Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie. Vendredi 14 sept 1849 sept heures

Vos yeux me désolent, pour vous et pour moi. J’ai lu votre lettre hier, en arrivant ici, avec regret pour ce qui n’y est pas, avec remords pour ce qui y est. Vous vous fatiguerez et vous me direz si peu ! Ne pourriez-vous pas, si cela se prolongeait, vous faire prêter Marion pour huit jours, quinze jours ? Un service positif à demander pour une raison claire et pour un temps déterminé cela se peut. Je cherche, je voudrais tant imaginer quelque chose qui vous soulagent, el qui m'assurât de nos lettres. Quel malheur d'être loin !
Je ne suis pas rentré ici sans émotion. J’y étais venu, pour la dernière fois, en septembre 1838, au moment de la mort de la Duchesse de Broglie, il y a onze ans. Je l'ai vue morte sur son lit, le 27 ou le 26 septembre, je crois. Le lieu est toujours beau. La jeune femme qui l'habite aujourd’hui est jolie et gracieuse, et semble prendre, à ce qui se passe et se dit autour d'elle un intérêt intelligent. Mais la différence est grande. Est-ce qu’il y a vraiment du déclin dans les personnes comme dans les choses, ou seulement du déplacement ? On mène ici une vie à peu près semblable à celle du Val-Richer, déjeuner à midi dîner à 7 heures On se couche à onze. C’est un peu plus tard que mon habitude. Je remonterai chez moi à 10 heures, si plus tard me dérange. Je ne veux par interrompre, mon travail pendant quinze jours. J’ai un bon appartement avec une vue charmante. Il fait presque froid. J’ai un bon feu. Je viens de me lever. Je prendrai du thé dans ma chambre avec du beurre à 9 heures et demie ; votre déjeuner. Je ne descendrai qu’à midi. On est fort libre tout le jour. On fait une promenade, ensemble s’il fait beau.
Voilà votre lettre d'avant-hier. Quel bonheur. Je n'espérais pas la poste sitôt. Elle arrive à 7 heures et demie, et repart à 2 heures Et une longue lettre que je lis presque sans remords puisque vos yeux vont un peu mieux. Je m'inquiète pourtant, vous n'auriez pas du m'en écrire si long. Je tiens plus à vos yeux qu'à la politique de Lord John, et de Lord Ponsonby. Merci mille fois. Lord Ponsonby est curieux. Comorn se rendra comme, le reste. Ce ne sont plus que des malheurs particuliers de l'héroïsme perdu. C’est grand dommage ! Il y a des pays où l'on emploierait si utilement ce qui n’est bon à voir là. Le Duc de Broglie est convaincu que l'affaire de Rome tombera à plat comme toutes les autres. Personne ne sortira du Ministère. Personne, en y restant, ne poussera rien un peu loin. Les légitimistes veulent que M. de Falloux reste ministre et leur fasse faire une part un peu plus grosse dans le pouvoir. Les conservateurs ne pensent qu'à rester tranquilles, pourquoi ils laisseront tout le monde, tranquille, président et ministres. S’il faut rester à Rome avec ou sans le Pape, on y restera. S’il faut s’en aller de Rome, et que d'autres y viennent, ou s'en ira et on les laissera venir. Je me méfie d’une despondency, si absolue. Je suis certes bien loin aujourd’hui d'espérer beaucoup de mon pays. Mais je le connais. Il a des retours subits qui mettent fin brusquement à ses plus profondes léthargies. Je me suis trompé pour m'être fié à sa sagesse. Ceux qui se fient à son abattement se trompent de même. Il me paraît pourtant probable que Dufaure résistera aux attaques dirigées contre lui, et que le Cabinet ne sera que partiellement modifié. Personne, je vous le répète, ne croit ce que croit Morny. Cependant ce qui est le probable, n'est pas tout le possible.
Plusieurs de mes journaux me manquent ce matin. Adieu, adieu. J’espère que votre lettre, qui me fait tant de plaisir, n'aura pas fait de mal à vos yeux. Adieu, adieu dearest. G. Je suis bien fâché que Lord Beauvale ne revienne pas de Richmond.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 21 Juillet 1850

Vous dites que votre cure finit le 5 août. Je ne croyais pas que ce fût si tôt. C’était en août et plutôt vers le milieu que dans les premiers jours que je me promettais d’aller vous voir. J’ai besoin d’être ici le 6 août, pour affaires, affaires de la localité et affaires à moi qui doivent réunir quelques personnes. J’attends deux ou trois visites d’ici à la fin de Juillet. J’aimerais donc mieux la dernière quinzaine d’août que la première. Voici quel était mon désir et mon plan. Guillaume aura, je l'espère, des prix au grand concours de l'université, le 17 août. Je n’ai jamais manqué d'aller le voir couronner. Je n’y voudrais pas manquer à présent qu’il est grand et que mons influence sur lui est de plus en plus nécessaire. J’irais à Paris le 12 août, et j'en repartirais, le 13 au soir pour aller vous trouver, en passant par Bruxelles, là où vous seriez sur les bords du Rhin, Ems, Bade, ou ailleurs.
Je serai charmé de voir Aberdeen, mais je doute qu’il vienne et en tous cas, ce n’est pas lui que je vais chercher. Quel ennui que cette distance qui empêche de rien concerter. Je n'aurai réponse à ceci que dans six jours. Je vais tâcher de m’arranger pour ne pas l'attendre et pour aller vous voir à Ems dans les derniers jours de Juillet de les premiers d'août toujours obligé d'être ici de retour le 6, au moment où vous quitterez Ems. Je voudrais bien savoir où vous serez après. Je comprends que vous n'ayez nulle envie de passer le mois d'août à Paris. Il n’y aura personne; pas un de vos amis Français, et bien peu du corps diplomatique. La dispersion sera encore plus grande cette année que de coutume. Tout le monde est excédé.
Va-t-on de Paris à Ems en deux jours quand on ne s'arrête pas? Je suppose qu'on n’arrive à Ems que le troisième jour. Je vais faire demander cela à Paris. Les jeunes Broglie et les d’Harcourt sont venus hier de Trouville, passer la journée ici. Ils sont aimables et en train. J’ai une lettre de Madame de Ste-Aulaire qui me presse d'aller la voir à Etiolles. A la bonne heure l’automne prochain, quand nous serons tous rentrés à Paris.
Un M. Alexander Wood m'a apporté hier une lettre de Gladstone très amicale et qui contient ceci : « Through Lord Aberdeen, I have had the high gratification of learning that you approved of the sentiments which I made bold to express on the occasion of our late debate respecting foreign affairs. They were spoken with great, sincerity. They were confortable, I believe, not only to the declared opinion of one of our houses of Legislature but to the real, though undeclared and latent opinion of the other. The majority of the house ef Commons was with us in heart and conviction ; but fear of inconveniences attending the removal of a Ministry which there is no regularly organized opposition ready to succeed, carried the day, beyond all substantial doubt against, the merits of the particular question. " Après tout, je crois que c’est bien là le vrai, et que la victoire de Lord Palmerston n'est ni de bien bon aloi, ni bien définitive s’il recommence. Et je suis persuadé qu’il recommencera.
La poste est en retard ce matin. Non pas vous, mais toute la poste. Je ne comprends pas pourquoi. Il n'y a point de sûreté ; on peut tous les jours apprendre de Paris je ne sais quoi. Je vais faire ma toilette en attendant, et avant de vous dire adieu.

Onze heures
Voilà le facteur qui a été retardé. Il faut qu'il reparte tout de suite. Je n'ai que le temps de fermer ma lettre. Adieu, adieu. Le mercredi 17 ou au plus tard le 18, vous aurez été délivré de mon inquiétude. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 5 Juillet 1850

Voilà enfin une lettre. Vous me le pardonnerez ; quoique vous me disiez que vous êtes très fatiguée et souffrante, je suis plus content aujourd’hui qu'hier. J’espère que vous aurez pu faire votre visite avant-hier et partir hier. Vous êtes donc à Ems. Les lettres arrivent-elles là, et de là, le second ou le troisième jour ? Dites-moi, si vous avez trouvé un bon logement. Le pays est-il joli aux environs ? Pouvez-vous vous promener en calèche ? Je veux les détails de votre établissement.
Je pense beaucoup à Sir Robert Peel. Certainement dans un jour de crise quand il faudra recueillir l’héritage de Ministres quasi-révolutionnaires, et ramener le gouvernement, sinon tout- à-fait, du moins un peu dans la politique conservatrice, il manquera beaucoup à l'Angleterre. Il avait la confiance du pays libéral sans être du parti libéral dans le Parlement. Personne n'hérite de cette opposition. La lutte des partis deviendra plus âpre. J’ai relu son dernier discours. Je doute qu’il ait beaucoup nui à Lord Palmerston. C’est un tour de force pour ne pas servir la motion pour laquelle il parlait et votait. Je viens d’écrire à Lord Aberdeen et à Lady Allice. A part les liens de famille, et les questions d'importance avait-elle de l’amitié pour Sir Rober ? La séance de la Chambre des Communes s'ajournant est belle et touchante. Lord John a eu tort de n'y pas être. Il fallait penser à y être.
L'anarchie est grande en effet à Paris dans l'Assemblée. Cependant voilà, Dupin renommé à la même majorité. Bedeau n’a eu que 35 voix. C’est le bataillon des légitimistes dissidents. Ils sont en grande humeur et méfiance de Berryer. La période de la prorogation sera critique. Mais je crois comme vous, qu’il n’y aura rien. Vous apprendrez bien à Ems les Affaires d'Allemagne si elles ne vous ennuient pas trop, avez vous déjà, ou aurez-vous la grande duchesse Hélène ? Avez-vous vu Antonini avant votre départ. Est-ce sûr que son Roi a reconnu en principe les réclamations anglaises pour les dégâts de Messine et de Catane ? Cela indemniserait un peu Lord Palmerston des dépêches russes et autrichiennes. Que les choses sont mêlées ! Adieu, Adieu.
La colonne qui est ce matin dans le Constitutionnel sur Peel, est de Thiers. C’est bien et juste, mais sec et pas grand. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 6 Juillet 1850

Vous êtes donc partie de Bruxelles un peu mieux. Je veux vous savoir à Ems. C’est du repos surtout et toujours qu’il vous faut. Du mouvement d’esprit, du repos de corps et de cœur.
Je suis fort aise que vous ayez vu le Roi et Van Prast. Avec eux, une bonne conversation n'est jamais perdue. Van Praet a réellement de l’esprit, et un bon esprit. Le seul belge en qui le Roi ait vraiment confiance et dont le jugement influe quelquefois sur le sien.
J'ai des lettres de Paris, Piscatory, Lavergne et autres. La prorogation est la grande affaire. On en a grand peur dans l’assemblée : " Les niais qui ont entendu parler d’un camp à Versailles, d’un voyage dans l’Est ou à Lyon, de la pression exercée sur les conseils généraux, craignent fort que, pendant qu’ils seront dans leurs maisons de campagne, on ne leur prenne leur maison de ville. Pour moi, je suis convaincu que nous avons à faire à une ambition dont la nature, et le bien jouer est de laisser couler l'eau jusqu'en 1852. Elle n'a qu'à se tenir tranquille, et à nous laisser faire et surtout dire ; sa réélection est certaine. Une fois réélu, je défie bien le président de s’arrêter à ce nom, de s'arrêter surtout quand, pour leur propre réélection il y aura la moitié, les trois quarts des membres de la majorité, y compris les légitimistes qui auront traité avec lui. " On est assez troublé des résultats qui se révèlent de la loi électorale à mesure qu’on fait les listes. Troublé dans les sens les plus contraires. A Paris, dit-on, de 225 000, les électeurs seront réduits à 70 000 au plus. Dans beaucoup de campagnes, la réduction frappe sur les bons. Je vous ai peut-être déjà dit que, dans la commune de mon voisin, M. de Neuville, sur 187 électeurs rayés; il n’y avait que six rouges. Jules de Lasteyrie a pas mal d'humeur de n'avoir pas été réélu vice-président. Berryer aussi a de l'humeur et se tient sous sa tente. M. de Vatimesnil doute de l'avenir. M. de St. Priest reprend les allures de Carlo-Alberto.
Je vous ai vidé mon sac de Paris. Londres m'intéresse et me touche profondément. Je ne suis pas content du discours de Lord John à propos de Peel. Je n'y trouve point d’élévation d’esprit ni de cœur. C'est terne et sec. Ce qui est beau c'est le respect et l'attendrissement général du pays. Les élections des divers corps, Évêques, conseil d’Etat, cour de Cassation, pour le Conseil supérieur de l'instruction publique, font assez d'effet et un effet contre la loi. Elles sont vives et discordantes. On se divisera et on se querellera dans ce conseil comme dans l'assemblée. Je crois que mon refus, et ma lettre viendront à propos.
Lisez, dans la revue des deux mondes du 1er Juillet, un article d’Albert de Broglie sur M. de Chateaubriand, à propos de ses mémoires. Parlant sans amertume, ni réticence avec une indignation honnête. Je suis bien aise que ces vérités là soient dites à ce grand envieux qui a passé sa vie à amasser des trésors de bile pour les verser après lui, sur le public. Adieu.
Le temps redevient superbe. Chaud et pas étouffant. J'espère pour vous le même air et le même soleil. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 8 Juillet 1850

Vous ne me dites rien du Rhin. Donc il était tranquille, et vous serez arrivée à Ems tranquillement. Le bateau est bien moins fatigant que le chemin de fer.
Toutes les lettres de Londres parlent de la mort de Peel comme d’un grand, très grand événement. La plus intelligente et la mieux informée me dit : " Le pays n’avait de foi dans le cabinet que parce que Peel l’appuyait, et tant qu'il l’appuyait. Dès aujourd’hui on prévoit les graves changements qui vont suivre la perte de ce soutien. La session se terminera vite, dans le deuil et dans l’incertitude. Nous entrons dans une phase nouvelle. Je ne sais comment le parti conservateur sortira de la difficulté à propos du système protecteur qui le divise ; mais il faut qu’il en sorte. Le rôle de Disraeli est fini. Celui de Gladstone commence, et le parti prendra un peu la couleur du chef. Mais ce qui me frappe davantage c’est la modification évidente de la position parlementaire de Lord Palmerston, son discours l'a placé à peu près à la tête des orateurs de la Chambre ; on ne le croyait pas capable d'un pareil effort. A cette puissance oratoire il réunit la confiance illimitée qu’il a su inspirer aux radicaux, (moins quelques individus) comme un homme capable, par l'audace et l'absence de principes, de faire ce que John Russel ne fera pas. Il a su déjà maîtriser un cabinet composé d'hommes plus faibles que lui. S’arrêtera-t-il en si beau chemin, sans vouloir monter au sommet de l’édifice ? Ou plutôt, si nous sommes destinés à revoir un Ministère Tory, ne sera-t-il pas poursuivi et renversé par une opposition dont Lord Palmerston serait l’âme et le chef ? C'est assez vous dire que toutes les idées de modification dans un sens opposé à lui ont totalement disparu, et que, par la force des choses, il s’élève au lieu de s'abaisser. En fait de politique étrangère, je le crois cependant disposer à suivre un marche plus régulière et moins dangereuse; plus il aura de vues à l’intérieur, moins il voudra s'embarrasser au dehors. Mais le caractère de l'homme restera toujours le même. Nature sans mesure. Ambition de dominer, sans bornes- destiné peut-être à occuper une plus grande place dans nos annales, mais à donner le signal de nouveaux orages. " Voilà l'Angleterre.
Voici la France; de très bonne source aussi ; un de mes meilleurs et plus intelligents amis dans l'Assemblée; vous ne le connaissez que de nom. " La situation intérieure de notre assemblée sans être bonne encore, me paraît améliorée dans le sens que nous désirons. La tendance à la fusion est beaucoup mieux marquée. Il importe de s’entendre sur la conduite à tenir dans les conseils généraux, sur la composition de la Commission intérimaire qui veillera pendant notre absence. Cette nécessité est comprise. Nous ne pouvons plus nous faire illusion sur les projets de l’Elysée, ni sur les chances de succès qu’il peut trouver dans les divisions du parti monarchique. Le Président médite plusieurs voyages à Lyon, dans l'Est, peut-être à Bordeaux. Il méditait aussi sérieusement le camp de Versailles ; mais on lui a représenté que cette démonstration empêcherait l'assemblée de se proroger... Les légitimistes ne veulent pas plus de deux mois de prorogation. Je crois qu'ils ont raison. Il importerait de hâter nos vacances pour qu’il s'écoulât le moins de temps possible entre la fin de la session des conseils généraux, et notre retour. " Je vous envoie textuellement. C'est plus vrai. Je n’ai rien à ajouter. J’ai passé hier ma journée enfermé dans mon Cabinet ; un temps affreux vent, pluie. Il fait moins mauvais aujourd'hui. J’irai me promener tout-à-l'heure. Après-demain mercredi, je vais passer la journée à Trouville. J’échange l’un de mes jeunes ménages contre l'autre. Adieu, Adieu. Je pense avec plaisir que vous ne voyagez plus. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 13 Juillet 1850
9 heures

Que je suis heureux ! Trois lettres à la fois, des 6, 7 et 8 ! Mais c'est égal ; je ne veux pas de ce bonheur-là ; je le paye trop cher. Je suis au supplice depuis quatre jours. Tout possible, tout, quoique vous ne montiez pas à cheval. Enfin, c’est passé. Vous n'êtes que mal logée et ennuyée. Je n'ai, en ce moment, nulle pitié de vous. Elle me reviendra. Mais il faut absolument qu’Ems vous fasse du bien sans cela, la duperie serait vraiment trop grande.
Essayons de parler d'autre chose. J’avais tant de choses à vous dire ! Vous en perdrez beaucoup. Point par votre faute, j'en conviens. Je soupçonne la poste allemande d'être beaucoup moins exacte et beaucoup plus curieuse que la nôtre. Quand on fait un mauvais coup au moins faut-il le faire vite et sans trop déranger les gens.
L'assemblée se prorogera sur une pauvre impression. Brouillée du dehors avec le public qui parle, et quasi brouillée, au dedans, sur tous ses bancs. Je ne serais pas surpris qu'en fin de compte la loi sur la presse fût rejetée. Elle est devenue absurde. Tracassière et inefficace, c’est trop de moitié. Les légitimistes ont eu, dans ce débat, des inventions pitoyables. Ce qui me frappe de plus en plus c’est la pauvreté et la stérilité d’esprit. Partout, plus ou moins.
Palmerston a eu beau avoir du succès ; son discours est commun, très commun, infiniment au-dessous de la situation et des sujets. Mettez bout à bout huit ou dix articles du Siécle français et du Dayly news anglais sur les questions grecque, suisse, italienne, turque, française ; vous aurez ce discours là, et au moins aussi bien. Ce n’est pas la peine d'être Ministre de la Grande Bretagne et d'avoir le diable au corps pour parler comme les journalistes radicaux écrivent. Et il faut que le public de la Chambre des Communes soit lui-même bien descendu pour se contenter et se ravir à si bon marché. Je vous dirai que c'est là, à mon avis, un symptôme assez inquiétant sur l’Angleterre ; si le parti qui trouve tout cela beau et bon reste ou devient tout-à-fait le parti dominant, vous verrez là toutes les sottises du continent. Je compte un peu sur l’autre parti et beaucoup sur le bon sens et la droiture du public anglais qui ne parle ni n'écrit.
Je reviens à notre assemblée. Elle va donc se proroger, peut-être pas pour bien longtemps. On m'écrit : " Nous ne ferons rien demander par les Conseils généraux ; il y aurait trop de divergence, et cela ferait trop bien les affaires du Président. Diviser la majorité et donner la chasse aux légitimistes, voilà la tendance actuelle, à laquelle ces derniers ne se prêtent que trop. On craint que les votes des conseils généraux ne soient ou présidentiels ou légitimistes. Je crois pour ma part que l'on fait trop d’honneur à notre magnanimité, et qu'en lui donnant le plus grand essor possible, elle n'irait pas au delà d’une révision de la Constitution par voie régulière. Mais à quoi bon ? Et que peut-on faire de cette constitution là sinon de la jeter au feu ? " Vous voyez que les uns prétendent, et que les autres espèrent bien peu.
Autre lettre : " Les légitimistes de l'Assemblée commencent à se demander s’il ne vaudrait pas mieux ne pas voter le budget, avant la prorogation, et se borner à voter les contributions directes comme l'an dernier, pour donner aux conseils généraux leur travail mais réserver le vote du budget des dépenses pour le retour de l'assemblée afin de ne pas faire un lit trop commode au Président, s’il avait quelques velléités pour cet été."
J’ai tout le détail des conversations de Dalmatie, Mornay et St Aignan à St Léonard. Ils sont les derniers revenus. La Duchesse d'Orléans plus traitable, comme plus inquiète. N'évitant pas, provoquant au contraire la conversation : " Vous m'avez dit bien des choses qui m’ont donné à réfléchir. M'avez-vous tout dit ? Dites-moi tout. Vous m’avez parlé de quelque chose à faire ? Qu'entendez-vous par là ? Que faut-il faire ? " De l'humeur contre moi : " M. Guizot veut qu’on se rende à ses idées. Il est bien décidé, et bien pressé. " Même langage du Roi, plutôt moins net et moins explicite. Au fond, même situation.
Je commence à peine à causer avec vous. Pourtant il faut finir. A demain. Je compte bien sur une ou deux lettres. Adieu, adieu, adieu. Il fait beau, et bien plus beau au dedans qu’au dehors. Je me promènerai en respirant au lieu de me promener en étouffant. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 14 Juillet 1850
Sept heures

C’est un plaisir charmant de vous écrire le cœur content. Je puis enfouir bien des choses dans mon cœur sans qu’il y paraisse mais c'est un poids bien lourd.
Nous ne nous sommes pas trompés sur les défauts de Peel ; mais nous n'avons pas prisé assez haut ses qualités, ces deux-ci surtout, son indépendance de tout esprit de parti, et sa préoccupation de la justice envers le masses et de leur sort. C'est là ce que l’a fait grand en lui faisant faire à tout risque, de grandes choses, et ce qui lui vaut aujourd’hui le respect et la sympathie de tout un peuple. Il s'est dégagé des liens qui enchaînent en général les hommes politiques, et il s’en est dégagé pour donner satisfaction aux besoins du peuple, sans s'inquiéter des nécessité du gouvernement. Et il a fait cela en étant un conservateur, un homme d’ordre et de politique sensée et régulière Conduite grande et originale, quoi qu’il n’eût pas dans l’esprit beaucoup d'originalité ni de grandeur.

10 heures
Votre lettre du 9 m’a interrompu. Je ne m’en plains pas. J’ai beaucoup à vous dire encore sur Peel. J'y reviendrai. Je reçois une longue lettre de Lord Aberdeen revenant de Drayton. « It was a sad ceremony ; and to witness the change in that happy résidence, in which I had experienced so much friendship, and had seen so much wisdom, prudence, and integrity of character, required more philosophy than I possessed. " Des détails sur le sentiment public envers Peel. Puis ceci : " His last speech was most important. It was made reluctanly and he greatly dreaded the defeat of tre Govern. ment. From his previous silence, had it not been delivered, the government could have maintained and the public would have believed that he approved of their foreign, as well as of their domestic policy. His manifest reluctance and the moderation of hir manner rendered his censure most effective. " Discussion toujours profonde, quoiqu'avec moins d’aigreur, dans le parti conservateur ; pas de conciliation sur les questions de free trade. Conclusion : " Radicalism is here in the ascendant ; but I am inclined to think that there will be more prudence than we have lately witnessed, abroad. "
Autre lettre intéressante de Mistriss Austin " Lord John's speech was far worse than Lord Palmerston's, and calcutated to do great mischief. Every body speaks of Lord Palmerston's as the most wonderful effort of oratory, considering his age, the heat, and all there was to [?] his difficulties. During five hours, he never faultered, never recalled a word never drank a drop of water, and left off with the very same intonation of voice as he began with. How lamentable that such powers are se employed ! People seem to think that in spite of the " triumph " of tne government, the system of foreign policy has received a severe and salutary, check and that even he will not risk another such struggle. If there were any bounds to human credulity, one might be amazed at hearing sensible men (as I did) talk of " all this being the result of a conspiracy. " I asked in vain what means you, and M. de Metternich, and Princess Lieven, possessed of influencing the mind and opinion of the English - for I maintain that the public was against the government. Nobody can answer. Yet they continue to assert it. We are very much ashamed of the vulgar blustering tone of the speacher en that side." Elle est liée avec Cobden, Sir W. Molesworth, tous ces chefs radicaux qui ont parlé et voté contre Lord Palmerston, malgré leur peuple. Voilà l'Angleterre. Demain, je vous enverrai de la France.
J’ai, ce matin, de Paris, de bonnes nouvelles de vous, par Kisseleff. Votre fils Alexandre était arrivé. Adieu, Adieu, Adieu. Vos lettres arrivent affranchies. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 16 Juillet 1850

Voici, à Paris la disposition d'avant hier, comme me l'écrit un des meilleurs juges : " Tout le monde dort et veut dormir. Les légitimistes seuls se tiennent les yeux ouverts, mais pour faire cent sottises. Ce pauvre Berryer me racontait tout à l'heure ses douleurs. Sa seule ambition, pour le moment, serait de leur rendre l'humeur un peu plus douce pour les personnes, de leur donner un peu de liant de confiance, d'abandon, avec nous autres ; et puis on verrait après. Mais non ; c’est plus fort qu'eux ; ils ont vécu d'absinthe, et ne veulent plus d’autre boisson. Le seul remède, selon Berryer, c’est de se séparer, c’est la prorogation de l'assemblée ; mais en la demandant, il éveille les soupçons. Vous voulez donc nous vendre au Président ? Quelles pauvres gens qui ne peuvent ni faire, ni laisser faire ! Et pourtant qu’y a-t-il de possible sans eux ? " " Thiers est revenu de Lille et de Valenciennes. Il s'est aperçu en chemin de fer que le pays voulait se laisser faire, et il m'a l’air d'avoir envie de faire comme le pays. "
Vous voyez que cela s’accorde avec vos pressentiments. La lettre d'Ellice est curieuse. Il a de l'esprit. Je suis de son avis ; je ne partage pas l’espoir d'Aberdeen que Palmerston, plus puissant au dedans, sera plus prudent au dehors. Palmerston s'est donné aux radicaux et les radicaux à lui. Les radicaux l'ont déjà payé ; il faudra bien qu'il les paye à son tour. Si Kossuth, Mazzini et Ledru Rollin étaient encore en action chez eux, sur le champ de bataille révolutionnaire, je serais très inquiet ; Palmerston les aiderait. Mais ils sont battus, et fugitifs chez lui ; il se contentera de les ménager. Pour le moment cela lui suffit. Faut-il vous renvoyer la lettre d'Ellice ou vous la garder ?
A-t-on à Ems le Quarterly Review ? Lisez, dans le numéro de Juin qui vient de paraître, un grand article, on the austrian revolution. C’est un résumé intéressant. Je suppose que c'est de mon ami le Dr Travers Twiss. Il est allé naguère à Bruxelles. Je vous avais recommandé sa brochure sur les affaires de Hongrie. L’avez-vous lue ?
L'article d'Albert de Broglie sur M. de Châteaubriand met en grande colère les débris de la coterie de Mad. Récamier. Ils s'indignent qu'on touche à leur idéal. Il faut être jeune pour être idole. M. de Chateaubriand ne se consolait pas de vieillir. Il avait raison.

9 heures
Certainement, je vous plains, et vraiment il y a de quoi avoir froid toute seule, c’est très triste. Prenez Ems en horreur tant que vous voudrez, mais non pas vous-même, je ne vois pas le lien nécessaire de ces deux haines. Dites-moi au moins si les eaux que vous buvez vous font du bien. Quelle est la nature de ces eaux là, ferrugineuses sulfureuses, gazeuses, alcalines, salines ? Comment s’appelle le médecin des eaux ? Quand vous êtes quelque part, j’ai envie de savoir tout ce qui y est.
Ma lettre à l’Institut réussit très bien, la démarche et la lettre. Que je fais bien de me tenir en dehors de tout ! Certainement Lady Alice, vous a écrit. Sa lettre aura été retenue quelque part. J’ai reçu d'elle une réponse très amicale. Ma lettre lui avait fait plaisir. Adieu, adieu. Je voudrais vous envoyer de quoi remplir votre journée de quoi échauffer votre chambre. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 17 Juillet 1850
Sept heures

J’ai aussi mes ennuis, que je ne compare pas aux vôtres. Je mène aujourd hui Pauline faire à Lisieux ses visites de noce. J'ai déjà fait cette corvée avec Henriette, heureusement, beaucoup de personnes sont à la campagne.
La loi de la presse est une mauvaise affaire. Je doute qu'elle passe. Au dernier jour, toute la montagne et le tiers parti, qui ont voté pour les amendements, voteront contre la loi, avec tous les mécontents et tous les timides du parti modéré, légitimiste et conservateur. Et si elle passe ce sera encore une mauvaise affaire. L’assemblée se sera brouillée avec la portion bruyante, et parlante de son propre public, avec les gens qui se sont battus pour elle, dans les départements comme à Paris, avec les honnêtes comme avec les malhonnêtes avec les sages comme avec les fous. Cela ne se peut pas. On retrouvera cela au jour des élections. Il faut avoir une armée, et des sous-officiers dans cette armée, et des braves, quelques fois embarrassants et compromettants, parmi ces sous-officiers. Je crains que nos amis les Burgraves n'aient fait là une mauvaise opération, et que cette loi ne coûte beaucoup plus qu’elle ne vaut. A moins qu'elle ne vaille à l'un d'eux les bonnes grâces de Mad. Kalergi. Mais je ne suppose pas ; n’est-elle pas toujours radicale ?
Je trouve que c’est beaucoup d'appeler la mort du Duc de Cambridge une catastrophe. A cela près que celle-là est connue de tout le monde, il n’y a guère de mort plus insignifiante. Comme sa vie. Du reste j'ai été bien aise de voir les témoignages de respect officiel pour son nom et sa veuve, les discours, les adresses du Parlement et du public. Tout respect est bon et devient presque d’autant plus frappant que la personne n’y entre à peu près pour rien.
Peu ou beaucoup, je suis bien aise que vous ayez Constantin et sa femme. Ce sont des soins, si ce n’est pas de la conversation. On me dit, quoiqu’il me dise lui-même le contraire, que Duchâtel n’ira pas en Allemagne. C'est assez pour lui de prendre les eaux de Carlsbad à Paris et il est plus préoccupé de sa propre santé, qui est bonne, que de celle de sa femme qui me paraît, à moi, très inquiétante. J'ai peur qu’il n'aime vraiment que lui-même. Avec sa disposition à s'ennuyer, c'est bien lourd. La préoccupation de soi-même ajoute à l'ennui, bien loin d'en distraire. Savez-vous ce qu’il faut faire pour se désennuyer ? Relire les Mémoires de St Léonard. Moi qui ne m'ennuie pas, je fais cela le soir, et je ne m'en lasse pas. Je conviens qu’il faut avoir des yeux. Comment vont les vôtres ? S'ils vont assez bien, ne me le dites pas par ménagement. Je comprendrai votre silence.
Comment fait-on l'hiver à Ems, dans des maisons sans poêle ni cheminée ? Est-ce que personne ne vit là en hiver ?
Voici une note qui m'est fort recommandée par des gens que je serais bien aise d'obliger. Excusez le constitutionnalisme des deux premiers paragraphes. Je connais le Général Rybinski, brave homme, ce qu’il y a de plus honnête et de plus tranquille dans l'émigration polonaise. Il me semble que l'Empereur, n'est pas mal disposé pour lui et les siens. Il s'agit uniquement d'aider de pauvres jeunes filles à ne pas mourir de faim. Pouvez-vous, quand vous verrez Constantin lui en dire un mot, et pourra-t-il en dire ou en écrire un mot au Maréchal Paskéwitch ?

9 heures
Votre visite au Prince et à la Princesse de Lippe Schaumbourg Bückebourg met le comble à ma compassion. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 18 Juillet 1850
6 heures

C'est aussi l’heure où vous vous levez, me dites-vous. Que faites-vous à cette heure-ci, aujourd’hui ? Quand vous vous le rappellerez, au moment où vous recevrez ma lettre, la vôtre ne me le dirait que dans huit jours. On aura beau inventer les chemins de fer, les ballons ; on ne supprimera pas l'absence. Je n'ai guère plus de nouveau à vous envoyer d’ici que vous d'Ems à moi.
J’ai fait hier mes visites à Lisieux, par la pluie. Je suis frappé de ce qu’il y a de tranquillité et de ce qui revient de prospérité matérielle dans le pays. Cette société est aussi habile à se défendre du mal qu’inhabile à conserver le bien. Il est vrai qu'en fait de prospérité comme de sécurité, elle se contente à bon marché. Toutes ces existences sont très petites pour la richesse comme pour l’esprit, et elles se soucient peu de devenir grandes, sous l'un ou sous l'autre rapport. Quand on a gagné assez d’argent pour vivre sans rien faire dans sa petite maison de ville ou de campagne, on se trouve assez riche. Quand on sait faire ses comptes et lire son journal, on se trouve assez spirituel. Jamais l’ambition n'a été si courte et si basse. Les proverbes ont toujours raison : on est punis par où l'on a pêché.
Voici où ce mot puni me mène tout à coup à M. de Lamartine. Bien des gens le trouvent bien puni. Je trouve qu’il ne le sera jamais assez. Vous vous rappelez l’article de Croker dans le Quarterly review sur l’évasion du Roi après Février, et la réponse qu’y a faite M. de Lamartine et dans laquelle il a raconté qu’il avait voulu, comme gouvernement provisoire, faire sortir le Roi en sûreté, qu’il était allé trouver M. de Montalivet, qu’il lui avait demandé où était le Roi, et lui avait offert, sur son honneur, de le faire conduire hors de France par quatre commissaires qu’il lui avait nommés, M. Ferdinand de Lasteyrie, M. Oscar de Lafayette, et deux de ses amis personnels, M. de Champeaux ancien officier dans la garde royale, et M. d'Argaud, attaché aux Affaires étrangères. Croker ne lâche pas prise aisément ; il est allé au fond de tous ces dire ; il a questionné le Roi, et par le Roi, M. de Montalivet. Il publie dans le nouveau n° du Quarterly review une réponse à la réponse de M. de Lamartine, et, il affirme que les quatre commissaires proposés par M. de Lamartine à M. de Montativet étaient, Lasteyrie et Lafayette, oui, mais au lieu des deux derniers nommés dans la réponse, MM. Flocon et Albert, [ouvriers] ! Peut-on concevoir un tel mensonge ? Car entre les deux assertions, je crois à celle de Montalivet. M. de Lamartine s’en tirera par l'absence. Il est à Smyrne. Le Quaterly review ne va pas là.
Voilà un petit désagrément pour Palmerston. C'est encore la Duchesse de Montpensier qui hérite du trône d’Espagne. Si la Reine d'Espagne mourait demain, il aurait de la peine, malgré ses 46 voix de majorité, à faire faire la guerre par son pays pour empêcher l'Infante de succéder. Car elle succéderait en Espagne sans difficulté ; les progressistes seraient les premiers à la reconnaître et Narvaez est toujours là.

9 heures.
Voilà votre lettre. Je n’en ai absolument aucune autre. Quand j’ai celle-là, j’attends les autres patiemment. Comment ne savez-vous pas encore que j’ai été cinq jours sans lettre ? Nous sommes bien loin. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 21 Juillet 1850

Vous dites que votre cure finit le 5 août. Je ne croyais pas que ce fût si tôt. C’était en août et plutôt vers le milieu que dans les premiers jours que je me promettais d’aller vous voir. J’ai besoin d’être ici le 6 août, pour affaires, affaires de la localité et affaires à moi qui doivent réunir quelques personnes. J’attends deux ou trois visites d’ici à la fin de Juillet. J’aimerais donc mieux la dernière quinzaine d’août que la première. Voici quel était mon désir et mon plan. Guillaume aura, je l'espère, des prix au grand concours de l'université, le 17 août. Je n’ai jamais manqué d'aller le voir couronner. Je n’y voudrais pas manquer à présent qu’il est grand et que mons influence sur lui est de plus en plus nécessaire. J’irais à Paris le 12 août, et j'en repartirais, le 13 au soir pour aller vous trouver, en passant par Bruxelles, là où vous seriez sur les bords du Rhin, Ems, Bade, ou ailleurs. Je serai charmé de voir Aberdeen, mais je doute qu’il vienne et en tous cas, ce n’est pas lui que je vais chercher. Quel ennui que cette distance qui empêche de rien concerter. Je n'aurai réponse à ceci que dans six jours. Je vais tâcher de m’arranger pour ne pas l'attendre et pour aller vous voir à Ems dans les derniers jours de Juillet de les premiers d'août toujours obligé d'être ici de retour le 6, au moment où vous quitterez Ems. Je voudrais bien savoir où vous serez après. Je comprends que vous n'ayez nulle envie de passer le mois d'août à Paris. Il n’y aura personne; pas un de vos amis Français, et bien peu du corps diplomatique. La dispersion sera encore plus grande cette année que de coutume. Tout le monde est excédé.
Va-t-on de Paris à Ems en deux jours quand on ne s'arrête pas? Je suppose qu'on n’arrive à Ems que le troisième jour. Je vais faire demander cela à Paris. Les jeunes Broglie et les d’Harcourt sont venus hier de Trouville, passer la journée ici. Ils sont aimables et en train. J’ai une lettre de Madame de Ste-Aulaire qui me presse d'aller la voir à Etiolles. A la bonne heure l’automne prochain, quand nous serons tous rentrés à Paris.
Un M. Alexander Wood m'a apporté hier une lettre de Gladstone très amicale et qui contient ceci : « Through Lord Aberdeen, I have had the high gratification of learning that you approved of the sentiments which I made bold to express on the occasion of our late debate respecting foreign affairs. They were spoken with great, sincerity. They were confortable, I believe, not only to the declared opinion of one of our houses of Legislature but to the real, though undeclared and latent opinion of the other. The majority of the house ef Commons was with us in heart and conviction ; but fear of inconveniences attending the removal of a Ministry which there is no regularly organized opposition ready to succeed, carried the day, beyond all substantial doubt against, the merits of the particular question. " Après tout, je crois que c’est bien là le vrai, et que la victoire de Lord Palmerston n'est ni de bien bon aloi, ni bien définitive s’il recommence. Et je suis persuadé qu’il recommencera.
La poste est en retard ce matin. Non pas vous, mais toute la poste. Je ne comprends pas pourquoi. Il n'y a point de sûreté ; on peut tous les jours apprendre de Paris je ne sais quoi. Je vais faire ma toilette en attendant, et avant de vous dire adieu.

Onze heures
Voilà le facteur qui a été retardé. Il faut qu'il reparte tout de suite. Je n'ai que le temps de fermer ma lettre. Adieu, adieu.
Le mercredi 17 ou au plus tard le 18, vous aurez été délivré de mon inquiétude. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Lundi 22 Juillet 1850
6 heures

Décidément, tout calcul fait, je dois recevoir aujourd’hui votre lettre délivrée de mon inquiétude. J’en suis presque aussi impatient que vous l’avez été vous-même.
J'ai reçu hier aussi le petit mot envoyé à Strybes. Je ne sais plus où j’en suis resté avec vous sur sir Robert Peel. J’ai été interrompu un jour où je vous parlais de lui. J’avais mille choses à vous en dire qui me reviendront. Sa grandeur actuelle est très grande. Un doute reste sur sa grandeur future. Si son pays et son gouvernement demeurent intacts, si cette belle organisation sociale se modifie, sans se briser. Peel grandira encore, car il aura eu raison dans ce qu’il a fait ; il aura bien jugé de la portée de ses réformes puisqu'elles n’auront pas ébranlé les fondements de l’édifice, si l’édifice tombe si l'Angleterre aussi entre en révolution, Peel descendra comme son pays car il aura fait ce qu’il ne voulait pas et ses réformes auront commencé les révolutions qu’il se promettait d'écarter. La question est là pour lui. Je ne la préjuge point. Je ne vois pas clair dans cet avenir. A vrai dire j'espère plus que je ne crains. Je crains pourtant. Reeve m'écrit : " Sir R. Peel a laissé des écrits considérables sur l'histoire de son temps et il a nommé Lord Mahon et Cardwell ses exécuteurs littéraires (vous le saviez). Ces écrits doivent être livrés à la publication puisqu'il a déclaré que les profits qu’on en retirerait seraient au bénéfice du Literary Found. Il paraît que, depuis trois ans c'était là sa principale occupation. On sent tous les jours davantage la place immense qu’il remplissait dans ce pays ; mais depuis sa mort les whigs sont devenus sinon plus forts, du moins plus inévitables. Lord Palmerston paraît très disposé à profiter de la dernière leçon qu’il a reçue ; il renonce the Devil and all his works, et jure qu'on ne l'y reprendra plus. Sa conduite dans l'affaire danoise est devenue tout à coup excellente et très ferme. Sans attacher à ces manifestations plus de prix qu'elles ne méritent, il est sage, je crois de les accepter comme si elles étaient les fruits d'une conviction. "
Mêmes nouvelles de Paris. On ne songe plus qu’à s'en aller. On s'en ira du 8 au 10 août. Je suis assez curieux de la commission permanente qui sera nommée aujourd’hui. Piscatory m'a écrit qu'il n’en voulait pas être. Il prévoit qu’elle pourra se trouver, dans une situation embarrassante. Peut-être eût-il eu quelque peine à en être nommé, si la liste que j'ai vue dans mes journaux d’hier, comme arrêtée par la réunion du Conseil d'Etat est authentique, elle est faite en méfiance du Président, et pour le surveiller en effet. Les républicains et les légitimistes y sont nombreux. L'assemblée a certainement perdu dans ces derniers temps. Mais peu importe elle est comme le Président ; ils peuvent perdre impunément l’un et l’autre ; ils sont, l'un et l'autre, le rempart contre l'anarchie, et il n'y a pas de rechange
L'article sur the Austrian révolution dans le Quarterly review est de Reeve. Il mérite que vous le lisiez. Rien de neuf ; mais un bon tableau des faits de Vienne ; clair et d’un bon effet. Je suppose que M. de Metternich en est content. Mais avez-vous à Ems le Quarterly ? [...]

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Mardi 2 juillet 1850

Je vous écris encore à Paris puisque vous le voulez ; mais vous serez partie quand ma lettre arrivera, puisque vous partez aujourd'hui. Je suppose que vous laissez en arrière un de vos gens qui vous l’apportera. Demain à Ems. Oui, c'est bien loin. Que cela serve au moins à votre santé.
Si les grandes puissances sur le continent et l'opposition en Angleterre gardent envers Lord Palmerston l'attitude qu'elles ont prise, son succès ne lui servira de rien. Il n’y aura même pas de mal à ce que cette situation se prolonge un peu. On verra le radicalisme de Palmerston se développer ; et on sera en état de l'arrêter si le danger devient trop grand. Mais je crains les faiblesses, les désunions, les distractions.
J’ai eu hier la visite du gendre de M. de Villèle, M. de Neuville qui a quitté pour quelques jours l'Assemblée. Il se fait un travail de décomposition dans le parti légitimiste ; les modérés et les emporté ont bien envie de ne plus rester ensemble. Les emportés prennent pour texte l'influence de Thiers sur Berryer, ce qui les remplit de méfiance. Rien ne fait faire aux partis plus de sottises que la méfiance. Ils sont connaisseurs qu'après la prorogation, dès le mois de novembre prochain, on leur proposera la prolongation des pouvoirs du Président. Je ne crois pas que Berryer et les modérés s'y prêtent. Mais les emportés craignent des désertions. L’esprit politique a bien de la peine à pénétrer dans ce monde-là. Je vais écrire à deux ou trois de mes amis pour leur recommander de m'écrire régulièrement et de me dire les nouvelles. Rien autant pour vous les envoyer que pour les avoir. Il y aura, je crois, peu de nouvelles. Nous entrons dans une période de stagnation. Vous arrêterez-vous à Bruxelles ? Je le voudrais. Adieu, adieu.
Le temps d’aujourd’hui convient pour votre voyage. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 25 juillet 1849
8 heures

C’est évidemment à cause du Dimanche que je n'ai pas eu de lettre hier. Dans mon impatience, j’avais mal fait mon calcul. La poste n'est pas partie de Londres dimanche.
La petite scène du Havre a bien tourné. De bons juges m’écrivent de Paris : " Tout compté et bien compté, ce n'est point à regretter. Puisqu'il n’y a rien eu de grave autant vaut au risque de quelques embarras et de quelques inquiétudes, que vos éternels adversaires vos ennemis naturels aient fait la faute de provoquer ce qui a houleusement échoué. Il ne faut pas regretter l'éclat qu’ils ont donné à votre rentrée. Votre retour en France est un fait considérable. Il est considérable pour vos amis comme pour vous-même, en raison de votre passé et probablement aussi en raison de vôtre avenir. On l’a compris on le comprend, et l'on n'a pas su dissimuler sa mauvaise humeur. Encore une fois, tant mieux. "
Je n'ai encore lu Aberdeen et Brougham que dans le Journal des Débats. Mais ce que j'ai admiré, c’est Lord Palmerston sur l’Autriche. Quel aplomb, pour parler poliment ! Il a raison, puisqu'on l’écoute sans lui répondre. Il y a des gens qui lorsqu'ils ont fait des sottises en disant leur mea culpa, comme M. de Montalembert. Lord Palmerston se glorifie, en s’indignant qu'on l'ait cru capable de ce qu’il a fait. Vous voyez bien que le Pape rentrera à ses propres conditions. Pas plus à Paris qu'à Vienne, on ne lui demandera de partager sa souveraineté. J'étais bien violemment attaqué il y a dix-huit mois pour avoir écrit à M. Rossi qu’il ne devait ni ne pouvait le faire. Que de peine se donnent, et que de mal se font les hommes avant de revenir à l'idée juste qui leur aurait tout épargné. Adam Smith dit quelque part : " Telle est l’insolence naturelle de l'homme qu'il ne consent à employer les bons moyens qu'après avoir épuisé les mauvais. "
Je reçois toujours beaucoup de visites. Evidemment ; mes amis n’ont pas peur. Comme je ne mettrai pas leur courage à l'épreuve, il aura le temps de s'affermir. J’attends demain Armand Bertin. vous ne me donnez pas assez de détails sur votre santé. Je les demande à moins que vous ne me disiez que, moins vous en parlez mieux vous vous portez. Votre superstition peut seule me faire accepter votre silence.
Le beau temps a disparu. La pluie revient dix fois par jour. Je me promène pourtant. Les bons intervalles ne manquent pas. Je me lève de bonne heure. J’écris ; ma toilette, la prière. Nous déjeunerons à 11 heures. Promenade. Je fais mes affaires de maison et de jardin. Je remonte dans mon cabinet à une heure. J'y reste, sauf les visites. Nous dînons à 7 heures. Je me couche à 10. Quand le flot des visites se sera ralenti, j'aurai assez de temps pour travailler. Je veux faire beaucoup de choses. Adieu jusqu'à la poste.
Je suis bien aise que votre fils soit revenu. N'allez pourtant pas souvent à Londres si le choléra y persiste. Je crois que vous pouvez affranchir vos lettres. Mes filles en reçoivent souvent de leurs amies Boileau qui arrivent très exactement. Je vous le dis sans scrupule, car je suis écrasé de ports de lettres. Si nous apercevons la moindre inexactitude, nous cesserons.

Onze heures
Deux lettres. Le dimanche et le lundi viennent ensemble le Mercredi. Vous avez raison. Deux lettres et une seule enveloppe. Et deux lettres longues, charmantes. Adieu. Adieu. La poste m’apporte je ne sais combien de petites affaires qu’il faut faire tout de suite. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 23 Juillet 1850

Si je me guérissait de mes passions, les Assemblées, ne seraient pas la seule dont j’aurais à me guérir. J’aime mieux rester comme je suis. A tout prendre en France du moins, et depuis 1814, les Assemblées ont empêché plus de mal qu'elles n’en ont fait. Sans elles en 1830, et en 1848, le démon révolutionnaire aurait triomphé. Elles l'avaient bien un peu encouragé ; mais elles le lui ont fait bien payer après. Je viens de parcourir tous mes journaux. Je n’y trouve rien. La nomination de la commission permanente sera le dernier acte. Et puis nous serons trois mois sans assemblée. Je souhaite de tout mon cœur que nous soyons mieux dans trois mois qu'aujourd’hui. Je suis bien aise que l'article d’Albert de Broglie vous ait plu. Mais maintenez vos critiques. Je les trouve très justes.
L'homme aux mémoires est bien Saint-Simon. Quoiqu'il écrivit encore sous et sur la Régence, c’est le 17ème siècle qu’il raconte le plus. Louis XIV et sa cour. J'en lis tous les soirs 30 ou 40 pages, là et là à mes enfants. Cela les amuse parfaitement. Je n’ai pas lu les Sophismes en frustrade dont vous parle Marion. Si cela en valait la peine, je les ferais demander. J’ai demandé s'il y avait déjà quelque chose d'un peu complet sur Peel. On me répond qu'il y a un livre, publié, il y a deux ou trois ans par un Dr. Cooke Taylor " Sir Robert Peel and his Times." Vous n'avez surement par entendu parler de cela.
J’ai des nouvelles de Ste Aulaire. Il me dit qu’Horace Vernet, raconte que votre Empereur est toujours charmé de la République en France et surtout partisan zélé du général Cavaignac. C'est sa plus grande nouvelle. Vous voyez que je suis à peu près aussi stérile qu'Ems. Adieu. Adieu. Voilà enfin le soleil revenu. La pluie nous a accablés pendant quelques jours. Adieu. G.

Midi
Je rouvre ma lettre. Je viens d'avoir une visite qui me rend ma liberté pour le 6 août. J'irai donc vous voir à présent. Je partirai d’ici samedi prochain 27. Je serai dimanche matin, à Paris. J’en partirai le soir ou lundi matin pour Bruxelles et je serai à Ems mardi soir 30 ou mercredi Il. J’y passerai huit jours avec vous. Il faut que je sois à Paris, dans la journée du 11. Si Aberdeen vient à Ems, tant mieux. Sinon encore tant mieux. Grand plaisir que cette petite course. Adieu, adieu.
Soyez assez bonne pour m’assurer à Ems un petit logement. J’aurai avec moi un domestique, Adieu encore. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Mercredi 24 juillet 1850
7 heures

Partant dans quatre jours pour aller vous voir, il me semble déjà que ce n'est plus la peine de vous écrire. D’aujourd’hui en huit, nous causerons, s'il plaît à Dieu comme disent toujours mes amis anglais, qui ont raison. Certainement, nous avons beaucoup à nous dire ; il n’y a point de temps si stérile en événements qui le soit, entre nous, pour la conversation. Et puis, on appelle aujourd’hui stérile toute semaine qui n'amène pas quelque grosse chose. Je me défends de cette disposition qui est, au fond, celle qui fait faire, de nos jours, tant de sottises. Je tâche de ne pas m'ennuyer de ce qui dure et de contenter ma curiosité à meilleur marché que des révolutions.
J’ai des nouvelles de Rome. Le Gouvernement du Pape ne s’y rétablit guère ; mais l'ébranlement s’apaise. On oublie le passé et l'avenir. On vit au jour le jour, en rentrant dans les anciennes habitudes. C’est un repos qui reste à la merci d'une poignée de conspirateurs et d’une occasion. Le Pape est dans Rome, mais Mazzini n’est pas vaincu. Il faudra que l’armée française reste là longtemps. Et quand elle quittera Rome elle restera encore longtemps à Civita Vecchia. Personne n’y pense et ne s'en soucie. Lord Palmerston aurait bouleversé, l’Europe pour me chasser de là. Peu lui importe que la République y soit. Il a raison. La République, pour garder Rome, n'en est pas plus puissante en Italie ; pas plus que la sentinelle qui garde la Banque n'en possède les trésors. Quand les révolutions sont à la porte, les gouvernements ne sont plus que des sentinelles. La question italienne est insoluble. Autrefois, on se résignait aux questions insolubles ; on cessait d’y penser. Aujourd'hui, on ne se résigne à rien : on pense toujours à tout. Aussi la force matérielle doit être toujours partout. L’Etat de siège devient l'ordre Européen.

10 heures
La Commission permanente est nommée bien péniblement, et bien mêlée. L'opposition légitimiste et montagnarde a fait passer plusieurs des siens. Le gâchis augmente. La nouvelle querelle de Changarnier avec le Ministre de la guerre est encore replâtrée, mais cela ne peut guère aller loin. Le Président, ne pourra pas soutenir toujours d’Hautpoul.
Ce que vous me dites d'Angleterre me préoccupe. Si la Chambre des communes se met aussi à démolir son propre gouvernement, cela finira par mal tourner. Adieu, adieu. J’ai plusieurs petites lettres à écrire et mon facteur ne peut pas attendre longtemps aujourd’hui. Adieu G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Jeudi 25 Juillet 1850

La poste me traite ici cette année avec une grande courtoisie ; elle envoie un facteur au Val Richer exprès pour moi. Il vient directement, chargé de mes seules lettres et attend quatre heures avant de repartir. Comme au temps de ma puissance. Cette faveur a été sans doute l'objet de quelque hésitation, car deux ou trois fois, elle a été suspendue. Je suis rentré dans la foule ; le facteur faisait une tournée de canton, arrivait ici tard et repartait presque aussitôt. Il paraît qu’on s'est enfin tout à fait décidé pour la bonne grâce. Le facteur me le dit. J’en suis fort aise, et je témoignerai de quelque façon au directeur général que j’y suis sensible.
On annonce la convocation des Conseils généraux pour la fin d’août, quinze jours ou trois semaines après le départ de l'Assemblée. Ils se préparent fort tranquillement. C’est évidem ment une institution plus enracinée dans le pays que beaucoup d'autres, les propriétaires y ont goût et confiance, sans distinction de partis. Si les Conseils généraux exprimaient vivement et généralement quelque voeu, faisaient quelque démarche cela aurait assez d'autorité. Mais ils ne feront, cette année, rien de semblable ; point d'impulsion forte ni générale, point de but précis. Ils resteront à peu près, dans la même ornière que l’assemblée et le gouvernement. Il n'en résultera rien.
Je suis frappé de l’ignorance où vous êtes, vivant en Allemagne, sur les affaires d'Allemagne. On y pense donc bien peu en Allemagne. Car enfin, quoique vous n'ayez à Ems personne de bien amusant, vous y avez du monde. Si vous étiez à Plombières ou à Vichy, vous entendriez bien autrement parler des affaires de France et de Paris. Les plus froids et les plus sots en seraient sans cesse occupés. Il faut qu’il y ait au delà du Rhin bien peu de public et de publicité politique. Ce qui se passe à Vienne et à Berlin mérite fort à coup sûr qu’on y regarde. Pour moi, je suis avec un vif intérêt la réorganisation de la Monarchie autrichienne et les soubresauts rusés et vains de l'ambition prussienne. Vous avez raison ; petit pays, excepté pour les savants et pour les Chambellans. Vous me ferez voir le Rhin. Je ne le verrai probablement jamais sans vous.

9 heures
Précisément aujourd’hui vous me donnez sur l'Allemagne, des renseignements intéressants. Ce que vous me dites a l’air vrai. Vous voyez que la nomination de la commission permanente est devenue tout-à-fait une affaire. Sans conséquence, comme tout aujourd'hui, mais qui excite vivement les passions ce qui se croit des passions. L’Elysée y est battu ; ce qui ne servira de rien à l'Assemblée.
Je trouve le discours de Lord Palmerston au reform Club meilleur que son discours à la Chambre des communes. Plus vif, et plus original. Je suis assez frappé qu’aucun de ses collègues ne soit allé à ce dîner. C’est probablement d'accord avec lui.
On me dit que le Vice Président des Etats-Unis, M. Fillmore est un homme très distingué, beaucoup plus distingué que le Général Taylor. Le choléra en veut aux Présidents américains. Deux en quelques années. Les rois d’Europe ont été plus ménagés.
Le petit article du Constitutionnel sur la première communion du Comte de Paris est intéressant. Mais évidemment le Roi est toujours bien faible. J’aurai un de ces jours de ses nouvelles avec détail. Adieu, adieu.
Je crois un peu que les eaux d’Ems sont un humbug. Je l’ai entendu dire. On envoie là les personnes à qui on ne veut ni bien ni mal. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, lundi 12 août 1850

Les Sainte-Aulaire ont été charmés hier de me voir. Ils m'attendaient au bord de la rivière que j'ai passée dans un petit bateau comme celui dont vous n'avez pas voulu sur le Rhin. Mais quand nous irons ensemble, nous n'userons point du petit bateau ; avec vingt minutes de plus on passe sur le pont de Corbeil. Rien que Mr et Mad. d’Harcourt, M. de Viel-Castel, M. Raulin, un M. de Kermarer, représentant et parent de Sainte-Aulaire, et moi. Amicale et agréable conversation. Il écrit ses mémoires avec passion. Elle a bien de l’esprit. Fusionniste, plus décidée que personne ; ne comprenant pas qu’on ne le soit pas si on est sensé et honnête. Ils sont bien établis. Ils resteront là jusqu'au 15 Janvier. Leurs enfants viennent alternativement leur tenir compagnie. Les d'Harcourt vont en Angleterre à la fin du mois, pour quelques jours le mari pour son héritage, la femme pour rendre ses devoirs à la Reine.
J’ai eu hier une longue lettre de la Reine, ancienne (25 Juillet) ; elle m'a été apportée par quelqu’un qui a fait de longs détours. A ce moment quoique après la fatigue de la première communion de M. le comte de Paris le Roi continuait d'aller mieux. Du moins la Reine le croyait et me le dit. Elle me remercie vivement de l’article de M. de Lavergne dans la Revue des deux mondes. Evidemment cela leur a fait un grand plaisir. Ils seront à Richmond samedi prochain 17.
J’ai oublié de vous dire qu’en passant à Bruxelles, j'ai redit au roi Léopold ma conversation chez vous avec le comte Chreptovitch. Vous vous la rappelez. Il en a été charmé. Van Praet m'a dit que le Général Skrinesky (est-ce le nom ?) n’était plus employé dans l’armée Belge. Il est en retraite. Ils n’ont plus dans l’armée que sept ou huit officiers Polonais dont il leur serait assez facile de se débarrasser. Il ne leur faut qu’une occasion naturelle, qui peut se présenter. Du reste, j’ai trouvé la Belgique, non pas agitée mais assez troublée de la retraite du Ministre de la guerre, retraite forcée par les susceptibilités et la mauvaise humeur de la garde civique de Bruxelles. Le 23 Février sans révolution. Il m’a paru que cela inquiétait les gens d'esprit. Là aussi, il y a de bien mauvaises idées et habitudes qui ne fermentent pas et n'éclatent pas tout de suite, comme en France, mais qui couvent et pourraient bien jouer quelque mauvais tour.
J’ai eu hier la visite de votre ministre des Finances, Achille Fould. Assez tranquille sur l'année 1851, sauf les trois derniers mois. C'est alors qu’il faudra prendre son parti. Le Président part ce matin. A tout prendre on croit que les manifestations favorables l'emporteront sur les manifestations hostiles. Je le crois aussi. Le second dîner militaire à l'Elysée (320 couverts, officiers et sous officiers, pêle-mêle, un choix dans deux régiments de ligne) a été plus tranquille que le premier à vrai dire assez froid. Je doute et on doute que cette pratique continue. Elle réunit médiocrement auprès des acteurs et déplait beaucoup au public spectateur. Je suis allé voir hier Kisseleff que j'ai trouvé sensé et content selon son usage. Il paraît croire d'après des nouvelles très récentes de Péterstourg que décidément l'Impératrice ira passer l'hiver à Venise. Il ne m'a rien dit de M. de Brünnow. Le Roi Othon a été très satisfait du résultat des débats de Londres. C’est à Athènes une reculade, avérée pour l'Angleterre et Lord Palmerston. M. Thouvenel a un congé de trois mois. Mais il reste Ministre à Athènes et en bonne position. M. Drouyn de Lhuys écrit que Lord Palmerston n’est pas reconnaissable, doux, patient, craignant les affaires. s'y prenant de loin pour les éviter et demandant qu'on l'aide à les éviter.
Adieu. Adieu. J’espère que vous êtes bien établi à Schlangenbad. Je pars demain soir pour Trouville. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville. Mardi 20 Août 1850

J'ai bien des lettres d'Angleterre. Je commence par la plus intéressante. Lord Aberdeen m'écrit de Haddo. "I have still no distinct view of the manner in which parties will be permanently affected by this deplorable loss. With more friendly personal feelings towards each other. I see no rent approxi mation in the different sections of the conservative body. Many look to me as the means of effecting this union, from my good with towards all and the absence of any extreme opinions on those subjects, by which they are divided. But the difficulty would be enormous, and probably insur. mountable. I must confess also that, although by no means insensible to the blessedness of hte peace makers, I feel no great disposition for a work requiring so much exertion and the result of which is so doubtful."
Ne trouvez-vous pas qu’il ne nous en a jamais tant dit sur son rôle possible, ni si clairement fait entrevoir sa disposition à l'accepter ? Il continue : " you will have seen, if you follow the proceedings of the house of Commons that our Ministers have recently been roughly handled both by friends anr enemies. Indeed, their position is pitiable enough ; and in spite of the difficulty of finding any one to replace them, it seems to be generally thought that their existence cannot be much prolonged. At any other time, they could not have stood for an hour ; but under present circumstances, I will not undertake to say what may be their fate."
" We shall have the Queen in Scotland the end of this month ; and I believe her stay will be longer than usual. She will be accompanied by Sir George Grey, who is deservedly the most agreeable to her of all her servants : but I suppose that he will be relieved in good time by Lord John. "
Voici un autre son d’une autre cloche. Mr Reeve a passé à Paris allant en Suisse ; il a déposé chez moi ce qu’il m’apportait et il m'a écrit : " Je n’ai qu'une chose à vous dire de quelque importance ; c’est que tout indique un changement sérieux et radical dans la conduite politique de Lord Palmerston. Il a rompu avec la Prusse et dit pis que pendre de Bunsen, et il a donné en haut lieu les assurances les plus formelles d'une modification sérieuse. Il n’y attache pas une foi sans bornes ; mais il faut accepter avec empressement toute velléité de mieux faire. " Ceci signifie à mon avis, qu'on est bien aise de nous faire parvenir à vous et à moi, cette déclaration, pour nous amadouer un peu. Et Charles Greville est, vous le savez, un truchement universel. Reeve me dit qu’il viendra me voir au Val Richer, en revenant de Suisse.
Mad. Austin me reparle encore de la " foreign conspiracy et elle ajoute : " I believe with some I figure as a very humble link in the chain." Paris commence à s'émouvoir assez du voyage du Président. Le succès de Lyon surtout, le Roi de Piémont envoyant son Ministre de la guerre pour le complimenter, fait de l'effet. Un connaisseur m’écrit : “ C’est tant pis pour le Roi de Piémont ; mais qu’en dira-t-on à St Léonard et à Claremont ? Quel malheur qu’on n'y comprenne pas que les masses prendront nécessairement le chemin à gauche si on leur barre le chemin à droite ! Les nôtres donneront le signal. "

Midi
Votre rhumatisme me déplaît. L’Allemagne n’est pas une atmosphère bonne pour guérir des rhumatismes. Vous avez toute raison de ne pas aller à Wiesbaden. Ne pas éviter ce qui vient vous chercher et n'aller rien chercher, c'est le bon sens comme le bon goût. Ce qui se passe là pourra bien faire naître à Paris quelques embarras. Soyez-y tout-à-fait étrangère. Du reste, je crois comme vous que la République sera bonne fille. On m'envoie un journal de la fusion, du dimanche, le Henri IV, infiniment plus bête. que n'était le Napoléon. Adieu, adieu, adieu. Plus de rhumatisme et des bains chauds. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, vendredi 23 Août 1850

J’ai eu la visite d’un Mr Caulfield membre de la Chambre des Communes et Whig. Il se promet bien que le Cabinet ne tombera pas. Le temps est maintenant contre eux. Si on laisse du temps aux Peelistes et aux Protectionnistes, ils se réconcilieront. Il faut que Lord John fasse la dissolution lui-même, et qu’il se hâte. C'est ce qu’il fera. La Jew-question sera l'an prochain une grosse affaire, la question de cabinet, si la Chambre des Lords la repousse, comme on s’y attend, dissolution immédiate de la Chambre des Communes et appel au pays contre la bigotry des Lords who stop the way. Voilà le plan. Je ne sais s’il sera exécuté, mais je doute qu’il réussisse. Cependant je le comprends ; s’il doit tomber, Lord John veut tomber sur une question libérale, et avec tout son parti. Je ne sais pas ce que vaut le dire de M. Caulfield. Il a l'air intelligent, résolu et léger.
Les détails que vous me donnez sur le comte de Chambord ont fort intéressé le chancelier. Intéressé avec quelque méfiance. Evidemment il trouvait dans l’impression de vos deux visiteurs, excès d’enthousiasme et de satisfaction. Il m'est revenu hier que M. de la Rochejaquelein à Paris se disait fort content de son voyage, investi de la confiance du comte de Chambord et sûr que les affaires du parti seraient désormais conduites selon son sens. Il en est bien capable. On dit qu'il a un petit secrétaire radical qui exerce sur lui beaucoup d'influence et le tient en intimité avec la montagne et la quasi-montagne. Là est la plaie et le danger du parti légitimiste ; les conservateurs ont toujours sur le cœur cette intimité, qu’ils voient toujours continuant, ou près de recommencer.
Vous ne me dites encore rien de votre départ de Schlangenbad. Nous voilà au 23. Vous n’y voulez rester que quinze jours. Êtes-vous engraissée ?
Le beau temps revient ici, mais avec le froid. Il n'y a pas moyen cette année d'avoir le chaud, et le sec ensemble. Les blés souffrent : la récolte ne me vaudra pas ce qu’on en attendait. On commence à s'en aller de Trouville.

Midi
Je ne comprends pas que ma lettre vous ait manqué. Un jour, oui mais deux c’est absurde. Vous aurez eu deux lettres le lendemain. Vous avez raison de ne pas postillonner au gré des estafettes.
Votre grande Duchesse vous donnera surement rendez-vous à Biberich. Je suis curieux de votre visite à la Duchesse de Noailles. Il vient d’arriver ici ce matin quelques uns des légitimistes les plus vifs, peu amis de Berryer, en méfiance de Thiers. Ils me font demander à me voir. Je causerais avec eux. Colmar et Strasbourg n'ont pas été mieux que Besançon. Le bien et le mal sont très mêlés dans ce voyage, et le mal est bien vif. Je ne crois pas que le Président en revienne très confiant, ni qu'il en reçoive un grand élan vers les grandes aventures. Toutes les fois qu’on enfoncera un peu dans cette société et on sentira la nécessité de remettre ensemble toutes les forces d’en haut pour contenir le chaos d'en bas. Je rabache cela tout le jour à tout le monde. Cette vérité là est notre levier. Adieu, adieu.
Après Schlangenbad, quoi ? Probablement Paris. C’est encore là que vous aurez à la fois le plus de repos et le moins d'ennui. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, Lundi 26 août 1850

Je vous ai dit, il y a déjà bien des jours, que je retournai au Val Richer demain mardi 27. J'espère que vous aurez pensé, depuis deux jours, à m'adresser à vos lettres. Je laisserai ici des instructions pour qu'on me renvoie sur le champ celles qui arriveraient encore. Mais j’aimerais bien à ne pas éprouver de retard.
Le Chancelier m'apporte toutes ses nouvelles. Pas grand chose ; mais il est plein de soin. Barthe va ces jours-ci à Claremont. Son langage n’y sera pas tout-à-fait sans valeur. Le Roi le regarde comme très sincère et bien à lui. Les nouvelles du Roi sont toujours mauvaises.
Voici ce que m’écrit de Colmar un ancien magistrat, homme d’esprit : " Nos tribuns ont mal accueilli notre Imperator. Il s’était hâté de quitter Mulhouse où les ouvriers le regardaient de travers. Cela fait qu’il est arrivé à Colmar plutôt qu'on ne l'attendait. Là, trois officiers de garde nationale, avec lesquels Flocon avait fraternisé, il y a trois jours, ont crié à tue tête avec leurs compagnies : Vive la République toute seule ! Cela a fait au Président un assez long charivari. Il en a eu de l'humeur et n'est pas allé au bal. On le dit fort mécontent. L’absence n’est plus que la patrie d'Emile Girardin. Tel n'est pas cependant l’esprit général, et si un libre scrutin pouvait s'ouvrir, la Monarchie mettrait la république à l'abri du danger de l'Empire. " J’ai vu hier des gens qui craignent un peu que ces explosions démagogiques n'intimident le président, et ne le poussent à se reporter vers le tiers parti républicain, Dufaure, Gustave de Beaumont &, pour apaiser un peu l'hostilité. Cela ne serait grave que si cela se faisait au moment des élections.

Midi
Merci de votre rapport sur Fleischmann. Je vous en ai parlé hier. Maintenant il est indispensable de savoir ce qu'aura le fils en se mariant, et ce qu’il peut espérer un jour. La Dame n’est pas du tout laide ; au contraire, plutôt bien ; grande, belle taille, l’air noble, blonde, du yeux bleus grands et doux : beaucoup de sens, un bon caractère, entendue et économe. Dix mille livres de rente, bien à elle, en se mariant, en fonds Hollandais, français et belges et cinq ou six mille livres de rente bien assurées. Je viens de passer quelque temps avec elle. J'en pense vraiment très bien. Le coeur très fier ; elle voudra connaître un peu elle-même avant de rien dire.
Vous aurez vu que le discours du Président à Lyon m’avait frappée comme vous. Il est bien rare que nous ne soyons pas instinctivement du même avis. Le discours à Strasbourg aussi est assez bon. Par contre, j'ai beaucoup causé hier du Président avec un homme d’esprit qui l’a beaucoup vu, et qui en pense très médiocrement.
Décidément Palmerston n'a pas accompagné la Reine à Ostende. La grosse injure est acquise. D’autant plus qu'elle a emmené Baring. Je ferai ce matin votre commission à Mad. de Boigne, et au Chancelier. Adieu. Adieu.
Je vous écrirai encore d’ici demain. Je ne pars qu'à 2 heures pour aller dîner au Val Richer. Adieu.
Ce pays-ci n’est plein que de l'escadre de Cherbourg. On ne pense pas à autre chose. Tout le monde y va. Plus moyen de se loger à Cherbourg. On se loge dans les villes environnantes, à Valogne, St Lô, à plusieurs lieues de distance. Tout le yacht club anglais s'y rend, 80 yachts, dit-on. Je saurai bien comment les choses s’y passeront, M. de Witt, va s’y promener. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 18 sept 1850

Je lis Peel and his times. Ce serait trop long pour vous, trois gros volumes ! Votre impatience étoufferait votre curiosité. Mais c'est dommage ; toute l'histoire de votre temps en Angleterre. Peel est entré dans le Parlement, en 1809 et dans les affaires en 1812, au moment de votre arrivée à Londres. Le livre est fait avec simplicité, et bon sens, libéral modéré, comme Peel est devenu à la fin. Le point de départ était bien loin de là et les phases de la transformation sont curieuses à observer. Je vis avec Lord Liverpool, Lord Castlereagh, M. Canning. Vus ainsi de loin et dans l’histoire, les deux premiers font moins grande figure que dans votre conversation. Le pouvoir, même habilement et heureusement exercé, ne suffit pas pour placer un homme bien haut dans la mémoire des hommes ; il faut absolument avoir eu de l'éclat par quelque côté, par la pensée, par l'imagination, par le caractère, par la parole, il importe peu quelle grande qualité, mais une qualité first rate, qui mette un homme à part entre ses contemporains. L'histoire ne laisse à leur rang que ceux-là. Canning a cet honneur. Peel aussi l’aura, à des titres bien différents. Lord Liverpool et Lord Castlereagh, meilleurs ministres de leur temps peut-être descendent à mesure que leur temps s'éloigne ; ils n'avaient rien de ce qui est beau et grand dans tous les temps.
Savez-vous s'il est vrai que M. le Duc de Nemours et les Princes ses frères aient écrit au général Changarnier pour le remercier de la messe des Tuileries ? Ils ont eu fort raison, s'ils l’ont fait et j’avais eu tort, moi de ne pas songer à le leur conseiller. Je serais bien aise d’être sûr qu’ils l’ont fait.
L'article que j'ai lu hier dans le Constitutionnel est certainement de M. Granier de Cassaignac. Je me rappelle qu’il est venu me voir, il y a quelques semaines, dans je ne sais plus quel de mes passages à Paris, et que je lui ai dit une grande partie des choses qui sont là. Il s'est évidemment souvenu et prévalu de cette conversation.
Je vous quitte pour ma toilette. Je vais ce matin faire une visite à dix lieues d’ici chez M. de Banneville. J’avais deux visites lointaines à faire. J’en serai quitte. Il faut que je parte à 9 heures tout de suite après l’arrivée de la poste. Nous avions depuis quinze jours un temps admirable. Ce matin, un grand brouillard, mais de ces brouillards que le soleil dissipe quand il est bien levé. Je compte sur le soleil. J'ai beaucoup perdu de mon optimisme pour les grandes choses ; il me reste encore pour les petites.

9 heures
Voilà votre lettre. Adieu. Je pars. Adieu Adieu. Je suis fort aise de l'accueil fait à Piscatory à Claremont. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Jeudi 4 Juillet 1850

Voilà Sir Robert Peel mort. J'en ai un vrai chagrin. Il n’avait pas tout, mais il avait beaucoup. Il a fait des choses douteuses mais grandes pour le bien être de bien des millions d'hommes dans son pays. Il avait le goût et le parti pris de la politique honnête. Je l’honorais plus qu'il ne me plaisait ; mais la mort illumine les qualités et élève l'estime au-dessus des dissidences. Puis ses dernières paroles sur moi me restent dans le cœur, encore un exemple, après tant de mille et mille autres, des plus belles et plus heureuses, existences brisées tout à coup misérablement ! C’est bien la peine de devenir grand pour rester à la merci d'un caillou et d'un coup de pied de cheval ! Si le dernier mot de la vie était ici bas, elle ne vaudrait certes pas le souci qu'on en prend.
Quelle sera l'influence de cette mort sur la situation du cabinet Whig et l'état des partis en Angleterre ? Cela me paraît assez obscur. L'opposition en sera plus libre; les Peelistes s’y incorporeront plus intimement. Les Protectionnistes seront peut-être plus modérés, en matière de free trade, n'ayant plus devant eux leur vainqueur. C'est en même temps, sinon un Chef, du moins un grand patron de moins pour une combinaison nouvelle. Dites-moi vos informations, et voir conjectures.
Le Duc de Broglie m'écrit : " Les affaires sont toujours dans le même état. L'assemblée est fort décousue, et a grand besoin de se séparer pour ne pas se quereller. Nous espérons une prorogation de trois mois dans les premiers jours d'août. " - Un autre correspondant : " Les tiraillements dans la majorité et entre la majorité et le Président deviennent tous les jours plus sensibles. Tout le monde est mécontent de tout le monde. Les légitimistes sont les plus aigres, comme toujours. De son côté, la presse va de l'avant, et on demande hautement la révision de la Constitution. On dit que cette question et celle de la prorogation des pouvoirs du Président seront posés sans faute au retour de l'Assemblée. "
Adieu. Je n'attendais pas de lettre ce matin ; elle ne me manque pas moins. Il me tarde bien de vous savoir arrivée, et un peu reposée. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, lundi 1 Juillet 1850

Voilà donc le vote. Il faut bien en prendre son parti. C’est certainement un très mauvais symptôme de l'état des esprits parmi les libéraux anglais. Les révolutions commencent par les badauds. En revanche, elles ne se font pas là où elles n'ont, au début. que 46 voix de majorité. Je suis donc fâché, mais pas inquiet pour l'Angleterre. C’est un bon résultat que l’union de toute l'opposition contre la politique étrangère de Palmerston. La Chambre des Lords et bien près de la moitié de la Chambre des communes, il n’y a pas là de quoi se vanter et si le Cabinet n’avait pas craint d'être tué, il ne se croirait pas sauvé. Profitera-t-il de la leçon ? J’en doute. Il n'en est pas moins bon qu'elle ait été donnée et j’espère que l'opposition du moins en profitera. Voilà mon résumé, après l’évènement.
Aberdeen a plus à se féliciter de ce débat que Palmerston. Je sais gré à Peel d'avoir saisi cette occasion de bien parler de moi. Son discours est très modéré envers le Cabinet, quoique très net sur la question même. Image vraie, par le bon côté de sa situation et de son caractère. Je n’écrirai point à Peel ; mais j'écrirai à Aberdeen, et je le chargerai de quelques mots obligeants pour Peel et Graham. Approuvez-vous ?
Vous partez donc demain. Il vous dîtes demain matin. J'espère que cette lettre vous arrivera avant. Vous ne me dites pas où il faut vous écrire. Sans doute à Ems, poste restante. Quel jour y arriverez-vous ? Vous me direz demain vos instructions. Adieu, adieu.
Je voudrais vous savoir, non pas partie mais arrivée. Le temps est bon aujourd’hui pour voyager. Ni pluie, ni chaleur. Adieu, Adieu G.
Vous reconnaissez donc là vérité de ce que je vous dirais de Flahaut. Vous m'en direz un jour autant d'Ellice. Et peut-être même de Beauvale.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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291 Du Val-Richer, Jeudi soir 17 oct 1839 9 heures

Je me suis promené hier longtemps. Le temps était admirable. Aujourd’hui la pluie a recommencé au moment où j'allais sortir. J’ai pourtant eu quatre visites de Lisieux J'admire les gens qui font cinq lieues par la pluie pour venir passer une demi heure avec moi. Il faut que je sois bien aimable. Je le suis pourtant fort peu cette année pour mes amis de Lisieux et des environs. C’est au mois d'Octobre qu’on me donne à dîner. J’ai déclaré que je n’en accepterais aucun, que j'étais encore enrhumé, que je ne voulais pas l'être pour la session, et que mon médecin m’avait interdit d’ici là toute course, tout dîner. Je suis à mon neuvième refus. On me les pardonnera. Je m'en porterai mieux, et je serai libre plutôt.
Je ferais volontiers cinq lieues pour aller dîner rue St. Florentin et je suis sûr que je ne m’en porterais pas plus mal. Du reste, pour la première fois depuis six semaines presque, j’ai eu aujourd’hui le sentiment de la pleine santé. Je n’ai pas toussé du tout, ni éprouvé la moindre peine à respirer.

Vendredi 7 heures

Comment s’est passé votre dîner Fleischmann ? A-t-il eu l’air aussi ahuri en vous le donnant qu'en vous y priant ? Est-ce que les Granville ne sont pas arrivés ? Vous ne m'en dîtes rien. L’impopularité de la Reine me paraît en progrès. On exploite bien longtemps contre elle cette pauvre Lady Flora Hastings. Il y a des fautes interminables.
Savez-vous si Lord Ponsonby reste décidément à Constantinople ? Il avait été question de le rappeler lorsque nous avons rappelé l’amiral Roussin. Mais on ne paraît pas disposé, pour le moment à faire comme nous. On n’ose pas non plus faire autrement. C’est de la bien petite politique.

4 heures
La poste ne m’arrive qu'à onze heures. Une roue de la voiture s'est brisée à Mantes. Je commençais à m'impatienter. Je vous aime beaucoup. Je vous le dirai à mon aise demain, en attendant mieux. Il faut aujourd’hui que je renvoie promptement le facteur ; sans quoi ma lettre vous manquerait demain. Adieu. Adieu. Je vous en prie, ayez de jolis tapis. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 8 Juin 1850
7 heures

Vous me dites que Montebello ne part pas. Est-ce qu’il ne part pas du tout ? J'espère qu’il ne fait que retarder sa course de quelques jours, et que, la loi de déportation une fois votée, il ira. Je crois sa visite importante. Est-ce que M. Molé est sérieusement malade ? Je suis en train de questions. Manie d'absent. Je ne saurai que demain quelque chose de la séance d’hier soir à Londres. Je n'y compte pas. La question n'est pas assez grosse pour forcer les votes, et les acteurs ne sont pas assez décidés pour exploiter sérieusement une petite question. Ce sont deux curiosités très différentes que celle qui attend quelque chose et celle qui n'attend rien. Pourtant la curiosité y est toujours. Sans croire aux journaux, je suis assez frappé de ce qui vient de Berlin sur la visite du Prince de Prusse à Varsovie. Evidemment, cette visite a changé quelque choses aux dispositions de l'Empereur. Il a bien raison du reste de ne pas se jeter à l'aventure dans ce chaos allemand. Décidé et réservé, c'est son attitude depuis Février, elle lui a réussi. Il n'en doit sortir, s'il en sort, que pour quelque chose de très grand et d’indispensable.

10 heures
Les journaux répètent, et vous confirmez le départ de l'Empereur d’Autriche pour Varsovie. Il y a ou concert entre les trois souverains, ou lutte de deux devant un. Je crois plutôt au dernier fait. La querelle de l’Autriche et de la Prusse n'ira pas à la guerre ; ils ne le veulent pas eux-mêmes et au besoin vous l'empêcherez. Mais c'est une querelle, très sérieuse, querelle de prépondérance et d’ambition, qui recommencera toutes les fois que la question révolutionnaire sommeillera. Les jours de repos sont finis pour l’Europe ; l'être paisible qui était la réaction de l’ère belliqueuse de l'Empire est accomplie. Nous entrons dans la réaction contraire. Je ne crois pas aux grandes et longues guerres ; mais des menaces des commencements des échantillons de guerre, des révolutions, des quasi-révolutions, de contre-révolutions une instabilité générale, rien qui dure et rien qui finisse, c'est là ce qui nous attend pour longtemps.
Ce que Thiers vous a dit de son projet de visite à St Léonard me frappe assez et je crois à votre application de son départ ou de son retard. Je suis ennuyé de cette antithèse ; elle est trop longue et trop monotone.
Voilà Londres fini ; car évidemment le retard, c’est la fin. Quand le cabinet viendra amener qu’il est raccommodé avec la France, la Chambre des Lords ne votera pas une censure ; ou si elle la vote, le cabinet n’en tiendra compte. Ce sera de l'opposition platonique. Les individus s'en peuvent accommoder, mais les corps ne se résignent pas à étaler ce mélange de mauvais vouloir et d'impuissance. Ajournée au 17, la motion de Lord Stanley tombera dans l’eau ou sera rejetée.
Est-il vrai que Mercredi dernier, à l'assemblée générale de l'Institut, au milieu d’un grand discours de Salvandy, un pigeon blanc, qui s'était introduit dans la salle est venu se poser sur sa tête et s'est si bien empêtré dans son toupet qu’on a eu quelque peine à l'en dépêtrer ? On me mande cette bouffonnerie. Je n’y puis pas croire. Ce serait trop drôle. Adieu, et merci de votre longue lettre. Avez-vous encore vos deux fils ? Adieu Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, 5 octobre 1849

Ce que vous me dites de la différence qui existe entre les demandes de l’Autriche et les vôtres me frappe, et me confirme dans ma première conjecture. Vous ne voulez pas, aujourd’hui, la ruine de l’Empire Ottoman ; mais vous voulez mettre une bonne occasion à profit pour faire un grand pas. Vous demandez péremptoirement l'extradition, au nom de la lutte contre les révolutions. Si la Turquie vous l'accorde c’est un grand coup sur les révolutionnaires ; si elle vous la refuse, c'est une grande raison, et très plausible, pour prendre vous-même vos suretés. Et vos suretés, c’est l’occupation forte et permanente des Provinces Danubiennes qui couvrent vos frontières, et sont contre vous, le foyer de révolution. Vous ne vous les approprierez pas encore tout de suite et d’un seul coup ; mais vous vous y fortifierez, vous vous y établirez ; vous les gouvernerez, provisoirement encore, mais vous-mêmes et en votre propre nom. La Turquie payera ainsi les frais du secours que vous avez donné à l’Autriche, et vous lui prendrez, en provinces les garanties qu'elle vous aura refusées en réfugiés. Et l’Europe ne vous fera pas la guerre pour cela, tandis que si vous attaquez la Porte pour Bem et Kossuth l’Europe la défendra peut-être, probablement même. Si vous attaquez la Porte pour Ben et Kossuth, l’Europe verra là la ruine de la Porte, et de votre part un parti pris de la détruire. Elle ne veut pas souffrir cela. L’Europe est accoutumée au contraire à vous voir avancer et grandir dans les provinces danubiennes. Et même résignée, au fond, à vous y voir établir en maîtres définitifs, car elle regarde cela comme inévitable. Le temps des longues prévoyances et des résolutions fortes prises, en vertu des longues prévoyances est passé pour l’Europe occidentale. La France ne pense plus à cette grande politique et l'Angleterre n'en veut plus. Vous pouvez faire tout ce qui exigerait. que la France et l’Angleterre, pour vous en empêcher adoptassent et pratiquassent de concert cette politique là. Mais il y a tel acte en soi bien moins grave que l'occupation définitive des Provinces Danubiennes qui peut soulever en France, en Angleterre dans toute l’Europe occidentale une de ces émotions publiques soudaines, puissantes qui jettent les gouvernements dans ces résolutions extrêmes auxquelles leurs propres calculs et desseins ne les conduiraient pas. Votre exigence de l'extradition, poussée jusqu'à la guerre, pourrait bien être un acte semblable et produire de tels effets. Si donc l'Empereur ne veut pas engager aujourd’hui, en Orient la question suprême, je ne puis croire qu’il ait fait sa demande avec l’intention de la soutenir à fond ; ce serait trop méconnaître l'état des esprits en Europe et trop risquer pour un petit motif. Je suis tenté de croire à une ambition et à une intention plus détournées. Voilà mon impression, et sur quel raisonnement elle se fonde. Et j'aboutis toujours à ma même conclusion ; la guerre ne se fera pas. Autre raison décisive. L'Empereur, qui en veut surtout aux révolutions, ne peut pas soulever une guerre dont le drapeau serait : « L’Angleterre et la France patronnent et couvrent les chefs de révolutions. » Mais ma raison n'est décisive que si bien certainement l'Empereur ne veut surtout aux révolutions, et ne songe pas à en profiter pour aller à Constantinople. Adieu en attendant votre lettre.

Onze heures et demie La voilà. Et probablement de bien vives agitations de votre part, et de bien longs raisonnements de la mienne pour un incident pas grand chose. C’est égal ; la seule chance valait bien la place que nous lui avons faite. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 6 oct. 1849
Six heures

Je suis charmé que vous soyez un peu rassurée. La guerre pour un tel motif, m’a paru, dès le premier moment, quelque chose de si monstrueusement absurde que je ne suis pas venu à bout de la craindre. Je vois, d’après ce qui me revient. de Paris, que personne n'a été et n'est inquiet. Je n'en attendrai pas moins avec grande impatience le dénouement. Votre inquiétude m'a préoccupée presque comme si je l’avais partagée. Vous êtes-vous donné le plaisir de lire ce matin, dans les Débats d'hier, l'inquiétude de M. de Lamartine craignant d’être brouillé avec Louis Blanc? J’ai rarement vu une bassesse plus étourdie et plus ridicule. Qu’y a-t-il de nouveau dans vos yeux ? Est-ce Travers que vous êtes allée voir ? Verity est-il revenu à Paris ? Comment fait Lady Normanby depuis que son médecin de confiance, M. Raspail est en prison ? Je ne sais pourquoi je vous parle de Lady Normanby. Rien à coup sûr, ne m'est plus indifférent. Êtes-vous bien sûre que Lord John ne fût pas au conseil de mardi ? Les journaux disent qu’il y était. Par décence peut-être, car son absence, dans une telle question est vraiment singulière. Je trouve que l’Assemblée de Paris a bien pauvre mine, la mine de gens qui ne savent absolument que faire et qui s'ennuient d'eux-mêmes. Vous n’avez pas d’idée du profond, chagrin du Duc de Broglie de se trouver là, son déplaisir personnel est pour plus de moitié dans son découragement général. Et pourtant il dit, et tout le monde dit qu’'il y a 300 hommes fort sensés, fort bien élevés, fort honnêtes gens, de vrais gentlemen. Que de bien perdu en France, par le contact avec du mal qu’on ne sait pas secouer ? Je ramasse toutes mes miettes. Je n’ai rien à vous dire. Si nous étions ensemble, nous ne finirions pas.

Dimanche 7 oct. 10 heures
Guillaume est parti hier loin pour Paris. Il rentre demain au collège. Je suis sûr que je ne rentrerai pas dans Paris sans une émotion qui serait une profonde tristesse si vous n'y étiez pas, qui disparaîtra devant la joie de vous retrouver. Vous n'avez probablement pas lu l’exposé des motifs du Ministre des finances en présentant le projet de loi qui ordonne le paiement à Mad. la duchesse d'Orléans de ses 300 000 fr. de [ ?] pour 1850. C’est un chef d’œuvre de platitude. Un effort de chaque phrase de chaque mot pour réduire la question à une question de notaire à une nécessité de payer une dette criante qu’il n'y a pas moyen de renier. J’étais humilié en lisant, si c'est là ce qu’il faut dire pour faire voter la loi, honte à l'assemblée ! Si M. Passy a parlé ainsi pour se rassurer lui- même contre sa propre peur, honte à M. Passy ! Les journaux légitimistes que je vois sont embarrassés, et au fond, plutôt mal pour Mad. la Duchesse d'Orléans à propos de cette question Cela aussi est honteux. Ils croient toujours que c’est elle qui résiste le plus à la réconciliation des deux branches. J’ai ici M. Mallac qui est venu passer deux jours avec moi. Il ne m’a rien apporté ne venant pas de Paris, sauf quelques détails assez intéressants sur les derniers moments du Maréchal Bugeaud et assez amusants sur le séjour de Duchâtel à Paris. Il ne s’y est guères moins ennuyé qu’à Londres. Croker m’écrit dans un accès de bile noire qui se répand sur tout le monde, voici la France : « the whole nation, gentle and simple outraging heaven and earth with a je le jure which no man of your 12 millions of election meant to keep ; and now the country is so entangled in this web of falsehood and fraud that I at least, can see no way. I don't even say no honourable way-but no way at all out of it but by another revolution in which the whole people must kneel doin, say their confiteor et mea maxima culpa and confess themselves to have been de misérables pêcheurs et poltrons. Voici l'Angleterre. " you see the ordinary affairs of life go on tolerably under this feeble and impostor administration, which, leads me to doubt whether truth honour or strength are necessary ingredients et Constitutional governenent. " Il a de la verve dans sa bile. Midi Je ne comprends pas pas de lettres. Vous les aurez eues le lendemain. J’en suis désolé. Temps affreux. Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 18 oct. 1849
8 heures

Vous arriverez aujourd’hui à Paris, par un temps admirable. Votre appartement sera gai, selon sa coutume. Les feuilles des Tuileries ne doivent pas être encore tout-à-fait tombées. Que Dieu protège votre retour et votre séjour ! La confusion me paraît bien grande : ce qu’il y a de faux dans la situation du Président et d’étourdi dans son caractère est près d'éclater. Je penche à croire qu'on se raccommodera. L'explosion met tout le monde en danger et ne peut profiter à personne. Mais des perspectives nouvelles se sont ouvertes. On sait que le président. et la majorité ne marcheront pas jusqu’au bout, dans la même voie, que le président peut vouloir se faire une autre majorité. Plusieurs de ses ministres actuels l'y poussent. M. de Falloux est hors d'état de rentrer dans les affaires et va en sortir définitive ment, si ce n’est déjà fait. Nous ne tarderons pas à voir du nouveau. Le séjour de Morny à Londres est bien singulier dans ce moment. Vous verrez qu'il vous informait mal sur les dispositions du Président dans l’affaire de Constantinople. Affaire qui du reste ne deviendra pas grosse, comme je l’ai pensé dès le premier jour. La démission de Collaredo me frappe. Il est difficile qu’on n'en dise pas tout haut le motif; et certainement cela ne vaut rien pour Palmerston. Mais rien n'y fera rien. Les questions du Cabinet anglais ne se décident pas par la politique étrangère. Nous nous le sommes dit cent fois, et nous l’oublions toujours. Vous serez fâchée d’apprendre en arrivant. que Brignole va à Vienne comme Ministre. Je le regrette. C’était presque le dernier débri de notre corps diplomatique. On me dit que M. de Hübner est homme d’esprit.

Midi
Mon facteur arrive, très tard. Je n'ai que le temps de vous dire, adieu et adieu. Je suis charmé que vous trouviez mes raisons bonnes et je trouve les vôtres bonnes aussi. Donc à la mi-novembre. On m'écrit que la paix est faite entre le Président et la majorité. Le Président a cédé. Il fait bien adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 20 octobre 1849
sept heures

Il y a un jour de moins entre vous et moi. J’aurai après-demain votre réponse à ceci. C’est charmant, en attendant mieux. Cela me plaît que vous soyez rentrée à Paris par un beau soleil. Dans l’arrangement de votre vie, indépendamment des anciennes connaissances qu’il faut reprendre, peut-être y en a-t-il aussi quelques nouvelles qu’il vous convient de faire, soit à cause de leur value personnelle, soit à cause de l’importance qu'elles ont prise dans ces derniers temps. Montalembert, Falloux (s’il vit), Bussierre, d’Haussonville, Piscatory. Je ne crois pas qu’il faille étendre votre cercle, et les étrangers en sont, et doivent en être, toujours le fond. Mais vous aurez des vides. Du reste, vous jugerez mieux de cela après- quelques jours de séjour que moi d’ici. J’avais pensé à M. de Tocqueville, s'il se recherchait comme de raison. Il est homme d’esprit, de bonne compagnie et sûr je crois. Mais il ne serait pas sans inconvénients. Je vous dis ce qui me passe par l’esprit.
Les inquiétudes de Brünnow me frappent un peu. Vous vous rassurerez à Paris. Evidemment, on n’y veut. pas, se mêler de l'affaire. Tous les Chefs de la majorité sont pour qu'on ne s'en mêle pas. L’assemblée est plus forte que le Président. A la vérité, il peut toujours faire un coup de tête, et au bout de son coup de tête peut venir un coup de canon de la flotte qui est partie. Pourtant je persiste à n'y pas croire. Je vois qu’on donne ordre à la flotte d'attendre à Naples. Il y aura encore des hauts et des bas ; les Turcs pourront se méprendre, l'Empereur pourra se fâcher. On finira par s’arranger. J'en reviens toujours à mon dire sur Lord Palmerston lui-même ; patron de tous les révolutionnaires, oui ; champion, non. On m’écrit : " Le Général Dumas et M. de Montalivet sont ici à quêter des voix pour obtenir le rappel de la loi de bannissement. Si ce rappel était prononcé, . nous verrions le Roi au château d'Eu de par la grâce de Louis Bonaparte, M. le Duc d’Aumale à Chantilly, et M. le Pince de Joinville aux ordres de Tracy." Je n’y veux pas croire, et je n'y crois pas. Mais c’est déplorable qu’on puisse le dire. Il n’y a évidemment pour cette proposition sur les bannis, que l’ajournement. Le rejet serait une indignité. L'adoption, le feu mis à la soute aux poudres. Je sais cette manière de voter et de motiver l’ajournement qui exciterait peut-être, au moment même un orage, mais qui ferait éviter le piège et faire un grand pas. Imaginez qu’on dit qu'il est question de Victor Hugo pour remplacer M. de Falloux. Mais on compte sur un discours qu’il doit prononcer, qu’il a peut-être prononcé hier à propos des Affaires Rome, pour rendre cela impossible. Comme de raison, nous avons beaucoup causé, Boislecomte et moi, de la Suisse et du Sonderbund. Il a bien à cœur de me persuader qu’il a dû se tromper sur la force du Sonderbund. Il est vrai que tout le monde s’y est trompé comme lui. Il m’a donné, sur M. de Radowitz, quelques renseignements assez intéressants, et qui me font penser que cet homme a de l’avenir. Il (Boislecomte) m’a parlé de M. de Krüdener comme d’un homme de beaucoup d’esprit, et d'encore plus de malice. Il assure que le peuple du Sonderbund était très bon et se serait très bien battu, que ce sont les chefs qui ont manqué. Bêtise et Mollesse. Maladies générales.

Onze heures
Je n'admets pas, à aucun prix et en aucun cas les derniers mots de votre lettre. Mais nous n'en viendrons pas là. Je crains bien des choses, mais pas tout. Adieu, adieu, adieu. Reposez-vous et soignez votre rhume. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Mardi 10 Nov. 1849
8 heures

Je n'ai vraiment rien à vous dire. Il me semble que, pour toutes choses, j’aime mieux attendre. Ecrivez-moi encore un mot demain mercredi. Je le prendrai Jeudi en passant à Lisieux. Le décousu et les contradictions dont se plaint Kisseleff, ne m'étonnent pas. Je serais étonné qu’il en fût autrement. C'est le même mal pour l'extérieur et pour l’intérieur. On est et on sera tantôt Russe, tantôt anglais, comme tantôt coup d’Etat, tantôt constitution. Il n'y a, à parler sérieusement, point d’idée et point de volonté, Des velléités, tantôt lancés en avant, tantôt retirées à travers des tâtonnements continuels. Et on ne sort des tâtonnements que par des essais de coup de tête qui avortent. Avorteront-ils toujours ? Je ne sais. En tous cas, il n'y a pour les hommes sensés, qu’une conduite à tenir soutenir le pouvoir, quels que soient son nom et sa forme, tant qu’il voudra faire de l’ordre et du pouvoir. Toutes les susceptibilités, exigences, oppositions, dissidences, me paraissent aujourd'hui des puérilités. Je me crois sûr que la commission auprès de lord Lansdowne, sera faite, et bien faite. Est-ce que vous n’avez pas vu Salvandy ? Mad. Lenormant m’écrit qu’elle l’a rencontré chez Mad de Boignes, et qu’il s'est laissé croître une crinière qui lui donne l’air d’un bison. Il est toujours au courant et raconte tout. Je retrouverai à Paris tous les anciens ministres, à l’exception de Duchâtel qui ne reviendra qu’en Décembre. Je dois avoir conservé, ma bonne mine d’Angleterre, car je me porte bien J’ai eu pendant quelques jours des commencements désagréables de crampes d'estomac qui revenaient à la même heure. Cela est passé. Je vous quitte pour mettre des livres en ordre. Je laisserai ici ma maison bien rangée. J'aurai absolument besoin à Paris de me réserver les premières heures de la matinée. Je tiens à finir et à finir bientôt ce que j'ai commencé. Onze heures J’ai certainement un vif plaisir à faire mes arrangements. Malgré un beau soleil qui persiste. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Samedi 1er Juin 1850
Midi

Malgré le souvenir de Lady Cowley, le mot abominable, me plaît venant de vous. Oui, l'absence est abominable. Et ses commencements sont encore ce qu'elle a de moins mauvais. Je dis déjà : que le jour me dure. Que sera-ce dans quinze, dans trente jours ? [...]

L’efficacité du blâme de la Chambre des Lords ; mais je voudrais qu’il conservât au moins sa saveur. Venant après, il ne sera guère plus piquant qu'utile. Il serait si facile de traîner huit ou dix jours ! Après ou avant, il faut pourtant que le blâme des Lords vienne. Il en restera toujours quelque chose. Ce sera le sentiment [?] officiellement.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 2 Juin 1850
8 heures et demie

Voici votre lettre. Je suis bien aise que vous ayez vu beaucoup de monde. Je veux bien que vous soyez triste, mais non pas ennuyée, voilà la mesure de mon égoïsme ; le trouvez-vous bien dur ? Vous avez très bien fait de mettre mes amis au courant de ma dernière matinée. Si Lord Stanley et Lord Aberdeen ne sont pas in earnest, il faut qu’il y ait, pour eux, impossibilité absolue de former un cabinet qui dure car ils n'auront jamais une meilleure occasion de renverser celui qui existe ; une occasion qui ne les engage à rien sur les affaires intérieures, qui n'élève aucune question entre les free-traders et les protectionnistes, qui laisse possibles toutes les combinaisons & &.
J'ai peur que, là comme en France, il n’y ait, parmi les meilleurs, une grande horreur de la responsabilité et un goût immense du repos. Le monde périra par la mollesse des honnêtes gens. Je crois au motif qu'on vous a dit du retard de Mad la Duchesse d'Orléans à rejoindre le Roi à St Léonard. Il y a encore plus d'illusion que de toute autre chose dans son esprit. Je crois aussi à l’inimitié de votre nouveau visiteur pour le général Changarnier. Pensez-y quelque fois en causant. Au fond, le n°31 du faubourg St Honoré est bien avec et pour l'Elysée malgré les airs de salon et les apparences de langage quelques fois contraires. Le voyage de Fontainebleau m'a assez frappé. Que d’embarras toutes ces inimitiés frivoles jettent dans les affaires !

Midi.
Je vous reviens après déjeuner. Je me hâte. Je vais être assiégé de visites, le beau temps, le Dimanche et de nouveaux mariés à voir. Ils sont très contents l’un de l'autre, et je crois qu’ils ont raison. Voilà donc la loi électorale volée. Certainement elle a produit partout, un effet d'intimidation pour les rouges, d'encouragement pour les modérés. Je vois cet effet autour de moi. Il passera vite s’il n’est pas nourri ; mais il est réel. Bien moins grand pourtant ici qu’à Paris. Je trouve, à tout prendre, la situation peu changée. Il est vrai que je n’ai encore vu presque personne. Mais l’air qu’on respire est le même.
Que votre Empereur se garde bien des assassins. La perte serait immense. Il commence son grand rôle en Europe.
Je ne puis pas croire à un coup de main de Lord Palmerston sur Naples ; et s’il tentent j’espère que le Roi de Naples résistera. Pour le coup, ce serait le coup de grâce pour Palmerston, malgré tous les partis pris de l’opposition anglaise. Adieu, adieu. Mes journaux sont venus ce matin. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 3 juin 1850
Sept heures

Certainement il vaudrait mieux que l'affaire Anglaise ne fût pas arrangée avant le débat du 7 et qu'un peu d’incertitude planât encore sur la situation. Cependant, même arrangée, quelle mauvaise affaire pour Lord Palmerston et comme il serait aisé de le lapider avec les pierres qu’il a amassées lui-même sur son chemin. Tant de fourberie perdue ! Tant de présomption humiliée ! Sa rouerie arrogante vaincue par la bonne foi inexpérimentée de Lahitte !
Les Anglais, quelquefois si brutaux dans leurs personnalités, ne savent pas tourner et retourner poliment le poignard dans les blessures de leurs adversaires ; ils ont des ménagements et des réserves qui contrastent singulièrement avec leur goût pour la grosse ironie et l’injure. Que l’arrangement soit conclu ou non, que Palmerston ait cédé, ou persisté, il ne devrait sortir du débat que mis en pièces ; il a fait là une de les choses dans lesquelles il faut absolument réussir pour pouvoir en parler.
Si vous étiez ici, si nous nous promenions ensemble, le beau soleil la fraîche verdure, le calme gai de ma vallée nous feraient oublier Palmerston et les débats de Londres. Mais vous n’y êtes pas, et j'oublie ma vallée, la verdure et le soleil pour vous parler de Palmerston.

10 heures
Vos dernières lignes me désolent sans m'étonner. Je suis parti craignant cette explosion. Ce sera bien mauvais. Se rejeter dans tous les hasards pour de si pitoyables motifs ! Nous sommes dans des mains d'enfants. Je veux croire encore qu’on s’arrangera. Et je le crois presque. Il y a un point de déraison qui me semble toujours impossible. Je m’y suis trompé souvent. Avais-je tort dans ce que je vous disais hier en vous parlant de La Redorte Je reçois de Londres une lettre curieuse. On me dit que la question grecque est à peu près morte " Tant qu'elle a été ouverte, personne n'a osé y toucher ; depuis qu’elle est fermée, l’intérêt n’y est plus. Il faudrait encore plus de talent que n'en a Lord Stanley pour la faire revivre. Il y a huit jours, on parlait avec conviction d’un vote hostile dans la chambre des Lords ; aujourd’hui, on n'y a pas renoncé, mais il en est moins question. On le disait aussi, parmi les whigs, que ce serait la dernière fois qu’on s’exposerait à subir de pareilles ignominies, et les vives remontrances de la Cour, ont été un peu mieux écoutées qu’auparavant. Mais [wows] made in pain. Il ne s’agit pas le moins du monde de mettre Lord Clarendon au foreign office ; mais il ne serait pas de toute impossibilité que Lord John s’en chargeât provisoirement lui-même. Faible lueur d’une faible intention.
On est d'accord ici pour soumettre la question des conventions rivales au Roi Othon lui-même. Palmerston s'est borné à exposer à ses collègues les deux voies qu’il y avait à suivre ; ils se sont décidés aux concessions.» Je vous envoie ce qui me vient. Paris me préoccupe bien plus que Londres. Que dites-vous du langage du Prince de Prusse ? Il a voulu se lier avant de partir et annuler d'avance l'influence de l'Empereur. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer Vendredi 7 Juin 1850
7 heures

Je trouve les journaux timides sur la dotation du Président, timides à la défense et timides à l'attaque. Il aura son argent, mais il le payera cher. Ce serait trop cher s’il était roi, ou destiné à le devenir. Un pouvoir temporaire peut risquer cela, le risque lui vaut mieux que de n'avoir pas le sou tant qu’il dure et d'être en banqueroute quand il s'en va. L’Ordre le journal d'Odilon Barrot, est bien vif contre. Il y a là des rancunes qui se donneront libre carrière toutes les fois que le Président leur en fournira l'occasion.
C'est ce soir le débat à la Chambre des Lords. La motion de Lord Stanley est bien rédigée, modérée et incisive. Mais je suis de l’avis d'Ellice ; je doute que Stanley et Aberdeen soient in earnest. Ils n’oseront pas se charger du gouvernement ; et les Whigs jouent évidemment le jeu de leur en imposer le fardeau pour les effrayer du succès. Ils déclineront, sous main, le succès. Ce sera grand dommage. Je suis convaincu qu’un grand Ministre conservateur, aurait aujourd’hui en Angleterre une admirable chance, et ferait jouer à l'Angleterre un rôle admirable en Europe. Ce ne serait plus le Torysme de M. Pitt et de Lord Castlereagh, un Torysme agressif et belligérant ; mais un Torysme grave et mesuré pratiquant pacifiquement la bonne politique, blâmant hautement la politique révolutionnaire et lui retirant partout tout appui, un Torysme de principes de langage, et d’attitude, puissant par l'autorité plus que par les coups. Il n'en faudrait pas davantage au point où en est aujourd’hui l’Europe, pour la faire rentrer dans la bonne voie. Les difficultés intérieures seraient plus grandes pour un cabinet Tory ; pourtant je les crois, surmontables. Rien ne me déplaît davantage que les honnêtes gens manquant à faire le bien ; bien plus que les coquins faisant le mal. C'est pourtant ce qui arrivera à Londres.

10 heures
Vous avez raison de prédire à Piscatory qu’il voterait les 3 millions. Bien d'autres en feront autant. Et ils voteront bien autre chose. Je suis très curieux de Varsovie. Je vois dans un journal que l'Empereur d’Autriche est parti pour y aller. Est-ce vrai ? Certainement le rôle Russe entre Berlin et Vienne est difficile. Prusse et Autriche prétendent l’une et l'autre à des choses fort nouvelles et qui dénaturent fort la confédération germanique. En tout, le monde est en train de vouloir du nouveau, et rien n'est plus difficile que de démêler, le bon dans le nouveau. Je suis charmé de votre nouvelle que rien n'est fini avec Lord Palmerston. Bon article dans les Débats d’hier. Mais je n'ai pas confiance dans Londres. Il n'y a point de prudence égale à la prudence anglaise.
Pas de réponse encore sur ce que j'ai écrit à propos des voyages à St Léonard. Adieu. Adieu. Hubner doit être bien content de vous avoir à dîner. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Dimanche 9 juin 1850
8 heures

Savez-vous ce qui arrivera par suite de l'ajournement du débat grec à Londres ? Palmerston recevra d'Athènes quelque note, quelque lettre déclarant que le gouvernement grec ne se soucie pas du tout d'échanger l’arrangement Wyse contre l’arrangement Drouyn de Lhuys, et que, tout considéré, il aime mieux que ce qui est fini soit fini et qu'on n’en parle plus. La différence entre les deux conventions n'est pas assez grande pour que la Grèce y mette un grand prix, et elle aimera probablement mieux ne pas causer ce déplaisir à l'Angleterre dont elle a éprouvé l'acharnement, au profit de l'amour propre de la France qui ne l'a pas efficacement protégé. En sorte que l’arrangement Drouyn de Lhuys sera écarté par la grève sans que Palmerston en ait fait pleinement la concession à la France. Car vous voyez bien qu’il n’a pas encore fait cette concession ; si elle était faite, on ne négocierait plus. Lahitte n’a demandé et ne peut demander que cela. S'il l’avait obtenu, il se serait déjà déclaré satisfait et lord Lansdowne n'aurait pas éludé la discussion. Palmerston discute, marchande. A Paris, il a l’air pressé, mais il ne cède pas davantage. A Londres, il demande du temps, et on lui en donne. Athènes le tirera d’embarras en repoussant cet échange entre les deux conventions qui devient plus insignifiant et plus impraticable à mesure que le temps s’écoule. Et à la fin comme au commencement de l'affaire, par ruse, comme par force, Lord Palmerston aura fait sa volonté. Que dira alors Lord Stanley ? Les honnêtes gens sont obligés d'avoir plus d’esprit et d'être plus fermes que les brouillons. Avoir raison ne les en dispense pas.
Le général Trézel revient de S Léonard et m'écrit : " J’ai trouvé le Roi, fort maigri, fort affaibli, confiné dans sa chambre et fatigué de surcroît par un troisième rhume. Il a consacré plus de force et de vie que cet état n’en devrait faire espérer ; la parole est toujours nette et facile ; l’esprit aussi prompt, aussi lucide que de coutume d'ailleurs quelques symptômes favorables se manisfestaient depuis plusieurs jours dans les fonctions de l'estomac, et donnaient l’espoir que ce dépérissement graduel pourrait s'arrêter. J’ose à peine me livrer à cet espoir. La reine des Belges est fort affaiblie aussi par une fièvre lente assez inquiétante. » Absolument rien de nouveau sur la grande question. Je savais bien qu’on ne dirait rien de plus à Trézel. Toujours le langage de la politique d’attente et d'abstention. Il a paru au général que dans le cas où la famille royale perdrait son chef, le duc et la Duchesse de Nemours seraient assez disposés à prolonger leur séjour en Angleterre, à cause de leurs très bons rapports avec la Reine Victoria, mais que la Reine et ses autres enfants quitteraient bientôt un pays qui ne leur plaît pas.
Vous avez bien raison de consulter Chomel avant de partir. Je vous ai dit qu’Aix la Chapelle m'étonnait. Je ne vous crois point la poitrine malade ; mais c’est un climat rude, et le froid ou l’humidité par dessus l’ennui, c’est trop pour vous.

10 heures
Je suis charmé que Montebello parte. Je me déciderai d'après ce qu’il m’écrira. Je n’ai pas encore la réponse définitive du Duc de Broglie. Je ne me préoccupe guère des trois millions. On les votera. Ou bien on marchandera et on finira par s’arranger. Adieu, Adieu. Je vais déjeuner à Lisieux. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 29 Juin 1850
6 heures

Je viens de me promener une heure seul. Après vous, ce que j'aime le mieux, c’est la solitude. Je crois bien que je finirais par m'en lasser. Mais ce serait long. Mon passé est très plein, et je lui porte de l'affection. J’ai encore assez de curiosité pour l'avenir. Je ne prouve point de vide.
Aujourd’hui, ni vous, ni les journaux ne m’avez rien apporté de Londres. En y regardant bien, ce que j'ai vraiment le plus à coeur dans cette affaire c'est de voir triompher la justice et la vérité. Elles veulent la ruine de Palmerston. J'estime l'Angleterre. Cela me déplaît qu'elle ne sache pas faire droit. Ce que j’ai de personnel contre Lord Palmerston est bien à la surface et j'y pense bien peu.
Je viens de relire et de mettre tout à fait en ordre, cette étude sur Monk qu’on me demande de réimprimer. Elle n’a jamais été publié que dans un recueil intitulé la Revue française, en 1837. Elle est enfouie là. C’est une scène de grande Comédie, un soldat, sensé, fin et taciturne, décidé à rétablir le Roi sans tirer un coup de fusil, et pendant plus de six mois trompant tous ceux qui n'en veulent pas et faisant taire tous ceux qui en veulent. C'est piquant à lire aujourd’hui, et amusant pour les gens d'esprit. Pas d'assez grosses couleurs pour le gros public. Aucune recherche d'allusions. D'ailleurs les temps et les pays sont très différents. On y cherchera des malices qu'on y trouvera pas ; et on ne verra pas toutes celles qui y sont.

Dimanche 30 Juin
J'ai des lettres de Londres d'une bonne source que vous connaissez et d'accord avec les vôtres. « C’est un débat sans exemple car il n'est dirigé par aucun esprit de parti, par aucun chef politique ; c'est le sentiment national du droit qui se fait jour avec une puissance irrésistible. Il a dicté le vote de la house of Lords ; il laissera le Ministère dans une bien faible majorité à l'autre chambre. On espérait hier 25 voix, aujourd'hui 15. Les discours de Gladstone et de Molesworth out surtout obtenu un grand succès. Le Gouvernement n'a le secours d’aucun membre indépendant. si ce n'est de gens comme Rocbuck et Bernal Osborne. Bref, on compte aujourd’hui sur une victoire morale complète sur l'ennemi, et sur un vote qui rendra à peu près impossible le maintien du Cabinet Rusell. Lord Stanley échouera s’il essaie de composer un Cabinet sans les free traders, et je crois qu’un remaniement Whig avec Graham & & aura plus de chances de succès. "
J’ai aussi de bonnes nouvelles, de St Léonard. Dumas m'écrit : " L'amélioration dans la santé du Roi s'est soutenue et progressivement développée. Le sommeil est revenu, la toux a disparu, les fonctions de l’estomac se font mieux ; les forces reviennent lentement mais elles reviennent surtout depuis trois jours. J'espère que le Roi reviendra sinon à un rétablissement complet, au moins à un état relativement bon et durable, avec les soins dont il est entouré. " Dumas était un des plus inquiets. C’est vraiment bien dommage que vous partiez dans ce moment. Mais vous avez raison de ne pas rester en l’air. Rien ne vous est plus contraire.
Les rois et les reines ont trop de malheur. Les coup de pistolet, encore passe ; mais des coups de canne ! Adieu, adieu. Je vous obéis ; j'écris toujours à Paris. J'en conclus que vous partirez au plutôt demain soir. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 10 juin 1850
6 heures

Duchâtel m'écrit comme vous que l’argent du Président passera, après bien du tirage. Il croit aussi que sa loi du tombeau Napoléon passera cette semaine, et il ira alors à St Léonard, deux ou trois jours plus tôt ou plus tard selon que les nouvelles seront plus ou moins inquiétantes. Je ne sais pourquoi je vous redis tout cela qu’il vous dit surement lui-même. Habitude de nous redire tout ; on a bien de la peine à croire à l'absence, même quand on la sent. J’ai bien de la peine aussi à admettre ce que vous dit Ellice que l'affaire grecque reste toujours sérieuse dans la Chambre des Lords, malgré l'ajournement, et que le Cabinet ne s’en tirera pas. Flatterie pour votre désir. Ce serait trop beau. Il serait vraiment très beau qu’une affaire point grave en elle-même, et complètement terminée devînt l'objet d’un débat sérieux, et que par pur respect de la bonne politique, pour le seul honneur du pays, le Cabinet fût sérieusement censuré, et tombât devant cette censure. Quelle que soit mon estime pour l'Angleterre, je n'en espère pas tant. Je vois de plus, d'après ce que vous me citez, qu’il ne s’agit pas de substituer simplement, selon le choix du roi Othon, la convention Drouyn de Lhuys à la Convention Wyse, et qu’on en fait une troisième, un amalgame des deux premières. Si on retranche de celle-ci l’article qui mettait l’Angleterre à l'abri des réclamations de la Grèce pour pertes et avaries et si la Grèce élève en effet des réclamations, ceci peut prolonger et envenimer l'affaire.
J’ai passé hier ma matinée à Lisieux. J'ai vu assez de monde. Pays étrangement tranquille. On parle sans la moindre inquiétude de l'insécurité universelle. On prévoit et on discute les révolutions futures ; et on s’établit dans cette prévoyance comme dans un mal dont on ne peut ni guérir, ni mourir. On semble assuré que quoi qu’il arrive, on ne sera pas beaucoup pire qu’on n'est, et on se résigne, assez aisément à n'avoir ni plus haute ambition, ni plus grave crainte. C’est un spectacle profondément humiliant.
Qu'est-ce que la princesse Léonida Galitzine qui va a Trouville, et dont il me semble que vous m'avez parlé ? On me dit qu'elle est soeur de Paul Tolstoy, et que c’est une bonne et aimable personne, un peu timide et sauvage, qui a perdu sa fille aînée il y a quelques années, et que le chagrin dévore. Est-ce vrai ?

9 heures
Mauvaises nouvelles du Roi, de Londres et de Paris. J’attendrai ce que Montebello m’écrira, et que Thiers soit revenu. Je ne veux pas, comme de raison, m'y trouver avec lui. Broglie ne sait pas quel jour il sera disponible. Je ne puis l'attendre indéfiniment. Je le verrai en passant par Paris, et s'il est prêt, je l'emmènerai sinon, j'irai sans lui. Car je passerai par Paris. Adieu, adieu. J’ai cinq ou six petites lettres à écrire. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 12 juin 1850
10 heures

Je répondrais sérieusement à Lady Palmerston, pas du tout pour entrer en explication, mais par respect pour votre ancienne intimité. " J’avais toujours cru qu’on pouvait séparer l’Amitié de la politique. Je l’avais toujours fait avec vous. Depuis bien longtemps je désapprouve tout à fait la politique de Lord Palmerston ; je ne vous l'ai jamais laissé ignorer. Mais pour tout ce qui vous est personnel et même pour tout ce qui est personnel à votre mari, sa politique à part, je suis toujours restée votre ancienne et fidèle amie, et je n'ai manqué, je crois, aucune occasion de vous le témoigner. Vous semblez croire aujourd’hui qu’il n’en peut être ainsi et que la dissidence politique doit emporter l’amitié. Je le regrette ; je ne changerai pas d'avis, pour mon compte ; je désire que vous reveniez à penser comme moi. C’est tout ce que je puis faire aujourd’hui. " Cela vaut mieux, je crois, que de rire. Il ne faut pas rire au nez d’une ancienne amitié, ridiculement mais sérieusement fâchée. Du reste son humeur prouve, comme vous le dîtes, que la situation est bien mauvaise. J’en suis charmé, et je fais tous les voeux du monde pour qu’il en soit encore ainsi lundi. Si Lahitte s'en tient à son premier dire, il y a de bonnes chances, car céder pleinement après avoir tant marchandé, c'est descendre bien bas. Pourtant j’ai peur que Palmerston ne cède. Qui sait ? Je partirai peut-être pour Londres le soir de sa chute.
Je suis bien aise que vous voyiez Chomel. Vous le verrez ce matin. Je suis bien fâché de n'être pas là, ou tout près. Chomel est médecin tant pis, mais très clairvoyant, très sensé et poli. Ne vous inquiétez pas des mots dont il se sert et de l’air dont il les prononce ; c’est sa science et son état. J’ai la confiance qu’au fond il ne trouvera point de mal sérieux, et qu’il vous rassurera. Vous m'en parlerez avec détail dimanche matin.
J’ai écrit au Duc de Broglie que j'arrivais et que je partirais lundi pour St Léonard. Je voudrais bien qu’il vint avec moi. J'en doute. Je ne voulai pas croire au pigeon de Salvandy. Cela avait trop un air de prédestination, comme son nom Narcisse Achille. Vous avez raison, c'est plus étonnant que la révolution de Février. Je pense que, la loi du tombeau votée, Montebello partira tout de suite. Je serais bien aise qu’il fût arrivé avant moi. Et probablement Duchâtel aussi.
J'ai des nouvelles positives locales, conçues en ces termes : " the king is getting worse and worse, and there is no hope of his recovery. There is no immediate danger ; but as he gets weaker daily - in body not in mind however - those who may wish to see him had better not to delay much, as it might be too late. " Dites cela, je vous prie à Duchâtel et à Dumon, mais pas textuellement à d'autres. Il ne faut pas qu’on répète les phrases. Adieu, adieu. Si nous avions un télégraphe électrique, vous me diriez la consultation de Chomel dès qu’il sera sorti. On aura cela un jour ; mais nous n’y serons plus. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 13 juin 1850
Neuf heures

Pas un mot sur la consultation de Chomel ! Voilà ce qui me déplaît de votre lettre. Est-ce que la consultation n’a pas eu lieu ? Duchâtel m'écrit que le voyage de St Léonard est pressant, et me propose de le faire avec moi. Cela me convient. Il est libre à partir de samedi, et il voudrait partir dimanche soir. Je lui réponds que j'aimerais beaucoup mieux lundi. Enfin, je serai là dimanche matin. Nous verrons. Je vous trouve en effet bien en train de lord Palmerston. Dieu vous exauce ! Certainement, si rien n’est fini lundi sa situation sera bien mauvaise. Mais il ne dépend pas de Lahitte que rien ne soit fini. Palmerston n'a qu'à tout céder.
Le discours du Président à St Quentin ne m’a point surpris, ni son succès. Il ressemble à tous ses autres discours. Bonnes intentions vagues et contradictoires. Le vrai et le faux, le pour et le contre le gentleman et le philanthrope, un peu socialiste, l’ordre et la porte entrouverte au désordre. Et c'est à cause de cela que le Président réussit souvent en parlant. L’état général des esprits lui ressemble eux aussi, ils voudraient tout cela à la fois. Changarnier a raison de ne pas faire de bruit. Voilà Emile de Girardin enfin élu. Ce sera dans l’assemblée, un ennui pour le gouvernement et quelques fois un embarras. Il prêtera souvent à la Montagne de l’esprit et de l'audace. Ce n'est nullepart ni jamais un homme indifférent.
Vous ne vous intéressez surement pas à Cuba. Moi, je suis charmé que la piraterie américaine ait échoué honteusement. Je souhaite toutes sortes de bien à l’Espagne et au général Narvaez. Adieu. J’ai tant de choses à vous dire dimanche que je ne vois rien à vous dire aujourd’hui. Je vous écrirai encore demain. Je suis seul absolument seul aujourd’hui dans le Val Richer. Pauline est partie ce matin pour Trouville avec son mari. Henriette arrive ce soir ici avec le sien. Adieu, adieu. G.


Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, Dimanche 23 Juin 1850
Midi

Je passe la journée ici. Je retourne au Val Richer demain matin. Le temps est admirable. Je viens de me promener, une heure au bord de la mer. Vous trouveriez Trouville embelli, et plusieurs bonnes maisons de plus. Mad. de Boigne est arrivée ; elle est venue hier voir mes filles. J’irai la voir tout à l'heure. Le chancelier arrive mardi. Peu de monde encore du reste. On dit qu’il y en aura beaucoup. Votre dernière lettre à St Léonard (du 18 ) est venue me rejoindre ici ce matin. Je compte en trouver une demain en arrivant au Val Richer. Je n’ai rien à vous dire aujourd’hui sinon que je suis venu de Paris au Havre sans ouvrir la bouche. A qui et pourquoi aurais-je parlé ? Je serai très impatient des nouvelles de demain lundi ; plus de celles de Londres que de celles de Paris. Pourtant si les trois millions étaient rejetés, ce serait un plus gros événement, et qui aurait des conséquences plus graves que la prolongation de la vie maladive de Lord Palmerston. Je ne crois pas à ce rejet. Et je suis très curieux de savoir ce que fera Peel dans le Débat des Communes. Adieu, adieu.
Jeudi et vendredi ont été deux jours charmants. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 25 juin 1850
10 heures

Ce résultat me plaît fort. M. Moulin me le mande de l'assemblée même, pendant le dépouillement du scrutin. J’espère que les paroles ont été aussi, simples que l'acte a été décisif. J’aime les actions parfaites, fond et forme. Elles conviennent au général Changarnier, et je suis charmé de lui voir si bien saisir les occasions de grandir. J’ai la confiance qu’il ne se servira de sa propre grandeur que pour faire quelque chose de grand. Je regrette de ne pas l'avoir vu à mon passage. J'avais à lui dire deux ou trois choses qui valent la peine qu'il les sache.
Je ne sais ce que Mad. de Rothschild est allée faire en Angleterre. Quant au mari, il est venu au Havre pour assister au départ du Ferrière, grand bâtiment qu’il expédie en Californie. Il était avec son fils aîné. Ils ont trouvé Guillaume au chemin de fer, et l’ont emmené avec eux dans toute leur promenade nautique. Le Baron était charmé d’avoir découvert cette nouvelle manière de gagner de l'argent. Il paraît qu'il va faire plusieurs armements de ce genre et très profitables. C'est peut-être tout bonnement pour cela que la Baronne est allée à Londres.
Je trouve l'affaire grecque mal finie pour nous ; finie confusément, précipitament. Il fallait couler à fond, la dernière dépêche de M. Wyse et les deux dépêches de Normanby qui ne sont point bonnes pour Lahitte. Il s'est moqué de lui quand il lui a dit qu’il en exigeait de Lord Palmerston la publication. La nécessité d'éclairer ce nouveau subterfuge était plus qu'un prétexte ; c'était une raison pour tarder à conclure. Et il n'en pouvait résulter, aucun inconvénient. Le Mémorandum inséré au Moniteur d’hier devait être une dépêche très serrée et laissée en copie. Le général Lahitte aurait gardé jusqu'au bout le haut du pavé, qu’il a un peu perdu, et le débat de Londres s’en serait trouvé aussi bien que la situation de Paris. Je regrette cette petite issue d’un vrai succès. Et j’attends avec impatience les nouvelles de Londres, sans grande espérance. Je ne compte pas sur la fermeté de résolution et d'action de Sir Robert Peel. Pourtant il me paraît difficile qu’une bataille engagée si avant avorte, comme tant d'autres. Vous partez donc samedi ou lundi. Ce serait bien dommage si l'affaire de Londres, n'était pas terminée. Mais elle le sera, bien ou mal, et vous pourrez vous reposer.
Je suis bien aise de me retrouver ici, n’étant plus avec vous. J’ai beaucoup à faire. J’emploierai bien mon mois de Juillet. Si vous avez ce temps là à Aix-la Chapelle et à Ems, non seulement cela vous sera agréable ; mais vous vous en trouverez bien. J’ai toujours entendu dire que les eaux faisaient deux fois plus de bien par un temps chaud. Adieu. Adieu.
Certainement le discours de Lord John est très insolent pour le Continent et assez inquiétant pour l'Angleterre. Les précédents ne manquent point, dans le Parlement, à cette conduite, et à ce langage. Mais ils sont d’un temps où l’aristocratie anglaise était très forte, et pouvait supporter ces bouffées révolutionnaires. Aujourd’hui qu'elle est très affaiblie et que l’esprit révolutionnaire souffle constamment et partout, le danger est beaucoup plus grave ! Lord John se croit en droit de parler en 1850 comme Lord Chatham en 1750. Il se trompe, avec les mêmes paroles, il dit et fait tout autre chose. On ne sait ce qu’on dit ni ce qu'on fait. Adieu. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 26 juin 1850
7 heures

J’ai oublié de vous demander quoique j'en sois curieux, si vous étiez allée dimanche à Passy si vous y aviez fait votre rencontre et si vous lui aviez parlé de ce qu'on m'a dit à St Léonard. Je suppose qu'il n'est pas très pressé de vous rencontrer. Il est plus hardi à tendre ses pièges qu'à se trouver en face de ceux qu’il y voudrait prendre.
Le facteur va m’apporter les premières nouvelles de Londres. Je crains bien que la conclusion de l'affaire si petite pour Paris n'ait nui au débat. Le bataillon radical et fanatique qui entoune Palmerston et lui apporte solennellement son portrait, fait peur à bien des gens ; ils saisirent ce prétexte de donner satisfaction à leur peur. Si l'Angleterre, ce qui j’espère bien, n’arrivera pas, devait être emportée aussi par le démon révolutionnaire Palmerston serait le Judas qui le livrerait. Tâchez de savoir de Hübner si l’Autriche est en effet disposée, comme nous l'a dit le comte Creptowitch, à abandonner sa prétention d'entrer dans la confédération germanique avec tous ses états allemands où non allemands. Plus j’y pense, plus je trouve comme le Roi, qu'elle aurait tort d'y persister. La politique simple et attachée uniquement à l’intérêt principal est la seule qui convienne aujourd’hui : aux temps faciles et calmes il appartient de tenir grand compte des intérêts secondaires & de poursuivre simultanément des buts divers. L’Europe n'en est pas là.

10 heures
Certainement, la journée d'avant-hier est grande. Le petit billet qu’il vous a écrit me plait. Il y a de quoi penser à son petit château du Loiret. Décidément, la prudence, l'extrême prudence prévaut partout. Il faut donc que l’initiative vienne des intéressés pour qu’il y ait de bons conseils. Je n’ai jamais douté que dans le cas les conseils seraient bons. Mais je crois aussi que les plus intéressés ne sont pas les seuls intéressés, et qu’il y a bien des manières de prendre soi-même l’initiative sans inconvenance ni imprudence, quand on veut arriver au but. Je viens de lire le commencement de la séance des Communes et du discours de Rocbuck. Voilà donc la question posée entre la politique de l'Angleterre pendant trente ans et sa politique actuelle, entre M. Pitt et Lord Palmerston. Rocbuck condamne, dans le passé la lutte contre la révolution, et promet, pour l'avenir, l'appui de l’Angleterre à la Révolution. Et on appelle cela la cause de la civilisation et de la liberté ! Il est possible que Sir Robert se taise, qu'il laisse injurier ainsi tout ce passé auquel il a pris part, et pousser l'avenir dans ce détestable mensonge qui confond la révolution avec la liberté. Mais je suis décidé à ne pas comprendre son silence. L'occasion est belle pour rendre à son pays un immense service, et avoir, dans son Parlement, un immense succès. Dieu veuille qu’il le fasse ! S’il ne le fait pas, si personne ne le fait, je commencerai à être inquiet pour l'Angleterre. Adieu. Adieu.
Je jouirais bien de ce magnifique temps, si je ne craignais qu’il ne soit trop chaud pour vous. Adieu, adieu. Je ne comprends pas pourquoi ma lettre d'avant-hier a été en retard. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Jeudi 27 juin 1850

Voilà du bien petit papier. Je n'en ai pas d'autre sous la main. Vous partez donc samedi ou lundi. Paris vous manquera beaucoup. Vous venez d'avoir un mois très animé. Paris, et Londres à la fois. Et quelque chose de plus que la pure curiosité. Quoique les deux questions aient l’air réglées, au moment de votre départ, elles renaîtront bientôt. Et vous ne serez pas là pour voir et pour me dire, ni moi non plus pour vous tenir au courant. Nous nous enverrons quelques extraits, de lettres et nos réflexions.
A Paris, il va y avoir un temps d'arrêt. On votera les lois qui sont sur le tapis et le budget de 1851, puis on se prorogera. Et personne ne fera de coup d'état pendant la prorogation. Voilà ce que dit la prévoyance humaine. Londres devrait, ce semble, rester plus animé. Si le cabinet était vaincu la confusion serait grande; s'il est vainqueur, que deviendra le conflit entre les deux Chambres ? Mon pronostic est qu’il commencera par s’apaiser. Lord Stanley a été bien plus modéré que Lord John ; il n'a point jeté le gant aux Communes et à la révolution ; il a strictement limité son coup ; et peut s’arrêter sans se démentir. Mais quel effet aura produit sur la Chambre des Lord l’attaque révolutionnaire de Lord John ? Peut-elle ne pas la ressentir, et ne pas en marquer son déplaisir ? Les Anglais ont beaucoup de retenue ; ils savent faire un pas, et puis attendre. Pourtant la question d'honneur est bien engagée ; honneur de Chambre, honneur d'histoire ; le vieux parti Tory peut-il laisser ainsi traiter ses anciens triomphes ? Est-il assez transformé pour ne plus s'en soucier ? Je vous envoie mes questions et mes spéculations. Le facteur va m’apporter le résultat de Londres. Cela aura probablement duré plus d'un jour.

Dix heures
Ce sera long à Londres. Je vois que j’ai fait les frais du discours de Sir James Graham. Je consens volontiers à être de plus en plus déclaré l'adversaire et le but des coups de Lord Palmerston. Je n'y perdrai pas. Je vous voudrais cette chaleur là quand vous serez à Aix la Chapelle. Je suis convaincu que là, et quand vous prendrez des bains, elle vous serait bonne. Nous avons eu ici hier soir un violent orage. Adieu, adieu. G.
Je reçois ce matin une lettre avec l'adresse de la main de Marion. Je l'ouvre croyant qu'elle m'écrit pour me parler de vous et m'indiquer quelque chose à fair pour l'aider à aller avec vous. Pas du tout ; c’est son père qui m'écrit pour me parler du free trade, de Mad. de Staël, de Cicéron et de St Paul.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 28 juin 1850
Sept heures

Est-ce donc bien demain que vous partez ? Cela me fait l'effet d’une seconde séparation. Paris est si près ! J’espère qu’au moins les eaux d’Aix-la-Chapelle vous feront du bien. Prenez les avec précaution ; elles passent pour très fortes ; j’ai entendu dire que nous n'avions en France point d’eaux sulfureuses aussi fortes. Je ne vous crois aucun mal spécial et précis ; je vous crois au contraire un bon fond d’organisation et de tempérament. Mais vous êtes affaiblie délicate et susceptible ; il faut vous fortifier en vous ménageant ; des toniques doux et soutenus ; point de secousse. C'est dommage que je ne sois pas médecin et votre médecin. Je suis sûr que je vous traiterais à merveille. Mais vous n'êtes pas commode pour votre médecin.
J'attends Londres dans beaucoup de curiosité. Personne n'aura dit ce qu’il y à dire, et ce qui tuerait infailliblement Lord Palmerston, peut-être même dans la Chambre des Communes actuelle. Je connais bien les Anglais. et je les comprends d'instinct encore mieux que je ne les connais ; je sais qu’elles sont les cordes qu’il faut toucher pour aller jusqu'au fond de leur âme. Ils ont à la fois le respect des anciennes choses, des anciennes lois, et le goût de la liberté ; ils sont en même temps de vieux conservateurs et des libéraux sensés et honnêtes ; il faut leur montrer que Lord Palmerston ne leur ressemble et ne leur convient ni sous l’un ni sous l'autre rappor ; qu’il fait en leur nom de la politique qui n’a rien d'Anglais, point de dignité, point de moralité point d'intelligence des vrais intérêts de la liberté dans le monde comme de la considération et de l'influence de l’Angleterre. Je voudrais soulever contre lui, l’esprit libéral des Anglais, aussi bien que leur esprit conservateur, et le leur faire voir tel qu’il est réellement, comme un brouillon sans prévoyance et sans foi, qui va servant et semant partout, l'anarchie révolutionnaire, et qui revient ensuite dire dans le Parlement qu’il a soutenu l'Angleterre et la liberté tandis qu'il les a partout compromises, et rendues suspectes ou odieuses. Vous voyez ; je retombe toujours dans mon ancien métier. Je vous assure, et vous me croirez sans peine, que mon discours serait très bon.

10 heures
J’avais bien raison de vous envoyer un discours. Je viens de parcourir celui de Lord Palmerston. Le meilleur, ce me semble, qu’il ait jamais fait. Spirituel, spécieux et convenable. Je le lirai attentivement. Mais je persiste dans le mien. La réponse à Lord Palmerston pourrait être foudroyante. Puisque Sir J. Graham s'est engagé si avant, Sir Robert Peel en fera certainement autant et parlera bien. Le débat est solennel. Et certainement Palmerston en restera blessé à mort. Je crains seulement que le public, les badauds honnêtes, ne soient pas suffisamment détrompés et éclairés, sur son compte. Vous aurez moins chaud aujourd'hui. L'orage n’est pas encore fini. Il abattra la poussière sur votre route. Adieu. adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Vendredi 28 juin 1850,
Cinq heures

Je viens de lire attentivement Lord Palmerston habile mensonge d’un bout à l'autre. Bien plus mensonge qu'habile pour qui s’y connait un peu. Il omet hardiment ce qui est. Il affirme hardiment ce qui n'est pas. Ce serait ridicule et périlleux, s’il n’était pas sûr de son public et s’il avait des contradicteurs bien décidés.
Grèce. Il oublie qu’en 1835 il a dénoncé le Duc de Broglie au Prince de Metternich comme trop favorable à une constitution à Athènes.
Portugal. Il ne songe plus à renverser Costa Cabral. Donc il n’y a jamais songé.
Espagne. Narvaez, ce reckless adventurer, dans sa dépêche du 19 Juillet 1846, est aujourd’hui l'observateur le plus fidèle de la constitution.
France. Lord Normanby n'a été lié parmi les opposants à M. Guizot, qu'avec M. Molé, aussi monarchique que M. Guizot.
Autriche. L’Autriche a été six mois sans se plaindre de la non-production d'une dépêche. Donc elle n’avait pas à se plaindre.
Russie. Pas un moment des dépêches de Mr. de Nesselrode, du moins dans ce que j'ai aujourd’hui.
Quand on est aussi effrontément résolu à mentir en se taisant ou en se contredisant. On n'a pas grand peine à se défendre. Il se défend bien quand il accable de compliments la nation française pour retourner, contre les adversaires anglais, le reproche qu'ils lui ont fait de m'avoir renversé par haine personnelle, et avec moi la Monarchie. C'est le meilleur morceau du discours. La péroraison, qui me paraît avoir ou grand succès est un lieu commun d'éloquence vulgaire bon pour des badauds. Mais il a bien fait de s'en servir puisqu’il avait là des badauds pour l'applaudir. Je comprends le succès ; mais c’est un succès qui ne fait honneur ni à l'orateur, ni à son public.
Samedi 29 - 9 heures
Le chaud est passé ici, après deux orages nous sommes entrés, dans une température fort modérée. J'espère qu’il en est de même pour vous. Si le soleil vous fait mal, je finirai par m'en dégoûter. Je ne suis plus curieux que de Peel. Je n’espère pas qu’il dise tout ce qu’il y a à dire. Mais il pourrait dire beaucoup sans dire tout. L’article des Débats sur Palmerston me convient. Je voudrais vous envoyer des nouvelles pour vous distraire un peu de vos paquets. Je n'en ai point. Adieu, adieu.
Avez-vous revu, ou reverrez-vous Chomel avant de partir ? Je vous écris encore à Paris, selon votre ordre. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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296 Du Val-Richer, Mercredi 25 oct. 1839
7 heures

Ma journée a été prise hier par M. Hèbert, qui me reste encore aujourd’hui. C’est un homme de quelque importance dans la Chambre. Il a du sens, du courage et de la parole. Il m’a toujours été très fidèle. Mais c'est une terrible chose qu’un brouillard qui rend la promenade impossible, et la conversation permanente. Je ne connais plus que vous au monde avec qui en fait de présence et de conversation, je n’arrive jamais au bout de mon plaisir. Mon hôte ne sait rien. Il vit depuis deux mois à la campagne, en vacances. Sa disposition me paraît être celle des gens sensés du centre, le mécontentement expectant, peu de confiance et peu d’ambition.
Vous verrez que D. Carlos, pour avoir ses passeports, sera obligé de prier sérieusement Cabrera et le comte d’Espagne d'en finir, & qu’ils ne lui obéiront pas. Raison de plus pour ne pas les lui donner de sitôt ; il faut qu’il ait autant d'envie que la reine Christine de voir cesser la guerre civile, et qu’il emploie ce qu’il a d'influence pour nous comme il l'a employée contre nous. Bourges doit être bien ennuyeux, pas plus pourtant qu’Elisando, je pense. Je ne suppose pas que les visiteurs Carlistes suffisent pour charmer le séjour. Quel puérile parti !
Il me paraît que Berryer poursuit sa candidature à l’Académie française car on m'en écrit de nouveau. Parlerait-il du Roi comme il convient dans son discours de réception ? Demandez-le lui tout simplement si vous le voyez. Remarquez-vous, de votre côté un léger, bien léger mouvement pour nous adoucir un peu dans notre refus de faire comme l’Angleterre.
Plus j'y pense, et plus je répète, pour la politique ce que Mirabeau disait pour la morale : " la petite tue la grande. " Et je le répète contre tout le monde.
Pour rien au monde, je ne voudrais épouser la Reine d’Angleterre. Vous n'aviez pas bonne opinion de l'avenir conjugal de la Princesse Charlotte. Je parierais bien plus contre cet avenir-ci. Je ne sais pourquoi, car au fait je n'en sais rien. Mais j’ai cette impression. Peu importe du reste au résultat. Le Prince de Cobourg ne l'en poursuivra pas moins, et ne s'en félicitera pas moins, s’il l'obtient. Puis le temps s’écoulera ; les mécomptes viendront les ennuis, les colères, les regrets peut-être. C'est le train de la vie. Bien peu y échappent, même de ceux qui le prévoient.

9 heures et demie
Je m’attendais, en effet au dénouement de Félix. Vous faites bien de le garder. Moi aussi, j’attends le beau mois de Novembre. Adieu. Adieu. Je vous quitte bien brusquement. Mon hôte entre dans mon Cabinet. Si c'était vous !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
283 Du Val-Richer, mardi soir 1 octobre 1839 8 heures

Mon médecin me trouve bien. Il a examiné avec grand soin l'état de ma poitrine. Il n’y a rien. C’est un rhume, qui tient bien à une mauvaise disposition des bronches. (c'est le mot savant ) et qu’il faut soigner, mais qui n’a rien du tout de grave. Il pense comme vous, que l’humidité ne me vaut rien et que je ferai bien de ne pas rester ici trop tard. Ma maison n'a pas l'ombre d'humidité ; mais l'atmosphère en a beaucoup, rien n’est plus sûr. Il va passer ici deux jours et me regardera bien. Je me sens beaucoup mieux. J’ai peu toussé aujourd'hui. L’appétit, qui m’avait quitté, me revient.
Pourquoi ne voulez-vous pas que je pense à votre intérêt ? Est ce que ce n’est pas le mien ? Je ne puis m’y donner tout entier à mon regret infini ; mais tout ce que j’y puis donner, j'en jouis autant que vous. D'ailleurs, je ne veux pas arriver enrhumé à la session. Je vais m’arranger en conséquence. Je ne puis vous en dire davantage aujourd'hui. Je tiens trop à la vérité avec vous à la vérité précise. Mais vous pouvez vous fier à moi.
Il y a des gens d’esprit qui ont pensé au troisième parti dont je vous parlais. Ils disent que la coalition de l'Empereur et de Lord Palmerston est très facile à condition que Méhémet ne se défendra pas, car s'il se défend, et fait marcher son fils sur Constantinople jamais Lord Palmerston ne fera trouver bon à l'Angleterre que les Russes soient appelés pour l'arrêter. Du reste le peuple de Paris même celui qui pense à quelque chose, pense bien peu, me dit-on, à l'Orient et au cabinet.
La grande préoccupation, c’est la perspective d’un mauvais hiver, la cherté, la disette, la Banque de Londres chancelante. On dit que la saison vous a maltraités aussi, et que la Russie méridionale est menacée d’une grande disette.
Charlotte me revient à l'esprit. Voulez-vous que je fasse chercher une femme de chambre de Suisse ? Mad. Delessert en a toujours sous la main. Je suis entouré d’un monde très protestant, très pieux, et qui, sous ce rapport là, ne vous donnerait rien que de bon. Ce bon Génie est fort troublé de me craindre malade. Il m'écrit que si je le suis, il viendra s'établir au Val-Richer. Mon médecin lui a écrit ce matin même pour le rassurer.

Mercredi, 9 heures
J’ai très bien dormi. Le sentiment de chaleur et de fatigue que j’avais dans la gorge et la poitrine disparaît dans trois ou quatre jours, il ne restera rien du mal que la nécessité de prévenir ce qui pourrait en amener le retour. Savez-vous si Mad. de Boigne est de retour à Paris, et sinon où elle est ?

9 h. 1/2
Je n’ai pas la moindre rancune de votre oubli de Lord Chatam. J'en avais une vieille à cause de la vôtre pour mon oubli de Berryer. Je me la suis passée dans cette occasion-ci. Et elle est passée. Mon troisième parti vous voyez n’était par aussi terne que celui que vous avez imaginé. Du reste vos présomptions sont justes ; on a beaucoup d'humeur et on espère que les collègues de Lord Palmerston ne seront pas tous de son avis. Adieu. Adieu. Oui au revoir.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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289 Du Val Richer, Mardi soir 15 0ct 1839 9 heures

Prenez-vous quelque intérêt à la querelle du Roi de Prusse avec ses sujets catholiques. Je soupçonne l’archevêque de Posen de s'être enfui pour être repris, et pour attiser un peu le feu que le Gouvernement Prussien essayait de calmer. Rome est encore avec les états protestants comme les Princes légitimes avec les sujets rebelles. Ils se croient tout permis et ne se tiennent jamais pour obligés à rien. Et cette perfidie arrogante les perd plus que toute autre cause. On finit par se persuader qu’il n'y a pour en finir avec eux, d'autre moyen que la force et l'extermination. Je ne sais ce que vous aura dit Lord Granville ; mais malgré son aigreur, le Morming Chronicle a bien envie qu’on ne se sépare pas de nous. Je parie toujours que l'affaire s'arrangera du consentement de tout le monde. On veut bien se bouder, se taquiner ; mais personne ne veut se brouiller avec personne.
Dit-on les nouvelles propositions de l'Angleterre comme on me les a dites, la moitié de la Syrie au Pacha, sauf St Jean d’Acre et en cas de besoin, toutes les flottes ensemble à Constantinople ?
Quand vous aurez le Lord Chatam, dites-moi ce que vous pensez de ce caractère-là. J’aime bien mieux votre impression que le livre, que je lirai pourtant à mon retour.
Il me vient des nouvelles de Thiers, toujours plus aigre contre MM. Passy et Dulaure, et de plus en plus embarrassé de la Réforme électorale. Si les affaires d'Orient s’arrangent, il sera en effet fort embarrassé, car il n’y aura point de champ de bataille au dehors ; il faudra en chercher un au dedans, et il n’aime pas, ceux-là.
Du reste plus militaire que jamais ; la tête lui tourne des guerres impériales ; il ne parle que de l’armée de la triste condition de l’armée du peu qu’on fait pour elle qui est pourtant le seul appui du pouvoir. A Lille, il assiste à toutes les revues, et passe sa vie avec les officiers de la garnison. Sa femme est de nouveau fort malade.

Mercredi, 8 heures
Quand vous verrez Tscham soyez assez bonne pour lui demander si M. Eynard et M. Naville de Châteauvieux sont à Genève en ce moment. Il doit le savoir. Hier, je n’ai pas mis le nez hors de la maison. Il a pli tout le jour. Ce matin il fait le plus beau soleil du monde. Beau sans chaleur, ce qui n’est jamais qu'une demi-beauté. La lumière ne suffit. pas ; il faut le feu. Il me semble que ma toux s’en va tout à fait. Mais je sens bien que l’humidité me la rendrait. Il me déplaît que vous vous soyez établie sans moi rue St Florentin. J’aurais voulu assister au début, et le partager. Vous trouvez-vous bien ? Je regarde avec plaisir ce soleil qui brille sur vous. De qui vous vient le maître d’hôtel que vous avez pris ?

9 heures et demie
J'ai besoin de relire la note de Bruxner pour la bien comprendre et vous l'expliquer. Ce n’est pas trop de notre esprit à tous deux. A demain les affaires. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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392. Londres, Mercredi 10 juin 1840
9 heures

Ceci doit être ma dernière lettre. Savez vous mon sentiment ? c’est que je ne vous ai rien dit depuis le 25 Février. Je ne vous ai pas plus parlé que je ne vous ai vue. J’ai sur le cœur tout ce que j’ai pensé et senti pendant ce temps là. Quel débordement, comme vous dites ? Le beau temps dure, et par trop étouffant. J’ai été me promener hier au soir dans Regent’s Park jusqu’à 9 heures et demie. L’air était doux, frais, le ciel pur, les eaux pures aussi. Je vous attendais là. Je crois que je suis sorti le dernier. Il me paraît qu’on se bat toujeurs autour du corps de M. de Rumigny. Je suis essez curieux de l’issue. Le Roi en voudra beaucoup à Thiers.
Avez-vous vu Zéa ? Je serais curieux aussi de savoir ce qu’il pense des affaires du moment dans son pays. Il me paraît que les modérés sont dans une grande colère et méfiance, du voyage de la Reine. Ils croyent qu’elle veut les livrer aux exaltés. Je ne comprends pas On dit que Rumigny ne sera pas le seul. Dalmatie et Latour Maubourg sont ménacés. Il faut payer ses dettes. Ste Aulaire et Barrante n’ont rien à craindre. M. de Metternich, et l’Empereur Nicolas, les défendent. Du reste si la diplomatie est traitée comme l’administration, il y aura plus de bruit que d’effet. Que de préfets remués pour en changer un seul ! Je n’aime pas le humbug, même quand il sert à empêcher le mal. Mais il faut bien s’y résigner.

Une heure
Je ne vous dirai pas encore de gros mots. Je ferai plus. Je mettrai votre conscience à l’aise. Je viens de recevoir une invitation de la Reine pour Windsor, dîner le 17, passer la journée du 18, déjeuner le 19. Il n’y a pas moyen de n’y pas aller. Si vous arrivez ici le 15, nous aurons à nous la journée du 16 mais si vous n’arrivez que le 16 au soir ou le 17 matin, nous aurons à peine, le temps de nous entrevoir avant mon départ pour Windsor. Ne vous pressez donc pas de manière à vous troubler ou vous fatiguer. C’est une ennuyeuse parole que je vous dis là. Je suis très pressé. chaque jour plus pressé. Mais puisque ma course de Windsor coïncide avec votre tracas de ménage, faites ce qui vous convient. Je vous donne, pour arriver à Londres latitude jusqu’au 19. Si vous arrivez le 15 ou le 16, je serai parfaitement heureux. En tout cas, je vous écrirai encore à moins que votre lettre de demain ne me dise le contraire. Je vois que l’affaire des ambassadeurs tournera comme celle des prefets. Lord Palmerston ne revient qu’aujourd’hui de Broadlands. Il doit y avoir un conseil de Cabinet ce matin, probablement sur les affaires de l’Orient. Si on voulait m’admettre dans ce conseil, je crois en vérité que je serais tranquille. Cette parole est bien arrogante ; mais j’ai vu tant d’affaires mal conduites uniquement parce qu’on ne savait pas, parce qu’on n’avait pas pensé. Ici surtout on ne pense pas à assez de choses! Et chacun pense à son affaire, et ne sait rien de celles des autres. Evidemment si, dès le premier jour, toutes les faces de cette question d’Orient avaient été présentées à Lord Polmerston, lui-même ne se serait pas engagé comme il l’a fait. Cela perce à chaque instant dans sa conversation.

3 heures et demie
Je viens de faire quelques visites Je ne voulais voir que lady William Russell. Je ne l’ai pas trouvée. Elle m’inspire une estime mêlée de quelque curiosité. On dit que son mari, après avoir débuté par la Juive, fait à présent des sottises avec tout le monde. Est-ce qu’il en est en Angleterre des hommes comme des femmes ? J’entends dire qu’ici c’est à 40 ans quand leurs enfants sont élevés, que les femmes s’émancipent. Et on me cite des exemples. Nous avons ici de très mauvaises nouvelles du Rois de Prusse. Je suppose que vous les avez aussi. Adieu. J’ai été dérangé deux ou trois fois depuis que je suis rentré. Je dine chez Sir Robert Inglis. J’irai de là chez lord Grey. Lady Grey m’a écrit hier pour m’y engager. Je suis très bien avec eux. Adieu Adieu
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