Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond vendredi 24 août 1849

Une longue lettre de Constantin du 20 de Berlin. Intéressante racontant Varsovie au moment où les bonnes nouvelles y sont arrivées. D’abord, rapport de Leeds, destruction & dispersion, du corps de Bem le 10. Une heure après courrier de Paskevitch annonçant la soumission de Georgy et la fin de la lutte L'Empereur était dans son cabinet avec quelques intimes il s’est jeté à genoux remerciant Dieu de sis faveurs. Et puis il envoie son fils aîné à l’Empereur d’Autriche pour le féliciter de la soumission de la Hongrie ne voulant confier cette mission délicate qu'à ce jeune prince qui certainement la remplira avec toute convenance ! Un autre Russe aurait laissé percer de la hauteur. Et puis courrier à Pétersbourg, à Moscou, annonçant la fin de la guerre. Constantin à Berlin mission de Convenance. Très bien reçu par le roi, grand dîner à la cour. Le roi portant au bruit des fanfares la santé des braves soldats russes leur souhaitant victoire toujours. Constantin ajoute mais modestement que le roi a porté sa santé à lui aussi. Il repartait le 22 pour Varsovie. Il restera auprès de l'Empereur jusqu’au départ de celui ci pour Pétersbourg. Dans 4 semaines toutes nos troupes seront sorties de Hongrie. J’espère que tout cela a bonne mine ! Les Hongrois se sont souciés absolument uniquement à mon Empereur. La nouvelle de ces grands événements est arrivée à Vienne le 18 anniversaire de la naissance du jeune Empereur et au moment du Te Deum à St Etienne pour cette solennité. Cela a fait une sensation immense. On y a vu un heureux augure pour son règne. Lui-même était allé à Ishel passer 8 jours auprès de sa mère. C'est là que mon grand duc sera allé le chercher. Van de Weyer est venu me voir hier. Tout-à-fait convaincu de l’Empire, ou du moins persuadé que le Président en est convaincu en grande gloire de son propre roi. Lady Palmerston a annoncé il y a quinze jours que tant qu’elle restera à Londres, elle recevra le corps diplomatique tous les Mercredi avant hier jour de l’arrivée de la grande nouvelle elle écrit à Koller pour le prier de prévenir l’ambassade d'Autriche que ce jour-là elle ne peut pas recevoir concevez-vous quelque chose de plus bête. Melbourne enrage Lord Westmorland est arrivé hier. Je le verrai. Ils viennent demain pour quelques jours au Star & Garter.

1 heure.
Pas de lettre ! Voici la première fois que cela m’arrive. J’en suis pétrifiée. Qu’est-ce que cela veut dire ? Je vous en prie, donnez-moi ma lettre aujourd'hui car je ne pourrai pas achever ma journée, si je ne l’ai pas reçue. Je ne puis rien vous dire de plus, car je ne pense qu’à votre lettre. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond jeudi 23 août 1849

Quelle grande nouvelle ! Et comme je suis contente & fière. Convenez que nous avons bon air. Tout Richmond était en l'air hier, et radieux. La duchesse de Cambridge est accourue chez moi des plus joyeuses. Lady John Russell l’était fort peu. Elle a même très sincèrement avoué son regret. Et puis elle m’a dit " au moins nous ne nous sommes pas mêlés de ceci. " C’est tout juste pourquoi cela si bien été, et fini si vite. Elle n’a pas répliqué, je ne finirais pas si je vous disais tout ce que je vois au bout de cela. Et pour comment je suis persuadée que cela fait plaisir à l’Elysée, et aux bien pensants dans votre gouvernement. Vous verrez les fonds se relever partout. Ce qui remet sur jambes, un grand gouvernement donne de bonnes jambes à tous les autres. Dans tous les coins de l’Europe on se ressentira des coups que nous avons porter à la révolution. Melbourne est fou de joie. Quel dommage que les Palmerston ne soient pas ici, qui John soit en Ecosse !
Ma journée s’est dépensée hier comme toutes les autres en promenades visites, reçues, rendues, & jaserie, mais quelle charmante jaserie. Le cœur si content, c’est-à- dire, l’esprit content, car pour le cœur, il faut autre chose. Voici votre lettre. Ma question sur la sécurité à Paris ne porte que sur la rue. Peu m’importe le reste. Vous dites que la rue sera tranquille cela me suffit. J'aurais mieux aimé Boileau aîné que cadet. Quelle idée de se promener en Amérique ? Adieu. Adieu. Adieu. Oui il y a bien longtemps que nous nous disons adieu de si loin. Quand, quand, viendra le bonjour. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond mardi 21 août 1849

Je ne puis vous être bonne à rien pour la sœur de M. Chopin. Si j'écrivais à Varsovie, la conséquence infaillible serait un refus très sec, et beaucoup de mauvaise humeur contre moi. Non seulement on ne ferme à aucun russe de sortie du pays, mais les étrangers même domiciliés depuis longtemps n'obtiennent point de passeports. It is a hopeless case.
J’ai vu longtemps hier lady Palmerston toujours chez moi, car je n’ai pas été une fois chez elle. Je respectais les [?] de son mari. Très longtemps, aussi les Collaredo, qui sont venus de bonne heure m’ayant toujours manquées plus tard. Il avait de bonnes nouvelles. Le dénouement est prochain. L'ennemi est cerné. Temesvar occupée par le général Hequan. Enfin, je crois que cela va finir. Il est bien vrai qu’alors commenceront les plus grandes difficultés, mais cela ne nous regardera plus. Lord Palmerston parle toujours de conciliation, il demandé à Collaredo pourquoi le général autrichien ne dit pas aux Hongrois ce qu’il veut faire, pourquoi ne pas promettre, ce qui est juste, le retour à leur ancienne constitution ? Collaredo répond, qu’avant de leur parler, il faut les battre. J'espère que voilà ce qu’on fait dans ce moment.
Je vois toujours du monde chez moi, le matin. Hier Lord Chelsea, lady Wharmliffe, les dames Caraman & Delams, M. Fould. Enfin ce qu’il y a à Richmond. Fould est reparti hier pour Paris, il revient samedi et ramènera dit-il M. de Morny. La petite Flahaut la [?] est ici il vient la voir. Hier deux lettres de Metternich, des réflexions, des nouvelles. Je vais là rarement. Il parle trop longuement, je n’ai pas le temps d'écouter par le beau temps. Quand il pleuvra j’y irai. Le choléra augmente beaucoup à Londres. Dans la journée d’hier 280 morts. Vous ai-je dit que j'ai eu une longue lettre de Madame Fréderick bonne femme, amicale, fidèle ; des détails sur l'intérieur impérial toujours admirable. Mes lettres toujours reçues avec joie. Lady Holland me mande que l'audience de Lamoricière a mal été parce qu'il a voulu parler Hongrie, et que l’Empereur lui aurait dit sèchement que la France n’avait rien à y voir. Je ne sais si elle est à même d'en savoir quelque chose. Je suis seulement frappée de ceci, que Lord Palmerston, et Lord Holland parlent d'un mauvais accueil, tandis que Constantin me dit qu’il a été bien reçu, & que Brünnow me dit en P. S. dans un billet insignifiant. " Le général Lamoricière a été reçu avec distinction." Le vrai me parait être que cela n’a été ni très empressé, ni très mal. Nous verrons la suite.
Mad. de Caraman n’est pas autre chose que ce que vous dites, complimenteuse, & sans le moindre tact. J'ai déjà été rude, mais je me ravie, car elle pourrait m’être utile. Elle a fait de son salon un atelier de peinture & de musique harpe, piano, chevalet, biblio thèque. C’est très drôle. Je ne sais pour qui, car il n'y a ici personne. Elle a rencontré chez moi les seuls élégants, Chelsea & Fould ! Lord Lansdowne est à Bowood. Je vais tous les soirs chez lord Beauvale. Je ne sais comment il fera pour se passer de moi. Mais dans huit jours cela finit, car son loyer finit. C’est très drôle de le voir avec la Palmerston se disputant sur tout . Quelques fois jusqu’à la colère, Il déteste toute la politique de son beau-frère. Adieu. Adieu. Adieu.

2 heures. Voici votre lettre sur Rome. Des plus curieuses et sensées. J'en vais régaler mon paralytique. Qu'il sera content. Je suis bien aise qu’on ait donné tort à ce que je vous dis sur le passeport. Le noir n’est pas si diable.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mardi le 14 août 1849

Je suis mieux aujourd’hui, mais hier je suis restée tout le jour sur mon lit souffrant beaucoup de crampes & d’agression. Le médecin ici m’a fort bien traitée. Tous mes voisins sont accourus, mon fils aussi de sorte que je n’ai pas été seule. Il ne valait pas la peine d'envoyer chercher Mussy qui était à Claremont. Enfin je le répète je suis mieux, je je crois même que je sortirai. Merci merci des deux lettres de Vendredi & Samedi. Je reviens au duc de Lenchtemberg honnête jeune homme, conversation sensée, pleine d’affection, mais reste étranger sous beaucoup d'autres rapports. Du good sense, et bonne vue des choses. Il a vu l’Empereur il y a quinze jours, qui lui a dit que la guerre en Hongrie serait terminée au plus tard en six semaines donc, dans un mois. Qu’aussitôt, cela fait il dirait le bonjour aux Autrichiens &t rentrerait chez lui avec armes & bagages, mais que son armée resterait en Pologne, prête à d’autres éventualités. La totalité de nos forces actuellement en Hongrie & Transylvanie est de 220 mille hommes, 130 mille de réserve en Pologne. En tout 350 m/ sur pied de guerre. On se préparait à recevoir très bien le général Lamoricière. L'empereur lui a assigné un palais à Varsovie (c'est énorme !) Nous allions nommer de suite ses Ministres à Paris. Brunnow affirme que c’est Kisseleff. Le prince a souci & a dit qu’on était mécontent de Kisseleff sans beaucoup de rapports, & qu’il ne croyait pas que ce serait lui, moi, je crois Brunnow mieux renseigné. Après le Prince j’ai eu une longue visite d'un des cavaliers de sa suite, homme d’esprit, français. Il me dit que l’empereur est devenu très serieux, très grave, qu’on a fort peur de lui. Ces propres enfants. Refus absolu de passeport pour l’étranger, pas une exception, personne, personne ; ne peut sortir de Russie. Cela a été provoqué par la conduite de certains Russes à Paris Branitzky entr'autres. Le Prince repart après demain pour Madère. Grande suite 12 ou 14 personnes, toutes grands noms, & des gens comme il faut !
Je n’ai pas de nouvelles à vous mander d’ici. Les Palmerston devaient y venir coucher hier et à côté de moi lorsque tout à coup ils sont partis pour Tunbridge où un autre petit garçon de Ashley est mourant. Lady Holland m'écrit une lettre assez curieuse. Il parait que Thiers a complètement désorganisé le parti conservateur. Brouillé ouvertement avec Montalembert & Barryer. Molé s’en montre fort triste, & dit : " je ne vois plus ce qui peut sauver le pays." Il y a quelque rapprochement entre l’Elysée & les Invalides. Le rappel d’Oudinot n’est pas du tout sûr. Le ministre le rappelle mais le président lui écrit de rester. Cela serait-il possible ? Oudinot a toujours été mal avec Tocqueville et ne lui faisait pas de rapport tandis qu'il écrirait tout confidentiellement mais par intermédiaire au Président. Je vous donne là lady Holland. Son mari est venu pour huit jours. J'espère le voir. Lady Alice est encore ici mais malade. Elle vient de louer Marble Hill. Le temps est à la tempête. Et je suis ici comme dans une cabine de vaisseau. On meurt beaucoup du Choléra à Londres. Adieu. Adieu.
Voici votre lettre d’accord avec lady Holland quant à la scission dans le parti modéré. Si on va de ce train, Ledru Rollin sera président dans 3 ans. Adieu. Adieu. Adieu. Tournez. Vous me faites bien plaisir en continuant votre langage & votre attitude réservée. Persistez, persistez, sans un moment de distraction. Adieu encore.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond samedi le11 août 1849

J’ai vu longtemps Flahaut hier le matin chez moi, le soir chez Beauvale. Il ne sait rien de nouveau de Paris. Il a des lettres de G. Delessert de Naples. Il avait passé à Rouen quelques jours, grande tranquillité, excellente tenue de l'armée, sa population bienveillante pour elle. Quant au Pape la plus complète indifférence à son égard. A Naples tout va bien.
Lady Palmerston est venue me voir, très radicale et parlant toujours de concessions à faire à l’esprit du temps. Ce rabâchage est ennuyeux. Lord Chelsea était présent, il a ri comme moi. Elle ne m’a rien appris de nouveau. Toujours le même vœu pour la France. Ils attendaient hier Le duc de Lenchtemberg à Londres. Le Roi Louis-Philippe la reine et toute la famille sont venues prendre le thé au Star & Garter hier. J’ai rencontré la duchesse d’Orléans marchant sur la terrasse. Lady Alice est venue dîner avec moi. Elle n’a plus de cuisinier du tout. Pourquoi a-t-on rappelé le général Oudinot ? Est-il trop catholique ? M. de Falloux me plait beaucoup. C'est une vraie acquisition pour le gouvernement. Le Times a aujourd’hui à son sujet un long article fort bien fait ou il démontre. Comment Louis Philippe était à tout jamais privé des services des gens de ce parti, tandis que la République peut les réunir tous. Seulement il range M. de Tocqueville parmi les légitimistes. Ceci n’est pas exact je crois. Comme je regrette que vous ne veniez pas dîner chez moi ! Le pain ici est excellent, le dîner fort bon aussi, vous voyez bien que je ne vous regrette que pour cela. Lady Palmerston me disait hier que le Consul Anglais à Yassy annonce l’entrée de 25 m. hommes de troupes hongroises en Moldavie. On n’y comprend rien, & l’étonnement là est extrême. Cela peut forcer la Porte à faire cause commune avec l'Autriche & la Russie.
Voici votre lettre. Il faut causer pour que je comprenne votre préface, & j'espère bien que nous causerons. L’occasion serait excellente pour dire d’excellentes choses. Adieu. Adieu. Demain le mauvais dimanche. Adieu dearest adieu. J'aime mieux que vous ne soyez pas du Conseil général. Flahaut souhaite le contraire. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 8 août 1849

J'ai eu hier une longue & bonne lettre de Montebello. A propos de tous les mea culpa exprimés par tous les côtés, il me dit " Thiers a fait le procès du gouvernement provisoire qui est aussi un peu le sien. Si on était logique il faudrait en conclure que celui qui a le moins failli est M. Guizot et se hâter de l’envoyer chercher au Val-Richer, où, tout considéré je suis bien aise de le voir. Il grandit dans sa retraite et son jour viendra. " Il veut vous faire visite. Il veut venir ici aussi. Je le voudrais bien.
J'ai eu aussi une très bonne et affectueuse lettre du grand duc héritier, pleine de respect, de souvenir, & d’amitié. Il m'écrit de Grodus en marche pour Varsovie à la tête de la garde Impériale. La femme de Constantin est accouchée d'un fils. Il en est dans un grand bonheur. Il allait la quitter le 3ème jour pour retourner auprès de l'Empereur à Varsovie. J’ai vu hier lord John Rusell tout rempli du succès de voyage de la Reine. L’enthousiasme est immense. Cela ne peut s’adresser qu'à la durée d'une dynastie, ou à un très grand homme. Il n'y a plus de grands hommes, et une petite fille de mérite très médiocre devient un objet de vénération et d’idolatrie par cela seul que son arrière grand-père, a régné là où elle règne aujourd’hui. Certainement il y a dans cette réflexion de quoi frapper beaucoup aujourd’hui les esprits partout si toutes fois, les esprits du continent sont susceptibles de réflexions sages.
La princesse Crasalcovy à dîner chez moi hier, nous nous sommes fait traîner à nous trois en calèche très découverte jusqu’à 10 heures du soir par le temps le plus beau, le plus chaud du monde. Cette nuit il y a eu de l'orage mais l'air n’en est pas rafraîchi. J’ai fait lire à John Russell la lettre de Montebello qui l'a fort intéressé. Il dit ce que vous me dites. Cela ne peut pas durer comme cela, mais on ne sait comment s'y prendre. Tranquillité assurée pour quelques mois, mais après ? God knows. Tolstoy m'écrit du Havre. Ce pauvre Pogenpohl est en paralysie. Adieu, dearest Adieu. Mille fois.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond vendredi le 3 août 1849

Votre lettre me fait rétrograder dans mes espérances. On restera donc comme on est. Si cela pouvait rester ainsi toujours, je n'ai rien à dire mais cela ne se peut pas. Hier un temps charmant aujourd’hui de la pluie. Une longue lettre de Constantin de Berlin. Sa femme n'accouche pas il s’impatiente. Il voudrait aller retrouver ses cosaques. Je crois qu’au fond il les aime mieux que son ménage. Les élections bonnes, pas assez pour défaire tout le mauvais ouvrage, surtout pas assez pour se rapatrier avec l’Autriche. En Autriche on s'en moque de la constitution promulguée à [?], personne n'y pense plus. On est tout militaire. On veut ressaisir tout le pouvoir que donne la force des baïonnettes. Cependant la guerre traine, mais nous écraserons. C’est toujours le langage. On ne sait que faire de Bade. Pays pourri. La famille régnante très déconsidérée. En Bavière l’opposition unitaire gagne. Constantin furieux du discours de Lord Palmerston. Voilà sa lettre. Le duc de Cambridge m’a fait une longue visite. Cela ne m’a pas extraordinairement divertie. Beauvale valait mieux. J’y ai rencontré le L. Holland qui m'a demandé de vos nouvelles avec bien de la tendresse. Le choléra toujours gros à Londres, sans changement. J'ai diné chez Delmars avec Mad. de Caraman. Voici M. Genaud de Mussy. Pardon & Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Vendredi le 22 juin
6 heures

Je me sens toute malade aujourd’hui. Accidents d'entrailles. J’ai été cependant en ville. J’ai vu lady Palmerston plus anti autrichien que jamais et anti russe aussi à ce qu'il me semble. Sur la France des doutes, un répit voilà tout, enfin ce que nous disons. La duchesse de Sutherland a perdu hier une petite fille charmante, cela aura sans doute dérangé votre matinée. Le temps est ravissant, mais je ne suis pas en train d'en profiter. Voici un mot de Lady Holland Personne n'est venu me voir aujourd’hui, et je ne compte pas sortir ce soir. Hier j’ai trouvé un Cambridge chez Metternich. On dansait. Grand Dieu quel tapage ! Je n’y ai pas tenu plus de 20 minutes. Adieu. J'ai besoin de repos. J'ai des maux de reins assez forts. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mardi le 19 juin

C’est cela. L'absence est cause de tout. Ensemble, toujours ensemble, et il n’y aurait jamais de nuage, et je suis condamnée aux accident de nuages ! Ma vie ne sera plus longue et je crains qu’elle ne soit triste ! Qu’allons nous devenir. Je ne vois rien de clair, rien de bon. Je passe mes nuits à penser à cela. Je vous renvoie la lettre de Beyier. Elle m’a intéressée. Vous voyez, lui aussi pour le président. Il m'est venu hier beaucoup de monde. La duchesse de Beaufort, lady Wilton, la princesse [Crasal?] les Delmare. Le soir j’ai passé un moment chez les Metternich. Il est bien tout-à-fait !

5 heures Je rentre de ville. Déjeuner manqué à droite et à gauche, j’ai fini par le prendre au Clarendon. La duchesse de Cambridge sombre pour l’Allemagne je ne sais pourquoi. Une longue lettre de Constantin du 8. Des forces immenses le 14 ou 15 au plus tard on attaquera sur toute la ligne. Lui-même venait de recevoir l’ordre de départ n'osant pas dire où. Paskevitch parti le 10. L'Empereur allait à Cracovie. Le 14. Lenchtenberg. Mouralt ainsi que la fille du G. D héritera. L'Empereur toujours en pleurs. Le temps est laid. Je ne suis pas sûre d'aller demain en ville. Il faut que je sois ici à 4 h. En tout cas je serais pressée. Si je ne viens pas vous m'écrirez, & puis lundi vous viendrez. Adieu. Adieu. Adieu.
Je vous envoie le relevé des forces.
205 bataillons
187 Escadrons
370 Pièces d’artillerie
Voilà Russes et Autrichiens
De plus Tellachich 45 000 hommes & les Services venaient d’offrir 50 000.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 18 Juin
Lundi 5 heures

Hier les John Russell tous seuls copiant des vers de lord Byron. Il croit que l’assemblée va statuer quelque chose sur la situation du Président. Il ne sait quoi. Drouyn de Lhuys sera nommé ambassadeur ici. Dufaure a dit à Normanby. " Les soucis de tribune, c’est des bêtises ! Le pouvoir c’est tout, je l'ai, et je le garderai. " Mon Empereur mécontent de roi de Prusse. Voilà tout ce que j’ai relevé de la conversation hier. J’ai rencontré Duchâtel dans la rue. Delessert lui mande qu'on s’est fort battu à Lyon, on a tiré des forts. Cela a bien fini, & tout cela est bon. Je rentre, le temps est charmant, & la promenade avec vous serait plus charmante encore. Des visites. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 10 août 1848 Jeudi
midi

Lord John était très préoccupé de l’Allemagne surtout. Qu’est-ce que veut dire cette immiscion dans les affaires d’Italie ? Cette guerre au Danemark ? Ces prétentions sur le Limbourg de quoi se mêle Francfort ? Mais ni nous, ni la France, ni la Russie, ni la Prusse probablement ne peuvent le permettre. Nous espérons dans Wessemberg qu'il ait un esprit sage. Quand au Pce de Linange sa nomination nous déplait fort. La Reine est très fâchée. Nous pouvons être dans le cas de faire très mauvais ménage avec son frère. Sur l’Italie, il m’a donné à entendre que la médiation de la France & de l'Angleterre aurait pour base l'Adige. Mais d’un côté il ne sait pas si l’Autriche voudra s’en contenter après les victoires de Radzki, de l’autre il ne me semblait pas très sûr de la France qui a proclamé l’indépendance de l’Italie toute entière. Ensuite, il me dit quoique Cavaignac & Bastide. parlent dans le meilleur sens, on n’est cependant jamais très sûr du même langage deux jours de suite. Enfin il n’était pas très stons en fait de confiance, mais certainement extrêmement anxious d’éviter la guerre. On va faire venir la Reine à Londres pour un conseil où on reconnaitra la république française, et elle recevra. Talleney. Il m’a dit, " et vous aussi vous avez dit que vous reconnaîtriez." Je n’en sais rien. Le Morning Chronicle annonce ce matin que Gustave de Beaumont est nommé ministre à Londres. Ce serait du Thiers n’est-ce pas ? Voici une lettre du duc de Noailles. Renvoyez la moi après l'avoir lue. Constantin m’écrit : " Si l'armée allemande entre dans le Lettland nous intervenons et la guerre en est la conséquence. Que fera la Prusse ? Se soumettra-t-elle à Francfort ? S’exposera-t-elle à voir ses provinces envahies par notre armée ? Ou se joindra-t-elle à nous qui seule pouvons la soutenir et la rendre à son honneur national. " Les réponses de Lord Lansdown à Stanley semblent équivalentes à l’aveu que la flotte anglaise s'opposera de force à l'envoi des troupes napolitaines, contre la seule ses réponses confirment aussi de tous points ce que Lady Holland vous avait dit. Quelle conduite ! Lisez le leading article du Times ce matin, admirable. Que de topics, sur lesquels nous aurions à parler à perte d’haleine. Quel dommage, quel dommage d’être si loin. Votre petit mot ce matin est bien court. J'espère mieux demain. J'ai déjeuné hier chez la duchesse de Gloucester, bonne femme. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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11. St Germain Mardi 21 juillet 1846.

Georges & Sabine sont venues me voir hier matin. Le Roi a envoyé à Lord Cowley son portrait. Ils en sont comblés, touchés. Les préparatifs se ralentissent. ils ne savent pas un mot ni du chef ni du successeur, leurs nouvelles sont aussi que la situation parlementaire n’est pas bonne. Balabrin est venu dîner. Petit homme assez spirituel. Toute l’Ambassade vient de recevoir des marques de faveur impériale. Il n'en était pas venu depuis la révolution de juillet. Kisseleff, le Stanislas, et les trois autres des promotions, ceci veut dire qu'on est gracieux pour Paris. On veut le marquer par tous les bouts, excepté le véritable. L’opinion à Pétersbourg plus française que jamais & cela universel & avec fracas. Constantin m'écrit de Peterhof après avoir rempli tous les tristes devoirs. Peterhof resplendissant de fêtes ! Beaucoup de fêtes populaires et moins de fêtes de salons afin d’épargner l’Impératrice.
Midi. Je vous renvoie l'incluse. Excellent esprit, sage, sensé, voyant ce qu'il faut voir. Je suis charmée de le connaitre, et je le connais maintenant. Bon conseil. Le pauvre William Russell est mort. Vraiment cela me chagrine, c'était une bon âme. J'écrirai à Lord John. Que de choses à nous dire, et comme je jouerai des causeries quand elles viendront que c'est long encore ! Voici cependant 10 jours de passés. Le tiers. Dites-moi que vous vous portez bien. Moi je souffre un peu de maux d’entrailles. Madame Danicau est malade. Maria aussi. Un peu en [hopital] c’est ennuyeux. Adieu. Adieu. Rien de nouveau aujourd’hui. Je n’ai pas encore lu les journaux. God bless you dearest. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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309 Paris, Jeudi le 7 octobre 1839
Midi

J'ai été envahie par des affaires et surtout une affaire à Pétersbourg dont je n’ai pas le temps de vous entretenir, (il parait que Paul met des entraves à ce qu'on m'envoie de la l’argent qui me revient). Tout cela m’a fait arrivé à midi sans vous avoir dit un mot. J'en suis désolée, car à présent il faut que je me presse. Je crois que je n'ai reçu de neuf à vous conter. Le roi a vu Médem avant hier. Le Maréchal aussi cela s’est passé plus doucement que de coutume. Nous sommes hostiles aux personnes nous ne le sommes pas aux choses et nous ne sommes pas loin de nous entendu sur l'Orient. Cela me fait plaisir parce que je vois Pahlen au bout de cela.
L’Impératrice va mieux mais le grand duc est malade et très malade à Mohilon. L’Empereur l’a été un moment il était bien de nouveau. La grande Duchesse Olga toujours malade. Voilà un hôpital.
Adieu. Adieu, pardonnez-moi cette pauvre lettre, je suis très occupée et désagréablement. Alexandre n’était pas arrivé à Londres avant-hier, je continue à être inquiète. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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307. Paris, mardi 5 Novembre 1839

Pas de lettres encore aujourd'hui ! Que faut-il que je pense et comment voulez-vous que je ne sois pas inquiète, très inquiète. Je voudrais m'imaginer que c’est la poste et ses négligences qui me vaut ce chagrin. Mais deux jours de suite c’est trop pour cette cause. Vous ne savez pas à quel point je m’inquiète.
M. Molé m’a fait une longue visite hier, il repart aujourd’hui pour quinze jours il va chez Madame de Castellane. Il allait hier soir aux Tuileries. Son dire est un peu méprisant pour le ministère, et sans spéculation pour l’avenir. Il voit des hommes, mais il les voit toujours isolés sans moyen aucune de faire un pluriel. Il ne comprend pas cependant que le ministère tel qu’il est puisse aller à la rencontre des hommes puissants siégeant sur leur banc. Il critique fort l’affaire de Don Carlos. Il ne fallait pas le retenir trois jours. Aujourd'hui et tous les jours il sera plus difficile de le relâcher. On vient de bannir de Bourges un ami de Don Carlos auquel on n’avait accordé que depuis huit jours la permission de résider auprès de lui.
J'ai mené hier au soir la Princesse Saltykoff chez Lady Granville. Il y avait fort peu de monde. Pahlen s'annonce pour le 10 décembre. Je persiste cependant à douter qu’il vienne. Personne n’a vu l’Empereur depuis Borodico. Il ne quitte pas sa femme. Elle allait mieux cependant. Le pauvre Bulwer a un gros chagrin. Lady Granville recevra sa belle-sœur, je n’y puis rien. Je trouve qu’elle a tort, mais elle ne m’a pas demandé mon opinion. Je calme Bulwer de mon mieux.

Midi. Dieu merci, voici deux lettres ! J’étais excessivement agitée, je ne savais à qui demander, où envoyer. J’ai parcouru avidement les journaux cherchant votre nom. Cela n’avait pas le sens commun mais le cœur n’a pas beaucoup d'esprit. Je vous remercie de n’avoir pas eu d'accident. c’est donc le 13 que je serai contente. Demain en huit. Quel plaisir ! J'ai fait comme vous me dites, j’ai écrit au Duc de Sutherland, Bulwer a écrit à Cunning pour une interrogation simple, et l’affaire va finir. Pas de nouvelle d’Alexandre Il faut bien que je m’inquiète encore de ce côté.
Adieu. Adieu. Le journal des Débats et le moniteur me paraissent assez piquants. Adieu mille fois. Dites à votre poste de ne plus me donner de frayeurs. M. Bresson est arrivé de Berlin hier. On a trouvé fort mauvais à Berlin que le roi de Hollande ait reconnu Isabelle et on le lui a dit.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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304 Paris le 2 novembre samedi 1839

J'ai eu un long tête-à-tête hier avec Médem. Il est d’avis que je donne connaissance à mes enfants par l’entremise de Bulwer et Cunning des questions que j’ai adressées à mon frère. Si mes fils sont en état de répondre, il n'y aurait plus de quoi attendre, et le question N°1. Serait tranchée par eux mal ou bien, car enfin, c'est à eux à en décider. Les retards ne les rendraient pas plus accommodants, parce qu'au fait ils ont maintenant le droit pour eux ; ce qu’ils feraient serait courtoisie. Il est clair que pour les trois autres points ils sont compétents pour les éclaircir.
Médem n’est pas sans quelque appréhension que la mauvaise humeur que vous nous montrer ici empêche Pahlen d’y revenir. L’Empereur sera ravi d'un prétexte de faire quelque chose de désagréable au Roi. Et il lui est désagréable de n’être pas environné d’Ambassadeur. Moi, je serais au désespoir. Il me manquera beaucoup et toujours. Médem est sans aucune instruction depuis quatre mois, cela gêne beaucoup sa position. Les Appony préparent un petit appartement, de petits cadeaux c’est le diminutif dans toute son exagération. Je dîne aujourd’hui chez les Granville avec de la diplomatie. Bulwer vient toujours tous les jours, quelques fois deux fois. Lord Brougham va arriver.
Adieu, à présent que le bon moment approche, mon mépris pour les lettres. augmente. Je crois que vous vous en apercevez à la façon dont sont faites les miennes. Le prince d’Arembourg a légué à M. de Bacourt toutes les lettres de Mirabeau, il me l'a dit lui même. Je pense que c'est à lui que vous devriez-vous adresser. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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299 Paris lundi le 28 octobre 1839

J’ai vu hier chez moi Lady Granville que j’ai laissé entrer enfin. Elle est ravie de mon appartement. J’ai vu plus tard le prince Paul de Wurtemberg. Il a des lettres de Madame sa fille, selon lesquelles l'Impératrice serait à toute extrémité. Vous ne sauriez concevoir quelle catastrophe cela sera pour l’Empire. Je ne conçois pas l’'Empereur et sa violence devant un premier malheur. J'ai fait visite à Pozzo hier au soir. Il était bien faible et bien imbécile. C’est vraiment une belle action d’aller passer une heure avec lui. Je viens de recevoir une lettre d'Ellice, mais je n’ai pas le courage encore d’aller à cet affront. La petite Ellice est arrivée très gentille, mais pas tout-à-fait autant qu'à Bade. C’est qu’à Bade j’étais bien abandonnée. Adieu.
Je vous assure que je suis bien harassée de tous ces tracas d’intérieur. Je ris quelque fois à force d’avoir envie d'en pleurer. Adieu. Si votre mère n’est incommodée qu'un peu et de façon seulement à ce que votre retour ne soit qu’une mesure de prudence je ne saurais m’en chagriner. Si vous aviez de l’inquiétude soyez sûr que j’en aurais beaucoup beaucoup aussi. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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296. Paris, le 25 octobre 1839
Midi

J’ai passé toute la journée dans ma chambre. Je n’ai vu personne que Thiers il est venu à 2 h. et ne m’a quittée qu’après cinq heures. Beaucoup d’Orient, presque rien que cela. Beaucoup d’esprit sur ce sujet. Ce qu’il aimerait le mieux, c’est que nous nous arrangeassions cela. Au fond c'est son vieux refrain et le refrain de beaucoup de gens ici. " Donnez-nous le Rhin, & nous vous donnerons Constantinople. " Mais il y a une petits écueil là-dedans, c’est que nous pouvons prendre Constantinople, & que nous ne pourrons ni ne voudrons donner le Rhin. Je l'ai un peu plaisante sur la coalition il a fort mal pris mes plaisanteries et a soutenu fort et ferme qu’elle avait accompli ce qu’elle s'était proposé. Tuer le ministère, que c’était beaucoup, que c’était tout, & que les gens d’esprit n’avaient pas un autre devoir. Les Turcs tous les uns après les autres, de façon à y arriver après que tout le monde sera mort. Je vous assure que je vous ai dit là tout ce qu’il a tourné et retourné pendant 3 heures. Il parle fort bien de vous, mais sans affectation, il dit qu’il est à merveille avec le roi.
J’ai eu une lettre de mon frère qui m'envoie les comptes de Brünnow. J'aurai 24 milles francs de plus que les 56 mille en tout 80 mille qui me seront remise quand je voudrai, à ce que dit mon frère. Il a jouté " Vous n'aurez plus qu’à régler la question du capital anglais Paul part pour Londres à cet effet, il a un vif désir de se réconcilier, avec vous. " (écrit comme cela.) Je voudrais voir trace de ce désir ! Ce que vous me dites de M. de Talleyrand est d'une parfaite vérité, de grandes habitudes mais pas de grandeur naturelle. Adieu.
Me voici en face d’une jolie femme de chambre, qui ne l'a jamais été mais qui a l’air si doux que je veux me résigner à toutes le gaucheries. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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294. Paris, le 23 octobre 1839

Toute la diplomatie a été fort divertie hier des révélations du Thiers au sujet d’un entretien qu’aurait eu mon Empereur avec un étranger. Votre gouvernement n'en est pas fâché ; nos bons alliés non plus. Cela fera quelque bruit au palais à Pétersbourg, car le public ne sera pas les journaux qui rapportent cela. J’ai eu un long entretien hier avec Médem sur mes Affaires, et puis sur les affaires. Il m’a donné quelques conseils sur les premiers & quelques soupirs sur les secondes. J’ai eu une lettre de mon Ambassadeur. Il l'annonce pour le 10 Décembre, s'il ne survient pas d'obstacle impérial. Il se réjouit fort de me trouver à l'hôtel Talleyrand. Je suis sûre qu’après vous c'est lui qui aura le plus de plaisir à m'y voir bien établie, vraiment j'y serai bien. Mon appartement. sera arrangé pour votre arrivée, mon ménage pas encore, car pour cela il faut que je sache si j’ai ou si je n’ai pas la vaisselle.
J'ai été hier au soir chez Mad. de Boigne. J’y ai vu le chancelier, il dit qu’il faut relâcher Don Carlos.
Il me semble qu’il n’y a des nouvelles de nulle part. Lord Lansdown a été voir le prince Méternich au Johanisberg. Médem parle de M. de Brunow avec beaucoup de dédain & trouve fort naturel et assez agréable qu'il ait échoué dans sa mission, car le naufrage est sûr. Paul est arrivé à Londres je ne le sais qu’indirectement. Bunkhausen ne m’a point envoyé encore les lettres of administration quoique j'aie accompli toutes les formalités requises pour les obtenir. Je n’ai pas encore répondu à mon frère. Je ne sais pas comment faire pour me plaindre un peu et ne pas le choquer. Car Médem aussi ne comprend pas qu'on ait mis ainsi un oubli mes droits en Courlande et il croit qui c’est une grosse affaire, parce que cette terre est très riche en toute chose. Le prince Metternich n'écrit rien encore au sujet du mariage de Rodolphe Appony. Ce qui fait que la chose est parfaitement en suspens ici ; tandis qu’elle est publique à Pétersbourg. Adieu. Adieu. Je suis bien contente d’apprendre que Pauline est remise, et je suis transportée de joie en vous voyant bien résolu à revenir bientôt. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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290 Paris, le 19 octobre samedi 1839

Je n’ai vraiment pas le temps ni la force de copier les papiers et les explications que m’a envoyés mon frère. J’en suis fâchée, car je voudrais vous tout montrer. J'ai fait lire tout cela hier à M. de Pogenpohl. Voici l’explication. La loi ne me donne que la 7ème part aux arendes comme aux biens fonds. Ainsi c’est en règle. Le question de la partie mobilière en Courlande a été évidemment, parfaitement oubliée. Il est d’avis que je dois la reproduire rigoureusement Paul peut refuser d'entrer en discussion, mon abandon étant complet, honorablement il ne le peut pas. Ce serait un tort de plus. Voici donc maintenant ma fortune. 2 mille francs de pension. Et le quart du Capital Anglais. Cela fera 36 milles francs en tout et pas davantage. Les 52 milles francs car ce n’est pas plus de l’année de veuve, couvriront ma dépense depuis juin et l'achat du mobilier. Je ne compte pas sur cinq sols des capitaux qui peuvent se trouver en Russie. D'abord il est clair par la lettre de mon frère que Paul ne veut pas même dire ce qu'il y a avant d’avoir touché le capital Anglais. Et quand il l’aura touché il est probable qu’il ne se trouvera rien, ou peu de chose. Les effets sont encore à partager, ma sœur est chargée de cela pour mon compte. Vous savez comme je comprendrai ses lettres. Au bout de tous mes calculs je trouve qu'en tout y compris toutes mes propres ressources, j'aurai 60 milles francs de rente & pas davantage. vous verrez que c’est exact. Mes fils auront chacun 110 mille francs de rente. Voilà assez parler d’affaires.
Le courrier de Médem venait de Londres. L'Angleterre n’a pas accepté nos propositions. Ses contre propositions ne sont pas très claires. Le question reste à peu près comme elle était mais il y a quelque rapprochement entre Londres et Pétersbourg dans l'ensemble de nos relations. J'aurai des tapis qui vous plairont. Le dîner de M. Fleichman valait mieux que son invitation. Je ne sais pas si on rappelle Ponsonby. Je le demanderai, mais j’en doute, on ne voudra pas encore fâcher Lord Grey. et les mémoires à payer à vérifier. Ah quelle bagarre, et comment vous écris je deux lignes qui aient le sens commun. Adieu. Adieu.
Je n’ai pas fait de promenade depuis 5 jours. Je ne parviens pas à bouger de chez moi. Adieu. Adieu. God bless you. Voyez comme je vous écris des lettres élégantes. Si vous me voyez entre les tapisseries, les lampistes, les marchands de bronze, et les changements de maître d'hôtel & de femme de chambre

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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286 Paris Mardi 15 octobre 1839

Je suis bien aise de vous savoir arrivé. Il pleut. Il doit faire bien humide au Val-Richer. Voici copie exacte de la lettre de Bruxner, reçue dans ce moment. Expliquez la moi, je ne la comprends pas. Le fait est que je ne comprends rien en fait d’argent.
Hier Bulwer, Zéa, Appony Brünnow le matin. Et puis des courses d'affaires c'est-à-dire de meubles. Après le dîné chez Mad. Appony dans mon lit de bonne heure, je ne me sens pas bien. Je crois que je suis fatiguée, je le serai un peu plus encore aujourd’hui, car je déménage.
J’attends M. de Valcourt qui va prendre possession du mobilier, et puis j’y passerai moi-même. ma matinée se passera à cela.
Je dînerai chez les Appony, si je suis encore capable de sortir. Adieu, Adieu. Je crois que vous vous trompez tous ici. Et que la Russie et l'Angleterre s’entendent. En général je vous trouve ici mal informés. Lord Lansdown est à Vienne ! Vous vous souvenez que j’ai disputé sur cela avec vous. Adieu. Adieu, mille fois.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
279 Paris Mardi 1er octobre 1839,

Je viens d'écrire un mot à Bulwer pour lui demander ce que vous voulez au sujet de Lord Chatham. J'ai sur le cœur votre rancune, car il y en a beaucoup dans les derniers mots de votre lettre. J’ai passé ma matinée hier à l'entresol avec M. de Pogenpohl, & M. de Valcourt. Il ne me donnera que demain ses idées sur ce que je dois prendre ou laisser. comme tout est long ! Je crois que je me laisserai, entraîner a beaucoup de dépenses ; si vous étiez ici vous m'arrêteriez.
J'ai été le soir chez Madame Appony. Je les ai trouvés seuls et évidemment de mauvaise humeur, ce qui a fait que pour commencer je n’ai rien pu apprendre ; si non le nombre des convives, la promenade & & et tout cela m’intéressait fort peu avec un peu de patience et quelque petites paroles provocantes, je suis parvenue à savoir, que le Roi est excessivement blessé de la conduite de l’Empereur, et furieux contre l'Angleterre. Nous n’avons pas encore dit un mot à la France, c'est un dédain qu’on supporte malaisé ment. Quant à l'Angleterre ce changement subit semble de la plus insigne mauvaise foi. Au surplus personne ne sait encore se l'expliquer. On attend des éclaircissements : on espère encore que la majorité du conseil anglais opposera à la volonté de Lord Palmerston. Quand à celui-ci il est à nous tout-à-fait. Quelle drôle de chose ! Appony, comme je viens de vous le dire est de bien mauvaise humeur et même un peu aigre pour nous. d’abord. C’est qu'on ne nous aime pas et que ce triomphe politique donne à notre diplomatie un lettre qui choque. Et puis, et je sais cela par expérience, un diplomate ne peut pas se défendre d’un peu de partialité pour la cour auprès de laquelle il réside, surtout s'il y est bien traité comme l’est Appony dans la circonstance présente, l'Autriche sera appelée à tempérer un peu le mauvais vouloir de la Russie & de l'Angleterre contre la France, mais au fond Metternich sera fort aise de notre rapprochement avec Londres. Je crois que j'ai deviné votre troisième parti. C’est ne rien faire. On m’y parait assez disposé ici. C’est plus sûr ; ce n’est pas bien grand ! Ah que les choses auraient pu être mieux menés avec d’autres diplomates que ceux que vous employez à l’étranger.
Vous voyez bien que je vous dis à peu près rien. J’aurais tant de choses à vous dire de près. Savez-vous ce qui me chagrine c’est que si nos relations restent aussi aigres qu’elles le sont dan ce moment, Pahlen ne reviendra pas, & que Médem se prolongera ici indéfiniment. Or, pour moi, j'aime bien mieux Pahlen que Médem. Je suis charmée de ce que vous me dites de votre santé aujourd’hui et cependant je persiste à croire que vous habitez un lieu qui ne vous vaut rien parce qu'il est trop entoure de bois, trop humide. Je sais indirectement, que mes fils seront à Londres dans quinze jours ou trois semaines au plus, que Paul y passera l’hiver, et qu’il retourne en Russie au printemps prochain. Alexandre pourra être à Paris vers le 1er Novembre. Avez-vous lu l’ordre du jour de l’Empereur à Borodino ? On est prodigieusement blessé ici. En général tenez pour certain qu'on est de bien mauvaise humeur. Le Roi restera à Fontainebleau assez de temps encore. Après il retournera à St Cloud et ne prendra ses quartiers d’hiver que le 1 Novembre. Les enfants d’Espagne vont à Fontainebleau aujourd'hui pour y rester huit jours. Le maréchal ne revient ici que dimanche. La diplomatie reste donc en vacances. Adieu. Adieu. Au revoir. Je ne sais pourquoi ce mot se trouve là. Il a coulé de ma plume sans ma volonté.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
276 Paris samedi le 22 Septembre 1839

Décidément, votre rhume est trop long, et un médecin intelligent vous prescrirait un changement d’air. C’est un remède infaillible. Savez-vous donc le grand changement de front politique ? Rien de plus subit ni de plus grave. Nous étions seules il y a quatre semaines. C'est vous qui l’êtes aujourd’hui. Ce que je vous dis est de la dernière exactitude. Je ne puis pas vous dire les détails vous êtes trop loin. Si vous les connaissez dites les moi afin que je voie si vous êtes bien renseigné. qu’allez-vous faire ? Il n’y a plus que deux partis à pendre rester dans cet isolement complet. (Car vous n'auriez d’alliés que le Pacha d’Egypte) ou bien entrer dans l’alliance contre lui, par conséquent ravaler bien des paroles, souffrir bien des actes contre lesquels vous avez protestés. Enfin vous mettre à la suite de la Russie & de l'Angleterre. Il me semble que votre diplomatie éprouve des mécomptes étranges. Comment tout cela a-t-il pu arriver ! Je voudrais bien pouvoir causer avec vous. Le séjour à Fontainebleau sera drôle au milieu de cette confusion politique, l'Autriche, la Prusse, la Russie, l’Angleterre y sont aujourd’hui pour revenir lundi. Je les ai presque tous vus hier. Et au milieu de cela Pozzo qui fait vraiment pitié à voir. En sortant de chez moi il avait absolument perdu le sens. Je crains bien que l’affaire de Paul ne tienne à ses relations avec moi. J'en suis désolée, mais il n'y a que cette explication de possible.

Midi
Génie est encore revenu aujourd'hui. Il m’est toujours très utile. J’attends M. de Valcourt dans une heure, il ira visiter le mobilier. Madame de Castellane est toujours ici et malade je ne le savais pas. J’ai été la voir hier, elle m'a fait une quantité d’exagérations sur le plaisir qu'a fait ma visite à Champlâtreux. Quelle bêtise de mentir comme cela ! Me voilà prête à croire que j’ai paru très désagréable. Décidément la qualité dont je fais le plus de cas c'est la vérité. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
273 (par erreur cela devrait être 272) Paris Mercredi 25 Septembre 1839
10 heures.

M. Démion est venu hier me porter son bail avec M. Jennisson. Je l’ai gardé pour le faire lire à M. Génie qui m’a fait quelques observations. Demain, je signerai.
J’ai dîné hier chez Pozzo avec un peu de diplomatie et le Duc de Noailles. Le matin j’avais vu chez moi Armin, Brignoles, Lord de Manley, arrivé hier de Londres. Il est whig, frère de Lord Duncannon qui est dans le Cabinet. Il parle mal de la Reine, avec un peu de pitié du ministère. La Reine épousera le Coburg, c'est ce qu’on croit beaucoup en Angleterre. Je ne crois pas que j'aie un mot de nouvelles à vous dire. A propos, la lettre de ma sœur. Vous avez plus compris que moi, et dans ce que vous avez souligné, je devine sur la première page par rapport à l’argenterie, et sur la seconde, vous pouvez écrire au banquier. Voilà tout ce que je sais de plus que vous. Et vous savez au total beaucoup plus que moi.
On m’a raconté hier l'histoire de Paul venue par un voyageur russe de ses amis qui arrive de Pétersbourg. Elle est très grave et très extraordinaire. Il se trouvait sur une liste de promotions présentées par Nesselrode à l’Empereur. Nesselrode avait dit à Paul que cela se ferait que c’était juste, et qu’il lui en répondait. L’Empereur accepte tout, & raye de sa main impériale. Le nom de mon fils. Une heure après il donne sa démission de tout, diplomatie, chargé de cour. (Il était chambellan de l’Empereur.) Il a eu mille fois raison et je suis furieuse. Voilà donc comment l’Empereur se conduit envers la mère et envers le fils de l'homme qu'il appelait " son ami ".
1 heure Adieu. Je vais donc à Champlâtreux, je serai de retour ce soir à 10 heures. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
269 Paris, Dimanche 22 septembre 1839
10 heures

Bulwer est venu hier pendant mon dîné me porter une lettre qu'il venait de recevoir de Cuming et une incluse de Paul à celui-ci traitant toutes deux du capital à Londres. Paul charge Cumming de prendre toutes les mesures légales pour me pour suivre au cas que je lève le capital avant son arrivée et que je retire les fonds. Cuming parait être dans la plus horrible perplexité. Il renouvelle la prière que je donne à Paul mes pleins pouvoirs ! Jugez si j’irai les donner après cette insolence. J’ai très simplement répondu à Bulwer que je viens de demander les lettres of administration pour qu’au retour de mes fils il n'y ait pas de temps de perdu et que je puisse leur faire tout de suite la remise de leurs parts et que ce sera mon banquier à Londres que je chargerai de la leur remettre. A cette occasion Bulwer m’a écrit qu'il avait eu des Affaires d’argent avec Paul et que sans douter le moins du monde de son honneur, il devait convenir qu’il n'avait jamais rencontré personne qui traitât en matière d’argent d'une si étrange façon que lui, et qu’il prendrai soin de n’en avoir jamais avec lui. Vous devinez que toute cette discussion m’a fait un effet mauvais comme santé, et que je n’ai pas dormi la nuit. Ma sœur qui a dû assister au partage du mobilier me mande dans une lettre indéchiffrable que je n’aurai pas de vaisselle !
Mon fils Alexandre m'écrit en date du 7 qu'il se rendait avec son frère chez mon frère pour une dizaine de jours. Qu'à son retour ils feraient leurs préparatifs de départ. Leurs oncles, les frères de mon mari ont procédé à l’enterrement en Courlande sans attendre ses fils & sans leur en donner avis ! Quelle famille ! Vous savez maintenant toutes les agréables nouvelles que j'ai eues hier. Je vous enverrai la lettre de ma sœur après avoir encore essayé de la lire, je ne crois pas que vous y parveniez. Savez-vous ce qui m'arrive au milieu d’un peu de colère, c’est de rire, vraiment rire de la manière dont tout se passe. Voici la lettre de ma sœur, vous rirez sans doute aussi. Je reçois dans ce moment une réponse de Berkhausen dans laquelle il me demande de lui envoyer les noms, prénoms, & titres du Prince de Lieven, date de son décès. Mes noms, prénoms & titres, et ajoute : " aussi tôt que votre altesse m’aura fourni ces renseignements je me procurerai les lettres d’administration en question que j’aurai l’honneur de lui adresser, pour qu’elle veuille bien y apposer sa signature et au moyen de ce document M. le Prince de Benckendorff qui se trouve déjà muni des pleins pouvoirs de votre altesse pourra toucher par l’entremise d’un fondé de pouvoir le montant des fonds laissés par le feu Prince de Lieven entre les mains de M. Harmann et C°."
Dites-moi ce que cela veut dire, pour quoi faudra-t-il que j'envoie cela à mon frère ? Je m'imagine que cela vient de la lettre de Paul, que Cuming mande à Bulwer qu'il avait montre à Berkhausen. Vous savez que mon frère est fort bien pour Paul et que celui-ci se croit à tout événement en meilleures mains chez mon frère que chez moi. Conseillez-moi, que faut-il que je fasse ? Ce tour du monde me parait parfaitement puéril, mon frère m’ayant dit surtout, " qu'à l’égard du capital j’aurai à m’entendre avec Paul ". Je crois que vous avez copie de cette lettre Ah, quand serai-je sortie de toutes ces horreurs ?
Madame de Talleryand est arrivée. Je la verrai ce soir. Il est parfaitement certain que nous sommes fort rapprochés de l'Angleterre. et que cela s’est opéré par suite de votre refroidissement avec elle. Nous boudons ceci, et on laisse M. de Médem, sans la moindre instruction et sans la moindre réponse nous donnons raison à l'Angleterre dans son hostilité contre l’Egypte. Les positions ont essuyé un change ment notable. Ce qui ressort le plus évidemment de tout cela c'est le maintien de la paix. Tant mieux votre lettre est bien courte, mais vous ne toussez pas, j'en suis bien aise. Encore une fois il fait bien humide au Val-Richer. Je ferai votre commission à Bulwer pour Lord Chatham. Adieu. Adieu, mille fois.
Renvoyez-moi le chef d’oeuvre de ma sœur. Nous avons appris à écrire ensemble. Son éducation a duré deux aux de plus que la mienne. C'est pourtant une très bonne femme, & qui a plus d’esprit que moi, c’est ce que j’ai toujours entendu dire.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
268 Paris Samedi le 21 septembre 1839,

Je sors tous les soirs malgré la pluie que voulez-vous que je devienne ? Je tue le temps faute de pouvoir l’employer. La femme la plus sotte ne mène une existence plus bête que la mienne. Les journées deviennent bien courtes. La causerie serait si bonne, si douce quand le jour disparaît. Et vous êtes au Val-Richer et moi seule, seule, seule ici. J'ai vu Armin hier au soir chez lui. C'est un ami de désespoir qui m’a pris. Je l’ai trouvé seul bien établi et bien étonné de ma visite. L'étonnement l’a rendu bavard.
L’affaire d’Orient n’offre plus de danger. L'Angleterre s’entend avec nous. Il n’y a que la France qui soit en bravades, sans doute pour les députés. Aussi n’y fait-on pas grande attention voilà à ce qu'il me semble la situation du moment.
M. de Jennisson ne se presse pas de me faire place. Il a cependant remis son bail à Démion. Moi je suis pressée de sortir d'ici d’autant plus qu'on m'en chasse. Il y a des gens qui me disent qu'il faut me hâter. de signer et de conclure avec M. Démion sans cela, s'il trouve 60 francs au dessus de 12 mille je perds l’appartement. Je vais faire cela aujourd’hui.
Je n’ai rien de mon fils, rien de mon frère. Soyez sûr qu'on ne prendra. pas la peine de m'informer de mes affaires. Génie dit que le Val-Richer est bien humide ; cela va mal à votre rhume. Et comment rester tard dans l’année dans un lieu humide ? Songez à cela, si non pour vous, pour vos enfants, votre mère. Adieu. Adieu, continuez-vous à recevoir des lettres de M. Duchâtel ? Vous ne me dites pas une pauvre nouvelle. Il me semble que vous vivez à Kostromé. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
267 Paris, Vendredi le 20 septembre 1839
9 heures

J’ai vu Bulwer et madame Appony hier matin, et Pozzo le soir. Il était infiniment mieux que je ne l'avais vu depuis mon retour. Bulwer travaille à mes histoire de M. Carming. Il me demande quelques matériaux ; je n'ai rien, ou plutôt j'ai beaucoup, beaucoup dans ma mémoire et un peu dans un cahier, mais je ne les lui livrerai pas. Il n'avait point de nouvelle.
La cour va le 25 à Fontainebleau. Il y aura des invitations. Le Roi des Pays-Bas épouse de la main gauche une chanoinesse Melle d'Outremont. Ces rois sont drôles. Je connais cette dame elle ressemble un peu à la Duchesse de Poix. Elle a un peu plus de cinquante ans.
1 heure. Appony sort de chez moi, mais il ne m'apprends rien de nouveau. On dit que nous nous rapprochons de l'Angleterre et que l'Angleterre propose de retirer le gros de sa flotte, & de en laisser qu’un ou deux vaisseaux aux Dardanelles. Peu ou beaucoup me parait la même chose Adieu, adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
253 Paris, le 28 août 1839,

Je commence par vous dire que je ne suis pas tout-à-fait aussi faible aujourd'hui que je l’étais hier, que mon pouls est un peu plus régulier. Ceci me prouve qu'il faut me reposer, et que pendant quelques jours c'est là ce que je compte faire sans me préoccuper de ce que je deviendrai après. Attendez donc de mes nouvelles, ne faites pas de plan, et nous verrons dans quelques jours s'il s’agira de Dieppe ou de Paris.
Le Pacha refuse. Il est cependant, un peu soucieux de cette démarche collective, quoiqu’il ne se figure pas que nous puissions être tout-à- fait d’accord. Et il a bien raison. Il est impossible de l’être moins ; il a dit à notre consul, " prenez Constantinople, car vous finirez cependant par le prendre. "
J'ai bien besoin que votre M. de Valcourt m’aide à trouver une maison. Ecrivez- lui, ou à Génie. Personne ici ne m'aide vraiment. C’est que personne ne s’intéresse vraiment à moi, il n’y aurait que vous au monde qui seriez capable de prendre intérêt à moi. Je vous écris de courtes et pauvres lettres. Je n'ai pas la force de faire plus. Et aujourd’hui je suis obligée, d'écrire à quelques personnes à Baden. Adieu. Adieu. Je suis bien aise que Madame Rémusat soit retournée en Languedoc. Adieu mille fois.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
252 Paris Mardi 27 août 1839

Le médecin veut absolument l’essai au moins des bains de mer, et il veut que je m’y rende le plus tôt possible. Quel jour pourriez-vous venir à Rouen ? Delà je vous mènerais dans ma voiture à Dieppe. Vous resteriez avec moi, chez moi, quelques jours. Tout cela me parait si facile ! Répondez-moi. Il se peut que je parte déjà samedi ou dimanche. Je vous dirai cela. Ne pourrait-on pas ignorer que vous allez à Rouen ? Car je n'aimerais pas les journaux. Je ne dors pas, je ne mange pas, ah j'ai bien certainement une pauvre mine, n'espérez pas le contraire.
J’ai vu hier Appony & Médem. Je sais à peu près tout. Le premier est glorieux, et il perce dans les récits la petites satisfaction de nous croire un peu humiliés, ce que je ne relève pas du tout des paroles de Médem. Nous ne demandons pas mieux que de voir la querelle entre les deux Barbares terminée, et nous agirons avec les autres pour cela, mais rien que cela. Nous ne voulons pas que sur ce point la conférence s’établisse à Vienne. Nous la voulons à Constantinople. Hier il paraissait que les quatre la feraient à Vienne sans nous. Voilà ce qui n’ira pas à moins de se brouiller avec nous. Nous verrons. L'Angleterre et l’Autriche n’offrent à Méhémet Ali que l’hérédité de l'Egypte, quelle bêtise ! L'Angleterre veut qu'il rende la fiotte de suite. S'il refuse, qu'on rappelle les Consuls d’Alexandrie. S’il persiste encore dans son refus, que les flottes alliées s'emparent de Caudie. Je ne vois pas que vous puissiez vouloir tout cela. Encore une fois nous verrons.
Le Roi est parti fort tranquille sur la situation. Vous avez fait je vous en demande pardon, une bêtise en déclarant par hâte que vous entrerez dans les Dardanelles si nous entrions dans le Bosphore. Il est évident que c’est l'Angleterre qui vous a mis en avant ne voulant pas le dire elle-même. Nous avons répondu que dans ce cas nous rappellerions notre Ambassadeur de Constantinople regardant cela comme une rupture de notre traité par le Divan. Et puis la guerre. Vous voyez bien que vous ne la voulez pas et que ces propos là étaient fort inutiles. Vous vous êtes montrés satisfaits et même reconnaissants de notre réponse si franche, et vous y avez reconnu une nouvelle garantie de paix. Tout cela est drôle. Adieu, adieu. Je meurs de fatigue, marcher dans la chambre me fatigue ; mais adieu ne me fatigue pas encore.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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239 Baden Dimanche le 11 août 1839 9 heures

Je me sens aujourd’hui plus faible que de coutume. Mes nerfs sont dans un état pitoyable. J'ai bien besoin de vous pour me remettre, j’ai besoin de votre affection, de vos soins, de vos conseils, il me faut un appui. Je vous assure que je ne me conçois pas livrée encore pour bien des mois à mes seules ressources, c'est à dire à mes bien tristes pensées. Vous ne savez pas comme elles sont tristes ! Comme elles le deviennent tous les jours davantage. Les journaux confirment ce que vous me dites des nouveaux embarras ministériels. Mais je ne crois à rien. Ils iront comme ils ont été. Les Flahaut sont menacés de perdre leur seconde fille, elle crache le sang. C’est pour elle qu’ils viennent aux Eaux en Allemagne et qu’ils iront ensuite passer l'hiver en Italie.

1 heure. J’ai été à l’église. Toujours un superbe sermon. Le texte était votre lettre. Nous reverrons ceux que nous avons aimés, mais j'aime encore mieux votre lettre que ce superbe sermon. Vous avez raison. Je viens de recevoir une seconde lettre de Benkhausen qui explique tout, comme vous le dites.
J’ai l’administration et non la possession du Capital. J’écris de suite à mon frère, pour tout remettre à sa place. J'ai du regret d'avoir mal compris, pour dire la vérité c’est Mad. de Talleyrand et Bacourt qui me l’ont fait comprendre comme cela ; car vous savez bien que moi, je ne m'y entends pas. Mais il faut absolument que ce soit moi qui lève l’argent. Les droits en Angleterre emporteront 1000 £ ce qui réduit le Capital à 44800 £. Pouvez-vous me dire si dans le plein pouvoir que j’ai donné à Paris à mon frère, il est suffisamment autorisé à faire pour moi cette opération ? Je vous envoie copie de la lettre que je lui écris. Savez-vous bien que je me sens toute soulagée par cette lettre de Benkhausen ? C’est si vrai qu’étant fort malade ce matin me voilà mieux. Je suis débarrassée de ces richesses imaginaires qui m'étaient on ne peut plus désagréables.
Je viens de lire des rapports de Vienne. Vos Ambassadeurs, le vôtre, celui d'Angleterre et l’internonce sont de parfaites dupes. Le divan est entre les mains de M. de Bouteneff et c’est par lui que le divan négocie avec Méhémet Ali. Je vous dis ce qui dit la diplomatie à Vienne. Metternich est fort inquiet de ce que nous ne parlons pas. Ne vous ai-je pas toujours dit que c’était notre affaire et que nous n’entrerions pas en causerie sur cela. Adieu. Adieu mille fois, adieu. Je reçois dans ce moment une lettre de mon fils Alexandre du 31 juillet dans laquelle il me dit qu’on venait de recevoir les nouvelles de la défection du Capitan Pacha, & de la défaite de l'armée Turque, que comme cela amènera des complications graves que peuvent influer sur mes projets pour cet hiver, il se hâte de m’en donner avis !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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236 Baden Jeudi le 8 août 1839

Vous n’aurez qu’un mot aujourd’hui. Je suis encore pressée d'écritures. Le Prince Meschersky part demain soir pour Pétersbourg. Je le charge de beaucoup. de choses pour mon frère, pour mon banquier, pour Alexandre. Il peut encore m'être d’une grande utilité dans mes affaires si elles ne sont pas irrévocablement conclues. Vous ne sauriez concevoir tout ce qui peut encore se présenter de confusion d'ici à peu de semaines. Que n’êtes-vous là pour me conseiller ! Je cause beaucoup avec le Prince Guillaume, et sur toutes choses, excepté ma personne dont je ne parle pas. Nous nous trouvons d’accord surtout, dans ces cas-là vous savez qu'on trouve toujours du mérite à la personne avec qui on parle ! C’est drôle, mais nous sommes tous plein de vanité. On dit qu'il y a un tas de Polonais fort, remuant ici. Le Prince Jérôme de Montfort qui est un sot à de mauvaises histoires aussi. On a découvert une certaine lettre adressée à lui par quelques français mécontents. J’espère que ce pauvre petit sot ne va pas faire une seconde édition de Strasbourg.
J’ai vu une lettre de Vienne aujourd'hui qui dit que le Prince Metternich est extrêmement troublé des affaires d’Orient. Il y a des courriers quotidiens presque, entre Vienne & Londres. La déclaration de Méhémet Ali à la Turquie est bien insolemment respectueux. Cet homme doit avoir beaucoup d’esprit. " Je maintiendrai, et j’attendrai " !

5 heures Votre n° 235 est triste, triste pour moi, contre moi ; je ne sais mais il m’afflige, il y a même un mot en seul mot qui me blesse. Je suis bien inquiète, car je suis sûre que je vous ai dit souvent plus que cela, & vous m’avez pardonné. Pardonnez, pardonnez toujours, pardonnez tout, car je suis faible et malheureuse. Je n'ai que vous pour me soutenir. Soutenez-moi et pardonnez-moi tout. Ah si je pouvais vous voir ! Que de fois je profère ce stérile vœu. Adieu. L’Empereur reste à Pétersbourg. Les journaux disent des bêtises. Il ira à la revue de 160 000 hommes à Borodino voilà tout. Il y dépensera 20 millions en fêtes et tuera quelques chevaux de poste en courant. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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235 Baden le 7 août 1839

Hier ne m’a pas apporté de lettre de vous. Sans doute c’est le dentiste de Caen qui me l'a enlevée en même temps que les dents de lait de vos filles. Nous avons eu bien froid hier. Ce n’est pas un bel été, et dans le moment je crois que nous sommes entrés en automne. Le prince Guillaume de Prusse fils du Roi, est arrivé hier. C'est le seul de ces princes qui ait de la tenue et un très bon esprit. Il vient de Darmstadt. Il est charmée de Notre future impératrice, mais il critique le choix pour tout ce qui n’est pas sa personne. Il m’a parlé avec peu de goût du mariage Leinchtemberg nous n'avons encore causé que de cela. M. de Jennison sera rappelé pour s’être mêlé de vouloir faire un mariage pour le prince royal avec la princesse Clémentine.

2 heures Le prince Guillaume est venu me faire une longue visite nous avons parlé de choses sérieuses. Il a un très bon esprit qui me plait. Il me semble que je vous l'ai déjà dit. Je me répète. Dites-moi quelles sont les mesures à prendre pour faire entrer en France mes effets. J'espère qu’ils pourront encore m'être expédiés par la présente navigation si le partage est fait. Je n’en ai pas la nouvelle mais je ne puis pas en douter. 5 heures Je reçois en même temps votre N°233 et la lettre de Caen.
Je remarque l’immense différence de l'éducation française et anglaise, à propos des dents de vos enfants. En Angleterre on ôte aux enfants quatre dents par séance, cela n'occupe ni les parents, ni les enfants Ils reviennent bien contents car on leur donne une guinée par dent c’est l'usage. Et tout se passe gaiement et sur tout facilement. Le fait est que les dentistes Anglais sont très habiles et que les vôtres font sans doute de cela une tragédie. Au reste vous devez savoir que ce n’est pas une souffrance pour les enfants. Et moi même en Angleterre. Je me souviens de m'être fait ôter mes dents à ma toilette et d’avoir paru à dîner chez le Roi une heure après sans me trouver un grand mérite à ce fait. Je crois que les sensations se mesurent sur les précédents. Nous sommes excessivement des singes. Ne pensez-vous pas cela un peu ? Quelle longue dissertation sur les dents. Est-ce que nous n’avons rien à nous dire. Voulez-vous encore une observation ? L'anglais en général est plus fort à la douleur qui tout autre nation. Vous seriez fort content d'observer les Anglais sous ce rapport à tous les âges. Leur éducation physique est admirable.
Adieu, Adieu. Voilà de ces lettres (ma lettre) qui me paraissent ne pas valoir la peine d'être envoyées, mais savez-vous pour quoi je l'envoie ? Uniquement pour ceci adieu. P.S. L'écho français dit que vous vouliez épouser Mad. de Stael parce qu’elle est riche, que vous aviez chargé M. de Broglie de votre procuration. Mais qu'il l’épouse pour son compte, & qu’en conséquence vous êtes brouillé avec lui.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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234 Baden le 6 août 1839

Hier en causant avec Mad. de Talleyand il m’est tout à coup venu à l’idée que si mon frère terminait l’arrangement avec mes fils sans consulter la loi anglaise. Je pourrais me trouver privée des bénéfices de cette loi. On m’a demandé en toute hâte les derniers pleins pouvoirs, je lui ai envoyé en toute hâte aussi sans avoir fait cette réflexion, au contraire, en pensant même qu'il valait mieux que ce ne fût pas par moi qu’on apprit cette disposition de la loi anglaise. L’Esprit m’est venu un peu tard, mais enfin il est venu. J’ai fait venir Bacourt et avec son secours j’ai écrit la lettre dont copie ci jointe que j'ai expédié sur le champ à mon frère. Voilà ce qui m'a pris mon temps, et mes forces. à 4 h. l'idée m’est venue, & à 6 heures ma lettre était à la poste. Voyons dites-moi maintenant ce qui va en suivre ? Si ma lettre arrive après le conclusion de l'acte, est-il possible de faire valoir une droite à la loi anglaise sans une contestation des plus pénibles avec mes fils ! Vous savez que mon frère a plein pouvoir de tout régler, il aura réglé 4ème part du Capital anglais comme des autres. Une fois signé par lui comment revenir sur cet acte ? Le peut-on ? Et Paul n’a-t-il pas le doit de dire : " ce qui est fait et fait, vous deviez y regarder plus tôt. " Moi, je crois et je suis sûre qu'il connaissait la loi anglaise, et je ne puis pas m’empêcher d' en expliquer par ce fait maintenant sa persistance à vouloir mes pleins pouvoirs. Que pensez-vous de tout cela ? Ma lettre à mon frère est-elle bien ? Dites-moi votre idée sur les conséquences dans le cas de la signature de l’acte avant que mon frère ne reçoive ma lettre d’hier. Il faut convenir que j’ai été bien simple ! J’ai un peu envie de vous demander aussi pourquoi vous ne m'avez pas dit de prendre des informations à Londres. Enfin il n’y a plus rien à faire Mais cela me tracasse, et vous savez comme cela me fait du mal d'être tracassée. Est-il possible que des chiffres m'occupent tellement ! Savez-vous que j’en ai quelque honte. Je vous remercie de votre lettre hier, je voudrais en être digne c.a.d. ; avoir la force d’y répondre. Mais vous voyez que je n’ai pas de forces. Il y a de la force dans mon cœur , il y a là dedans tout ce que vous pouvez aimer à y voir soyez en bien sûr, bien sûr. Mais venez voir à quel point je suis accablée, lasse ! Encore une mauvaise nuit, vraiment cela va bien mal. Toutes mes peines de printemps, toutes ces tracasseries, tout cela se dessine fortement sur mes traits, j'ai l'air bien faible, bien faible, & je le suis.

5 heures l’Empereur a écrit au grand duc de Darmstadt, et lui annoncer que son fils va venir passer l'hiver à Darmstadt. Le mariage est parfaitement décidé. Il ne peut pas être question que la Belgique entre dans l’association des douanes d’Allemagne. Il s’agit d’un traité de commerce avec la Belgique, mais il n'y a que les puissances allemandes que puissent être des Zolleverein. Adieu. Adieu.
Je suis impatiente de votre réponse à ce que je vous écris aujourd'hui. C'est une grande question que ceci, et mon idée est que je ne m’en tirerais pas sans procès, si je voulais maintenir mes droits après l’acte signé. Mais quelles seront nos relations avec mes fils qui qu’auraient dépouillé à bon escient ! Adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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213 Baden Jeudi 11 juillet 1839 à 9 heures

J’ai passé une bien mauvaise nuit ce qui m’affaiblit encore. Je reprends tout à fait ma nouvelle sur le mariage Darmstadt. Il se fera. Le grand duc est décidément épris. Il reviendra à Darmstatd peut être même avant la fin de l’année. Mon fils aîné sera nommé conseiller d’état, quand on est cela chez nous on ira à tout. Je suis charmée ; cela le figera dans la carrière. Il parait qu’il a du succès à Pétersbourg, & que l’Empereur et tout le reste veulent conserver un Lieven pour de hauts emplois. S'il le veut il ira loin et je crois qu'il voudra.

5 heures
Je me sens bien malade, j’ai de la peine à vous écrire, et puis je m'en vais vous en causer de la peine, vraiment je ne sais que dirait le médecin me prie de quitter Bade au moins pour quelques jours. Je n'y puis pas m’y décider parce que dans cet état de souffrance il est absurde de m’en aller courir seule, toute seule ! Je ne sais où. Ah c'est d’être seule qui est affreux ! Jamais je ne l’ai autant senti qu’à présent. Pardonnez-moi mes lettres, vous voyez que je n’ai pas ma tête à moi. Et si je ne vous écris pas. Vous me croirez morte. Je vous écris donc & je vous dis tout. Je ne mange plus depuis huit jours mes forces diminuent beaucoup. Je dors encore mal, mais je dois. Mon pouls est bien faible, ma mine affreuse, ma maigreur plus grande qu’a Paris ; vous savez tout. Mais vous ne saurez pas me dire ce que je dois faire. Retourner à Paris serait absurde, enfin tout est absurde. Adieu. Adieu. Je n'ai que vos lettres pour me soutenir.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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211 Baden lundi le 8 juillet à 1 heure

Je ferais bien mieux de ne pas vous écrire aujourd'hui. Vous ne sauriez concevoir combien je me sens malade. Voici quatre jours que je ne mange plus. Les bains il n'en sera plus question, ils m'ont abîmé. Je me traîne encore mais je ne sais vraiment si je me traînerai longtemps. J’ai l’air aujourd’hui d’une personne qui sort d’un tombeau. Voyez vous je ne devrais pas vous dire toutes ces choses là, je vous les dis parce que vous voulez la vérité. Il vaudrait donc bien mieux ne pas vous écrire. Que j'avais raison dans un triste pressentiment lorsque je vous ai quitté ! Pourquoi suis-je partie ? Je sentais que je ne pouvais plus rester, et il me semblait en même temps que je ne pouvais plus revenir. Est-ce que je ne reviendrai pas ? Mon dieu que je suis triste et faible.

Mardi 8 heures
Vous voyez bien pourquoi vous n'avez pas eu ma lettre d’hier. Il n’y avait pas moyen de vous envoyer cette triste page. Et aujourd’hui je n'ai rien de mieux à vous dire. J’ai essayé de marcher comme de coutume, mais mes jambes se refusent . Si je pouvais manger je me soutiendrais, mais je ne puis rien prendre. J'ai du dégoût pour tout. votre lettre à fait l’événement et le plaisir de mes journées. J’ai mené Madame de la Redorte en calèche le soir ; je ne suis pas difficile, il me faut quelqu'un. La pluie nous a surpris. J’ai passé un moment chez Mad. de Nesselrode ; nous avons causé jusqu'à neuf heures. C’est l'heure où je vais me coucher. Je mène une bien triste vie. Je maigris de cela autant que du bains.
Vous ne me dites pas si vous avez vu Pozzo. Comment le trouvez-vous ? Malgré ce que je vous ai mandé l’aube jour et qui est vrai, je vois que le mariage à Darstadt se fera. Le grand duc est épris et a pleuré en se séparant de la petite princesse. Cela suffit, l’Empereur fera sur cela la volonté de son fils. Il sera absolu dans tout le reste mais dès qu'il s’agit d'inclination, de bonheur de ménage, il fléchit.
Adieu, quelle lettre ! Comment vous envoyer cela ? Ah que je voudrais vous en écrire de meilleures, me sentir un peu de force, un peu de courage, mais tout me manque. Ne m’abandonnez pas. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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202 Baden lundi le 24 juin 1839

Il y a deux ans aujourd’hui que nous sommes allé dîner à Chatenay. Et que nous en sommes revenus ! Vous en souvenez-vous ? Je vous remercie de toute votre lettre d’hier. Je voudrais avoir entendu votre conversation avec Montrond. Je voudrais entendre bien des choses. A propos, je vous prie de lui dire mes amitiés, je voudrais bien le voir ici. Je crois moi qu’il s’y plairait beaucoup et que cela lui ferait du bien. Il plairait à Mad. de Nesselrode qui aime beaucoup les gens d’esprit. Je commence toujours ma journée avec elle. Nous nous rencontrons à 6 h du matin, et jusqu’à 7 1/2 nous nous promenons ou nous asseyons ensemble selon qu'il fait chaud ou frais. Aujoud’hui il fait frais. J'ai marché.

Mardi 25 à 8 heures du matin
J'ai lu dans les journaux la discussion à la chambre sur l’armée. Vous avez été très brillant, mais je ne suis pas de votre avis. Et la raison est que nous en Russie dans une armée de huit cent mille hommes, nous avons deux maréchaux depuis que je suis au monde, je n’en ai jamais vu que trois en même temps. Je crois même qu'aujourd’hui notre seul maréchal est Paskient nous ne le faisons qu'en temps de guerre Il y a eu des époques où il n'y en avait pas un seul. Je suis bien aise du journal des Débats, il me paraît avoir tout-à-fait passé de votre côté. Je ne vois pas que vous ayez fait visite à Neuilly. Dites-moi un peu bien des choses que vous me diriez à la Terrasse. Je ne sais rien du tout.
Mad. de Talleyrand a été sensible à votre souvenir. Elle parle de vous très bien. Que je serais aise si Montrond venait ici ! Mon existence est very dull. Je n’ai certainement pas souri une fois depuis que je vous ai quitté. Et je ne crois pas que cela m’arrive tant que nous resterons séparés. Je ne sais pas s'il est possible d’engraisser quand on est toujours triste , mais assurément il n'y a pas le moindre signe de changement en ma personne. Et voici trois semaines cependant.

11 heures
L’air est charmant, je reviens des montagnes. Marie est de retour de Carlsruhe. On lui cherche un mari. Elle préfère les vieux, j’imagine que cela sera facile à rencontrer. Je voudrais bien la voir bien établie. Au fond c'est une bonne fille. Je vous remercie beaucoup de la promesse pour Castillon pour cette fois j'y compte. Je viens de relire encore votre discours. Il est fort beau, et vous avez raison all circunstances considered Il ne faut point de comparaison quand il s’agit de l’état actuel de la France, & moi j'ai tort.

5 heures
Voici votre n° 200 ! Sûrement j'ai bien peine à ce gros chiffre en vous écrivant, mais il y a tant de choses auxquelles je pense sans vous les dire. Je voulais vous parler de mes roses ici. Vous ne savez pas comme c'est joli des bouquets de roses ; tout le jardin garni d’orangers, de rosiers, une belle fontaine au milieu du parterre. J'ai voulu vingt fois vous décrire tout cela et puis la tristesse, le découragement me saisissent, & je ne dis rien. L’odeur des fleurs dans les chambres m’incommode mais dehors je trouve cela charmant. Ecrivez-moi davantage, dites-moi tout. Je suis curieuse et puis je suis bien seule, bien triste. Vos lettres sont mon seul plaisir. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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201 Baden Samedi le 22 juin 1839 7 heures du matin

Le petit paquet m’ennuie, je donne aujourd'hui dans l’autre excès. Votre description de la place Louis XV est superbe. Celle de la chambre si elle se soutient vous dispenserait presque d'être à Paris. J’aime bien cependant vous y savoir. Vous êtes plus près, tout est plus régulier. J’ai fini ma journée hier par une promenade avec Mad. Wellesley. Elle bavarde et m’amuse un peu. Nous avons connu les mêmes personnes. Cela fait un lien. Je ne manque jamais de me coucher à 9 heures. Je ne manque rien de ce qui peut me faire me bien porter. Si je n’y réussis pas, il n’y aura pas de ma faute. Il me semble que Pozzo va vous arriver. Vous le verrez n’est-ce pas ? Faites le causer et vous me redirez s'il sait causer encore et de quoi ?

Dimanche 23. 7 heures du matin
Ma journée s’est mal passée hier. Je ne me suis pas sentie bien. Je ne le suis pas encore aujourd’hui. Je ne sais ce que c’est ; je sors cependant de mon bain, car je fais tout comme on me l’ordonne On mange très mal ici ; voilà peut- être ce qui me dérange, je n'engraisserai pas avec cela.

Onze heures. Je reviens de l'église. J’y vais tous les dimanche. Il y a un prédicateur admirable qui est le plus mauvais sujet du pays. Un homme à prendre pour toutes sortes de méfaits et le prédicateur le plus éloquent, le plus touchant que j'ai jamais entendu. Je reçois dans ce moment une lettre d’Alexandre. Lui et son frère avaient vu l’Empereur et l’Impératrice par faveur extraordinaire ils ont passé une soirée intime avec la famille impériale. Ils ont été comblés. L’Empereur attendri à leur vue. Les traitant comme des proches parents. Leur répétant vous me tenez de près et je veux que ces rapports là subsistent toujours entre nous. " Enfin c’est comme cela devait être mais comme je ne l'espérais pas. Alexandre trouve moyen par une phrase convenue de me dire qu'on continue à être très mal pour moi. Vous voyez bien qu’il ne s’agira pas de pension. Je suis toujours enchantée qu'il soit si bien pour mes enfants.

5 heures
Voici l’heure de la poste. J’attends votre lettre, et il faut que je fasse partir la mienne. J’ai vu Mad. de Nesselrode ce matin. Elle est vraiment bonne pour moi, mais je l'incommode le moins possible. Cependant je la tiendrai au courant de mes affaires. Elle a mandé à son mari d’interroger Pahlen sur mes relations avec Paul ! Tout pourra se concilier avec les intérêts de service de Paul. On a de lui bonne opinion comme capacité. Il faut le pousser. Et il pourrait être pour moi plus mal encore que cela ne doit faire aucune différence pour sa carrière. Son intérêt doit aller avant le mien, c’est comme cela que je l’entends. voilà votre lettre, intéressante bonne aimable. Je vous remercie bien de Castillon. Adieu. Je suis pressée par la poste, adieu adieu milles fois.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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187 Samedi 2 mars 1839

Mercredi seulement. Que c’est long ! je m'afflige, mais je ne me plains pas. Je ne suis pas inquiète comme vous le dites. Mais cela me fait beaucoup de peine. Cela vous ne vous en plaindrez pas ? Oui le 4 ! C’est horrible, mais je ne puis ni en parler ni en écrire.
J’ai eu une lettre de Paul hier. L’Empereur a envoyé de suite à Londres le comte Strogonnoff pour remplacer mon fils pendant le voyage qu'il va faire en Russie. Il lui enjoint de venir de suite attendu qu’'il désire le voir. Paul ne veut pas aller dans ce moment, sa santé ne va pas à un voyage rapide dans la rude saison. Il ira dans quatre semaines on trouvera cela étrange, il fallait courir ventre à terre dès le lendemain ! Voilà comme on est chez nous. J’ai eu ma lettre de mon frère ce matin ; il avait reçu mes deux lettres. Celle de reproche et l’autre écrite après la mort de mon mari. La sienne contient que des hélas et des reproches sur ce que je ne veux pas vivre en Russie. Voici le lieu de lui dire une fois pour toutes pourquoi je n’y veux pas vivre et que je n’y retournerai jamais. Je vous montrerai cette lettre, je ne l’enverrai qu'après vous l’avoir lue.
J’ai vu hier matin chez moi la comtesse Appony. J’ai fait le plus agréable dîner possible chez Lady William Bentinck, elle, son mari et Lord Harry Vane, voilà tout. Très anglais, très confortable, j’ai eu presque de la gaieté. Le soir chez moi, mon ambassadeur, celui d’Autriche, Fagel, M. de Stackelberg & le Prince Waisensky. Don Carlos a retiré sa proclamation contre Maroto. Après l’avoir déclaré traître, il approuve tous ses actes, lui rend le commandement. Enfin, c’est une confusion plus grande que jamais, et mes ambassadeurs disent que ce qu'il y a de mieux à faire est d’abandonner complètement Don Carlos et le principe. Les princes gâtent le principe.
Lord Everington vient d'être nommé vice roi d’Irlande, c'est un très grand radical, un homme d’esprit, membre distingué de la chambre basse, et très grand seigneur quand son père Lord Forteseme mourra. Je vous conterai comment un jour il est resté caché pendant deux heures dans les rideaux de mon lit ! J’ajoute, puisque vous êtes si loin ; que c’est mon mari qui l'y avait caché. Vous feriez d’étranges spéculations si je ne vous disais pas cela. Et ce n’était pas cache cache.
Le petit copiste est venu. Il a commencé aujourd’hui. Cela va très bien. Les ambassadeurs avaient vu M. Molé hier. Les nouvelles sur les élections sont d’heure en heure meilleures pour les ministres. Vous avez bien fait de n'être pas allé à Rouen, mais vous faites très mal d'avoir du rhumatisme. Je vous le disais lorsque vous êtes parti, j’étais sure que vous alliez prendre froid. Faites-vous bien frotter au moins Adieu. Adieu, il faut donc encore écrire demain et lundi. What a bore ! Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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98. Paris Samedi 21 juillet 1838

Je vous remercie d’avoir fait vos calculs de façon à ne pas me laisser manquer de lettre. Je vous remercie aussi de ce que vous me permettez au sujet du précepteur pour Lord Coke. C’est un enfant charmant. Le type des beaux enfants de l’aristocratie anglaise. Je suis sûre qu’il vous plaira. Quelle belle race que ces Anglais ! Et les enfants qui naissent en Angleterre sont comme cela, étaient comme cela ! J’ai eu hier une lettre de mon frère un peu meilleure que les autres. L’Empereur venait d’arriver au château de Furtustein " il est content de la Pologne, il a été bon pour tous sans se faire illusion." L’Impératrice très faible. Je n’ai vu hier qu’Ellice dans ma longue matinée de Longchamp. Il m’est venu du monde en ville, sur lequel je ne regrette que M. Villers. M. Molé me mande que le grand Duc est arrivé à Lubeck très souffrant et faible. Du reste, no new whatever.
Je mène une vie très solitaire depuis que je ne reçois plus le soir et que ma matinée se passe hors de Paris. Je me couche à 10 heures après une promenade en calèche et cette promenade je la fais invariablement sur la route de Neuilly, la seule praticable puisqu’elle est arrosée ! J’ai lu dans les journaux ce matin, que la réunion de savants à Caen est fixée au 8 août & que vous devez la présider. Qu’est-ce que cela veut dire ? Vous m’avez juré que vous étiez du jury. Je suis extrêmement refroidie sur la partie à Versailles. Vous ne sauriez croire comme je déteste de me déplacer, comme je crains l’inconnu, un mauvais lit. Je ne suis pas difficile, mais mes conforts me sont nécessaires. Je m’engage très lestement pour ce qui est dans l’avenir, mais quand le moment de l’exécution arrive cela me devient insupportable. Je crois que cela s’appelle de la vieillesse.
Adieu, je suis enchantée de vous savoir sorti de vos dîners, il m’en revenait de pauvres lettres. Au reste depuis que j’ai le 31 devant moi, je suis devenue fort accommodante ! Adieu. Adieu. Je ne pense qu’à mardi 31.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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180. Paris, le 31 octobre 1838

C'est aujourd'hui que je devais vous revoir. J’ai pensé à ce jour depuis le mois de juin ! Hier j’étais bien triste. Je suis restée seule depuis 4 1/2. J'aurais eu tant, tant à vous dire ! Le soir encore nous aurions recommencé. Enfin, il me faut prendre mon parti, comme de tant peines.
J’ai vu chez moi le soir la Duchesse de Talleyrand mon ambassadeur, & Lord Granville rien que cela. On va beaucoup à la Tragédie, & aux Italiens cette année. Tout le monde veut avoir vu Mademoiselle Rachel. Les opinions sont diverses. Mais je crois que vraiment ce n’est pas grand chose, et qu’elle est seulement meilleure, que tous les autres qui ne valent rien.
Ce que vous me dites aujourd’hui de notre situation politique est d'une grande vérité. Je voudrais bien faire voyager cela plus loin. C’est étrange que tandis que vous me parlez des progrès du protestantisme, moi j'en fais la même observation ; et c’est sur moi que je la fais. Et j'ai l'habitude de me prendre en beaucoup de choses comme exemple de la masse. Le juste milieu entre les gens d'esprit, & les gens qui n’en ont pas. Enfin la majorité.
J’ai eu ce matin une longue lettre de la Reine de Hanovre bonne & tendre comme toutes ses lettres. Mais rien de nouveau. Elle n’est pas aussi choquée que moi du mariage Lunchtemberg. On dit beaucoup en Russie que la petite fille de la grande Catherine épouse le petit fils de la maîtresse de Barras.
Je n'ai pas un mot de nouvelle à vous dire ! Je viens de faire une longue promenade aux Tuileries. Il fait froid ; mais un air pur, & du soleil tel quel. Adieu, je suis bien ennuyée de ces adieux là, nous en avons usé et abusé. J’attends le 6, ils vaudront mieux.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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123. Paris, dimanche le 2 Septembre.

Je vous remercie de votre lettre reçue ce matin ; elle était bonne et intime. Je vais répondre à vos questions. Mon fils a beaucoup de chagrin de la rupture de son mariage. Il dit que la jeune personne a pour lui un amour très visible mais qu’elle a plus d’amour ou de crainte pour sa religion. Son oncle Acton qui va être fait cardinal exerce sur son esprit un grand empire. Elle croit ne pas pouvoir sauver son âme si ses petits garçons sont protestants. Mon fils est parti très brusquement après qu’elle lui a déclaré sa résolution ; il ne souffre, mais il espère encore. Il loge dans la maison à côté de Flahaut un appartement charmant que je lui ai trouvé. Il m’accompagne dans toutes mes promenades. Nous allons presque tous les jours à St Cloud. Longchamp depuis votre départ m’a paru bien ennuyeux.
Tout le monde parle de l’affaire de la Suisse sans comprendre comment elle finira. Louis Bonaparte y reste, cela est sûr. Pour le moment je pense que le rappel de l'Ambassadeur sera la seule mesure qu'on prendra, mais c’est peu de chose. Nous nous retirerons peut-être aussi tous les trois, mais les Suisses s’en consoleront. On s’étonne un peu que la Russie ait si vite et si fermement soutenue là dedans votre gouvernement. Mais c’est que, à part les caresses, vous nous trouverez peut-être meilleurs collègues que tous les autres. L’Empereur évite tout ce qui peut vous donner ombrage. Par exemple il n'a jamais reçu chez lui à Toplitz La Feronnays ou Marmont. Il ne les a vus qu'à leur promenade publique. Il a toujours beaucoup aimé M. de La Ferronays. M de Stakelberg a donné hier à dîner à mon fils qui a longtemps servi sous ses ordres. J’y ai dîné aussi & mon Ambassadeur & Médem. De là j'ai été à Auteuil. J’y ai trouvé M. Molé très entouré de la diplomatie. Il me dit qu’il est plus que jamais accablé de travail. Il a pris l’intérieur dans l'absence de M. de Montalivet. Il y avait hier plus de monde que de coutume à Auteuil. On ne sait pas où est l’Empereur de Russie dans ce moment. Il est attendu partout, et il ne parait nulle part. Le 15 Septembre lui & l’Impératrice seront. à Berlin.
Les derniers mots de votre lettre me plaisent et me font du bien. J'ai l’âme un peu moins triste depuis l'arrivée de mon fils, mais toujours ce silence inexpliqué de mon mari me donne beaucoup de chagrin. Je ne sais que penser, et l’avenir me parait abominable. Mon fils aîné me mande que si sa situation secondaire doit se prolonger il quittera le service, & pour ce cas l'idée de venir vivre auprès de moi est ce qui la donne le plus de plaisir. Adieu. Adieu. Adieu, trouvez-vous que c'est assez ? Par moi.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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67. Dimanche le 22 octobre midi.

J’ai reçu votre lettre ce matin, je ne suis pas fâchée d’avoir une pièce aussi officielle ; elle pourrait être bonne à produire un jour, mais reprenons nos habitudes. Il n’y a plus le moindre danger de l’arrivée de M. de Lieven. Mon fils part demain pour le retrouver à Lausanne, delà ils se mettent immédiatement en route pour l’Italie. Ecrivez-moi par la poste comme vous avez toujours fait, il me faut cela. & puis une fois encore par une bonne occasion plus intimement. Et puis nous arrivons au 31, au 31 ! Concevez- vous tout ce que j’éprouve en traçant le chiffre ! Savez-vous que mon affaire avec mon mari est un tel dédale que nous ne nous y retrouvons plus du tout mon fils et moi, & qu’après avoir tout lu, tout examiné de part et d’autre, nous en sommes venus à la conclusion, qu’il est possible, qu’il ait inventé tout ce qu’il prête à l’Empereur ! Alors la confusion est à son comble, car mes lettres sont parties, mes confidences sont faites, & mon mari va l’apprendre. C’est vraiment trop long à vous dire.
Pahlen et moi nous avons regardé cette affaire de tous les côtés hier au soir. On peut lui intimer de me regarder comme rebelle, on peut m’ôter le portrait. Qu’est-ce que cela me fait ? Exactement rien du tout. & on ne peut pas faire plus. et faire cela cependant est hors de toute vraisemblance car tout despote qu’il est, il faut baser cela sur quelque chose. Être à Paris n’est pas suffisant & je demande une enquête. Il faut bien me l’accorder. En vérité, c’est trop bouffon & après avoir un peu gémi, je finis toujours par rire, mais je crois mon mari fou, ni plus, ni moins, & son fils le peine un peu.
Et savez vous que mon frère l’est complètement. Il vient d’embrasser la religion grecque. Allons me voilà dans une belle famille si j’y étais restée ! Mon fils part demain, j’en suis presque impatiente. Nos entretiens perpétuels sur un même sujet si désagréable me font du mal, & puis je ne dors pas la nuit, je ne vous fais plus mon journal. Depuis 9 h. jusqu’à 6 heures, il ne me quitte pas. Le bois de Boulogne nous le faisons ensemble. à 6 1/2 nous dînons encore ensemble jusqu’au moment où j’ouvre ma poste. Après demain j’écrirai avec plus de liberté d’esprit, & du temps.
J’écris des volumes à mon mari, il y a tant à expliquer ; car c’est un enfant. Je serai impatiente que vous m’annonciez la réception de ma lettre pas M. Grouchy. L’aimerez- vous un peu ? Je ne sais plus ce qu’elle contient. Je voudrais m’en rappeler, savoir s’il n’y a pas trop, s’il n’ a pas trop peu. Je flotte entre ces deux craintes. Et au bout de tout cela je suis mécontente. que ce que dans le trouble d’esprit où je vis Je vous aurai dit des bêtises, pas du tout ce que je voulais vous dire, mais je n’ai pas été maîtresse de choisir mon moment. Cela vaudra mieux que toutes les lettres. J’ai eu une excellente lettre de Valençay. Je vous en parlerai. On me dit de vous rappeler Rochecotte en nov : & moi, je vous prie de l’oublier.
Adieu. Adieu, toujours toute notre vie adieu. N’est-ce pas toute notre vit. M. Grouchy doit porter ce soir.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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59. Samedi 14 octobre 1837 9. heures

J’ai fait hier le bois de Boulogne comme une pénitence, car le temps était laid, vous aviez emporté le soleil. J’ai fait ensuite Madame de Flahaut un peu comme cela aussi, & puis je suis allée me rafraîchir l’esprit chez lady Granville. Après mon dîner j’ai fait quelques copies mais qui m’ont fatigué les yeux. à 8 h 1/2 M. Molé est venu jusqu’à 10 heures nous sommes restés seuls. Je lui ai proposé l’éclipse à l’heure où je devais m’y trouver. Il est venu, successivement quelques personnes M. de Brignoles, M. de St Simon, M. Sneyd. J’allais et je venais. Je craignais de manquer le véritable moment, & cependant il était impossible de rester plantée sur le balcon en permanence. J’ai été vous chercher bien haut bien haut. Je vous ai trouvé, je vous trouve partout. L’éclipse a été parfaitement visible, pas une image. J’espère qu’il en était de même chez vous.
M. Molé m’a demandé si vous étiez parti. J’ai dit que je le croyais. Il est resté tard, jusqu’à onze heures, fort causant, fort racontant, tout mon autre monde était au grand opéra. Je n’ai par trouvé de N° à votre lettre ce matin, c’est 55 que je viens d’y placer. Voilà donc un grand jour d’écoulé ! Si les autres sont aussi longs qu’hier il me semble que nous n’arriverons jamais au 31. Je viens d’additionner les jours que nous avons passés ensemble depuis le 15 juin. Cela fait juste 40 ainsi le tiers. Mes lettres ne partiront que lundi je ne puis pas achever avant. Il n’y a rien qui presse. Les dramatic personnae ne se trouveront réunies qu’à la fin de ce mois à Moscou. Je ne sais si je ferais bien ou mal d’envoyer à mon mari copie de ma lettre à Orloff qu’en pensez-vous ?
J’ai envie de me distraire, & de vous dire que la bagarre à Lisbonne est vraiment très risible. Quel rôle pour l’Angleterre ? Ce royaume dont l’Europe entière lui abandonnait tacitement la domination, cette domination établie exercée à la satisfaction de tous depuis tant de temps, tout cela lui échappe. Elle est honnie, insultée là où elle régnait si paisiblement. Que de fautes il a fallu commettre pour cela ! C’est un homme, un seul homme, un dandy qui a fait cela. L’Angleterre tenait le Portugal parce que le Portugal était gouverné par les grands, et que les grands étaient dévoués au gouvernement anglais. Depuis que les petits ont chassé les grands ils sont devenus ingouvernables. Que va faire Lord Howard de Walden ?
Midi. Après ma longue toilette, pendant quelques moments de laquelle il faut me séparer de la lettre, je l’ai relue avant de la replacer dans sa demeure. Je l’ai relue avec le même plaisir qu’hier, avec le même ravissement. Il en sera de même tous les jours, tous les jours je vous le promets. Quel trésor vous m’avez donné là ! Il me vient quelques craintes pour les lettres qui pourraient m’être remise de la main à la main. Si c’est un maladroit ce pourrait être pire que les lettres par la poste, et j’ai l’imagination frappée sur l’arrivée de mon mari. Vous verrez qu’il viendra et avant vous. Je voudrais bien me tromper. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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57. Mercredi 4 octobre, 11 heures

Que j’aime votre lettre ce matin, que Je l’aime ! C’est moi que le Ciel a traité " avec magnificence." Phrase que j’ai trouvée dans l’une de vos dernières lettres. Je reconnais ce bienfait. Je l’en remercie tous les jours, à tout instant, plus que jamais aujourd’hui. J’ai le cœur plein, plein de vous, de vous seul. Mes peines s’effacent devant un mot tracé de votre main ; et je vais vous revoir !
Ma journée a été pénible hier. J’ai fait ce que j’ai pu. J’ai pris l’air à peu près tout le jour, mais je me sens très oppressée. Le soir je n’ai eu que la petite princesse, son mari, & mon ambassadeur. Il les a laissé partir pour rester seul avec moi. J’ai répété l’entretien que nous avons eu ensemble par l’agitation qu’il m’a laissée et la très mauvaise nuit qui s’en est suivi, mais je suis bien aise d’avoir acquis la certitude que c’est un homme d’honneur & un vrai gentilhomme. Ce n’est pas là les qualités qu’il a reconnues dans le procédé de mon mari. Il l’a qualifié avec une droiture & une rudesse très militaires. Il ne peut pas se persuader qu’il puisse persister dans cette voie, mais il reconnait également qu’il n’y a plus que l’omnipotent Tsar qui puisse le relever du vœu qu’il semble avoir fait dans ce but le seul moyen est mon frère. Mais mon frère vaudra-t-il mieux que mon mari, voilà la question. J’écrirai à mon frère, au comte Orloff. J’ai même commencé mais je vous avoue que le cœur me manque aussi bien que les forces. J’ai tant à dire. Je voudrais que ce fut dit de façon à rendre toute réplique impossible,et à imposer l’obligation de me faire rendre justice sur le champs. Vous m’aiderez à cela & je vous attends. à mon mari, je demanderai seulement s’il croit que je ferai pour de l’argent ce que je n’eusse pas fait par devoir ou par inclination ? à tous les trois je demanderai que l’ambassadeur soit interrogé. Il le désire. Je suis si souffrante que ma pauvre Je voudrais tête ne va plus du tout ! Je voudrais vous écrire des volumes, mais je n’ai plus de forces.
Quel bonheur voici ma dernière lettre. Si je pouvais dormir avant vendredi ; si je pouvais ne pas trop vous effrayer par me pauvre mine. Adieu. Adieu, toujours, toujours adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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55. Dimanche 2 heures le 1er octobre

J’ai été prendre l’air, je revenais à vous qui êtes pour moi tout tout dans le monde. Hier au soir dans notre cabinet j’étais étendue sur ce canapé vert, Marie me lisait la Fronde. Je n’en écoutais pas un mot. Je rêvais. Je ne rêvais pas. Tout à coup il me prit une envie énorme d’être seule, et dans l’obscurité. Je renvoyai Marie, je fis enlever, les bougies, et je me mis à appeler tout bas par tous les noms, tous les épithètes les plus tendres, à adresser les paroles les plus intimes à cet être invisible & présent qui remplit toute mon âme. Vous ne sauriez croire ce qu’a été pour moi cette délicieuse demi-heure, je veux que vous l’imaginiez Monsieur, & votre lettre ce matin me prouve bien que cela ne vous sera pas difficile. Ah que des moments pareils font oublier de peines ! Eh bien et ce n’était qu’un rêve et ce rêve va devenir une réalité, et j’en ai joui.

Lundi 10 1/2. Je vous envoie le mauvais commencement de lettres, je ne sais plus ce que j’allais dire lorsqu’on m’annoncera M. de Médem. Notre entretien fut long et triste. Il n’a plus eu une parole consolante à me donner. Je ne sais vraiment que faire. Il croit mon frère dans le complot aussi. Alors il ne me resterait vraiment plus de ressource.
Ma journée a été agitée, j’ai mangé cependant, je suis sortie. J’ai vu du monde le soir, mais cette nuit. Cette nuit a été horrible. J’ai entendu sonné toutes les heures & les 1/2 heures. Il y en a une qui m’annonçait du bonheur qui me l’a apporté. Mes yeux se sont remplis de larmes, de larmes de joie, de reconnaissance, de tristesse. Je suis faible Monsieur, plus faible que ne l’ai cru en vous écrivant hier. Tout ceci est affreux, & ce n’est que le commencement. Ce premier moyen ne réussissant pas, on recourra à un autre, le dernier ! Je demande à M. de Médem, si cela est possible, il me répond que tout est possible quand on est autocrate. Monsieur quelle horreur, mon mari se séparerait de moi, il en aurait le puissance ? Vous voyez bien qu’il sera difficile que je vive jusque là.
Ces épreuves sont trop fortes pour moi aujourd’hui j’ai à peine la force de vous écrire deux mots, et c’est contre une faible créature comme moi que s’arme un puissant monarque ! Je ne veux pas parler de M. de Lieven. Il me répugne de dire tout ce que j’en pense. Monsieur c’est bien vous, vous seul sur la terre qui soutenez mon âme. Elle retourne vers vous dans ses angoisses, elle vous trouve toujours, toujours, elle s’attache à vous comme le lierre s’attache au chêne. Ah s’il n’y avait pas eu de 15 juin, où serais-je aujourd’hui ? Livrée à un homme pareil ! Je ne le connaissais pas, tout est nouveau pour moi dans ce qui m’arrive. J’en reste étourdie.
Monsieur vous me trouverez malade & changée vendredi. Je le suis beaucoup aujourd’hui. Dès que vous serez là, je serai mieux. Je le sens. Je suis fâchée de vous avoir mis dans le cas de répondre à ma sotte lettre de jeudi je ne devrais pas vous écrire tout ce qui traverse ma tête. Le dire, oui, c’est plus vite fait, plus vite répondu, plus vite effacé. Voilà pourquoi venez & restez. Oh je vous en conjure restez, ne m’abandonnez plus. Je n’ouvrirai plus une lettre de mon mari, vous les ouvrirez à l’avenir. De votre main j’accepterai les peines, il n’en est point qu’elle n’adoucisse quand j’entendrai le son de votre voix je pourrai tout supporter. Adieu. Adieu J’ai regret à tout ce que je vous dis. Vous aurez du chagrin pour moi, je le vois, je le sens. Je vous en demande pardon à genoux. Je vous en remercie à genoux. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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54. Dimanche 1er octobre 9 h.

Voici votre lettre, votre bonne lettre Monsieur, que j’ai besoin de toutes les joies, les consolations que vous me donnez ! & que je remercie le Ciel tous les jours du bienfait immense qu’il m’accorde dans votre affection pour moi ! Je suis triste un peu, je dis vrai quand je dis un peu, car je sens parfaitement que ce qui ne me vient pas de vous ne peut jamais m’atteindre beaucoup ni bien ni en mal. Voici enfin l’arrêt de mon mari. & il avait reçu toutes les lettres retardées c. a. d. le certificat du médecin ente autres.
"Si tu te refusais de te rendre à mon invitation, je me trouverais dans l’obligation de te refuser toute subvention de ma part." "Je dois également prévoir le cas que tu me laisses sans réponse et t’avertir encore, que si dans un délai de trois semaines je ne me trouvais pas en possession de cette réponse, je serais obligé d’agir comme s’il y avait refus de ta part."
Et bien monsieur savez-vous quel est le sentiment qui domine en moi c’est celui d’une grande pitié pour un homme capable d’une action pareille, il est très évident que ce qu’il fait a été concerté avec L’Empereur, promis à l’Empereur. est-il possible ! Mon frère est désormais ma seule protection, j’y vais avoir recours, mais en m’appuyant de quelques conseils que je vais chercher ce matin auprès de mon ambassadeur & du comte Médem.
Nous causerons beaucoup le 6 de tout cela, mais nous causerons beaucoup plus d’autre chose. Monsieur quel bonheur de vous revoir. Quel bonheur ! Je n’ai pas une autre pensée. Hier a été bien mieux que le jour précédent. J’ai mangé, cette nuit j’ai dormi. Je m’étais fait traîner pendant deux heures au bois de Boulogne, je n’ai pas pu marcher mes jambes n’allaient pas. La moindre agitation m’enlève mes forces. Ainsi la veille m’avait fait du mal pour plusieurs jours, mais l’air était ravissant, doux, tranquille, & cette promenade a fait du bien à mes nerfs.
Le soir M. Molé est venu de bonne heure. J’ai passé au delà d’une heure seule avec lui, ensuite sont venus mon ambassadeur, la petite princesse, M. Sneyd, M. Lutrell, c’est un nouvel anglais qui a beaucoup d’esprit. Le pauvre Hugel est dans un très triste état. Je crois que M. Molé a écrit à Vienne pour qu’on se hâte de renvoyer ici M. Appony. C’est mon ami Thorn qui est dans un bel état. Il ne sait que faire, que devenir. Il voit que son principal est fou et il n’ose pas le mander.

Midi. Comme je ne vais pas à l’église, j’ai fait de plus longues lectures pieuses. Je viens d’achever ma longue toilette. Je vais prendre l’air en calèche, oublier s’il se peut mon mari, et comme voici dimanche & que ma lettre doit se trouver de meilleure heure à la poste je la ferme maintenant. Monsieur pensez à mes affaires russes, barbares, mais ne vous en inquiétez pas. Je suis indignée mais inquiète, non. Et dans le pire cas celui où il faisait comme il dit, je puis me tirer d’affaire. Ah mon Dieu, cela est peu de chose à côté des négligences de vos gens, et j’aime cent fois, mille fois mieux qu’on me stop the supplies for ever, que de ce qu’on stop letters for a single day. Je mangerai, je dormirai aujourd’hui ; & avant-hier je n’ai fait ni l’un, ni l’autre. Adieu Monsieur adieu plus que jamais adieu avec tout ce qu’il y a dans mon cœur adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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51. Mercredi 27 Septembre 7 1/2

Voici une heure bien indue pour vous écrire mes yeux sont faibles ce soir, mais je viens de m’environner de beaucoup de bougies & j’espère pouvoir aller. Marie est allée dîner au Cabaret avec Mad. Durazzo. De là à l’opéra. J’ai fait un solitary dinner et au lieu de pleurer ce qui pourrait bien m’arriver, je vous écris !
J’ai eu ce matin une espèce de conseil chez moi composé du Comte Pahlen & du Comte Médem. Nous avons examiné, analysé, commenté la lettre de mon mari. Ils s’obstinent tous deux à ne voir la dedans que l’accomplissement d’un engagement pris encore l’Empereur. Ils se tiennent préparés à une démarche officielle qui pourrait leur être prescrite de la part de la cour. Ce serait à les entendre, l’extrême possible et cette démarche resterait parfaitement stérile parce que j’y opposerais constamment l’opinion du médecin. Nous avons prévu tous les cas, & obvié à tout. Mais enfin qui me dit que ces messieurs ont raison & que les lettres de mon mari n’ont pas une portée plus grave ? En attendant je voudrais pouvoir suivre leur conseil, qui est d’attendre tranquillement le dénouement de cette étrange affaire.
J’ai fait ma promenade au bois de Boulogne, par un vent très aigre et qui ne va pas. du tout avec mes nerfs. J’ai été causé, pleurer et rire avec lady Granville. J’ai dîné comme je vous l’ai dit et me voici. Vous ne pensez pas à moi dans ce moment vous êtes à dîner à Croissanville (dis-je bien ?) En rentrant chez vous, vous me retrouverez dans votre chambre, ah si vous pouviez me voir aussi vivement que je vous vois, moi ! Je vous regarde, je vous écoute, je retrouve tant de moments si intimes, si charmants. Je me livre de nouveau à ces rêves depuis que je sais que le 6 ils seront une réalité. Ah que je serai heureuse, & comme je jouirai de mon bonheur. Comme je sais en jouir !

Jeudi 10 heures. Votre lettre est bonne, tendre si tendre ce matin, elle m’a si doucement réchauffé le cœur ! Je l’ai lu trois fois dans mon lit à chaque fois elle me plaisait davantage. Comment ne pas croire tout ce que vous me dites ? Vous le dites avec tant d’effusion, tant de chaleur, tant de vérité. Je crois, je crois donc et puis je ne crois pas. Je crois que vous le pensez parce que vous le dites. Je crois, que mon cœur mérite tout ce que vous pensez de bien de lui, et au delà peut être, et j’aurais cru tout le reste si j’étais jeune. La jeunesse croit parce qu’elle a le droit de croire. Aujourd’hui Monsieur, votre affection pour moi est vive, tendre. Votre cœur a trouvé le cœur qu’il lui fallait mais vous êtes sous le charme de la surprise, vous oubliez mon âge. Vous vous le rappellerez bientôt, & voilà voilà ma crainte voilà ce qui fait que je ne crois pas tout ; ah si je pouvais tout croire ; croire que vous m’aimez que vous pouvez m’aimer comme je croyais être aimée quand... Je ne l’étais pas. Voyez l’étrange sort ! Ah que j’eusse été digne de vous alors ? Et alors vous n’y étiez pas.
Monsieur vous ne pouvez pas vous fâcher de tout ce que je vous dis là. Je voudrais que vos yeux fussent satisfaits comme l’est, comme doit l’être votre cœur comme il le sera toujours. Je voudrais être belle, jeune pour vous, pour vous seul. Non, je voudrais l’être aux yeux de tous, & n’en chercher le prix que dans les vôtres. Je voudrais vous voir envié de tous. Ah Monsieur, que vous êtes aimé ! ne me répondez pas à ceci à moins que ce ne soit pour me dire que vous voulez rester aveugle.
Que j’aime ce que vous me dites sur mes sanglots vous resteriez donc près de moi ? Monsieur, quand je pleurais (& j’ai pleuré dans ma vie !) mon mari sortait de la chambre, quelques fois il fuyait la maison. Je n’ai jamais trouvé une épaule amie sur laquelle reposer ma pauvre tête. Monsieur Je n’ai jamais connu le bonheur. Je n’en ai jamais eu que dans cette affection si entière, si extrême que j’avais pour ces deux enfants qui m’ont été ravis. Et cette affection était accompagnée d’une inquiétude si constante qu’il est difficile d’appeler cela du bonheur. Le bonheur ! Je le trouve auprès de vous mais non pas quand vous êtes au Val Richer. Ici, ici près de moi, bien près.
Après vous avoir quitté hier soir, c.a.d. après avoir cessé de vous écrire. Je me suis reposée pendant une heure, j’ai pensé pensé vous savez à qui, vous savez à quoi ? Plus tard j’ai fait de la musique seule, toute seule jusqu’à 10 heures. Mon jeu m’a plu. Il était comme mes pensées. Ah que je vous désirais là, à côté de piano ! Et si vous y aviez été j’aurais laissé là le piano.
M. Thorn est venu m’interrompre ; après lui la duchesse de Poix et sa fille. Imaginez une heure passée entre ce pauvre Thorn & cette duchesse la plus bête des femmes ! Elle n’a pas une demi-idée elle n’a que de très grandes manières, sa fille m’a fait une vrais ressource dans cette misère. Sabine est charmante, spirituelle, vive, curieuse, fine, caressante, & des façons d’un stable boy. C’est exact ce que je vous dis là. Tout le monde hier était à l’opéra & la petite princesse toujours à Maintenon. Je me suis couchée à onze heures. Mes yeux, mon âme regardaient dans cette chambre inconnue, qu’il me semble que j’habite depuis si longtemps.
Monsieur je suis dans une étrange veine hier & aujourd’hui. Je tourne autour de la même idée. J’y reviens par toutes les routes, et je ne finirais pas, Avec quelle douceur, quelle bonté, vous avez accueilli mes mauvaises lettres ! Monsieur si mon cœur pouvait renfermer encore plus d’amour je vous le donnerais. Je vous somme tout ce qu’il a, tout ce qu’il a jamais eu, plus qu’il n’a jamais eu. Ne répondez pas à cette lettre-ci je vous en prie encore, je me réponds moi-même vieille ou jeune vous m’aimez. Vous ne pouvez aimer que moi, penser qu’à moi. Je n’ai pas d’âge. J’ai votre cœur, tout votre cœur. Toujours, toujours. Ah que j’ai pris goût à ce mot. Je dis toujours, comme je dis adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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48. Lundi le 25 Septembre
10 heures

Je l’ai parfaitement prévu, pensé sans vous le dire, que les amis s’inquiéteraient, & vous tourmenteraient encore plus que les ennemis. Vous ne m’apprenez, donc rien de nouveau. J’avais l’instinct de cela de mille autres choses quand je vous disais, il y a trois semaines je crois que notre bon temps était passé. Soyez en sûr ces huit jours de parfaite liberté ne peuvent plus renaître. Mais que de tristes réflexions à faire pour moi ! Savez-vous bien où tout cela peut mener ? Nous ne sommes qu’au début de tracasseries interminables, et croyez-vous que l’Empereur permette, puisse permettre que mon nom se trouve mêlé à des intrigues françaises puis-je m’y exposer moi-même quel air cela a-t-il ?
Dans mon pays Monsieur je suis une très grande dame, la première dame par mon rang, par ma place au Palais et plus encore, parce que je suis la seule dame de l’Empire qui soit comptée comme vivant dans la familiarité de l’Emp. & de l’Impératrice. J’appartiens à la famille voilà ma position sociale à Pétersbourg, et voilà pourquoi la colère de l’Empereur est si grande de voir le pays de révolution honoré de ma présence. Monsieur ne riez pas quoique j’en ai grande envie, c’est du grand sérieux. Avec des idées pareilles imaginez ce qu’il va dire quand lui arriveront les commérages, les petits journaux, les grands peut-être, que sais-je, des tracasseries politiques, et vous Monsieur emmènerez-vous un auditoire pour voir, entendre, ce qui se fait, ce qui se dit dans mon cabinet vert ? Persuaderez-vous des amis méfiants, des ennemies acharnés ? Vous me faites sortir Monsieur d’une position qui était devenue bonne qui serait devenue meilleure. Je suis toujours restée au courant des affaires de l’Europe.
Je n’ai jamais connu les intrigues de partis en France que pour en rire. Je n’ai pas pris plus d’intérêt à un homme politique qu’à un autre. Voilà ce qui était bien, ce qui faisait pour moi, de ce qui se passe ici, un spectacle animé curieux mais rien qu’un spectacle dont je jouissais avec ma petite société en pleine innocence, & pleine insouciance. Déjà cette position commence à s’altérer, je le vois à la mine de la petite diplomatie de petite espèces. Elle est encore un peu ahurie, et je ne manque aucune occasion de la dérouter. Je poursuivais dans cette intention mais cela me réussira-t-il ? Je vous ai montré pour mon compte le très mauvais côté de ma position actuelle. J’ai été chercher le pire parce qu’en fait de mal, j’aime à échapper aux surprises, je veux vous dire cependant que je ne m’agite pas, je ne m’inquiète pas plus qu’il en faut. Je compte un peu sur mon savoir-faire, infiniment sur mon innocence. Nous verrons comment cela pourra aller.
Mais arrivons enfin à ce qui nous importe à nous. Quand vous reverrai- je? Je vous ai écrit une triste lettre hier, n’était-elle pas même un peu brutale Je me sais jamais ce que j’ai écrit, mais j’ai toujours souvenance de l’impression sous laquelle j’ai écrit. Cette impression était bien mauvaise. Elle n’est guère meilleure aujourd’hui. J’ai un chagrin profond. Vous ne sauriez croire tout ce que j’essaye pour me distraire. Ne vous fâchez pas je cherche à me distraire de vous car lorsque je me livre à vous dans ma pensée je me sens toujours prête à fondre en larmes. Je me puis pas vivre comme cela, je ne puis pas me bien porter, vous voulez que je me porte bien. Mais que faire, qu’imaginer ?
Je lis un peu. Je me promène plus longtemps que de coutume. Le soir je quitte ma place, je fais de la musique je dis des bêtises. Enfin je ne me ressemble pas. Hier au soir si vous étiez entré vous ne vous seriez pas reconnu chez moi. Marie occupant mon coin, ce coin encombré de gravures, et garni, par M. Caraffa, dont les yeux noirs trouvent, les yeux bleus de Marie fort beaux. M. Durazzo M. Henage je ne sais quel jeune anglais encore. Moi au piano avec toute la Sardaigne qui chantait on me rappelait des morceaux de Bellini, Adair quelques autres je ne sais plus qui. Le piano est devant une glace. J’y voyais la porte, & je me suis dit vingt fois, cent fois " S’il entrait ! " Et je voyais dans la glace que mes yeux prenaient une autre expression.
En vérité Monsieur je ne conçois pas comment je pourrai aller longtemps comme cela et je frissonne en vous disant cela. Madame de Castellane est venue chez moi hier matin, et en m’attendant nullement à l’objet de cette visite ; elle m’a fort adroitement amenée à ne pas pouvoir lui refuser d’aller dîner chez elle un jour. Cela ne me plait pas cependant. J’ai choisi jeudi. Pendant qu’elle était là je reçu un billet de M. Molé. Un billet de phrases galantes, qui ne demandait pas de réponse. Tout cela veut-il couvrir les pêchés passés, ou servir de masque à de nouveaux ? Ah, j’ai le Temps sur le cœur.
2 heures. Je viens d’écrire une bonne et forte lettre à M. de Lieven. Je crois que vous en sériez très content. Je ne comprends pas ce qu’il pourra y répondre. Mon fils qui est auprès de lui me mande qu’il est comme fou sur le chapitre de mon séjour ici, et qu’il n’y a pas moyen de placer un mot en ma faveur. C’est une vraie démence. Que de tracas de tous les côtés, que des images qui s’amoncellent ! Et les compensations en bonheur que j’ai trouvées, que le ciel a mis sur ma route quand reluira-t-il pour moi ?
M. de Broglie va revenir pour les couches de sa fille. Cela ne peut-il pas faire un petit prétexte ! Mais par dessus tout la santé de votre mère ? L’air n’est-il pas plus froid en Normandie ? Les cheminées ferment ici elle serait mieux. Pourquoi ne pas établir d’avance qu’il faut rentrer plutôt en ville. Vous n’avez pas d’habitudes sur ce chapitre, car vous n’êtes établi chez vous à la campagne que depuis cette année. Et mon dieu que me sert de vous fournir toutes ces raisons, si elles ne vous viennent pas à l’esprit, si elles ne vous viennent pas au cœur (Oh la mauvaise parole).
Je ne pense pas ce que je vous dis, mais permettez-moi d’être triste, extrêmement triste, & de le rester tant que vous ne m’aurez pas fourni une date. Le 25 aujourd’hui m’a fait mal. J’y avais tant compté. Ce salon ce cabinet que je regardais avec tant de complaisance en pensant au 25, auxquels je trouvais un air si gai, si charmant, il me font un effet désagréable aujour’’hui en y entrant j’avais envie de fermer les yeux. Demain je dîne chez Pozzo, j’avais dit d’avance que je ne serais pas chez moi le soir. Je pensais que le 26 vous en revenant de la noce & moi du dîner nous passerions notre soirée dans mon cabinet ; que vous prendriez du thé à la petite table. Je pensais à de si jolies pensées. Cela fait mal aujourd’hui. Adieu Monsieur, adieu, comme toujours plus que jamais adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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434. Paris Samedi 26 septembre 1840
9 heures

J’ai vu hier matin M. de Werther, Montrond, Bulwer. Celui-ci avait de mauvais avis de Londres. Lord Palmerston écrit : " Le traité doit être exécuté. " On dit que mon Empereur est de cet avis aussi et bien plus fortement ; et ravi de l’idée d’une guerre, qui le mènerait à Paris ! Je vous dis les renseignements venus par des étrangers, car Pahlen n’a pas un mot, absolument pas un. Après mon dîner, j’ai été un moment chez les Appony. Il m’a reçue avec des éclats de joie. On répandait le nouvelle que le pacha avait tout accepté. Est-ce vrai ? Nous verrons dans la journée. Ce serait un effet une bien grande nouvelle. Pas beaucoup de gloire pour le gouvernement français. Grand triomphe pour lord Palmerston, mais enfin, la paix, la paix, à moins que vous ne veuillez la guerre pour rien du tout, et pour le seul plaisir de la faire. Je raisonne et déraisonne, car encore une fois il faut confirmation.
Montrond croit que Flahaut va faire du barbouillage à Londres, que certainement il en ressortira des commérages entre vous et Thiers. Il est fâchée de ce départ. Du reste Montrond est bien à la pais. Il dit qu’il voit Thiers rarement et que quand il le voit il le trouve tellement entouré de journalistes qu’il n’y a pas moyen de causer avec lui. Savez-vous que Bulow a en effet mécontenté sa cour ? Il avait le double ordre de faire comme ses collègues d’Autriche et de Russie, et de ne pas laisser la France en dehors. Il n’y avait pas moyen de concilier cela. Il a fallu choisir, et il a choisi ce qu’il croyait qui flattait le plus les opinions de son nouveau maître. Il s’est trompé, on lui en veut. Cette donnée que je regarde comme très exacte, vous expliquez bien des choses. Lord Palmerston en veut un peu à Bulwer pour avoir tenu un langage trop mou ici. Mon ambassadeur est venu chez moi de 9 à 10 heures. Je lui ai donné la nouvelle d’Appony. Nous avons devisé sur cela. Il doute et écrit tour à tour. Nous verrons votre lettre hier ne m’a été remise qu’à 3 heures, par le petit copiste. C’est vraiement trop tard. Et puis, c’était un pur hasard qu’il m’ait trouvée chez moi.

2 heures
Voici votre lettre tard encore ; les jolis garçons. car Dieu merci j’en ai vu trois maintenant, ne me plaisent pas autant que les vieux et les veilles femmes. Je prie qu’on vienne avant midi mais cela ne fait pas beaucoup d’effet. M. Molé sera ici pourl e procès. Il n’y est pas maintenant ; je suppose qu’il viendra me voir. J’irai demander aujourd’hui où se trouve D. Je ne vous ai pas parlé de votre portrait, je l’ai bien regardé cependant. Il est excellent mais j’aime tant ma gravure, je la regarde tant dans mon cabinet de toilette, j’y suis si habituée, que dans ma préocupation de la gravure et de l’original, je n’ai pas apprécié le portrait autant qu’il le mérite. C’est un intermédiaire dont je n’ai pas besoin les deux autres ont leur place. Je bavarde et je radote. Je rêve de bons temps, bons temps passés, bons temps à venir. Venez. La nouvelle d’Appony est- elle vraie est-elle fausse ? Si elle est fausse, le conseil de Lundi sera-t-il bon, sera-t-il mauvais ? voilà où tournent mes idées. Adieu. Adieu autant de fois et comme il vous plait. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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432. Paris, Jeudi 24 Septembre 1840 9 heures Avant toute chose il faut que je vous prie de ne plus vous servir de Génie pour vos lettres. Vous la seconde fois que pas son entremise je ne les réçois qu’après 6 heures. Ce n’est pas sa faute il passe sa matinée dehors. Il ne rentre qu’à 5 heures, et c’est alors qu’il trouve la porte. Il est venu me porter la lettre avant mon dîner. Nous avons causé du sujet dont je vous ai entretenu hier, il dit qu’il y a longtemps qu’il le sait et qu’il vous le dit, il dit aussi que vous écrivez. trop à M. Dillon. Par là arrivent des commérages, qui se glissent dans les journaux. Je vous redis tout. Votre lettre de jeudi est bien desponding. Dans un mois dites-vous la crise doit être résolu. Mon Dieu qu’arrivera-t-il ? Ne vous flattez pas qu’il y ait aucun moyen de me faire rester à Paris ou en France. C’est impossible, je ne puis pas être le seul Russe qui reste en pays ennemi. Jugez donc quelle horreur si la guerre éclate ! Et je la crois plus probable que le contraire. Elle est dans la marche des événements créés par le 15 juillet et dans l’attitude que la France a prise en conséquence. Elle est surtout dans l’intérêt de Thiers il est impossible qu’il vive s’il ne remporte pas un triomphe moral en faisant modifier le traité, ou s’il ne fait pas la guerre. Il n’y point d’autre alternative. Comment espérer qu’on lui fournisse la première ? Je n’y crois plus. On est trop engagé et vous avez trop menacé et les puissances se diront qu’il y a bien plus d’avantages pour elles à commencer de suite qu’à attendre ; car aujourd’hui vous n’êtes pas encore prêts. Dans 6 mois vous le serez trop tout cela a été horriblement mal mené. Il y a des torts de tous les côtés. Mais il ne s’agit plus de cela. Cependant est-il possible de faire la guerre pour quelque Pachaliks !! Vraiment c’est fou, mais le monde est fou. Ce que je regarde comme certain, c’est que tout doit être décidé avant les chambres. J’ai vu hier matin Bulwer et Mad. de Flahaut chez moi. Je suis sortie pour aller au bois de Boulogne. Je fais tristement et tranquillement et solitairement ma promenade tous les jours à moins de pluie. Le médecin me l’ordonne, mais il m’ordonne aussi de me coucher à 10 heures, de ne voir que deux personnes à la fois, de dîner seule une perdrix ou un poulet, rien que cela. Enfin, je suis encore malade. J’ai été un peu rudement menée à Londres. Le voyage m’a beaucoup fatiguée. Je n’ai jamais été maigre de ma vie comme je le suis maintenant. Je tâche de me calmer, de me reposer, mais si vous nous donnez la guerre dites que vais-je devenir ? J’ai vu les Granville hier au soir. Nous sommes plus intimes que jamais, car nos opinions se renontrent parfaitement. 11 heures Voici votre lettre. Les gros et les vieux sont les meilleures voies. Je commence par répondre à votre question sur ma question. Tout franchement j’étais triste d’entendre parler de séjour chez une tulipe. Je n’osais pas me l’avouer à moi même, j’osais encore moins le dire, et voilà que Je vous le dis. " Envoyez-moi un bon adieu pour réponse car je ne veux pas que vous perdiez votre temps à me dire ce que je sais, vous avez mieux à faire que cela. Je suis une sotte ; vous ne me le direz jamais aussi énergiquement que je me le dis à moi-même. Faites toujours ce que vous croyez qui est convenable. Moi aujourd’hui j’aurais cru convenable de ne pas vous absenter. Si le moment s’y prète et si vous ne pouvez pas éviter à moins d’impolitesse, faites comme vous l’entendez ; n’en parlons plus et ne me parlez pas de ceci, je vous prie, répondez par un adieu, un adieu spécial sur ceci, et dites-moi, dites-moi qu’il n’y aura pas de guerre. Vraiment chacune de vos lettres est triste et ce sont des généralités. Vous ne me dites pas comment vous êtes avec Lord P. Dois-je prendre le Morning chronicle pour la pensée du gouvernement ? Le Times vous échappe à ce que je vois. Enfin, enfin il y a bien de dégringolade. Le roi de Hollande a fait venir Fagel, il est parti hier matin ton subitement. Dites à Dedel mille souvenirs de ma part. le Constitutionnel de ce matin. vous embarque fort et ferme dans la galère. Je vous prie de ne pas tout manquer. Votre sommeil de l’après dîner vous vient de là. C’est détestable, je serais encore plus fâchée de vous voir engraisser que vous ne pourriez l’être de me voir maigrir. Je trouve affreux pour un homme d’avoir de l’embonpoint. Si jamais vous deveniez comme lord Holland. Je ne sais mais il me semble... Allons, adieu. Ecrivez-moi davantage Vous me dites peu, vous m’écrivez courtement. Je ne vis que pour vos lettres. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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430. Paris Mardi le 22 septembre 1840
10 heures

J’ai eu hier Montrond, Sir Robert Adair. Les Appony, vieux et jeunes. Je suis sortie pour ma promenade du bois de Boulogne, en rentrant j’ai trouvé mon ambassadeur chez moi. Après le dîner il y ait revenue ainsi que Teham. Montrond comme Mad. de Flahaut critique un peu le mémorandum français du 24 août ; ils le trouvent trop doctrinaire, et infiniment trop doux, l’un et l’autre supposent qu’il est de votre rédaction.
Montrond est très à la paix, tout-à-fait à la paix et ne veut pas croire à la possibilité d’autre chose. Je n’ai rien relevé du reste dans la conversation. Adair fait des vœux pour qu’on s’arrange sur les propositions du Pacha, mais il entend qu’on prenne des sûretés contre les tendances où les armements énormes de la France pourraient la mener. Il les trouve très menaçants. Appony n’avait rien de mal à dire hier. Mon ambassadeur non plus. Seulement lorsque je lui redis l’observation que m’avait faite Granville, que lord Palmerston quand même il pourrait désirer accepter les propositions du Pacha en serait empêché peut être par l’Empereur. Il se récria en répétant mais l’Empereur ne veut pas la guerre, il ne la veut pas. J’ai répondu à lady Palmerston, J’ai pris copie de ce que je lui ai écrit. Le voici. Je suis interrompue par Bulwer & & 22. Impossible de vous dire plus. Adieu Adieu.
J’attends votre lettre avec impatience. Le langage de 6 à 29 hier était très menaçant. Heureusement, l’usage en sera modifié. Adieu.
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