égard.
Très bonnes nouvelles d'Espagne et de Séville en particulier. Attendant la nouvelle de l'accouchement. Le Duc et la Duchesse de Montpensier en très bonne position, même auprès des Progresistas qui les épouseraient, au besoin. Quelque inquiétude, non pas sur, mais pour Narvaez. Il pourrait bien être remplacé par O’Donnell, sans que le pouvoir sortît des mains des modérés. La Reine Christine pourrait bien vouloir cela, pour se raccommoder un peu avec Londres. Penchant à croire qu'elle aurait tort, mais ne s'en inquiétant pas beaucoup. L'important, c'est le pouvoir de la Reine Christine et des moderados, et celui-là n’est pas du tout compromis. Grande satisfaction de la correspondance d'Eisenach. L’attitude y est bonne et en parfaite harmonie avec celle de toute la famille. Mais on dit que la Duchesse d'Orléans a maigri. J'ai vu les trois Princes qui revenaient de la chasse. On leur a donné la chasse de l'Avemont. Grand soulagement à l'ennui.
J’ai rencontré en revenant la Reine douairière qui y allait. Et j'y rencontre toujours Lady Cowley, et Georgina. Nous sommes revenus d'Esher ensemble. Le reste à la conversation de demain.
En fait d’intérêts privés, je vous donnerai des nouvelles du procès qui vous touche. Je crois qu’il y a bien des chances d’arrangement. Je vous dirai ce que vous auriez à dire pour y aider. J’attends votre lettre à 9 heures. Mais je ferme celle-ci pour qu’elle parte tout de suite et que vous l'ayez dans la journée. Si quelque chose m’arrive, je vous écrirai ce soir. En tout cas, à demain dîner. Adieu Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie. Vendredi 19 Sept. 1851

J'ai vos lettres ici trois heures plutôt qu’au Val Richer, presque en me levant. C'est très agréable. Vous n'aurez rien à faire, car il n'y aura pas de coup d'Etat. C'est l’impression qu'il est impossible de ne pas avoir en province. Le pays n'est pas du tout agité et assez peu effrayé ; il se croit sûr de se tirer d'affaire c’est-à-dire de battre les rouges et de maintenir l'ordre par les voies régulières. Et comme, il ne demande pas davantage, il ne comprendra pas qu'on fasse un coup d'Etat inutile pour avoir cela, et bon uniquement pour avoir autre chose, dont on ne se soucie pas du tout. Est-ce là du bon sens ou une folle imprévoyance ? Nous verrons. En attendant soyez sûre que hors de Paris, personne ne pense à un coup d'état, et que, s’il arrive ce sera un coup de tonnerre que personne ne comprendra et dont tout le monde aura peur.
Mauvais moment pour se marier. Il faut que le président attende Juin 1852, comme mes marchands de Lisieux pour faire leurs grandes commandes de toile et vous pour changer vos tapis. Selon moi, même après 1852, le Président aurait tort de se marier ; il en sera plus embarrassé qu'affermi. Garçon, tous les avenirs lui sont possibles ; marié, il n'en a plus qu’un ; il faut qu’il fonde une dynastie. Et bien des choses qu'on lui passe encore pas tout à fait, garçon, on ne les lui passera plus du tout, marié.
Je trouve comme vous, l'article de l'Assemblée nationale excellent, et très à propos. Tous les jours, j'ai plus de peine à me persuader que cette candidature aille jusqu'au bout. Une seule cause peut la maintenir ; les inventeurs y sont à présent fort compromis ; la retraite leur est difficile ; et le Prince dont iIs font leur instrument n’est guère en état de résister aux inventeurs, et de leur dire décidément un jour non.
J'ai des nouvelles indirectes, mais sûres de Claremont. On n'y est pas, ou du moins on n’y veut pas paraître d'aussi mauvaise humeur contre moi que le dit l’Indépendance belge. On parle très convenablement, même à des gens qui me sont tout-à-fait étrangers.
Avez-vous quelques notions un peu précises sur la teneur de la pièce adressée par la France et l'Angleterre aux Etats Unis à propos de Cuba ? Il se pourrait bien qu’elle fût à Washington, plus nuisible qu'utile. Cette démocratie est plus susceptible que les plus grands despotes, et beaucoup plus inconsidérée. Adieu.

Je me suis promené hier à propos. Tous les jours, j'ai plus de deux heures en calèche dans la forêt entendant de loin la chasse, et en attendant le résultat. Les chasseurs sont rentrés à 4 heures. Le temps est encore assez beau, quoique penchant vers le ciel d’automne.
En revenant de la forêt, j'ai passé une heure dans le Cabinet du Duc de Broglie qui n’était pas venu avec nous, étant très enrhumée. Bonne conversation. Il est très sensé, très décidé dans la bonne voie du moment et n'excluant point les bonnes voies d'avenir mais toujours très frappé de la profonde antipathie du pays pour les légitimistes : " La Reine Victoria est très populaire, très aimée, très honorée, très puissante. Croyez-vous qu’elle pût régner huit jours en Angleterre si elle était catholique ? " Voilà sa question. J'ai des réponses, mais des réponses à longue échéance. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton Samedi le 11 Nov. 1848
9 heures

Je vous renvoie la lettre du Duc de Noailles. Sensée. Tout ce que vous me dites & tout ce qui revient de là prouve encore de l’incertitude sur la présidence, et Cavaignac m'apparait toujours comme un grand malheur. Mais avec l’autre aussi quelle confusion. C'est égal j'aime mieux l’autre. Votre élection dans le Calvados me trouble horriblement. J'espère encore qu’elle ne se fera pas. Prenez-y de la peine. Mais si le malheur voulait que vous fussiez élu, ne serait-il pas simple de leur écrire que ne pouvant par les servir de la prison vous les priez d’attendre, ou d'en prendre un autre. C'est bien clair que vous ne devez pas aller à Paris, à aucun prix. Dites-moi que c’est votre avis.
Peel m’invite à Drayton, mais évidemment avec peu d'espoir que j’accepte. C'est trop loin, je ne suis pas capable de ces tours de jeunesse. Je n’ai rien à vous dire ce matin. Les journaux anglais ne sont pas là encore, et mes Français vont se promener à Bedford. On prend l’hôtel pour la forme. Adieu. Adieu. et toujours Adieu.
Malgré les conduites et les citernes je trouve les accidents de Claremont un peu équivoques. Savez-vous, ce qu’ils comptent faire, car Richmond ne doit pas être tenable ? Adieu. Adieu.

Lady Holland me dit qu'on adore Cavaignac au foreign office, on est convenu avec lui de certains arrangements dans l'Orient. Contre nous sans doute. Normanby et Jérôme Bonaparte qui étaient amis intimes sont brouillés tout-à-fait depuis le mois de Mai, je vous conterai cela, rappelez le moi. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton le 9 Novembre 1848
7 heures

Voici pour vous divertir. Je me suis promenée. Le temps est charmant. Lady Holland, et Vandermeyer sont venus. Il a de l’esprit mais pas tant que je pensais. Je suis devenue difficile. Vous aurez eu ce soir ma lettre de ce matin avec son incluse. La Duchesse de Glocester vient d’offrir au roi sa maison dans le parc. Les Holland vont lui offrir Holland house. Vraiment ils seront trop mal au Star & Garter, quant à mon appartement on le ferme en hiver, parce qu’il est trop froid. Adieu. Adieu. Bugeaud dit de Cavaignac c'est une vache dans une peau de tigre.
Je vous prie ne citez à personne ce que je vous envoie là. Cela pourrait revenir à mon informateur, et il m'en demande fort le secret. Louis Bonaparte à d'Orsay. 29 octobre. " J’ai appris avec peine que le ministère Anglais avait écrit très défavorablement à mon égard. Il me semble que par ma conduite en Angleterre, et par les sentiments que j'ai manifestés, j’avais droit d’attendre plus de bienveillance. Dites-là où vous êtes que j’espère qu'on reviendra sur mon compte ? D'Orsay ajoute. Je ne crois pas que le gouvernement anglais aurait été si imprudent et s'inquiète. Car malgré qu'il se mêle si infructueusement partout, sa prudence l'empêcherait de n'avoir rien à faire avec le choix d’un président en France, et il serait trop juste pour n’avoir pas oublié que Napoléon a couru le risque de la popularité en se faisant dire spécial constable ici, par respect pour les lois de ce pays, qu'il vénère. (plus loin) mon ami sera le véritable Napoléon de la paix. Il ne compromettra pas l’entente cordiale pour des questions dynastiques & &&
J’ai copié textuellement. Je vous dirai quand je vous verrai à qui la lettre est écrite. J’ai l'original qu'il faut que je renvoie beau français !
Autre bout de lettres dont je ne connais pas l’auteur, mais qui me vient de la même source. " tu me fais sourire quand tu me parles des Orléanistes. Nous ne connaissons ici que la république simple, la rouge, démocratique et sociale. Les Légitimistes (parti formidable). Puis enfin les Bonapartistes. ce qu’il y a de certain c’est qu’en cas des mouvements je crois que la garde nationale resterait chez elle, que la ligue fort jalouse de la mobile ne s'unirait point à elle, et qu’il est presque impossible au milieu de ce chaos d'imaginer quels seraient les assaillis ou les assaillants ! Quant à l’artillerie de la garde nationale elle est d'un rouge effroyable ! Voilà ce que je sais, & je défie bien que de tout ceci on puisse tirer une conclusion quelconque.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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375. Londres. Jeudi 21 mai 1840
10 heures

On est venu m’éveiller cette nuit à 3 heures, pour m’apporter la division de la Chambre des Communes, et j’ai expédié sur le champ un courrier à Calais pour qu’on le sût à Paris par le télégraphe. Non qu’il doive, je crois, en résulter ici aucun evènement. C’est pourtant un gros fait. On me dit que Peel a très bien parlé et O’Connell médiocrement. Il a voulu être modèré. On l’avait fort sermoné à ce sujet. C’est Lord Duncannon qui est son prédicateur. Et O’Connell répond toujours : " you are right ; I won’t do it again." Il a trop bien obéi hier. On prévoyait ce résultat, même à Holland House où j’ai été hier soir au lieu d’aller à la chambre. Devinez qui j’y ai trouvé? Mr Mrs Grote qui y avaient dîné. C’était un coup monté. Peut-être vous en ai-je déjà parlé quand ils ont été partis, j’ai demandé à lady Holland si elle avait un privilège contre les poursuites, for treating and bribery.

2 heures
Je viens de chez Lord Aberdeen. J’aime sa conversation, et je crois qu’il aime la mienne. Il y a beaucoup de shyness dans sa froideur. Et aussi de sadness. Il est préoccupé de cette affaire Napoléon. On commence à l’être ici, beaucoup plus qu’au premier moment & plus que moi. Je suis accoutumé aux apparences, et aux démonstrations bruyantes. Cependant, il est sûr que des embarras viendront de là. Ce qu’il y avait de bien est déjà recueilli ; il faudra subir le mal. Mais je ne crois pas au danger. Pourvu qu’il y ait un pouvoir qui s’en défende. En tout cas, la question est lointaine. Le retour n’est pas possible avant le mois de Novembre.
L’Orient est stationnaire. Je reste toujours sur mon terrain. On n’y vient pas. Mais on n’ose pas avancer sur le sien. Je m’applaudis du parti que j’ai pris de dire dès le premier moment, ce que je devais dire à la fin. Plus j’y pense, plus je suis convaincu que notre politique est la seule sensée. Rallumer la guerre entre les Musulmans, et courir le risque de l’allumer entre les Chrétiens pour la question de savoir si quatre ou seulement deux Pachalih de la Syrie appartiendront au vieillard qui règne à Alexandrie ou à l’enfant qui dort à Constantinople, en vérité c’est bien léger. Et je tiens pour certain qu’ici il n’y a pas trois personnes qui ne soient au fond de mon avis. De celles qui y ont pensé, s’entend. Il n’y en a pas beaucoup.
Les Affaires Etrangères occupent bien peu le public anglais. Je dis beaucoup sur cette question d’Orient ce qui est parfaitement vrai ; la politique que nous soutenons ne nous causera aucun embarras, à l’intérieur, car tout le monde, en France en est d’avis ; aucun embarras à l’extérieur, car le jour où l’on voudra agir sans nous, les embarras seront pour ceux qui entreprendront de faire, et non pour nous qui regarderons faire. L’hypothèse la plus défavorable ne nous met donc pas dans une position redoutable.
M. de Metternich a eu certainement beaucoup d’humeur pour Naples ; et dans son humeur, il s’est montré plus disposé à faire ce que voudrait Lord Palmerston en Orient. Mais sa disposition est vague, comme tout dans l’affaire. Quant au Pacha, il dit que si on le bloque dans Alexandrie, il sautera par dessus le blocus, c’est-à-dire pas dessus le Taurus. Je connais ces petites biographies, les premiers cahiers, le mien compris, qui était très bienveillant, et assez spirituel. Je connais Thiers, aussi ; mais non pas, le Duc de Broglie, ni Berryer, ni Dupin, ni Lamartine, vous serez bien aimable de m’envoyer ceux-là. L’ouvrage m'a paru écrit à bonne intention. Sait-on par qui?
Certainement, je porterai la santé de la Reine, le 25. Je suis en pension chez lady Palmerston. Elle dine samedi chez moi ; moi dimanche chez elle en petit comité, et lundi en full house. Je l’ai beaucoup vue depuis quelque temps et plus je la vois, plus je la trouve aimable. Elle dit qu’à présent je plais beaucoup à M. de Brünnow et qu’il parle de moi tendrement. Adieu.
J’ai le cœur à l’aise depuis hier à votre sujet. Je voudrais que ma grande lettre vous fût arrivée avant la petite. Je ne l’espère pas. Adieu.
Vous devriez vous arranger pour être ici le samedi 13 Juin. Au plus tard le Dimanche 14. Vous ne vous faites pas scrupule, je pense, de voyager le dimanche. Je ne trouve pas qu’on soit aussi austère ici à ce sujet, qu’on me l’avait dit. Le gros Monsieur vient passer quelques jours à Londres et vous en avertira. Ce que vous pourriez lui remettre passera de sa main dans la mienne. Que j’ai de choses à vous dire ! Et que de choses à entendre, que j’aime mille fois mieux !
Adieu, encore ; jamais pour la dernière fois.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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369. Londres, Vendredi 15 mai 1840

Une heure
Votre fils va bien. Brodie devait l’autoriser à sortir en voiture aujourd’hui ou demain. Je saurai avant de fermer ma lettre, si en effet, il est sorti. Il a eu une petite indigestion, uniquement pour avoir trop copieusement dîné. Mais sans aucune suite fâcheuse.
Vous me dites aujourd’hui : " N’essayez pas de voir mon fils, cela le troublerait." C’est ce que j’ai pensé dès le premier jour.
Je ne vous en veux point. Je vous pardonne tout. Je reste surpris et triste. Vous souvenez-vous de ce que disait la petite Princesse men éfonne Dunfultass? J’ai cette folie de vouloir que ce qui est beau soit parfait.

3 heures et demie
Je reviens de Buckingham-Palace. J’avais des lettres à remettre à la Reine. Comme de raison, Lord Palmerston l’a fait attendre un quart d’heure seulement. J’ai été heureux jusqu’ici. Il a toujours été avec moi d’une ponctualité exemplaire. Je ne l’ai pas encore attendu plus de dix minutes. Il y a cinq semaines, je n’avais pas entendu dire un mot des restes de Napoléon. Thiers m’en a parlé le jeudi 7 mai pour la première fois. J’ai vu Lord Palmerston le même jour. Il m’a donné, le samedi 9 l’assentiment du Cabinet, et il a écrit le même jour à Lord Granville. J’ai fait savoir la nouvelle à Thiers, Dimanche 10 par le télégraphe. Il a reçu le lundi 11 mon courrier et communication, par Lord Granville, de la dépêche de Lord Palmerston. Il a présente sa loi le mardi 12 ; et je lui enverrai très probablement ce soir 15 le reglement détaillé du mode d’exécution ; le nom de l’officier anglais qui ira sur notre frégate, porteur des ordres du Cabinet au Gouverneur de St Hélène. Vous avez la chronologie compléte de cette affaire.
J’ai été chargé de l’arranger ici. Je l’ai fait. Je ne suis pas chargé des conséquences. Du reste, nous sommes, je crois, destinés à vivre sous un horizon couvert de gros nuages qui  ne portent pas de tonnerre.
Je n’ai pas éte surpris de ne pas voir mon nom dans le discours de M. de Rémusat, et je le trouve assez convenable. Il ne devait y avoir dans ce discours comme il n’y a en effet, que quatre noms : le Roi, Napoléon, la France et l’Angleterre. Ce que j’admire, sans en être surpris c’est l’art avec lequel les journaux, ministeriels ou de la gauche, ont évité de parler de moi à ce propos. Cela m’arrivera souvent. Même quand on m’aura écrit : " Réussissez dans cette affaire et nous vous en laisserons tout l’honneur."
Moi aussi, je suis préoccupé de l’été qui commence et de ce qu’il peut apporter dans ma destinée. Mais ma situation est claire pour moi et ma résolution arrêtée. Je suis donc préoccupé sans agitation. Un homme d’assez d’esprit m’écrit : " On connait ici tout l’avantage de votre position, on l’admire et on l’envie. Vos amis sont peut-être ceux qui s’en arrangent le moins. Ils trouveraient assez bon que quelque cause de mécontentement vous ramenât à Paris afin que vous passiez leur dire ce qu’ils ont à faire. Il n’y a de direction nulle part. Le ministère manque complètement d’assiette. La gauche n’en sait pas encore assez long pour se conduire sagement ; et la droite paye en détail pour ses lachetés précédentes. Restez bien longtemps le plus loin possible de ces misères et gardez le moins de pitié possible pour les détresses de l’amitié.
Qu’en dites-vous ? Pourtant je me méfie de ce conseil, car c’est mon penchant. Je ne veux pas devancer d’une minute la nécessité ; mais je ne veux pas lui manquer.

5 heures
Votre fils n’est pas sorti à cause de la pluie, et aussi par prudence. Il ne sortira probablement pas avant Lundi. Mais il va de mieux en mieux. Je ne doute pas qu’il ne préfère aller à Paris, et ne vous engage à l’y attendre. Adieu. Je vous ai écrit hier à Boulogne et à Douvres, poste restante. Adieu. Adieu
Réposez-vous.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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364. Londres, Dimanche 10 mai 1840
4 heures

Je m’attendais à toute votre inquiétude. Les nouvelles de chaque jour vous auront rassurée. Celles de ce matin sont très bonnes. Je vous ai dit exactement tout ce que j’ai su. Si j’avais trouvé qu’il y ait lieu de vous dire positivement : Venez, je vous l’aurais dit sans hésiter. Je saurai demain matin, quels sont les projets de votre fils, s’il compte toujours aller vous retrouver, quand. Vous le savez probablement déjà. Il est chez M. Gale, 2 Berkeley Square.
Les accidents de la semaine ne tournent pas mal. Mon petit Banneville est presque sur pied. Je viens de Blackheath. J’ai mieux aimé aller regarder moi-même. Vous ne pouvez pas être là. Il n’y a qu’un hôtel the Green-man, trop petit et pas convenable pour vous. Le Park-hotel de Norwood est infiniment mieux. Il m’a paru vraiment bien et très agréablement situé. Si les Sutherland vous reçoivent chez eux le 1er juin, vous viendrez si peu de jours auparavant que la distance de Norwvood importe assez peu. Et s’ils ne vous reçoivent pas, vous viendrez à Londres.
Je viens de conclure en trois jours une petite négociation qui fera grand bruit. J’ai redemandé les restes de Napoléon et on nous les rend. Ils seront déposés aux Invalides. Il y a plaisir à faire des Affaires avec Lord Palmerston quand il est de votre avis. Il les mène simplement et rondement. Ne parlez de ceci que quand on en parlera. Probablement on en parle déjà. Mais en tout cas, je désire que la publicité ne vienne pas de vous. On m’a promis de Paris une immense poputarité si je réussissais. Encore une fois, attendez qu’on en parle. Je ne sais pourquoi je vous répète cela.
J’ai dîné hier chez Sir Robert Peel, un dîner de Royal academy. Il y en avait un aussi chez Lord Lansdowne où j’aurais dû être aussi. Mais Peel avait eu la priorité. Je ne dînerai point chez les Philips. Je commence à supprimer quelques ennuis. Je me suis promené dans le parc de Greenwich. Je voulais retourner à Richmond. Mais  je n’ai pas eu le temps.

Lundi 3 heures
Voici les renseignements les plus exacts et les plus complets. Alexandre continue d’aller bien. Chez lui, on dit et il dit lui-même, ce matin, qu’il partira dans huit jours pour Paris. J’ai envoyé Herbet, chez Brodie. Il l’a vu et à causé avec lui. Brodie trouve Alexandre bien, si bien a-t-il dit, qu’il n’ira pas le voir aujourd’hui. Mais à cette question d’Herbet: " Croyez-vous que le Prince Alexandre puisse partir dans huit jours ? " Brodie a répondu positivement; " He cannot. - Et dans quinze jours? Brodie a dit que c’était probable ; mais qu’en homme sensé, il ne voulait pas en répondre. Vous savez à présent le véritable état des choses. Il n’y a absolument aucun danger ; mais il faut du temps. Je n’ajoute rien. Décidez.
Je viens d’un grand meeting que devait présider Lord John Russel et où il a été remplacé pas Sir George Grey. Il a fallu comme de raison, y prendre la parole to second a motion. Il me semble que m’a popularité ne faiblit pas. J’ai reçu pour ce mois-ci quinze ou vingt invitations, à des meetings semblables. J’ai choisi les deux les plus considérables. Je n’irai qu’à ceux là.
J’irai peut-être dans deux heures à la Chambre des Lords où le Chancelier doit proposer un bill sur lequel parlera Lord Lyndhurst. On dit qu’on attend Lord Brougham le 23.
Votre "il ne peut pas" serait donc faux. No news. Si ce n’est que Palmella s’oppose à la demande Anglaise à Lisbonne. Mais on dit que ce pourrait bien être pour renverser le Cabinet portugais, et prendre sa place. Adieu.
J’approuve les changement à la lettre. Que j’ai de choses à vous dire ! Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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127 Val Richer, Vendredi 28 Juillet 1854

Je lisais tout à l'heure dans le Moniteur la déception des arrangements de la place Louis XV qui seront terminés dans quelques jours. Cela m'a serré le cœur. Je suis décidé à ne les trouver bons que quand vous en jouirez.
Lord Aberdeen a eu ses subsides de guerre sans difficulté. Avez-vous remarqué, il y a quelques jours l’éloge qu’ont fait de lui Hume et Bright ? Il a les suffrages des radicaux pacifiques, et qui, joint aux dévots pacifiques qui l’aiment aussi, lui fait une force réelle malgré son impopularité parmi les belliqueux. Curieux spectacle à observer que celui de la décomposition et de la composition de partis en Angleterre. Il sortira de là un gouvernement meilleur, plus juste, plus éclairé et plus doux à l’intérieur, moins. intelligent, moins sûr, moins fort et moins grand à l'extérieur.
La discours de Lord John contient obscurément tout ce que vous a dit Morny sur les bases de négociation convenues entre la France et l'Angleterre. Vous en passerez par là, ou l'Europe sera radicalement bouleversée.
Le difficile, dans ce plan, c'est la station fortifiée à trouver dans la Mer noire pour que des forces Anglo-françaises s’y établissent en sûreté, et surveillent de là vos forces à vous, quoique réduites. Grande nouveauté qu’un établissement de ce genre commun, à deux nations, dans l'hypothèse d’une alliance perpétuelle. La paix perpétuelle de l'abbé de St Pierre n'était pas plus chimérique. Et quelle dépense pour une surveillance permanente, au bout de l'Europe ! C’est une rude entreprise de lutter contre la Géographie.
Qu’est-ce que le général Butturtine qui a été blessé à Giurgiu. J’ai comme autrefois. un jeune comte Boutourlin qui m’avait l’air d’un homme d’assez d’esprit.

Midi.
Mon facteur arrive tard, pendant que je déjeune. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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126 Val Richer, Jeudi 27 Juillet 1854

Plus de grosse chaleur. Nous avons échappé hier à un violent orage qui est allé éclater ailleurs. Aujourd’hui, il fait frais. Je voudrais vous mesurer à votre goût le soleil et la pluie. Au moins le bien être matériel, à défaut des grandes satisfactions. Je veux croire que le découragement et la désaffection ne pénétreront pas chez-vous, quoique vous en ayez donné de grands exemples ; mais votre Empereur, finira par comprendre, le mal qu’il se fait à lui-même, et par accepter quelque arrangement que l’Autriche et la Prusse seront toujours là pour proposer. Plus la guerre durera, plus les conditions de la paix lui seront dures. Il ne divisera pas la France et l’Angleterre. Il ne les ruinera pas. Je compte encore sur son intelligence, et son bon sens pour mettre fin à une situation dont il souffre et dont il souffrira beaucoup plus que personne, dans la puissance Européenne et dans la prospérité intérieure de son peuple ai-je tort ?
J’ai grand peine à croire qu’on soit obligé de se mêler de l’Espagne. Le désordre intérieur sera énorme peut-être la guerre-civile ; mais rien qui affecte l’Europe, même les voisins. Les révolutions Espagnoles ne sont pas contagieuses chez nous. Je doute quelles se propagent en Italie. Je vois qu'une tentative a déjà échoué à Péronne. Je persiste à penser qu’il n’y aura là, qu’une mauvaise monarchie radicale, substituée à une mauvaise monarchie quasi absolutiste.
Je vois par le bulletin d'Havas que c’est aussi le pronostic du gouvernement, et qu’il se prépare à vivre en bons termes avec Espartero. Il n’y aura plus de rivalité Franco-anglaise qui y mette obstacle.
Faites-vous envoyer l’histoire de la Turquie de M. de Lamartine. Ce ne sera certainement qu’une série de coups de théâtre et de décorations d'opéra. Mais comme décorateur, comme Sicari de l’histoire, il a beaucoup de talent. Il vous amusera. Lisez aussi le Charles Quint de M. Mignet. Il le mérite. Mlle de Cerini vient elle à bout de vous lire un peu ?

Midi
Adieu, adieu. Je ne reçois absolument rien ce matin.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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125 Val Richer, Mardi 25 Juillet 1954

Voilà donc l'Empereur, à Biarritz et formant, là aussi, un camp à propos des événements d’Espagne. Les ministres ont fait ce qu’ils ont pu pour empêcher ce voyage. Ils ne sont pas accoutumés à prendre sur eux la responsabilité des résolutions. Mais l'Impératrice a déclaré qu’elle n'irait pas seule à Biarritz, et l'Empereur voulait qu’elle y allât ; il l'a donc accompagnée. Au fait, qu’elle que soit l'arrogance des décisions, avec le télégraphe électrique, ce sera lui qui les prendra toutes. Seulement cela supprime à peu près la discussion préalable, dans l’intérieur du gouvernement aussi bien qu’en dehors.
On est un peu frappé d’un acte de résistance du Conseil municipal de Paris. Le gouvernement n'est pas, pour le moment, très bien avec les Jésuites, et pour les empêcher d'acheter un des grands collèges de Paris, le collège Stanislas qui est à vendre pour cause de mauvaises affaires, il a voulu que la ville de Paris elle-même l'achetât. Il en a fait faire la proposition dans le conseil municipal ; le ministre de l’Instruction publique et le Préfet de la Somme s’y sont vivement employés. La discussion a abouti à 16 boules blanches et 16 boules noires, de sorte que la proposition n’a pas été adoptée. C'est M. Delangle, le premier président de la cour impériale qui a été à la tête de l'opposition. Autre petit fait, moins sérieux. La visite. de l'Empereur au Commodore Grey, devant Calais, n’a pas été sans mésaventures. Le beau steamer La Reine Hortense, sur lequel l'Empereur s'est embarqué, était entré trop avant dans le port et a voulu en sortir trop tôt, avant la marée pleine. Il a fallu une heure et demie d'effort pour y réussir. Puis on n’a pas bien abordé le vaisseau Anglais ; on a eu besoin d’un remorqueur anglais. Puis, le maréchal Vaillant a manqué l'échelle et est tombé à moitié dans l'eau, où il serait tombé tout-à-fait si on ne l’avait ressaisi à temps. Voilà l’histoire qui court le long de la côte.
On dit beaucoup à Paris que les événements de Portugal tourneront au profit de la maison de Bragance. Bragance et Cobourg. M. de Païra est fort dans l’intimité de M. Drouyn de Lhuys.

10 heures
J’ai mes lettres de bonne heure. Je pense avec plaisir au plaisir que vous aurez eu à causer un peu avec Morny. Mais dites-moi que ce beau temps là vous fait du bien ; il est si beau ! On m'écrit de Paris : " On commence à s’inquiéter, dans les régions officielles, du caractère révolutionnaire, et anarchique du bouleversement Espagnol. Les révolutionnaires ici sont en grande jubilation, et annoncent de prochains mouvements en Italie, surtout dans le royaume des deux Siciles. "
Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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123 Val Richer, Dimanche 23 Juillet 1854

Ce que je regrette bien vivement pour vous, malgré la passion Russe, c’est Hélène ; elle vous était très bonne et sa fille très agréable. A part les grandes tristesses de la vie, c’est une tristesse véritable que ces liens de quelques mois, de quelques semaines qui se rompent au moment même où ils devenaient. utiles et doux. Que devient Hélène après Schwalbach ? Retourne-t-elle immédiatement à Pétersbourg. Faites lui, je vous prie, de ma part, un adieu un peu affectueux. Je compte bien la revoir à Paris. Car nous avons beau être tristes, et avec grande raison ; ce qui se passe passera, et si Dieu nous laisse encore en ce monde, nous n’y serons pas toujours séparés.
On m'écrit, que Morny se refuse aux instances de l'Empereur qui veut le faire président du Corps législatif à la place de Billaut. Je doute que si les instances sont sérieuses, la résistance le soit longtemps. Et vraiment l'Empereur aurait raison d'insister Morny conviendrait très bien à ce poste. Il n’est pas lettré et habile écrivain, comme l'était M. de Fontanes ; mais il servirait. avec une certaine mesure d'indépendance, dans l’attitude, et un vernis de dignité, comme faisait M. de Fontanes sous le premier Empereur. Cela aussi est un service qui a son prix. On me dit, en même temps que si Morny refuse décidément, c'est M. Rouher qui remplacera Billaut, et que c’est Morny qui le propose. Il paraît que l’incapacité a été la seule cause du renvoi de Persigny. Son idée fixe n’a pu suffire, plus longtemps à couvrir sa paresse et sa nullité comme ministre de l’Intérieur. Certainement Billaut sera plus actif et plus capable. Il a de la ressource dans l’esprit, et je ne serais pas surpris qu’il menât assez bien et assez rondement l'administration. On dit que l'Empereur commence à s'apercevoir, que même le pouvoir absolu d’une part et le dévouement absolu de l'autre, ne suffisent pas, et que les hommes capables sont nécessaires. Il est très content de Bourqueney ; à ce point que s’il y avait un congrès, ce serait probablement Bourqueney qui y serait son homme. Il proposerait cela aussi à Morny ; mais Morny se dit aussi peu de goût pour le congrès européen que pour la Présidence du Corps législatif.
A Paris, on est content et confiant ; bien disposé pour la paix et prêt à s’arranger. de conditions modérées pour vous, mais convaincu que Londres en voudra de fort dures, et bien décidé à ne pas se séparer de Londres. On jouit du charmant mécompte qu’on a, depuis trois mois, à votre égard : " Nous qui étions persuadés que c’était un colosse, que ses ressources étaient inépuisables et ses armées invincibles ; et tout cela n'était qu’une apparence, à peine de la fumée ! " Ce sont là les propos courants, dans les cafés et au foyer de l'opéra, comme ailleurs. Voilà Espartero en scène en Espagne. Je l’attendais, lui ou Narvaez. L’un exclut l'autre, on plutôt l’un pousse l'autre de l'autre côté. Malgré l'extrême décri de la Reine Isabelle, je doute qu’elle tombe ; la Reine Christine sera encore une fois le bouc émissaire. Espartero, c’est-à-dire le parti progressiste, s'emparera de la Reine Isabelle et gouvernera sous son nom. Puis, un jour Narvaez viendra la délivrer et délivrer l’Espagne d’un autre mauvais gouvernement. Je ne m'attends pas à autre chose qu'à la répétition des vieilles scènes.
J’ai des nouvelles du Prince de Joinville. Purs remerciement pour le Cromwell qu’il a trouvé, en arrivant à Claremont. Remerciements tristes, d’une tristesse digne et abattue.

Midi
Adieu, adieu. J'espère que vous avez aussi. beau et aussi chaud que moi, et que votre rhume est parti. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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108 Val Richer, samedi 1er Juillet 1854

Je vous renvoie, la lettre d’Ellice, intéressante si j'y croyais tout à fait, j'en conclurais que la politique de la paix a fait son temps, que l'Angleterre veut du nouveau, n'importe par quels motifs, et à quel prix, et que nous entrons dans une de ces époques où les gouvernements et les peuples dépensent en enfants prodigues, le capital de force, de richesse et de bonheur qu’ils avaient acquis dans ces jours plus sensés. Cela se peut ; il y a bien des symptômes de cet état. Pourtant je n'y crois pas ; je vois bien des symptômes contraires, et je suis sûr que la France n’est pas du tout dans cette disposition.
// Ne croyez pas que je vous dis ceci par pure malice ; tenez pour certain que, s'il y avait dans ce pays-ci une tribune et si ses affaires du dehors, et du dedans, étaient publiquement discutées, ce qui arrive n’arriverait pas. Le vrai sentiment et intérêt de la France se ferait jours et les amis de la paix en Angleterre trouveraient en France un point d’appui. Je conviens qu’il aurait fallu s'y prendre plutôt, et qu’au point où en sont aujourd’hui les choses la paix ne peut se faire que fort à vos dépens.//
Le Duc de Broglie m'écrit : " Voilà l'affaire d'Orient qui entre dans une phase nouvelle ; il me paraît difficile qu’il n’y ait pas, dans tout cela, un dessous de cartes une certaine entente entre la Prusse et l’Autriche et la partie modérée du Ministère anglais. S'il y avait un homme quelque part, les choses étant posées comme elles sont, la paix telle qu’elle s’en suivrait. Mais je n'y crois pas ; je crois que John Bull poussera sa pointe que nous l’y seconderons un peu à contrecoeur, et que l'Allemagne laissera faire. Les événements décideront. "
J’ai aussi des nouvelles de Ste Aulaire qui me demande quelques renseignements pour ses Mémoires ; très amical : “ De fréquentes lettres de vous, c’est tout ce que je regrette des ambassades hélas, je serais bien indigne à présent de votre correspondance ; mon esprit s'endort et ma main tremble " Il m’écrit au crayon ; il ne peut plus tenir une plume. C'est ce qui m’arrivera un jour. Sa lettre finit par ceci : " Pauvre Princesse de Lieven ! On croit qu’elle a renouvelé son bail de la rue St Florentin. et j'en augurais bien pour son retour vous me ferez plaisir de mettre, mon nom dans une de vos lettres ; je lui suis bien sincèrement attaché. "
Puisque j'en suis sur les souvenirs, vous vous souvenez de M. Sauzet ; il est à Paris et M. Vitet m’écrit : " C'est à tomber à la renverse ; un spectre, un vrai fantôme. Le pauvre homme m’a donné l'explication de sa maigreur extrême ; c’est son énergie qui l’a dévoré. Par malheur, elle ne lui a pris que son embonpoint et lui a laissé sa faconde, à l’entendre, on le reconnaît." Il paraît qu’il y a eu de vifs débats à l'Académie, à propos des prix Monthyon ; les philosophes aux prises avec les dévots ; Cousin et Montalembert se sont querellés vivement. Cousin a été battu. Adieu.
Toujours un temps abominable des torrents de plus depuis trois jours. Si votre Empereur est aussi entêté que mon éternuement, il n’y a guère de chances de paix. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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103 Val Richer, samedi 24 Juin 1854

Voilà les deux escadres réunies dans la Baltique. Feront-elles quelque chose ? Elles ont l’air d'hésiter beaucoup. C'est là, jusqu'ici, le côté faible des opérations de l'alliance. L'effet est le moindre là où la démonstration a eu le plus d'éclat. Je ne voudrais pas être à la place de Napier, s’il ne fait rien.
Est-il vrai que l'Empereur envoie son ministre de la guerre, le Prince Dolgorouki, sur le Danube ? Vous aurez surement remarqué l’article des Débats d’hier Vendredi sur l’Autriche. Certainement, si l’Autriche réussit à jouer le rôle, elle y grandira beaucoup. Je suppose que les révolu tionnaires Italiens ont une violente humeur de cette importance et presque de cette popularité que l’Autriche a prise dans l’Alliance Anglo française. Les obscurs semblants de tentatives et les coups de poignard qu’ils donnent çà et là, indiquent des gens bien irrités. Pourvu que la duchesse de Parme ne finisse pas par être elle-même comprise dans les coups de poignard.
Je n'ai pas la moindre nouvelle de Paris. Sinon que Montalembert part dans trois jours, non plus pour Vichy, mais pour Contrexeville. Personne ne comprend comment finira son affaire ; on poursuit l’enquête, on épluche ce qu’il a imprimé ; on ne trouve rien, et on ne veut pas se résoudre à une ordonnance de non lieu. C'est assez ridicule.

Onze heures
Est-ce que les eaux que vous buvez ne sont pas pour quelque chose dans cette irritation de l’intérieur de la bouche ? Que votre médecin y fasse bien attention. J’ai vu cela pour des eaux sulfureuses en France. Pauvre Mad. Marischkin ! Elle avait mal à la gorge depuis bien longtemps. Je ne sais pourquoi je crois que nous sommes dans une crise, bonne peut-être. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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98 Val Richer. Lundi 19 Juin 1854

Voilà donc le Maréchal Paskévitch hors de combat ; sa vieillesse ne vaut pas celle du Maréchal Radetzky. Que deviendra le traitement de Maréchal que votre Empereur donne à ce dernier, si l’Autriche se déclare contre vous ? Continuerez-vous de le lui donner ? Certainement, il y avait, dans votre patronage sur les officiers Autrichiens et Prussiens, quelque chose de bien régulier et de bien arrogant. Je comprends que l'Empereur d’Autriche saisisse l'occasion d'en finir avec votre Bolection. Il s’agit de savoir si l'occasion est sûre.
Si vous lisiez les Mémoires de Ste Aulaire en 1838 et 1839. Vous y verriez que le Prince de Metternich lui disait toujours à propos des affaires d'Orient : " Garantissez-moi que la France et l'Angleterre resteront unies, et je me mets sur le champ avec elles. " Apparemment il croit aujourd’hui à la solidité de l’union.
Si on vous prend Sébastopol, regarderez-vous la prise de Silistrie comme un dédommagement suffisant ? Evidemment, le rassemblement des troupes Franco-Anglaises à Varna a pour objet d'attaquer Sébastopol ou de vous faire lever le siège de Silistrie. Il est impossible que le mois de juillet n’amène pas là quelque gros événement.
La Reine Marie-Amélie est arrivée à Claremont en assez bon état. Elle a trouvé à Cologne Mad. la Duchesse d'Orléans qui l’attendait avec son fils, et qui l’a accompagnée jusqu'à Ostende. Le Roi Léopold lui a aussi amené ses petits-enfants. Il est vrai que les Aumale voient beaucoup de monde à Twickenham Le monde n'empêche pas le Duc de travailler à son histoire de la maison de Condé. Il a été question dernièrement d'en insérer un fragment, qu’on dit très intéressant, dans la Revue de Deux Mondes, mais la revue n’a pas osé. Je ne trouve pas l’offre à la Reine du passage par la France de bon goût ; on était trop sûr qu’elle ne serait pas acceptée. Il y a des offenses après lesquelles il ne faut pas avoir des prétentions de courtoisie. Du reste je n’ai pas entendu parler de celle-ci.
Je suis de l’avis du Times ; je trouve la conduite de Lord John dans les arrangements ministériels bien pauvre. C'est sans doute pour se faire pardonner qu’il a tonné si fort contre vous dans son élection à la Cité. Tout cela fait une série d'engagements qui rendent la paix de plus en plus difficile. Lord Palmerston avait-il envie de devenir ministre de la guerre, et regardait-il ce pas comme un acheminement vers le premier ?

Midi.
Point de lettre d'Ems et point de nouvelles d'ailleurs. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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89 Paris le 14 Novembre 1853

Certainement tout et au plus noir, & vous ne tenez pas vos promesses. La guerre. générale est inévitable. L’article du Moniteur a paru à tout le monde très provoquant. Il donne un démenti à l’Empe reur Nicolas et l’on s’attend généralement à ce que cela empêche [Kisseleff] d’aller à Fontainebleau. Je ne suis pas de cet avis du tout. Il faut qu'il aille. Il ne doit pas commencer la guerre.
On reste sans nouvelles. Je n'ai pas besoin de vous dire dans quelle agitation je vis. Je vous attends avec impatience, mais vous aurez de la peine à me remettre en équilibre. On est très à la paix à Londres à ce qu’on dit, mais qu’est-ce que cela signifie ?
L'Angleterre a épousé la France et fera sa volonté. Celle-ci a pris un élan belliqueux. Elle eût préférée peut-être la paix, mais la guerre aussi lui convient. Nous avons très bien fait vos affaires, celles de votre Empereur.
Adieu. Adieu, ma dernière lettre donc, à moins d'un gros événement.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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83 Val Richer, Vendredi 2 Juin 1854

Je suis bien aise de savoir Mlle Cerini auprès de vous. Elle me paraît réunir les qualités essentielles aux convenances extérieures. Je souhaite qu'à l'user elle vous plaise, et que cela dure. Mettez du vôtre. Ce qu’elle a est déjà assez difficile à trouver. Ne vous querellez pas avec Constantin. C'est un excellent homme et il a de l'affection pour vous. Que vous importe son plus ou moins d’esprit ? Vous ne vivez pas avec lui. Il se conduira toujours honorablement, et il vous sera toujours dévoué. Ne lui en demandez pas d'avantage. Vous ne lui donneriez pas l'esprit qu’il n’a pas et vous lui ôteriez les bons sentiments qu’il a.
Génie m’écrit que demain samedi ; il vous aura renvoyé votre bail paraphé et signé. J'en suis charmé, non seulement pour votre repos d’esprit, mais pour notre avenir de Paris auquel je crois toujours très décidément, sans entrevoir comment il reviendra. La foi ferme est dans ma nature. J’y ai été souvent trompé, mais pas toujours. J’ai eu quelquefois raison d'espérer contre toute apparence, assez pour ne désespérer jamais.
On me dit qu’entre l’Autriche et la Prusse, indépendamment de l'article addi tionnel qui a été publié et qui spécifie les cas de guerre, il y a un article secret par lequel l’Autriche s’engage à ne rien entre prendre d'effectif, contre vous sans une entente préalable avec la Prusse. Je suis assez porté à y croire. Savez-vous qu’on vient de frapper à la Monnaie de Paris une médaille destinée à consacrer le souvenir de l'alliance Franco- Anglo-Turque ? Sur une face, l'Empereur Napoléon III donnant la main droit à la Reine Victoria, et la gauche, au sultan Abdul Medjid, avec ces mots autour. Catholicisme, Protestantisme, lslamisme, Civilisation ; Dieu les protége - sur l'autre face : - sous le règne de l'Emp. Napoléon III et sous celui de la Reine Victoria, la France et la Grande Bretagne se sont unies pour assurer la paix du monde. Il faut convenir qu'elles n’ont pas pris, vers la paix, le chemin le plus court. On prétend que cette médaille a été distribuée à tous les Évêques Français. Mauvaise plaisanterie. Mais quant à la médaille même, on m’assure qu'elle existe, et qu’on l’a vue. Quand je l'aurai vue, je vous le dirai.
Je suppose que je vous écrirai encore demain à Bruxelles, et puis à Ems. Vous me donnerez vos instructions. Je pense avec plaisir que la Princesse Kotchoubey et sa charmante fille sont encore pour deux ou trois mois avec vous. Remerciez les je vous prie, de ma part, de leur aimable souvenir. Et quand vous quitterez Bruxelles, soyez assez bonne pour dire un mot de moi à M. Barrot. J’ai été touché et point surpris de sa courtoisie. C'est dommage que M. Van Praet n'aille pas aussi à Ems ; vous ne remplacerez pas sa conversation.
Onze heures
Je n’ai rien de vous ce matin. Adieu donc. J'espère bien que vous n'êtes pas malade. Adieu, Adieu. G.
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