Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 8 Juillet 1850

Vous ne me dites rien du Rhin. Donc il était tranquille, et vous serez arrivée à Ems tranquillement. Le bateau est bien moins fatigant que le chemin de fer.
Toutes les lettres de Londres parlent de la mort de Peel comme d’un grand, très grand événement. La plus intelligente et la mieux informée me dit : " Le pays n’avait de foi dans le cabinet que parce que Peel l’appuyait, et tant qu'il l’appuyait. Dès aujourd’hui on prévoit les graves changements qui vont suivre la perte de ce soutien. La session se terminera vite, dans le deuil et dans l’incertitude. Nous entrons dans une phase nouvelle. Je ne sais comment le parti conservateur sortira de la difficulté à propos du système protecteur qui le divise ; mais il faut qu’il en sorte. Le rôle de Disraeli est fini. Celui de Gladstone commence, et le parti prendra un peu la couleur du chef. Mais ce qui me frappe davantage c’est la modification évidente de la position parlementaire de Lord Palmerston, son discours l'a placé à peu près à la tête des orateurs de la Chambre ; on ne le croyait pas capable d'un pareil effort. A cette puissance oratoire il réunit la confiance illimitée qu’il a su inspirer aux radicaux, (moins quelques individus) comme un homme capable, par l'audace et l'absence de principes, de faire ce que John Russel ne fera pas. Il a su déjà maîtriser un cabinet composé d'hommes plus faibles que lui. S’arrêtera-t-il en si beau chemin, sans vouloir monter au sommet de l’édifice ? Ou plutôt, si nous sommes destinés à revoir un Ministère Tory, ne sera-t-il pas poursuivi et renversé par une opposition dont Lord Palmerston serait l’âme et le chef ? C'est assez vous dire que toutes les idées de modification dans un sens opposé à lui ont totalement disparu, et que, par la force des choses, il s’élève au lieu de s'abaisser. En fait de politique étrangère, je le crois cependant disposer à suivre un marche plus régulière et moins dangereuse; plus il aura de vues à l’intérieur, moins il voudra s'embarrasser au dehors. Mais le caractère de l'homme restera toujours le même. Nature sans mesure. Ambition de dominer, sans bornes- destiné peut-être à occuper une plus grande place dans nos annales, mais à donner le signal de nouveaux orages. " Voilà l'Angleterre.
Voici la France; de très bonne source aussi ; un de mes meilleurs et plus intelligents amis dans l'Assemblée; vous ne le connaissez que de nom. " La situation intérieure de notre assemblée sans être bonne encore, me paraît améliorée dans le sens que nous désirons. La tendance à la fusion est beaucoup mieux marquée. Il importe de s’entendre sur la conduite à tenir dans les conseils généraux, sur la composition de la Commission intérimaire qui veillera pendant notre absence. Cette nécessité est comprise. Nous ne pouvons plus nous faire illusion sur les projets de l’Elysée, ni sur les chances de succès qu’il peut trouver dans les divisions du parti monarchique. Le Président médite plusieurs voyages à Lyon, dans l'Est, peut-être à Bordeaux. Il méditait aussi sérieusement le camp de Versailles ; mais on lui a représenté que cette démonstration empêcherait l'assemblée de se proroger... Les légitimistes ne veulent pas plus de deux mois de prorogation. Je crois qu'ils ont raison. Il importerait de hâter nos vacances pour qu’il s'écoulât le moins de temps possible entre la fin de la session des conseils généraux, et notre retour. " Je vous envoie textuellement. C'est plus vrai. Je n’ai rien à ajouter. J’ai passé hier ma journée enfermé dans mon Cabinet ; un temps affreux vent, pluie. Il fait moins mauvais aujourd'hui. J’irai me promener tout-à-l'heure. Après-demain mercredi, je vais passer la journée à Trouville. J’échange l’un de mes jeunes ménages contre l'autre. Adieu, Adieu. Je pense avec plaisir que vous ne voyagez plus. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 3 Juillet 1850

Je n'aurai donc pas de lettre ce matin. Je me trompe ; j'espère que vous m'aurez écrit quelques mots hier avant de partir. C’est demain que je n'aurai pas de lettre. Demain sera bien ennuyeux.
Je regrette de ne pas vous montrer une longue lettre que je viens d'écrire à ceux de mes amis de l'Institut qui voulaient me nommer l’un des trois membres qu’il doit envoyer au conseil supérieur de l’instruction publique. Je décline cet honneur. Je crois la lettre bonne et convenable pour moi. Il m’a convenu qu'on voulût me nommer, et qu'on le témoignât. Il ne me convient pas d'être nommé. Quoique vous n'entendiez pas grand chose à ces affaires là, vous avez tant entendu parler de cette loi et de son importance que vous seriez bon juge de ma résolution et de mon langage. Voici l'avant dernier paragraphe de ma lettre celui qui m’est tout à fait personnel : " Vous le voyez, mon cher ami ; je suis bien loin de la loi nouvelle. Comme mesure de transition, il se peut qu’elle soit utile, peut-être même qu’elle fût nécessaire ; elle n'atteindra, je crois, d’une façon durable, ni le but général d'éducation, ni le but spécial de pacification qu’elle se propose. Je serais donc bien peu propre à concourir à son exécution. Plus je considère ce qui m'entoure, plus toute situation fausse m’est antipathique. Rien ne ressemble plus à une situation fausse que de mettre la main à une œuvre au mérite et au succès de laquelle on ne croit point. C'est un grand bonheur, quelque chèrement qu’il soit acheté, que de pouvoir rester, non seulement par ses actions, mais aussi par les apparences, dans la vérité de ce qu'on pense et de ce qu'on veut. Je ne me sens pas disposé à y renoncer. " Je serais bien trompé, si ma lettre n’était pas approuvée. Elle finira peut-être par devenir publique ; mais non pas d'abord ; il faut qu’elle circule manuscrite parmi les membres de l'Institut, et pour eux seuls.

Midi
Pas de lettre de vous et l'accident de Sir Robert Peel à la place. J’en suis vraiment très fâché. Je déteste de voir disparaître les grandes figures. J’espère bien qu’il guérira. Je n’ai pas un mot de Paris. Hors de Paris, lisez toujours la Patrie. C'est le journal le plus franc. Il vient de mettre sur le tapis la fusion des deux branches, ou la prolongation des pouvoirs du Président avec une hardiesse, qui n'a rien de révolutionnaire et qui fait faire un pas aux questions. Adieu, Adieu.
Je n'aurai qu'après demain la lettre que vous m'écrivez aujourd’hui de Bruxelles. C'est bien long. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Jeudi 4 Juillet 1850

Voilà Sir Robert Peel mort. J'en ai un vrai chagrin. Il n’avait pas tout, mais il avait beaucoup. Il a fait des choses douteuses mais grandes pour le bien être de bien des millions d'hommes dans son pays. Il avait le goût et le parti pris de la politique honnête. Je l’honorais plus qu'il ne me plaisait ; mais la mort illumine les qualités et élève l'estime au-dessus des dissidences. Puis ses dernières paroles sur moi me restent dans le cœur, encore un exemple, après tant de mille et mille autres, des plus belles et plus heureuses, existences brisées tout à coup misérablement ! C’est bien la peine de devenir grand pour rester à la merci d'un caillou et d'un coup de pied de cheval ! Si le dernier mot de la vie était ici bas, elle ne vaudrait certes pas le souci qu'on en prend.
Quelle sera l'influence de cette mort sur la situation du cabinet Whig et l'état des partis en Angleterre ? Cela me paraît assez obscur. L'opposition en sera plus libre; les Peelistes s’y incorporeront plus intimement. Les Protectionnistes seront peut-être plus modérés, en matière de free trade, n'ayant plus devant eux leur vainqueur. C'est en même temps, sinon un Chef, du moins un grand patron de moins pour une combinaison nouvelle. Dites-moi vos informations, et voir conjectures.
Le Duc de Broglie m'écrit : " Les affaires sont toujours dans le même état. L'assemblée est fort décousue, et a grand besoin de se séparer pour ne pas se quereller. Nous espérons une prorogation de trois mois dans les premiers jours d'août. " - Un autre correspondant : " Les tiraillements dans la majorité et entre la majorité et le Président deviennent tous les jours plus sensibles. Tout le monde est mécontent de tout le monde. Les légitimistes sont les plus aigres, comme toujours. De son côté, la presse va de l'avant, et on demande hautement la révision de la Constitution. On dit que cette question et celle de la prorogation des pouvoirs du Président seront posés sans faute au retour de l'Assemblée. "
Adieu. Je n'attendais pas de lettre ce matin ; elle ne me manque pas moins. Il me tarde bien de vous savoir arrivée, et un peu reposée. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 6 Juillet 1850

Vous êtes donc partie de Bruxelles un peu mieux. Je veux vous savoir à Ems. C’est du repos surtout et toujours qu’il vous faut. Du mouvement d’esprit, du repos de corps et de cœur.
Je suis fort aise que vous ayez vu le Roi et Van Prast. Avec eux, une bonne conversation n'est jamais perdue. Van Praet a réellement de l’esprit, et un bon esprit. Le seul belge en qui le Roi ait vraiment confiance et dont le jugement influe quelquefois sur le sien.
J'ai des lettres de Paris, Piscatory, Lavergne et autres. La prorogation est la grande affaire. On en a grand peur dans l’assemblée : " Les niais qui ont entendu parler d’un camp à Versailles, d’un voyage dans l’Est ou à Lyon, de la pression exercée sur les conseils généraux, craignent fort que, pendant qu’ils seront dans leurs maisons de campagne, on ne leur prenne leur maison de ville. Pour moi, je suis convaincu que nous avons à faire à une ambition dont la nature, et le bien jouer est de laisser couler l'eau jusqu'en 1852. Elle n'a qu'à se tenir tranquille, et à nous laisser faire et surtout dire ; sa réélection est certaine. Une fois réélu, je défie bien le président de s’arrêter à ce nom, de s'arrêter surtout quand, pour leur propre réélection il y aura la moitié, les trois quarts des membres de la majorité, y compris les légitimistes qui auront traité avec lui. " On est assez troublé des résultats qui se révèlent de la loi électorale à mesure qu’on fait les listes. Troublé dans les sens les plus contraires. A Paris, dit-on, de 225 000, les électeurs seront réduits à 70 000 au plus. Dans beaucoup de campagnes, la réduction frappe sur les bons. Je vous ai peut-être déjà dit que, dans la commune de mon voisin, M. de Neuville, sur 187 électeurs rayés; il n’y avait que six rouges. Jules de Lasteyrie a pas mal d'humeur de n'avoir pas été réélu vice-président. Berryer aussi a de l'humeur et se tient sous sa tente. M. de Vatimesnil doute de l'avenir. M. de St. Priest reprend les allures de Carlo-Alberto.
Je vous ai vidé mon sac de Paris. Londres m'intéresse et me touche profondément. Je ne suis pas content du discours de Lord John à propos de Peel. Je n'y trouve point d’élévation d’esprit ni de cœur. C'est terne et sec. Ce qui est beau c'est le respect et l'attendrissement général du pays. Les élections des divers corps, Évêques, conseil d’Etat, cour de Cassation, pour le Conseil supérieur de l'instruction publique, font assez d'effet et un effet contre la loi. Elles sont vives et discordantes. On se divisera et on se querellera dans ce conseil comme dans l'assemblée. Je crois que mon refus, et ma lettre viendront à propos.
Lisez, dans la revue des deux mondes du 1er Juillet, un article d’Albert de Broglie sur M. de Chateaubriand, à propos de ses mémoires. Parlant sans amertume, ni réticence avec une indignation honnête. Je suis bien aise que ces vérités là soient dites à ce grand envieux qui a passé sa vie à amasser des trésors de bile pour les verser après lui, sur le public. Adieu.
Le temps redevient superbe. Chaud et pas étouffant. J'espère pour vous le même air et le même soleil. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Dimanche 7 Juillet 1850
Six heures

Je me lève de bonne heure quoique je n'aie point à partir. Je me couche aussi de bonne heure, à 10 heures au plus tard. Je m’en trouve bien et comme santé et comme travail. J'écris et je fais mes affaires en me levant jusqu'à 11 heures. Dans le cours de la journée, je me promène beaucoup. Je vois peu de monde. Ce n'est pas, comme l'été dernier, un flux continu de visites de toutes parts, par amitié, par convenance, par curiosité. Il est impossible de mener une vie plus tranquille et plus régulière que la mienne. Mes enfants sont pleins d'affection et de soin. Je me passe très bien du mouvement extérieur qui me manque. Mais je ne me passe point de l’intimité intérieure. C'est là le vide.
Une chose me frappe dans les lettres de Paris dont je vous ai envoyé hier le résumé, et aussi dans les conversations que j'entends. Quoique personne ne devienne ni républicain, ni présidentiel, cependant la République et le président gagnent. Les légitimistes déplaisent de plus en plus. La monarchie sans les légitimistes paraît de plus en plus impossible. Point d'avenir donc hors de ce qui est; et qui n’a pas d'avenir non plus, mais qui est et que personne n'entreprend sérieusement de renverser n'étant pas sûr de le renverser à son profit. C’est un arbre qui ne grandit pas, qui ne s'enracine pas, qui ne pousse ni sur terre ni sous terre, mais qui reste debout. A quel point la nécessité, et l'habitude sont-elles suffisantes pour fonder un gouvernement ; voilà la question qui est en train de se résoudre. Je ne crois pas qu'elles soient suffisantes pour fonder, mais elles le sont, à coup sûr, pour faire durer longtemps. J’ai écrit cela hier à S Léonard avec détail, à la Reine. Mes nouvelles du Roi continuent d’être bonnes.

10 heures
Pas de lettre aujourd'hui. Cela ne m'étonne pas. Vous serez arrivée avant hier à Ems trop tard pour la poste. Je vois dans les journaux une crue subite du Rhin qui me déplaît. Vous avez dû aller de Cologne à Ems par le Rhin. J'espère que vous n'aurez eu ni sujet, ni seulement prétexte d'avoir peur. II ne me vient rien du tout de Paris ce matin. Je trouve que le ministère à l’air bien étourdi et bien impuissant. La loi sur la presse que tout le monde repousse, sa loi sur les maires qu’il voudrait et n'ose remettre à flot. Il semble que les esprits soient à bout comme les forces, et qu’on ne sache plus rien inventer qu'on puisse mener à bien. Adieu, Adieu. Vous me direz comment vous êtes établie à Ems. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 14 Juillet 1850
Sept heures

C’est un plaisir charmant de vous écrire le cœur content. Je puis enfouir bien des choses dans mon cœur sans qu’il y paraisse mais c'est un poids bien lourd.
Nous ne nous sommes pas trompés sur les défauts de Peel ; mais nous n'avons pas prisé assez haut ses qualités, ces deux-ci surtout, son indépendance de tout esprit de parti, et sa préoccupation de la justice envers le masses et de leur sort. C'est là ce que l’a fait grand en lui faisant faire à tout risque, de grandes choses, et ce qui lui vaut aujourd’hui le respect et la sympathie de tout un peuple. Il s'est dégagé des liens qui enchaînent en général les hommes politiques, et il s’en est dégagé pour donner satisfaction aux besoins du peuple, sans s'inquiéter des nécessité du gouvernement. Et il a fait cela en étant un conservateur, un homme d’ordre et de politique sensée et régulière Conduite grande et originale, quoi qu’il n’eût pas dans l’esprit beaucoup d'originalité ni de grandeur.

10 heures
Votre lettre du 9 m’a interrompu. Je ne m’en plains pas. J’ai beaucoup à vous dire encore sur Peel. J'y reviendrai. Je reçois une longue lettre de Lord Aberdeen revenant de Drayton. « It was a sad ceremony ; and to witness the change in that happy résidence, in which I had experienced so much friendship, and had seen so much wisdom, prudence, and integrity of character, required more philosophy than I possessed. " Des détails sur le sentiment public envers Peel. Puis ceci : " His last speech was most important. It was made reluctanly and he greatly dreaded the defeat of tre Govern. ment. From his previous silence, had it not been delivered, the government could have maintained and the public would have believed that he approved of their foreign, as well as of their domestic policy. His manifest reluctance and the moderation of hir manner rendered his censure most effective. " Discussion toujours profonde, quoiqu'avec moins d’aigreur, dans le parti conservateur ; pas de conciliation sur les questions de free trade. Conclusion : " Radicalism is here in the ascendant ; but I am inclined to think that there will be more prudence than we have lately witnessed, abroad. "
Autre lettre intéressante de Mistriss Austin " Lord John's speech was far worse than Lord Palmerston's, and calcutated to do great mischief. Every body speaks of Lord Palmerston's as the most wonderful effort of oratory, considering his age, the heat, and all there was to [?] his difficulties. During five hours, he never faultered, never recalled a word never drank a drop of water, and left off with the very same intonation of voice as he began with. How lamentable that such powers are se employed ! People seem to think that in spite of the " triumph " of tne government, the system of foreign policy has received a severe and salutary, check and that even he will not risk another such struggle. If there were any bounds to human credulity, one might be amazed at hearing sensible men (as I did) talk of " all this being the result of a conspiracy. " I asked in vain what means you, and M. de Metternich, and Princess Lieven, possessed of influencing the mind and opinion of the English - for I maintain that the public was against the government. Nobody can answer. Yet they continue to assert it. We are very much ashamed of the vulgar blustering tone of the speacher en that side." Elle est liée avec Cobden, Sir W. Molesworth, tous ces chefs radicaux qui ont parlé et voté contre Lord Palmerston, malgré leur peuple. Voilà l'Angleterre. Demain, je vous enverrai de la France.
J’ai, ce matin, de Paris, de bonnes nouvelles de vous, par Kisseleff. Votre fils Alexandre était arrivé. Adieu, Adieu, Adieu. Vos lettres arrivent affranchies. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 9 Juillet 1850

Pas de lettre ce matin. C’est bien ennuyeux. J’espère pourtant que c’est mon dernier mécompte. Vous avez dû arriver à Ems vendredi soir. J’ai peur que la poste allemande ne soit pas si exacte que la nôtre.
Rien de nulle part, si ce n’est de Duchâtel qui me dit qu’il prend à Paris les eaux de Carlsbad et que dans huit ou dix jours, il accompagnera sa femme aux eaux d'Allemagne. Il ne dit pas lesquelles. Il admire le suffrage universel que tout le monde regardait comme un fait si fortement enraciné : " Voilà, dit-il, 150 000 électeurs retranchés à Paris, et âme qui vive ne s’en soucie. On est beaucoup plus occupé du voyage en ballon de M. Poitevin et de son cheval. " Il ne croit pas du tout que le Président fasse quelques coups pendant la prorogation. Les journaux sont aussi vides que les lettres et vous aurez une lettre aussi vide que tout cela. Je me suis levé avec mal à la tête. Je vais me promener pour le dissiper. Adieu. Adieu.
Pardon de cette lettre. Ce n’est pas une lettre, c’est un rien, un je ne sais quoi qui n'a de nom dans aucune langue. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 13 Juillet 1850
9 heures

Que je suis heureux ! Trois lettres à la fois, des 6, 7 et 8 ! Mais c'est égal ; je ne veux pas de ce bonheur-là ; je le paye trop cher. Je suis au supplice depuis quatre jours. Tout possible, tout, quoique vous ne montiez pas à cheval. Enfin, c’est passé. Vous n'êtes que mal logée et ennuyée. Je n'ai, en ce moment, nulle pitié de vous. Elle me reviendra. Mais il faut absolument qu’Ems vous fasse du bien sans cela, la duperie serait vraiment trop grande.
Essayons de parler d'autre chose. J’avais tant de choses à vous dire ! Vous en perdrez beaucoup. Point par votre faute, j'en conviens. Je soupçonne la poste allemande d'être beaucoup moins exacte et beaucoup plus curieuse que la nôtre. Quand on fait un mauvais coup au moins faut-il le faire vite et sans trop déranger les gens.
L'assemblée se prorogera sur une pauvre impression. Brouillée du dehors avec le public qui parle, et quasi brouillée, au dedans, sur tous ses bancs. Je ne serais pas surpris qu'en fin de compte la loi sur la presse fût rejetée. Elle est devenue absurde. Tracassière et inefficace, c’est trop de moitié. Les légitimistes ont eu, dans ce débat, des inventions pitoyables. Ce qui me frappe de plus en plus c’est la pauvreté et la stérilité d’esprit. Partout, plus ou moins.
Palmerston a eu beau avoir du succès ; son discours est commun, très commun, infiniment au-dessous de la situation et des sujets. Mettez bout à bout huit ou dix articles du Siécle français et du Dayly news anglais sur les questions grecque, suisse, italienne, turque, française ; vous aurez ce discours là, et au moins aussi bien. Ce n’est pas la peine d'être Ministre de la Grande Bretagne et d'avoir le diable au corps pour parler comme les journalistes radicaux écrivent. Et il faut que le public de la Chambre des Communes soit lui-même bien descendu pour se contenter et se ravir à si bon marché. Je vous dirai que c'est là, à mon avis, un symptôme assez inquiétant sur l’Angleterre ; si le parti qui trouve tout cela beau et bon reste ou devient tout-à-fait le parti dominant, vous verrez là toutes les sottises du continent. Je compte un peu sur l’autre parti et beaucoup sur le bon sens et la droiture du public anglais qui ne parle ni n'écrit.
Je reviens à notre assemblée. Elle va donc se proroger, peut-être pas pour bien longtemps. On m'écrit : " Nous ne ferons rien demander par les Conseils généraux ; il y aurait trop de divergence, et cela ferait trop bien les affaires du Président. Diviser la majorité et donner la chasse aux légitimistes, voilà la tendance actuelle, à laquelle ces derniers ne se prêtent que trop. On craint que les votes des conseils généraux ne soient ou présidentiels ou légitimistes. Je crois pour ma part que l'on fait trop d’honneur à notre magnanimité, et qu'en lui donnant le plus grand essor possible, elle n'irait pas au delà d’une révision de la Constitution par voie régulière. Mais à quoi bon ? Et que peut-on faire de cette constitution là sinon de la jeter au feu ? " Vous voyez que les uns prétendent, et que les autres espèrent bien peu.
Autre lettre : " Les légitimistes de l'Assemblée commencent à se demander s’il ne vaudrait pas mieux ne pas voter le budget, avant la prorogation, et se borner à voter les contributions directes comme l'an dernier, pour donner aux conseils généraux leur travail mais réserver le vote du budget des dépenses pour le retour de l'assemblée afin de ne pas faire un lit trop commode au Président, s’il avait quelques velléités pour cet été."
J’ai tout le détail des conversations de Dalmatie, Mornay et St Aignan à St Léonard. Ils sont les derniers revenus. La Duchesse d'Orléans plus traitable, comme plus inquiète. N'évitant pas, provoquant au contraire la conversation : " Vous m'avez dit bien des choses qui m’ont donné à réfléchir. M'avez-vous tout dit ? Dites-moi tout. Vous m’avez parlé de quelque chose à faire ? Qu'entendez-vous par là ? Que faut-il faire ? " De l'humeur contre moi : " M. Guizot veut qu’on se rende à ses idées. Il est bien décidé, et bien pressé. " Même langage du Roi, plutôt moins net et moins explicite. Au fond, même situation.
Je commence à peine à causer avec vous. Pourtant il faut finir. A demain. Je compte bien sur une ou deux lettres. Adieu, adieu, adieu. Il fait beau, et bien plus beau au dedans qu’au dehors. Je me promènerai en respirant au lieu de me promener en étouffant. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 10 juin 1850
6 heures

Duchâtel m'écrit comme vous que l’argent du Président passera, après bien du tirage. Il croit aussi que sa loi du tombeau Napoléon passera cette semaine, et il ira alors à St Léonard, deux ou trois jours plus tôt ou plus tard selon que les nouvelles seront plus ou moins inquiétantes. Je ne sais pourquoi je vous redis tout cela qu’il vous dit surement lui-même. Habitude de nous redire tout ; on a bien de la peine à croire à l'absence, même quand on la sent. J’ai bien de la peine aussi à admettre ce que vous dit Ellice que l'affaire grecque reste toujours sérieuse dans la Chambre des Lords, malgré l'ajournement, et que le Cabinet ne s’en tirera pas. Flatterie pour votre désir. Ce serait trop beau. Il serait vraiment très beau qu’une affaire point grave en elle-même, et complètement terminée devînt l'objet d’un débat sérieux, et que par pur respect de la bonne politique, pour le seul honneur du pays, le Cabinet fût sérieusement censuré, et tombât devant cette censure. Quelle que soit mon estime pour l'Angleterre, je n'en espère pas tant. Je vois de plus, d'après ce que vous me citez, qu’il ne s’agit pas de substituer simplement, selon le choix du roi Othon, la convention Drouyn de Lhuys à la Convention Wyse, et qu’on en fait une troisième, un amalgame des deux premières. Si on retranche de celle-ci l’article qui mettait l’Angleterre à l'abri des réclamations de la Grèce pour pertes et avaries et si la Grèce élève en effet des réclamations, ceci peut prolonger et envenimer l'affaire.
J’ai passé hier ma matinée à Lisieux. J'ai vu assez de monde. Pays étrangement tranquille. On parle sans la moindre inquiétude de l'insécurité universelle. On prévoit et on discute les révolutions futures ; et on s’établit dans cette prévoyance comme dans un mal dont on ne peut ni guérir, ni mourir. On semble assuré que quoi qu’il arrive, on ne sera pas beaucoup pire qu’on n'est, et on se résigne, assez aisément à n'avoir ni plus haute ambition, ni plus grave crainte. C’est un spectacle profondément humiliant.
Qu'est-ce que la princesse Léonida Galitzine qui va a Trouville, et dont il me semble que vous m'avez parlé ? On me dit qu'elle est soeur de Paul Tolstoy, et que c’est une bonne et aimable personne, un peu timide et sauvage, qui a perdu sa fille aînée il y a quelques années, et que le chagrin dévore. Est-ce vrai ?

9 heures
Mauvaises nouvelles du Roi, de Londres et de Paris. J’attendrai ce que Montebello m’écrira, et que Thiers soit revenu. Je ne veux pas, comme de raison, m'y trouver avec lui. Broglie ne sait pas quel jour il sera disponible. Je ne puis l'attendre indéfiniment. Je le verrai en passant par Paris, et s'il est prêt, je l'emmènerai sinon, j'irai sans lui. Car je passerai par Paris. Adieu, adieu. J’ai cinq ou six petites lettres à écrire. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L013_00199.jpg
Val Richer, Mardi 16 Juillet 1850

Voici, à Paris la disposition d'avant hier, comme me l'écrit un des meilleurs juges : " Tout le monde dort et veut dormir. Les légitimistes seuls se tiennent les yeux ouverts, mais pour faire cent sottises. Ce pauvre Berryer me racontait tout à l'heure ses douleurs. Sa seule ambition, pour le moment, serait de leur rendre l'humeur un peu plus douce pour les personnes, de leur donner un peu de liant de confiance, d'abandon, avec nous autres ; et puis on verrait après. Mais non ; c’est plus fort qu'eux ; ils ont vécu d'absinthe, et ne veulent plus d’autre boisson. Le seul remède, selon Berryer, c’est de se séparer, c’est la prorogation de l'assemblée ; mais en la demandant, il éveille les soupçons. Vous voulez donc nous vendre au Président ? Quelles pauvres gens qui ne peuvent ni faire, ni laisser faire ! Et pourtant qu’y a-t-il de possible sans eux ? " " Thiers est revenu de Lille et de Valenciennes. Il s'est aperçu en chemin de fer que le pays voulait se laisser faire, et il m'a l’air d'avoir envie de faire comme le pays. "
Vous voyez que cela s’accorde avec vos pressentiments. La lettre d'Ellice est curieuse. Il a de l'esprit. Je suis de son avis ; je ne partage pas l’espoir d'Aberdeen que Palmerston, plus puissant au dedans, sera plus prudent au dehors. Palmerston s'est donné aux radicaux et les radicaux à lui. Les radicaux l'ont déjà payé ; il faudra bien qu'il les paye à son tour. Si Kossuth, Mazzini et Ledru Rollin étaient encore en action chez eux, sur le champ de bataille révolutionnaire, je serais très inquiet ; Palmerston les aiderait. Mais ils sont battus, et fugitifs chez lui ; il se contentera de les ménager. Pour le moment cela lui suffit. Faut-il vous renvoyer la lettre d'Ellice ou vous la garder ?
A-t-on à Ems le Quarterly Review ? Lisez, dans le numéro de Juin qui vient de paraître, un grand article, on the austrian revolution. C’est un résumé intéressant. Je suppose que c'est de mon ami le Dr Travers Twiss. Il est allé naguère à Bruxelles. Je vous avais recommandé sa brochure sur les affaires de Hongrie. L’avez-vous lue ?
L'article d'Albert de Broglie sur M. de Châteaubriand met en grande colère les débris de la coterie de Mad. Récamier. Ils s'indignent qu'on touche à leur idéal. Il faut être jeune pour être idole. M. de Chateaubriand ne se consolait pas de vieillir. Il avait raison.

9 heures
Certainement, je vous plains, et vraiment il y a de quoi avoir froid toute seule, c’est très triste. Prenez Ems en horreur tant que vous voudrez, mais non pas vous-même, je ne vois pas le lien nécessaire de ces deux haines. Dites-moi au moins si les eaux que vous buvez vous font du bien. Quelle est la nature de ces eaux là, ferrugineuses sulfureuses, gazeuses, alcalines, salines ? Comment s’appelle le médecin des eaux ? Quand vous êtes quelque part, j’ai envie de savoir tout ce qui y est.
Ma lettre à l’Institut réussit très bien, la démarche et la lettre. Que je fais bien de me tenir en dehors de tout ! Certainement Lady Alice, vous a écrit. Sa lettre aura été retenue quelque part. J’ai reçu d'elle une réponse très amicale. Ma lettre lui avait fait plaisir. Adieu, adieu. Je voudrais vous envoyer de quoi remplir votre journée de quoi échauffer votre chambre. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L013_00220.jpg
Val Richer, Dimanche 21 Juillet 1850

Vous dites que votre cure finit le 5 août. Je ne croyais pas que ce fût si tôt. C’était en août et plutôt vers le milieu que dans les premiers jours que je me promettais d’aller vous voir. J’ai besoin d’être ici le 6 août, pour affaires, affaires de la localité et affaires à moi qui doivent réunir quelques personnes. J’attends deux ou trois visites d’ici à la fin de Juillet. J’aimerais donc mieux la dernière quinzaine d’août que la première. Voici quel était mon désir et mon plan. Guillaume aura, je l'espère, des prix au grand concours de l'université, le 17 août. Je n’ai jamais manqué d'aller le voir couronner. Je n’y voudrais pas manquer à présent qu’il est grand et que mons influence sur lui est de plus en plus nécessaire. J’irais à Paris le 12 août, et j'en repartirais, le 13 au soir pour aller vous trouver, en passant par Bruxelles, là où vous seriez sur les bords du Rhin, Ems, Bade, ou ailleurs. Je serai charmé de voir Aberdeen, mais je doute qu’il vienne et en tous cas, ce n’est pas lui que je vais chercher. Quel ennui que cette distance qui empêche de rien concerter. Je n'aurai réponse à ceci que dans six jours. Je vais tâcher de m’arranger pour ne pas l'attendre et pour aller vous voir à Ems dans les derniers jours de Juillet de les premiers d'août toujours obligé d'être ici de retour le 6, au moment où vous quitterez Ems. Je voudrais bien savoir où vous serez après. Je comprends que vous n'ayez nulle envie de passer le mois d'août à Paris. Il n’y aura personne; pas un de vos amis Français, et bien peu du corps diplomatique. La dispersion sera encore plus grande cette année que de coutume. Tout le monde est excédé.
Va-t-on de Paris à Ems en deux jours quand on ne s'arrête pas? Je suppose qu'on n’arrive à Ems que le troisième jour. Je vais faire demander cela à Paris. Les jeunes Broglie et les d’Harcourt sont venus hier de Trouville, passer la journée ici. Ils sont aimables et en train. J’ai une lettre de Madame de Ste-Aulaire qui me presse d'aller la voir à Etiolles. A la bonne heure l’automne prochain, quand nous serons tous rentrés à Paris.
Un M. Alexander Wood m'a apporté hier une lettre de Gladstone très amicale et qui contient ceci : « Through Lord Aberdeen, I have had the high gratification of learning that you approved of the sentiments which I made bold to express on the occasion of our late debate respecting foreign affairs. They were spoken with great, sincerity. They were confortable, I believe, not only to the declared opinion of one of our houses of Legislature but to the real, though undeclared and latent opinion of the other. The majority of the house ef Commons was with us in heart and conviction ; but fear of inconveniences attending the removal of a Ministry which there is no regularly organized opposition ready to succeed, carried the day, beyond all substantial doubt against, the merits of the particular question. " Après tout, je crois que c’est bien là le vrai, et que la victoire de Lord Palmerston n'est ni de bien bon aloi, ni bien définitive s’il recommence. Et je suis persuadé qu’il recommencera.
La poste est en retard ce matin. Non pas vous, mais toute la poste. Je ne comprends pas pourquoi. Il n'y a point de sûreté ; on peut tous les jours apprendre de Paris je ne sais quoi. Je vais faire ma toilette en attendant, et avant de vous dire adieu.

Onze heures
Voilà le facteur qui a été retardé. Il faut qu'il reparte tout de suite. Je n'ai que le temps de fermer ma lettre. Adieu, adieu.
Le mercredi 17 ou au plus tard le 18, vous aurez été délivré de mon inquiétude. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 21 Juillet 1850

Vous dites que votre cure finit le 5 août. Je ne croyais pas que ce fût si tôt. C’était en août et plutôt vers le milieu que dans les premiers jours que je me promettais d’aller vous voir. J’ai besoin d’être ici le 6 août, pour affaires, affaires de la localité et affaires à moi qui doivent réunir quelques personnes. J’attends deux ou trois visites d’ici à la fin de Juillet. J’aimerais donc mieux la dernière quinzaine d’août que la première. Voici quel était mon désir et mon plan. Guillaume aura, je l'espère, des prix au grand concours de l'université, le 17 août. Je n’ai jamais manqué d'aller le voir couronner. Je n’y voudrais pas manquer à présent qu’il est grand et que mons influence sur lui est de plus en plus nécessaire. J’irais à Paris le 12 août, et j'en repartirais, le 13 au soir pour aller vous trouver, en passant par Bruxelles, là où vous seriez sur les bords du Rhin, Ems, Bade, ou ailleurs.
Je serai charmé de voir Aberdeen, mais je doute qu’il vienne et en tous cas, ce n’est pas lui que je vais chercher. Quel ennui que cette distance qui empêche de rien concerter. Je n'aurai réponse à ceci que dans six jours. Je vais tâcher de m’arranger pour ne pas l'attendre et pour aller vous voir à Ems dans les derniers jours de Juillet de les premiers d'août toujours obligé d'être ici de retour le 6, au moment où vous quitterez Ems. Je voudrais bien savoir où vous serez après. Je comprends que vous n'ayez nulle envie de passer le mois d'août à Paris. Il n’y aura personne; pas un de vos amis Français, et bien peu du corps diplomatique. La dispersion sera encore plus grande cette année que de coutume. Tout le monde est excédé.
Va-t-on de Paris à Ems en deux jours quand on ne s'arrête pas? Je suppose qu'on n’arrive à Ems que le troisième jour. Je vais faire demander cela à Paris. Les jeunes Broglie et les d’Harcourt sont venus hier de Trouville, passer la journée ici. Ils sont aimables et en train. J’ai une lettre de Madame de Ste-Aulaire qui me presse d'aller la voir à Etiolles. A la bonne heure l’automne prochain, quand nous serons tous rentrés à Paris.
Un M. Alexander Wood m'a apporté hier une lettre de Gladstone très amicale et qui contient ceci : « Through Lord Aberdeen, I have had the high gratification of learning that you approved of the sentiments which I made bold to express on the occasion of our late debate respecting foreign affairs. They were spoken with great, sincerity. They were confortable, I believe, not only to the declared opinion of one of our houses of Legislature but to the real, though undeclared and latent opinion of the other. The majority of the house ef Commons was with us in heart and conviction ; but fear of inconveniences attending the removal of a Ministry which there is no regularly organized opposition ready to succeed, carried the day, beyond all substantial doubt against, the merits of the particular question. " Après tout, je crois que c’est bien là le vrai, et que la victoire de Lord Palmerston n'est ni de bien bon aloi, ni bien définitive s’il recommence. Et je suis persuadé qu’il recommencera.
La poste est en retard ce matin. Non pas vous, mais toute la poste. Je ne comprends pas pourquoi. Il n'y a point de sûreté ; on peut tous les jours apprendre de Paris je ne sais quoi. Je vais faire ma toilette en attendant, et avant de vous dire adieu.

Onze heures
Voilà le facteur qui a été retardé. Il faut qu'il reparte tout de suite. Je n'ai que le temps de fermer ma lettre. Adieu, adieu. Le mercredi 17 ou au plus tard le 18, vous aurez été délivré de mon inquiétude. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 29 Juin 1850
6 heures

Je viens de me promener une heure seul. Après vous, ce que j'aime le mieux, c’est la solitude. Je crois bien que je finirais par m'en lasser. Mais ce serait long. Mon passé est très plein, et je lui porte de l'affection. J’ai encore assez de curiosité pour l'avenir. Je ne prouve point de vide.
Aujourd’hui, ni vous, ni les journaux ne m’avez rien apporté de Londres. En y regardant bien, ce que j'ai vraiment le plus à coeur dans cette affaire c'est de voir triompher la justice et la vérité. Elles veulent la ruine de Palmerston. J'estime l'Angleterre. Cela me déplaît qu'elle ne sache pas faire droit. Ce que j’ai de personnel contre Lord Palmerston est bien à la surface et j'y pense bien peu.
Je viens de relire et de mettre tout à fait en ordre, cette étude sur Monk qu’on me demande de réimprimer. Elle n’a jamais été publié que dans un recueil intitulé la Revue française, en 1837. Elle est enfouie là. C’est une scène de grande Comédie, un soldat, sensé, fin et taciturne, décidé à rétablir le Roi sans tirer un coup de fusil, et pendant plus de six mois trompant tous ceux qui n'en veulent pas et faisant taire tous ceux qui en veulent. C'est piquant à lire aujourd’hui, et amusant pour les gens d'esprit. Pas d'assez grosses couleurs pour le gros public. Aucune recherche d'allusions. D'ailleurs les temps et les pays sont très différents. On y cherchera des malices qu'on y trouvera pas ; et on ne verra pas toutes celles qui y sont.

Dimanche 30 Juin
J'ai des lettres de Londres d'une bonne source que vous connaissez et d'accord avec les vôtres. « C’est un débat sans exemple car il n'est dirigé par aucun esprit de parti, par aucun chef politique ; c'est le sentiment national du droit qui se fait jour avec une puissance irrésistible. Il a dicté le vote de la house of Lords ; il laissera le Ministère dans une bien faible majorité à l'autre chambre. On espérait hier 25 voix, aujourd'hui 15. Les discours de Gladstone et de Molesworth out surtout obtenu un grand succès. Le Gouvernement n'a le secours d’aucun membre indépendant. si ce n'est de gens comme Rocbuck et Bernal Osborne. Bref, on compte aujourd’hui sur une victoire morale complète sur l'ennemi, et sur un vote qui rendra à peu près impossible le maintien du Cabinet Rusell. Lord Stanley échouera s’il essaie de composer un Cabinet sans les free traders, et je crois qu’un remaniement Whig avec Graham & & aura plus de chances de succès. "
J’ai aussi de bonnes nouvelles, de St Léonard. Dumas m'écrit : " L'amélioration dans la santé du Roi s'est soutenue et progressivement développée. Le sommeil est revenu, la toux a disparu, les fonctions de l’estomac se font mieux ; les forces reviennent lentement mais elles reviennent surtout depuis trois jours. J'espère que le Roi reviendra sinon à un rétablissement complet, au moins à un état relativement bon et durable, avec les soins dont il est entouré. " Dumas était un des plus inquiets. C’est vraiment bien dommage que vous partiez dans ce moment. Mais vous avez raison de ne pas rester en l’air. Rien ne vous est plus contraire.
Les rois et les reines ont trop de malheur. Les coup de pistolet, encore passe ; mais des coups de canne ! Adieu, adieu. Je vous obéis ; j'écris toujours à Paris. J'en conclus que vous partirez au plutôt demain soir. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 5 Novembre 1849
9 Heures

M. Moulin et M. Vitet m’écrivent de ne pas fixer en ce moment le jour précis de mon retour à Paris. Ils croient que le président n'en restera pas là. Ils me recommandent de ne pas arriver au milieu de la crise : " Quelque réservé quelque prudent que vous soyez, on commentera votre arrivée vos paroles, en vous fera parler quand vous n'aurez rien dit. Il ne vous est pas permis, de vous renfermer dans la vie privée ; vous serez, malgré vous malgré nous, traité en homme public. " Voilà leurs paroles. Ce qu’ils disent est vrai. Je n’y vois pas autant d’inconvénients qu'eux ; et ces inconvénients, s'ils existent, existeront à peu près toujours, A quelque moment que j’arrive, il m’arrivera ce qu’ils disent. Pourtant, je crois que pour ce moment-ci, ils ont raison, et qu’il vaut mieux ne pas fixer de jour précis. Quel ennui, et quel prélude, d'ennemis ! Je suis dans une veine de tristesse profonde, pour vous, pour moi. Si j'étais là, je serais bien moins triste, bien moins inquiet. Votre inquiétude à vous me désole au delà de ce que je puis dire. J’espère qu'elle est exagérée ; mais je la trouve bien naturelle. Si j'étais là, vous seriez moins inquiète et moi probablement pas inquiet du tout. Ah, que le monde est mal arrangé ! Madame Austin vient de partir. Elle va à Rouen, et là elle verra si elle veut aller à Paris ou retourner directement en Angleterre. M. Cousin et M. Barthelemy, Ste Hilaire doivent venir l’attendre à Rouen. Elle a traduit tout ce que j'ai écrit. Je lui enverrai le reste. Voilà, par extraordinaire, votre lettre qui m’arrive deux heures plutôt. On a profité d’une occasion. Vous êtes plus tranquille, donc moi aussi. Que l'Empire se fasse ! Il ne serait pas trop sensé en effet d’aller tomber à Paris, en même temps que la bombe. J'attendrai. Mais qu’il se dépêche. Pourquoi tarder, puisqu'il veut tout, et que ceux qui ne s’en soucient pas veulent si faiblement ? Au fait, je trouve tout cela assez logique et naturel. Le plus pauvre rôle, c’est celui des Chefs de la majorité ne voulant rien faire, et ne pouvant rien empêcher. On m'écrit qu'ils en sont embarrassés. Je suis bien aise que vous ayez enfin vu Broglie. Si le vent souffle ainsi dans les voiles de l'Empire, il n’y aura pas de longs désordres, dans la rue. Les émeutiers auront peur et les soldats seront en train. J'espère que vous n'aurez pas même besoin de Kisseleff. Adieu, adieu. C’est absurde de n'avoir pas rappelé la flotte sur le champ. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 3 juin 1850
Sept heures

Certainement il vaudrait mieux que l'affaire Anglaise ne fût pas arrangée avant le débat du 7 et qu'un peu d’incertitude planât encore sur la situation. Cependant, même arrangée, quelle mauvaise affaire pour Lord Palmerston et comme il serait aisé de le lapider avec les pierres qu’il a amassées lui-même sur son chemin. Tant de fourberie perdue ! Tant de présomption humiliée ! Sa rouerie arrogante vaincue par la bonne foi inexpérimentée de Lahitte !
Les Anglais, quelquefois si brutaux dans leurs personnalités, ne savent pas tourner et retourner poliment le poignard dans les blessures de leurs adversaires ; ils ont des ménagements et des réserves qui contrastent singulièrement avec leur goût pour la grosse ironie et l’injure. Que l’arrangement soit conclu ou non, que Palmerston ait cédé, ou persisté, il ne devrait sortir du débat que mis en pièces ; il a fait là une de les choses dans lesquelles il faut absolument réussir pour pouvoir en parler.
Si vous étiez ici, si nous nous promenions ensemble, le beau soleil la fraîche verdure, le calme gai de ma vallée nous feraient oublier Palmerston et les débats de Londres. Mais vous n’y êtes pas, et j'oublie ma vallée, la verdure et le soleil pour vous parler de Palmerston.

10 heures
Vos dernières lignes me désolent sans m'étonner. Je suis parti craignant cette explosion. Ce sera bien mauvais. Se rejeter dans tous les hasards pour de si pitoyables motifs ! Nous sommes dans des mains d'enfants. Je veux croire encore qu’on s’arrangera. Et je le crois presque. Il y a un point de déraison qui me semble toujours impossible. Je m’y suis trompé souvent. Avais-je tort dans ce que je vous disais hier en vous parlant de La Redorte Je reçois de Londres une lettre curieuse. On me dit que la question grecque est à peu près morte " Tant qu'elle a été ouverte, personne n'a osé y toucher ; depuis qu’elle est fermée, l’intérêt n’y est plus. Il faudrait encore plus de talent que n'en a Lord Stanley pour la faire revivre. Il y a huit jours, on parlait avec conviction d’un vote hostile dans la chambre des Lords ; aujourd’hui, on n'y a pas renoncé, mais il en est moins question. On le disait aussi, parmi les whigs, que ce serait la dernière fois qu’on s’exposerait à subir de pareilles ignominies, et les vives remontrances de la Cour, ont été un peu mieux écoutées qu’auparavant. Mais [wows] made in pain. Il ne s’agit pas le moins du monde de mettre Lord Clarendon au foreign office ; mais il ne serait pas de toute impossibilité que Lord John s’en chargeât provisoirement lui-même. Faible lueur d’une faible intention.
On est d'accord ici pour soumettre la question des conventions rivales au Roi Othon lui-même. Palmerston s'est borné à exposer à ses collègues les deux voies qu’il y avait à suivre ; ils se sont décidés aux concessions.» Je vous envoie ce qui me vient. Paris me préoccupe bien plus que Londres. Que dites-vous du langage du Prince de Prusse ? Il a voulu se lier avant de partir et annuler d'avance l'influence de l'Empereur. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, 9 novembre 1849
7 heures

Je vous ai dit hier tout de suite que mes lettres m’engageaient plutôt à revenir bientôt. Je suis charmé que Sainte-Aulaire et le duc de Noailles soit de cet avis, vers la fin de la semaine prochaine, nous serons réunis. Je ne puis fixer encore un jour précis. Je vous répète ce que je vous ai déjà dit hier, pour le plaisir de me le redire à moi-même. Ceux qui m’écrivent croient à une halle dans la station actuelle. Et ils la désirent. Personne n’a envie de fondre la cloche. Le Président est évidemment le plus décidé. C’est sa force. Voici ce qu’on me dit de Thiers, de visu (vous savez ce latin là) : " Très inquiet et très perplexe. Il prétend que, si le Président. veut tenter un coup d’Etat, l’assemblée résistera, et aura l’armée pour la défendre. Cela paraît fort douteux. Et d'ailleurs que ferait l'assemblée de sa victoire ? Au fond M. Thiers commence à avoir le sentiment de son impuissance, et il en est très humilié. Pour l'avenir, il en est toujours au même point. Il ne se dissimule aucune des difficultés de la régence ; mais il ne veut que cela. Il paraît plus décidé que jamais contre la fusion, et ce qu’on appelle la conciliation des deux branches. " On tient le refus de Rayneval pour certain et on parle de Lagrené. Je suis bien aise que vous ayez fait connaissance avec le général Changarnier. Vos nouvelles d’Espagne me déplaisent bien. Elles sont de bonne source. Tout est possible là, et la mauvaise santé de Narvaez peut lui ôter de l’entrain. Je ne sais si je vous ai dit que j’ai été frappé du ton, non pas découragé mais un peu abattu de la lettre que j’ai reçue de lui il y a quelques semaines. Si la petite Reine prend le mors aux dents, Dieu sait où elle ira. Savez-vous ce que prouve (si le fait est vrai) le retour de la presse Anglaise à Lord Palmerston ? Qu'on le sait aux prises, et seul aux prises avec vous. Je vous ai envoyé un extrait d’une lettre remarquable de Londres, où l’on me disait que l’incident Turc avait montré combien peu de fond il fallait faire sur le concours de la république française. Le public anglais, et la presse anglaise. la grande, soutiendront toujours un ministre engagé ; et engagé seul, dans une telle lutte. Ils le soutiendront sans crainte, car évidemment la guerre n’est pas au bout de cette lutte-là. Mais c'est une question d'influence, de dignité. On ne livrera pas Palmerston sur une telle question. On l’appuiera. Et au fond d'ailleurs, dés que cela devient un peu sérieux, l’Angle terre est infiniment moins russe que la France. Je dis l'Angleterre, le public anglais. M. Jaubert est donc redevenu votre voisin. Faîtes lui, je vous en prie, mes amitiés quand vous le verrez. Il n'y a pas un homme plus sincère, plus honnête, ni plus courageux. Je le pensais quand nous étions brouillés comme quand nous étions amis. Et j'ai toujours trouvé absurde que nous fussions brouillés. Il y a quelques personnes avec qui je serai charmé de n'être plus officiellement. brouillé. Madame de la Redorte par exemple. Je prenais plaisir à causer avec elle pour la contredire. J’espère qu’à présent, nous serons souvent du même avis.

Onze heures et demie
Merci, merci, Tout ce que je reçois me confirme dans mes projets. Adieu, adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, lundi 12 août 1850

Les Sainte-Aulaire ont été charmés hier de me voir. Ils m'attendaient au bord de la rivière que j'ai passée dans un petit bateau comme celui dont vous n'avez pas voulu sur le Rhin. Mais quand nous irons ensemble, nous n'userons point du petit bateau ; avec vingt minutes de plus on passe sur le pont de Corbeil. Rien que Mr et Mad. d’Harcourt, M. de Viel-Castel, M. Raulin, un M. de Kermarer, représentant et parent de Sainte-Aulaire, et moi. Amicale et agréable conversation. Il écrit ses mémoires avec passion. Elle a bien de l’esprit. Fusionniste, plus décidée que personne ; ne comprenant pas qu’on ne le soit pas si on est sensé et honnête. Ils sont bien établis. Ils resteront là jusqu'au 15 Janvier. Leurs enfants viennent alternativement leur tenir compagnie. Les d'Harcourt vont en Angleterre à la fin du mois, pour quelques jours le mari pour son héritage, la femme pour rendre ses devoirs à la Reine.
J’ai eu hier une longue lettre de la Reine, ancienne (25 Juillet) ; elle m'a été apportée par quelqu’un qui a fait de longs détours. A ce moment quoique après la fatigue de la première communion de M. le comte de Paris le Roi continuait d'aller mieux. Du moins la Reine le croyait et me le dit. Elle me remercie vivement de l’article de M. de Lavergne dans la Revue des deux mondes. Evidemment cela leur a fait un grand plaisir. Ils seront à Richmond samedi prochain 17.
J’ai oublié de vous dire qu’en passant à Bruxelles, j'ai redit au roi Léopold ma conversation chez vous avec le comte Chreptovitch. Vous vous la rappelez. Il en a été charmé. Van Praet m'a dit que le Général Skrinesky (est-ce le nom ?) n’était plus employé dans l’armée Belge. Il est en retraite. Ils n’ont plus dans l’armée que sept ou huit officiers Polonais dont il leur serait assez facile de se débarrasser. Il ne leur faut qu’une occasion naturelle, qui peut se présenter. Du reste, j’ai trouvé la Belgique, non pas agitée mais assez troublée de la retraite du Ministre de la guerre, retraite forcée par les susceptibilités et la mauvaise humeur de la garde civique de Bruxelles. Le 23 Février sans révolution. Il m’a paru que cela inquiétait les gens d'esprit. Là aussi, il y a de bien mauvaises idées et habitudes qui ne fermentent pas et n'éclatent pas tout de suite, comme en France, mais qui couvent et pourraient bien jouer quelque mauvais tour.
J’ai eu hier la visite de votre ministre des Finances, Achille Fould. Assez tranquille sur l'année 1851, sauf les trois derniers mois. C'est alors qu’il faudra prendre son parti. Le Président part ce matin. A tout prendre on croit que les manifestations favorables l'emporteront sur les manifestations hostiles. Je le crois aussi. Le second dîner militaire à l'Elysée (320 couverts, officiers et sous officiers, pêle-mêle, un choix dans deux régiments de ligne) a été plus tranquille que le premier à vrai dire assez froid. Je doute et on doute que cette pratique continue. Elle réunit médiocrement auprès des acteurs et déplait beaucoup au public spectateur. Je suis allé voir hier Kisseleff que j'ai trouvé sensé et content selon son usage. Il paraît croire d'après des nouvelles très récentes de Péterstourg que décidément l'Impératrice ira passer l'hiver à Venise. Il ne m'a rien dit de M. de Brünnow. Le Roi Othon a été très satisfait du résultat des débats de Londres. C’est à Athènes une reculade, avérée pour l'Angleterre et Lord Palmerston. M. Thouvenel a un congé de trois mois. Mais il reste Ministre à Athènes et en bonne position. M. Drouyn de Lhuys écrit que Lord Palmerston n’est pas reconnaissable, doux, patient, craignant les affaires. s'y prenant de loin pour les éviter et demandant qu'on l'aide à les éviter.
Adieu. Adieu. J’espère que vous êtes bien établi à Schlangenbad. Je pars demain soir pour Trouville. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 27 octobre 1849
8 heures

Je comprends que Broglie et Thiers n'aient pas voulu voter. Par égard pour le Roi et sa famille dont ils savaient que le vœu était pour le rappel du bannissement. Mais ils devaient dire pourquoi ils ne votaient pas, et caractériser hautement leur situation, comme Berryer a caractérisé la sienne. Leur silence les met à la suite de Berryer, malgré leur abstention. Ils pouvaient faire, comme Berryer de la belle et bonne monarchie, produire dans les esprits une impression, en harmonie avec celle qu’il a produite, quoique distincte et donner en même temps à Claremont un avertissement utile... puisqu'il est nécessaire. Je suis, plus que personne, d'avis qu’on ne se divise pas. Et précisément pour ne pas se diviser, il ne fallait ni voter, ni s'abstenir en silence. C’était là, à mon avis, une de ces occasions, où quels que soient le péril et la difficulté, les Chefs de parti doivent se montrer et prendre leur place. J'ai reçu hier une lettre de Duchâtel. Désespéré, et désespérant. Il me dit: « Plus je regarde de près le malade, et plus son état me semble grave. Vous avez vu comment l'élection a été perdue à Bordeaux. On a commis à plaisir, toutes les fautes qui, sous la monarchie ont produit tant de malheurs. On s'est cru fort, et aussitôt on s'est divisé. Quand un candidat rouge est nommé, dans la Gironde cela indique quel fond on peut faire sur les Provinces. L’Etat actuel me semble bien dangereux. On a l'illusion d’un gouvernement tolérable. Cela suffit pour endormir les modérés, et provoquer les opposants, sans donner, au fond, aucune garantie d'avenir. L’esprit est partout, abaissé à un degré que je n'aurais pas pu me figurer. La prévoyance politique des hommes les plus éclairés ne va pas au delà des questions du personnel administratif. On veut avoir de bons sous Préfets et des percepteurs passables. Voilà l’horizon, le plus étendu qu'embrasse la pensée de tous les conservateurs de Province. En somme, on aura perdu au triomphe apparent des opinions modérés. Quand le gouvernement était plus franchement républicain, l'opinion était beaucoup meilleure. Les mauvais fonctionnaires ne faisaient pas grand mal et irritaient l'opinion qui arrivait au bon sens par l'opposition. Aujourd'hui les bons fonctionnaires ne font pas de bien, et l’esprit d'opposition gagne comme de notre temps, sans être efficacement combattu. La révolution me fait l'effet d’une fièvre qui a été coupée trop tôt, et mal ; elle devient presque incurable.» Je copie au lieu de vous envoyer la lettre. Vous ne pourriez pas lire. Il reviendra avec l'hiver. J’aurais trop à dire sur la lettre de Beauvale à propos de Manin. Ce n’est pas la peine. Et je ne sais pas assez bien les faits. Je vous la rendrai. Il a toujours bien de l’esprit. Si Narvaez est définitivement sorti le 23, comme vous dites, j'en suis bien fâché. Les noms mis en avant sont plutôt très monarchiques, mais sans force. Si la reine Christine est pour quelque chose là-dedans, elle a tort. J’attends bien impatiemment les nouvelles de Pétersbourg. Tout en pensant qu'elles ne seront pas définitives, et que l'affaire trainera. Si l'Empereur Nicolas était l'Empereur Napoléon, je craindrais tout. Tout serait déjà sans dessus dessous. J'espère qu'il n'en est rien. L’exemple, après tout, n'est pas bien tentant.

Onze heures Merci de votre lettre. La conversation de Mad. Démidoff est très curieuse. Adieu, adieu. Un bon dîner et un bon matelas, c'est bien mais ce n’est pas assez. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 26 oct. 1849
7 heures

Tout est possible ; mais certainement le coup d'Etat, c’est-à-dire l'Empire, fait à la suite d’un mouvement vers la gauche, et de concert avec elle serait une des plus étranges et des plus sottes absurdités qui se pussent voir. L'Empereur serait à peine né qu’il verrait ce que c’est que d'avoir la gauche pour parrain. Il pourrait bien ne pas aller jusqu'à la naissance, et mourir dans l'accouchement. Je croirai cela quand je l'aurai vu. Il y a encore des choses, auxquelles je suis décidé à ne pas croire d'avance. Pour l'honneur de mon bon sens. Vous avez raison de ne pas en faire plus pour l’Angleterre que pour les autres. Pourquoi auriez-vous porté votre carte là et pas ailleurs. Les autres sont bien venus. Presque tous du moins. Vous ne connaissiez pas, ce me semble, d'Autriche. Hatzfeld m'étonne aussi. Sa femme est-elle à Paris ? Vous avez bien raison aussi de prendre garde aux Holland. Faites avec eux comme Cromwell, avec le Long Parlement ; s’en servir et s’en séparer. Il excellait à cela. Je vais chercher à arranger d'ici une manière que Piscatory aille chez vous. Il me semble que Montebello serait bon pour vous l’amener. Vous ne m’avez pas dit si vous aviez vu le Chancelier. Je sais qu'il est de retour à Paris. Et Madame de Boigne, y avez-vous été ? Comment avez-vous trouvé la vicomtesse de Noailles ? On est bien questionneur de loin. J’ai des nouvelles de Madrid. La principale bien triste. On dit que Narvaez est menacé, si ce n'est déjà atteint d’un cancer dans l'estomac. Ce serait grand dommage. Je vous ai dit, je crois, qu'il y avait, dans la lettre que j'ai reçue de lui dernièrement, un air de tristesse sur sa santé. On dit aussi que Thom va rentrer dans le Cabinet. Voilà Bulwer partant pour Washington. A-t-on jamais été plus battu et plus résigné, que Lord Palmerston dans cette affaire-là ?

Midi
La poste est très tardive aujourd’hui. Merci de la lettre de Beauvale que je n'ai pas encore vue. Je vois que Narvaez est rentré aussitôt que sorti. Adieu, adieu. Je ne me figure pas tout ce que nous nous dirons quand nous nous verrons. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 23 octobre 1849
7 heures

Madame Austin m'est arrivée hier. Voici ce que m’écrit Reave : « Je suis revenu à Londres au moment de la discussion turque. Au fond, de part et d’autre, je sens que nous avons pris cette affaire un peu trop vivement et Lord Palmerston en a profité pour jeter une pierre dans le jardin de ses adversaires. Mais il en résulte que l’Angleterre a montré que les endormeurs du Peace congress, ne l’avaient pas tout à fait assoupie, que l'Empereur de Russie s’attachera davantage à son état de repos armé ; et que l’on a acquis ici des notions plus justes sur la valeur vraie de la soi-disant alliance de la République française, qui consiste essentiellement à ne rien faire. A tout prendre, je ne regrette pas cette petite campagne, malgré le petit ridicule qui s’attache à tout excès de vigueur hors de propos. Du reste la mission arrogante du Prince Radziwill et l'exécution militaire de Louis Balthiany, sans la procédure judiciaire qui devait faire ressortir sa culpabilité sont, je crois, les deux fautes capitales des Empereurs alliés. On dit qu’il a été saisi une correspondance de Bathory, étant ministre avec le Roi Chartes Albert. Si cela est vrai, il aurait suffi de constater le fait devant la justice. du pays pour le conduire au supplice d’une manière légitime. »
Vous voyez qu’on sait à quoi s’en tenir à Londres sur le concours qu'on peut attendre de la République française, et qu’on ne croit pas à de bien grands coups après tant de bruit. Vous dites bien : le problème à résoudre pour l'Empereur c'est de concilier la grande attitude avec la raison. Il en viendra à bout, sa boutade n’a pas été heureuse ; elle a retourné contre lui l'Europe qui allait à lui, et elle ne lui vaudra pas en Turquie ce qu'elle lui a fait perdre en Angleterre et en France. Il n'en avait pas besoin pour faire, à l'occasion des affaires de Hongrie, un grand pas vers Constantinople. Le pas était fait ; et s'il tenait à le constater, il y avait dix manières d'atteindre ce but là, à meilleur marché. L'Empereur s’est laissé aller à une première idée, et à un premier accès de vainqueur. Il lui en coutera quelque chose de le reconnaitre et de rentrer dans une autre voie. Mais il le fera. Il a un sentiment trop juste de sa mission et de son intérêt de souverain, je veux dire de grand souverain, pour le lancer et pour lancer l'Europe dans le chaos de la guerre et de la révolution parce qu'on ne lui livrera pas Bem et Dembinski. Je suis très curieux, mais plus curieux qu'inquiet du résultat de la mission de Fuad. Effendi. Reeve me dit peu de chose de l'état des esprits en Angleterre sur nos affaires intérieures. Ceci seulement qui est sensé et qui me plaît assez. « Nos yeux se tournent de nouveau avec. sollicitude vert la France. Si M. Thiers se décide enfin à prendre un rôle plus actif, je ne vois devant lui qu’une des catastrophes qui lui sont familières. Il ne manquerait plus que cette direction suprême pour couronner les malheurs du pays. Je suis de plus en plus heureux que vous soyez complètement étranger à ce qui se passe dans cette assemblée. C'est là, je crois le sentiment de tous vos amis de ce côté de la manche, et de plusieurs de ceux qui m’écrivent de l’autre. Dans une position aussi radicalement fausse que celle de la République, il est impossible de faire autre chose du pouvoir qu’une déplorable fiction. " Je suis content de l’issue du débat sur Rome. Le défilé est passé. Le gouvernement, Président. et cabinet s’en tire sans y grandir, et la bonne cause est la seule qui ait été bien défendue. Ce sont là, pour le moment, les seuls résultats auxquels en toute occasion, il faille prétendre. Je doute que j’ai aussi pleinement satisfaction dans les deux questions encore sur le tapis, l'affaire turque et le rappel des deux branches bannies. On passera aussi ces deux défiles ; mais personne, je le crains ne dira ce qu’il y aurait à dire sur l’une et l'autre affaire, comme Montalembert, et même La Rozière, l'ont dit dans celle de Rome.
Onze heures et demie
Adieu, Adieu. Je n'ai que le temps de fermer ma lettre La vôtre est intéressante. J'en reçois une de Piscatory qui l’est aussi. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 11 oct. 1849
8 heures

Puisque vous n'avez pas été absolus et péremptoires dans votre demande, ni la Porte dans sa réponse, raison de plus pour que l'affaire s’arrange. On trouvera quelque expédient qui couvrira la demie-retraite que fera de son côté chacune des deux puissances. Nous n'avons vu la guerre avorter depuis vingt ans malgré les plus forts motifs de guerre du monde pour la voir éclater par un si misérable incident. C'est comme la guerre entre la France et l'Angleterre pour Tahiti. Nous en avons été bien près ; mais ce n'était point possible. Il me parait que Fuad Efendi n'a pas été renvoyé à la frontière et qu’il doit être arrivé à Pétersbourg. La tranquillité où l'on est à Vienne sur cette question me parait concluante. S'il y avait la moindre raison de craindre, les esprits Autrichiens seraient renversés. Jamais l’Autriche n'aurait été à la veille d'un plus grand danger. Je vous répète qu’à Paris personne ne s’inquiète sérieusement de cette affaire. M. de Tocqueville a été, jusqu'ici, un homme d’esprit dans son Cabinet et dans ses livres. Il est possible qu’il ait de quoi être un homme d’esprit dans l'action et gouvernement. Nous verrons. Je le souhaite. C’est un honnête homme et un gentleman.
Je savais bien que ma petite lettre au Roi pour son anniversaire lui ferait, plaisir. J'ai reçu hier la plus tendre réponse. Après toutes sortes de compliments pour moi, dans le passé : « vous me donnez la plus douce consolation que je puisse recevoir, non pas à mes propres malheurs, (ce n’est pas de cela dont je m’occupe); mais à la douleur que me causent les souffrances de notre malheureuse patrie, en me disant que vous anticipez pour moi une justice à laquelle j'ai été peu accoutumé pendant ma vie. Cette justice, je l'espère et surtout je la désire pour vous comme pour moi. Mais j’ai trop peu de temps devant moi pour me flatter d'en être témoin avant que Dieu m’appelle à lui. La maladie du corps politique est bien grave. Ses médecins n’en connaissent guères la véritable nature, et je n’ai pas de confiance dans l’homéopathie qui me parait caractériser leur système de traitement. J’aurais bien envie de laisser couler ma plume mais je craindrais qu'elle n'allât top loin. Ma bonne compagne, qui se porte très bien, et qui a lu votre lettre, me charge de vous dire qu'elle en a été bien touchée.» J’ai été touché moi de cette phrase : une justice à laquelle j’ai été peu accoutumé, pendant ma vie. Il parle de lui-même comme d’un mort. Lord Beauvale a en effet bien de l’esprit, et du meilleur. Merci de m'avoir envoyé sa lettre. Je regrette bien de ne l'avoir pas vu plus souvent pendant mon séjour en Angleterre. Recevez-vous toujours la Presse ? Je ne la reçois pas, mais, M. de Girardin m'en envoie quelques numéros, ceux qu’il croit remarquables. J'en reçois un ce matin. Tout le journal, plus un supplément, remplis par un seul article le socialisme et l'impôt. Vous feriez je ne sais pas quoi plutôt que de lire cela. Je viens de le lire. Une heure de lecture. Tenez pour certain que cela fera beaucoup de mal. C'est le plan de budget, de gouvernement et de civilisation de M. de Girardin. Parfaitement fou, frivole, menteur, ignorant, pervers. Tout cela d’un ton ferme convaincu, modéré, positif, pratique. Des chimères, puériles et détestables présentées de façon à donner à tous les sots, à tous les rêveurs, à tous les badauds du monde l'illusion et le plaisir de se croire de l'esprit et du grand esprit et de l'utile esprit. Quelle perte que cet homme-là ! Il a des qualités très réelles qui ne servent qu’à ses folies et à ses vices. Personne ne lira ce numéro en Angleterre, et on aura bien raison. Et j’espère que même en France, on ne le lira pas beaucoup. C’est trop long. Mais rien ne répond mieux à l’état déréglé et chimérique des esprits. Je vous en parle bien longtemps, à vous qui n'y regarderez pas. C'est que je viens d'en être irrité.
Onze heures J’aime Clarendon Hôtel. C’est un premier pas. Je vous écrirai là demain. Vos yeux me chagrinent. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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[…] ce qu'il ne veut pas. C’est une double manière d’éviter la responsabilité. Je n'ai aucune nouvelle personnelle de Thiers. Je ne l’ai pas vu, depuis mon retour de Dieppe. J’entends dire que, dans la commission des Affaires de Rome, il fait des morceaux d’enthousiasme sur le motu proprio, sur les cardinaux et sur le Pape. La commission du budget ajourne, le plus qu'elle peut l'examen des questions, d'impôt, c'est le plus gros embarras de la session. Il est probable que les anciens impôts seront rétablis. Rien n’est plus nécessaire mais rien n'est plus dangereux."

Pas un mot des affaires de Constantinople ; ce qui me prouve qu’à tort ou à raison, on n'en est guère préoccupé. Mercredi 10, Huit heures Je me lève tard et je me suis couché hier de bonne heure. J'avais un peu mal à la gorge. Je vais mieux ce matin. J’espère que la pluie va cesser et le froid sec commencer. Je l’aime beaucoup mieux. Ma maison ferme mieux que je n'espérais. J’ai de bon bois et je ferai de grands feux, presqu'au moment où j'irai me chauffer dans ma petite maison rue Ville-l'Evêque et votre bonne chambre rue Florentin. Vous ne m’avez pas dit si vous aviez quelqu'un en vue pour vous accompagner. Quel plaisir (petit mot) si nous pouvions passer tranquillement notre hiver dans nos anciennes habitudes ! Je me charme moi-même à me les rappeler. Hélas connaissez-vous ces trois vers de Pétrarque : Ah ! Nostra vita, ch'e si bella in vista, Com' perde agevolmente, in un matino, Quel che'n molti anni a gran pena s'acquista ! « Ah, notre vue, qui est si belle en perspective, comme elle perd aisément, en une matinée ce qui s’acquiert à grand peine, ou beaucoup d’année ! " Je crois que je vous fais injure et que vous savez bien l'Italien. Onze heures Voilà votre lettre. Nous causerons demain. Je persiste toujours à n'avoir pas peur. Adieu Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, mardi 9 oct. 1849
6 heures du matin.

Votre perplexité me désole. Elle ne me gagne pas encore ; mais au fait elle est bien naturelle. Toutes les bonnes raisons sont contre la guerre. Je devrais savoir ce que valent les bonnes raisons. Je croyais impossible que la France fit, ou laissât faire une stupide folie comme la révolution de Février. L'Empereur aussi peut avoir sa folie. Et alors ! Ne vous y trompez pas ; ce que dit Morny et ce qu’il écrit au Président n’y fera rien. La France fera ce que fera l’Angleterre. Et la France poussera plutôt que de retenir. Et si cela arrivait, vous verriez Thiers et Molé, au moins le premier, entrer au pouvoir, et se mettre à la tête de cette grande affaire, espérant encore, par l'alliance intime de la France et de l'Angleterre ce que Napoléon espérait à lui tout seul, distraire et satisfaire l’esprit de révolution par la guerre, en le contenant. Chimère, mille fois chimère dans laquelle ils échoueraient bien plus vite et bien plus honteusement que n'a échoué Napoléon, mais chimère qui les tenterait (je les connais bien) et qui bouleverserait le monde. Car vous dîtes vrai; ce serait la guerre partout, et la révolution partout. Cela n’arrivera pas ; cela ne se peut pas. Il ne se peut pas que l'Empereur soit aussi fou et aussi aveugle que la garde nationale de Paris en Février. Personne ne peut prévoir, personne ne peut imaginer quels seraient, en définitive, les résultats d’un si épouvantable bouleversement, mais à coup sûr, ils ne seraient bons pour aucun des grands et réguliers gouvernements aujourd’hui debout. La fin du monde profiterait peut-être un jour à quelqu'un certainement pas à ceux qui y auraient mis le feu. Même conclusion de ma part et avec la même conviction. Mais je répète que votre perplexité me désole car enfin la chance existe, et quel serait notre sort, à nous deux, dans cette chance ! J'y pense sans relâche comme si j’y pouvais faire quelque chose. Cela ne sera pas.
Neuf heures
Je n’ai rien à espérer aujourd’hui. Je vous renvoie votre lettre allemande. Intéressante. C’est un homme d’esprit. Assez ressemblant à Klindworth. Je voudrais bien que l’Autriche et la Prusse parvinssent à s'entendre, pour quelque temps au moins, et à rétablir un peu d'ordre, en Allemagne. Si l'Empereur veut bien ou la guerre, il aura la guerre et pas Bem, et Bem bouleversera de nouveau l'Allemagne pour lui faire la guerre. Je ne fermerai ma lettre qu'après l’arrivée de la poste, pour voir si j’ai à vous dire quelque chose de Paris. Midi Le facteur arrive très tard. Je n’ai que le temps de fermer ma lettre. Adieu, Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 6 oct. 1849
Six heures

Je suis charmé que vous soyez un peu rassurée. La guerre pour un tel motif, m’a paru, dès le premier moment, quelque chose de si monstrueusement absurde que je ne suis pas venu à bout de la craindre. Je vois, d’après ce qui me revient. de Paris, que personne n'a été et n'est inquiet. Je n'en attendrai pas moins avec grande impatience le dénouement. Votre inquiétude m'a préoccupée presque comme si je l’avais partagée. Vous êtes-vous donné le plaisir de lire ce matin, dans les Débats d'hier, l'inquiétude de M. de Lamartine craignant d’être brouillé avec Louis Blanc? J’ai rarement vu une bassesse plus étourdie et plus ridicule. Qu’y a-t-il de nouveau dans vos yeux ? Est-ce Travers que vous êtes allée voir ? Verity est-il revenu à Paris ? Comment fait Lady Normanby depuis que son médecin de confiance, M. Raspail est en prison ? Je ne sais pourquoi je vous parle de Lady Normanby. Rien à coup sûr, ne m'est plus indifférent. Êtes-vous bien sûre que Lord John ne fût pas au conseil de mardi ? Les journaux disent qu’il y était. Par décence peut-être, car son absence, dans une telle question est vraiment singulière. Je trouve que l’Assemblée de Paris a bien pauvre mine, la mine de gens qui ne savent absolument que faire et qui s'ennuient d'eux-mêmes. Vous n’avez pas d’idée du profond, chagrin du Duc de Broglie de se trouver là, son déplaisir personnel est pour plus de moitié dans son découragement général. Et pourtant il dit, et tout le monde dit qu’'il y a 300 hommes fort sensés, fort bien élevés, fort honnêtes gens, de vrais gentlemen. Que de bien perdu en France, par le contact avec du mal qu’on ne sait pas secouer ? Je ramasse toutes mes miettes. Je n’ai rien à vous dire. Si nous étions ensemble, nous ne finirions pas.

Dimanche 7 oct. 10 heures
Guillaume est parti hier loin pour Paris. Il rentre demain au collège. Je suis sûr que je ne rentrerai pas dans Paris sans une émotion qui serait une profonde tristesse si vous n'y étiez pas, qui disparaîtra devant la joie de vous retrouver. Vous n'avez probablement pas lu l’exposé des motifs du Ministre des finances en présentant le projet de loi qui ordonne le paiement à Mad. la duchesse d'Orléans de ses 300 000 fr. de [ ?] pour 1850. C’est un chef d’œuvre de platitude. Un effort de chaque phrase de chaque mot pour réduire la question à une question de notaire à une nécessité de payer une dette criante qu’il n'y a pas moyen de renier. J’étais humilié en lisant, si c'est là ce qu’il faut dire pour faire voter la loi, honte à l'assemblée ! Si M. Passy a parlé ainsi pour se rassurer lui- même contre sa propre peur, honte à M. Passy ! Les journaux légitimistes que je vois sont embarrassés, et au fond, plutôt mal pour Mad. la Duchesse d'Orléans à propos de cette question Cela aussi est honteux. Ils croient toujours que c’est elle qui résiste le plus à la réconciliation des deux branches. J’ai ici M. Mallac qui est venu passer deux jours avec moi. Il ne m’a rien apporté ne venant pas de Paris, sauf quelques détails assez intéressants sur les derniers moments du Maréchal Bugeaud et assez amusants sur le séjour de Duchâtel à Paris. Il ne s’y est guères moins ennuyé qu’à Londres. Croker m’écrit dans un accès de bile noire qui se répand sur tout le monde, voici la France : « the whole nation, gentle and simple outraging heaven and earth with a je le jure which no man of your 12 millions of election meant to keep ; and now the country is so entangled in this web of falsehood and fraud that I at least, can see no way. I don't even say no honourable way-but no way at all out of it but by another revolution in which the whole people must kneel doin, say their confiteor et mea maxima culpa and confess themselves to have been de misérables pêcheurs et poltrons. Voici l'Angleterre. " you see the ordinary affairs of life go on tolerably under this feeble and impostor administration, which, leads me to doubt whether truth honour or strength are necessary ingredients et Constitutional governenent. " Il a de la verve dans sa bile. Midi Je ne comprends pas pas de lettres. Vous les aurez eues le lendemain. J’en suis désolé. Temps affreux. Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 30 Sept.
1849 - 6 heures

J’ai été déjeuner ce matin à Lisieux, chez mon député à l’Assemblée, M. Leroy Beaulieu qui part ce soir pour Paris. J’ai trouvé là bien du monde, tous réactionnaires ardents, sans se soucier de leur passé. La révolution de Février aura servi à faire pénétrer la politique conservatrice dans une nouvelle couche de la société où elle n’eût jamais pénétré sans cela. Je crains seulement que le moyen ne coûte plus cher qu'il ne rapporte. On dit que M. de Falloux va beaucoup mieux, et qu’il parlera sur les affaires de Rome. On obtiendra du Pape un supplément d’amnistie et on sera content. On dit qu'on rétablira tous les impôts supprimés, même l’impôt sur le sel. Tout plutôt que de faire banqueroute, c’est la maxime courante dans l'Assemblée, parmi la majorité. Je n'aperçois aucune pensée sérieuse d'Empire. S’il doit venir il ne viendra pas naturellement et dans une forte pression extérieure sur l'Assemblée. On assure que l’armée n'y pense pas davantage. Les paysans qui l’approuveraient, et l’appuieraient ne prennent l’initiative de rien. Quant à la liberté de la presse, la loi qui a interdit la vente des journaux dans les rues et le colportage dans les campagnes a fait de l’effet. Un effet de ralentissement non de suppression du mal. On va rétablir et probablement élever l'impôt ou timbre, ce qui fera tomber beaucoup de petits journaux. Si cela ne suffit pas, on entrevoit comme mesure extrême, une interdiction de fonder, sans le consentement du gouvernement, aucun nouveau journal au delà de ceux qui se trouveraient exister au moment de la promulgation de la loi ; et pour ceux-ci, autorisation au gouvernement de les supprimer s'ils étaient condamnés deux fois par les tribunaux.
Je reçois aussi ce matin une longue lettre de Lord Aberdeen. Très tendre. Ne lui laissez pas oublier sa promesse de venir à Paris en décembre. A part notre plaisir, il serait vraiment bon qu’un homme comme lui, parfaitement impartial et sincèrement bienveillant, vît Paris et la France tels qu’ils sont aujourd’hui. Le Duc de Broglie, le désire presque autant que moi.

Lundi 1er Oct. 9 heures
Sachez que je suis rentré en possession de tous les originaux dont les copies sont en Angleterre. Il n'y a presque plus de choléra à Paris. J'y renvoie Guillaume samedi prochain pour rentrer le lundi 6 à son Collège. On est assez sérieusement préoccupé des premières séances de l'assemblée. Je n'en espère et n'en crains pas grand chose. Il n’y a plus, parmi les Montagnards personne qui puisse provoquer de vrais débats et mettre le feu sous le ventre aux gens qui voudraient rester tranquilles. M. Ledru Rollin faisait cela. Il n'a point de successeur. Il n’y aura ni l’initiative des coquins, ni celle des honnêtes gens. Onze heures Vous avez très bien parlé à Achille Fould. Adieu. Adieu. Je suis pressé. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, dimanche 30 sept. 1849
Huit heures

Il n'y a pas moyen de vous expliquer de si loin pourquoi ce que j'écris ne me fera pas d'ennemi ; au contraire. Mais vous le verrez. Je n'ai nulle envie de me rengager dans les luttes où j'ai vécu. La force me manquerait pour recommencer, et il ne faut jamais rien recommencer. Le monde s'ennuie de ce qu’il a déjà vu. Mais après ce que j’ai fait en luttant et ce qui est arrivé depuis que je suis tombé, il y a une position toute nouvelle à prendre, très calme et, je crois très influente qui aura quelque effet, ce que je crois toujours possible, et qui me fera honneur ce que je désire avant tout. J'ai la fantaisie d'être un peu connu, et le sentiment intérieur que je mourrai les poches encore pleines, n'ayant pas montré la moitié de ce qui valait la peine d'être vu. Je veux qu'après moi on se doute un peu de cela et qu’en parlant de moi, on se dise : " C'est dommage qu’il n'ait pas fait tout ce qu’il voulait." C'est peu d'avoir été quelque chose si on ne laisse au public le sentiment qu’on pouvait être bien davantage. Le monde dédaigne et oublie bientôt ce qu’il croit avoir mesuré jusqu'au fond et épuisé. Il faut qu’il entrevoie de l’inconnu qu'il n’a pas su voir et s'approprier. Alors il estime et admire vraiment. Je suis sorti de la scène sur un échec, très immérité, je pense, mais enfin, sur un échec. Je ne veux pas, si Dieu me donne vie m’en aller tout-à-fait dans cette position là. Je veux que mon pays se doute qu’il a eu tort de me laisser tomber, et qu’il me relève lui-même, non pas dans l’arène, mais dans sa pensée. Et je suis sûr que je peux lui donner ce sentiment là sans blesser son amour propre et réveiller sa mauvaise humeur, en excitant au contraire sa curiosité son regret et son respect. Si cela peut lui servir, ensuite à quelque chose pour se réformer lui-même, tant mieux ; je n'y renonce pas pour lui, car je ne désespère pas de lui. Mais je n’entreprends plus moi-même de le réformer. Ce serait trop long et je suis trop vieux. Quand causerons-nous de tout cela, et de tout le reste ? J'en ai bien envie. Nous aussi nous pouvons bien dire ; " Que de bien perdu ! "
Voici votre lettre de Berlin. Vague et confuse, comme tout ce qui est allemand, mais spirituelle et sensée au fond. Je le crois du moins. On ne voit jamais bien clair dans l’esprit des gens qui n’ont pas vu clair eux- mêmes. Les Allemands ont beaucoup d’esprit ; mais on dirait qu'ils ne voient rien que de loin, et à travers les vapeurs du dernier horizon. Même quand ils sont sensés comme celui-ci, ils trouvent le moyen de noyer leur bon sens dans le brouillard. Il a certainement raison ; le Francfort nouveau est stupide ; le vieux Francfort est mort. Il y a en Allemagne un problème à résoudre que M. de Gagern n’a pas résolu. que M. de Metternich ne résoudrait pas et qu’il faut absolument résoudre. Celui-là seul qui le résoudra mettra les radicaux sous ses pieds, comme ils le méritent. Mais je doute que le moment de cette solution soit venu et nous pourrons bien revoir, en l’attendant, une nouvelle édition de la Diète de 1815.
J’ai reçu une lettre très amicale de Narvaez à qui j’avais recommandé Herbet, consul général à Barcelone. Point de politique comme de raison, mais un ton de confiance générale mêlé d’inquiétude sur sa propre santé. Il me parle des fortes indispositions qui l’ont empêché de voir personne, et il quittait Madrid pour retourner aux eaux de Puertollano. Adieu, adieu.
Moi aussi, je suis fâché que M. Gueneau de Mussy ne revienne pas à Paris. A cause de vous surtout. J'étais sûr qu’il vous plairait, et je crois qu’il aurait autorité sur vous pour votre santé, ce qui est bien nécessaire. Le Roi a raison de le garder. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Mercredi 26 Sept 1849 4 heures

Je vous écris sans plaisir. Cette journée m'ennuie. Je n'y peux rien mettre qui me plaise. Le Président perd beaucoup. Tout le monde le dit ; ce qui ne prouve pas grand chose, car le monde qui parle de cela n'est pas celui qui en décide. Personne ne connait les dispositions réelles des millions d'hommes, paysans et ouvriers, qui sont les rois du suffrage universel. Jamais il n’y a eu plus de raison de dire : " Mon Dieu, pardonne leur, car ils ne savent ce qu’ils font ! " Cela est rigoureusement vrai de tout le monde en France ; peuple et chefs du peuple pensent et agissent tout-à-fait à part les uns des autres, sans influer les uns sur les autres, sans se connaître les uns les autres. Il y a une chose merveilleuse ; c’est qu’ils ne fassent pas cent fois plus mal qu'ils ne font.
N'entendez-vous rien dire de Berlin ? Le Cabinet Braudenburg durera-t-il ? Quel est l’Arnim dont on parle pour lui succéder ? Est-ce notre ancien ami ? J'ai grand peur des fautes futures de Berlin et de Vienne. Dieu sait ce qui en sortirait. Est-ce que nous n'aurions que l’alternative des sottises ? Albert de Broglie, qui connait bien Rome ne comprend pas que la Légation de France ne s’entende pas avec le cardinal Antonelli, homme d’esprit dit-il, modéré, sensé, et avec qui M. Rossi était au mieux. Que faites. vous de M. de Bouténeff ? Est-il à Gaëte ou à Rome ? Je vous quitte pour aller faire le tour du Parc. Il y a de très beaux hêtres. Pas si beaux cependant que le grand chêne du Parc de Richmond.

Jeudi 27 sept. 9 heures
Voilà mes deux lettres. Excellentes. Mais je les aurais mieux aimées l’une après l’autre. Ils m'ont gâté ma journée d'hier. Je ne sais qui est ils. En tout cas, je lui donne ma malédiction. Ils pourraient bien avoir lu la lettre de dimanche, et lundi. Elle en valait la peine. Peu importe. S’ils sont capables de comprendre, Ils auront trouvé à apprendre. J’ai lu et relu la lettre de Lord Melbourne. Et je la ferai lire et relire. Il a cent fois raison. Mais voici cet autre problème que je le prie de résoudre : faire jouer une pièce sans acteurs. Il y a un public en France. Même un grand public, qui siffle ou applaudit. avec beaucoup d'intelligence. Il n'y a pas d'acteurs. Le public ne souffre pas que personne sorte de ses rangs, monte sûr la scène et fasse son état des grands rôles. Il veut que tout le monde reste public. Notre mal est là. Certainement, il faut faire ce qui est nécessaire, et le faire sans s’embarrasser du testament des morts qui ont prétendu que les vivants devaient s’enterrer avec eux. Mais pour réussir en faisant ce qui est nécessaire, il faut deux choses : ne pas se tromper sur la nécessité, et que le public croyant aussi à la nécessité accepte ce qui a été fait en son nom. Le public français ne veut pas croire à la nécessité ! Elle le gêne. Il aime mieux ses fantaisies. Les Anglais sont un peuple politique ; ils agissent. Les Français sont un peuple critique ; ils frondent. J'en sais bien à peu près les raisons. Elles sont trop longues. Pour le moment, il n’y a plus en France qu’une idée, ou plutôt un sentiment qui ait autorité sur les masses et auquel elles soient disposées à obéir. C'est le sentiment de la légalité. Et la légalité, c’est le droit de la majorité à l'obéissance de la minorité. Là où sont la moitié plus un des mâles Français au dessus de vingt et un ans là est le droit ; le droit devant lequel tout le monde, à peu près, s’incline. hors de là, il y a que des prétentions, auxquelles chacun oppose les siennes propres. Voilà ce que disent les gens d’esprit qui se croyent obligés de dire cent subtilités et de prendre de longs détours pour arriver à peu près au même point où le bon sens résolument pratiqué, les conduirait beaucoup plus vite et plus sûrement. M. de Perigny n'est pas dégouté. Les Césars ! Qu'on m’en trouve. Par malheur, il ne suffit pas d'avoir un peu lu l’histoire pour la refaire, et de prononcer les noms pour ressembler aux hommes.
Je retourne demain au Val Richer. J'espère bien y avoir samedi ma lettre. Je l’espère parce que j’ai confiance en vous, car j'ai oublié de vous avertir à temps. Adieu, Adieu. Je vous écrirai le vendredi comme les autres jours. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie. Mercredi 26 sept 1849 Sept heures

Puisque vous êtes dans de tels épanchements, avec Lord John ne trouverez- vous pas quelque occasion, bien naturelle de lui parler de la lettre particulière que je lui écrivais sur les mariages espagnols, et qui amena une complication si vive. Je serais curieux de ce qu’il vous dirait. sur cet incident. Je regrette que vous ayez oublié, à Claremont de parler des légitimistes. Tout me confirme qu’il y a eu de part et d'autre quelque nouvelle démarche faite ; pas très sérieuse au fond, mais qui indique que de part et d'autre, on s'ennuie d'entendre tant parler de fusion et de n'y rien faire soi-même. On m'écrit de Paris que Thiers, et ses amis particuliers se montrent toujours préoccupés de mon retour, et de l'influence que je pourrais reprendre, et travaillent toujours très activement contre moi. Il y a certainement un peu de vrai et certainement aussi moins de vrai qu'on ne me le dit dans ces rapports. Ils me viennent soit d’amis très chauds, crédules à force de méfiance, soit des légitimistes qui détestent Thiers et désirent me tenir, avec lui, en état de brouillerie et de soupçon. Peu m'importe du reste ; ce qu’il y a de plus immortel ici bas ce sont les petites passions jalouses, je sais cela; et je sais aussi que lorsqu'on arrive dans la région des grands évènements et des grandes nécessités les petites passions, quelque peine qu'elles se donnent sont de bien peu d'effet. Comme je suis fort décidé à ne plus toucher à rien que pour quelque grand résultat, et par quelque grande nécessité, je me préoccupe très peu des petites passions.

Neuf heures
Ceci est trop fort : Mercredi et ma lettre me manque. Mon plaisir attendu deux jours me manque. C’est très désagréable. Je ne serai point dédommagé par le plaisir d'avoir deux lettres demain. Je n'ai rien à vous dire, et pas envie de vous parler d’autre chose. Je vois que le choléra s’en va de Londres comme de Paris. Adieu. Adieu. Je suis très sûr que ce n’est pas votre faute ; mais c'est une petite consolation. J'espère bien que ce n’est la faute que de la poste ; mais c’est une pitoyable sécurité.
Adieu, Adieu. G.

J’ai oublié de vous dire de m'adresser vos lettres au Val Richer, où je retourne après-demain 28. Mais vous y aurez pensé.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Dimanche 23 sept. 1849 8 heures

Je vois que M. de Falloux va mieux. Mais on doute que d’ici à longtemps, il puisse reprendre les affaires. Si on le remplace, il aura probablement M. Beugnot, pour successeur. Ancien pair. mêmes opinions que M. de Montalembert. Ami des légitimistes sans l'être lui-même catholique, point fanatique. Honnête homme et homme d’esprit, mais au fond du cœur, sans conviction et sans passion. Il a choisi plutôt qu'embrassé ses opinions. Il pourrait boucher le trou de M. de Falloux, sans autre altération dans le Cabinet. On ne croit toujours pas, parmi les connaisseurs à un grand renouvellement. Si M. de Falloux se retire, on fera un effort pour que la modification aille jusqu'à deux ou trois ministres, M. Benoît au lieu de M. Passy, M. Piscatory au lieu de M. de Tracy. Piscatory me paraît de plus en plus pressé. Il n’est pas venu ici évidemment pour ne pas quitter le terrain. Dufaure est décidé à avoir toujours au moins un, jamais plus de deux légitimistes dans le Cabinet. Il se conduit avec assez de suite et de savoir faire. Je reçois des nouvelles de Duchâtel, de La Grange. Pas plus de politique que cette phrase-ci : Il y a bien peu de chose à dire sur les affaires de notre triste pays. Je vois dans tout ce qui m’entoure les sentiments très bons, mais comme partout, peu ou point de portée dans les esprits, et peu d’énergie dans les volontés. On ne sait plus ni comprendre, ni vouloir. " Il reviendra à Paris au commencement de décembre. L’Autriche sera médiateur entre la France et le Pape et dominera à Rome comme Turin. J’assiste ici tout le jour au chagrin du Duc de Broglie surtout d'abaissement. Je puis être aussi modeste que cela me convient. Il est plus noir que jamais aussi désespérant de l'avenir que désespéré du présent. Je ne partage pas cette impression. A tout prendre depuis que je suis en France, je crois un peu plus au salut, sans y voir plus clair. Votre visite à Claremont y aura fait plaisir. J'en ai eu des nouvelles hier par l'ancien précepteur du petit Duc Philippe de Wurtemberg qui vient d'y passer un mois. Il m’a dit que madame la Duchesse d'Orléans avait quitté à grand regret et en pleurant beaucoup. La lettre de Lord John à M. Hume sur Malte est décisive. Il ne peut plus reculer. Lord Minto y a certainement été pour beaucoup. Il n’y a rien de tel que les gens médiocres pour influer. Personne ne s'en méfie.
Je vois dans les Débats un grand article de M. Cuvillier Fleury sur la révolution de Février et sur le Roi. Je le lirai. Lisez-le aussi, je vous prie, si vous avez des yeux, où une lectrice. Je serais bien aise d’en savoir votre impression. C’est certainement un langage à peu près convenu. Adieu, Adieu. Le beau temps est tout à fait revenu ici. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Bruxelles. Jeudi 8 août 1850

6 heures Je sors de mon lit. J'ai bien dormi. J'en avais besoin. Les lits allemands sont décidément bien mauvais. A Aix-la-Chapelle et ici, j’ai senti la différence d'avance, je suis encore jeune et indifférent au plus ou moins de comfort matériel. Au fait, il y a des comforts dont je ressens d'absence, car elle me cause une fatigue dont je ne me suis pas soucié, mais dont je ne peux plus me défendre. C'est l’âge.
Agréable descente du Rhin très beau temps, très chaud. Les beaux endroits m'ont moins frappé que la première fois, sauf le fleuve, j’aime mieux la vallée de la Lahn. J'ai assez causé avec Constantin. Vraiment très bon, très sensé et intelligent. Sa femme souffrait et s'impatientait de la chaleur. Il y avait avec eux deux ou trois Crony. A Cologne j'ai dîné, lu l'Indépen dance, et vu la Cathédrale. Ce qui est fait est admirable, prächtig ; mais ce n'est ni un monument, ni une ruine. Une grande œuvre inachevée, faute de foi, de constance et d'argent. Une preuve colossale de la faiblesse humaine. On y met aujourd’hui 180 ouvriers, et on y dépense 600 000 francs par an. A ce taux-là, il faudra 150 ans pour la finir. Cela ne vous fait rien ; mais cela m’a fait quelque chose quand on me l'a dit et je vous le redis. Thiers avait passé à Cologne, la veille à l'hôtel Royal dont le maître me l'a dit, et le Cicerone qui m’a conduit à la cathédrale m’a dit qu’il l’avait conduit, non pas à la Cathédrale, mais à une mine de cuivre et d'argent, située à quatre lieues de Cologne et dans laquelle il a des actions.
A Verviers, dans l'embarcadère, j’ai rencontré la Duchesse de Saxe-Cobourg venant de Cobourg avec ses quatre enfants, Mad. Angelet, son ancienne gouvernante, un précepteur et deux domestiques. Elle allait passer quinze jours à Bruxelles, et je l’ai retrouvée à 7 heures à Lacken où j’ai dîné. Cinq minutes après, mon arrivée à l'hôtel de Bellevue, Van Pract est venu me voir, et m’engager à dîner de la part du Roi. A six heures et demie, il est revenu me chercher. Très bon accueil : " Que de temps que nous nous sommes vus, et que de choses me rappelle votre voix !" J'ai dîné à côté de la Reine, à qui j'ai dit pas mal de choses qui l’ont, si je ne me trompe, un peu frappée. Après dîner, vingt, minutes de conversation avec le Roi, devant une fenêtre. Il m’a donné rendez-vous pour aujourd’hui à onze heures et demie Il veut causer et moi aussi. En le quittant, j’irai voir, le Prince de Metternich, et je pars ce soir à 6 heures.
Duchâtel m’écrit : " J'arriverai le 8 au soir (ce soir) à Creuznach. Voulez-vous présenter tous mes hommages à la Princesse de Lieven ? Si elle reste dans le voisinage du Rhin, elle serait bien aimable de me le faire savoir à Creuznach. J’irais la voir là où elle serait. " Point de nouvelles d'ailleurs sinon celle-ci : " Piscatory a renoncé à la République et au président ; il est tout régence. "
Adieu. J’ai quitté Ems content et triste. Jouir et regretter, c’est la vie humaine, si ce n’était que cela, ce serait trop peu pour l'élan donné à l'âme. On n'aspire pas si loin pour tomber si près. Adieu, adieu. Je vous écrirai demain de Paris. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville. Dimanche 18 août 1850

Vous avez dû bien rire, en effet, vous et le duc de Parme, au moment et après. Vous avez du bonheur, dans vos aventures. C'est juste.
Je dîne aujourd’hui chez Madame de Boigne. Je la divertirai, elle et le Chancelier de votre récit. Il ne se passe rien de si amusant à Trouville. J’ai été hier passer trois quarts d'heure au salon, pour un concert de charité. Un chanteur célèbre, dit-on, et dont je ne savais pas le nom a chanté, pour me faire plaisir le non pui andrai de Mozart, et quelques boléros espagnols. Il s’appelle M. Geraldy. Pas plus de personnes de connaissance qu’il y a huit jours. Beaucoup de gens évidemment riches et fort en train de vivre. Une société inconnue pullule autour de nous. Peu spirituelle, peu honnête, peu fière mais puissante par le nombre et le mouvement. Que d'efforts, et de mal et de temps il faudra pour la faire rentrer dans les bonnes règles, si elle y rentre ! Quelle produise du moins ses propres chefs, des hommes à elle, capables de la conduire. Jusqu'ici elle est aussi stérile que forte.
Le voyage du Président tourne à un assez grand effet. On m’a toujours dit que Lyon serait le lieu de son plus brillant triomphe, malgré les efforts contraires. Je ne vois encore de clair que ce résultat ci, un coup de fouet donné à tous les partis, un accès de fièvre au milieu de l’apathie générale. Les Conseils généraux, qui vont se réunir dans le feu de ce mouvement en seront peut-être un peu excités. Cependant ce qui me revient de ceux de la Normandie n’annonce pas grande ardeur. Ils se disposent à demander la révision de la constitution, sans s'expliquer sur la prolongation des pouvoirs du Président. Ce n’est pas la peine. Wiesbaden et Lyon en même temps. Si bizarre spectacle !
Une personne d’esprit m'écrit : " Rien n'empêchera que le public ne répète et ne croie que vous avez vu le comte de Chambord. Je sais des gens que cette idée console fort. " Ils sont bien bons. Peu m'importe du reste, J'ai besoin que dix ou douze personnes sachent positivement ce qui en est et elles le savent. Le surplus m'est, et est réellement indifférent.
Voici qui est bien loin de Wiesbaden. Notre consul en Californie homme intelligent, m’écrit de Panama, après avoir traversé les Etats-Unis : " M. Bulwer a gagné beaucoup de terrain à Washington. Avec son esprit et ses bons dîners, il mène le sénat. Il serait difficile de placer maintenant les relations entre la France et les Etats-Unis sur l'ancienne base d’une hostilité commune ou d'une méfiance commune à l'égard de l'Angleterre. Personne en Amérique ne croit à la république française. C'est, aux yeux des démocrates comme des Whigs, une expérience faite et manquée. Les Américains se sont sentis humiliés des hommes qu'on leur a envoyés. "

Midi.
Moi aussi, je suis bien contrarié de votre lit. C’est bien dommage que je ne sois pas là, nous nous soignerions mutuellement, car je ne suis pas non plus tout-à-fait en bon état. L'humidité paraît vouloir cesser ici. Adieu Adieu. Lisez dans la Revue des deux mondes (15 août) un article intéressant sur la première campagne du Maréchal Radetzki Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, jeudi 15 août 1850 8 heures

J’ai passé hier au Val Richer où j’avais des papiers à prendre. Je suis ici jusqu’au 28 ou 30 août. Je serai bien aise d'être rétabli au Val Richer. Quand je ne suis pas avec vous, je ne me trouve bien que chez moi. Je ne suis pourtant pas mal accommodé à Trouville. J’ai un assez bon cabinet, et une petite chambre où presque rien, ne me manque du comfort devenu presque nécessaire. C’est beaucoup à Trouville, encombré de monde et dans une maison que mes enfants et leurs deux familles remplissent jusqu'au toit.
Bien peu de monde du reste qui vous convînt. Toujours le chancelier et Mad. de Boigne Dumon qui m'attendait et que j'ai vu hier mais qui va repartir Quelques Delessert que vous ne connaissez pas. Hors de là personne de notre société et même à ce que disent mes enfants, un peu de mauvaise compagnie. Dumon ne m’a rien appris. Il venait de lire une lettre de M. Molé, triste et découragé. Triste pour lui-même ; il s’aperçoit de son peu d'influence. Son été de la Saint Martin est passé. Personne ne fait plus guère attention à ce qu’il dit et à ce qu’il fait. Sans parler de ses peines de coeur dont il ne parme qu'à Mad. Kalerdgi et dont il ne lui parle même plus. Je doute de cela. Je parierais qu’il y est retourné. Il est en fait de fierté comme pour tout le reste, tout apparence, rien au fond. Le Duc de Broglie toujours aussi noir et sans avenir que jamais. Changarnier de mauvaise humeur et impatient. Un homme d’action qui ne fait rien, c’est une situation difficile à prolonger. Il est d’une commission de l'assemblée qui prépare une loi bonne, dit-on, sur le recrutement et l’organisation de l’armée. Lamoricière qui en est aussi y fait meilleure mine et y a plus d'influence que lui. Lamoricière a des idées à tort et à travers, et parle bien. Changarnier se déplait là. Ceci inquiète quelques personnes. Je vous ai redit tout Dumon. Je vous quitte pour aller faire ma toilette. La poste arrive ici à 10 heures et part à 2 heures. C'est mieux arrangé qu’à Ems.

Midi
Je reçois votre dernière lettre d’Ems et la première de Schlangenbad. Si Schlangenbad vous engraisse c'est bien ; mais je crains pour vous cette complète solitude. La Princesse de Prusse aurait mieux fait de rester. Si vous retournez à Ems comme vous en aviez le projet, pour voir la grande Duchesse, soyez assez bonne pour m'acheter deux garnitures de boutons de gilet, en pierres du Rhin, comme celle que vous m'avez choisie pour Guillaume. Huit boutons pour chaque garniture ; cela coûte 8 francs. C’est pour mes deux gendres. Les cailloux du Rhin ont été trouvés très jolis.
Le Journal des Débats donne bien des pièces de votre cour. Il les tient de la bonne source. Je suis bien aise que tous ces documents soient publiés. Il vous font honneur. Les pièces venues de Pétersbourg sont mieux rédigées que celles de Brünnow. Adieu. Adieu. Je regarde un peu à ces récits du voyage, du Président. Je vous en dirai mon impression. Adieu adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°16 Val Richer 17 Juin 1852

Voilà votre lettre que j'aurais dû avoir hier. Je vous envie l'exactitude. de vos facteurs. Je vais écrire aujourd’hui même à Marion. Je dirai de mon mieux. Tout dépendra de l'état et de la volonté de Fanny. Il est clair que les deux soeurs placent là leur premier devoir. La lettre que je vous ai envoyée me donne à penser qu'au fond Aggy a envie de venir. Marion la promet presque pour le mois de Juillet. J'insisterai pour les derniers jours de Juin à Schlangenbad. Ma crainte, c’est que le terme est très prochain ; à des gens qui hésitent, les résolutions soudaines sont difficiles. Je voudrais bien qu’elle se décidât promptement. Vous verrez un peu en repos sur vous-même et moi sur vous.
Quant au retour, je ne comprends guères que dans tout ce monde qui vous entoure, l'Impératrice n'ait pas un homme à vous donner pour vous ramener à Paris, si vous n'en trouvez pas un vous-même.
J’ai des nouvelles d'Angleterre insignifiantes. sur la situation générale tristes pour ce pauvre Lord Malmesbury ; il fait, à ce qu’il paraît, bévue sur bévue ; sa nouvelle convention d'extradition avec la France en fourmille. Tout le monde le houspille, on ne peut pas dire l'attaque ; ce serait trop sérieux. Je crains bien que le Cabinet Tory ne se dissolve assez piteusement après les élections, quelques morceaux en resteront bons et beaux, et prendront place ailleurs ; mais un vrai cabinet conservateur, avec sa politique et son autorité, je n'y compte plus.
Savez-vous que Stockhausen ne reste pas à Paris ? Son Roi l’envoie à Vienne. Il en fait encore mystère, à ce qu’on me dit ; mais c’est sûr. Vous le regretterez. Que dites-vous de M. Cruvelis faisant attendre une heure et demie la Reine d'Angleterre, et n'ayant seulement pas l’air de s'en apercevoir ? Je ne trouve pas qu'elle chante assez bien pour cela.
On dit que Morny soutient qu’il a droit de reprendre la direction politique du Constitutionnel et veut l'ôter à Véron qui veut la garder. On parle d’un procès entre eux. Si le procès a lieu, c’est que Morny est réellement bien avec le Président. Je viens de lire le compte-rendu de la séance d'avant hier au Conseil d'Etat.
Le plaidoyer de M. Fabre pour la maison d'Orléans me paraît médiocre. C'est bien loin de Paillet et Berryer. Tout le monde a été, là, timide et terne, le rapporteur, l'avocat et le ministère public. On ne me dit rien de l’issue probable. Je persiste à croire que le conflit sera confirmé.
Adieu. J’ai vidé mon pauvre sac. Je voudrais bien vous envoyer un peu de santé et de force. Cela vaudrait mieux que des nouvelles. Je vous quitte pour écrire à Marion. Adieu.

P.S. On m’écrit à l’instant de Paris : " Ce que vous croyiez fait à Claremont semble défait ; on ne s'entend pas sur le mode ; grands débats domestiques à ce sujet. L'aîné de la famille l'écrit ici. "

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 2 août 1851

Je jouis vraiment de votre délivrance. Je sais à quel point vous avez dû être agitée ; et votre agitation m'inquiète et me chagrine comme m'inquiéterait et me chagrinerait une maladie. J'en veux à Couth de vous avoir si étourdiment répondu.
Je crois que vous avez raison sur les fêtes de l’hôtel de ville. On ne pouvait guère ne pas rendre les politesses anglaises et on les rendra magnifiquement. Le Lord maire et les Aldermen viendront-ils en robes et en perruques ? Depuis que je suis ici, j'ai vu des industriels considérables et deux des commissaires Français à Londres. Il y a un peu d'humeur, parmi eux, de la décision qui a supprimé, les grandes médailles d’or qu’on devait donner, en petit nombre aux ouvrages d'élite. Les Français affirment que cette décision a été prise contre eux, par jalousie, et parce qu'en fait d'ouvrages d’élite et parfaits d'exécution ils auraient eu bien plus de grandes médailles que les Anglais cependant, à tout prendre, il restera plutôt de là, entre les deux pays, des impressions bienveillantes et de bonnes relations. Je ne sais si le gouvernement Anglais a fait de la bonne politique intérieure ; mais il a certainement fait de la bonne politique étrangère. On a vu sa puissance, et on lui sait gré de cette façon de la montrer.
Mad. de Ste Aulaire m'écrit que ses visiteurs du Dimanche (à Etiolles) sont très découragés et décourageants. Le Duc de Broglie, Viel Castel & Broglie, ne m’écrit guères ; il est vrai que je ne lui ai pas écrit du tout. Mais il a chargé ma fille de me dire qu’on ne faisait et qu’on ne préparait que des bêtises. L'impression générale est triste et morne, plus que sombre et agitée. Je ne vois pas dans le pays que j'habite, grande ardeur à recommencer, le pétitionnement pour la révision. Il est vrai que déjà ce département-ci a peu pétitionné.
Voilà un fauteuil vacant à l'Académie française. Je ne vois pas à qui nous le donnerons. Il sera très vivement et très petitement disputé. Je perds, dans M. Dupaty un ami très dévoué, très actif, et assez influent dans la sphère académique comme parfaitement étranger à l'arène politique. Galant homme d'ailleurs, d'un esprit aussi sensé dans la vie que léger dans la littérature, et d’un cœur très steady. On est très ému ..., à Alexandrie, du chemin de fer que le Pacha d’Egypte vient enfin de concéder aux Anglais. Je reçois de là une lettre, non signée mais dont je reconnais l'auteur, riche négociant Français établi depuis longtemps en Egypte. " C'est le 12 de ce mois que les signatures ont été échangées. C'est donc à partir de ce moment qu'Abba-Pacha est officiellement le gouverneur du pays pour le compte de l'Angleterre. Ainsi, à moins que l’Europe ne s'y oppose, MM les Anglais vont disposer librement de 90 mille hommes, de 80 à 100 millions, des mines de charbon nouvellement découvertes, des produits inépuisables de la vallée du Nil, de l’Abyssinie & Et cela entre Malte et Aden, au point le plus stratégique du Globe commercialement et militairement parlant ; au point par conséquent le plus favorable pour prélever une dîme sur tous les produits agricoles et industriels du globe & & Et il m'invoque comme si j’y pouvais quelque chose. C'est certainement un grand pas vers la possession du Nord-Est de l'Afrique et de la clef européenne de l'Orient.

Onze heures Vous voilà parfaitement calme. Cela me plaît beaucoup. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 29 Juillet 1851

Voici des détails précis, qui me viennent de bonne source, et qui confirment pleinement mes conjectures. " L’intrigue de la candidature Joinville fait des progrès, mais toujours par action souterraine. Elle se cache naturellement derrière la proposition Creton qui sera discutée à la rentrée et qui gagne des partisans. Je n'ai pas été peu surpris d'entendre dire par des légitimistes religieux et scrupuleux, tels que MM. de Melun - La loi de proscription est une inéquité que nous ne pouvons pas sanctionner plus longtemps ; nous voterons pour l'abrogation d'autre part des membres de la Réunion des Pyramides, anciens orléanistes, ou hommes nouveaux ralliés à l'Elysée, se préoccupent des difficultés qu'oppose la constitution à la prorogation des pouvoirs du Président, et ils en viennent à déclarer qu’il faut se pourvoir d’un en cas, et qu’il sera peut-être bon de voter la proposition Créton pour n’être pas pris au dépourvu de Candidats à la présidence légalement possibles. Tel est l'effet de la discussion de la révision."
" Hier Wolowski, beau frère de Léon Faucher, exprimait l'opinion que le président devait adhérer à la proposition Créton, prendre une sorte d’initiative dans le débat, et accepter la lutte contre le Prince de Joinville, que cette conduite serait aussi habile qu’honorable. "
" Vos amis observent ces symptômes avec une grande attention. Le vote de la proposition Créton devient à peu près inévitable ou du moins extrême ment probable, peut-être même sans le concours des chefs légitimistes, Berryer et Falloux. Nous en venons à penser qu'ils ne devront pas refuser ce concours, mais qu’ils devront le motiver à la tribune. Ce sera peut-être le seul moyen d'empêcher le Prince de Joinville de passer à l'état d’expédient révolutionnaire ou républicain. " Certainement, l'automne prochain, la situation sera très compliquée et très vive. La question qui, dans le début de la révision s’est déjà posée, entre la droite et la montagne, se dessinera encore plus nettement dans ce sens ; et la maison d'Orléans, ainsi que l'ancien parti conservateur auront à choisir dans cette alternative. Vous verrez des coupures, et des dislocations de partis étranges. En attendant le Cabinet, qui n’a pas été renversé, reste très ébranlé. On en est réduit, pour prévenir une crise ministérielle immédiate à écarter de l'ordre du jour tout débat politique. On s'est étonné que le Président n'ait pas cherché, en jouant à la crise pendant quelques jours, à exploiter l’incident de l’amendement Baze pour en rejeter l’odieux sur l'assemblée. Des intérêts de spéculation de Bourse, dans l’entourage de l'Elysée se sont opposés, dit-on, à cette conduite que la petite politique semblait conseiller.

10 heures
Rassurez-vous ; vous n'êtes pas en décadence pour avoir oublié où vous avez mis un papier. Cela arrive à de très jeunes mémoires, et la mémoire ne s’en va pas subitement comme vient la rougeole, ou l'apoplexie. Je suis persuadé d'ailleurs que le papier fût-il perdu, les livres de Couth répareront cette perte.
Vous verrez dans les Débats et l’Assemblée nationale de ce matin, une longue lettre de moi que vous n'avez pas lue d'avance. Voilà ce que c’est que d’être séparé. Mais je ne crois pas que, dans cette politique générale, vous trouviez rien à redire. Adieu, Adieu.
Vous vous servez de la duchesse d'Istrie comme d’un hameçon. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 28 Juillet 1851

Je trouve dans le nouveau cahier de l'Edinburgh Review un article sur des Tales and Traditions of hungary publiées à Londres par un conte Paelszky que vous vous rappelez ; et dans cet article je trouve cette histoire-ci.
Une invasion de Tartares, ravageait la Hongrie. Un grand seigneur hongrois vivait dans son riche château, avec sa femme jeune et belle. Il avait grand peur d'une visite des Tartares ; " when suddenly a Tartar on his steed galloped into the court. The hungarian bounced from his seat to meet his guest, and said. Tartaz, [thy] art my lord ; I'm shy servant ; all those seert in thine. Take what those fanciest. I do not oppose shy power ; command ; thy servant obeys - The Tartar impatiently sprang from his horse entered the house, and cast à careless glance on all the precious objects around. His eye was fascinated by the brilliant beauty of the Lady of the house who appeared lastfully attired to greet him there, no less graciously than her consort had in the court below. The Tartar seized her without a moment's hesitation, and, unheadful of her shrieks, swung himself upon he saddle and spurred away, carrying off his lovely boaty. All [?] but ein instant's work ; the nobleman was thunderstruck ; yet he recovered and hartened to the gate. He could hardly still distinguish the Tartar galloping in the distance aud bearing away the Lady fair. Her consort heaved a sigh, and exclaimed with deep commiseration. " Alas! Poor Tartar ! "
Drôle d’histoire dans un livre écrit par le comte Pulszky en l’honneur des Hongrois et contre les Tartares. Je lis beaucoup. Un peu moins à présent que je ne suis plus seul.
L’ordre, le seul journal Régentiste a très bien parlé du discours de Michel de Bourges, et y revient complaisamment. Preuve de plus que ce discours était concerté avec Thiers. Plus j'y regarde, plus je vois clairement le travail pour refaire un parti orléaniste dans la Montagne, et pousser par là, quand le moment viendra, la candidature du Prince de Joinville, si la proposition Creton vient à passer, cette candidature aura des chances. Les légitimistes n'auront, pour y échapper, d’autre ressource que de voter pour Louis Napoléon et le général Changarnier sera étouffé entre les deux. Voilà mes pronostics ; mais je sais ce que valent les pronostics, même les miens.
Vous dîtes que Lord Granville devient le rising man. C'est apparemment à cause de cela qu’il va être le conducteur, le Berger des industriels anglais au grand banquet que va donner, aux industriels du monde entier, le Berger de Paris. Cinq jours de fête, l'hôtel de ville, Versailles, St Cloud, le champ de mars. Cela ressemble furieusement aux trains de plaisir. On s'amuse en troupe. Singulier chemin pour monter et devenir premier ministre d’Angleterre ? J’aime mieux le discours de Lord Aberdeen contre le bill ecclésiastique. C’est un des meilleurs que j'aie lu de lui. Je me figure que cela le grandira plus que le banquet de M. Berger ne grandira lord Granville.

Onze heures
Personne ne pense plus qu’à s’en aller. Il y a pourtant bien de quoi penser à autre chose. La lettre du petit cousin est charmante et lui fait. honneur. Je vous la renverrai demain. Adieu Adieu. G. Voici un petit papier bien fin pour vous amuser un moment.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 27 Juillet 1851

Nous ne pouvons pas sortir des orages. J’ai eu beau temps tant que j’ai été seul. nous nous entendons très bien le soleil et moi. Je le trouve très bonne compagnie. Quand je me promène en pleine liberté, et sous des flots de lumière, j'oublie la solitude. Pas toute la solitude. Si je vais à Trouville, ce ne sera que pour me promener. Je n'y coucherai pas. Mais pour peu que j’y aille et que je passe quelques heures, j’irai chercher le Prince George, et je serai aimable pour lui, puisque vous le désirez. J’ai eu ces jours-ci une lettre du chancelier. Toujours aussi sensé et aussi jeune.
Il y a du monde à Trouville, mais peu de gens de connaissance. J’y ai deux nièces, l’une jolie, l'autre pas, l’une spirituelle, l’autre pas, les dons sont partagés. Elles vont venir passer ici deux ou trois jours.
Narvaez a très bien fait de rendre refus pour refus. Palmerston ne sait être ni gracieux ni fier. Un homme de mes amis, que j’avais fait entrer aux Affaires Etrangères, et qui en est sorti avec moi, M de Lavergne (son nom ne vous est pas inconnu) va passer quelque temps en Angleterre. C’est un grand agriculteur, très curieux de voir des agriculteurs anglais et écossais. Je le recommanderai à quelques personnes. Il est bon à connaître, si vous avez Ellice sous la main, faites-moi la grâce de lui dire que M. de Lavergne lui portera probablement une lettre de moi.
Quand Ellice, sera-t-il de retour en Ecosse ? Vous avez raison de regretter d’Haubersaert. Il n'y a pas un plus galant homme, ni plus sensé malgré son langage excessif. Il se plaît à choquer. Cela le fait détester de beaucoup de gens. Puisque vous parlez d'éclipse, il ne faut que de bien petits défauts pour éclipser de bien grandes qualités. N’ayez donc pas peur de l'éclipse. Le monde physique restera dans l’ordre jusqu'au jour où il finira ; et ce jour-là, ce n’est pas du monde physique qu’il conviendra d'avoir peur. Ceci soit dit sans vouloir vous faire peur de l'autre. Je trouve naturel que vous vous inquiétez de ce reçu de [Couth]. Vous le retrouverez. Vous êtes trop soigneuse pour l'avoir perdu. Vous l'aurez trop bien soigné. Vous avez moins de mémoire que d’ordre. Et puis, mention de vos actions et du reçu qu’il vous en avait donné, existe sûrement dans les livres de Couth. Il vous donnera un nouveau reçu si vous ne retrouvez pas le premier.
Voici mes seules nouvelles de Paris. " Il me semble que la démolition du Président suit son cours et qu’elle a fait de grands progrès depuis quelque temps. A Paris, l’opinion commence à se déclarer ouvertement contre lui. Ce dernier fantôme d'autorité s'en va, sans qu’il y ait rien, bien entendu, de prêt ni de possible à mettre à la place. Pour le moment tout le monde désarme ; la prochaine prorogation se fait déjà sentir. Mais tout le monde dit qu’au retour de l'assemblée, la guerre s’engagera très vivement. Nous aurons eu dans l’intervalle la campagne des Conseils Généraux où la lutte va recommencer sous une autre forme. "
Adieu, adieu. Je suis charmé que vous ayez eu un dîner bon et gai. Vous êtes sensible aux deux plaisirs. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 25 Juillet 1851

Une seule chose me paraît assez grave dans ce moment, c’est la prorogation de l'Assemblée. Je doute qu’elle vienne à bout de se donner les vacances qu’elle veut avoir autrement qu’en nommant et laissant une commission permanente. Et si cette commission ressemble à la dernière, qui peut prévoir ce qui arrivera ? Entre peu de gens qui n’ont rien à faire, on est bien plus tenté de se quereller ou de quereller autrui. Le Président, de son côté trouvera, je le crains, dans le général Magnan, un serviteur docile, et peut-être un tentateur. Il y a là des éléments de crise. L'assemblée, qui ne veut pas de crise, ferait mieux de s’arranger autrement. Je ne vois pas grande disposition à recommencer le pétitionnement pour la révision et je doute que les conseils généraux y soient bien vifs. Il y aura partout quelques personnes qui y prendront de la peine ; mais il n’est pas faute de tenir éveillé des gens fatigués qui ont envie de dormir.
Deux de mes journaux s'amusent à envoyer Thiers à Frohsdorf, en pendant de Berryer à Claremont. En attendant Thiers va aux Pyrénées.

10 heures
Merci de la lettre du duc de Noailles. Je suis fort aise qu’il soit content. Ce qui ne sert pas de grand chose aujourd’hui servira un jour. Si 1852 n’amène pas une crise, nous en aurons pour longtemps singulière nature que celle de ce pays-ci ! Avec son imprévoyance, et ses emportements il fait ses expériences plus lentement qu’aucun autre. On dirait qu’il veut aller jusqu’au bout de toutes choses.
Je vois que vous allez perdre vos Français Duchâtel, d’Haubersaert & & mais vous faites des recrues parmi les Allemands. Votre estomac me contrarie beaucoup. Est-ce que Kolb n'essaye pas quelques amers fortifiants ? Adieu.
Je n’ai vraiment rien à vous dire ce matin. Il ne m’arrive rien de Paris. Nous entrons dans une saison bien morte. Quand l'assemblée n’y sera plus du tout, de quoi parlerons-nous ? Je m'en consolerai si votre estomac va bien. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 22 Juillet 1851
Sept heures

J’ai lu attentivement tout ce débat. A tout prendre, il a été favorable à la révision et surtout à la Monarchie, succès bien éloigné et incertain ; succès pourtant, pour les hommes comme pour les idées. On m'écrit : " Le duc de Broglie est dans le ravissement du discours de Berryer. Il a dit à M. Molé : Puisqu’il en est ainsi, je n’ai plus d’objections contre la légitimité. Mais est-elle possible ? Dans tous les cas, Berryer, a levé mes scrupules. La liste des votants est curieuse à étudier ; les Montagnards, le Tiers-Parti, 21 pointus légitimistes, et 13 Régentistes, les deux derniers chiffres sont la mesure de l'influence de Thiers et de Changarnier. Aussi m'écrit-on : " Le Général Changarnier vient de faire une faute énorme. Sa passion contre le Président l’égare, et lui fera faire des énormités. J’ai bien peur qu’en 1852, il ne soit à ce point décrié que nous ne puissions en tirer aucun parti. " Voilà l’impression du lieu et du moment. On m'écrit encore : " La lettre du Prince de Joinville existe. Elle est moins mauvaise qu’on ne l'avait dit ; mais elle est mauvaise. Il y règne un ton d'ironie qui peut à bon droit, justifier les méchants propos de MM. Thiers et Duvergier. "
Notre pauvre ami Montebello a failli éprouver un grand malheur. La Duchesse a été très malade. Il y a trois jours, elle était en grand danger. On me l'a dit sauvée. C'était une inflammation d’entrailles qui, dans son état de grossesse avancée, pouvait devenir fatale. Montebello est rassuré. Il va écrire au Prince de Joinville. Je souhaite que sa lettre fasse quelque effet. Ou je me trompe fort, ou l’intrigue pour la candidature du Prince de Joinville à la présidence est ce qu’il y a de réel et d'actif au fond de tout ceci, dans le silence comme dans le travail de Thiers et de son monde.
Soyez tranquille, en tout cas ; vous pourrez aller chercher à Paris vos robes. Chercher, je veux dire retrouver. Je ne vois aucune chance de désordre matériel, si les apparences ne sont pas bien trompeuses, les rouges sont partout plutôt en déclin qu’en progrès, au moins pour le temps prochain. Soignez-vous bien à Ems, et rapportez un peu de force pour l'hiver. Le temps a l’air de vouloir devenir enfin un peu chaud. Je m'en réjouirai pour vous, pour moi, et pour les récoltes de Normandie.
Ma matinée d’hier a été pleine de visiteurs comme si mon gendre, en arrivant avait rouvert les portes de ma solitude, neuf personnes successivement de Caen, de Rouen et des environs. Tout le monde dit la même chose. Je ne sais ce qui sera au printemps prochain. Aujourd'hui, les élections seraient certainement assez présidentielles. Les Montagnards perdraient. Peut-être les légitimistes aussi. A cause de la politique et du langage des pointus ce qui rejaillit sur tous.
Vous seriez bien bonne de me faire, à Ems une commission, de me rapporter : 1° un petit caillou- Diamant du Rhin, monté en épingle ; 2° Deux garnitures de boutons pour gilets, en cailloux du Rhin. Quelque chose de semblable à ce que j'ai acheté là, l'an dernier. J'espère que cela vous donnera peu de peine en vous promenant. Onze heures Voilà votre lettre de jeudi. C'est bien loin en effet. Vous avez parfaitement raison de ne pas vouloir que Marion joue. Adieu, adieu. G

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 20 Juillet 1851

Pourquoi ne le dirais-je pas ? M. Victor Hugo me plaît. Il a remis tout le monde dans la vérité. La République du Gal Cavaignac, mensonge ; la République de M. Michel de Bourge, mensonge ; c’est la révolution qui est là, deux révolutions, une vieille et une future, celle des Montagnards et celle des Socialistes. C'est très bien de se mettre en colère contre le mauvais fou qui dit tout cela ; mais il faut savoir qu’il dit vrai, et que ces odieuses folies sont l'ennemi auquel on a réellement affaire. Hors de là, je ne vois que des badauds qui s’attrapent eux-mêmes en essayant d'en attraper d'autres qui se laissent volontiers attraper. Je trouve que ce débat, tout en restant parfaitement stérile est plus sérieux et plus significatif que je ne m’y attendais. Il y a de la vie dans ce pays-ci ; ce qui est, paraît, quelque envie qu'on ait de ne pas le voir. C'est une singulière impression que de recevoir l’écho de ce bruit dans le silence de ma solitude.
Mon gendre Conrad m’arrive demain pour passer ici quatre jours. Ils ne veulent pas me laisser plus longtemps seul. Pauline qui est à merveille ainsi que son enfant, vient s'établir avec son mari samedi prochain 26. Henriette est obligée de rester encore trois ou quatre semaines à Paris ; sa fille va mieux et on espère qu’elle ira décidément bien ; mais il n'y a pas moyen de la séparer en ce moment de son médecin. Le Val Richer aura revu un moine pendant huit jours. Vous savez que moine veut dire solitaire.
Je suis bien aise de ce que vous dit Lady Allice sur le ballot. Je ne me fie pourtant pas beaucoup à ces indifférences superbes des Ministres. Je compte plus sûr le bon sens anglais que sur la fermeté de Lord John. Croker, dans sa dernière lettre caractérise le genre et le degré d'habileté des Whigs, et le mal qu'ils laissent faire grâce à celui qu'ils ont l’air d'empêcher, avec beaucoup de vérité et de finesse. Je suis frappé de ce que vous me dites que la réaction va trop vite à Berlin. C'est mon impression aussi, sans bien savoir. Et j'ai peur que cette réaction, qui va si vite, ne soit, au fond, pas plus courageuse qu'habile. Avez-vous remarqué ces jours-ci un article Alexandre Thomas dans les Débats à ce sujet ? Il était plus précis et plus topique que ne l'est ordinairement cette signature.
Je trouve le Constitutionnel bien faible depuis quelque temps. Rabâcheur, sans confiance en lui-même. Est-ce que le Président serait déjà un vieux gouvernement ? Le plus grand des défauts dans ce pays-ci.

Onze heures
Le facteur ne m’apporte pas grand'chose. Petit effet de Dufaure. Pas plus grand de Barrot, M. Moulin m'écrit pendant que Barrot parle. Le discours de Berryer reste entier, et jusqu'ici seul, du bon côté du moins. Mon gendre Cornélis m’écrit : " Ce discours a fait dans Paris une grande sensation, plus grande qu'on ne pouvait l'espérer. Tout le monde en parle, et ce qui est singulier, tout le monde l'a lu. Les journaux anti légitimistes y ont beaucoup contribué ; ils ont cherché à entourer la fusion sous les couronnes décernées à M. Berryer, et pour éviter d'apprecier l'acte politique, ils ont adressé à l'orateur des louanges excessives, en affectant de ne voir là qu’un beau discours. Mais le public n'est pas de leur avis " Adieu. Adieu. Je suis charmé qu’il vous arrive du renfort. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 19 Juillet 1851
7 heures

Le grand effet du discours de Berryer est très mérité. C’est un talent admira blement abondant expansif communicatif, sympathique. Il plaît à ses adversaires presque autant qu'à ses amis. Amusez-vous de la mobilité des esprits et des situations. Nous avons tous dit d’abord qu’il fallait que ce débat fût un grand duel entre la République et la Monarchie, c'était aux hommes monarchiques à l'exiger, à en prendre l'initiative. Puis, nous avons renoncé au duel ; c'était une folie ; le pays n'en voulait pas ; il fallait baisser la voix, se tenir bien tranquille, bien modeste. Le débat commencé, et le duel entre la monarchie et la République éclate ; et il n’y a pas d'autres acteurs en scène que les républicains et les monarchiques, Cavaignac et Michel de Bourges, Falloux et Berryer. Seulement ce sont les républicains qui ont pris l'initiative, ce qui a rendu la position des monarchiques plus commode. Variez tant qu’il vous plaira c’est presque toujours la première idée qui est la bonne ; seulement, il ne faut pas la suivre au premier moment ; elle devient plus sage et plus pratique quand elle a passé par un peu de contradiction et de temps.
Voici un petit incident. On m’écrit : “ Depuis deux jours, M. Thiers et ses amis font grand bruit d’une lettre du Prince de Joinville qui serait arrivée à l'amiral Hernoux, et qui contiendrait un récit burlesque de l’entrevue de Claremont. Le Prince s’attacherait, dit-on, à tourner en ridicule tout ce qu'aurait dit Berryer. Il parle avec une amère ironie des larmes que l'avocat avait mises dans sa voix du Duvergier de Hauranne et Thiers, qui colportent les phrases de cette lettre sur tous les bancs de l'assemblée, ont eu soin que Berryer, et St Priest en fussent avertis. Ils en paraissent très blessés et c’est peut-être à cause de cet incident que Berryer s'est abstenu de parler de la fusion. M. de Montalivet, va faire tous ses efforts pour savoir la vérité sur cette lettre. " Je vous dirai ce qu'aura appris Montalivet, s'il apprend quelque chose. Toute sottise est possible. Cependant, dans ce cas-ci, je suis plus porté à croire au mensonge qu'à la sottise.”
J’ai une longue lettre de Croker. Sinistre sur l'Angleterre ; croyant au triomphe des radicaux et à tout ce qui s'en suit. Les Whigs ne tiendront pas. Les Torys ne reviendront pas. Il ne sort pas de ce qu’il a prédit en 1832 au moment du bill de réforme : " It is true, dit-il pourtant, that it has not gone so fast as I expected. " Quant à la France, voici son résumé : " I am afraid that some of the good folks in my neighbourhood (West-Molesey est près de Claremont vous savez) as was said of their cousins, n’ont rien appris, and are Still Thinking of rebuilding the temple of July, as if it could be hoped that a child and a woman were to succeed, not only where the wise old man failed, but with the additional and incalculable disadvantage of his fall and all its consequences. I see by the Assemblée nationale that you, the conservatives are greatly perplexed what to do. My humble advice would be to give the republic a fair trial. You are not ripe for Henry V. An Orleans usurpation would be still less possible. An unconstitutional reelection of Louis Napoleon will lead to immediate bloodshed ; and for the sake of France her character as well as her peace and happiness, I think the had better not attempt to revise the Constitution, but to endeavor to execute it, as it stands. The best thing France could do in every view, could be to elect you président. " Vous ne vous attendiez pas à cette conclusion. 10 heures et demie Voilà le Diable rentré dans le débat. Il le fallait bien. Adieu, Adieu.
Je ne reçois, rien qui vaille la peine de vous être redit. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 18 Juillet 1851
6 heures

Je suis curieux du discours de Berryer qui commençait si bien. Il aura voulu répondre sur le champ à Michel de Bourges, et mettre sa Monarchie en face de cette République. Aura-t-il poussé à fond son attaque et nié à Michel de Bourges, la République pour ne lui laisser que la Révolution ? C'est là le coup à porter aux Montagnards. Il ne faut pas leur permettre de se dire des républicains. Ils ne sont que des révolutionnaires, qui tueraient la république, s'ils y dominaient, tout aussi bien que la monarchie. Plaisante République que celle qui ne vit qu'à condition que le pouvoir soit aux mains des hommes monarchiques et que les hommes monarchiques gouvernent par la force armée et l'état de siège ! Et qui périrait demain s'il en était autrement ! C'est une stupidité, et une lâcheté de laisser les coquins et les fous se cacher sous de beaux mots ; il faut les appeler de leurs vrais noms et leur dire les choses telles qu'elles sont. Certainement on ment beaucoup parmi nous, et c’est un grand défaut ; mais nous en sommes bien punis car on nous paye de tout avec des mensonges. Et nous nous laissons faire. Sauf le ménage d’un bout à l'autre, il y a de l’esprit et du talent dans le discours de Michel de Bourges, et il mérite une bonne réponse. Jusqu’ici ce débat n'est ni violent, ni commun. Il n’est que vain.
J’oublie que je suis seul, et je cause comme si nous étions ensemble. Du reste, je supporte bien ma solitude. C'est une épreuve que je n’avais jamais faite. J’ai eu hier deux longues visites dont j’ai désiré la fin comme si j'étais constamment très entouré. L’air du pays est au profond repos. Point d’idée, point d'affection, point d’ambition, point de politique, rien, absolument rien que la préoccupation des intérêts privés, qui ne vont pas assez bien pour qu'on croie à ce qui est comme à un régime durable, ni assez mal pour qu'on désire, avec un peu de risque un changement. " Manger pour vivre et non pas vivre pour manger " était la devise d’Harpagon. " Vivre pour manger " est aujourd’hui celle de la France. Les vauriens ne désirent pas et les honnêtes gens n'espèrent pas autre chose.
Voilà mes nouvelles. Il faut que vous vous en contentiez. Je me rappelle le comte Beroldingen. Je doute qu’il soit pour vous une grande ressource.

Onze heures
Vous paraissez un peu moins ennuyée. Moi je suis charmé du succès de Berryer. M. Mollin, m'écrit : “ il a tué la discussion. Il a tenu à peu que la clôture ait été prononcée. On dit que Montalembert et Barrot vont renoncer à la parole. Victor Hugo est à la tribune et débite en comédien sa prose boursouflée. Ou le débat reprendra une vigueur nouvelle, ou nous finirons demain ! Ainsi, les républicains et les légitimistes auraient seuls parlé. Adieu. Adieu.
Ma petite fille va mieux. Pauline et son mari viendront me rejoindre dans huit jours. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, Dimanche 6 Juillet 1851

M. Paget vient de m’apporter deux lettres de Lord Aberdeen, des 28 juillet et 4 juillet. M. d'Harcourt après l’avoir promis, avait négligé d’envoyer chercher la première, ou de donner son adresse. Légèreté française comme vous diriez. Longue lettre. Voici les points intéressants. Le Roi Léopold point hostile à la fusion, mais croyant que les Princes ont peu à y faire ; tenant le même langage que le feu Roi ; se plaignant de la déraison impertinente de quelques légitimistes, surtout autour du comte de Chambord. Celui-ci serait convenablement reçu à Londres, s'il y allait. Les désirs de la famille d'Orléans, surtout de la Reine et du duc de Nemours, y seraient pris en grande considération. Le Cabinet anglais, plus discrédité que ne l'a jamais été aucun gouvernement ; mais il achèvera la session. " We are threatened with a new reform bill at the commencement of the next session ; and although lord John looks to this as the means of acquiring additional strength, it may very possibly lead to his ruin. This is a matter upon which all conservatives might act cordially together. "
Changarnier s'est montré fort perplexe. Il craint une grosse majorité pour la révision. Des hommes sur qui il comptait pour voter contre, M. de Maleville et M. de Rémusat, par exemple, voteront pour dans leur intérêt électoral. Il insiste ardemment pour qu’on prenne d'avance des mesures législatives contre l'élection des trois candidats inconstitutionnels. Il regarde, en ce cas, sa propre élection comme certaine, avec toutes les meilleures conséquences. Mais il doute beaucoup que l'Assemblée le fasse. Il dit les mêmes choses que vous lui avez entendu dire, avec moins d’assurance. J’irai lui rendre sa visite avant mon départ. Quelques autres personnes ce matin, mais rien de nouveau. Décidément les affaires commerciales reprennent assez.
Le public a moins peur de 1852, sans savoir comment, il se croit sûr qu’il s’en tirera, à assez bon marché, et il ne demande rien de plus. La chute d’ambition est encore plus grande que la chute de puissance.

Lundi 7 9 heures
Votre mot de Cologne m’arrive. J'espère que demain je vous saurai arrivée et établie à Ems. Cela me plaît de connaître les lieux, maison et pays. J’irai me promener avec vous à Nassau. J'espère aussi que vous aurez pensé à m'écrire au Val Richer, à partir de Mercredi 9. Rien n’est changé dans mes projets.
Je n'ai vu personne hier soir. Je reçois ce matin une lettre de Donoso Cortes qui me croit et m'écrit au Val Richer. Voici le dernier paragraphe : " Mon Dieu ! je suis émerveillé de voir combien sont faciles les choses difficiles. Je crois, par exemple, qu’il se peut que le salut de l’Europe tienne à ce qu’un homme, qui est à Val Richer, le veuille ou ne le veuille pas. Le voudra-t-il ? " Comprenez-vous ? La lettre roule sur l’Eglise catholique qui peut seule sauver le monde, parce qu’elle en sait plus que le monde, et aime plus que le monde n'aime. Et la question est de savoir si je voudrai me faire catholique. Suis-je assez flatté pour me décider ? Qu'en pensez-vous ? Adieu, adieu.
Dites-moi, je vous prie, à quelle heure vous arrivent mes lettres et partent les vôtres. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°31 Val Richer, Dimanche 4 Juillet 1852

Il n’est pas huit heures ; le temps est magnifique ; pas un nuage ; le soleil déjà chaud ; assez d’air pour qu’il ne soit pas trop chaud, je viens d’errer une demi heure dans mon jardin, très doucement. J’aimerais mieux y être avec vous ; mais vous n'en jouiriez pas aussi tranquillement que moi. J'oublie beaucoup ce qui se passe hors du cercle de ma vie et de ma vue ; je n’y ai rien à faire, et le spectacle ne m'en plaît pas.
Je ne suis pourtant pas aussi irrité que Molé qui m'écrit " ce n’est pas la faute des circonstances, s’il n’y a rien à faire, c’est la faute de l'abâtardissement des âmes, c'est défaut de courage, c’est enfin ce trait caractéristique de la décadence d’une nation qui lui fait accepter le repos de toute main à toute condition, et réserver ce qui lui reste d’énergie pour se préserver de tous les hasards de l'action. Pardonnez moi cette boutade ; je suis las de tout comprimer."
Je la lui pardonne de tout mon cœur. Il en veut beaucoup à l'abbé Gaume et à tous ces ultra-dévots qui ne veulent pas qu’on apprenne le Latin et le Grec dans les auteurs païens ! Je me laisserais croire Mahométan me dit-il, plutôt que tolérant pour de pareilles absurdités.
J’ai reçu hier du Père Ravignan une admirable lettre sur ce sujet ; il y est aussi prononcé que vous et moi. Il m’apprend en même temps que tout son ordre, y compris le Général est dans les mêmes sentiments. Je vous envoie ce qu’on m'écrit, comme si je savais quand et où cela vous arrivera. C’est un ennui d'écrire au hasard ; je me figure ma lettre courant après vous et vieillissant à la peine.
J'oubliais la dernière phrase de Molé : " Comment se porte la Princesse ? Quand revient-elle ? Malgré ses promesses, elle ne m’a pas écrit. "

11 heures
Je fais ce que vous me dites. J'adresse cette lettre-ci à Paris où elle vous attendra au moins trois jours. Je ne vous écrirai pas demain, à moins de contr'ordre. Adieu, Adieu. Je suis charmé que vous soyez de cœur, si contente de votre voyage. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°29 Val Richer, Vendredi 2 Juillet 1852

Voici une lettre de Marion qui ne vous plaira guères. Vous en savez certainement déjà une partie ; elle vous a écrit, me dit-elle, qu’Aggy ne vous rejoindrait qu'à Paris. Il faut que vous sachiez le tout. Je ne sais si vous auriez mieux aimé rester sur le Rhin avec Aggy que revenir à Paris et l’y trouver ; après le mois que vous venez de passer, vous devez avoir besoin de repos sans solitude, et vous aurez cela à Paris mieux que sur le Rhin. Vous venez d'être très fatiguée et très intéressée ; il vous faut du calme sans vide, il me semble que sur le Rhin, à Baden, Wiesbaden, Ems, n'importe, vous n'auriez ni l’un ni l’autre. Pourquoi n'iriez-vous pas un peu à Versailles, où vous trouveriez Dumon, un peu à Maintenon un peu à Dieppe ? Je parle au hasard ; il n’y a pas moyen de discuter cela de loin.
Fould est un homme d’esprit qui sait se conduire dans le présent, et qui voudrait bien arranger l'avenir. Envie fort naturelle aux gens d’esprit. Mais l'oeuvre est plus difficile.
Je suis fort aise que la rencontre de l'Impératrice, et du Roi Léopold ait réussi, et j’espère que ce sera le prélude de quelque chose de plus et de mieux encore. Soyez sûre que pour toutes les affaires de tout le monde, le Roi Léopold est un homme considérable, et qui ne demande qu’à faire très bien, pourvu qu’il soit un peu bien traité.
Avez-vous remarqué le discours de Lord Palmerston à propos de la motion de Sir Harry Verney sur les missionnaires anglais expulsés de Hongrie par l’Autriche ? Il a rarement été plus perfidement anti-autrichien et plus habile pour plaire en Angleterre. Le coup de patte qu’il a donné en passant à Lord Granville doit être fort désagréable à celui-ci. Palmerston jouira encore un rôle. Je ne sais si le comte de Bual sera très flatté de ses compliments. Aberdeen me dit qu’il part pour l'Ecosse trois jours après la dissolution du Parlement.
J’ajoute un fait à ce que je vous disais hier sur l'importance prochaine des questions religieuses. Il se prépare et déjà, il se commence dans l'Eglise anglicane, une scission pareille à celle qui s’est faite, il y a quelques années, dans l'Eglise Presbytérienne d’Ecosse, c’est-à-dire que l’Eglise Anglicane se coupera en deux, l’une restant officielle et unie à l'Etat, l'autre séparée et indépendante. Et voilà, un M. Gladstone frère, je crois du politique, qui entre dans ce mouvement. Les Catholiques croiront que c'est la reine de l’Eglise anglicane qui commence et ils se tromperont, ne comprenant pas l’Angleterre, ni la liberté religieuse.

11 heures
Votre rhume me déplait. Et par conséquent votre dîner en plein air, même quand on vous regarde manger. Ce régime-là ne vous irait pas longtemps. Je vois qu'ayant Kolb vous retournerez vous reposer dans Schlangenbad solitaire, de Schlangenbad impérial. Adieu, adieu. G.
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