Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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14. Bruxelles Vendredi le 14 Mars 185

Il se fait un grand travail pour disposer mon empereur à se reconnaître satisfait, le cas échéant de l'émancipation religieuse et civile des Chrétiens à laquelle la France & l'Angleterre travaillent activement à Constan tinople. Il serait fort utile que vous m'en disiez un mot dans votre prochaine lettre. De ces paroles qui frappent et comme vous seul savez les dire. Beau rôle à jouer que de rendre la paix au monde, et d’attester par là que ce n’est ni son ambition ni son amour propre dont il recherchait la satisfaction. S’il dit " Je suis content & je le prouve en sortant des principautés", tout est fini, tout le monde est heureux, & si l'Angleterre osait ne pas être satisfaite c'est contre elle qu'on se retournerait. Voilà l’opinion de mon long tête-à-tête l’autre jour. Le Roi a reçu une excellente lettre de mon empereur. Elle atteste son désir à présent, toujours de faire la paix. J'y vois ainsi une grande confiance dans les opinions du roi.
Je vous prie causez avec moi familièrement sur le texte que vous dis. Grand à propos. Voici votre lettre et vous me dites tout juste ce que je vous demande. Cependant je veux encore ; même familiarité de style, et puis du stimulant sans rien de blessant. J’ai envoyé votre N°16 qui était bon et utile, la critique de nos prières. Il faut que nous écoutions la vérité. S’il n’y avait pas des sifflets j'enverrai celle-ci aussi. Les autographes font toujours meilleur effet que les copies quand il n'y a rien de préparé, ainsi pas de princesse.
Votre projet de visite m'enchante ! Barrot vient me voir souvent, & me prie de vous offrir ses hommages. Vous le confondez avec son frère. Il n’a jamais été député. Il s'appelle Adolphe et a longtemps servi sous vos ordres, il parle de vous avec beaucoup de respect et de reconnaissance. Lord Howard vient beaucoup aussi, je suis très bien avec tous les deux. Ils ne voient plus du tout Chreptovitch & Kisseleff. Celui-ci a fini avec moi complètement ; c’est incroyable. Vely Pacha est ici logé sous le même toit que moi et toute la Russie car il y a K. Hélène, mon fils & deux autres familles Russes. Lady Palmerston m'écrit de bonnes lettres affectueuses. Ah que je vais me réjouir de vous recevoir. Comme je me sens triste du présent, de cet avenir si incertain si sombre, car je n'ose rien espérer, les proportions de cette guerre peuvent devenir énormes. Cela fait frissonner. Brunnow n’est pas arrivé encore. Dépêches et lettres s’attendent. Adieu. Adieu. Merci mille fois de Cromwell.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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78. Ems dimanche 11 Juin 1854

Je n’ai pas de lettre aujourd’hui et comme vous me parliez de vos éternuements dans la dernière me voilà inquiète. Je vous en prie ne me donnez pas d'inquiétudes, je ne saurais pas les supporter.
Paul est parti tout à l’heure Il va passer un mois à Aix la Chapelle et puis nous revenir. Il a besoin de ces eaux. Son départ nous laisse sans un seul homme, c.a.d. sans protection. Les mutations qu'on annonce dans le ministère anglais me semblent bonnes. John à la [Chambre] Haute. Cela fera de Palmerston le leader à la [Chambre] basse. Je ne sais ce que sera l’entrevue de l'Empereur] d’Autriche avec le roi de Prusse. Je persiste à douter que l’un ni l’autre passe à l’action contre nous.
Je serais bien curieuse de savoir tout ce qui s’est passé et ce passe à Constantinople. Evidemment Redcliffe est le tout puissant, et peut être faites vous bien de ne pas essayer de lui donner un rival. Il serait battu. Mais enfin comment la France vit-elle là avec l'Angleterre ?
Ni hélène, ni moi n’avons un mot de Russie ou de Berlin. Et comme nous ne connaissons pas ici une âme nous ne savons rien du tout de cette partie du monde.
J'ai eu ce matin une lettre très longue et très sensée du Comte Molé, très amicale aussi. J’aime qu'on se souvienne de moi et qu’on me le dise. Ah combien moi je pense à tout le monde. Mon monde. Hélène est plus que jamais excellente pour moi. Certainement c’est une personne d'un vrai mérite. Beaucoup de coeur et d’une charité, si intelligente & si soutenue. Elle a une bien bonne influence sur mon fils. Vous voyez que je n’ai pas une nouvelle à vous dire, et je ne prévois pas qu’il m’en arrive ici. Je regrette beaucoup mes pratiques de Bruxelles. Adieu. Adieu, je vous prie portez vous bien, et écrivez-moi tous les jours.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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9 Bruxelles le 9 Mars 1854
Jeudi

Je vous prie écrivez-moi toujours où vous allez le soir. Je pense sans cesse à tout. Voici mes nouvelles. Nous avons envoyé à Vienne des propositions sur lesquelles on délibère là, & qui ont en attendant fait ajourner l’envoi de l’ultimatum anglais français. Vous savez que l’Autriche & la Prusse étaient invitées à s’y joindre. La Prusse ne le fera pas, l’Autriche, oui mais avec des modifications. On n’a donc pas envoyé cet ultimatum encore. Il est venu hier un courrier de [Pétersbourg] : nous désirons fort éviter la guerre. Comment cela sera-t-il possible après tout ce qui s’est fait et dit ?
Je fais mal à mes yeux en vous écrivant. Quel désespoir que mes yeux. Quel horrible climat que ceci, et quel ennui de toutes sortes. Kisseleff a l'ordre de rester indéfiniment ici, & Brunnow d'y venir pour y rester aussi. Nous ne voulons pas encore entendre parler de guerre. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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38. Bruxelles le 24 avril 1854

Votre opinion est la bonne sur nos pièces. Brunnow en pense de même. Faible, confus. Il est assez en blâme de tout. Je doute qu'il reste ici longtemps d’ailleurs, il n'y a rien à faire. Je ne pense pas que nous soyons mécontents du traité entre l’Autriche et la Prusse. On ne nous attaquera pas du côté de la Pologne. Constantin croit que l’automne amènera forcément la paix. De part et d’autre on verra qu'on ne peut rien se faire. Je ne suis pas aussi optimiste que lui on dit que les Turcs commencent à en vouloir beaucoup à Lord Redcliffe. On fait courir le bruit d’une visite de la reine d'Angleterre à Paris. J’ai peine à y croire.
Andral n’a pas répondu encore et la jeune fille a grande foi dans Ems et désire ardemment qu'il persiste dans sa première ordonnance qui était d'y aller. Il fait très froid depuis l'orage. Hier Brunnow a vu chez moi Barrot, ils ont fait connaissance, mutuellement très polis. Barrot m'a priée encore de vous dire son respect. Adieu. Adieu.
Je trouve notre circulaire sur les troubles en Grèce, assez vive. Qu’en pensez-vous ? Adieu encore. Nous envoyons à Vienne Le gouvernement Greenwald, pas grand chose pour assister aux noces. Voilà le duc de Noailles et votre bonne & longue lettre. Que je n’ai pas lu encore. Ah ! Si c'était vous !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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89 Paris le 14 Novembre 1853

Certainement tout et au plus noir, & vous ne tenez pas vos promesses. La guerre. générale est inévitable. L’article du Moniteur a paru à tout le monde très provoquant. Il donne un démenti à l’Empe reur Nicolas et l’on s’attend généralement à ce que cela empêche [Kisseleff] d’aller à Fontainebleau. Je ne suis pas de cet avis du tout. Il faut qu'il aille. Il ne doit pas commencer la guerre.
On reste sans nouvelles. Je n'ai pas besoin de vous dire dans quelle agitation je vis. Je vous attends avec impatience, mais vous aurez de la peine à me remettre en équilibre. On est très à la paix à Londres à ce qu’on dit, mais qu’est-ce que cela signifie ?
L'Angleterre a épousé la France et fera sa volonté. Celle-ci a pris un élan belliqueux. Elle eût préférée peut-être la paix, mais la guerre aussi lui convient. Nous avons très bien fait vos affaires, celles de votre Empereur.
Adieu. Adieu, ma dernière lettre donc, à moins d'un gros événement.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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54 Bruxelles le 10 mai 1854

Je ne trouve vraiment rien à vous dire. Nous attendons les corps dans la Baltique. En Prusse toujours les derniers efforts pour rester à la fois, bien avec la Russie, et bien avec les alliés nos ennemis. Comment cela pourra-t-il aller ?
J'ai eu une longue lettre d’Ellice. On est mécontent de Gladstone & il ne croyait pas que sa demande d’argent avant hier peut-être aussi bien reçue que la première.
Il est très alliance française. Qui ne l’est pas aujourd’hui en Angleterre ? Le pauvre Meyendorff est bien malade, s'il reste encore un peu de temps à son poste. mourra. Que de victimes de cette maudite guerre, ce n’est pas le canon seul qui tue. Je suis retournée hier au bois de la Cambre pour la première fois depuis 3 semaines. Il est vert, charmant. En revenant un violent orage. Le roi de Portugal s’annonce entre Londres & Paris, ou après les deux.
Vous voyez que je n’ai pas de nouvelles. Décidément Seymour m’a fait dire que c'était de peur de rencontrer Brunnow ou Kisseleff qu'il n’est pas venu. Je crois que je me répète. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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68 Paris le 3 octobre 1853

Marion m’a dit que ses parents désiraient qu’elle passat Noël, avec eux ; j’ai trouvé naturel, j’ai dit tout ce que je m'étais proposé de dire sur mon remord du passé. J’ai été très affectueuse & résignée à cette séparation m'en remettant à elle de l'abréger. C’est tout en moi dont elle parle ! Je n’ai pas capitulé. Je remets à mes amis de faire comprendre que c’est bien long ! Vous y pourrez beaucoup. Il y a du temps jusqu'à l’événement. Merci de vous occuper de Monod. Les affaires se brouillent beaucoup. Je crois qu'il est venu une note austro prussienne adressée à Paris & à Londres. Elle a dû être remise hier. J’ignore encore l'accueil. Ici on ne fera que ce que voudra Londres, et là on est très monté & je crois décidé à la guerre. Les Anglais se croient trompés par nous & veulent se venger. Le pays tout entier est monté sur ce ton. Lansdowne d’abord très doux a changé de manière après avoir appris par Lord Cowley tout ce qui s’était passé.
J'espère encore que L'Empereur ici tâchera d'agir à Londres, il désire la paix vivement, mais il ne se séparera pas de l'Angleterre cela est certain, & si elle veut la guerre il la fera avec elle.
De notre côté nous ne comprenons pas cette nouvelle vivacité anglaise. Nous persistons dans notre dire, nos conditions pour évacuer les Principautés. Nous n’avons pas dit un mot encore des flottes à Constantinople.
Les trois souverains sont réunis à Varsovie, je crois du moins que le roi de Prusse y est allé aussi. L'entente est intime. Les Clauricarde sont venus me voir spontanément. Les anciennes relations très cordiales. ils sont très opposition au Ministère, ce qui fait qu'ils le sont moins à la Russie. Ils repartent pour Londres demain.
Mad. Kalerdgi est arrivée, elle m'explique un peu Pétersbourg. Au fond toute cette affaire est de l’invention de l’Empereur & pas du tout du goût de Nesselrode. C’est ce qui explique la marche boiteuse. Molé, Heeckeren , Noailles, beaucoup de monde hier soir. La rencontre de Kalerdgi & Molé touchante. C'était drôle. Tout le monde agité & croyant à la guerre. Savez-vous qu'une bonne lettre de vous à Lord Aberdeen ferait beaucoup d’effet dans ce moment de ces réflexions générales que vous savez rendre si frappantes. Lui aussi est ébranlé et penche pour la guerre, enfin je vous dis vrai, tout le monde y est en Angleterre & c’est imminent. Ecrivez, je n’ai pas revu Fould depuis la folie de son frère. Morny est de retour depuis hier. Il travaillera à St Cloud. Son Empereur est très sensé et très bon. Tous les autres détestables. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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65. Bruxelles le 24 mai 1854
Jeudi

Brockhausen est revenu hier de Paris. Enivré de Paris, malheureux de retrouver Bruxelles. Il dit qu'on sait bien moins là qu'ici. Je suis dans mon lit aujourd’hui c’est bien ennuyeux, j’espère que ce n’est pas dangereux. Redcliffe a fait ses embarras. Il n’a pas voulu aller au dîner donné pour le prince Français, Raglan non plus, c’est drôle. Les spectateurs trouvent cela un singulier début pour l’action commune.
Il y a des gens qui prétendent qu'il y a quelques nuages entre Paris et Londres, c’est des mauvaises langues.
Quelle misère d’aller nous trouver vous en Normandie, moi en Nassau. Ce pauvre Constantin me conseillait l’autre jour de penser comme la Grande Duchesse de Weimar qui dit que le bon Dieu n’aurait pas fait autre ment que l’[Empereur] son frère, j’ai répondu que c’était bon pour un orthodoxe de le croire, mais que moi j’étais Luthérienne, et je crois au bon Dieu plus d'esprit que cela. J'ai été prise d’un accès de sommeil après une nuit blanche, et voilà qu'il est tard. Je suis obligée de fermer ma lettre. Je viens d'en recevoir une de Greville un peu bête. Evidemment l’intéressant il ne veut pas me le dire. Adieu. Adieu.
N'oubliez pas de me donner l’adresse de Génie.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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48 Schlangenbad le 17 août 1853

J’ai vu hier lady Jersey arrivant de Londres. Très opposition, mais disant que le Ministère se soutiendra. Prévoyant la chute de l'Angleterre. Elle ne reste debout que pas l’amour et le respect qu’on a pour la Reine.
La G. D. Olga fait furrore. C'est une admiration extraordinaire. Voilà tout Lady Jersey. Mme Rothschild me mande de Paris que Lord Cowley se plaint du gouvernement français qu'il trouve trop russe, ou plutôt trop pressé de la paix. Il me semble que l'Angleterre ne l’est pas moins. On ne sait rien encore de sûr de Constantinople, et il y a encore bien des difficultés à vaincre. Il pleut ici, j'en suis bien fâchée, cela gâte mes derniers moments. C’est mardi le 23 que je quitterai ceci. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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73 Bruxelles le 2 juin 1854

C'est bien malheureux que vous ne soyez pas à Paris et que Génie soit un étourdi. Le 3. 6. 9. qui est l'usage pour tout le monde est converti pour moi en 9 absolu. Si cela me garantit l’occupation, de l’autre côté cela m’expose à avoir un Club sur ma tête.
Et la faculté de résilier au bout de 3 ans était au moins une ressource. C’est là ce que je veux obtenir, c'était dans le contrat primitif. Il me semble que j’ai parfaitement raison.
Le 3 juin samedi. J'ai été prise au milieu de ma lettre par une longue visite que j'ai faite à la campagne, en revenant J’ai trouvé un notaire avec le quel j’ai dû m'occuper de cette d... d’affaire de loyer, l'heure de la poste a passé.
C’est de Mardi 6 que vous m’adresserez vos lettres à Ems. Duché de Nassau près Coblence. Jusque là ici.
Je ne relève rien de nouveau quoi que j’ai eu beaucoup de causeries. On vous trouve bien puissants au dehors comme à l’intérieur, et l'esprit de l'Europe est bien changé à votre profit. La paix est possible, mon Empereur doit la vouloir, car les sacrifices pour la guerre sont immenses et les profits pas possibles. L'Angleterre qui voulait nous humilier et nous diminuer a déjà réussi.
Les Allemands ont tout intérêt à amener la paix, et si les Turcs font ce que vous leur demandez pour les Chrétiens, les Grecs y profitent assez pour que l'Emp. puisse dire à son peuple qu'il a obtenu plus même qu’il ne voulait. Et tout le monde serait content. Moi surtout !
On ne croit pas que l’Autriche passe à l’action. On puisse ici comme vous sur la situation de Lord Aberdeen (faible), et de l'Angleterre. L’union entre l'Ang. & la France durera. Je m’occupe de mes paquets. Quel ennui que ces ennuis-là ! Savez-vous que Cerini ne sait ni lire, ni écrire en Français. Mais pas un mot ! Du reste très convenable. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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32 Bruxelles lundi le 17 avril 1854

Merci des efforts infructueux au près de Marion. Certes il n’y aura pas ici de votre faute. Cette manière de voir est bien étroite, je dirai bien bourgeoise. J'espère que vous réussirez auprès d'Andral, car je me figure que le changement est une fantaisie des médecins d'ici.
Brunnow a rencontré hier Lord Howard chez moi. Celui-ci a dit entre autres choses qu'il ne à aucune impression. se fierait jamais ou opinion de Seymour. Voilà qui est Drôle. La conversation avait commencé très banale & froide. J'ai chauffé cela et c’est demain piquant & bon du côté anglais. Seymour va venir passer quelque jours ici. le soir Van Praet & Lebeau. [Brackhausen] cela va sans dire. Pas l'ombre d'une nouvelle aujourd’hui. On dit ici que l'accueil du public pour le duc de Cambridge a été froid, et que les Anglais se plaignent des lenteurs des Français. Ah si tout cela pouvait n'être pas nécessaire. Adieu. Adieu.
Mes yeux ont la fièvre intermittente, aujourd’hui le mauvais jour. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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44 Schlangenbad le 9 août 1853

Ma cour a consenti à l’Ultima tum que l’Autriche adresse à la Porte. Voilà une bonne affaire, très bonne pour Aberdeen. Il faut maintenant que la Porte accepte. Si elle le fait nous recevons son ambassadeur. Meyendorff qui me mande cela espère que la France & l'[Angleterre] soutiendront leur oeuvre et retireront tout appui à la Turquie si elle refuse cette dernière planche de salut. Comme démonstration de cette menace il faudrait rappeler les flottes et nous évacuerons les principautés ; il est en bonne espérance et content de lui même car ceci est son œuvre.
Pardonnez moi, mais votre critique des manoeuvres de notre flotte de la Baltique aussi bien que du camps de Chobane est singulière. Mais de tous temps on exerce des troupes. Et depuis que nous avons un vaisseau il fait des promenades. dans la saison d’été pour exercer les matelots à la manœuvre. Est-ce que vous n'envoyez pas les vôtres à droite et à gauche en été pour la même raison ? Nous restons dans notre coin la Baltique ; dans d’autres années ils viennent dans la mer du nord, voilà la différence pour cette année. Et les régimes Anglais ? Mais c’est un camps d’exercices comme Satory, comme St Omer, comme Krasno Selo où mon empereur. fait manoeuvrer tous les ans 100 m hommes. Le chiffre n’y fait rien.
Voilà qui est trop long pour la question militaire. Mon fils n’est pas arrivé encore, ce qui me surprend. Il y a depuis quelques jours un vent glacial, abominable. Mon rhume est plus fort que jamais. La duchesse de Nassau est venue me voir ; bien gentille et bonne. Mes impolitesses sont acceptées, je ne rends visite à personne. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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18 Ems Samedi le 18 juin 1853

Je suis arrivée très fatiguée, et je ne me repose pas encore. Demain je commence les bains. Il n'y a à Ems personne, jolie perspective. Mon fils meurt d'ennui. Il y a de quoi, il me quittera demain probablement et je ne pourrai pas lui en vouloir.
Nous nous nourissons des journaux. Je ne sais que penser de la grande affaire. Où va-t-elle nous mener tous, l'Europe entière. Il est parfaitement clair que c'est au fond rien ou peu de chose & que Lord Redcliffe seul lui a donné le caractère & les proportions que nous voyons. Je suis comme vous, je ne crois pas à la guerre. & cependant je ne comprends pas comment on pourra se tirer de là sans y recourir. Marion est très shy avec Paul. C'est étonnant comme il lui impose, et il est cependant charmant, & gai & amical. Pas de nouvelles de Constantin.
La Reine Amélie ne viendra pas à Bruxelles pour le mariage du duc de Brabant Elle n'y vient pas non plus pour la confirmation de la princesse Charlotte. Je tiens tout ceci du roi, qui met le plus grand soin à éviter tout ce que pourrait donner ombrage ou déplaire, & qui regrette seulement qu'on se livre à son égard et à l’égard des autres aussi à des soupçons parfaitement injustes, car bien certainement il y a bienveillance pour le gouvernement de France actuel, à Bruxelles à Vienne, à Berlin, à Pétersbourg. Partout la méfiance est très mal placée. Et peut entraver le bien. Adieu. Adieu, envoyez moi des nouvelles et des commentaires.
(Greville me mande que Walewski montre la plus grande joie. Quoiqu’il arrive la bonne entente est rétablie entre la France & l'Angleterre. Les partis orléanistes et légitimistes se montrent très contrariés de cela. L'Emp. de Russie qui ne voyait pas ce rapprochement possible aura été très contrarié en l’apprenant. En [Angleterre]. personne ne croit à la guerre. Mais on trouve la situation de l'Emp. difficile & on cherchera à l’en faire sortir sans trop déroger. Adieu.)

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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47 Schlangenbad le 15 août 1853

Constantin est arrivé hier ici très inopinément. Il y passera quelques jours. Je n'ai rien décidé encore pour mon départ, mais il est très probable que je serai à Paris avant la fin du mois. J’ai lu la pièce acceptée par mon gouvernement et sans doute aussi par la Turquie & qui termine cette maudite affaire. Il me semble que c’est même plus explicite et plus obligatoire que ce que nous demandions. Les Anglais et Français ont confectionné cette pièce et c'est Lord Radcliffe qui dans ce temps avait conseillé la résistance ! Le roi de Wurtemberg est parti ce matin. Il a passé hier la soirée chez moi. Très aimable ; je regrette qu’il n’y soit plus.
Voici votre lettre du 12. Et Votre explication de notre conduite. Je l'enverrai à [Meyendorff]. Elle est curieuse et juste. Je ne lui enverrai pas l'autre page qui traite du Prince de Joinville. Elle n’est pas digne de vous. Il n’a aucun mérite à sa dénonciation. Les plus simples lois d'honneur et d’humanité lui en faisaient un devoir.
Je crois sans en être bien sure que je quitterai ceci le 23. Si je ne fais pas de halte ou de détour je serai à Paris le 26 ou 27. Vous serez informé et dans ce cas vous me donneriez bien autant de jours qu'à l'Académie ? Lady Jersey est arrivée à Wisbade et me demande un rendez-vous. Cela m'ennuie. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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13. Paris le 8 juin 1853

La situation est bien vive je crois que les Allemands vont se joindre à l'Angleterre. La France est dans l’alliance ou avec elle au moins l’entente tout-à-fait. Fould a l’air content. Des nouvelles particulières disent qu'Aberdeen rompra le Cabinet, ne voulant pas faire la guerre. Nous verrons cela après demain jour des interpellations.
Les Russes sont très montés. Je ne vois pas comment on peut s'arranger sans guerre ; si elle commence, où elle finira.
Je pars bien triste, mais je pars. Je dis Samedi. Constantin sera à Ems pour me voir un moment le 16.
Vos commentaires me sont toujours précieux. Il y en a long à faire !
Heeckeren est chez moi tous les soirs, tout le monde y est & désolé de mon départ. Il n'y aura plus où se rencontrer. La ville était pleine hier de la retraite de Fould, il n’y a pas un mot de vrai.
Adieu. Adieu. Je suis malade de tout ceci. J’ai besoin de m'en aller, sauf à crever d'ennui. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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2. Beauséjour 5 heures jeudi 31 août 1843,

J’ai été en ville. J’ai remis à Génie ma lettre et une lettre de Lady Palmerston reçue après coup, et que vous me renverrez. J'ai fait visite aux Appony. Vraiment il est trop bête. "-Et bien, elle vient donc cette petite reine ? Caprice de petite-fille un Roi n’aurait par fait cela. - Pourquoi pas ? S'il en avait eu l’envie ? - Mais c’est que l’envie n’en serait pas venue. - C’est possible. Mais voilà toujours un grand événement et qui fera beaucoup d’effet partout. - Je ne crois pas. On dira que c’est une fantaisie de petite fille. - Fantaisie accepté par des Ministres qui ne sont pas des petites filles. - On sait qu'ils sont très plats et qu'ils tremblent devant elle. - En tous cas voilà parmi les souverains de l'Europe le plus considérable peut être, et celui qui ne se dérange jamais qui vient faire visite au Roi. C’est un grand précédent. (avec une mine et un geste très ricaneur) Il se trompe bien s'il croit pour cela que les autres feront autrement qu’ils n’ont fait jusqu'ici. Personne ne viendra. - Et bien on se passera mieux des autres visites depuis qu'on aura eu celle-ci. - Je suis bien sûr cependant que le roi eut été beaucoup plus flatté de la visite du roi de Prusse. - En vérité je ne sais pas pourquoi et certainement elle n’aurait pas fait autant d’effet que celle-ci. - à Vienne on n'y pensera pas. Je me mis à rire et je lui dis : - Savez-vous qu'il y a des rapportages en ville & que j'ai entendu moi-même dire à Molé que le corps diplomatique montrait beaucoup de dépit. Il est devenu rouge. Certainement pas moi. Nous sommes si bien avec l'Angleterre et si sûrs d’elle que nous serons même bien aises de cette visite. Je n’en avais pas assez et j'ai dit que Molé avait été assailli par des : " Avez-vous lu le National ? Décidément ceci l'a interdit. Il avait même l’air un peu colère, Armin est entré ; la conversation a fini. Il me semble que je vous envoie assez de commérages. Ce qui est bien sûr c’est que l'humeur de l’Europe sera grande et cela doit bien vous prouver que le continent sans exception est malveillant pour ici. Gardez l'Angleterre. C’est votre meilleure. pièce. Beauséjour vendredi 8 h dim. matin La journée a été bien mauvaise hier. Si vous n'aviez pas à recevoir une Reine je vous en conterais tous les incidents. Tout a été de travers, pas de fête, pas un coin et je me suis vu forcée de revenir coucher ici où j’ai failli ne pas retrouver mon lit. Je vous conterai tout cela à votre retour. Heureusement Pogenpohl était avec moi, ce qui a contenu ma colère, quoique pas trop. Il a un peu d'esprit et avant que j'eusse pris l’initiative il m’a parlé du voyage comme de quelque chose de très grand, très important et qui doit avoir un grand effet, ici et partout. Il a ajouté " à présent, les bouderies de l’Empereur n'ont plus la moindre portée. " Il ne fera peut-être pas autrement qu'il n'a fait mais cela ne veut plus rien dire. " Voilà qui est vrai. Le bon de ce voyage, c’est que tout le reste dévient égal. Ecrivez donc ou faites écrire à d’André de bien vous mander tout ce qu’il entendra dire. Vos autres après auront bien l'esprit de le faire sans attendre un ordre. J’ai fait prier Kisseleff de venir ce matin, je serai bien aise de lui parler. Fluhman viendra probablement aussi. 10 heures Que de choses utiles et bonnes à dire à Aberdeen. Vous n'oublierez surement pas de donner une bonne bais [?] à vos entretiens. Vous rappelez que le bon langage des Ministres anglais au parlement a bien puissamment contribué à calmer les folies françaises. Il me parait que vous devez, que vous pouvez vous établir sur un pied de si bonne amitié et franchise avec lui. Surement comme étranger vous lui cèderez le pas aux dîners, & & & Je vous dis des bêtises. Vous savez tout cela. Mais n’importe. Qu’est ce que l’affaire de votre consul et du drapeau français. à Jérusalem ? C’est mauvais. Sébastiani a eu je crois une affaire pareille à Vienne ou Constantinople. Ou bien n'était-ce pas Bernadotte ? Je reviens à Appony. Vraiment je suis un peu étonnée. Le meilleur !!! Metternich était bien tant qu’il croyait être seul à vous protéger car c’est bien là le sentiment. Sa vanité était en jeu et de là venait sa bonne conduite. Aujourd’hui il est débordé, son dépit sera grand, en attendant son ambassadeur est trop sot Voici votre N°1. Merci, merci. J’aime autant, et même mieux que la Reine ne vienne pas à Paris. On n’aura plus le droit de dire, petite-fille curieuse de s'amuser. Et puis. Vous serez libre plutôt. J'aurais aimé à causer avec Lord Aberdeen, mais vous n'oublierez rien, seulement j'aurais eu le contrôle. Je suis charmé que ce soit Andral j'espère qu'on choisira son meilleur rôle. Passé minuit est un peu trop leste pour la vue ; car il sort de son lit avec le stricte nécessaire. However I don't know. Les tapes sont une grande habitude en Angleterre ; peut-être par la chaleur aimera-t-elle la nouveauté d’un parquet. Si j’avais Lord Cowley sous la main je lui soufflerais la mauvaise humeur du corps diplomatique. Il se croyait si sûr de la probité autrichienne ! Nous en causions le dernier jour et il me disait : " pour ceux-là ils ne seront surement pas. jaloux. " Je regarde beaucoup le ciel. Quel bonheur s'il reste aussi beau ; ce sera superbe. Le danger qu’a couru le Roi et la famille fait faire d'étranges réflexions. Dans l’accident de l’an passé, il n’y avait pas de quoi se donner une entorse, et le Duc d'Orléans y a péri ! A présent ils devaient être tués tous, et il n'est rien arrivé qu'un bain à 3 chevaux ! Vraiment, vraiment la main du duc est bien visible. Elle protège toujours le Roi. jaloux. " Je regarde beaucoup le ciel. Quel bonheur s'il reste aussi beau ; ce sera superbe. Le danger qu’a couru le Roi et la famillie fait faire d'étranges réflexions. Dans l’accident de l’an passé, il n’y avait pas de quoi se donner une entorse, et le Duc d'Orléans y a péri ! A présent ils devaient être tués tous, et il n'est rien arrivé qu'un bain à 3 chevaux ! Vraiment, vraiment la main de duc est bien visible. Elle protège toujours le Roi. Je repense à ma conversation avec Molé. Certainement, il a retrouvé son esprit. C’est de très bon gout de dire son contentement du voyage, et il le fait avec un air très naturel, irréprochable. Le diable n’y perd rien peut-être, mais c’est égal.. Je vous écris des lettres énormes. Aurez-vous le temps de les lire ? On vient de me faire dire de Versailles qu'il y a un appartement. Je me décide donc à retourner. Si je puis entraîner Fluihman, je l’emmène si non j’irai seule. Adieu. Adieu mille fois adieu. l wish you success. Je serai bien contente d’apprendre que la Reine est actually arrived. Adieu. J'ai oublié encore à l’article Appony ceci : il me dit, j'espère que M. Guizot et ses collègues ne montreront pas trop d’orgueil de cette visite. Soyez tranquille. Ce sont des gens d’esprit. And now good bye for good. Mais encore adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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3 Versailles, Samedi 2 Septembre 1843
6 heures du matin

Me voici bien véritablement à Versailles, mais cela ne me plait guère. L’appartement que j'occupe est au midi. J’étouffe. J’ai passé une nuit détestable. J’ai fait hier un mauvais dîner qui me dérange l’estomac. Enfin cela commence très mal. Je commence à me croire bête. Je ne sais pas les arranger. Kisseleff est venu hier à Beauséjour avant mon départ. Je voulais lui dire que le corps diplomatique se conduisait très sottement et lui insinuer par là la convenance de faire et dire autrement. Il s’est avoué coupable du pari, il les regrette extrêmement. Je l’ai rassuré, j’ai dit que quoiqu'on les sût on n’y ferait pas attention mais il faut qu'il règle son langage ou il a affirmé et je le crois qu’il dit à tout le monde en parlant du voyage " c’est un très grand événement ", & lorsqu'on lui jette à la face la petite fille. Il dit une petite fille qui est un roi, qui arrive flanquée de ses vaisseaux de ligne ; et accompagnée de son ministre, c'est le gouvernement, c'est l'Angleterre. Je l'ai loué et exhorté à continuer. Quand on a de l'esprit c’est comme cela, qu'il faut faire. Je voulais sérieusement rendre service à Kisseleff, et je suis sûre de mon fait en faisant ressortir que tous ses collègues sont des sots.
Ce pauvre Fluihman que j’attends qui est venu a été renvoyé brutalement par ce sot de Stryboss. Pauvre homme dans cette chaleur. Je lui ai écrit pour l’inviter ici aujourd’hui mais il ne me croira plus.
J’ai quitté Beauséjour à cinq heures, seule. J’ai dîné un peu tristement et mal. J'ai marché sur le pavé dans les ténèbres suivie d’Auguste. Comme c’est gai. Je suis entrée un moment chez Mad. Locke dont l'appartement touche au mien. Elle est très bête, sa fille a un ton de village, le mari ne dit plus un mot. Ce trio n’est pas soutenable si l'on ne vient pas me voir de Paris cette solitude sera intolérable.
J’attends votre lettre. Je voudrais bien savoir cette reine arrivée. Si elle tarde c’est autant de jours de pénitence de plus pour moi, et je les trouve déjà bien longs. Serra Capriela donne demain une soirée diplomatique au comte de Syracuse. Appony devait venir passer la journée chez moi, ceci l’en empêche.
Une heure. Voici votre lettre. Je vous en prie pas de galanterie en mer. Que le Roi n’aille pas au devant. La bonne grâce serait quand elle approchera et lorsque son bâtiment sera en rade. C'est-à-dire en parfaite sécurité, que le Roi monte en bateau ouvert pour la recevoir. Il est clair qu'il faut un bateau dans tous les cas. Je ne connais pas votre Tréport mais s’il est fait comme d'autres ports le bateau à vapeur n’arrivant pas jusqu’au bord il faut toujours se mettre en chaloupe pour aborder. C’est donc chaloupe que je voulais dire, et encore j'ai bien envie de m’en dédire. Je ne suis pas le moins du monde de votre avis sur ces sortes d’entreprises. " Là où il y a la plus petite chance d’un très grand malheur il faut s’abstenir ! " (traduction littérale d'un dicton Anglais.) Que le Roi reste chez lui. Et surtout pour Dieu que vous y restiez. Je n’aime pas toutes ces aventures. Ah que je voudrais qu’elle fut déjà là ! Votre lettre me fera trembler jusqu'à demain. Et puis je recommencerai. Vous me rendez très nervous par cette chance d’une promenade en mer si la Reine n’est pas arrivée demain quand vous lirez ceci, suivez-mon conseil. Je vous en conjure ; écoutez-moi.
Je vois que vous me voulez à Beauséjour. J’y retournerai puisque c’est votre volonté. Je coucherai encore ici aujourd’hui. Vous ne savez pas comme vous venez de m’inquiéter, et puis quand je me rappelle que nous nous sommes quittés si gais j'en reviens à un pressentiment triste. Je vous demande à genoux de ne pas vous embarquer, de ne pas embarquer le Roi. Adieu, adieu.
J'écris à Génie pour le prier de venir ici. Peut-être viendra t-il. Madame Narychkine revenue de Bade me rapporte la nouvelle que les trois filles du Grand Duc Michel se marient. L'ainée au Duc royal de Wurtemberg. La seconde au Duc régnant de Nassau. La troisième au Prince héréditaire de Bade. Tout cela d’excellents mariages. Et l’Empereur qui ne parvient pas à en faire de bons pour ses filles. Qu’est-ce que je vous dis là ! Je n’ai plus autre chose dans la tête que cette navigation du roi. Abominable idée jetez la par terre je vous en supplie. Adieu. Adieu. Adieu. Non pas gaiement du tout mais avec une horrible inquiétude. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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4. Versailles, Dimanche 9 heures 3 Septembre 1843

Le télégraphe annonce le passage devant Cherbourg hier à 6 h. du matin, elle sera donc arrivée hier à Eu. Et que vous ayez été en mer à sa rencontre ou non, Dieu merci le temps est et a été beau, je suis donc un peu tranquille et j’attends la nouvelle et vos nouvelles.
Hier Pogenpohl est arrivé, pendant que je dinais, je suis bien aise. Il dinera et promènera avec moi, that is a great help. A 8 heures Génie est venu. Nous nous sommes réciproquement communiqué au fond, c’étaient les même choses. Il ne voit pas pourquoi je me dérangerais. Si elle vient à Paris c’est autre chose, c'est-à-dire si on apprend qu’elle doit y venir. Vous voyez que tant qu’elle reste à Eu, je peux bien rester à Versailles, car ou on a rien à faire ou à décider à Paris, aucun conseil ou idée possible à donner parce qu'on n'en a pas besoin. J'ai bien envie qu’elle n’y vienne pas. Un accident, serait quelque chose d'épouvantable quand on s'engouffre dans cette idée cela fait maigrir sur place de terreur. La demeure aux Tuileries est mauvaise pour cela, car elle sort le matin de bonne heure à pied. Elle voudra sortir dans le jardin. La retenir prisonnière est si gauche. L'exposer est si terrible. Au fait l’Elysée Bourbon si elle veut Paris, c'est-ce qu’il y a de mieux. Mais j'aime mieux qu’elle ne veuille pas. Elle devrait traverser Paris incognito, voiture ordinaire, coucher à St Cloud. Voir Versailles and go home that would be the good thing. Vous allez me dire tout cela. Que vous devez être content ! Savez-vous que plus on y pense plus on trouve qu’il y a de quoi. C'est superbe et excellent. Pogenpohl me dit qu'à Paris l’effet est immense. Dans les rues partout, on ne parle que de cela. C'est une époque dans un règne. Quel joli petit paragraphe cela fera dans le discours d'ouverture des Chambres. Je voudrais bien être à Vienne, Berlin & Pétersbourg pour une demi-heure. Certainement, le soufflet est gros. Génie croit savoir qu’Armin en est le plus non pas dépité, mais chagriné par le mauvais air que cela donne à la maussaderie de son Roi il y a 1 an 1/2. Il dit savoir aussi que le langage d'Appony s'est amendé. Je verrai cela. Je suppose qu’ils viendront demain ne pouvant pas venir aujourd'hui.

Midi. Voici Génie qui me fait la gracieuseté de m’envoyer un homme exprès pour m’annoncer l'arrivée de la Reine, et m’envoyer en même temps votre lettre N° 3. Dieu merci, et merci que je suis contente, et que j'ai été bête hier avec mes terreurs. Mais vous ne vous serez par fâché. Vous ne vous fâchez pas contre moi vous savez d’où viennent mes bêtises.
Ce que vous me dites de Metternich à propos du mariage de Don Carlos m'amuse. C’est bien lui ! Qu'il va se trouver nigaud avec son idée correcte ! Mais savez-vous ce qui arrivera ? C’est qu’entre ceci dont l’Espagne ne voudra pas, Naples que l’Autriche empêchera. Les autres retrouvés par d’autres motifs, quand il ne se trouvera plus de Bourbons, que personne ne peut vouloir un de vos fils, et que vous ne pouvez pas permettre un Autrichien, on finira par trouver le Cobourg le plus inoffensif, en même temps que le lien entre l'Angleterre et la France. Prenez garde à la possibilité que l’affaire prenne cette marche-là. Arrangez-vous pour Naples avec Angleterre. C'est la bonne affaire. Pogenpohl qui a des correspondances beaucoup à Florence où il a longtemps résidé dit que le Lucques est un charmant garçon. Pourquoi pas Lucques si Naples n’allait pas ? Adieu. Adieu.
Je rabâche. Je suis in the highest spirits de savoir la Reine en France, à Eu. C'est une perfection. J'oublie de vous dire que j’ai bien dormi, que je suis mieux. à 7 1/2 j’étais sur la terrasse du palais, pas une âme que la sentinelle. Un air pur excellent. Adieu. Adieu. Que je suis impatiente de votre prochaine lettre. Adieu ever adieu. Remettez ceci à Lady Cowley.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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1 Beauséjour jeudi 31 août 1843
6 heures

Je commence par le récit de ma visite hier soir qui a été divertissante mais autrement que je ne pensais. M. Molé était la évidemment m’attendant de pied ferme. Il n'y avait personne. Pendant la première demi-heure, on chercha tous les sujets indifférents. J’étais fort déterminée à ne pas parler de la Reine d'Angleterre pour voir jusqu’où ils pousseraient le mauvais goût de ne pas faire mention de la chose qui les préoccupait le plus. Enfin, je nomme le duc d'Ossena [?] que je venais de voir, M. Molé me demanda s'il m'avait parlé du voyage de la Reine. Non, ce qui était vrai. Alors, il dit : Pour mon compte je suis enchanté de ce voyage. C'est un excellent événement. Et puis mon plaisir est double par le dépit que cela cause à certaines gens. C’est même fort drôle. Comment ? Qui ? Ah, d’abord le faubourg St Germain. Ils en crèvent et puis on en crève dans toutes les langues. Ah. Ah ! "
Hier à la soirée des Appony, c’était impayable. Ces pauvres diplomates ! Quand je disais à l’un d'eux, (et je me suis donné le plaisir de le dire à chacun) eh bien la Reine d'Angleterre arrive. On me répondait par " Avez-vous lu le National ? - Non Monsieur je ne le lis jamais tout ce que j’ai pu obtenir d'eux c'était ceci. C’est un grand événement et puis ils baissaient la tête avec un air capable. Ensuite c’est trop peu déguisé, et tous étaient comme cela. Evidemment c'est une grande déroute, mais c’est trop le montrer. - Vous souvenez vous Monsieur le conte d'une petite confidences que vous m'avez faite il y a quelques années ? Vous me disiez le corps diplomatique n’a pas d'esprit. - Oh, pour cela, c’est vrai. Et bien la seule personne convenable dans le salon Appony était le Duc de Noailles. Il me dit : c’est un événement très important, un grand raffermissement pour la dynastie, et je comprends que le roi et toutes les personnes, qui lui sont attachées ne soient fières et contentes. " Je vous ai redit tout Molé sur ce sujet.
Mad. de Castellane qui avait été de la soirée Appony confirme tout et renchérissait. Pour le coup Molé n’a pas menti car je ne doute pas un instant de la mauvaise humeur mais vous voyez qu'il a pris le bon côté dans l’affaire. Ou du moins qu'il le montra. Il m’a dit encore, c’est votre Empereur surtout qui sera furieux. J'ai simplement répondu, c'est une leçon. Il a encore fort blâmé l’article de la presse, du premier jour qu'il a trouvé de très mauvais goût. Il pense que si la reine vient à Paris, elle y sera très bien reçue. Enfin il était très gai, et n’aurait pas mieux parlé s'il était votre Ambassadeur. J’ai vu longtemps les Cowley. Ils sont dans le troisième œil.
Les lettres de Londres hier de Henry Greville disaient que la Reine ne passerait à Eu qu’un jour et qu’elle viendrait décidément à Paris. Aujourd’hui il attendait son courrier avec quelque chose, comme vous les verrez demain vous saurez avant moi. Vraiment plus on pense à cet événement plus on le trouve grand, immense. Soyez en bien content, et pas trop orgueilleux. Amenez bien la reine, soignez bien le Prince vous ne saurez trop faire dans ce genre. Every Thing short of another Cobourg. Il me semble que vous feriez bien de vous arranger de façon à faire parler le télégraphe. Faites donc stationner un directeur là où il passe le plus près d’Eu. Vous gagneriez toujours huit heures au moins, et plus, et il serait bon qu'on sût ici l'arrivée de la Reine à Eu ; puis que Duchâtel sût très vite si elle vient à Paris. Je vais parler de cela à Génie. Il en donnera peut-être l’idée à Duchâtel. Les Cowley étaient en peine d’une loge à l'opéra, pour le cas où la Reine y irait. Je leur ai dit de s'adresser à vous. En général il faudrait que le corps diplomatique peut être pourvu, car malgré leur mauvaise humeur. Il faut leur supposer un peu de curiosité.
Je vais en ville un moment. peut-être passerai-je chez les Appony. Je suis jalouse du divertissement de Molé. Je vais à Versailles pour dîner et coucher. Si je trouve Pogenpohl je l’emmènerai dîner et pour le cas où il n’y aurait pas de fête pour moi, ce qui est possible, je ne ferais au moins pas le retour seule dont j ai un peu peur dans l'obscurité. Je crois que Madame de Castellane viendra passer un jour chez moi à Versailles. Mais au fond je suis si curieuse d’Eu que je ne sais si je tiendrai loin de Paris. Ecrivez-moi bien les nouvelles. Je suis encore à m'étonner et à m’inquiéter de la joie de notre séparation, à m'inquiéter parce que j’ai pleuré chaque fois, et toujours je vous ai retrouvé bien portant et bien. Aujourd’hui que je ne pleure pas qu’est-ce qui m'attend ? On sait si peu prévoir ! Tout est si incertain dans ce monde ! Vous n'avez pas besoin de mes exclamations et de mes méditations. Vous voilà dans grand [?]. Je pense avec plaisir à la joie de tout votre camp. Adieu Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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5 Versailles, Dimanche 3 septembre
3 heures

Je vous écris un mot encore parce que j’ai peur que ma lettre de ce matin ne vous arrive pas. Etienne n'étant pas venu comme de coutume à midi j’avais renoncé à le voir, et j’ai été mettre moi-même à la poste ma lettre adressée à Génie. Deux minutes après Etienne était là, Il n’y a plus moyen de retirer ma lettre, mais comme c’est dimanche Dieu sait si elle sera remise à Génie à temps pour partir par le courrier ordinaire et si vous ne recevez rien vous me croiriez morte. Je vis. Je me porte bien, & je suis dans le ravissement de l'arrivée de la Reine, voilà ce que je vous dis bien courtement encore après vous l’avoir dit plus longuement tantôt. Adieu. Adieu.
J’attends Fleichman. Je le ferai bien jaser sur ses collègues. Adieu. L’article des Débats ce matin, est excellent. Tous les articles dans les journaux ce matin sont autant de fêtes & de succès. Cela a bien bon air. Voici Barante qui m’écrit pour me dire qu’il ne croit pas à l'arrivée de la Reine.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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9 Château de Windsor. Dimanche 13 oct. 1844, onze heures

Oui, je pars demain à midi. Je vous ai dit hier si je ne me trompe comment tout est arrangé. N'ayez aucune crainte de Rouen. C’est beaucoup plus prompt moins fatigant et très sûr. Je partirai d'Eu Mercredi matin, entre 7 et 8 heures. Je serai à Rouen à 2 heures. J’en repartirai à 3 heures pour être à Paris à 9 heures.
Soyez bien sûre que vous n'aurez pas plus de plaisir à me voir entrer que moi à entrer. C’est une charmante idée qui me revient à chaque instant et m'illumine le cœur à tel point qu’il en doit paraître quelque chose sur mon visage. Mais personne ici n'y regarde. Vous n'aurez que quelques lignes. J'ai beaucoup à faire aujourd’hui. Jarnac vient de passer deux heures dans mon Cabinet. J’aurai une dernière conversation avec Aberdeen et avec Peel. Je dois voir aussi le Prince Albert. Puis une foule de petites affaires à régler avec le Roi.
Par une faveur que Lord Aberdeen a arrangée, Lord John Russell est invité à dîner pour aujourd’hui. Aberdeen m’a engagé à causer avec lui, assez à cœur ouvert ; et des rapports des deux pays et du droit de visite. Il lui croit bonne intention, et est lui-même avec lui, en termes très bienveillants.
Merci de la lettre de Bulwer. Je vous la renvoie. Il écrit ici sur le même ton parfaitement content de Bresson et de Glücksbierg. Je ne compte pas laisser M. de Nion à Tanger. Lui-même demande à aller ailleurs. J’ai dîné hier à côté de la Duchesse de Gloucester qui me demande de vos nouvelles et m’a parlé de vous avec un souvenir affectueux. Elle m'a dit que la société anglaise avait perdu sa vie en vous perdant. Après dîner de la conversation avec Aberdeen, un peu avec Peel. Un vrai plaisir à revoir les Granville qui étaient là. Lord Granville est réellement mieux ; toujours faible et chancelant, mais se tenant assez longtemps debout et parlant. Le Roi a été très aimable pour eux. Mad. de Flahaut aussi était là. Tout juste polie. Je l’ai été un peu plus, et voilà tout. Du reste d’une humeur visible et naturelle. Personne ne lui parlait, ne faisait attention à elle.
Votre discours final à Aberdeen est excellent, et je le tiendrai. Il faut que je vous quitte adieu, adieu, dearest. Je tâcherai de vous écrire un mot demain, je ne sais comment, et puis d'Eu, Mardi, en y arrivant. Et puis, ce sera fini. Je vais très bien. Vous me trouverez, moins maigre qu'à mon départ. Adieu. Adieu G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie. Vendredi 19 Sept. 1851

J'ai vos lettres ici trois heures plutôt qu’au Val Richer, presque en me levant. C'est très agréable. Vous n'aurez rien à faire, car il n'y aura pas de coup d'Etat. C'est l’impression qu'il est impossible de ne pas avoir en province. Le pays n'est pas du tout agité et assez peu effrayé ; il se croit sûr de se tirer d'affaire c’est-à-dire de battre les rouges et de maintenir l'ordre par les voies régulières. Et comme, il ne demande pas davantage, il ne comprendra pas qu'on fasse un coup d'Etat inutile pour avoir cela, et bon uniquement pour avoir autre chose, dont on ne se soucie pas du tout. Est-ce là du bon sens ou une folle imprévoyance ? Nous verrons. En attendant soyez sûre que hors de Paris, personne ne pense à un coup d'état, et que, s’il arrive ce sera un coup de tonnerre que personne ne comprendra et dont tout le monde aura peur.
Mauvais moment pour se marier. Il faut que le président attende Juin 1852, comme mes marchands de Lisieux pour faire leurs grandes commandes de toile et vous pour changer vos tapis. Selon moi, même après 1852, le Président aurait tort de se marier ; il en sera plus embarrassé qu'affermi. Garçon, tous les avenirs lui sont possibles ; marié, il n'en a plus qu’un ; il faut qu’il fonde une dynastie. Et bien des choses qu'on lui passe encore pas tout à fait, garçon, on ne les lui passera plus du tout, marié.
Je trouve comme vous, l'article de l'Assemblée nationale excellent, et très à propos. Tous les jours, j'ai plus de peine à me persuader que cette candidature aille jusqu'au bout. Une seule cause peut la maintenir ; les inventeurs y sont à présent fort compromis ; la retraite leur est difficile ; et le Prince dont iIs font leur instrument n’est guère en état de résister aux inventeurs, et de leur dire décidément un jour non.
J'ai des nouvelles indirectes, mais sûres de Claremont. On n'y est pas, ou du moins on n’y veut pas paraître d'aussi mauvaise humeur contre moi que le dit l’Indépendance belge. On parle très convenablement, même à des gens qui me sont tout-à-fait étrangers.
Avez-vous quelques notions un peu précises sur la teneur de la pièce adressée par la France et l'Angleterre aux Etats Unis à propos de Cuba ? Il se pourrait bien qu’elle fût à Washington, plus nuisible qu'utile. Cette démocratie est plus susceptible que les plus grands despotes, et beaucoup plus inconsidérée. Adieu.

Je me suis promené hier à propos. Tous les jours, j'ai plus de deux heures en calèche dans la forêt entendant de loin la chasse, et en attendant le résultat. Les chasseurs sont rentrés à 4 heures. Le temps est encore assez beau, quoique penchant vers le ciel d’automne.
En revenant de la forêt, j'ai passé une heure dans le Cabinet du Duc de Broglie qui n’était pas venu avec nous, étant très enrhumée. Bonne conversation. Il est très sensé, très décidé dans la bonne voie du moment et n'excluant point les bonnes voies d'avenir mais toujours très frappé de la profonde antipathie du pays pour les légitimistes : " La Reine Victoria est très populaire, très aimée, très honorée, très puissante. Croyez-vous qu’elle pût régner huit jours en Angleterre si elle était catholique ? " Voilà sa question. J'ai des réponses, mais des réponses à longue échéance. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°8 Château de Windsor. Samedi 12 Oct. 1844, 4 h. et demie

Je sors de la réception de l'adresse de la Cité au Roi. Le Lord maire, les Sheriffs, les aldermen, & des common Council men, 45 en tout. Vous verrez l'adresse et la réponse du Roi, qui a été parfaitement accueillie. Bonnes toutes deux. J’avais écrit la réponse ce matin, et je l’avais fait traduire par Jarnac. De l’avis de Peel, et d'Aberdeen il fallait qu’elle fût écrite lue et remise immédiatement par le Roi au lord Maire. La Reine et le Prince Albert ont passé une demi-heure dans le cabinet du Roi à revoir et corriger la traduction. C'est une véritable intimité de famille et d’une famille très unie.
J’ai eu le cœur remué pour mon propre compte. Au moment de se retirer les commissaires de la Cité ont demandé tout bas qu’on leur montrât M. Guizot, et à peu près tous m'ont salué avec un regard respectueux et affectueux qui m’a vraiment ému. Au dire de tous ici, cette adresse, votée à l’unanimité dans le Common Council est un évènement sans exemple et très significatif. Peel répète souvent qu’il en est très frappé. Plus j’avance plus je suis sûr qu'ici le voyage est excellent, excellent dans le Gouvernement et dans le public. Le Duc de Wellington est venu ce matin passer une heure chez moi. Nous avons causé de toutes choses, même du droit de visite ; évidemment ma conversation lui plaisait, et j'espère qu’il s’en souviendra.
Vous avez raison ; il faudrait que Cowley fût Earl. Je tâcherai de faire arriver cela. J'en parlerai au Roi, qui a déjà très bien parlé des Cowley. Le Roi vient de partir pour une visite à Eton. Il est infatigable. Je suis resté pour écrire, pour vous écrire.
Ne vous enfermez pas dans votre deuil au delà de ce que veut la convenance. Je ne doute pas que la lettre de Constantin ne me touche. C’est un bon jeune homme. J'espère qu’à partir de demain Dimanche, vous aurez l’esprit de m'écrire au château d’Eu et non plus en Angleterre. Lundi encore, écrivez-moi à ici. J’aurai votre lettre mardi, et Mercredi j'irai vous chercher vous même au lieu d'attendre vos lettres.
Nous quitterons Windsor Lundi à midi. La Reine, avec le Prince Albert, reconduira le Roi à Portsmouth. Là vers 3 ou 4 heures elle montera à bord du Gomer, où le Roi lui donnera un luncheon. Après le luncheon, elle quittera le Gomer pour monter sur son yacht, le Victoria Albert et les deux bâtiments sortiront ensemble du port de Portsmouth la Reine pour aller à l’île de Wight, nous pour faire voile vers le Tréport. On ne peut pas pousser plus loin la bonne grâce, et l’amitié. On dit que tout Londres sera lundi à Portsmouth.
Bacourt peut aller à Bruxelles. Je ne crois pas avoir besoin de lui avant le 1er Déc. Et en tous cas Bruxelles est si près. Je vais vraiment très bien. J'en suis frappé surtout pour l’appétit. Il y a bien encore un fond de fatigue surmonté par l'excitation de la vie que je mène et par ma volonté. Pourtant je sens aussi revenir la force, la force vraie et naturelle. Je suis sûr qu'à mon arrivée vous serez contente de moi. Adieu. Adieu. Votre lettre de ce matin m'a bien plu. Seulement vous ne me dîtes rien de votre santé. Adieu, dearest.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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27 Val Richer 24 août 1845

Voici un ennui. Page, qui habite à Neuilly, écrit à Guillet qu’il est fort malade, qu’on va lui faire une opération grave, (je ne sais quoi) et qu’il est hors d’état d’entrer chez vous dans ce moment. Guillet me dit que son second aide, Charles, qui est resté à Paris, peut faire votre cuisine jusqu’à notre arrivée et que lui Guillet continuera de s'en charger, si cela vous convient jusqu’à ce que Page soit rétabli. Je le fais écrire à Charles d'être à votre disposition, si vous le faites demander. Il est à Beauséjour. Chargez Mlle Lallemand de le chercher, et de vous l’amener. Cela me contrarie, car on mange tous les jours, vous serez probablement à Beauséjour demain lundi, et votre dîner ne peut pas attendre jusqu’à samedi. J’espère que Charles sera suffisant pour une semaine. Nous serons donc ensemble Samedi.
Voilà, le n° 25. J’espère que vous aurez trouvé un oiseau de passage convenable. Je ne demande pas mieux que d’en finir avec les 20 mille francs de Pritchard. C’est à Londres à présent qu’on demaude autre chose, Tenez pour certain que ce que je vous écrivais l’autre jour est vrai. Lord Aberdeen à ces complaisances là pour les missionnaires, pour l’amirauté, pour ceux de ses collègues qui grognent. Mais je ne suis pas obligé de ménager également les grogneries, et je ne me laisserai pas intimider par leur obstination. J'ai réduit Taïti à ce qu’il devait être pour qu’on n'eût à Londres, point de grief légitime. Je n'irai pas plus loin. Je suis d'ailleurs de plus en plus persuadé que Lord Aberdeen, au fond, n’y attache pas grande importance, & veut seulement avoir quelque chose à dire aux grognons. J’espère que nous viderons cela ensemble dans trois ou quatre semaines. J'ai la plus petite nouvelle.
Je suis toujours trés préoccupé de l’Allemagne et de la nécessité d'y avoir des agents capables. Là va passer le centre de l’agitation européenne. Je suis content de la correspondance de d'Eyragues. Je vais faire aujourd hui une longue promenade. Soyez tranquille ; pure promenade de quelques heures dans les vallées des environs. Nous n'avons ici point de tempête. Rouen est affreux. J’espère garder le soleil jusqu'à Samedi et puis le retrouver à Beauséjour. Adieu. La correspondance, m'impatiente. Je soupire après la conversation. Adieu. Adieu. Il n’y aura point de mer à Beauséjour. Donc plus de bile. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Château d'Eu. Mercredi 16 0ct. 1844,
9 heures

Je vous en conjure, ne soyez pas malade ; que je ne vous trouve pas malade. Vous ne savez pas à quel point j'ai besoin d'être tranquille sur vous, avec quel sentiment, chaque fois que je vous vois, j’interroge votre physionomie. Que sera-ce quand je vais vous revoir ? Vous le voyez ; je suis prudent je suis clever. J’ai ramené le Roi par Calais. Je reste un jour ici à me reposer. C’est vous qui êtes chargée de m’en récompenser. Portez-vous bien. Je suis bien, très bien. J’ai bien dormi de 5 à 10 heures. J’ai très bien déjeuné dans ma chambre. Quand ma toilette a été faite, l’heure du déjeuner du Roi était passé. Et puis, j'ai besoin et soif de solitude. J’ai donc préféré ma chambre. Une côtelette, une aile de poulet, des asperges, du raisin, et du thé. Est-ce bien ?
Cela vaut mieux que la cuisine de Windsor. Pas de légumes mangeables, excepté les pommes de terre. Pas un bon poulet. Et toutes les peines du monde à avoir du riz ou du vermicel, pour potage, au lieu de turtle. Vous auriez ri du luncheon que nous avons mangé à Portsmouth chez un bon M. Grant, Store keeper qui l’avait préparé pour ses amis de Londres venus pour assister à l'embarquement du Roi. Plus de 10 mille personnes étaient là dans cet espoir. L’amiral Cockburn, était au désespoir de notre changement de plan. Il a lutté obstinément pour le premier projet. Il regrettait. passionnément son spectacle sur mer. Puis, quand on lui a demandé d’envoyer un canot au Gomer, qui était en rade à Spithead il y en a envoyé deux successivement qui sont revenus, tous deux sans avoir pu franchir la barre. Il aurait fallu rester à Portsmouth à attendre que le temps changeât.
En débarquant en France à Calais, à Boulogne, à Montreuil, à Abbeville, partout sur la route, j’ai trouvé l’état d’esprit des populations excellent. Vive joie de revoir, de reprendre le Roi. Vif orgueil de l’accueil qu’il venait de recevoir en Angleterre. Vive satisfaction de la consolidation de la paix. Voilà les sentiments vrais, naturels, spontanés. Je les jetterai à la tête de ceux qui essaieront de les obscurcir, de les dénaturer, de mettre à la place les stupidités routinières et les animosités factices des journaux. Vous avez mille fois raison. Je prendrai ma position et les choses sur un ton très haut. J’en ai le droit, et c’est la bonne tactique. Adien. Adieu.
Dear, dear, infinitely dear. Encore une fois, ne soyez pas malade. Si vous m’aimez, c’est tout ce que je vous demande. Adieu. Je suis charmé que Marion soit là. Adieu. à demain. Charmante parole ! G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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24 Val Richer, Mercredi 20 août 1845

Comment, le feu était à bord du bateau pendant que vous passiez ! Je suis ravi que vous ne l'ayez su qu'à Boulogne. Et irrité à l’idée que vous auriez pu courir un grand danger moi n'étant pas là ! Que la vie est difficile à arranger avec un peu de sécurité !
Votre conversation avec Bulwer vaut fort la peine qu’on y pense. Ce serait excellent s’il y avait certitude, probabilité seulement que les deux mariages faits, les deux maris vivraient bien ensemble. Mais c’est le contraire qui est probable. Ce serait, je le crains une forme de plus pour la rivalité. Pourtant j’en parlerai à qui de droit.
Certainement on a envie à Londres de m’inquiéter de me tracasser sur Tahiti et en nous rendant le séjour insupportable de nous amener à l'abandon. On se trompe. Je ne le ferai pas. Je ne puis pas. Pour nous conduire là, il faut commencer par mettre quelqu’un à ma place. Je tiendrai donc bon à Tahiti dans les limites du Protectorat reconnu par l'Angleterre, rétabli comme elle l'a désiré. C’est une très ennuyeuse affaire. Je ne l’ai pas cherchée. Mais je l’ai acceptée. Je la porterai jusqu'au bout. On ferait bien mieux à Londres de l'accepter aussi simplement, et de donner aux agents anglais des instructions sérieuses pour qu'ils l’acceptent aussi, tranquillement, ce qu'ils ne font pas. Et après tout pour vous dire le fond de mon âme, on ne m'inquiétera pas. Nous ne nous brouillerons pas pour Tahiti. Nous en avons eu les plus belles occasions ; et quand nous nous sommes vus au bord de ce fossé là, ni les uns, ni les autres, nous n'avons voulu sauter. Nous ferons de même. Raison de plus pour se résigner effectivement de part et d'autre aux ennuis de cette misère, et pour travailler à les chasser, au lieu de les nourrir. Si on prenait cette résolution, à Londres comme à Paris, vous n’entendriez bientôt plus parler de Tahiti.
Je me porte très bien. Beaucoup marcher m'est évidemment très bon. Ici j’en ai l'occasion et le loisir. Le beau temps, s’est gâté. Cependant, il revient deux ou trois fois dans la journée, et on peut toujours se promener. Nous nous promènerons à Beauséjour. Bien plus doux encore qu’il n’est beau. Je le retrouverai avec délices. Vous regardez mon cabinet ; moi le vôtre. Nous nous gardons l’un l'autre.
Rothschild dit que M. de Metternich est très mécontent du Roi de Prusse qui n’a pas voulu accepter la conversation sur la constitution. Je doute que ce soit vrai. Les émeutes saxonnes refroidiront un peu, je pense, les goûts populaires du Roi de Prusse. On m'écrit de Paris : " Quel fou que ce Roi qui mécontente tous les gouvernements absolus et en même temps s'amuse à nous insulter dans ses calembours de corps de garde ! " La Duchesse de Sutherland me fait demander si je connais une honnête famille qui veuille recevoir et loger, à Paris, son fils et un précepteur. Vous en a-t-elle parlé ? Adieu. Adieu.
Etienne vous a-t-il écrit si Page était venu le voir, et lui donner son adresse ? Il faut surveiller l’exécution des lettres de Guillet comme celle des instructions du Père Roothaan. Les Jésuites ont quitté leur maison de la Rue des Postes. C'est le commencement de la soumission. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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6 Château d’Eu Dimanche 3 sept. 1843,
10 heures et demie

Un mot puisque j'ai une lettre de Lady Cowley à vous envoyer ; un seul car je suis fatigué et je meurs de sommeil. Ce matin une promenade d’une heure et demie par un mauvais chemin, pour arriver à un joli point de vue. C’est notre Reine qui a le goût de ce point de vue, et n’a pas songé au mauvais chemin. L'autre Reine s'en est amusée.
Avant la promenade, une très bonne conversation avec Lord Aberdeen sur l'Espagne. L'affaire ira. Ce soir une bonne aussi sur toutes choses, dans le salon de la Reine : salon sévère, comme le Sabbath. On a regardé des images et fait des patiences. M. le duc de Montpensier y excelle. A dîner en revanche, la Reine V. s’était parfaitement amusée ; le Roi l’a fait rire tout le temps, je ne sais avec quoi. Moi, j’ai amusé Lady Cowley. Si j’avais le temps, elle m'aimerait. Adieu. Adieu. Dieu nous garde ce beau temps la semaine prochaine, pour notre dîner de St Germain. Quel plaisir ! Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Château de Windsor. Mardi 8 oct. 1844 - 5 heures

Je veux que vous voyez mon écriture. Je suis très bien. La mer et le voyage me réussissent. Réception à Portsmouth ultra toute attente. 2 ou 300 bâtiments de toute espèce, Toute la population sur les quais. Un hourra, sur terre et sur mer qui a duré tant que nous sommes restés à l'ancre, attendant le Prince Albert qui est arrivé, à 10 heures avec le Duc de Wellington, celui-ci comme lord lieutenant du Hampshire. Excellente adresse de la corporation de Portsmouth. Bonne réponse du Roi, reçue avec transport. Vous les verrez dans les journaux. Beaucoup de monde et de hourras sur la route.
Très bon accueil de la Reine, évidemment contente. Sir Robert Peel attendant avec la Reine au bas de l’escalier. De la cordialité la plus empressée avec moi. Il m'a cassé un doigt. Je tâcherai de sauver les quatre autres. Lord Aberdeen arrive pour dîner. Point de monde d'ailleurs aujourd’hui. J’ai l’appartement de Lord Melbourne dans la tour du Diable. Adieu. Adieu.

Donnez, je vous prie, ces détails à Génie, à qui je n'écris pas moi-même. Adieu As the last. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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4. Au Val Richer, Mardi 15 août 1843,
7 heures du matin

Quel ennui d’être loin ! J’aurais mille choses à vous dire, votre avis à prendre, car j'ai besoin de votre avis. Il n'y a pas moyen d’écrire tout cela. J’ai une première réponse de Londres, une première conversation de Chabot avec Aberdeen, des hésitations, des embarras, des pusillanimités, des susceptibilités, des prévoyances, des méfiances à l'infini, et à travers tout cela, un désir sincère de s’entendre avec nous, un fort instinct que cela se peut, qu’il n’y a que cela de sensé que c'est pour eux, le seul moyen de sortir d'une mauvaise situation. Et c'est de si loin que j’ai à traiter avec toutes ces impressions, toutes ces nuances de dispositions qui seraient déjà bien assez difficiles à manier de près !
L’estafette m'a réveillé à 2 heures et demie J’écris depuis ce temps-là au Roi, à Chabot, à Génie. Je viens de renvoyer l’estafette et je vous écris à vous, pour me rafraîchir. J'étais venu ici pour me promener, et ne rien faire. Ce n’est pas le tour que je prends. Je me suis beaucoup promené hier. J’ai arrosé mes fleurs. J'en ai beaucoup et de charmantes, des raretés. Vous les aimeriez. Ce matin, il y a un brouillard immense. Il enveloppe tout. Il fera très beau à
Midi. Vous n’avez nulle raison d'être inquiète ; mais vous avez grande raison de m’aimer plus que jamais et de me le dire. Mon plaisir à l’entendre mérite tout ce que vous voudrez. Je crois aussi que Salvandy acceptera Turin. Pourtant il n’y a jamais à compter sur les esprits mal faits, et mal faits surtout par la vanité. Ils déjouent toute prévoyance. Je vais faire ma toilette en attendant la poste. Puis j’essaierai de dormir un peu. Je m'étais couché hier avant 10 heures. Mais de 10 heures à 2 heures et demi, c’est trop peu de sommeil.
10 heures et demie. C’est charmant deux lettres. Oui, il y a, en ce moment, un inconvénient réel à être loin et très probablement je n'attendrai pas, le 26. N'en dites rien à personne. Je suis frappé d'Espartero faisant un manifeste donc n'abandonnant pas tout-à-fait la partie. On fera de lui, si on veut, un instrument d'intrigues en Espagne, et on le voudra, si nous ne nous accordons pas. Tout cela a besoin d'être conduit avec une grande précision et heure par heure. Je suis bien aise que vous ayez reçu une lettre de votre frère. Il paraît certain que l'Empereur ira à Berlin. On l’y attend. Bresson me mande que M. de Bülow est revenu en très bon état. Je vous quitte pour Génie à qui j’ai plusieurs choses à dire. Adieu. Adieu. Soyez charmante tous les jours, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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7 Château d’Eu. Lundi 4 Sept. 1843,
8 heures

Je pense beaucoup à ce qui se passe ici, si je ne consultais que mon intérêt, l’intérêt de mon nom et de mon avenir, savez-vous ce que je ferais ? Je désirerais, je saisirais, s’il se présentait un prétexte pour me retirer des affaires et me tenir à l'écart. J’y suis entré, il y a trois ans, pour empêcher la guerre entre les deux premiers pays du monde. J’ai empêché la guerre. J’ai fait plus. Au bout de trois ans à travers des incidents, et des obstacles de tout genre, j’ai rétabli entre ces deux pays la bonne intelligence l'accord. La démonstration la plus brillante de mon succès est donnée en ce moment à l’Europe. Et elle est donnée au moment où je viens de réussir également sur un autre théâtre dans la question qui divisait le plus profondément la France et l'Angleterre, en Espagne. Je ne ressemble guères à Jeanne d’Arc ; mais vraiment ce jour-ci est pour moi ce que fut pour elle le sacre du Roi à Reims. Je devrais faire ce qu’elle avait envie de faire, me retirer. Je ne le ferai pas et on me brûlera quelque jour comme elle. Pas les Anglais pourtant, je pense.
Aberdeen a causé hier une heure avec le Roi. C'est-à-dire le Roi lui a parlé une heure Aberdeen a été très très frappé de lui, de son esprit, de l'abondance de ses idées, de la fermeté de son jugement de la facilité et de la vivacité de son langage. Nous sommes montés ensemble en calèche au moment où il sortait du Cabinet du Roi. Il était visiblement très préoccupé, très frappé, peut-être un peu troublé, comme un homme qui aurait été secoué et mené, très vite en tous sens, à travers champs, et qui bien que satisfait du point où il serait arrivé, aurait besoin de se remettre un peu de la route et du mouvement. The king spoke to me un very great earnestness, m’a-t-il dit. Et je le crois car, en revenant de la promenade, j’ai trouvé le Roi, très préoccupé à son tour, de l'effet qu’il avait produit sur Aberdeen. Il ma appelé en descendant de calèche pour me le demander. " Bon, Sire, lui ai-je dit ; bon, j’en suis sûr. Mais Lord Aberdeen ne m’a encore donné aucun détail. Il faut que je les attende. "
Il les attend très impatiemment. Singulier homme le plus patient de tous à la longue et dans l’ensemble des choses, le plus impatient le plus pressé, au moment et dans chaque circonstance. Il est dans une grande tendresse pour moi. Il me disait hier soir : " Vous et moi, nous sommes bien nécessaires l'un à l'autre ; sans vous, je puis empêcher du mal ; ce n’est qu’avec vous que je puis faire du bien. "
Il fait moins beau aujourd’hui. J'espère que le soleil se lèvera. Nous en avons besoin surtout aujourd’hui pour la promenade et le luncheon, dans la forêt. Le Roi a besoin de refaire la réputation de ses chemins. Il a vraiment mené hier la Reine victoria par monts et par vaux, sur les pierres, dans les ornières. Elle en riait, et s'amusait visiblement de voir six beaux chevaux gris pommelés, menés par deux charmants postillons et menant deux grands Princes dans cet étroit, tortueux et raboteux sentier. Au bout, on est arrivé à un très bel aspect du Tréport et de la mer. Aujourd’hui, il en sera autrement. Les routes de la forêt sont excellentes. Du reste il est impossible de paraître et d’être, je crois, plus contents qu'ils ne le sont les uns des autres. Tous ces anglais. s'amusent et trouvent l’hospitalité grande et bonne. J’ai causé hier soir assez longtemps, avec le Prince Albert. Aujourd’hui à midi et demie la Reine et lui me recevront privatily. Ce soir spectacle. Débat entre le Roi et la Reine (la nôtre) sur le spectacle. La salle est très petite. Jean de Paris n'irait pas. On a dit Jeannot et Colin, beaucoup d'objections. Le Roi a proposé Joconde. La Reine objecte aussi. Le Roi tient à Joconde. Il m'a appelé hier soir pour que j'eusse un avis devant la Reine. Je me suis récusé. On est resté dans l’indécision. Il faudra pourtant bien en être sorti ce soir. Adieu.
J'attends votre lettre. J'espère qu'elle me dira que vous savez l’arrivée de la Reine et que vous n'êtes plus inquiète. Je vais faire ma toilette en l’attendant. Adieu. Adieu.

Midi
Merci mille fois de m'avoir écrit une petite lettre, car la grande n’est pas encore venue et si je n'avais rien eu j'aurais été très désolé et très inquiet. A présent, j’attends la grande impatiemment. J'espère que je l’aurai ce soir. Ce qui me revient de l'état des esprits à Paris me plait beaucoup. Tout le monde m'écrit que la Reine y serait reçue à merveille. On aurait bien raison. Je regrette presque qu'elle n’y aille pas. Pourtant cela vaut mieux. Mad. de Ste Aulaire est arrivée ce matin. Voilà le soleil. Adieu Adieu. Je vais chez la Reine et de là chez Lord Aberdeen. Adieu Cent fois. J’aime mieux dire cent que mille. C'est plus vrai. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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4. Château d’Eu Samedi 2 sept. 1843
Onze heures du soir

Je rentre dans ma chambre. Vous aurez, vous seule, mes premiers mots de récit. Il y a des choses auxquelles je sacrifierais de grand cœur le plaisir que je viens d'avoir. Il y en a mais pas beaucoup. Et 5 heures un quart, le canon, nous a avertis que la Reine était en vue. A 5 heures trois quarts nous nous sommes embarqués, le Roi, les Princes, Lord Cowley, l’amiral Mackau et moi dans le canot royal pour aller au devant d’elle. Nous avons fait en mer un demi mille. La plus belle mer, le plus beau ciel, la terre couverte de toute la population des environs. Nos six bâtiments sous voiles, bien pavoisés, pavillons français et anglais saluaient bruyamment, gaiment. Le canon couvrait à peine les cris des matelots. Nous avons abord, le yacht. Nous sommes montés. Le Roi ému, la Reine aussi. Il l’a embrassée. Elle m'a dit : " Je suis charmée de vous revoir ici. " Elle est descendue avec le Prince Albert, dans le canot du Roi. A mesure que nous approchions du rivage, les saluts de canon et de voix s'animaient, redoublaient. Ceux de la terre s’y sont joints. La Reine, en mettant le pied à terre avait la figure la plus épanouie que je lui ai jamais vue ; de l'émotion, un peu de surprise, surtout un vif plaisir à être reçue de la sorte. Beaucoup d'embrassades, et de Shake hands dans la tente royale. Puis les calèches et la route. Le God save the queen, autant de Vive la Reine ! Vive la Reine d'Angleterre ! que de Vive le Roi. Rien n’y a manqué si ce n'est une porte du parc par laquelle le Roi voulait qu'on entrât, et qui ne s'est pas trouvée commode pour huit chevaux. Il a fallu prendre la grande porte et raccourcir un peu la promenade. En arrivant, salut général des troupes dans la cour du château. Tout cet entourage anglais avait l’air très content, très, très.
Nous avons dîné à 8 heures un quart, et on vient de se séparer. J'ai commencé avec Lord Aberdeen. Il est presque amical. Voici ses premières paroles : " Je vous prie de prendre ceci comme un indice assuré de notre politique, et sur la question d’Espagne et sur toutes les questions. " Nous avons touché à toutes en nous disant que nous les coulerions toutes à fond. Je ferai pour mon compte, de la politique très ouverte, très franche, et je crois qu’il en fera autant. Brünnow et Neumann lui ont presque fait des remontrances officielles sur ce voyage. Il s’est un peu fâché et un peu moqué. Point de Paris. Elle restera ici jusqu'à jeudi. Il faut qu’elle soit à Brighton Jeudi 7 à 2 heures. Demain, jour tranquille ; Strict sabbath. Lundi, promenade et luncheon dans la forêt. Mardi musique. Mercredi spectacle ; Arnal est arrivé. Voilà les premières vues. Moi, je commencerai demain mes conversations. J’ai fait un memorandum superbe.
Adieu. Je vais me coucher. Je suis un peu las. Que vous me manquez ! Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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8 Château d’Eu Mardi 5 Sept. 1843
6 heures et demie

Enfin j'en sais le terme. La Reine part jeudi par la marée du matin. Je ne vous ai peut-être pas conté, tout M. Salvandy. Je n’en ai pas eu et n’en ai pas le temps. Mais nous étions convenus qu’il reviendrait ici pendant mon séjour et que nous y viderions ce qui le regarde. Il n’est pas venu, quoiqu’il ait fait pour cela, la Reine étant à Eu. J’ai prié le Roi de l’inviter à dîner pour jeudi, la Reine partie. Et jeudi après le dîner et Salvandy réglé de 8 à 10 heures, je partirai pour être à Auteuil de 10 heures à midi vendredi. Quel long temps ! Pas perdu pourtant.
La Reine m'a reçu hier. Le Prince Albert d'abord ; la Reine s'habillait pour la promenade. Avec l’un et l'autre conversation parfaitement convenable et insignifiante. La Reine très gracieuse pour moi, je pourrais dire un peu affectueuse. Elle m’a beaucoup parlé de la famille Royale qui lui plaît et l’intéresse évidemment beaucoup.
Je venais de recevoir un billet de Duchâtel qui regrettait qu'elle n’allât pas à Paris où l'accueil serait excellent, brillant. Elle en a rougi de plaisir. Ceci m'a plu. Un seul mot de quelque valeur : " J'espère que de mon voyage, il résultera du bien. - Madame, c’est à vous qu'on le rapportera. "
Le soir, Lord Aberdeen s’est fait valoir à moi de n'avoir pas assisté à mon audience de la Reine. Elle l’en avait prévenu : " Notre règle voulait que je fusse là, mais j'ai dit à la Reine qu'avec un aussi honnête homme je pouvais bien la laisser seule. " Je lui ai garanti l’honnêteté de ma conversation. Sous son sombre aspect, Lord Aberdeen est, je crois, aussi content que la Reine de son voyage : " Il faudrait absolument se voir de temps en temps, me disait-il hier ; quel bien cela ferait ! " Nous avons causé hier de Tahiti et de la Grèce. Tahiti n’est pour lui qu’un embarras ; mais les embarras lui pèsent plus que les affaires. C’est un homme qui craint beaucoup ce qui le dérange, ou le gêne, ou l'oblige à parler, à discuter, à contredire et à être contredit. Il voudrait gouverner en repos. Evidemment la session n’a pas été bonne à Peel. Aberdeen m'a dit que sa santé en était ébranlée. " Pauvre Sir Robert Peel m'a dit le Prince Albert il est bien fatigué. " On en parle d’un ton d'estime un peu triste et d’intérêt un peu compatissant. Comme d'un homme qui n’est pas à la hauteur de son rôle et qui pourtant est seul en état de le remplir.
La promenade a été belle ; quelques belles portions de forêt, quoique très inférieure à Fontainebleau et à Compiègne. Mais les forêts sont nouvelles pour les Anglais. Un beau point de vue du Mont d'Orléans où le luncheon était dressé ; et là autour des tentes comme sur la route, beaucoup de population, accourue de toutes parts, très curieuse et très bienveillante.
De la musique le soir, Beethoven, Gluck, et Rossini, très peu de chants ; quelques beaux chœurs. On n’avait pas pu venir à bout de s'entendre sur l'opéra Comique. Au vrai, les acteurs voulaient jouer Jeannot et Colin, et n'avaient apporté que cela. Le Roi n’a pas voulu et il a eu raison. Mais il fallait qu'ils eussent apporté autre chose.
L’amiral Rowley à dîner. Son vaisseau, le St Vincent était venu saluer le château. Bonne figure de vieux marin Anglais ; bien ferme sur ses jambes et très indifférent. Le Duc de Montpensier a beaucoup de succès auprès de la Reine. Hier, pendant le dîner, il la faisait rire aux éclats. Il est le plus gai et le plus causant, de beaucoup. On voit que tout l'amuse. Mad. la Duchesse d'Orléans était de la promenade, et au luncheon, à la gauche du Roi. Avec M. le comte de Paris qui a infiniment gagné. Il a une physionomie sereine et réfléchie. Son précepteur m'en a bien parlé. La grande lettre n’est pas encore venue. Cela me déplait. Je n’aime pas à rien perdre.
Décidément Mad. la Princesse de Joinville est charmante. Tout le monde, vous le dira. Charmante de tournure et de physionomie. La mobilité d'un enfant avec la gravité passionnée d’un cœur très épris. Elle prend, quitte et reprend les regards de son mari, vingt fois dans une minute, sans jamais, s'inquiéter de savoir si on la regarde ou non, sans penser à quoi que ce soit d'ailleurs. Et cela avec un air très digne, ne paraissant pas du tout se soucier, si elle est Princesse et l'étant tout-à-fait.
Le Roi fait aujourd’hui présent à la Reine de deux grands et très beaux Gobelins (15 pieds de large sur 9 de haut) la chasse et la mort de Méléagre, d'après Mignard, e& d'un coffret de sèvres qui représente la toilette des femmes de tous les pays. C’est un présent très convenable. Une heure Le présent vient d'être fait et vu de très bon œil. Les deux tableaux sont vraiment beaux. Ils ont été commencés il y a trente ans encore sous l'Empire.
Le N°4 est enfin venu avec le 6. A ce soir ce que j’ai à vous répondre. Je vous quitte pour aller chez Lord Aberdeen. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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3 Château d’Eu, Samedi 2 sept 1843
6 heures et demie du matin.

Il fait toujours très beau, et bon vent d'ouest. La Reine, la nôtre, avait grand peur que l'autre Reine n’arrivait cette nuit. Le danger est passé. Les Cowley sont arrivés hier à 3 heures. J'ai été les voir sur le champ en revenant du Tréport où j'étais allé avec Mackan m’assurer de tous les préparatifs. Ils ont l'air bien contents. Mais Lord Cowley, qui avait d'abord cru le contraire, dit que la Reine n’ira pas à Paris, qu'elle ne le peut pas cette fois. Nous verrons bientôt. Je crois quelle n'ira pas.
Chabot est arrivé aussi. Je lui ai fait mon admonition. Le tort était petit, à part ma facilité naturelle et ma bonté particulière pour lui. Il m’a écrit que le Roi le mandait à Eu le lendemain du jour où il l’a su ; et ce n'est pas sa faute si je le savais déjà depuis plusieurs jours, le Roi me l'ayant mandé tout de suite. Il est d'ailleurs fort agréable à entendre sur notre et ma bonne situation à Londres. Il y a évidemment un parti pris de s’entendre avec nous sur toutes choses et de reprendre en même temps le fond et les dehors de l’intimité.
Lord Aberdeen a assez mal reçu Neumann sur les propositions de M. de Metternich en faveur du fils de D. Carlos. Il les aimerait assez en principe, mais il ne croit pas au succès et ne veut pas s'en mêler du tout. Neumann à écrit qu’il n’y avait rien à faire du foreign office sur cette question là. M. de Metternich avait écrit partout, à Berlin entr'autres, qu’il était sûr de l'Angleterre et n'attendait plus que la France. La vanterie n’est pas un défaut des seuls Français. Le gouvernement représentatif en corrige beaucoup. Le ridicule ne peut pas s’y cacher.
Le corps diplomatique de Londres ne voulait pas croire au voyage. Là aussi on pariait, Brünnow comme Kisseleff. Lord Aberdeen y a été très favorable quoi qu’il souffre beaucoup en mer. Je crois toujours que l’espoir Cobourg y est pour quelque chose. Le Prince Albert et le Roi Léopold ont évidemment beaucoup contribué à la résolution. Votre recommandation est donc bien placée, mais point nécessaire ; soyez sûre.
L’appartement de la Reine est bien arrangé. Un bon salon avec un meuble de beau Beauvais, fond rose et des fleurs d'un travail admirable. Un bon Cabinet pour le Prince Albert en velours cramoisi. La Chambre à coucher, (j'oublie la couleur) grande et très pleine de meubles. Un lit immense. (jaune, je me souviens) en face de la cheminée. Au fond du lit un grand portrait de la grande mademoiselle à plus de 50 ans, grosse, forte, le nez en l’air, quoique long, l’air hautain et étourdi, bien comme elle était. Des portraits dans toutes pièces, et dans tous les coins de toutes les pièces. En face du lit de la Reine à droite de la cheminée, le père de l'Empereur Napoléon, Napoléon et M. de Lafayette. A gauche, trois Princes de la maison de Bourbon anciens, je ne sais plus lesquels. Après la Chambre de la Reine, son cabinet, pas grand, fort joli. Beaucoup de petits comforts inspectés par le Roi avec un soin incroyable. Il était bien en colère hier parce que les serrures n'avaient pas bonne mine. Elles auront bonne mine.
J'ai vu hier Madame la Duchesse d'Orléans. bien triste. Je la trouve un peu engraissée, mais fatiguée et le teint échauffé. Bon et beau naturel. Soyez en sûre Elle viendra un peu le soir, dans le salon de la Reine. Ce sera sa rentrée dans le monde. Le Comte de Paris est à merveille, gras, gai, l'œil ferme et tranquille. Le duc de Chartres bien grêle et bien vif. Je l'ai vu hier au Tréport. Le comte d’Eu sur les bras de sa nourrice, un superbe enfant.
Le camp de Plélan va très bien. Parmi les légitimistes bretons, l'ébranlement est général ; et la masse de la population accourt au camp avec avidité. Les curés très puissants là, se rallient tous. Le Duc leur convient. La Duchesse plait. Et les soldats aussi plaisent au peuple. La Bretagne n'avait rien vu de pareil depuis on ne sait combien d'années. Les comédiens de Vannes sont venus s'établir au camp. On s'amuse utilement. A propos de comédiens nous aurons ici lundi, l'Opéra comique et le vaudeville. Jean de Paris et les deux voleurs ? Qu’est-ce que les deux voleurs ? Arnal y est-il ? Il faut pourtant que j'écrive à d'autres. Nous serons probablement convoqués, tout à coup, après le déjeuner, pour nous rendre au Tréport. Dès que la flottille de la Reine sera en vue, trois coup de canon l’annonceront. Nous endosserons notre uniforme, nous monterons dans les calèches; et Dieu sait quand nous reviendrons; à quelle heure je veux dire. Les approches, la marée, le débarquement, les cérémonies, rien ne finit. Cette lettre-ci partira donc sans que j’y puisse rien ajouter, par le courrier de 2 heures. Mais je vous écrirai ce soir par l'estafette. Il n’y avait rien à faire du télégraphe. On n'aurait pu aller le rejoindre qu'à Boulogne 28 lieues d’ici. Mad. Angelet (vous savez qui c’est, elle a élevé la Princesse Clémentine) m'a fait les plus agréables rapports sur ce qu’on disait de moi, à Windsor, la Reine et tout le monde autour de la Reine. Je me suis trompé, c’est miss Lisdle et non pas miss Leeds ; une sœur de Lady Normanby. Adieu. Adieu. Je vous dirai encore adieu après le déjeuner, avant de monter en voiture.

9 heures. Voilà du canon. Le Roi me fait demander. Je pars. Adieu. Adieu. G.

Onze heures Je reviens. Ce n’était pas la Reine, mais un petit steamer anglais envoyé devant pour annoncer qu'elle arrivera vers 2 heures. The Ariet, Captain Smith. Il a quitté la Reine à Portsmouth. Elle a dû partir de Falmouth hier au soir à 6 heures, pour passer dans la nuit devant Cherbourg. Le Prince de Joinville, averti aussi, a dû quitter hier soir la rade de Cherbourg pour aller rencontrer la Reine en mer. Tout cela est arrangé, calculé avec une précision admirable. Nous venons de déjeuner et nous rentrons chez nous jusqu'à l'heure.
Que le n° 2 est amusant ! Je répète avec vous : " C’est trop bête. " Ne trouvez-vous pas que quand on n'a pas naturellement beaucoup d'esprit il ne sert à rien, dès que la passion arrive, d'être bien élevé et de bonne condition ; on tombe au plus bas, on devient grossier et subalterne, comme si on avait passé sa vie dans l’antichambre.
Vous avez mis Andral pour Arnal. J'en ai ri. Mon pauvre Andral a failli perdre tout à l'heure sa femme d’une fluxion de poitrine, la fille de M. Royer-Collard. Elle est un peu mieux. Je déjeunais à côté de Lady Cowley. J’ai fait avec elle ce que vous auriez fait avec son mari. Je lui ai soufflé l'humeur d’Appony. Je ne savais pas que Georgina eût le cœur si français. Au point, me disait sa mère, qu’elle trouve à tous les Anglais en France, l’air vulgaire. C’était à propos du Capitaine Smith ; et pour lui, il y a du vrai. Mais pas du tout en général. Adieu. Adieu. Je dis comme tout-à-l'heure. Il faut pourtant que j'écrive à d'autres. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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9 Au château d'Eu. Mercredi 6 sept. 1843,
7 heures

Vous avez beau mépriser la musique instrumentale. Vous auriez été entrainée hier par un fragment d'une symphonie de Beethoven que les artistes du conservatoire ont exécutée, avec un ensemble, une précision, une vigueur et une finesse qui m'ont saisi, moi qui ne m’y connais pas et cette succession de si beaux accords, si nouveaux et si expressifs, étonne et remue profondément. Tout le monde, savants et ignorants, recevait la même impression que moi. Je craignais que ces deux soirées de musique n'ennuyassent la Reine. Il n’y a pas paru. Ce soir, le Vaudeville et Arnal. Nous avons trois pièces, mais nous n'en laisserons jouer que deux. Ce serait trop long. Avant le dîner, une petite promenade, au Tréport, toujours plein de monde, et toujours un excellent accueil. Avant la promenade, la visite de l’Eglise d’Eu qui est belle, et du caveau où sont les tombeaux des comtes d’Eu, les statues couchées sur le tombeau, les comtes d'un côté, leurs femmes de l'autre, et le caveau assez éclairé, par des bougies suspendues au plafond, pour qu’on vit bien tout, assez peu pour que l’aspect demeurât funèbre. Les Anglais sont très curieux de ces choses là. Ils s'arrêtaient à regarder les statues, à lire les inscriptions. Notre Reine et Mad. la Duchesse d'Orléans n'y ont pas tenu ; elles étaient là comme auprès du cercueil de Mrs. le Duc d'Orléans. Elles sont remontées précipitamment, seules, et la Protestante comme la Catholique sont tombées à genoux et en prières dans l’Eglise devant le premier Autel qu’elles ont rencontré. Nous les avons trouvées là, en remontant. Elles se sont levées, précipitamment aussi et la promenade, a continué.
J’ai eu hier encore une conversation d’une heure et demie avec Aberdeen. Excellente. Sur la Servie, sur l'Orient en Général et la Russie en Orient, sur Tahiti, sur le droit de visite, sur le traité de commerce. Nous reprendrons aujourd’hui l’Espagne pour nous bien résumer. Le droit de visite sera encore notre plus embarrassante affaire. " Il y a deux choses m’a-t-il dit, sur lesquelles notre pays n’est pas traitable, et moi pas aussi libre que je le souhaiterais, l'abolition de la traite et le Propagandisme protestant. Sur tout le reste, ne nous inquiétons, vous et moi, que de faire ce qui sera bon ; je me charge de faire approuver sur ces deux choses là, il y a de l’impossible en Angleterre, et bien des ménagements à garder. " Je lui demandais qu’elle était la force du parti des Saints dans les communes : " They are all Saints on these questions. " Je crois pourtant que nous parviendrons à nous entendre sur quelque chose. Il a aussi revu le Roi hier et ils sont tous deux très contents l’un de l'autre. La marée du matin sera demain à 10 heures. On pourra sortir du port de 10 h.
à midi.
Ce sera donc l'heure du départ, nous ramènerons la Reine à son bord comme nous avons été l’y chercher. Il fait toujours très beau. Je demande des chevaux pour demain soir, 9 heures. Je vous écrirai encore demain matin pour que vous sachiez tout jusqu’au dernier moment. Pas de santé de la Reine à dîner. Les toasts ne sont pas dans nos mœurs. Il faudrait porter aussi la santé du Roi, et celle de notre Reine, et peut-être pour compléter nos gracieusetés, celle du Prince Albert. Cela n'irait pas. Je ne me préoccupe point de ce qui se passe entre la Cité et Espartero. C'est ma nature, et ma volonté de faire peu d’attention aux incidents qui ne changeront pas le fond des choses. Lord Aberdeen, m'en a parlé le premier, pour me dire que ce n’était rien et blâmer positivement Peel d'avoir dit qu’Espartero était régent de jure. Il n’y a plus de régent de jure, m’a-t-il dit, quand il n’y a plus du tout de régent de facto. La régence n’est pas, comme la royauté, un caractère indélébile, un droit qu'on emporte partout avec soi. J’ai accepté son idée qui est juste son blâme de Peel sans le commenter, et son indifférence sur l'adresse de la Cité qui du reste est en effet bien peu de chose après la discussion et l’amendement qu’elle a subi.
Vous auriez ri de nous voir hier tous en revenant de la promenade, entrer dans le verger du Parc, le Roi et la Reine Victoria en tête, et nous arrêter devant des espaliers pour manger des pêches. On ne savait comment les peler. La Reine a mordue dedans, comme un enfant. Le Roi a tiré un couteau de sa poche : " Quand on a été, comme moi, un pauvre diable, on a un couteau dans sa poche. " Après les pêches, sont venues les poires et les noisettes. Les noisettes charmaient la Princesse de Joinville qui n’en avait jamais vu dans son pays. La Reine s'amuse parfaitement de tout cela. Lord Liverpool rit bruyamment. Lord Aberdeen sourit shyement. Et tout le monde est rentré au château de bonne humeur. Adieu. Adieu. J’oublie que j'ai des dépêches à annoter. Adieu pour ce moment.

Midi et demie
Nous venons de donner le grand cordon au Prince Albert, dans son cabinet. Le Roi. lui a fait un petit speech sur l’intimité de leurs familles, et des deux pays. Une fois le grand cordon passé : " Me voilà votre collègue, m'a-t-il dit en me prenant la main ; j’en suis charmé. " Je crois que la Jarretière ne tardera pas beaucoup. Je vous dirai pourquoi je le crois.
Le N° 7 est bien amusant. Pourquoi ne pas être un peu plus spirituel d'abord ? Cela dispenserait d'être si effronté après. Le pauvre Bresson a bon dos. Il n’a jamais voulu rien forcer, car il n’a jamais cru qu'on vînt. Je reçois à l’instant une lettre de lui. M. de Bunsen venait d’écrire à Berlin le voyage de la Reine comme certain. Bresson est ravi : " Il faut, me dit-il, avoir, comme moi, habité, respiré pendant longues années au milieu de tant d'étroites préventions de passions mesquines, et cependant ardentes, pour bien apprécier le service que vous avez rendu, et pour savoir combien vous déjouez de calculs, combien de triomphes vous changez en mécomptes. "
C'est le premier écho qui me revient. Je dirai aujourd’hui un mot de Bulwer. Soyez tranquille sur la mer. Nous ne ferons pas la moindre imprudence. Je me prévaudrais au besoin de la personne du Roi dont je réponds. Il n’y aura pas lieu. Le temps est très beau, l’air très calme. Le Prince Albert est allé nager ce matin avec nos Princes. Le Prince de Joinville reconduira la Reine jusqu'à Brighton et ne la quittera qu'après lui avoir vu mettre pied sur le sol anglais.
Voici ma plus impérieuse recommandation. Ne soyez pas souffrante. Que je vous trouve bon visage ; pas de jaune sous les yeux et aux coins de la bouche. Si vous saviez comme j'y regarde, et combien de fois en une heure ! Je n’arriverai Vendredi que bien après votre lever ; pas avant midi, si, comme je le présume, je ne pars qu'à 10 heures. Adieu. Adieu. Il faut pourtant vous quitter. Nous partons à deux heures pour une nouvelle et dernière promenade dans la forêt. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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2. Au château d’Eu Vendredi 1 sept 1843
9 heures

Je me lève. J’ai très bien dormi. J'étais fatigué hier soir. Je dors dans ma voiture comme il y a vingt ans et ma voiture est beaucoup meilleure qu’il y a vingt ans. Mais j’ai vingt ans de plus. Je suis très reposé ce matin. La Reine ira-t-elle à Paris ? That is the question. Personne n’en sait rien. Sebastiani qui est arrivé hier de Londres dit oui. La Reine des Belges persiste à dire non. En tout cas, le Roi le lui proposera et insistera. C'est mon avis comme le sien. Nous en tremblons pourtant. Des cris de polissons, un coup de scélérat, Tout est possible en ce monde et de notre temps. Nous avons fini hier le Roi et moi, par nous troubler beaucoup l'un l'autre en en parlant. Cependant la conclusion est restée la même. Il faut proposer et insister convenablement si elle ne veut pas, c’est bien. Si elle veut, nous ferons comme si nous ne craignions rien, et tout ira bien. Si elle veut, le Roi lui offrira deux logements, St Cloud ou les Tuileries à son choix. Aux Tuileries l’appartement de la Duchesse de Nemours en y joignant celui de la Reine des Belges, qui touche. Ce sera bien. St Cloud serait mieux, plus beau, plus gai et plus sûr. Comme elle voudra. Je suis ravi qu’elle vienne. Je serai très heureux quand elle sera partie. Elle est très aimable, car elle veut l'être beaucoup. Elle a dit aux Princes que depuis longtemps, elle était décidé à mettre le pied sur un bâtiment Français avant tout autre et à entrer dans le palais du Roi avant tout autre.
Les récits de Sebastiani sur son gouvernement sont aussi bons que ceux de l’intérieur de la famille sur elle-même. Peel, Aberdeen et le Duc de Wellington excellents, parlant de l’épreuve qu’ils viennent de faire de nous et de notre politique en Espagne comme d’un fait décisif. Peel parlant de moi, en termes qui font dire à Sebastiani : " C’est un ami que vous avez là. " Et puis autre chose encore que je vous dirai, et qui ne vient pas de Peel. L'opposition est bien et veut être bien sur le voyage de la Reine. Palmerston dit qu'elle a raison. J'ai deux longues lettres de Chabot. Il a encore un peu tort, mais moins que je ne pensais. Ce n’est pas du tout lui qui a demandé à venir ici ; c'est le Roi qui de lui-même, ou plutôt sur la provocation du Prince de Joinville, l’y a engagé, et l'a fait en me le disant.
Je tiens ceci du Roi à qui j'ai dit que je gronderais un peu Chabot ; et la lettre qui m’est venue hier de Chabot est parfaitement d'accord. Je suis bien aise d'avoir dit ce que j'ai dit. Ceci bien entre nous. Je ne sais pourquoi je vous dis cela. Mais on parle souvent vous le savez ; sans raison aucune, pour se satisfaire soi-même. Autre question qui nous préoccupe fort. Le Roi, ira-t-il en mer au devant de la Reine, pas loin, mais enfin en mer, en rade du Tréport ? Il le veut, et il a raison. On s'y oppose beaucoup autour de lui ; on me demande de m'y opposer. La Reine des Belges m'en a conjuré hier. On a l’esprit frappé des accidents. L’entrée du Tréport est difficile ; il y a peu d'heures dans la journée, où elle soit possible. Le Roi pourrait se trouver retenu dehors avec la Reine Victoria. Ses deux souverains hors de chez eux, et ne pouvant rentrer chez eux, ni l’un chez l'autre. Il y aurait à rire. Pourtant je suis de l'avis du Roi. La prudence est bonne, et aussi la crainte de faire rire. Mais on ne ferait rien, si on ne savait pas courir la chance de faire rire et pleurer. Et puis vraiment, il n’y aura lieu ni à l’un, ni à l'autre. En soi, la chose me parait simple et convenable. Le Prince de Joinville a un autre petit ennui. Ses deux steamers, le Pluton, et l'Archimède, ne marchent pas aussi bien que le steamer de la Reine qui est un bâtiment fort léger sur lequel on a mis une énorme machine de la force de 450 chevaux. Il craint de ne pouvoir la suivre de Cherbourg au Tréport.
La Princesse de Joinville est bien gentille ; grave comme un bonnet de nuit, en l’absence de son mari, elle ne peut par s’y accoutumer. Elle a quatre heures de leçons par jour, histoire géographie, littérature, français, dessin etc. Je vous quitte pourtant. Il faut que je fasse ma toilette. Le Roi déjeune à 10 heures et demie. J'aurai votre lettre dans une heure. Je ne sais pourquoi Versailles me semble plus loin que Beauséjour
10 heures Oui, Versailles est plus loin que Beauséjour. Vraiment, si cela ne vous contrariait pas trop je vous aimerais mieux à Beauséjour et à Paris pendant ce voyage. Vos idées, vos avis me sont nécessaires, et nécessaires à mon monde de Paris. Par Génie, tout ce que vous penserez ira à qui il faudra. Et la promptitude est tout en ce moment. J’ai bien envie de vous séduire. Je vous écrirai plus souvent si vous êtes à Beauséjour. Mes lettres vous arriveront plus vite et auront un effet s’il y a un effet à avoir. C’est abominable ce que je dis là. Je vous écrirai aussi souvent quoiqu’il en soit, pour mon plaisir et pour le vôtre. Mais il est sûr que Beauséjour est plus utile. J’écrivais ce matin à Duchâtel pour le télégraphe.
Molé a de l’esprit. Je le savais. Mais l'humeur le lui ôte quelque fois. L’humeur de tous les autres m'amuse infiniment. L'enfantillage m'étonne toujours un peu. Pourquoi avoir de l'humeur quand on ne peut et ne veut rien faire ? Soyez tranquille ; je ne serai pas trop orgueilleux. Mais je vois bien tout ce que ceci vaut. Je sais bon gré au duc de Noailles. Je vais déjeuner. Merci de ce N°1, bon et long. La longueur est ici la mesure de la bonté. Adieu. Adieu. A tantôt. La poste ne part qu'à 2 heures

Midi et demie. Je viens d'avoir un rare honneur. J’entre dans la salle à manger. La Reine prend la Princesse de Joinville à sa droite, et me fait signe de me mettre à côté d’elle. Mad. du Roure à qui je donne le bras, et qui n’a pas vu le signe, me dit : " à côté de la Princesse Clémentine. Je n’en tiens compte et je me mets à côté de la Princesse de Joinville. " Mais non, non. " me dit mad. du Roure. - Mais si, dit avec un peu d'impatience la Princesse de Joinville, la Reine l'a dit. " Je m'assieds donc. Mad du Roure se penche vers moi et me dit : " C’est qu'en général on ne met personne à côté d'elle ; elle ignore tant toutes choses ! Et en effet, je ne l’ai jamais vue qu'entre deux Princes ou Princesses. On a fait une exception pour moi, la Reine l'a voulu et la Princesse en avait envie. J’ai causé. Parfaitement naïve, ignorante, vive, se tenant bien droite, le ton un peu brusque. Elle attendait que je lui parlasse et se tournait vers moi un peu impatientée quand j'étais quelque temps sans lui parler. A tout prendre j'en ai reçu une impression agréable. On a trop peur de ses ignorances. Pour le coup, ceci pour vous seule. Décidément la Reine des Belges insiste pour qu'on ne presse pas la Reine de venir à Paris. Elle en aurait envie, mais elle ne peut guères. Elle a promis de ne pas s'éloigner des côtes. On se croirait obligé de nommer une espèce de Conseil de Régence si elle s’enfonçait bien loin. L’insistance l'embarras serait. Elle craindrait que le refus ne fût une maussaderie. Voilà le dernier état de la question. Adieu. Adieu. Adieu. G.
Voici la lettre de Lady Palmerston. Evidemment gracieuse à dessein, quoique de loin. Cela est fort d'accord avec le dire de Sebastiani. Dites, je vous prie à Génie ce qui est de nature à lui être dit dans ce que je vous écris, pour que je ne sois pas obligé de l'écrire deux fois. J’ai et surtout j'aurai bien peu de temps.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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6 Chateau d’Eu Dimanche 3 sept. 1843,
10 heures et demie

Un mot puisque j'ai une lettre de Lady Cowley à vous envoyer ; un seul car je suis fatigué et je meurs de sommeil. Ce matin une promenade d’une heure et demie par un mauvais chemin, pour arriver à un joli point de vue. C’est notre Reine qui a le goût de ce point de vue, et n’a pas songé au mauvais chemin. L'autre Reine s'en est amusée. Avant la promenade, une très bonne conversation avec Lord Aberdeen sur l'Espagne. L'affaire ira. Ce soir une bonne aussi sur toutes choses, dans le salon de la Reine : salon sévère, comme le Sabbath. On a regardé des images et fait des patiences. M. le duc de Montpensier y excelle. A dîner en revanche, la Reine V.. s’était parfaitement amusée ; le Roi l’a fait rire tout le temps, je ne sais avec quoi. Moi, j’ai amusé Lady Cowley. Si j’avais le temps, elle m'aimerait. Adieu. Adieu.
Dieu nous garde ce beau temps la semaine prochaine, pour notre dîner de St Germain. Quel plaisir ! Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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7. Du Val Richer. Vendredi 18 août 1843,
7 heures

Dans quatre jours, je serai en route vers vous. Dans cinq. je serai près de vous. Comment se quitte-t-on quand on a un tel plaisir à se retrouver ? Nous avons bien peu de sens et de volonté. Nous sommes à la merci de ce qui ne nous fait rien. Nous sacrifions sans cesse le fond à la surface. Dieu doit nous prendre en grande pitié. J'écris ce matin, au Président d’âge de mon Conseil général pour lui dire que je n'irai pas, et pourquoi. C’est une réunion qu’il faut traiter avec égard. J'écris aussi à quelques membres, pour leur recommander les affaires des cantons que je représente et qui pourraient bien être négligées en mon absence.
Vous ne comprenez rien à ce que je vous dis là, et cela ne vous fait rien. Vous êtes la personne la plus étrangère aux détails de toute situation, de toute vie qui n’a pas été la vôtre. Et pour la vôtre, personne ne comprend et ne soigne mieux que vous les détails, et la pratique de tous les moments. Vous resterez comme vous êtes, et c’est ce qui me plaît. J’ai renvoyé hier à Désages ma dépêche pour Chabot avec le changement désiré. J’avais voulu que le changement fût approuvé à Eu précisement parce que la dépêche n’avait été vue qu'après avoir été envoyée. Elle sera de retour, à Londres après demain, et j'espère qu’elle y sera le point de départ d’une politique un peu nouvelle. Je mets beaucoup de prix à changer, sur l’Espagne la vieille politique de l'Angleterre par intérêt public et par orgueil personnel.
Vos conversations avec Bulwer ont été excellentes. J’ai écrit à Flahault pour qu’il se gardât un peu du Prince de Metternich à qui évidemment notre succès ne plaît guères, et qui veut trop le mariage D. Carlos et pas du tout le mariage Aguilla. J'ai peur que Flahault ne soit aussi trop bien avec lui et n'évite trop d’avoir un autre avis que le sien. Espartero est donc décidément à Bayonne. S'il ne fait comme sa femme, que traverser la France pour aller en Angleterre, peu m'importe. Mais s’il entendait rester en France, il y aurait à y bien regarder D. Carlos, Christine et Espartero ! En attendant, j’ai écrit au Ministre de l’Intérieur qu'il ne fallait à aucun prix, le laisser séjourner près des Pyrénées. Au moins aussi loin de l’Espagne que Bourges. On m'écrit de presque tous les points de l’Espagne que sa fuite précipitée, quand la dernière bombe venait à peine de tomber sur Séville fait baisser la tête de honte à tous ses partisans.

10 heures et demie M. de Beauvoir, un jeune attaché fort intelligent m’arrive à l’instant de Londres. Chabot me dit de le faire causer et qu’il est fort au courant. Sa conversation est bonne. Lord Aberdeen ne demande pas mieux que de se concerter avec nous et de nous aider en fait, à réussir dans le mariage Philippe V. Tout ce qu’il désire, c’est que nous lui épargnions le calice du principe. J’en suis d'accord et ma dépêche est partie. M. de Beauvoir croit qu’elle sera acceptée avec joie et mise en pratique. Sur ce adieu, car il faut que je renvoie le jeune homme à Paris, et j’ai encore plusieurs lettres à écrire. Adieu. A mardi. Je serai à Auteuil avant 4 heures. Adieu. G.
Voilà votre n°9. N'ayez donc pas de point de côté. Ne vous levez pas sans vous couvrir. Il ne faut pas être si remuante quand on est si délicate. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris 28 sept. 1844

Je me sens mieux. Je crois vraiment qu’hier j'ai dîné. Un potage au riz, une aile de perdreau et des légumes, n'est-ce pas un dîner ? J’ai mangé sans dégout. A 9 heures, j'étais dans mon lit. J’ai très bien dormi. Je viens de faire ma toilette. Ce qui est ridicule, c’est d'être fatigué pour cela. Le Roi m'envoie ce matin ses conseils médicaux, les dires de son vieux médecin M. Tronchin, ses propres observations sur les tempéraments bilieux. " Si j'en dis trop, pardonnez-le moi, mon cher Ministre ; c'est l’intérêt que je vous porte et ma vieille expérience de soixante et onze ans qui me le dictent ; mais je sais bien que je ne suis pas médecin et que je devrais me taire. "
Ses conseils n’ont rien que de fort sensé, et de conforme à ce qu’on me fait pratiquer. Je le verrai ce matin au Conseil. Je partirai de bonne heure pour me promener un peu dans le bois, et pour passer chez le Maréchal. Il est arrivé hier soir et a envoyé sur le champ savoir de mes nouvelles en me faisant dire qu’il viendrait me voir. S’il n’était pas très fatigué, et pressé de se coucher. Je tiens à ma promenade par ce beau soleil. Cela m’a parfaitement réussi hier. J’en ai été ranimé et fortifié toute la fin de la journée.
Point de nouvelles. Kisseleff vient de faire demander à Génie à quelle heure il pourrait le recevoir ce matin, ayant quelque chose à lui remettre pour moi. C'est sans doute une réponse de Pétersbourg à ma dépêche. Thiers a écrit à Duvergier de Hauranne que la solution donnée a l'affaire Pritchard était le comble de l'humiliation pour la France, que l’indemnité était une rançon mille fois plus déshonorante que n'eussent été le désaveu et le rappel de MM. Bruat et Daubigny. Ce sera Ià le thème de l'opposition. Je ne demande pas mieux. Ils ne se doutent pas de ce que j'ai à leur dire. Adieu.
Je vous quitte pour prendre une pilule de quinine. De là au déjeuner. De là à St Cloud. Je vous écrirai en revenant. J'espère bien avoir quelque chose de vous dans la journée. Adieu. Adieu. Demain, il fera encore plus beau qu'aujourd’hui. Adieu.. G.

Paris, samedi 28 Sept. 1844 10 h. 3/

Duchâtel a dit hier soir à Génie que l'affaire de la loge était tout à fait arrangée. Voilà votre petit mot d’hier soir. Merci.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°7 Château de Windsor, Vendredi 11 Oct. 1844
4 heures

Votre pauvre frère est donc mort. Tristesse ou joie, toute chose m'est un motif de plus de regretter l'absence. Loin de vous ce qui vous afflige me pèse ; ce qui me plaît à moi, me pèse. Je ne puis souffrir cette rupture de notre douce et constante communauté. Je suis vraiment triste que votre frère n'ait pas eu la consolation de mourir chez lui, dans sa chambre au milieu des siens. Il semble qu’on ne meure en repos que là. Et cette pauvre Marie Tolstoy ! Je ne lui trouvais point d’esprit. Mais elle a un air noble et mélancolique qui m’intéressait. Non, vous n’êtes pas seule, car je vais revenir.
Nous partons toujours lundi 14, pour nous embarquer à Portsmouth vers 5 heures et arriver au château d'Eu mardi 15 à déjeuner. J’y passerai le reste de la journée du mardi et je serai à Paris mercredi soir. Bien profonde joie.
Le voyage est excellent et laissera ici de profondes traces. Mais cinq jours suffisent pleinement. Je sors de la cérémonie de la Jarretière. Vraiment magnifique et imposante, sauf toujours un peu de lenteur et de puérilité dans les détails, 14 chevaliers présents. Le Roi, très bonne mine, très bonne tenu ; point d'empressement et saluant bien. Lord Anglesey a failli tomber deux ou trois fois en se retirant. Je ne vous redis pas ce que vous diront les journaux.
Hier à dîner entre la Duchesse de Mecklembourg et la Duchesse de Norfolk. La première spirituelle, et gracieuse ; la seconde pompeusement complimenteuse. Après dîner, Lord Stanley. Longue et très bonne conversation. Il m'a dit en nous quittant : " Je vous promets que je me souviendrai de tout ce que vous m'avez dit. " Je crois avoir fait impression. Le Roi en croit autant pour son compte. Quel dommage de ne pas voir les hommes là tous les trois mois ! Qu'il y aurait peu d'affaires. Lord Stanley m’a fait à moi l'impression d'une grande franchise & straightforwardness. Le tort des Anglais, c'est de ne pas penser d’eux mêmes à une foule de choses, et de choses importantes. Il faut qu'on les leur montre.
Outre Stanley, un peu de conversation avec M. Goulburn. Je les ai soignés, tous. Voilà deux soirées où je vous jure que j’ai été très aimable. Hier trois heures avec Aberdeen. Parfait sur toutes choses. Nous sommes de vrais complices. Nous nous donnons des conseils mutuels. Il est bien préoccupé de Tahiti et bien embarrassé du droit de visite. Ce matin deux heures et demie avec Peel. Remarquablement amical pour moi. Les paroles de la plus haute estime, de la plus entière confiance. Il a fini par me tendre la main en me demandant mon amitié de cœur. A un point qui ma surpris. Du reste très bonne intention ; plus d'humeur. Le voyage en effacera toute trace : mais des doutes, des hésitations et des inquiétudes dans l’esprit qui est plus sain que grand. Il m'a répété deux fois, qu’il s’entendait parfaitement et sur toutes choses avec Lord Aberdeen. Se regardant comme brouillé avec une portion notable de l’aristocratie anglaise, & le regrettant peu.
L'Empereur et M. de Nesselrode ont pris plus d’une demi-heure de notre temps. Les choses sont parfaitement tirées au clair. Il a fort approuvé ma conduite de ce côté depuis trois ans. Que de choses j'aurais encore à vous dire. Mais il faut finir. Mon courrier part dans une demi-heure et j’ai à écrire à Duchâtel. Adieu. Adieu. Dearest ever dearest.

J'oublie toujours de vous dire que je vais bien. Un peu de fatigue le soir. Je suis toujours charmé de me coucher. Mais je suffis à chaque jour, et mieux chaque jour. Je mange, quoique je ne puisse pas avoir un bon poulet. Demain, la Cité de Londres envoie à Windsor son Lord Maire, ses douze Aldermen et 18 membres de son common council pour présenter au Roi une adresse excellente pour lui, excellente pour la France. N'ayant pu obtenir le banquet à Guildhall ils n'en ont pas moins voulu manifester leurs sentiments. Ici, cela fait un gros effet. J’espère que chez nous, il sera très bon. Je n'écris pas à Génie dites-lui je vous prie ceci et quelques autres détails pour sa satisfaction. Adieu adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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375. Londres. Jeudi 21 mai 1840
10 heures

On est venu m’éveiller cette nuit à 3 heures, pour m’apporter la division de la Chambre des Communes, et j’ai expédié sur le champ un courrier à Calais pour qu’on le sût à Paris par le télégraphe. Non qu’il doive, je crois, en résulter ici aucun evènement. C’est pourtant un gros fait. On me dit que Peel a très bien parlé et O’Connell médiocrement. Il a voulu être modèré. On l’avait fort sermoné à ce sujet. C’est Lord Duncannon qui est son prédicateur. Et O’Connell répond toujours : " you are right ; I won’t do it again." Il a trop bien obéi hier. On prévoyait ce résultat, même à Holland House où j’ai été hier soir au lieu d’aller à la chambre. Devinez qui j’y ai trouvé? Mr Mrs Grote qui y avaient dîné. C’était un coup monté. Peut-être vous en ai-je déjà parlé quand ils ont été partis, j’ai demandé à lady Holland si elle avait un privilège contre les poursuites, for treating and bribery.

2 heures
Je viens de chez Lord Aberdeen. J’aime sa conversation, et je crois qu’il aime la mienne. Il y a beaucoup de shyness dans sa froideur. Et aussi de sadness. Il est préoccupé de cette affaire Napoléon. On commence à l’être ici, beaucoup plus qu’au premier moment & plus que moi. Je suis accoutumé aux apparences, et aux démonstrations bruyantes. Cependant, il est sûr que des embarras viendront de là. Ce qu’il y avait de bien est déjà recueilli ; il faudra subir le mal. Mais je ne crois pas au danger. Pourvu qu’il y ait un pouvoir qui s’en défende. En tout cas, la question est lointaine. Le retour n’est pas possible avant le mois de Novembre.
L’Orient est stationnaire. Je reste toujours sur mon terrain. On n’y vient pas. Mais on n’ose pas avancer sur le sien. Je m’applaudis du parti que j’ai pris de dire dès le premier moment, ce que je devais dire à la fin. Plus j’y pense, plus je suis convaincu que notre politique est la seule sensée. Rallumer la guerre entre les Musulmans, et courir le risque de l’allumer entre les Chrétiens pour la question de savoir si quatre ou seulement deux Pachalih de la Syrie appartiendront au vieillard qui règne à Alexandrie ou à l’enfant qui dort à Constantinople, en vérité c’est bien léger. Et je tiens pour certain qu’ici il n’y a pas trois personnes qui ne soient au fond de mon avis. De celles qui y ont pensé, s’entend. Il n’y en a pas beaucoup.
Les Affaires Etrangères occupent bien peu le public anglais. Je dis beaucoup sur cette question d’Orient ce qui est parfaitement vrai ; la politique que nous soutenons ne nous causera aucun embarras, à l’intérieur, car tout le monde, en France en est d’avis ; aucun embarras à l’extérieur, car le jour où l’on voudra agir sans nous, les embarras seront pour ceux qui entreprendront de faire, et non pour nous qui regarderons faire. L’hypothèse la plus défavorable ne nous met donc pas dans une position redoutable.
M. de Metternich a eu certainement beaucoup d’humeur pour Naples ; et dans son humeur, il s’est montré plus disposé à faire ce que voudrait Lord Palmerston en Orient. Mais sa disposition est vague, comme tout dans l’affaire. Quant au Pacha, il dit que si on le bloque dans Alexandrie, il sautera par dessus le blocus, c’est-à-dire pas dessus le Taurus. Je connais ces petites biographies, les premiers cahiers, le mien compris, qui était très bienveillant, et assez spirituel. Je connais Thiers, aussi ; mais non pas, le Duc de Broglie, ni Berryer, ni Dupin, ni Lamartine, vous serez bien aimable de m’envoyer ceux-là. L’ouvrage m'a paru écrit à bonne intention. Sait-on par qui?
Certainement, je porterai la santé de la Reine, le 25. Je suis en pension chez lady Palmerston. Elle dine samedi chez moi ; moi dimanche chez elle en petit comité, et lundi en full house. Je l’ai beaucoup vue depuis quelque temps et plus je la vois, plus je la trouve aimable. Elle dit qu’à présent je plais beaucoup à M. de Brünnow et qu’il parle de moi tendrement. Adieu.
J’ai le cœur à l’aise depuis hier à votre sujet. Je voudrais que ma grande lettre vous fût arrivée avant la petite. Je ne l’espère pas. Adieu.
Vous devriez vous arranger pour être ici le samedi 13 Juin. Au plus tard le Dimanche 14. Vous ne vous faites pas scrupule, je pense, de voyager le dimanche. Je ne trouve pas qu’on soit aussi austère ici à ce sujet, qu’on me l’avait dit. Le gros Monsieur vient passer quelques jours à Londres et vous en avertira. Ce que vous pourriez lui remettre passera de sa main dans la mienne. Que j’ai de choses à vous dire ! Et que de choses à entendre, que j’aime mille fois mieux !
Adieu, encore ; jamais pour la dernière fois.
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