Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Royer-Collard, Hippolyte (1802-1850)
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Maintenant que votre voix vient de se faire entendre jusqu'au milieu de nous, et que vous nous avez parlé, non plus comme la première fois en philosophe et en publiciste, mais en citoyen actif, peut à venir combattre comme nous et avec nous, avec l'éloquence de votre parole et l'autorité de vos conseils pour la cause de la civilisation attaquée de toute part [...] Nous avons été heureux d'y retrouver cette élévation de vues, ce beau langage, qui nous semblaient perdus en France depuis plus d'un an. La netteté de votre position et votre courageuse franchise, ressortent avec éclat, à côté des ambages de M. Duchatel, de ses hésitations, de ses déclarations à double sens, & j'ajouterai, de son style inqualifiable. Si vous deviez rester à Londres, et du haut de votre exil volontaire, juger publiquement l'état présent de notre pays, lui expliquer les causes et les résultats de cette situation & enseigner au monde les moyens d'arriver à la solution d'un problème qui semble insoluble, je ne trouverai jamais assez d'approbation, assez d'éloges, assez d'admiration, pour ce noble rôle que vous vous feriez au milieu de cette tristesse des temps. [...]
Je crois, peut-être je me trompe, mais enfin je crois fermement que l'état de la France n'est pas précisément celui que vous supposez. Quelqu'un qui n'a pas vécu depuis un an au milieu de nous, et qui n'a pas vu de près et par lui-même ce qui s'est passé, ne saurait imaginer que le prodigieux changement se sont accomplis en si peu de temps dans ses esprits. Tout ce que vous dites de l'aversion générale pour la République et de l'impossibilité de s'établir en France et de prendre au sérieux ce mode de gouvernement a été vrai pendant les premiers mois qui ont suivi la Révolution de février ; mais il n'en est plsu de même aujourd'hui. Je n'ai, en ce qui me concerne, aucun goût pour la République mais en m'arrêtant avec une impartialité à l'observation sérieuse des faits, je me permettrai de dire que l'immense majorité de la France, (c'est Paris que j'appelle la France, parce que Paris est tout ; le reste se soumet) ne voudrait maintenant accepter aucune autre forme de gouvernement que la République. La Monarchie, il faut le reconnaître, est tombée dans le mépris ; quelle sécurité peut inspirer un gouvernement qui s'écroule devant un banquet qu'on ne peut pas même s'exécuter, qui ne peut compter ni sur la population, ni sur la Garde Nationale dont l'existence est peut-être incompatible avec la sienne, ni sur l'armée qui est travaillée par les fausses doctrines, qui vit nécessairement avec le peuple, & qui, chaque jour, devient de plus en plus, sinon ennemie du moins incertaine et hésitante ? 
Ce n'est point la République qu'on ne redoute maintenant, c'est les Républicains, c'est à dire les faubourgs et une centaine d'hommes.
[...]

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Samedi 21 juillet 1849
Midi.

J'attends aujourd’hui une lettre du Havre. Le Times ce matin dit que vous y êtes arrivé, et que votre réception a été des huées. Cela fait bien de l'honneur à vos compatriotes ! Ma journée a été triste hier comme le temps. Beaucoup de pluie, point de visites de Londres. J’ai vu les Delmas la vieille princesse, & le soir les Beauvale. Là, bonne et longue et intime conversation.
Lady Palmerston avait écrit une lettre très inquiète, elle croyait à une bataille perdue à propos de la motion de Lord Brougham. Je vois ce matin qu’elle a été rejetée par 12 voix. La séance a duré jusqu'à 4 h. du matin. Brougham. Carlisle. Hugtesberg. Minto. Aberdeen Lansdown, Stanley. Voilà les orateurs & dans l’ordre que je dis là. On m'apporte votre lettre du Havre. Merci, mais vous ne dites pas comme le Times. J'aime mieux vous croire vous, que lui. (C’était dans les ships news, Southampton.)
Vous voilà donc établi chez vous ! que Dieu vous protège. Comme nous sommes loin ! Les discours hier sont si longs, qu’il m’est impossible de les lire. J'ai choisi celui d'Aberdeen, j’y trouve des paroles honorables & justes pour le roi, Lord Palmerston et pour vous. Je relève cela, parce que les journaux de Paris ne rendront surement pas les discours dans leur étendue. Onze heures de séance. C'est long !
Mon fils est revenu de Londres de sa tournée. J’irai peut être le voir demain, quoique je ne me soucie pas trop de l'air de Londres. Il est vrai que le choléra est bien près d’ici à Brentford vis-à-vis Ken. Peut-être à Richmond, mais on ne me le dit pas. Je n’ai pas de lettres du continent. Demain rien de nulle part, ce sera very dull. Adieu, sotte lettre. Je bavarderais bien cependant si je vous avais là dans ce fauteuil, si bien placé pour un entretien intime comme je regarde ce fauteuil avec tendresse et tristesse ! Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Dimanche 22 Juillet 1849
Midi

J'ai vu hier Ellice. Il avait assisté à la séance vendredi. Brougham a été long, diffus, ennuyeux, sans effet. Le parti très mécontent de lui & disent qu’il les avait rendus à la Mallet, Aberdeen excellent, et Stanley encore plus, mais celui ci n’a commencé son discours qu’à 3 h. du matin ; les amis avaient sommeil, quelques uns sont partis, c'est ainsi que la minorité a été diminuée. En attendant le chiffre 12 a comblé de joie le ministère. Aberdeen a dit des vérités très dures. En parlant de Palmerston il a dit insanity, de Minto playing antics with [?] & & Je cherche en vain dans le Times ce qu'il a dit de vous. Je l'ai là dans le Chronicle. Ellice m’a dit qu'il a entendu ce passage, grand éloge. Il faut que je le trouve et vous l’envoie. On dit que Minto a été misérable, si misérable qu'on en était honteux pour lui.
Voilà donc le Pape proclamé. Et bien cette expédition tant critiquée et avec quelque raison, a un très beau dénouement. Et Oudinot doit être content. Tous les orateurs à la Chambre haute l'ont comblé de courage. Ce qui viendra après ? Dieu sait.
De Londres je n’ai vu qu’Ellice. Hier Madame Delmas est venue. J’ai été voir Mad. de Metternich. Elle est changée, ses cheveux sont même fort gris, elle est triste, quoique le mari soit très bien ; mais ils ne savent où aller. Ils finissent l’Angleterre, elle est trop chère. Bruxelles, mais c’est bien ennuyeux Je crois presque qu'ils se décident pour Paris au mois d'octobre. Ils essaieront au moins pendant quelques mois. J'ai été le soir chez Beauvale, avec mon Ellice. J’ai joué un peu de piano, et puis un peu Whist. A 10 heures dans mon lit. Voilà ce triste dimanche, sorte d’anticipation du tombeau. Dieu que cela est triste aujourd’hui. Il y a huit jours je vous attendais ! Ah que de bons moments finis ! Je me fais une grande pitié car je suis bien à plaindre.
J'écris aujourd’hui à Albrecht pour quelques arrangements, pas grand chose. Je vous en prie ne vous promener pas seul dans vos bois. J’ai mille terreurs pour vous. Je vous envoie cette lettre aujourd’hui. Vous me direz si elle vous arrive avant celle de Lundi ou en même temps. Dans ce dernier cas je ne ferais qu’une enveloppe pour les deux jours, à l’avenir. Car je vous promets bien une lettre tous les jours. Adieu. Adieu. Toujours ce fauteuil devant moi et vide. Comme c’est plus triste de rester que de partir. Adieu. Adieu mille fois et tendrement adieu.

5 heures dimanche. Flahaut sort de chez moi dans ce moment. Il me dit qu’à Carlton Gardens on est triomphant ; il y avait soirée hier après le dîner pour M. Drouin de Lhuys. Triomphe complet. Lord Palmerston s’était fait interpeller hier à le Chambre des Communes. Il a parlé de tout, de ses vœux pour les Hongrois ! De ses adversaires personnels, il a apellé Lord Aberdeen that antiquated imbecility. Cela vaut les gros mots de Mme de Metternich. J’ajoute ces sottises, pour avoir le prétexte de vous dire encore adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Lundi le 23 Juillet 1849 onze heures

J'attends l'heure de la poste avec une vive impatience. Je commence en attendant ma relation d’hier. J’ai vu Flahaut, Cetto, Kielmansegge. Tous les trois fort occupés et révoltés de la séance de Samedi à la Chambre basse. Lord John Russell faisant amende honorable à la Chambre pour avoir osé qualifier (dans une précédente séance) la révolution de Hongrie, d’insurrection. Palmerston appelant Lord Aberdeen an antiquated imbecility. Voilà les aménités qui se sont dites. Lord Palmerston a eu un complet triomphe comme de coutume, & il lui sera loisible de faire jusqu’au mois de février comme il l’entendra : il était en pleine gloire à son Dieu.
Le soir quelques personnes seulement car Lady Palmerston ne sachant pas si son mari serait encore ministre ce jour- là n’avait prié que quelques intimes. C’est ce qu’elle a dit elle-même à Cetto. Votre ambassadeur a fait la connaissance avec quelques diplomates. On ne trouve pas sa femme jolie. De lui, on dit qu'il est assez bien rappelant un peu M. G. de Beaumont. La princesse Metternich et Mad. de Flahaut ont eu hier une vive dispute à propos de la Hongrie. Mad. de Metternich est sortie de son salon et à dit à Flahaut qu’elle n’y rentrerait pas tant que Mad de [?]. y serait. Des témoins de cela ont été fort amusés & sont venus me raconter la scène. Cela a dû être drôle.
J’ai fait ma promenade en calèche avec Kielmansegge. J’ai été dîner chez Mad. Delmas. Madame de Caraman, Richard Metternich & & de la musique après le dîner. Mad. de Caraman joue du piano avec goût. Richard avec force. Le vieux aveugle grogne et voudrait renverser toute les constitutions du monde. Mad. Delmas occupée de mes yeux, de mon poulet. Enfin pleine de bonne grâce. Bonne femme. Voilà hier, et un ciel couvert l’air doux.

4 heures Lady Alice m’a interrompue et voici votre lettre de Lisieux. Vendredi & Samedi. Merci merci de tous les détails. Je n'ai fait encore que parcourir, je vais lire & relire. Paul Tolstoy m'écrit aussi deux mots pour me parler de vous. Comme il vous aime ! Excellent homme, je vais bien le remercier. Votre lettre, vos lettres vont faire mon seul, mon unique plaisir. Je vous en conjure point d’accidents dans notre correspondance. Dieu sait ce que je ne croirais pas si j’en manquais un seul jour. Adieu. Adieu dearest. Adieu. Il pleut, il fait laid mais j’ai votre lettre. Adieu encore, encore.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond mardi le 24 juillet 1849

Je découpe du Morning Chronicle le passage (très abrégé à ce qu'on m'a dit) du discours de Lord Aberdeen qui s’adresse au roi et à vous. C'est pour le cas où le Galignani ou les journaux français l’auraient ouïe. Voici donc ce mardi dernier jour où nous nous sommes vus. Comme chaque minute de cette journée reste & reste vive dans mon souvenir jusqu’à ce que votre présence l'efface ou l’adoucisse. Votre présence, quand est ce que le ciel me l’accordera !
J’ai été voir hier Mad. de Metternich enragée plus enragée que jamais contre Lord Palmerston ces deux séances de vendredi et Samedi ont produit un grand effet, mauvais, cela a fait éclater la sympathie de la chambre basse pour les Hongrois, et assuré un grand triomphe à lord Palmerston. Une longue approbation de sa politique ; il fera plus que jamais rien que sa volonté. Il n'a jamais été aussi glorifié et ainsi glorieux, à la suite de cette séance il y a des public meetings pour demander au Gouvernement la reconnaissance de la république de Hongrie. Votre ami Milner s'y distingue. J'ai dîné hier chez Beauvale avec Ellice, il affirme que tout le monde est Hongrois au jourd’hui. Le prince de Canino est arrivé. Lord Palmerston l'a reçu. Il recevra certainement Marrini aussi. Demain & Samedi, lord Palmerston a de grandes soirées. On me dit cependant que Londres est à peu près vide. La peur [des] minorités vendredi à la chambre haute était si grande parmi les Ministres que Lord John lui-même a écrit des lettres de menaces à de vieux Pairs Tories pour les engager à retirer leurs proxies. Il annonce sa démission, une révolution, une république. C’est littéralement vrai ce que je vous dis. Lord Buxley, jadis Vansitart, a reçu une lettre de cette nature qui l'a tant épouvanté qu'il a de suite redemandé à Lord Wynfort le proxy qu'il lui avait confié. Je vous entretiens des petits événements anglais, biens petits en comparaison de tout ce qui se passe hors d'Angleterre.
Dieu veuille qu’il ne se passe rien en France. Il me faut la France tranquille, vous tranquille. Lord Normanby écrit qu'à [?] lorsque le Président y est venu on a crié à bas la république, vive l’Empereur et pas de bêtises. " Je trouve cela charmant, je ne demande pas mieux.

Midi. Voici votre lettre de Dimanche. La correspondance va bien. Gardons ce bien précieux le seul qui nous reste. J'envoie ma lettre à la poste de bonne heure, c'est plus sûr. J’aime ce qui est sûr. Adieu. Adieu. Je suis bien aise que vos amis viennent vous voir n'importe d'où. Je voudrais vous savoir entouré. Je ne veux pas que vous vous promeniez seul. J'ai si peur. Adieu. Adieu dearest. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mardi 24 Juillet 1849 8 heures

Je n'ai pas encore reçu le Galignani. Cela m'impatiente. Je voudrais voir ce qu'a dit Lord Aberdeen du Roi, et de moi. Il faudra me faire à la patience. La différence est grande entre habiter Paris ou Londres et ma maison au milieu des bois, à trois lieues même de Lisieux. Tout se fait attendre. Ce n’est pas la place des fantaisies pressées. Une seule chose du reste m'est nécessaire, la régularité des lettres, et j'espère qu’elle ne me manquera pas. L'inquiétude par dessus l’impatience serait insupportable. Le choléra à Brentford me préoccupe et j’éprouve ce qui me déplait le plus, un sentiment combattu. En même temps que je m'inquiète, je voudrais vous rassurer. Je cherche les raisons qui vous conviennent à vous, et je trouve surtout celles qui ne me conviennent point à moi. Après tout voici ce qui me rassure le plus. Ne vous en inquiétez pas. Il y a eu et il y a encore dans ce pays-ci quelques cas de choléra, épars et rares. Quand l'épidémie n’est pas plus intense, elle n'attaque presque jamais que ceux qui commettent vraiment des excès ou des imprudences. J'ai vu depuis trois jours trois médecins, un de Paris, et deux d'ici, qui me l'ont tous affirmé et prouvé par les exemples. Il en est très probablement de même en Angleterre, et à Richmond comme à Lisieux. Je vous répèterai sans cesse ; point d'imprudence et votre promesse.

Le discours de M. de Montalembert vous aura plu, beaucoup d'esprit, de l’esprit de bonne compagnie, et un cœur chaud et sincère. Jules Favre, un sophiste habile, qui excelle à dire des généralités à peu près vraies et à en faire des applications parfaitement fausses. C'est le grand art des révolutionnaires ; moralistes sur la scène coquins dans la coulisse et glissant très adroitement de l’une dans l'autre. Odilon Barrot a été bien ridicule avec ses prétentions, à la fois pompeuses et embarrassées, à la consistance et à la libéralité imperturbable. C’est toujours le même homme. Le repentir même ne le change pas.

Onze heures
Point de lettre. J’ai envie de dire comme vous ; c’est parce que j'ai parlé de la régularité de notre correspondance ! Toute vanterie porte malheur. J'espère que le dimanche est pour quelque chose dans ce retard. J'attendrai demain avec une double, triple impatience. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 25 Juillet 1849
8 heures et demie du soir.

Nous venons de dîner. On fait de la musique dans le salon. Je remonte pour vous écrire. Bertin et Génie arrivent demain de très bonne heure et repartent le soir. Ils me prendront ma journée. C’est une affaire que cette visite de Bertin au Val Richer.
De sa personne, il est sauvage et se refuse aux avances. Il a refusé tout à l'heure d'aller à l’Elysée. A propos d'’Elysée, que dîtes-vous du discours du Président à Ham ? Montalembert n’est qu'un petit garçon en fait de mea culpa. Si cette mode prend. Dieu sait ce que nous entendrons. Mais je crois que le Président gardera la palme. J'ai enfin reçu mon Galignani et je viens de lire la séance des Communes. Je comprends les colères dont vous me parlez. Mais en vérité un parti conservateur, qui se laisse dire tout cela sans ouvrir la bouche, mérite bien qu’on le lui dise. Il était si aisé de concéder ce que la cause des Hongrois à de juste, et de frapper ensuite d’autant plus fort sur ce qu'elle a de révolutionnaire. L’esprit révolutionnaire est un poison qui infecte et déshonore, et perd de nos jours toutes les bonnes causes. Un rebelle (gardez m'en le secret) ; peut quelques fois avoir raison, un Jacobin jamais Tous les rebelles de notre temps deviennent en huit jours des Jacobins, s'ils ne l’étaient pas le premier jour.

Jeudi matin. 7 heures
Mad de Metternich et Madame de Flahaut m'amusent. Faites exprès pour se quereller. Mad de Mett serait battue. Il y a encore de la femme en elle et beaucoup d'enfant gâté. Ni de l'un ni de l'autre dans Mad. de Flah. Un vieux sergent de mauvais caractère, et toujours de mauvaise humeur. Je sais gré à Mad. Delmas de ses soins. Trouvez, je vous prie l'occasion de leur dire un mot de politesse de ma part. Malgré l'horreur de l'aveugle pour les constitutions.
Je ne me promène seul que dans mon jardin. Soyez tranquille ; je serai attentif. Je suis sûr, et tout me le prouve que la disposition générale du pays est bonne pour moi. Mais, dans la meilleure disposition générale, il y a toujours autant de coquins, et de fous qu’il en faut. Je suis décidé à me préserver pour vous et à me réserver pour je ne sais quoi. Mad. Lenormant m'écrit : " Au nom du ciel et au nom de la France, gardez votre situation hors de tout. Réservez-vous. Le duc de Noailles me charge expressément de vous le dire. " Et elle ajoute : " Je ne puis vous dire assez quel ami admirable, dévoué, courageux, s'est montré, pour la mémoire de ma pauvre tante et pour moi, cet excellent duc de Noailles dans la circonstance de mon triste procès. Il vient de nous quitter, et il était hier à Paris faisant son troisième voyage pour m'aider de ses conseils, de ses démarches et de son affection. Il a fait avec moi les visites aux magistrats. Il a voulu que se femme aussi témoignât dans l'affaire, et il y a une lettre d’elle dans le dossier de Chaix d'Estange. Dans ce temps de mollesse et d’indifférence de semblables témoignages de respects, de souvenir, et d’amitié sont bien rares. Il a bien envie de causer avec vous. Ce serait désirable et nécessaire. Comment cela se pourrait-il ? C’est ce que je ne sais guères, ni l’un ni l'autre de vous ne pouvant en ce moment aller l’un chez l'autre. »
Je suis bien décidé, quant à présent. à ne point sortir de chez moi. Onze heures Bertin est arrivé. Puis Salvandy. Voilà la poste. Je n’ai que le temps de fermer ma lettre. Mes hôtes repartent ce soir. Adieu. Adieu. Que j’aime votre lettre ! Bien moins que vous pourtant. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 25 juillet 1849
8 heures

C’est évidemment à cause du Dimanche que je n'ai pas eu de lettre hier. Dans mon impatience, j’avais mal fait mon calcul. La poste n'est pas partie de Londres dimanche.
La petite scène du Havre a bien tourné. De bons juges m’écrivent de Paris : " Tout compté et bien compté, ce n'est point à regretter. Puisqu'il n’y a rien eu de grave autant vaut au risque de quelques embarras et de quelques inquiétudes, que vos éternels adversaires vos ennemis naturels aient fait la faute de provoquer ce qui a houleusement échoué. Il ne faut pas regretter l'éclat qu’ils ont donné à votre rentrée. Votre retour en France est un fait considérable. Il est considérable pour vos amis comme pour vous-même, en raison de votre passé et probablement aussi en raison de vôtre avenir. On l’a compris on le comprend, et l'on n'a pas su dissimuler sa mauvaise humeur. Encore une fois, tant mieux. "
Je n'ai encore lu Aberdeen et Brougham que dans le Journal des Débats. Mais ce que j'ai admiré, c’est Lord Palmerston sur l’Autriche. Quel aplomb, pour parler poliment ! Il a raison, puisqu'on l’écoute sans lui répondre. Il y a des gens qui lorsqu'ils ont fait des sottises en disant leur mea culpa, comme M. de Montalembert. Lord Palmerston se glorifie, en s’indignant qu'on l'ait cru capable de ce qu’il a fait. Vous voyez bien que le Pape rentrera à ses propres conditions. Pas plus à Paris qu'à Vienne, on ne lui demandera de partager sa souveraineté. J'étais bien violemment attaqué il y a dix-huit mois pour avoir écrit à M. Rossi qu’il ne devait ni ne pouvait le faire. Que de peine se donnent, et que de mal se font les hommes avant de revenir à l'idée juste qui leur aurait tout épargné. Adam Smith dit quelque part : " Telle est l’insolence naturelle de l'homme qu'il ne consent à employer les bons moyens qu'après avoir épuisé les mauvais. "
Je reçois toujours beaucoup de visites. Evidemment ; mes amis n’ont pas peur. Comme je ne mettrai pas leur courage à l'épreuve, il aura le temps de s'affermir. J’attends demain Armand Bertin. vous ne me donnez pas assez de détails sur votre santé. Je les demande à moins que vous ne me disiez que, moins vous en parlez mieux vous vous portez. Votre superstition peut seule me faire accepter votre silence.
Le beau temps a disparu. La pluie revient dix fois par jour. Je me promène pourtant. Les bons intervalles ne manquent pas. Je me lève de bonne heure. J’écris ; ma toilette, la prière. Nous déjeunerons à 11 heures. Promenade. Je fais mes affaires de maison et de jardin. Je remonte dans mon cabinet à une heure. J'y reste, sauf les visites. Nous dînons à 7 heures. Je me couche à 10. Quand le flot des visites se sera ralenti, j'aurai assez de temps pour travailler. Je veux faire beaucoup de choses. Adieu jusqu'à la poste.
Je suis bien aise que votre fils soit revenu. N'allez pourtant pas souvent à Londres si le choléra y persiste. Je crois que vous pouvez affranchir vos lettres. Mes filles en reçoivent souvent de leurs amies Boileau qui arrivent très exactement. Je vous le dis sans scrupule, car je suis écrasé de ports de lettres. Si nous apercevons la moindre inexactitude, nous cesserons.

Onze heures
Deux lettres. Le dimanche et le lundi viennent ensemble le Mercredi. Vous avez raison. Deux lettres et une seule enveloppe. Et deux lettres longues, charmantes. Adieu. Adieu. La poste m’apporte je ne sais combien de petites affaires qu’il faut faire tout de suite. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 27 Juillet 1849 6 heures

Ma journée d'hier a été une conversation continue. D’abord avec Salvandy, arrivé à 9 heures et demie, parti à une heure. Puis, avec Bertin et Génie, partis après dîner à 8 heures et demie. Presque toujours dans la maison, à cause de la pluie, vent, orage, grêle. Pourtant quelques intervalles lucides pour se promener en causant. Mon sol est promptement sec.
Salvandy très vieilli. Sa loupe presque doublée. Ses cheveux très longs, pour la couvrir, et très éclaircis, ce qui fait qu’ils la couvrent mal. Toujours en train, mais d’un entrain aussi un peu vieux. Il m'a dit qu’il réimprimait une ancienne brochure de lui, de 1831. Il fait de ses conversations comme de ses brochures. Il est à Paris depuis trois semaines, et y retourne aujourd’hui pour y rester jusqu'aux premiers jours d’août. Après quoi, il revient dans sa terre, à Graveron à 18 lieues de chez moi. Il viendra me voir souvent. A Paris il a vu et il voit tout le monde, excepté Thiers qui ne l'a pas cherché et qu’il n'a pas rencontré. Il raconte Molé, Berryer, Changarnier, le pauvre Bugeaud.
Molé plus animé, plus actif, écrivant plus de billets, faisant plus de visites donnant plus d’aparté que jamais. Président universel et perpétuel, de la réunion du Conseil d'état, de la société pour la propagande, anti-socialiste, de son bureau à l'Assemblée de je ne sais combien de commissions, de tout, excepté de la République. On a fait de lui une caricature très ressemblante, mais où on l'a vieilli de dix ans, avec cette devise : Espoir de notre jeune République.
Il était vendredi dernier à un dîner du Président, faisant les honneurs du salon à MM. S Marc Girardin, Véron, Jules Janin, Janvier & & C'est le dîner où Bertin a refusé d'aller. Le Président, en habit noir cravate blanche, bas de soie, tenue très correcte. M Molé en habit marron, cravate noire, et pantalon gris. Le plus heureux des hommes d’aujourd’hui fort sensé, fort écouté, fort compté, satisfait dans ses prétentions pour lui-même, espérant peu, se contentant de peu, et peu puissant pour le fond des choses. Laissant tomber l'idée de la fusion et s’attachant de plus en plus à la combinaison actuelle n'importe quelle forme nouvelle elle prenne tôt ou tard, car tout le monde croit à une forme nouvelle.
Les voyages du Président préoccupent beaucoup, en espérance ou en crainte. Il est très bien reçu. Il est très vrai qu'on lui crie : Vive l'Empereur et pas de bêtises ! M. Dufaure était un peu troublé à Amiens, et disait : "Je ne croyais pas ce pays-ci tant de goût pour l'autorité. " On se demande ce qui arrivera à Tours, à Angers, à Saumur, à Nantes, surtout à Strasbourg, où il ira ensuite, et qui paraît le principal foyer des espérances impériales. Je suis porté à croire qu’il n’arrivera rien. Tout le monde me paraît s'attendre à un changement et attendre que le voisin prenne l'initiative du mouvement. Point de désir vif, grande défiance du résultat, grande crainte de la responsabilité. Ni fois, ni ambition, ni amour, ni haine. On se trouve mal ; mais on pourrait être plus mal et il faudrait un effort pour être mieux. Et quel mieux ? Un mieux obscur, peut-être pas sûr, qui durerait combien ? Voilà le vrai état des esprits. Le Président ne pousse lui-même à rien. Ceux qui le connaissent le plus le croient ambitieux. Mais personne ne le connait. Il n’a un peu d'abandon. que pour faire sa confession de son passé. Le sang hollandais domine en lui. Il fera comme tout le monde ; il attendra. En attendant ses voyages et ses dîners le ruinent. Il ne peut pas aller. On va redemander de l'argent pour lui. Douze cent mille francs de plus. L'assemblée les donnera. Tristement, car l'état des finances est fort triste. M. Passy tarde à présenter son budget parce qu’il se sent forcé d'avouer, pour 1849, un déficit de 250 millions, & d’en prévoir un de 320 millions pour 1850. On espère ressaisir 90 à 100 millions de l'impôt sur les boissons. Mais comment faire un emprunt pour le reste ? Les habiles sont très perplexes.
La Hongrie n'est pas si populaire à Paris qu'à Londres. Toute l’Europe est impopulaire à Paris les révolutions et les gouvernements. On craint Kessuth et votre Empereur. On croit que c’est l’Autriche qui ne veut pas en finir avec le Piémont afin de tenir en occident une question ouverte qui puisse motiver l’intervention en Italie quand on en aura fini avec la Hongrie.
Il y a eu un temps, déjà ancien de 1789 à 1814, qui était le temps des confiances aveugles. C’est aujourd’hui le temps des méfiances aveugles, suite naturelle de tant de déceptions et de revers. Et la suite naturelle de la méfiance, c'est l'inertie. La France ne demande qu’à se tenir tranquille en Europe. Elle ne se mêlera des affaires de l'Europe qu'à la dernière extrémité, par force et toujours plutôt dans le bon sens, à travers toutes les indécisions et toutes les hypocrisies, comme à Rome. Le gouvernement de Juillet, qui n’a pas su se fonder lui-même, a fondé bien des choses, et on commence à s'en apercevoir. Sa politique extérieure surtout est un fait acquis que tout le monde veut maintenir. Et non seulement on la maintient, mais on en convient et bientôt en s'en vanterai. On m'assure, et je vois bien que comme Ministre des Affaires Etrangères, je suis déjà plus que réhabilité, même auprès des sots. Je vous quitte pour répondre autour Préfet du Havre qui m’a écrit la lettre la plus respectueuse et la plus heureuse que j'aie approuvé sa conduite. Il me dit : " En conformité du désir que vous en avez exprimé, j'ai l’honneur de vous apprendre que les individus qui avaient été arrêtés vendredi dernier ont déjà été relâchés à l'exception de deux que la justice revendique comme habitués de la police correctionnelle, et comme étant d'ailleurs coupables d'avoir joint à leurs cris stupides une tentative d’escroquerie chez un boucher de la rue de Paris. Votre approbation m’a été précieuse et m’a prouvé que j’avais eu raison de ne pas donner à cette ridicule gaminerie les proportions d’une émeute en l’honorant de la présence des baïonnettes citoyennes ou militaires. "

Je reçois beaucoup de lettres, des connus et des inconnus, des fidèles, et des revenants Bourqueney, de qui je n’avais pas entendu parler depuis le 21 février m’écrit avec une tendresse de Marivaux embarrassé : « Dites-vous bien, en recevant cette tardive expression de mon dévouement, que les cœurs les moins pleins ne sont pas ceux dont il n’était encore rien sorti. " Il a voulu dire : " que les cœurs dont il n'était encore rien sorti ne sont pas les moins pleins " Mettez cela à côté de ce billet que m’écrit Aberdeen : " It has been a great satisfaction to me, to see the universal respect and esteem with which you have been regarded in this country. At the same time, it has been to me a cause of sincere regret that I have been so little able to afford you any proofs of m’y cordial friendship during your stay among us. " Je ne le reverrais jamais, je l’aimerai toujours de tout mon cœur.
Merci de m'avoir envoyé le Morning Chronicle J’oublie mon sous Préfet du Havre. Je cause comme si j'étais dans mon fauteuil du Royal Hotel. Pauvre illusion ! Adieu. Adieu. Je vous redirai adieu après la poste. Que de choses j’aurais encore à vous dire.

Onze heures
Voilà votre lettre. Mais mon papier et mon temps sont pleins. Adieu, adieu. à demain. Que l’ancien demain était charmant. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 28 Juillet 1849 8 heures

D’une heure à cinq hier ma maison n'a pas désempli. Orléanistes, quelques légitimistes quelques quasi républicains honteux. Pour moi de la bienveillance, et de la curiosité. En soi, toujours les mêmes dispositions, les mêmes qualités et les mêmes défauts. Du bon sens, de l’honnêteté, même du courage ; tout cela trop petit et trop court. C'est la taille qui leur manque à tous. Ils ne sont pas au niveau de leurs affaires. Ils n'atteignent pas ou il faudrait atteindre pour faire quelque chose. Grandiront-ils assez et assez vite ? Mes arbres ont très bien poussé. Je ne suis pas aussi sûr des hommes que des arbres. Je suis content de la visite d’Armand Bertin. Le Journal restera dans une bonne ligne ; impartialement en dehors du présent, fidèle avec indépendance au passé. Et fidèle à moi avec amitié si j'étais à Paris pouvant causer deux ou trois fois par semaine, il ne s’y dirait pas un mot qui ne me convint. Spécialement sur les Affaires Etrangères. D’ici, il n’y a pas moyen d'y regarder de si près. Pourtant on marchera toujours du bon côté.

Des lettres de Barante, de Philippe de Ségur, de Glicksbierg. Barrante affectueux et triste, voyant toutes choses avec la sagacité un peu stérile d’un esprit juste et d’un cœur abattu. Un grand pays à moins qu’il ne soit réellement destiné à périr, n'est jamais si dépourvu de forces et de remèdes qu’il en a l’air. Il supporte et attend deux choses qui nous sont bien difficiles à nous passagers éphémères sur la scène, sans en avoir le projet formel, évidemment Barante finira par venir à Paris. " J’ai un bien vif regret, me dit-il, que mon lieu de retraite, soit si loin du vôtre. Sans cela, je serais allé tout de suite vous revoir. Si quelque circonstance de famille ou d'affaire m'appelle à Paris, je serai bientôt après au Val Richer On fait ce qu’on prévoit si clairement. Ségur très amical, croyant que ma maison à Paris n'est plus à ma disposition, et voulant. que, si j’y vais, j'aille occuper la sienne. Il n’y reviendra que tard, en hiver. Glücksbing est toujours à Madrid. Il m’écrit qu’il va publier quelque chose sur la réforme douanière et financière de l'Espagne, et finit par cette phrase : " M. Mon dit qu’il va vous écrire pour vous engager à venir passer quelques mois en Espagne. A part les bouffées de jalousie entre lui et le général Narvaez, dont il adviendra ce que Dieu voudra, tout marche admira blement ici. Les nouvelles d’Andalousie sont excellentes, et vous aurez remarqué l'accueil que le duc et la duchesse de Montpensier ont reçu à Gibraltar. "

En avez-vous vu quelque chose dans les journaux Anglais ? Si nous étions ensemble, je vous lirais les lettres, et elles vous amuseraient. Elles ne méritent pas d'être envoyées si loin. Je vous donne ce qu’il y a de mieux. Voulez-vous, je vous prie, faire mettre à la poste cette lettre pour Lord Aberdeen, en y ajoutant son adresse actuelle ? Je ne sais où le prendre. Onze heures Votre lettre m’arrive. Et Hébert en même temps. Pour la journée seulement. J’aime assez qu'on prenne cette habitude de venir me voir sans s’établir chez moi pour plusieurs jours. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond lundi le 30 juillet 1849

Duchâtel m’a tenu longtemps et mon essai de la poste de 4 heures ne peut pas se faire aujourd’hui. Il part le 4. Il s'embarque à Ostende, le lendemain il dîne à Spa chez sa belle-mère. Il ira ensuite à Paris pour peu de jours & de là chez lui dans le midi. Je crois qu'il préfère ne pas débarquer dans un port français. Son arrivée ne fait pas événement et il aura fait d'une pierre deux coups, la France & Paris. On lui écrit pour lui conseiller cela. Il sera à Paris encore avant la dispersion de l'Assemblée. On lui mande que Morny est un vrai personnage et que c’est lui qui pousse à l’Empire. Duchâtel n’y croit pas. Il ne voit d’où viendrait le courage. En même temps je pense, que si on le tentait cela serait accepté par tous, lui, Duchâtel le premier. Morny a écrit à Duchâtel une lettre très vive d'amitié, de vœux de le voir à Paris, à l’Assemblée, disant que des gens comme lui sont nécessaires & &
Il faut que je vous dise qu'ayant été très inquiétée par suite de ce qui s’est passé au Havre le 19. J’avais écrit au duc de Broglie pour lui demander s’il voyait du danger pour vous au Val-Richer, il me répond et me rassure pleinement, me disant que les quelques cris poussés au Havre n’avaient aucune signification aucune portée mais voici comme il finit sa lettre... " Votre bon souvenir m’est d’autant plus précieux que je n’espère point vous revoir ici. Vous avez vu les derniers beaux jours de la France, ni vous, ni nous ne les reverrons plus. " Il n’espère pas me revoir. Cela veut dire poliment que je ferai grand plaisir en ne [?] pas. C’est clair. Je [?] bien ne pas lui faire ce plaisir. Lettres de vendredi et Samedi très intéressantes. Je vois que vos journées sont bien garnies. J’en [suis] bien aise. J’aime qu’on vienne [vous] voir.

Mardi 31. Onze heures
[?] ce que m'écrit mon fils de [?] en date du 20. [Je] vous ai écrit dans le temps que les français mettaient le maintien [de] la constitution comme prix au [retour] du Pape, ils n’auraient rien [?], & que si le Pape avait la faiblesse d’accepter cette condition [?] serait recommencé. D’après tout ce que j'ai su, le [?] Pape retournerait à Rome les mains libres. Lui de sa personne ne retournera qu’après un an à Rome où il serait représenté par une commission, et toutes les commissions le [?] à une sécularisation partielle de l’administration. En attendant le Pape irait probablement résider dans quelque ville des légations. Rayneval qui c’est conduit dans toute cette affaire avec sagesse et habileté succéderait dit-on à Haverest. Si le pays est tranquille et gouvernement fort. "
Voilà un petit rapport très bien fait. Je lis avec plaisir que mon Empereur a écrit au Président pour lui annoncer, je crois la mort de sa petite-fille. Voilà les relations régulières rétablies. Cela ne fera pas à Claremont autant de plaisir qu'à moi.
Hier M. Fould s’est annoncé chez moi, je l'ai reçu. Quelle figure ! Che bruta facia ! Puisque nous sommes voisins, il a cru devoir venir. Il m’a rassurée sur le choléra de Richmond aussi bien que sur celui de Paris. Il arrivait de là. Il dit que c'est bien vide & bien triste. J'ai fait ma promenade en voiture avec lord Chelsea. Le soir j’ai [?] le piquet à Lord Beauvale. Cela ne lui a pas plu du tout. Je suis un mauvais maitre.
J’ai pris un nouveau médecin à Richmond. J'ai horreur de celui qui m’a tant effrayé l’autre jour. M. G. de Mussy reviendra me voir aussi. Adieu. Adieu. Aujourd’hui Mardi, Il y a quinze jours, je vous ai vu encore. Je ne veux pas me laisser aller à vous dire tout ce que je sens, tout ce que je souffre ! Trouvez un mari, je vous en prie. Travaillez- y. Adieu. Adieu dearest adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 2 août 1849
7 heures

J’ai été bien heureux hier tout le jour. Je crois que mes hôtes m'ont trouvé bien gai. Comme notre âme tombe tout entière sous le joug de son impression du moment. Vous savoir un peu tranquille et être moi-même un peu tranquille, sur votre compte, me suffisait. J'étais presque content comme si vous aviez été là. Ce n’est pas vrai.
J’ai sous les yeux une image de l’extrême éparpillement et dispersion des esprits en France. Mes deux hôtes au fond, pensent et veulent tous deux la même chose; ce sont deux hommes du même parti, et deux hommes d’esprits. L’un croit au retour de la Monarchie pure, l'autre croit au succès définitif tant bien que mal de la République. L'avenir est si obscur et si incertain que des yeux qui y cherchent, et y souhaitent la même chose y voient. des choses contraires. Cela fait peur pour notre destinée et pitié pour l’esprit humain. Tous deux sont fort tristes et inquiets, à cause de la bêtise et de la platitude universelles. Un garde national de Paris disait le 25 février 1848, en criant contre les ouvriers, la populace et l’anarchie : " Puisqu'on leur livre tout, qu’ils nous laissent tranquilles. " Le pays livre soit tout volontiers, l’avenir comme le passé, pourvu qu’on le laissât tranquille. Heureusement que le bon Dieu ne se contente pas à si bon marché que les hommes ; et me permet pas qu’ils soient tranquilles à tout prix. Le Cabinet actuel moins près de tomber qu'on ne le croit. Dufaure et Tocqueville, ses vrais chefs, charmés du régime actuel, comme des acteurs d'une ville de province appelés à jouer sur le théâtre de Paris, et décidés à s'y maintenir. Sincèrement attachés à la République et à la Constitution, et se flattant qu'ils y contiendront le Président. Plus ennemis de Thiers que jamais. Tocqueville a dit à M. de Lavergne : " Il faut que M. Guizot entre dans l'Assemblée ; il n’y a que lui qui puisse nous délivrer de M. Thiers. " M. Molé renonce à l'Empire comme il a renoncé à la fusion. Il renonce même à la Présidence à vie ou décennale. Il faut rester dans la Constitution. Mais quand on en viendra à l'élection d'un président, dans trois ans, il faut que le peuple réélise Louis Napoléon malgré la Constitution qui le défend. Le peuple seul est au-dessus de la Constitution, et peut la violer s'il veut. Tout le monde se soumettra alors. C’est avec cette perspective que M. Molé tâche de calmer un peu les amis impatients du président ; et de gagner du temps, sa seule politique au milieu de toutes les impossibilités d’aujourd’hui.
J'ai vu un Belge intelligent, et fort au courant de son pays et de sa cour. Le Roi Léopold assuré et tranquille mais supportant avec humeur, quoique patiemment, le joug de son cabinet actuel, les Barrot et les Dufaure de Bruxelles, qui ne lui épargnent pas les impertinences et les désagréments. Onze heures Votre lettre confirme celle d’hier. Vous n'êtes pas mal, et vous verrez de temps en temps M. Guéneau de Mussy. Adieu Dearest, à demain la conversation. La cloche du déjeuner sonne. Adieu. Adieu. G. Vous vous trompez sur le sentiment qui fait dire au Duc de Broglie ce qu'il vous dit. Peu importe du reste. Adieu encore et toujours.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche, 5 août 1849
4 heures

Voici ce que m’écrit M. Piscatory de retour à Paris avec le Président : " Mon métier de représentant m’a mené à Tours, et ma curiosité m’a poussé jusqu'à Angers. J'ai vu qu’il n’y avait rien à voir, rien à conclure de toute cette curiosité de tous ce cri de toutes couleurs. Le héros de la fête est certainement celui qui avait le plus de bon sens et qui conservait le mieux son sang froid. Quel pays, grand Dieu ? " La majorité a été mise hier à sa première épreuve financière, et le grand Passy n’a rien trouvé de mieux que de l’entraîner à frapper de mort lente, un impôt de plus. J’avais bien envie de faire une charge à fond sur ce pauvre Cabinet. Ce n'était pas difficile. Mais je ne sentais pas clairement ce que la situation y aurait gagné. " Nous nous occupons de préparer la liste des 25 personnes qui doivent veiller sur la Constitution en l'absence de l'Assemblée. Je cours grand risque d'être du nombre avec M. Molé qui se dévoue. M. Thiers n'est pas si patriote. M. de Broglie va à son conseil général. M. Berryer représentera avec six autres, son parti. La part faite au centre gauche sera de cinq. Nous n'aurons rien autre chose à faire que de ne pas profiter de la prorogation. " " La maladie des corps et des esprits est toujours la même. Plus il y a de calme apparent, moins on voit l'issue. Comme l'a dit le Président, nous sommes et nous resterons, dans une rade plus ou moins bonne. Remettre du lest et des mâts n’est pas chose facile. " Vous voyez que cela est d'accord avec ce que je vous écris. On me dit d'ailleurs que l'Assemblée n'aura pas fini avant le 20 les lois qu’elle veut absolument avoir faites avant de se proroger. D'autres m'écrivant qu’elle partira bien certainement le 14, le même jour où les écoliers des collèges de Paris prennent leurs vacances. Je crois plutôt à ceux-ci.
Charles Albert n’avait rien de mieux à faire que de mourir. Je trouve le discours de son fils aux chambres Piémontaises bon, assez digne et sensé. Adieu pour aujourd’hui. J’allais dîner avec vous le Dimanche. Adieu. Adieu. Adieu.
Le Général Trezel m’arrive demain. Je n’ai pas entendu parler de Montebello. C’est drôle. Je ne serais pas bien étonné, si le Moniteur me l'apportait ambassadeur à Vienne. En mission temporaire, comme M. Drouyn de Lhuys.

Lundi matin 6 août. 7 heures
Je craignais de m'être enrhumé hier soir, au serein. Les gens d'un village voisins sont venus à 10 heures du soir, et pour me fêter, faire partir un ballon devant ma porte. Il a bien fallu sortir et rester un peu dehors. Le ballon est peu parti ; les paysans Normands ne sont pas de grands physiciens, mais l’intention était amicale. Je ne me suis pas enrhumé. Le soleil est magnifique ce matin. J'espère qu’il durera. Le temps a tourné hier au froid, et au sec. Que je voudrais vous envoyer, ou plutôt vous apporter, la moitié de mon soleil ; ce serait charmant à Richmond. Je pense que la Princesse Chrasalcovitch aussi aime le soleil. Parlez-lui de moi, je vous prie, et de mon respect reconnaissant. Elle me permet, j’en suis sûr d'employer ce mot à cause de ses soins pour vous. Elle a du cœur, et de l’esprit, et de l’indépendance d’esprit, Que faisait-elle de tout cela à Vienne ?

Onze heures Je suis charmé que M. Guéneau de Mussy vous plaise si vous y tenez, je suis sûr qu’il vous conduira à Paris. Je ne connais personne avec qui vous fussiez plus en sûreté. Trezet vient de m’arriver et la cloche du déjeuner sonne. Adieu. Adieu, dearest. Bonne petite lettre ce matin. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 8 août 1849

J'ai eu hier une longue & bonne lettre de Montebello. A propos de tous les mea culpa exprimés par tous les côtés, il me dit " Thiers a fait le procès du gouvernement provisoire qui est aussi un peu le sien. Si on était logique il faudrait en conclure que celui qui a le moins failli est M. Guizot et se hâter de l’envoyer chercher au Val-Richer, où, tout considéré je suis bien aise de le voir. Il grandit dans sa retraite et son jour viendra. " Il veut vous faire visite. Il veut venir ici aussi. Je le voudrais bien.
J'ai eu aussi une très bonne et affectueuse lettre du grand duc héritier, pleine de respect, de souvenir, & d’amitié. Il m'écrit de Grodus en marche pour Varsovie à la tête de la garde Impériale. La femme de Constantin est accouchée d'un fils. Il en est dans un grand bonheur. Il allait la quitter le 3ème jour pour retourner auprès de l'Empereur à Varsovie. J’ai vu hier lord John Rusell tout rempli du succès de voyage de la Reine. L’enthousiasme est immense. Cela ne peut s’adresser qu'à la durée d'une dynastie, ou à un très grand homme. Il n'y a plus de grands hommes, et une petite fille de mérite très médiocre devient un objet de vénération et d’idolatrie par cela seul que son arrière grand-père, a régné là où elle règne aujourd’hui. Certainement il y a dans cette réflexion de quoi frapper beaucoup aujourd’hui les esprits partout si toutes fois, les esprits du continent sont susceptibles de réflexions sages.
La princesse Crasalcovy à dîner chez moi hier, nous nous sommes fait traîner à nous trois en calèche très découverte jusqu’à 10 heures du soir par le temps le plus beau, le plus chaud du monde. Cette nuit il y a eu de l'orage mais l'air n’en est pas rafraîchi. J’ai fait lire à John Russell la lettre de Montebello qui l'a fort intéressé. Il dit ce que vous me dites. Cela ne peut pas durer comme cela, mais on ne sait comment s'y prendre. Tranquillité assurée pour quelques mois, mais après ? God knows. Tolstoy m'écrit du Havre. Ce pauvre Pogenpohl est en paralysie. Adieu, dearest Adieu. Mille fois.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 8 août 1849 6 heures

J’aime bien le Mercredi. J’espère que la poste arrivera de bonne heure je le lui ai bien recommandé hier. Je vais ce matin déjeuner et faire quelques visites à Lisieux. Il faut que je sois parti à onze heures. Le temps est toujours beau. Nous entrons dans un moment de stagnation. S'il ne survient aucun gros évènement, on ne sera occupé, d’ici au mois d'octobre, que des affaires locales. Pendant la réunion des Conseils généraux, il n’y a plus d'Europe, ni presque de France ; il n’y a que le département, l’arrondissement, les chemins vicinaux, les prisons, les hospices, &etc. Ni la capacité ni le dévouement ne manquent pour ces intérêts-là. Ce pays-ci irait bien si chacun se tenait dans sa sphère, et s'il y avait des hommes naturellement placés et préparés, pour la grande sphère. Dans son état actuel il ressemble à ce que serait le système du monde si toutes les planètes voulaient sortir de leur orbite, et devenir le soleil. Les Phaétons sont notre fléau. Pardonnez-moi mon érudition, astronomique et mythologique. Vous avez habituellement la prétention d'être ignorante. Mais j’ai toujours trouvé quand j’y ai regardé de près ; que vous ne l'étiez pas du tout.

J’ai eu hier la visite des deux anciens députés de l’arrondissement de Caen, Mon. de La Cour et Abel Vautier deux bons conservateurs, très braves gens et fidèles pour moi. Bons types de la bonne moyenne, en fait d’honnêteté et d’esprit. Ils ont toutes leurs anciennes idées, leurs anciens sentiments. Ils regrettent ardemment ce qui n’est plus ; ils ne croient pas à la durée de ce qui est. Et pourtant ils s’arrangent et se résignent comme si ce qui est devait durer toujours. On ne voit pas d'issue et on a grand peur des efforts qu’il faudrait faire et de ce qu’il en couterait pour en trouver une. Je ne les trouble point dans leur disposition. Je prends avec tout le monde, mon attitude de tranquillité parfaite.
Un autre de mes anciens amis dont le nom ne vous est pas inconnu, M. Plichon qui était venu m'attendre au Havre, m'écrit de Paris : « Votre retour a fait une sensation réelle dans le pays ; tout le monde, petits et grands, jeunes et vieux, gens de la veille, du jour et du lendemain, cherche à savoir ce que vous pensez et demande ce que vous ferez. Le sentiment public à votre endroit sera d’autant plus vif que votre attitude sera plus réservée. Moins on connaitra votre pensée sur les hommes et sur les choses plus on dérivera la connaitre ; plus vous vous tairez, plus on attachera de prix à vous entendre parler. Ce sentiment grandira dans le pays à mesure que la situation se développera et ce qui n’aura été d’abord que curiosité deviendra une aspiration réelle et profonde. »
Vous voyez qu’un bon bourgeois des environs de Lille peut être tout à fait de votre avis.

10 h. 3/4
Voilà votre longue lettre. Cela m'est bien dû le mardi. Il faut que je parte pour Lisieux. Je n'ai que le temps de vous dire adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Jeudi 9 août 1849
7 heures

Vous me manquez bien. J’écris mon Discours sur l’histoire de la révolution d'Angleterre. Voici mon idée principale exprimée dans le premier paragraphe : « Je voudrais recueillir les enseignements que la Révolution d’Angleterre a donnés aux hommes. Elle a d’abord détruit, puis relevé et fondé en Angleterre la monarchie constitutionnelle. Elle avait tenté sans succès d'élever en Angleterre. La République sur les ruines de la Monarchie ; et cent ans à peine écoulés ses descendants ont fondé la République en Amérique, sans que la monarchie, par eux vaincue au-delà des mers, cessât de briller, et de prospérer dans ses foyers. La France est entrée à son tour, et l’Europe se précipite aujourd’hui dans les voies que l'Angleterre a ouvertes. Je voudrais dire quelles lois de Dieu et quels efforts des hommes ont donné, en Angleterre à la Monarchie constitutionnelle, et dans l’Amérique Anglaise à la République, le succès que la France et l’Europe poursuivent jusqu'ici vainement ,à travers les épreuves mystérieuses des Révolutions qui grandissent ou égarent pour des siècles l'humanité."
Vous entrevoyez ce qui suit : l'exposé à grands traits des causes qui ont fait que la Monarchie constitutionnelle a réussi en Angleterre, et la République aux Etats-Unis d'Amérique, et que ni l’une ni l’autre ne réussit parmi nous. Cela peut être frappant. Mais je n’ai pas une âme avec qui échanger, sur ceci une idée. Vous n'êtes ni bien savante, ni bien littéraire ; mais vous avez l'esprit juste et exigeant dans le grand, soit qu’il s’agisse d’écrits ou d'actions. Vous voyez tout de suite tout l'horizon, et vous n'y voulez pas un nuage. C'est là ce qui est rare et indispensable. Vous m'êtes indispensable. Heureusement nous nous serons rejoints avant que j'aie terminé et publié mon Discours. Ne montrez, je vous prie, à personne ce premier paragraphe.
Voilà la pluie. Savez-vous pourquoi elle me contrarie le plus ; pour mes allées dont elle entraine le sable. J’aime que mes allées soient bien tenues, et je ne peux pas les faire réparer tous les matins. J’ai passé hier ma matinée à Lisieux à faire des visites, très paisiblement dans les rues et très amicalement dans les maisons. Beaucoup d'accueil bienveillant et pas un mot hostile ; sauf cette phrase que j'aie vue écrite au charbon sur un mur : « Peuple, garde-toi de Guizot ; il revient pour être encore le maître. » Il est en effet question de me nommer au conseil général. Par un singulier hasard le membre du Conseil, pour le canton où est situé le Val Richer est mort quelques jours avant mon arrivée. J'ai dit aux personnes qui sont venues m'en parler, que si j'étais nommé spontanément presque unanimement, j'accepterais ; mais que je ne voulais pas être nommé autrement, ni porté si on n’était pas sûr que je le serais ainsi. Je ne pouvais répondre autrement. Je crois que je ne serai ni nommé, ni porté. En tous cas soyez tranquille ; il n’y aurait pas l’ombre de danger pour moi à Caen pas plus qu'à Lisieux. Les dispositions y sont les mêmes. La Normandie est évidemment la province de France la plus sensée.

10 heures et demie
Certainement il faut que M. Guéneau de Mussy vous ramène. Personne ne le vaudra. Il reviendra en septembre. J’ai une longue lettre de lui, il me parle beaucoup de vous, de votre santé. Je vous dirai ce qu’il me dit. Galant homme de l’esprit et du dévouement. Mad. Lenormant a gagné son procès. Elle reste seule et absolue maîtresse des papiers de Mad. Récamier. Défense à Mad. Colet et à tout autre d'en rien publier. C'est un arrêt moral et qui arrêtera bien de petites infamie. Adieu, adieu, dearest, Adieu donc. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond vendredi 10 août 1849
Onze heure

Flahaut est venu passer quelques jours à Richmond, il est venu me voir hier matin triste aussi sur la France mais beaucoup plus noir qu’il ne faut. Il est ridicule de dire que c'est un pays perdu, une nation pourrie. Une grande nation, un grand pays savent toujours se relever. Il attend Morny en Écosse après la prorogation. Je le verrai sans doute ici puisque l'une des petites Flahaut y reste. Flahaut a fait visite à Claremont. La conversation s’est engagée sur la Hongrie. La Duchesse d’Orléans espérant bien qu’on ferait grâce à un Bathiany à un Caroby, Flahaut espérant bien qu’ils seraient pendus. La duchesse d’Orléans parlant de nationalité, de leurs droits ; Flahaut décidant que ce ne sont que des révolutionnaires et des rebelles. Enfin la conversation s'est échauffée au point que Flahaut a dit : " Pour moi, j'ai une telle horreur de tout ce qui sent une révolution que je demande pardon à Dieu tous les jours de m'être réjoui de la révolution de juillet. " Grand silence que le roi a rompu en disant : " vous savez bien que ce n’est pas moi qui l'ai faite. " La Duchesse d’Orléans parle de rester jusqu’à la fin du mois.
Grand orage hier qui a un peu rafraîchi l'air, ce qui était nécessaire. J’ai manqué John Russell qui était venu me voir. Beauvale comme de coutume, Lady Alice, les Delmas. Pas de nouvelles. Le cholera continue à Londres. Hier 110 morts. On ne me parle pas de celui de Richmond, & je n'interroge pas. Flahaut m’a interrompue ; il croit qu'il se passera quelque chose à Rouen ou au Havre. Va pour quelque chose. Voici votre lettre d’avant hier. Bonne. Restez comme vous êtes à l’écart, tranquille. Cela a très bon air. Profit tout clair. Soyez en sûr. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 10 août 1849
6 heures

J’ai oublié ce matin le vendredi et j’ai fait mettre ma lettre à la poste comme si vous deviez la recevoir Dimanche. Vous aurez deux volumes lundi au lieu d'un. Je reviens de la promenade avec mes hôtes, trois personnes que vous ne connaissez pas et René de Guitaut, le faire de Mad. Bresson. Joli et intelligent jeune homme, qui n’a rien fait pour être replacé, mais qui aurait assez envie de l'être. Il dit que M. Drouyn de Lhuys était très peu bienveillant pour lui, et pour tous mes protégés de prédilection : mais que M. de Tocqueville est beaucoup mieux, et le dit.
Il m'a amusé, et attristé, en me parlant de sa sœur. " Elle a beaucoup gagné, m'a-t-il dit, au moral et au physique, depuis la mort de son mari, Certainement, elle ne se remariera pas. Elle avait accepté le joug de Bresson, qui n’était pas commode. Elle l'aimait. Mais elle n’en acceptera aucun autre. Elle est forte et fière, et jouit beaucoup de son indépendance. " Evidemment le plaisir de la liberté, surpasse dans Mad. Bresson, le regret du bonheur. Bossuet dit quelque part : " Ainsi s’en vont les amitiés de la terre avec les années et les intérêts. " Je reconnais ces vérités communes générales. Je ne les et jamais acceptées, je ne les accepte point comme universelles. Je ne me fais point d'illusions sur le gros de la nature, et de la condition humaine ; mais je crois aux cœurs, comme aux esprits d'élite ; il y a de grandes affections comme de grandes idées, et tout ne se passe pas et ne passe pas pareillement dans toutes les âmes, si je n’avais pas cette confiance et cette expérience là je pourrais cacher, (il le faudrait bien), mon incurable tristesse et mépris de toute personne et de toute chose, mais je vivrais dans un complet isolement intérieur. De toutes les médiocrités, celle des affections est la seule que je ne puisse pas tolérer.
J’ai eu beaucoup de monde toute la matinée ; quatorze gros bonnets d’une petite ville des environs venus en masse, et de Caen le meneur des légitimistes les plus vifs, l’ami intime de Charles de Bourmont, homme d'assez d’esprit et qui a le verbe haut dans le pays. Je suis le même avec tous ; langage très ouvert conduite très réservée ; rien à cacher et rien à faire. L’idée de me nommer au Conseil général court toujours, bien accueillie par la masse de la population repoussée par les gros timides et les rivaux cachés. Anciens rivaux de Paris actifs partout et en toute occasion, quoique affectant une très bonne apparence. Evidemment, ils ne doutent plus que jamais de me revoir sur la scène et feront tout ce qu’ils pourront pour m'en fermer toutes les portes. Je ne me prête point à leurs manœuvres, ni ne m’en défends. Je laisse faire le public et le temps, si je dois revenir, c’est par ces deux forces là seules que je dois et que je puis revenir comme il me convient. Je ne crois pas au Conseil général.

Samedi 7 heures
Voilà M. de Guizard qui m’arrive, l’ami intime de M. de Rémusat. Je sais qu’il voit tous les jours Thiers et sa coterie. Il m'apprendra beaucoup de petites choses. Assez d’esprit et vrai gentleman.

Onze heures Moi aussi, je reçois chaque matin votre lettre avec un plaisir nouveau. Autre chose serait encore plus nouveau et encore mieux. Adieu, Adieu, adieu. Dearest, ever dearest. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond samedi le11 août 1849

J’ai vu longtemps Flahaut hier le matin chez moi, le soir chez Beauvale. Il ne sait rien de nouveau de Paris. Il a des lettres de G. Delessert de Naples. Il avait passé à Rouen quelques jours, grande tranquillité, excellente tenue de l'armée, sa population bienveillante pour elle. Quant au Pape la plus complète indifférence à son égard. A Naples tout va bien.
Lady Palmerston est venue me voir, très radicale et parlant toujours de concessions à faire à l’esprit du temps. Ce rabâchage est ennuyeux. Lord Chelsea était présent, il a ri comme moi. Elle ne m’a rien appris de nouveau. Toujours le même vœu pour la France. Ils attendaient hier Le duc de Lenchtemberg à Londres. Le Roi Louis-Philippe la reine et toute la famille sont venues prendre le thé au Star & Garter hier. J’ai rencontré la duchesse d’Orléans marchant sur la terrasse. Lady Alice est venue dîner avec moi. Elle n’a plus de cuisinier du tout. Pourquoi a-t-on rappelé le général Oudinot ? Est-il trop catholique ? M. de Falloux me plait beaucoup. C'est une vraie acquisition pour le gouvernement. Le Times a aujourd’hui à son sujet un long article fort bien fait ou il démontre. Comment Louis Philippe était à tout jamais privé des services des gens de ce parti, tandis que la République peut les réunir tous. Seulement il range M. de Tocqueville parmi les légitimistes. Ceci n’est pas exact je crois. Comme je regrette que vous ne veniez pas dîner chez moi ! Le pain ici est excellent, le dîner fort bon aussi, vous voyez bien que je ne vous regrette que pour cela. Lady Palmerston me disait hier que le Consul Anglais à Yassy annonce l’entrée de 25 m. hommes de troupes hongroises en Moldavie. On n’y comprend rien, & l’étonnement là est extrême. Cela peut forcer la Porte à faire cause commune avec l'Autriche & la Russie.
Voici votre lettre. Il faut causer pour que je comprenne votre préface, & j'espère bien que nous causerons. L’occasion serait excellente pour dire d’excellentes choses. Adieu. Adieu. Demain le mauvais dimanche. Adieu dearest adieu. J'aime mieux que vous ne soyez pas du Conseil général. Flahaut souhaite le contraire. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mercredi 15 août 1849 6 heures

Je viens de voir lord John, le hasard a fait qu’il me citait un mot un peu radical de Lord Grey l'actuel, je lui dis à cela, que je croyais que lord Palmerston était le seul radical des ministres, qu'au moins on prenait bien du soin pour le classer ainsi et le distinguer des autres. Vous voulez parler du portrait & du discours dans les meetings ? oui. à quoi Lady John observe qu’elle ne croit pas qu’il ait recherché cela. C’est possible, mais il l’a mérité Lord John. I Wonder whether they are flatered by it. Si Lord Palmerston est un homme d'esprit, il devrait ne pas l’être, ce sera la pierre de touche, quant à moi je croirai convenable de lui en faire un compliment de condoléance. Lord John a ri ; bien des petits mots & des petits gestes m'ont prouvé que la chose lui déplairait fort. J’ai eu soin de glisser dans la conversation le mot de position isolée. J’ai voulu vous dire cela tout de suite pour ne pas l'oublier. Hier lord John & les Palmerston ont dîné chez Brunnow avec le duc de Lenchtemberg. Il n’y avait d'Anglais qu’eux. Les Collaredo y étaient mon fils aussi qui ne parait que quand il y a du [?]. Lord John a distingué un nommé Mussard le secrétaire du commandement du Prince avec lequel il a causé & qu'il a trouvé homme d'esprit. Vous ai-je parlé de lui ? Il a vraiment de l’esprit.

Jeudi le 16. Je ne me remets pas et cela m'ennuie. Je fais ce qu'on me dit ; j'ai une très pauvre mine je crois que M. G. de Mussy vient aujourd’hui. Je vois toujours chez moi tout Richmond, je suis sortie aussi le temps était avez beau quoiqu'il soit fort rafraîchi. Lord John en me parlant hier de Rome, me dit qu'on leur demande conseil sur ce qu’il y a à faire là (je suppose qu'il veut dire les Français) et qu'on a répondu d'ici qu’on n’avait aucun conseil à donner. La situation est bien désagréable. Il est évident que la conduite du Pape est insensée. Les français vont-ils soutenir et protéger les cardinaux, ou les combattre ? Ou se retirer de là absolument ? Mauvaise affaire.
Je vous prie ne soyez pas du conseil général. Un journal anglais dit ce matin que vous en êtes. Je ne veux pas le croire.
1 heure. Voici votre lettre. Vitet dit comme le Journal des Débats sur le Havre. Va donc pour la république. What a bore ! Imaginez que les Ellice restent à Brighton, pas de Paris les parents n’en veulent plus. Adieu. Adieu & Adieu dearest.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 15 août 1849 6 heures Je vous envoie des nouvelles d'Irlande Croker y voyage en même temps que la Reine. Il m'écrit de Killarney : " We escaped from Dublin the day the Queen arrived. She vas received with some what less enthusiasm than O Connell used to be. Nothing in Ireland is real. Not the loyalty- not even the distress. We are here Amidst scenes of the most surprising beauty ; but the manners and condition of the people are deplorably savage. And I am more and more satisfied that the blood of the celts is prone to sloth and dirt. So far our harvest look well, a main consideration as to our internal tranquillity, and the potatoe crop is promising, a vital question in Ireland. Your revolution and our reform bill made the stability of government mainly dependant, on harvest. When people become, from any cause, even their own folly discontented with an administration, the agitators, have no other remedy than a change of the constitution. You are sufforing under it. We shall suffer, No country can be governed on these new principles. " Coker a beaucoup d’esprit et de bon sens. Il sait bien qu’elles sont les conditions éternelles de l’ordre dans la société. Il ne croit pas et ne se résigne pas assez aux changements de forme de de mesure de ces conditions quand la société elle-même change.
Tenir à ce qui doit durer en laissant tomber ce qui s'en va et en acceptant ce qui vient, c’est aujourd’hui plus que jamais, la grande difficulté, et le grand secret du gouvernement. C'est dommage que, sachant ce que je sais et pensant ce que je pense aujourd’hui, je ne sois pas jeune et inconnu.
Je vous fais lire mes lettres. Voici M. Cousin, arrivé hier : " Mon cher ami, j’arrive des eaux de Néris, et à peine rentré à la Sorbonne et dans mes tranquilles habitudes, je m'empresse de vous dire combien je suis charmé de votre retour. Puisse-t-il marquer une époque meilleure dans nos affaires ! Unissons-nous tous contre l’ennemi commun. Grace à Dieu, l'union entre nous est bien facile car elle n'a jamais été troublée que par des dissentiments aujourd’hui bien loin de nous. Dans nos démêlés politiques, nous sommes restés bons amis ; il nous est donc bien aisé de redevenir ce que nous n'avons jamais cesse d'être seulement le malheur commun accroîtra notre intimité, si vous le permettez. Quand vous viendrez à Paris, n'oubliez pas l’Hermite de la Sorbonne. En attendant que je vous serre la main, laissez-moi vous offrir cette 4e série de mes ouvrages qui parait en ce moment. "
C’est revenir de bonne grâce. Je ne sais si tout le monde en fera autant. Je ne crois pas. On m'assure que plusieurs en ont bien envie.
Encore une lettre. Piscatory m'écrit. " Je suis décidément une des oies du Capitole, et c’est aujourd’hui que je commence à garder le temple que personne, quoi qu'on en dise, n'a la pensée sérieuse de violer. Je ne crois pas à un changement de Cabinet dans l'absence de l'assemblée ; mais je crois qu’à son retour la majorité sera de mauvaise humeur, et qu’elle pourra bien chercher querelle à Dufaure sur la question, souvent reproduite à la réunion du quai d'Orsay, des fonctionnaires maintenus en dépit de toutes les remontrances. Je ne crois pas à l’efficacité d’un changement de Cabinet, à moins qu'il n’en résulte un ministre des finances capable et ce ministre là, je ne le devine pas. Benoist n’est rien, ou presque rien et Thiers est une grosse entreprise. Aujourd’hui, à titre de membres de la majorité nous défendons l’ordre avec désintéressement, avec abnégation, et sans être en quoi que ce soit responsables des actes du pouvoir. Le jour où Molé, Thiers, et autres seront ministres, les conditions et la composition de la majorité seront différentes. Vous avez lu ce qui s’est passé dans la Commission d'assistance. Tenez pour certain que c’est très sérieux. J’ai le droit de me vanter d'avoir fermé la plaie qu’on s'obstinait à ouvrir et à montrer ; mais la plaie n'en existe pas moins. Une partie des légitimistes et tous les catholiques sont fous. Thiers non plus n’est pas prudent, et je crains bien que dans la question de l’enseignement, nous ne lui voyions faire une nouvelle gambade. Quant au rapport dont il est chargé, s'il y met tout ce qu’il a dit, ce sera certainement très amusant, mais certes point fait pour calmer les esprits. Les caisses de retraite avec dépôt obligatoire, la colonisation, la direction des travaux réservés. (Vous ne comprendrez pas ceci, mais peu importe, je vous ennuierais si je vous expliquais Thiers et Piscatory sur toutes ces questions) tout cela, on a beau dire, est du socialisme. Si parce qu’il faut, à ce qu’on dit, faire quelque chose nous ferons des folies, nous sommes perdus. "
Les Copies valent mieux que les extraits, et n'ont pas besoin de commentaires.
M. Vitet est reparti. Les Lenormant me restent jusqu'à vendredi. J’ai eu hier aussi un ancien député conservateur, inconnu et sensé du même département que le duc de Noailles, et qui devait être nommé avec lui au mois de mai dernier s'ils avaient réussi. Les mêmes faits et les mêmes impressions viennent de toutes parts. Soyez tranquille ; je ne serai pas nommée au Conseil général. Adieu. Adieu. Adieu. Voilà votre lettre des 12 et 13. Adieu. G.

Auteur : Hugo, Charles-Mélanie-Abel Hugo (1826-1871)
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Dimanche 19 août 1849

Monsieur,

Votre nom en France a ému les coeurs généreux et les les esprits indépendants. Vous avez dû recevoir des témoignages d'haute et profonde sympathie. Ils ont fait plus d'honneur encore à ceux qui les ont apportés qu'à celui qui les a reçus.
Je veux être de ceux qui pourront un jour s'honorer d'avoir salué votre retour dans votre patrie. Ce n'est pas ici une adhésion politique ; je ne méconnais pas les distances. C'est une adhésion qui vient du cœur. Je vous ai vu rentrer en France avec joie, avec une joie sincère et je tenais à vous le dire. Je voulais être ainsi de ceux qui n'ont pas attendu pour vous féliciter que la faveur publique vous soit revenue. car les hommes comme vous sont rares dans les siècles et dans les nations, et le pays se sentira bientôt porté vers vous. A votre tour, Monsieur, vous lui ferez passer le détroit. Les électeurs du 13 mai n'ont pas [révisé] votre nom, ils l'ont réservé. Tous ce qui vous illustre appartient plus encore à la France qu'à vous. Si vous l'aimez, elle vous admire. Elle vous est nécessaire comme patrie, vous lui êtes nécessaire comme citoyen.
Recevez, Monsieur, l'assurance de ma haute considération et de mon admiration dévouée.
Charles Hugo

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 22 août 1849
Sept heures

Je n’ai aucune nouvelle à vous envoyer. Vitet, de retour à Paris, m’écrit : " Paris est plus mort que jamais. Il n'y reste absolument personne. La politique est partie pour les Conseils généraux ; je ne crois pas qu’elle y fasse grand bruit. C’est un temps de sommeil. On essaiera quelques petites parodies d’Etats provinciaux ; mais ce seront des bluettes. Il n'y a pour le quart d'heure, de sérieux nulle part. " Il en sera ainsi jusqu'au retour de l’assemblée, c’est-à-dire jusqu'aux premiers jours d'octobre. Alors commencera une crise ministérielle. L’assemblée voudra faire, un ministère plus à son image. Elle y réussira probablement. Mais l'image sera pâle, et aura peur d'elle-même en se regardant. En sorte que l'opposition y gagnera plus que la réaction ; et on entrera, dans une série d’oscillations, et de combinaisons batardes où la République modérée et la Monarchie honteuse s’useront, l’une contre l'autre, sans que ni l’une ni l’autre fasse rien de sérieux. Mon instinct est de plus en plus qu’on se traînera, tout le monde jusqu’au bord du fossé. Sautera- t-on alors, ou tombera-t-on au fond ? Je ne sais vraiment pas. Je regrette que vous ne connaissiez pas M. Vitet. C’est un des esprits les plus justes, les plus fins, les plus agréables et aussi les plus fermés, que nous ayons aujourd'hui. Et tout-à-fait de bonne compagnie, malgré un peu trop d’insouciance et de laisser aller. Voici une nouvelle. J’ai fait vendre à Paris ma voiture, mon coupé bleu. On l’a revu dans les rues. Cela a fait un petit bruit.
Je trouve dans l'Opinion publique, journal légitimiste : " Ce matin à midi et demi, un élégant et massif coupé de ville, bleu de roi, cheminait à petits pas sur la chaussée du boulevard des Capucines. La curiosité nous ayant poussé vers cet équipage que nous avions cru reconnaître, nous nous sommes en effet assurés que c'était bien comme nous l'avions jugé à distance, la voiture de M. Guizot, son écusson y est intact, avec sa devise : Recta omnium brevissima, et le cordon rouge en sautoir autour de l’écu. Pourquoi cette voiture errait-elle autour de l’hôtel qu’elle a hanté si longtemps ? Nous ne savons." Si j’avais été à Paris, j'aurais fait dire dans quelque journal, le lendemain, que ma voiture roulait parce que je l’avais vendue. Vous avez bien raison, l'immobilité et le silence me servent parfaitement.

En fait de folie, je n'en connais point de supérieure à celle de la Chambre des représentants de Turin. Elle ne peut pas faire la guerre ; elle le dit elle-même, et elle ne veut pas faire la paix. Point de dévouement à la lutte et point de résignation à la défaite ; je ne me souviens pas que le monde ait jamais vu cela. Il est probable que la nécessité finira par triompher, même de la folie. Mais il y a là un symptôme bien inquiétant pour l’Autriche, l'impuissance ne guérira point l'Italie de la rage. Le monde est plein aujourd’hui de problèmes insolubles. Insolubles pour nous, qui sommes si impatients dans une vie si courte. Le bon Dieu en trouvera bien la solution.
Vous ne me manquez pas plus que je ne croyais, mais bien, bien autant. Je parle, j'écoute, je cause sans rien dire et sans rien entendre qui mérite que j'ouvre la bouche ou les oreilles. La surface de la vie assez pleine, le fond, tout-à-fait vide. Je suis entouré d'affection, de dévouement, de soins, de respect. Il me manque l’égalité et l’intimité. Et combien il manque encore à notre intimité même quand elle est là ! La vie reste toujours bien imparfaite, quoi qu’elle aie de quoi ne pas l’être. Je m’y soumets mais je ne m'en console pas.

Onze heures
Pas de lettre. Pourquoi ? Et je l’attends plus impatiemment le mercredi que tout autre jour. Il a fait beau. Ce n’est pas la mer. Je suis très contrarié. Je me sers d’un pauvre mot. Adieu. Adieu. Adieu. Ce sera bien long d’ici à demain. Adieu. Guizot.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Dimanche 26 Août 1849.
Val Richer 7 heures et demie

Je n'ai point été nommé au Conseil Général. C'est le voisin que je vous ai indiqué. Malgré ce que j'ai dit on m’a encore donné 300 voix. Ma commune et deux communes voisines n’ont pas voulu aller voter du tout, plutôt que de ne pas voter pour moi. Bien des poltrons ont encore peur de moi. Bien des esprits faibles sont encore incertains. Dans les premiers temps de la révolution, les Républicains de toute nuance, et plus récemment mes anciens adversaires politiques, ont ardemment travaillé contre moi, dans tout le pays. Journaux, petits pamphlets caricatures, lettres particulières, mensonges spécieux ou effrontés, odieux ou stupides, tout a été mis en œuvre et non sans quelque succès dans quelques parties de cette masse qui n’a point d’yeux pour voir, ni de temps pour regarder. Il reste, et il restera longtemps encore des traces de ce travail. Mais évidemment le vent souffle aujourd’hui de mon côté. Le courage revient à mes amis. La faveur des indifférents me revient. On fait de tout côté, honte à ceux qui ont menti ou qui ont cru aux mensonges. Ma présence et mon immobilité plaisent. Je n'ai qu'à continuer, et je continuerai certainement. Je suis sur le flot qui monte. S’il monte assez haut pour me relever, à la bonne heure. Je ne suis point pressé et je ne me contenterai pas à bon marché.
Ce qui me contentera parfaitement dans trois heures, j’espère, c’est votre lettre vos deux lettres. Comment se fait-il que ces irrégularités aient attendu jusqu'à présent pour se produire et qu’elles se renouvèlent à si peu de jours de distance ? Si on lit nos lettres, et si ceux qui les lisent ont un peu d’esprit, ils doivent voir bien clairement deux choses, que nous ne nous gênons pas, et que nous n’avons rien à cacher. Ce n’est vraiment pas la peine de nous causer le très vif déplaisir d’un retard.
J’ai reçu hier un mot de Dalmatie qui m’a annoncé sa visite pour cette semaine. On me dit que M. de Corcelle est très malade, et qu’il pourrait bien mourir à Castellamare. Ce serait une perte pour le Pape dont il a épousé avec passion la cause. On me dit aussi qu’il y aura, un peu plutôt ou un peu plus tard nouvelle explosion en Piémont, au moment où le Roi sera obligé de dissoudre la Chambre actuelle. La Suisse redevient le foyer du volcan, et c’est sur le Piémont que la flamme se dirige. Suisse et Piémont seront envahis s’ils éclatent, et la République Française fera comme les autres, on laissera faire les autres. Si les gouvernements sensés, sont assez sensés, leur chance est bonne. Les fous sont faibles et bêtes. Je crains que la brouillerie qui a éclaté entre Narvaez et Mon ne se raccommode pas cette fois. Ce serait bien dommage. Adieu jusqu'à la poste. Adieu, adieu. Je vais faire ma toilette.

Onze heures
Voilà seulement la lettre de jeudi 23. Je devrais avoir aussi celle d'avant-hier vendredi. Est-ce que les lettres mettraient désormais trois jours à m’arriver ? Je ne puis pas le croire. Il faut qu’il y ait quelque méprise, quelque retard dans l’ajustement de Richmond à Londres, et de Londres à Paris. Vous y prenez surement grand soin, dearest. Pourtant, j'ai bien envie que nous retrouvions notre exactitude accoutumée. Jusqu'ici cela marchait si bien ! Adieu, adieu. Nous verrons si j'aurai deux lettres demain, ou seulement celle de Vendredi. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Mercredi 29 août 1849
8 heures et demie

Je me lève tard. Je suis rentré tard hier. 37 personnes à dîner. On s'est mis à table à 6 heures et demie. Sorti de table à 8 et demie. En voiture à 9 heures un quart. 6 lieues à faire. Par le plus beau temps, et la plus belle lune du monde. J’étais un peu fatigué de m'être tenu trois heures sur mes jambes à me promener dans un assez joli parc montant et descendant, sur le flanc d’un côté. J’ai très bien dormi. Je ne pouvais refuser cette invitation-là. C'est le manufacturier le plus considérable de Lisieux, et qui m'a été le plus hautement fidèle. Je refuse toutes les invitations ordinaires. Il y avait là deux membres de l'Assemblée législative ; modérés parmi les modérés, mais à peu près convaincus que le Cabinet Dufaure ne tiendra pas quand l’Assemblée reviendra. Passy, Lacrosse et Tracy à peu près certainement. Dufaure et Tocqueville probablement. Pour mon compte, je n'y crois pas, et je les en ai plutôt détournés ; du moins pour Dufaure et Tocqueville. Si l’Assemblée avait de quoi les remplacer par un cabinet décidé, et capable qui eût vraiment envie de gouverner, et qui pût, en tenant toujours la majorité unie, la conduire fermement à son but, à la bonne heure. Mais cela n'est pas ; Molé et Thiers, les seuls plus capables veulent et ne veulent pas du pouvoir. Et s'ils le prenaient très probablement la majorité se diviserait au lieu d'avancer. Je suis pour qu’on redoute, et améliore par degrés le Cabinet actuel, sans toucher aux grosses pièces.
La fin de l'affaire de Hongrie tue la politique extérieure. On n'y pense plus. Rome seule embarrasse encore. On voudrait bien en sortir vite, et on n’ose pas trop si on n’y fait pas prévaloir, un peu de politique libérale. On finira par oser et par s’en aller quand même si le Pape ou son monde continue à résister. Le gouvernement actuel n’est pas, en état de pratiquer à Rome le bonne politique. Il ne la sait pas, et s’il la savait, il n’oserait pas l'avouer. Et pour la pratiquer avec succès, la première condition c’est de l'avouer très haut, et d’en faire une politique de l’Europe envers Rome ; politique adaptée, conseillée, soutenue et payée à Rome par les Puissances catholiques. Un Budget du Pape, comme chef de l'Eglise catholique, réglé et alimente de concert par les Puissances catholiques est le seul moyen d'assurer le succès de cette politique. Il faut que le Pape puisse vivre comme chef de l’église catholique, et en soutenir le grand état-major dont il est entouré sans être obligé de pressurer, par tous les abus imaginables, le petit pays dont il est le souverain temporel. Les Papes d’autrefois vivaient avec les revenus très gros qu’ils tiraient par toutes sortes de voies, les unes reconnues, les autres contestées, des états catholiques. Aujourd’hui, ils ne retirent plus rien, ou presque plus rien, du dehors ; et on veut qu’ils restent vraiment Papes, qu'ils gardent, et qu’ils soutiennent tous ces cardinaux, tout ce clergé, tout ce peuple d'ecclésiastiques qui est le cortège et l’armée de la Papauté ; et il faut que les petits états Romains suffisent à tout cela. C'est impossible. Cette fourmilière de prêtres ne peut pas vivre aux dépens de ce coin de terre sans un irrémédiable déluge d'abus. Que la Papauté soit épousée et soutenue par toute le catholicité ; et le Pape pourra laisser la population des états Romains faire elle-même ses affaires locales les discuter et les régler dans les communes dans les Provinces, sans que la souveraineté temporelle et spirituelle du Pape lui-même soit entamée, tant qu’on n’entrera pas ouvertement, et en disant pourquoi, dans cette voie, on s'embourbera de plus en plus dans les embarras et les complications dont on ne sait comment sortir.

Onze heures
J’ai été interrompu par la visite d’un ancien député conservateur, M. Leprevost. On m’arrive quelques fois à 9 heures du matin, quand on a couché la veille à Lisieux. Vous voyez que Rome est une de mes questions favorites. Je croyais avoir trouvé et commencé là quelque chose qui pouvait réussir, et qui valait la peine qu’on le fit réussir. Votre lettre de Dimanche et lundi arrive, et j’ai ma toilette à faire. Adieu. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Jeudi le 6 septembre 1849

Morny est venu hier. Je l'ai fait dîner avec moi et causer beaucoup. Grande affection pour le président, et l'opinion de lui qu'en a tout le monde, sans exagération. Le président ne veut rien hâter. Cela viendra de soi-même. Un changement dans le ministère est inévitable dés le retour de l’Assemblée. Molé & Thiers sont prêts et désirent le pouvoir. Barrot resterait garde des sceaux, Molé aff. étr., Thiers finances ou intérieur. Benoist, je ne me rappelle plus qui encore. Le président aime beaucoup Molé. Celui-ci & du courage beaucoup plus que Thiers, et au fond c’est le président qui n'était pas pressé de prendre celui-ci comme ministre. Grand discours éloge de Falloux, tout-à-fait premier personnage dans l’Intérieur & la confiance de tous. Montalembert aussi. Les légitimistes imbéciles et rendant tout difficile. Berger n’est pas de ce nombre. Broglie très compté & respecté mais pas très pratique. Piscatory faible. On avait tant dit de lui qu’il était cassant, qu'il s'est mis à joué le modéré, il fait cela gauchement avec exagération et on en rit. On rit surtout de la Redorte. L’un et l'autre ayant frisé le ministère se considèrent toujours comme candidats. Excellentes relations avec Kisselef. Grand éloge de celui-ci. Normanby une vacature qui ne quitte pas le président. Tout aussi ridicule que jamais Morny a essayé une explication de la conduite envers vous. Vous avez été mal informé. C'est par égard & amitié pour vous qu’il craignait que vous ne fussiez élu. Et certainement plus le temps coule & plus on voit que vous êtes le premier homme de votre pays. Is not the word this war the meaning.
Les Orléans parfaitement oubliés. Paris tranquille & charmant. Il va en Ecosse & retourne pour la rentrée de l'Assemblée. Je le verrai encore. J'ai eu une longue lettre de d’Impératrice, excellente, de [?], elle a voulu aller à Fall voir le tombeau de mon frère. Elle en revenait encore. Grande joie de nos victoires et elle me dit : " Palmerston va être bien affligé pour ses chers Hongrois, lui qui formait des vœux sincères pour nos défaites. " Cette lettre a été bien ouverte. J'espère que c’est en Angleterre. J'ai déjeuné hier chez la duchesse de Glocester. On serait charmé dans la famille royale que Claremont décampât et allât en Italie. On est fatigué de leur présence. La reine est de cet avis aussi. Cette reine vient de passer deux jours dans une petite chaumière isolée dans les Moors. Personne que son mari, une femme de chambre, un valet de pied & un marmiton & deux [ ?]. Le valet de pieds habillant le prince, les [?], & ramant le couple royal sur le lac. Une hutte composée de deux chambres pour le ménage un autre pour les domestiques pas d'habitation à 40 miles à la ronde. Elle écrit dans des extases de joie. C’est charmant d’être jeune. Voici mon petit billet de Metternich. Assez spirituel. Pas de grande feuille. Vous ne l'aurez jamais. Votre lettre m’arrive. Quelle idée que l’Empereur ait donné son portrait et celui de l’Impératrice à Lamoricière. C’est un conte. Mais Morny me dit qu'on le traite très bien. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 25 septembre 1849

Lord John a été frappé de la lettre de l'Empereur au comte Nesselrode. C’est au Manifeste. Il y a de l’intention dans chaque ligne pas mal d'orgueil. L'avez-vous lu avec attention ? le 26. jeudi Le feuilleton des Débats de Samedi est très remarquable. Des choses très frappantes, seulement la dernière scène n’est pas exacte. Le roi ne gouvernait plus alors ; C'était la princesse de Montpensier Emile Girardin & &. Du reste vraiment c'est un article très curieux & très bien fait. Le roi & la Reine se promenaient hier à pied dans le parc ils viennent en [raiment], mais toujours à l’heure où je suis rentrée, de sorte que je ne les rencontre pas. J’ai vu hier matin Van de Weyer & Flahaut. Celui-ci arrive d'Ecosse. Il restera probablement une quinzaine de jours à Richmond. Sombre sur Paris, sur la France. Renvoyez-moi je vous prie la dernière lettre de Beauvale celle sur vos affaires. Elle m’a tant plus que je veux la garder, tant de good sens. Les Metternich sont décidés pour Bruxelles. Je ne sais si cela plait tout-à-fait au roi Léopold. Je suis bien contrarié de ne plus recevoir vos lettres que tard, je ne puis pas y répondre. J’appends que mon fidèle correspondant que lord Palmerston est bien aigre contre lord Grey & contre lord John à propos de l’affaire de Malte. J’apprends aussi que lord Palmerston est en grande espérance d'une révolution en Grèce, et qu'il s’en mêle. Voilà tous mes commérages pour aujourd’hui. Adieu. Adieu Pauvre lettre Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mercredi 26 septembre 1849

Vous voilà donc écrivant toujours vous fatigant la tête. Pourquoi ? [Vain est] bien la peine de parler raison à des gens qui ne savent pas la comprendre. Dire des vérités mais de quoi cela sert il ? Si non à augmenter le paquet assez gros d’ennemi que vous avez déjà. Moi je vous voudrais tranquille, reprenant tranquillement une douce vie à Paris. Ceci ne vous la rendra pas plus facile qui sait si cela ne vous empêchera pas d'y venir ? Vous aurez fait de la belle. besogne. Dormez. Mangez, pas trop, menez une vie paisible, ne vous tracassez pas. Laissez aller le monde comme il lui plait d’aller. Vous ne le reformerez pas. Il y aurait trop de vanité à croire que vous le pouvez. Les Français sont incorrigibles, vous ne les corrigerez pas. Mais je veux que vous vous portiez bien, et que nous causions tranquillement des misères de ce monde, de ses drôleries aussi, car il est drôle. N'êtes-vous pas un peu philosophe aussi ? On le porte mieux à ce métier. ces deux pages sont le produit de votre lettre. Je parlerai [?] cela bien mieux que je ne puis vous écrire. I do my best.
Jeudi 27 septembre Voici une lettre. Assez curieuse, vous me la renverrez. Flahaut est venu jaser hier. Trois heures de séance, très bonne conversation. Beaucoup de good sense. Deux idées favorites absolues : l’Empire, et l'abolition de la liberté de la presse. Sans elle on ne sortira jamais des Révolutions. De quoi servent des lois restrictives ? On publie journellement des horreurs. Si cela continue, le monde croulera, la société s’entend pour cela je le crois. Flahaut a parlé à lord John un langage bien France sur lord Palmerston. Il est impossible de dire plus & plus fort. Il écoute, il sourit el va à Woburne pour 10 jours. Je le reverrai encore à son retour. Evidement les Metternich tout bien de quitter l'Angleterre. Elle ne se possède plus. Son langage est si violent qu'elle pourrait bien s’attirer des désagréments ici. On peut bien haïr & nuire mais avec plus de convenance M. Guenau de Mussy vient me voir quelques fois. Hélas il est prié par le roi. Il reste attaché à sa maison. 20 m. Francs par an, & les pratiques qu’il pourra se procurer à Londres. Je regrette fort qu’il ne vienne pas à Paris. J'aurais en lui pleine confiance. Imagines que lord John Russell & M. Drouyn de Lhuys ne se connaissaient pas. Ils se sont vus une fois à la chambre des communes. Voilà tout. John a porté sa carte, l’Ambassadeur l'a rendue, & c’est fini. C’est incroyable. Certainement le tort est à l’Ambassadeur. C'est à lui à rechercher le premier ministre. Adieu, car je n’espère pas votre lettre. Je vais me plaindre à lord Clauricarde. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond vendredi le 28 sept. 1849

M Achille Fould est venu me voir, je ne sais trop pourquoi. Sa conversation m’a intéressée. Il a de l'esprit, & il n'y a rien d’exagéré dans ses idées ni son langage. Espérant, désirant autre chose comme tout le monde. En voyant pas trop comment on pourrait s'y prendre pour y arriver. Le parti conservateur mais seulement tant qu'il a peur. Le jour où l’on n’aurait plus peur, chacun voudra tirer de son côté. Croyant aux charmes de Louis Napoléon plutôt qu’à tout autre. croyant aussi que la président pour 10 ans est une question sur la quelle tout le monde pourrait s’entendre. Mais même pour cela il faudrait un homme de courage pour le proposer. Il n’est amoureux ni de M. Dufaure, ni de M. de Falloux. Il dit de celle-ci, un doctrinaire et un jésuite. De l’autre, il travaille pour Cavaignac. Disant beaucoup de bien du prince. Approuvant toutes ses fautes, parce qu’en définitive elles lui profitent toutes. Il a passé deux heures hier avec le Roi. Pas l’idée de rapprochement entre les 2 Bourbons. Au contraire, le roi se plaignant que la branche aîné ne fait rien pour cela et répétant que l’initiative ne saurait être prise par la cadette. Les princes sont en Ecosse à la chasse. Les Nemours ne sont pas revenus d'Allemagne. M. Fould serait fâché que M. Molé entrât, il doit se réserver pour un meilleur moment. Mais il sait qu’il en a envie, quant à Thiers ce ne serait pas une acquisition. On n'a pas confiance en lui, ni aucune considération pour lui.
Il m’a parlé de vous, de ce que dans un an ou deux vous deviez nécessairement vous retrouver l’homme important, le seul. Qu’en attendant il valait bien mieux pour vous et pour cet avenir ne pas faire partie de l'assemblée. On a accusé le parti conservateur de n’avoir pas poussé à votre élection. C'était par amour pour vous. J’ai dit ici. On a repoussé. Et c'est là ce qui a étonné tout le monde. Il a équivoqué des interrogations sur ce que vous allez faire. Rien, il reste tranquille chez lui. Il écrit. Parce qu'il a besoin d'écrire. Une grande honte pour notre pays. Et puis si vous viendriez à Paris. Je ne sais pas, peut être. Il n’est pas prévu. Voilà à peu près tout.
Samedi le 29. Flahaut a été voir le roi hier. Il l'a trouvé bavard, mécontent de tout le monde. N’aimant que l'Angleterre. Et décidé à mourir ici ; même à Claremont, ce qui véritablement n’arrange pas la cour. Mais dit Flahaut "Le roi a raison de penser à lui même." Voilà donc le manifeste du Pape. Que ferez-vous ? 1 heure. Vous avez donc eu mes lettres, me voilà rassurée. Ce que vous me répondez est triste. Pauvre pays. Petits hommes ! Adieu. Adieu. Bien vite. Je suis en retard aujourd’hui, mauvaise nuit, levée tard. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond dimanche 30 septembre 1849

Je sais le fait que Schwarzenberg a enfin répondu à la dépêche de Lord Palmerston sur la Hongrie & que cette réponse est excellente. Je ne l’ai pas lue, j'en saurai peut-être davantage. Lord Aberdeen est très curieux de cela. Il ne cesse de m'écrire à ce sujet. Peel va passer quelques jours chez lui, & il tient à l’endoctriner. Peine perdue je crois. Le Pce Metternich est fort occupé de son départ. Dans 10 jours il s'embarque pour Ostende. Il est en bonne santé. M. de Hübner est ou sera nommé ministre à Paris. C'est le président lui-même qui l’a désiré. Ce Hübner est, dit Metternich un homme très intelligent, et de la bonne école. Mais il n’est ni plus ni moins que le gendre de M. Pilat, rédacteur des Oestereihisher [?] et fils naturel d'un ami de ce même Pilat. Ce n'est pas très aristocratique. Thom passe ministre en Suisse. Je le regretterai beaucoup à Paris. Morny est très occupé d’affaires à Londres. Il ne retourne pas encore à Paris. Ces affaires c'est des affaires d’argent. Je vous ai dit que Lord John est allé à Woburn pour huit. jours. Il y a maintenant près de deux mois qu’il n’a vu lord Palmerston. J’ai lieu de croire qu’ils sont assez froidement ensemble. A propos vous saviez César & Auguste avant Lord John, car il n'en a eu connaissance qu'il y a trois jours. C’est drôle. Je vous envoie un billet de Metternich, spirituel & sévère sur le journal des Débats. Je crois qu'en vous rendant compte de la conversation de M. Achille Fould je n’ai pas assez appuyé sur ce qu'il m’a dit de vous. Personne n’approche de votre talent, & vous êtes le seul homme en France qui ayez du courage. Infailliblement vous vous retrouverez là où vous devez être. Moi je dis que je vous prêche & que je désire [ ?] l'abstention, le repos. Il dit c’est impossible. Il fait beaucoup plus de cas de Molé que de Thiers.
4 heures. Voici Morny qui est venu passer une heure avec moi. Ses nouvelles de Paris sont qu’il peut considérer M. de Falloux comme hors du cabinet. Il le regretterait du reste toujours le même dire. On ne peut rien faire parce qu'on ne peut pas s’entendre sur la chose à faire. Si l'Empire On perd les légitimistes. On les perdrait peut-être même si on demandait la présidence pour 10 ans. Son opinion est qu’on restera comme on est, et que c'est là l'avis de tout le monde. Il m’a parlé très mal de Lamoricière de Drouyn de Lhuys, de tout le paquet qui tient de près ou de loin au paquet Cavaignac, Dufaure. Il croit que l’assemblée fera renvoyer & les préfets objectionnables. Il n’est pas prévu de retourner à Paris. Deux choses : il se dit charmé du Manifeste du pape. Après tout. Il a fait des concessions & il est meilleur juge que la France de la mesure des concessions. Et puis plainte de ce qu'on, nous russes par exemple, nous sommes trop polis pour la république. Nous avons par non rudesses contribué à la chute de la monarchie de juillet. Nous pourrions bien par nos bons procédés contribuer à la durée de la république. On était plus poli même pour Cavaignac que pour Louis Philippe. Morny voudrait que tout le monde se mêlât de décréditer cette forme de gouvernement.
1er octobre lundi. Voici l’étonnante nouvelle de la rupture entre la Russie & la porte ! Si cela est vrai c'est une bien grosse affaire. J’ai peine à y croire. Mais je crois certainement que Palmerston y pousse. Ah quel homme ! Je suis très préoccupée de cette grande nouvelle. Brunnow n’a pas bougé de Brighton depuis 6 semaines. Il ne cesse d'écrire et d’envoyer des courriers, mais il est là tout seul, il n’a pas vu une seule fois Lord Palmerston qu'est-ce qu'il écrit ? J’attends votre dernière lettre du Chateau de Broglie. Voici vos deux lettres, merci merci. Curieuses. Intéressantes. Je n’ai pas le temps d’y répondre il faut que ceci parte. Adieu. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Dimanche le 7 octobre

Metternich ne peut pas croire que cela devienne la guerre. Il croit que la Turquie aura cédé moi, j’ai peur que non, et comme je ne puis concevoir que l'Empereur se rétracte s’il est vrai qu'il a dit, extradition ou guerre, il y aura la guerre. L’incertitude durera encore près de 3 semaines de Pétersbourg doit venir tout. Je n’ai pas vu encore John Russell, il n’est revenu d' Osborne que cette nuit. Je le verrai aujourd’hui. Sa femme est venue chez-moi, très vive. Le Globe est d'une insolence sans égale. Il appelle l'Empereur insane. je ne me fais au fond pas une idée bien claire de toute cette affaire. On la fait bien grosse ici. L’est-elle vraiment autant ? Tout est énigme. D'un côté Sturnier et Titoff agissent comme un seul homme. D’un autre côté comment. admettre que l’Autriche s'associe à nous pour aboutir peut être à la destruction de l'Empire Ottoman ? A Vienne personne n’est inquiet, on ne parle pas même de l'incident. Les l’étourderie ave laquelle on a engagé l’affaire de Rome c’est Toqueville qui rit. Les Palmerston restent à [?] chez L. Baauvale. On m'écit en confidence qu’ils ne peuvent pas rentrer chez eux. Ils seraient pour suivis, saisis pour dettes. Quelle situation ! Le 8 Longue conversation avec Lord John. Toute l’histoire telle que vous la connaissez. La porte ne refuse ni n'accorde. Elle attend les suites de l’envoi de Fuat Effendi. (mais lui permettra-t-on de passer la frontière ). Strattford Canning se vante de n’avoir pas voulu voir nos ministres, il regarde cela comme son devoir. Plaisant médiateur, et il appelle cela faire son devoir. Lord John est convenu que c’était singulier. Peut être ancienne rancune Et vous acceptez les conséquence de cette rancune ? Il a ri. La dépêche pour [Pétersbourg] n'est pas encore partie. Elle a été revue par tout le cabinet. Aucun ordre n’a encore été donné a L'amiral Parker. Mais à propos. On ordonne à Parker d’aller s’emparer de 2 petites îles voisines de 7 îles, en possession du Gouvernement grec. Mais on croit que le gouvernement n’a pas le droit de les posséder. On va donc les lui prendre. C’est impayable. fonds à Paris et à Londres ne se sont guère émus. Et cependant le langage ici dans tous les partis, dans tous les journaux est aussi menaçant que possible. Je suis curieuse de la conversation de Lord John. Voici un bout de lettre de Beauvale qui vous regarde. Il a bien de l’esprit. J'ai eu hier à dîner Lady Allice qui est venue passer quelques jours avec moi. Mad. de Caraman, lord Chelsea & Bulwer. Je n’avais pas vu celui-ci depuis 4 mois, il est près de son départ pour l'Amérique, pas très pressé pour son compte. Il revient de Paris, il a beaucoup causé avec M. de Toqueville. Il me le donne pour un homme de beaucoup d’esprit. Il rit de l’étourderie ave laquelle on a engagé l’affaire de Rome. C’est Toqueville qui rit. Les Palmerston restent à [?] chez L. Baauvale. On m'écit en confidence qu’ils ne peuvent pas rentrer chez eux. Ils seraient pour suivis, saisis pour dettes. Quelle situation ! Le 8 Longue conversation avec Lord John. Toute l’histoire telle que vous la connaissez. La porte ne refuse ni n'accorde. Elle attend les suites de l’envoi de Fuat Effendi. (mais lui pemettra-t-on de passer la frontière ). Strattford Canning se vante de n’avoir pas voulu voir nos ministres, il regarde cela comme son devoir. Plaisant médiateur, et il appelle cela faire son devoir. Lord John est convenu que c’était singulier. Peut être ancienne rancune Et vous acceptez les conséquence de cette rancune ? Il a ri. La dépêche pour [Pétersbourg] n'est pas encore partie. Elle a été revue par tout le cabinet. Aucun ordre n’a encore été donné à l'amiral Parker. Mais à propos. On ordonne à Parker d’aller s’emparer de 2 petites îles voisines de 7 îles, en possession du Gouvernement grec. Mais on croit que le gouvernement n’a pas le droit de les posséder. On va donc les lui prendre. C’est impayable. Mes pauvres yeux m'empêchent de vous donner le [?] de cette curieuse conversation. Au total j’ai trouvé l'humeur plus douce qu’elle n'était dans le billet, des plaisanteries sur Palmerston, mêlé de défiance. De l'espoir que l’affaire s'arrangera. Un peu de peur cependant. Enfin mélange. Pas le langage d'un premier ministre. Voici votre lettre de Vendredi. Celle de samedi viendra plus tard. Vous voyez que vous faites bien d'écrire tous les jours. Adieu. Adieu.
Nous n'avons par dit livrez-les ou la guerre. Au contraire les termes sont très convenables. [?]

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 11 oct. 1849
8 heures

Puisque vous n'avez pas été absolus et péremptoires dans votre demande, ni la Porte dans sa réponse, raison de plus pour que l'affaire s’arrange. On trouvera quelque expédient qui couvrira la demie-retraite que fera de son côté chacune des deux puissances. Nous n'avons vu la guerre avorter depuis vingt ans malgré les plus forts motifs de guerre du monde pour la voir éclater par un si misérable incident. C'est comme la guerre entre la France et l'Angleterre pour Tahiti. Nous en avons été bien près ; mais ce n'était point possible. Il me parait que Fuad Efendi n'a pas été renvoyé à la frontière et qu’il doit être arrivé à Pétersbourg. La tranquillité où l'on est à Vienne sur cette question me parait concluante. S'il y avait la moindre raison de craindre, les esprits Autrichiens seraient renversés. Jamais l’Autriche n'aurait été à la veille d'un plus grand danger. Je vous répète qu’à Paris personne ne s’inquiète sérieusement de cette affaire. M. de Tocqueville a été, jusqu'ici, un homme d’esprit dans son Cabinet et dans ses livres. Il est possible qu’il ait de quoi être un homme d’esprit dans l'action et gouvernement. Nous verrons. Je le souhaite. C’est un honnête homme et un gentleman.
Je savais bien que ma petite lettre au Roi pour son anniversaire lui ferait, plaisir. J'ai reçu hier la plus tendre réponse. Après toutes sortes de compliments pour moi, dans le passé : « vous me donnez la plus douce consolation que je puisse recevoir, non pas à mes propres malheurs, (ce n’est pas de cela dont je m’occupe); mais à la douleur que me causent les souffrances de notre malheureuse patrie, en me disant que vous anticipez pour moi une justice à laquelle j'ai été peu accoutumé pendant ma vie. Cette justice, je l'espère et surtout je la désire pour vous comme pour moi. Mais j’ai trop peu de temps devant moi pour me flatter d'en être témoin avant que Dieu m’appelle à lui. La maladie du corps politique est bien grave. Ses médecins n’en connaissent guères la véritable nature, et je n’ai pas de confiance dans l’homéopathie qui me parait caractériser leur système de traitement. J’aurais bien envie de laisser couler ma plume mais je craindrais qu'elle n'allât top loin. Ma bonne compagne, qui se porte très bien, et qui a lu votre lettre, me charge de vous dire qu'elle en a été bien touchée.» J’ai été touché moi de cette phrase : une justice à laquelle j’ai été peu accoutumé, pendant ma vie. Il parle de lui-même comme d’un mort. Lord Beauvale a en effet bien de l’esprit, et du meilleur. Merci de m'avoir envoyé sa lettre. Je regrette bien de ne l'avoir pas vu plus souvent pendant mon séjour en Angleterre. Recevez-vous toujours la Presse ? Je ne la reçois pas, mais, M. de Girardin m'en envoie quelques numéros, ceux qu’il croit remarquables. J'en reçois un ce matin. Tout le journal, plus un supplément, remplis par un seul article le socialisme et l'impôt. Vous feriez je ne sais pas quoi plutôt que de lire cela. Je viens de le lire. Une heure de lecture. Tenez pour certain que cela fera beaucoup de mal. C'est le plan de budget, de gouvernement et de civilisation de M. de Girardin. Parfaitement fou, frivole, menteur, ignorant, pervers. Tout cela d’un ton ferme convaincu, modéré, positif, pratique. Des chimères, puériles et détestables présentées de façon à donner à tous les sots, à tous les rêveurs, à tous les badauds du monde l'illusion et le plaisir de se croire de l'esprit et du grand esprit et de l'utile esprit. Quelle perte que cet homme-là ! Il a des qualités très réelles qui ne servent qu’à ses folies et à ses vices. Personne ne lira ce numéro en Angleterre, et on aura bien raison. Et j’espère que même en France, on ne le lira pas beaucoup. C’est trop long. Mais rien ne répond mieux à l’état déréglé et chimérique des esprits. Je vous en parle bien longtemps, à vous qui n'y regarderez pas. C'est que je viens d'en être irrité.
Onze heures J’aime Clarendon Hôtel. C’est un premier pas. Je vous écrirai là demain. Vos yeux me chagrinent. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Lundi le 22 octobre 1849

J’ai vu bien du monde hier. Le plus important de tous Molé qui est resté une heure 1/2 racontant le passé & le présent. Les vacances de l'Assemblée ont été fatales au président. Pour agir sur son esprit il faut la présence continuelle. Tout le monde à la campagne. Falloux, l'espérance de tous, malade et éloigné aussi. Restait Normanby & un mauvais entourage. Molé a perdu son influence. Le président agit selon ses propres idées. En grandissime défiance de tout ce qui n’est pas son house hold. Il a été enchanté du discours de Mathieu de la Drôme ! Il est très décidé à un coup d’État ; il le fera certainement avant la fin de l'année. Il est encombré de dettes, il lui fait du pouvoir pour avoir de l’argent. Il prendra le pouvoir. Molé très sensé ; il faut avant tout rester unis pour conserver l'ordre. Il se plaint des légitimistes, immense obstacle à tout ce qu’on pourrait entreprendre. Thiers n’a aucun courage. Toutes les bonnes occasions sont perdues. Triste, sans désespoir, demandant (il a dit cela avant hier encore à un intime) ce que vous pensez. Il est bien difficile de penser dans cet épais brouillard, mais certainement avant toutes choses soutenir l’ordre pour tous. J’ai enterré de la curiosité sur votre compte, & je suis bien sûr qu'on vous recherchera quand vous viendrez. J'aurai long à écrire sur cette conversation. Ah comme il hait Palmerston ! Et quel mal cet homme fait ici dans ce moment. J'écrirai à John toute la vérité. Je reviens à Molé, la comparaison de la situation. Un grand fleuve à traverser. Il fait en passer la moitié avec le président il n'y a que lui qui puisse débarrasser de cette monstrueuse constitution suffrage universel, vote de l’armée & &. Il doit faire cela sous sa forme actuelle où une autre. C’est donc l'ouvrier qu'il faut soutenir. Kisselef est resté longtemps aussi. Pas de nouvelles de Pétersbourg. Nous ferons sans doute attendre un peu le Turc. Cependant dans quelques jours on saura quelque chose. Kisselef aussi dit que Normanby fait un mal énorme. A propos tout le monde dit qu’il paie la maitresse sur les secret service money. Il lui a déjà donné 160 m. francs il dîne chez elle à 3 avec le président. Midi voici votre lettre. Si vous étiez ici, vous ne seriez pas étonné de mes perplexités ou plutôt de mes terreurs. La courageuse lady Sandwich va louer son appartement & se prépare à partir. Elle était arrivée de Londres cinq jours avant moi. Plus d’Autriche dans la maison de sorte que je n’ai pas un voisin de connaissance. Car Jaubert est établi en Berry. Ah, que tout cela est triste ! Adieu. Adieu. J’ai bien à écrire et à faire. La journée est trop courte, & toute cette besogne si peu satisfaisante. J’arrange mon appartement de façon à le sous-louer. Adieu. adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 28 oct. 1849
7 heures

J’ai devant moi, sur mon jardin et ma vallée un brouillard énorme, pas anglais du tout, bien brouillard de campagne normande. Il fera beau à midi. Les bois, par ce beau soleil étaient charmants il y a quelques jours ; toutes les nuances possibles de vert, de rouge, de brun, de jaune. A présent, il y a trop peu de feuilles. Dans quinze jours, il n'y en aura plus. J’irai chercher à Paris autre chose, que des feuilles. Je vous y trouverai. Et puis, quoi ? J'ai beau faire ; je ne crois pas à l'Empire. Et pourtant, on ne sortira pas de ceci en se promenant dans une allée bien unie.
J’arriverai à Paris sans avoir fini mon travail. Il sera très près de sa fin, mais pas fini. Il me plaît, et je crois qu’il m'importe. Je ne veux le publier que bien et vraiment achevé. J'aurai besoin, chaque jour, pendant trois ou quatre semaines de quelques heures de solitude. Je les pendrai le matin, en me levant. C'est mon meilleur temps. Je ne recevrai personne avant 11 heures. On me dit que j'aurai bien de la peine à me défendre, qu’on viendra beaucoup me voir. Amis et curieux, tous oisifs. Je me défendrai pourtant. Je veux garder pleinement mon attitude tranquille et en dehors. Je n'ai rien à faire que de dire, quelquefois et sérieusement, mon avis.
Que signifie le retard prolongé de Pétersbourg ? C'est plutôt bon, ce me semble. Les partis pris d'avance sont prompts. Avez-vous fait attention aux lettres du correspondant du Journal des débats, de Rome, leading article. Je connais ce correspondant. On finira par s’en aller de Rome, purement et simplement. La question de Rome ne peut être résolue qu'Européennement. Il faut que Rome redevienne une institution européenne. Elle était cela au moyen âge. C'était les Empereurs et les rois d’Europe qui intervenaient sans cesse dans les rapports du Pape avec l’Italie, et qui les réglaient après les grands désordres. Il y avait des révolutionnaires dans ce temps-là comme aujourd’hui et ils chassaient aussi le Pape. La non-intervention dans les affaires du Pape est une bêtise que l’histoire dément à chaque page. Seulement l’intervention est obligée d'avoir du bon sens. On est intervenu pour le Pape, et maintenant on voudrait faire à Rome autre chose qu’un Pape. J’espère que le Général d’Hautpoul qu’on y envoie, sortira un peu de l'ornière où l'on est. C’est un homme sensé, et un honnête homme. En tout, les militaires se sont fait honneur là, généraux et soldats. Il faut qu’il s’en trouve un qui ait un peu d’esprit politique. J’ai oublié hier ceci ; matelas et non pas matelat.

Midi
M. Moulin (un des meilleurs de l’assemblée) m’arrive pour passer la journée avec moi. Votre lettre est bien curieuse et d'accord avec ce qu’il me dit. Adieu, Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 29 octobre 1849
7 Heures

Vous rappelez-vous bien le 29 octobre, il y a neuf ans mon arrivée à Paris le 26 et les trois jours qui précédèrent la formation du Cabinet ? Je suis décidé à ne pas croire que ce jour-là, et tout ce que j’ai fait du 29 octobre 1840 au 24 février 1848 m'ait été bon à rien. Mais aujourd’hui il n’y a que Dieu qui sache à qui cela a été et restera bon. Hier quand j’ai fermé ma lettre, je n’avais pas ouvert mes journaux. Excellente nouvelle de Pétersbourg. Vous savez que j'y ai toujours compté. Et je pense comme vous que ce n'est pas fini pour les Turcs. L'Empereur n’a pas besoin de se remuer beaucoup pour avancer beaucoup. Bonne nouvelle aussi d’Espagne. Je tiens à Narvaez comme artiste politique, et pour le bon exemple. Je n’avais d’inquiétude que parce qu’on ne sait jamais où en est et ce que fera la Reine Christine. Elle et Narvaez se détestent et se craignent. Mais la haine et la crainte ne leur enlèvent pas leur bon sens. J’en suis charmé. Tant que ces deux personnages se soutiendront mutuellement, l’Espagne se maintiendra. Je suis assez amusé de la fausse joie qu'aura eue Lord Palmerston. Il n’a depuis longtemps que le plaisir des revers de ses adversaires, pas du tout celui de ses propres succès. Il y a bien à parier que Lord Normanby aura lu votre lettre. N’appartient-il pas plutôt à Lord John qu'à Lord Palmerston ? Malgré cela, s’il vous a lue, il se sera donné probablement le mérite d'en dire quelque chose à son chef direct. Il ne lui aura rien appris, rien sur vos sentiments et rien qui le corrige. Outre M. Moulin, j’ai eu hier un autre ancien député conservateur un brave capitaine, le vaisseau, M. Béchameil qui a été destitué après Février à cause d’une lettre de lui à moi que la Revue rétrospective à publier. Il n'en est pas moins décidé, ni moins dévoué. M. Moulin est tout-à-fait un homme de sens et d’esprit. Je le trouve très inquiet, non seulement, en Général et pour l'avenir, mais prochainement. Persuadé que le Président par détresse d'argent autant que par ambition, cherche à faire et finira par faire le coup d'Etat impérial. Faire, c’est-à-dire tenter. Et cette tentative peut amener quelque grand désordre même un triomphe momentané des rouges. Ceci, je ne vois pas comment, l'assemblée étant là, et le Président ne pouvant pas la chasser, ni se faire Empereur par la grâce des rouges qui eux chasseraient bien l’Assemblée par la violence. Mais peu importe que je voie ou que je ne voie pas comment le désordre peut éclater. Evidemment les hommes les plus sensés et les mieux informés craignent qu’il n'éclate. Ceci me préoccupe. Pour vous d’abord. Il y faut bien regarder. Montebello est très bon pour vous tenir bien au courant. N'hésitez pas, comme renseignement à faire venir aussi mon petit fidèle, et à savoir de lui ce qu’il sait. Il est toujours, bien instruit. Au fond, je ne crois pas à ces crises prochaines. Toute crise qui ne sera pas absolument indispensable, et imposée aux hommes par des nécessités actuelles, sera ajournée. Mais nous sommes tombés à ce point qu’il faut craindre même les maux auxquels on ne croit pas. Je ne suis pas très étonné de la simple carte du Duc de Broglie. Je vous dirai pourquoi. Vous n'avez pas idée de sa disposition d'esprit. On va jusqu'à dire que les affaires d'argent de Morny sont si mauvaises que, pendant son séjour à Londres, son traitement de représentant à été saisi à Paris par des créanciers. Je ne puis pas croire cela.

Midi.
Voilà votre lettre. A demain les réponses. Je n’ai jamais craint la guerre Turque, mais j'ai le cœur bien plus léger depuis que je ne peux plus la craindre. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Mardi le 30 octobre 1849

Deux lettres ce matin, toutes les deux intéressantes. J’avais eu de vos nouvelles hier autrement. M. de Moulins vous a trouvé à merveille, bonne mien, l'air gai, heureux, votre entourage aussi, & vous heureux de revenir à Paris pour votre fils & vos livres. Lady Normanby est venue hier avec un immense empressement. Son mari est venu une heure après, [?]. Ces gens-là sont à mes pieds. Le prince Paul vient sans cesse, toujours gros de nouvelles que j’avais apprises 3 jours avant et oubliées. Le duc de Noailles a diné avec moi, nous avons beaucoup causé de tout. Il est et se met beaucoup en avant. Il avait passé sa matinée entre Molé, & Berryer. Toujours à la recherche d'un ministère. En fin de compte, si les gros ne pensant pas s’y mettre, il propose des petits, mais honnêtes. Benoît & Bugnon, Vatimesnill. Je crois que je dis bien. Il n’est préoccupé que d’une seule idée, l’épuration des fonctionnaires. Si cela ne se fait pas, et tout de suite, il dit qu'on est perdu. Il désire beaucoup votre retour. Il croit que sans agir vous-même vous pourriez agir beaucoup sur certains meneurs, qui manquent de discussion & d'idées. Il est en grande confiance en vous. Il est parti cette nuit pour Cologne. Un rendez-vous avec Madame de Sagan, il sera de retour samedi. [?] y, qui en avait demandé [?] pour lui exposer le [?] majorité de se débarrasser [?]. " je le désire autant [?] " Je ne tiens pas à eux [?] du monde. Donnez-moi [un ministère], je l’accepte." [?] veut venir me voir, il [?] pas une minute. Je [?] aise de causer avec lui. [?] par une source un [subalterne] mais très sûr [?] président ne dort ni ne [?] tant il est préoccupé [?] un coup d'état, il le veut à [?]. Il y est poussé par l entourage. Persigny [?]. Il compte beaucoup [environnement] du général [?] Sa confiance dans Changarnier n’est pas entière. J'ai eu une longue lettre d'Aberdeen. Brunnow lui avait fait dire qu’il était très inquiet & qu'il doutait qu’on pût éviter la guerre. Vous voyez que je n’étais pas seule à le penser. Le duc de Noailles est bien contente de Berryer. M. de Pastoret n’est rien que le caissier du duc de Bordeaux. Il ne compte pas comme homme politique. Molé est plein de courage, il se conduit bien. Broglie c’est pitoyable, personne ne fait attention à lui. Pourquoi s’être fait nommer si c'était pour s’annuler ? Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, jeudi 1er Novembre 1849
Huit heures

Voici enfin, le mois où nous nous retrouverons. Je ne crains pas que les amertumes, dont avant-hier vous m'avez envoyé un trait résistent à la présence réelle. La vérité vous saisit et chasse de vous l’erreur. Mais elle ne l'empêche pas de revenir. J’ai bien envie de vous dire une fois tout ce que je pense de la source de cela. Quand on a vécu quelque temps séparés en pensant toujours, on s'étonne de tout ce qu’on ne s’est pas dit. Que de silences, de réticences, de voiles dans une bien grande intimité! C’est bien dommage. Il y a un point où l'on arrive bien rarement, mais où, quand on y est arrivé, ce qui est incomplet devient intolérable. Il faut pourtant s'y résigner. Je suis charmé que le Duc de Noailles soit à Paris. Je me promets que nous causerons beaucoup. Non seulement il est très sensé et très honnête, mais je me figure qu’il y a en lui quelque chose de plus qu’il ne montre. J’aime les gens dont je n‘ai pas vu le bout. J’ai eu hier ici un autre ancien député conservateur du midi. Il avait une lettre de son fils, jeune maréchal des logés dans un régiment de chasseurs à Rome. Voici les termes. « Nous nous ennuyons bien ici. Nous ne savons pas pour qui ni pourquoi nous y sommes. On nous fait changer tous les jours notre fusil d’épaule ; demi-tour à droite, demi-tour à gauche. Le Pape devrait bien revenir pour que nous nous en allions. Voilà le sentiment populaire dans l'armée. Je vois venir un bien autre embarras. Le Pape dira, ou donnera clairement à entendre qu'il ne reviendra à Rome que lorsque les Français n'y seront plus. Et alors comment s'en ira-t-on. S’en aller, ce sera être chassé par le Pape. J'admire ce que la bonne politique peut devenir, entre les mains des sots. Ici aussi le coup d'état est dans l’air ; c’est-à-dire qu'on en parle car je ne trouve pas qu’on y croie. Quel qu’il soit s’il se fait sans le concours de l'assemblée et du général Changarnier, ce sera un triste coup de cloche. Le Président a beaucoup perdu dans les campagnes mêmes. Il ne me paraît plus en état d’agir seul. Comme de raison, il me vient bien des messages empressés et obscurs. C'est l’état de tous les esprits. Il m'en vient d’Emile de Girardin toujours, en ébullition. Il me paraît que la présidence du Prince de Joinville est décidément son idée du jour, et qu’il se propose de la pousser chaude ment à travers le premier nouveau gâchis. Je ne sais plus quelle importance conserve encore son journal. Je le vois toujours assez rependu pour nuire. Et l'homme a, dans ce genre, une vraie puissance.

Midi
Voilà un nouveau cabinet qui m’arrive. Ce n'est évidemment qu’une préface. Quel déplorable et ridicule gâchis ! J’ai la conviction que tout cela ne sera que ridicule. Il faudrait que les honnêtes gens fussent plus sots que les sots pour se laisser déposséder et mâter avec les forces qu’ils ont entre les mains. Je suis charmé que vous vous inquiétiez moins. Quand serons-nous réunis ? Adieu, Adieu Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Vendredi le 2 Novembre 1849

Ne vous inquiétez pas de mes petites boutades. Elles passent. Il y a tant d’autres choses pour lesquelles il faut s’inquiéter vraiment. Thiers est venu hier. Il est resté plus de deux heures. Pas trop étonné, mais en grande critique. Le président veut le gouvernement personnel. Il veut faire. Impossible de voir au-delà de la journée. Il faut oublier complètement le jeu parlementaire les partis, les rivalités. Tout est puéril. Il n'y a de réel que le danger. On a déjà beaucoup fait contre, Il faut persévérer. Montebello entre, racontant que dans la salle des conférences, on voulait absolument que la majorité fit une déclaration en réponse au message. Appuyant le nouveau cabinet mais rappelant à l’élu du 10 Xbre les élus du 13 mai et on voulait que Broglie prit aujourd’hui la parole pour dire cela. Montebello y pousse. Thiers ne semblait pas être de cet avis. Il faut mieux se taire absolument. Il avait l’air d’ignorer qu’aujourd’hui à 10 h. le conseil des 10 est convoqué chez Molé, pour décider de la conduite dans la séance de ce jour. Je crois que Thiers voudra qu’on se taise. il parle bien du président, mais un coin de folie, il croit sa race la première du monde. Ce n’est pas le titre n'importe c’est le [?] La politique étrangère il est [?] & m'a raconté des séances [?] traité Normanby, de polisson. [président] il a dit : Vous apportez [?] la France les bonnes de l'Empereur Nicolas. N'oubliez [?]. N’allez pas risquer de [?] grande confiance. [?] Changarnier. Le seul. Naguère [?] lui, mais inférieur. [?] vous a pas nommé. [?]indra. Ste Aulaire aussi [?], j’avais fermé ma porte [?] les autres. Ste Aulaire avec moi. Sa femme est [?] après le dîner & Kisselef que je n’ai pas vu seul. [Ste Aulaire] est excellent, excellent [?] vous. Plein de bons avis très sincère. Attendez-vous à beaucoup d'ingratitude. Vous êtes le politique de la monarchie de juillet. Absurdité incrustée dans le gros du public. Il ne faut pas que vous disiez que vous n’avez jamais eu tort. Je lui ai répondu qu'il n'y a que les sots qui se croient infaillibles. Je vous répète que Ste Aulaire est excellent. Thiers m’a dit que le Prince est un peu penaud de l'accueil fait à son message. Le mécontentement l’étonnement sont universels. M. Rouher, & Parieu sont les hommes importants du Cabinet. (Relativement of course). Le premier a été donné par Morny. C’est celui-ci qui me l’a dit. Il lira aujourd’hui le programme du Cabinet. Il n’est pas question d'amnistie. Tocqueville est très blessé & le dit, tous les anciens ministres le sont. Lord John me dit : " Le président doit demander son pouvoir à vie, il doit demander que l'assemblée siège 6 ans. S'il ne trouve pas de Ministres qui veuillent demander cela. Il faut qu'il abdique and he would succeed. I warrant. N'êtes-vous pas étonnée de ce langage ? Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 3 Novembre 1849 Samedi

La situation est des plus tendues des plus extraordinaires. J’ai vu hier Berryer, après le dîner. Il se rendait à la réunion du soir où l’on devait décider de la conduite à tenir, il est sombre, il n’est pas désespéré, mais il n’entrevoit pas comment on pourra sortir de ce chaos au milieu de tant de prétentions vivantes. Voilà pour l’ensemble quant au moment actuel Dieu sait ce qu’on aura décidé hier. Les intrigues de la semaine ont été énormes. On se plaint beaucoup de Molé. Un très bon conservateur disait hier. " M. Molé est toujours, en toutes circonstances, avec tout le monde en trahison, on ne peut pas croire à lui un instant. " M. Molé est dans le dépit le plus grand contre le président qui l’a joué. Thiers n’est pas allé hier à la réunion des 10 chez Molé. Il y manquait aussi Berryer & Vatimeuil. Sur les 7, quatre ont voulu qu’on parle, et 3 qu'on se taise à la séance. On avait préparé quelque chose s'il y avait eu lieu. Mais le programme n’y a pas donné lieu. Accueilli avec le plus grand silence. Broglie est d’avis qu’on ne fasse aucune opposition, mais que personne en mette plus les Jeudi chez le président à ses réceptions. Marquer de la froideur & du mécontentement. Avant aucun accord même cela s’est déjà fait ainsi jeudi à la soirée. Il y avait la diplomatie, grand nombre de militaires, point de députés. Hier on a fait entrer de la troupe de plus à Paris. Tout le monde disait hier que dans le petit public, la masse, le message du président avait le plus grand succès. Je sais que hier devait se tenir une réunion des partisans personnels du président, Moskova, Victor Hugo & & qui cherchent à en attirer d’autres parmi les rangs des conservateurs. Le coup d’état est regardé comme infaillible. Les affidés disent : " Nous sommes en marche." Berryer en disait : dans les faubourgs il pourra se trouver 40 m. personnes. criant vive l’empereur. Alors il pourrait s’en trouver 60 m aussi qui crieraient vive la république socialiste. On verra alors. Il y aura lutte certainement. Que faire je parle de moi maintenant certainement à supposer même que l’armée reste très bonne. (Changarnier ne ferait pas comme au 13 juin. Il laisserait faire un peu pour pouvoir réprimer. Réprimer c'est batailler. Vous savez si j’aime les batailles. Tout le monde y compte & reste. On est aguerri ici. Mais moi qui n’ai aucun appui auprès de moi, comment me risquer dans la bagarre. Tout cela est bien triste. Je ne puis pas vous dire tout ce que je vois de monde. Depuis 3 1/2 jusqu'à 9 du soir jamais un moment seule, que l’intervalle très court des dîners. Kisselef vient sans cesse, impossible de causer. Je le ferai dîner avec moi. pour avoir enfin le tête-à tête. Il a reçu un courrier, il a des communications importantes à faire. Il ne sait à qui parler. Il est allé hier chez Hautpoul, pas reçu. Berryer est plein de sens. Au fond sa conversation est celle qui m’a le plus convenu d'entre toutes les autres, vous verrez, car vous le verrez. Il m’a parlé de vous, mais pas autrement que pour me dire que lui dans le temps, avait voté pour qu'on soutint votre élection. La princesse de Joinville est accouchée avant terme d'un enfant mort. Elle a été à la mort elle même. Selon les nouvelles d'hier elle allait mieux. Quelle tour de Babel que ce Paris. Je me trompe. Tout ce que je vois est d'un seul et même avis au fond, mais que faire, & quoi au bout ? Adieu. Adieu. Adieu.
Personne ne sait ce que veut Changarnier, au fond il est impénétrable. Flahaut est ahuri. Lui, approuve le message et s’étonne de la majorité Il dînera chez le Président mais il ne veut pas se montrer à ses soirées. Il repart jeudi pour Londres.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Dimanche 4 Novembre 1849
La situation s'est beaucoup modifiée. Le temps a été à l’avantage du président. La majorité est matée. C'est clair. Tout le monde dit aujourd’hui qu'on va à l’empire et que c’est inévitable dans peu de semaines. Broglie, (qui est enfin venu hier) m'a dit qu’on avait proposé au Prince la prolongation de la présidence, une bonne liste civile, que c'eut été difficile à faire, mais enfin que la majorité l’aurait entrepris. Il a refusé, cela ne lui suffit pas. Il lui faut l’empire. Comment cela se fera-t-il, Broglie ne sait pas. Sans doute on aura sous la main un certain nombre de représentants dévoués qui ratifieront le [?] de l’armée, si l'armée le pousse. Après cela, est- ce que la majorité de l’Assemblée qui déteste la République irait se battre pour elle ? C’est stupide d'y penser. Elle joue là un pauvre rôle. On fera sans elle, malgré elle, & il faudra. qu’elle se dise contente, ou au moins qu’elle se soumette. Après tout, le président aura habilement manœuvré. Mais au dire de Broglie, & d’autres, tout ceci pourrait bien être accompagné de gros mouvements dans la rue. Les rouges n’accepteront pas sans essayer autre chose. Les légitimistes pensent s'en mêler aussi. Enfin le bruit est probable. Dans cet état de choses à peu près inévitable, on me dit que vos amis poussent, qu’il vaudrait mieux que vous ne vinssiez pas tomber tout juste au milieu de la bagarre. Qu'il vaut mieux attendre la chose faite, sur tout comme cela ne peut par tarder. Je suis de cet avis aussi. Pour mon compte, selon que je serai avertie, je partirais ou j’irai passer ma journée chez Kisselef, si cela est fort menaçant le chemin de fer est le plus sûr. Mais pour vous songez à ce que je vous dis. Je crois qu’il vaut mieux s'abstenir. Ah, comme Broglie est noir et d'une amer ironie. Il déborde, il n’en peut plus. Au plus fort de sa harangue, Normanby est entré. Vous convenez quel éteignoir. Il venait de l'installation de la magistrature très frappé du spectacle. Le discours du président a été trouvé très bon, & suffisamment impérialiste. Kisselef a dîné avec moi. Il a eu deux courriers. L’un portant des paroles excellentes, sachant gré à la France de s’être conduit très différemment de l'Angleterre, car celle-ci avait eu une dépêche après l’audience de Fuat & Lamoricière point. L’autre un grand étonnement du départ de la flotte, accompagné de paroles. peu agréables. Si Kisseleff avait pu s’acquitter plutôt du premier message, & si on avait d’ici tout de suite rappelé la flotte désormais sans objet, il supprimait le second message. Mais aujourd’hui c’est trop tard. Point de Ministres, personne à qui parler, Molé & Thiers sans action directe pour le moment :et aujourd’hui Kisselef va faire sa petite déclaration à M. Hautpoul. Celui ci au reste est excellent pour nous. Sachez que tout le monde est russe ici. Et très peu anglais. La diplomatie toute entière, regarde l’Empire comme fait. Voilà. Quelle curieuse affaire. Adieu. Adieu. On ne parle on ne rêve qu’empire. Adieu. Adieu.
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