Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 25 août 1848
Dix heures

Nous rabâchons toujours Montebello et moi de 9 à 10 le soir. Il est plein de sens. Il ne croit pas à la République, mais la conduite de Cavaignac lui parait très bonne. Seulement il l’attend au moment où il faudra choisir entre le parti modéré qui est nécessairement monarchique, et la république rouge. C'est à ce moment là qu'il voit la fin de régime actuel, dans quelque camps que Cavaignac se jette, et il le croit plus disposé au rouge qu'au blanc. Comme cet homme pourrait jouer un grand & noble rôle s'il n’était pas un enragé républicain ! Je commence à croire tout à fait aux tendresses de l’Empereur pour lui. Je vous ai toujours dit que l’Empereur avait le plus profond mépris pour les monarchies constitutionnelles ces deux mots lui semblent pire. Une franche république lui parait tout à fait logique. Il n’a pas tort. L'Angleterre seule est capable de supporter le disparate. Et encore, c’est bien une république ceci, république aristocratique. Car vous conviendrez que le Roi n'y compte que comme décoration. Retournez à Louis 14, ou bien résignez-vous à la perpétuelle confusion.
Les Holland vont partir, pour, ils ne savent où, le fidged anglais. Elle en pleure. Lui s'ennuie. L’arrangement de Holland house l’a occupé, passionné ; c’est fini, il est déjà blasé de la jouissance, car ce n’est par la question d’argent qui les chasse. Je les regretterai c'est une ressource. Je voudrais bien n’avoir plus à spéculer sur les ressources en Angleterre. Le Times de ce matin est encore très curieux de toutes les façons. J'espère que vous ne croyez pas un mot de la révolution à Pétersbourg ?

2 heures.
Voici votre lettre si courte & vous la promettiez longue. Pour quoi ne pas écrire par provision, vous avez du loisir ? Merci des incluses. Il me faudra du temps et des intervalles pour les lire (attendu mes yeux) je ne vous les renverrai donc que demain. Je suis très curieuse de Paris, aujourd'hui. Les modérés diraient que c’est palpitant. Adieu. Adieu, nous aurons encore un très mauvais jour le Dimanche, et les bons faute de mieux au nombre de 7 et puis et puis. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft samedi 26 août 1848
4 heures

Je suis de l'avis de Montebello. Je crois que le gouvernement Cavaignac choisira pour le rouge s'il est absolument forcé de choisir. Et le jour viendra où il y sera forcé. Mais de part et d’autre on s'efforcera de reculer ce jour. Personne n'a assez d'envie de gagner la bataille pour l’engager volontairement. Je ne m'accoutume pas à la pusillanimité des honnêtes gens. Ce n’est pas faute d'expérience. Certainement je n'ai pas cru aux révolutions de Pétersbourg. Et je crois que si l'Empereur aime mieux la république que la Monarchie constitutionnelle, c’est qu’il la croit moins contagieuse. Il penserait autrement s’il était le voisin des Etats-Unis. Et s’il avait raison dans la préférence que vous dites, et que vous êtes tentée de partager Cavaignac et Marrast auraient raison. Car renoncez à Louis XIV. On refait encore bien moins Louis XIV que Napoléon. Si nous n'avions d'autre alternative que Louis XIV ou la confusion permanente, je me ferais moine. Il me faut de l'avenir, dans ce monde et dans l'autre.

Dimanche 27
8 heures

J’ai eu hier au soir quelques mots de Paris qui me prouvent qu’on y est de nouveau et sérieusement inquiet. Inquiet d’une nouvelle bataille dans les rues. La république rouge ne veut pas accepter sans mot dire la politique qui accepte la déroute Italienne, ni l'ordre du jour motivé, quel qu’il soit, qui terminera le débat de l’enquête. Elle veut protester et sa protestation, c'est l’insurrection. Cavaignac la battra, nul doute et la victoire l'affermira pour aujourd’hui, mais l’usera pour demain. Le voilà engagé dans le défilé où la Monarchie de Juillet a péri, entre deux feux et deux feux bien plus étendus, bien plus ardents qu’ils n'étaient contre elle. Et il n’a pas comme elle, de qui se défendre longtemps. La Monarchie de Juillet s’est défendu avec deux armes ; par la prospérité du pays, par l'opinion, généralement accréditée, qu’elle était réellement la fin des révolutions. La république n’a ni l’une ni l'autre. Je persiste dans mon avis. Ce sera plus long que ne croient les badauds et moins long que les gens d’esprit, comme vous et moi, ne sont quelques fois tentés de craindre. Je vous envoie les impressions qui m’arrivent de Paris et mes raisonnements sur les impressions en attendant samedi.
Tempête hier, mauvais temps aujourd’hui. Je vais faire ma toilette pour aller au sermon. Je suis correct ici. Je vais au sermon tous les dimanches. Une heure Je suis désolé que vous ayez eu deux mauvaises heures. Ce n'est pas ma faute. Il est impossible d'être, en fait d’exactitude, plus minutieusement soigneux que je ne suis. Comment ne le serais-je pas ? J'ai tant besoin de votre exactitude à vous ? Elle est parfaite aussi. Je trouve que nous ne nous remercions pas assez de nos vertus mutuelles. Nous souffririons tant de nos défauts ! Enfin samedi prochain, nous n'aurons, ni à nous remercier, ni à nous plaindre.
C'est le lundi qui est mon blank day à moi. On distribue ici les lettres le dimanche. La lettre de Sabine est drôle et aimable. Je commence à être assez frappé de ces rumeurs sur Henri V. Non pas que je croie à aucun résultat prochain. Si l'explosion est prochaine. Henri V y périra, comme Louis Bonaparte a péri. Le produire aujourd’hui, c’est le détruire. Mais si on continue à parler de lui sans le lancer dans l’arène, s’il apparait de plus en plus, mais dans le lointain, il prendra du corps et grandira. Et la fusion, aujourd’hui chimérique pourrait bien devenir possible. Elle sera possible le jour où tout ce qu’il y a de monarchique en France verra là, la seule chance de salut. Ce jour-là, tout le monde se réunira pour imposer la fusion à qui de droit et de bonne ou de mauvaise humeur, on l'acceptera sans grande résistance. On y verra aussi son salut.
Avez-vous écrit dernièrement au voyageur pour la fusion ? Je pense très bien de Montebello et je suis bien aise que vous en pensiez très bien, le connaissant comme vous le connaissez à présent. Faites-lui je vous prie, mes amitiés savez-vous pourquoi Morny est revenu à Londres ? Savez-vous aussi, ou pourriez-vous savoir, si Lord Palmerston connait un M. Rothery, dont vous m’avez peut-être entendu parler, et avec qui M. Dumon est très lié ? C’est un proctor que le foreign office a quelques fois employé, du temps de Lord Aberdeen. Il vient de m’écrire qu’il partait subitement pour Madrid, m’offrant de se charger de mes commissions pour Paris. Il me dit : you will doubtless be surprised et my suddon determination to start for so turbulous a country as Spain, et ne me dit pas du tout pourquoi. Je serais curieux de savoir si c’est Lord Palmerston qui l'envoie. Il fait faire assez souvent sa diplomatie incorrecte par des voyageurs, et celui-ci est intelligent. Vous avez vu que M. d’Haussonville m’avait demandé un programme de ce qu’il devait dire, voulant écrire sur notre politique extérieure. Voici ce que je lui ai répondu. Gardez-moi cette copie que j'ai gardée pour moi. Je crois qu'il est maintenant possible et utile de dire en France ces choses-là. Ne faites usage de ceci que pour vous, à cause de M. d’Haussonville. Adieu. Adieu.
Je suis bien aise que vous n’ayez pas eu besoin de m'envoyer votre homme pour savoir si j'étais vivant. Mais s’il était venu, je l’aurais embrassé. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Samedi 9 Sept. 1848
9 heures

Je vous ai quittée hier à 4 heures moins un quart. J'étais chez moi à 4 heures 35 minutes, ayant changé trois fois de voiture, le railway, mes pieds et l’omnibus. On ne peut guères surmonter mieux l'obstacle de la distance. Mais l’ennui de la séparation reste et il est grand. J'étais levé ce matin de bonne heure. Non seulement je travaille, mais j'y reprends plaisir. Je retrouve cette confiance de ma jeunesse où je croyais à l'efficacité de mes paroles autant qu'à la vérité de mes idées. A la réflexion, j’en rabats ; mais le fond reste. Grâce à Dieu, car pour être un peu puissant, il faut, non seulement vouloir l'être mais croire fermement qu’on le sera.
Je n'ai rien appris hier soir. Rumigny part aujourd’hui. Il est de ceux qui voudraient que de Claremont, on se montrât, en parlât, on fit sentir sa présence à ses amis. Il dit que les amis le demandent, se plaignent du silence. Il rappelle la proclamation que Zea Bermudes fit faire à la reine Christine chassée en 1840, et la bonne position d'attente que ce seul fait rendit à la Reine. Il se peut que le moment vienne, pour le Roi, de dire quelque chose ; mais, à coup sûr, il n’est pas venu. Je viens de vous renvoyer Jean. Je persiste dans mes deux avis. Il faut proposer ce que vous dit Lutteroth. Il faut sommer Lady Holland de se retirer. Rothschild vous donnerait en tous cas, la préférence. Les Holland ne sont que des oiseaux de passage. Merci du gibier.

Midi
Que dites-vous des derniers mots de la Lettre de Louis Bonaparte ; on ne détruit réellement que ce qu'on remplace ? C’est une candidature bien déclarée. J’ai toutes les peines du monde à prendre cet homme-là un peu au sérieux. Pourtant il a été quelques jours un prétendant sérieux. Il pourrait le redevenir. Il faut pas se donner une démolition de plus à faire. Bon avis aux partis monarchiques pour qu’ils s’entendent. Le Journal des Débats continue. Le Gouvernement de Cavaignac est bien isolé. Le National pour tout appui ! Et le National embarrassé, triste. Il est impossible que cette situation dure longtemps.
Je regrette ce pauvre général Baudrand. Il n’avait plus rien à faire en ce monde. Mais je n’aime pas que les honnêtes gens meurent. C'était un soldat vertueux et gentleman. Très noble type. Il sera mort tristement et tranquillement. Il y a certainement quelque chose de nouveau de la part de l’Autriche. Vous l'aurez peut-être su hier soir. Je regarde attentivement aux préparatifs de Marseille. Ce ne sont pas des préparatifs de guerre. Il ne peuvent avoir pour objet qu’une démonstration. Où ? Pourquoi ? Le Pape ne parait pas menacé en ce moment. Le discours de la Reine est bien confiant dans la pacification. Croker croit à la guerre. Il m’écrit. « I am more and more convinced that this republic must end speedily, in another convulsion whether thal will produce another republic, red or rose, or a monarchy,or a regency. I cannot guess ; but as soon as ever the dictatorial sword it theather, we shall have another Struggle, in Paris ; and then also, if not before, a continental war. Je ne crois pas. Adieu. Adieu.
A demain Holland house. n'oubliez pas la lettre dont je vous ai envoyé tout à l'heure un paragraphe. Adieu. G.

J'ai donné transmis à mon avocat les renseignements que vous avez bien voulu me transmettre sur mon procès, Il en a causé de nouveau avec mon oncle qu’il a trouvé mieux disposé pour une transaction et prenant lui-même quelque peine pour y disposer les autres parties intéressées. Mais il y a pour celles-ci surtout, et pour la situation où elles se trouveraient si la transaction avait lieu, certaines garanties qui paraissent indispensables. Je n'y vois, pour mon compte aucune difficulté. Quand mon avocat trouvera les choses assez avancées pour que j'aie à répondre, je vous prierai de me dire votre avis. Encore une fois, je ne vous demande plus pardon de vous ennuyer ainsi de mes affaires. Mais certainement il y a progrès vers la conciliation.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L010_00338.jpg
Brompton. Vendredi 29 Sept. 1848
10 heures

J’ai eu hier soir des nouvelles de Claremont. Détaillées. Toujours la même disposition. Très sensé, prêt à tout ; mais disant ce que nous disons. Expliquant bien la disposition de Mad. la Duchesse d'Orléans ; indiquant le langage qu’il convient de lui tenir. Du reste, plutôt en veine de confiance et regardant de plus en plus la durée de la baraque de Paris comme impossible. Montebello vous aura probablement donné les mêmes renseignements. Je viens de lire Lamartine et Odilon Barrot sur les deux Chambres. Les Débats ont raison. Les deux meilleurs discours qu’ils aient jamais faits l’un et l'autre. Mais empreints l'un et l'autre d’un vice mortel. Ni l'un ni l'autre ne croit à la durée de la République. L’un veut une assemblée unique, l'autre en voudrait deux pour la faire durer. Et tous les deux se répandent en compliments hyperboliques pour la République qui ne durera pas, et pour la démocratie qui ne sait pas faire ce qu’il faut pour la faire durer. Moins de fois que jamais et plus de flatterie que jamais pour la République et pour la Démocratie. Esprits très superficiels parlant du ton le plus sérieux, et une incurable faiblesse sous les apparences du courage. Toujours le même spectacle ; des médecins atteints de la maladie qu’ils veulent guérir, et ne la voyant pas, ou n’osant pas l'appeler par son nom parce qu'alors ils seraient obligés de la voir est eux-mêmes et de se traiter eux-mêmes comme malades. Encore une fois les évènements seront les seuls médecins de la France.
Brougham va pourtant tenter la cure. Je reçois ce matin de lui une lettre où il me dit : « Je commence [à] faire imprimer. Si mon ouvrage est différé, ceux qui, par amour pour la France, ont élu l'homme le plus stupide que je connaisse et qui ne fait jamais parler de lui que pour se faire moquer de lui Louis Napoléon, sont capables de renverser la République tricolore par la République rouge, et je ne ferais alors que l’éloge funèbre de leur République ! » Il ne s'attendrit pas aussi aisément que vous sur Louis Napoléon.

Une heure
La République badoise n’a pas fait longue vie. J'attends impatiemment des nouvelles de Berlin. Je commence à désespérer un peu moins de l'Allemagne. Il semble qu’un parti de résistance s'y prépare. Je doute que Paris et Londres acceptent le congrès, n'importe où, sur les Affaires d'Italie. Je le voudrais pour réhabiliter les congrès dans le monde républicain. Si le congrès à des questions territoriales à vider, Pétersbourg à Berlin y seront certainement, s’il ne s’occupe que de gouvernement intérieur de l'Italie, Londres et Paris suffisent. Dîtes, je vous prie à Montebello qu’il y a dans mon quartier, Pelham Crescent, Brompton Crescent, Onslow square, Thurloe square, plusieurs maisons à louer. Peut-être quelqu'une lui conviendrait. Je viendrai demain, samedi, dîner avec vous. J'aime mieux cela. C'est plus sûr et plus long. Mon rhume s'en va tout-à-fait. Adieu. Adieu. Je ne fermerai ma lettre qu’après 4 heures.

4 heures un quart
Je ne sais rien de nouveau sinon le billet qui m’arrive de Lady Holland. « Mon cher M. G., ne venez pas dîner dimanche et croyez au chagrin que j'éprouve de devoir vous faire cette prière. Je suis malade et Lord Holland est obligé d'aller visiter quelques parents. » Qu’est-ce que cela veut dire ? Vous avez sans doute reçu quelque chose de pareil. Adieu. Adieu. A demain. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, Mercredi 8 nov. 1848
9 heures

Voici une lettre très curieuse. Lisez-la, je vous prie, vous-même, malgré vos mauvais yeux et renvoyez-la moi tout de suite. G[énie] me fait dire qu'il importe infiniment que ses lettres restent entre lui et moi, et qu'il n'en revienne rien à Paris. Vous verrez combien tout cela confirme ma résolution. Je devrais dire notre résolution de me tenir parfaitement tranquille et en dehors de toutes les menées.
Le Roi me fait écrire hier par d'Houdetot " Le Roi me charge de vous dire que les accidents de santé de ses chers malades, sans être plus graves, ayant continué, les médecins avaient conseillé un changement d’air immédiat ; ce qui l’avait décidé à aller passer quelques jours à Richmond, à l’hôtel du Star and Garter. Nous partons aujourd’hui même à une heure. Le Roi désire que vous sachiez bien le pourquoi de ce mouvement afin de vous mettre en garde contre les bruits publics." D’Houdetot aurait dû me donner quelques détails sur la Reine. Mais enfin elle a pu évidemment être transportée, sans inconvénient. Je voudrais savoir qui occupera votre petit appartement. J'irai les y voir. Pourvu que mon travail m'en laisse le temps, car je veux absolument le finir sans retard et l'envoyer à Paris. Le moment de le publier peut se rencontrer tout à coup. Et dans l'état des affaires au milieu de tout ce mouvement d'intrigues croisées, je ne serais pas fâché de donner une marque publique de ma tranquillité et liberté d’esprit en parlant à mon pays sans lui dire un mot de tout cela. Cette course à Drayton va me faire perdre encore du temps. Je réponds aujourd’hui à Sir Robert Peel, mais je n’y resterai que jusqu'au mardi 21 et non jusqu'au jeudi 23 comme il me le demande. Ce serait charmant, s'il vous invitait aussi.
Je reçois à l’instant même un billet de Duchâtel qui était allé hier a Claremont au moment où le roi et toute la famille partaient pour Richmond. Il a trouvé le Duc de Nemours et le Prince de Joinville, très souffrant. Ils ont eu une rechute, c’est ce qui a déterminé la résolution, soudaine.
La dernière scène de Vienne est tragique. Le parti révolutionnaire, étudiants et autres est plus acharné que je ne le supposais. On m’apporte de Paris de bien sombres pronostics sur l'Allemagne. On s’attend que l'Assemblée de Francfort se transportera à Berlin, et finira par y proclamer la République. La Monarchie, et l’unité allemande paraissent de plus en plus incompatibles. Le rêve en progrès est celui d’une république allemande, laissant subsister dans son sein, par tolérance et jusqu’à nouvel ordre des monarchies locales. En France les esprits sont malades sans passions. En Allemagne, il y a la maladie, et la passion. Adieu, adieu. Merci de votre accueil, digne réponse à votre merci de ma visite. Adieu vaut mieux. M. Vitet arrive aujourd’hui de Paris. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L010_00433.jpg
Brompton Jeudi 9 nov. 1848
5 heures et demie

J’ai été mettre une carte chez Mad. de Lavalette à Regent Park. J’ai eu du monde toute la matinée. Je vous arrive trop tard pour aujourd’hui. Mes nouvelles de Paris sont un peu moins sombres. M. Vitet, qui a passé une heure et demie ici avec Duchâtel croit peu à une bataille avant le 10 décembre. Cavaignac, à tort selon lui, n'est pas sans espérance électorale. Dufaure l’y entretient. C’est une illusion. Louis Bonaparte a toujours les plus grandes chances. Pas telles cependant que Cavaignac se regarde, dès aujourd’hui comme battu. Il attend donc, et ne fera point de bruit en attendant. Comment en faire après tout de suite après, si Louis Napoléon est élu ? Ce sera difficile. On pourra bien essayer de susciter quelque tumulte impérial pour se donner un prétexte de sauver la République. Il est douteux qu’on y réussisse. Les Impériaux seront fort sur leurs gardes. Probablement donc une situation fort tendue, sans explosion. La misère publique et la détresse financière plus grandes, plus croissantes, le peuple de Paris plus désespéré qu’on ne peut dire, Louis Bonaparte prudent et silencieux, dans le présent, se promettant d'être très très conservateur dans l'avenir. Il parle à ses confidents de je ne sais quel plébiscite impérial d'il y a plus de 40 ans qui lui permettra de rétablir une Chambre des Pairs héréditaire formée de tout ce qui reste de Sénateurs de l'Empire, de Pairs de la Restauration et de Pairs de Juillet. La fusion ainsi accomplie en même temps que l’hérédité rétablie. Des intentions très bonnes et très ridicules, qui peuvent être utiles après lui. Le propos des légitimistes et des conservateurs, est ceci : " Les Bourbons ne peuvent pas succéder à la République. Il faut les Bonaparte entre deux comme la première fois. "
On m’écrit de Paris : " Le bruit se répand que votre candidature fait de tels progrès dans le Calvados que votre sélection y serait faite à l'unanimité. Le candidat légitimiste qui devait être porté M. Thomine, a écrit, dit-on à M. de Falloux qu’il se retirait et que lui se retirant, votre élection croit d'elle-même. " Je doute de ceci. Cependant il faut prévoir cette chance que je sois élu malgré ce que j'ai dit et fait dire. Ce sera un grave embarras.
J’ai oublié de vous dire que de bonne source, on attribue au Général Lamoricière ce propos : " Si on nous envoie Louis Napoléon pour Président. nous le recevrons à coups de fusil ; je mettrais le feu à Paris de mes propres mains plutôt que de le subir. " C’est bien violent. Pourtant cela indique le dessein de ne rien faire avant l'élection.
Voici une lettre du duc de Noailles qui m’est arrivée avec son livre. Renvoyez-la moi, je vous prie. J'ai vu ce matin le Médecin du Roi. Il arrivait de Richmond. On y va mieux. Il n'a d’inquiétude pour personne malgré les rechutes. La Reine était très souffrante. On a de nouveau analysé l'eau la veille du départ, en présence de plusieurs chimistes anglais, extraordinairement chargée de plomb. Ce sont des réparations faites il y a près de deux ans, à des conduits, et à une citerne. Claremont avait à peine été habité depuis. Rien de singulier donc. Deux maids aussi ont été malades. Duchâtel penchait à croire à quelque empoisonnement factice, à quelque coquin envoyé de Paris et gagnant un domestique. Je n'y crois pas. Le médecin non plus. Tout s’explique naturellement. Adieu. Adieu. A demain matin.

Vendredi 10. 9 heures
Je n’ai rien ce matin. Sinon Adieu, adieu, ce qui n’est pas nouveau et n'en vaut que mieux. Adieu donc. J’ai eu hier soir, à 8 heures, votre lettre du matin.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton vendredi 17 Novembre 1848
11 heures

J'ai bien peur que mes craintes ne se vérifient et que nous ne voyons arriver Cavaignac. Comment pardonner jamais aux Débats l’énorme faute qu’ils viennent de faire ? Comment se fier à la parole d'un français ? I've your pardon. Il y a toujours des exceptions à la règle. Mais la règle est cela. Ou bien quelles têtes de linottes ! Je suis enragée. Le roi a tort de trouver 1000 francs par jour trop. C'était bien là dans mes proportions ce que je payais et au-delà ; pour deux, miss G. & moi. Car mes gens sont à part. 2 d'entretien. Et bien, ils sont 19 maîtres sans les valets. C’est cela, et de plus ils sont chauffés. Et moi je ne faisais pas de feu.
J'ai eu une lettre du petit Welloughby, sans rien en raison. S'il a cru que je la montrerais. Il se trompe ; je n’en ai seulement pas parlé. elle essaie de toutes les façons de me raconter ses chagrins. J'esquive. J'avais copié quelques passages frappants de la lettre de votre hôtesse de Paris, et je les ai envoyés à Metternich pour attraper de ces réponses qui nous amusent tant. J’ai été attrapée, car sa réponse est spirituelle. Voici la copie. La Coterie de Bedford hôtel grossit. Lady Charlotte Greville est venue. La Duchesse de Cambridge vient samedi prochain. Le Prince & la princesse de Parme aussi vers ce temps-là. Cela sera drôle. Moi, je n'ai plus de visite à faire.
Je vous prie soignez-vous je crois que je vous ai mal dit hier. C'est warming pan, qu'il faut dire pour bassinoire. J'espère que vous aurez cette lettre demain matin. Adieu. Adieu.
On me répète que Melbourne est mourant, & Beauvale bien malade. Le fils de Lord Cattenham colportait ici la nouvelle que Lord John se retire que Clarendon sera premier ministre, Palmerston leader de la Chambre basse et Hardinge vice roi d'Irlande. La France est mieux placée que les autres parties du continent que le feu, qui a si longtemps été pris pour la lumière a gagné. Elle a eu sa faveur, l'habitude des chutes. Cette habitude quelque chère qu'elle soit à contacter, finir par offrir un bon côté pour les corps politiques. Ils se retrouvent avec plus de facilité dans la déroute. Je suis ainsi moins en peine pour la France que pour l’Allemagne. Entre Vienne, Berlin et Francfort, c’est Vienne qui est le mieux placée, car les théories se sont présentées en armes dans les rues. A Berlin la position ressemble à une partie aux échecs entre le Roi, par la grâce de Dieu, et le pouvoir par la grâce du peuple. Francfort enfin ne ressemble qu'à lui même. Une assemblée constituante à la recherche de l’état à constituer est un spectacle nouveau dans les fastes de l'histoire. Dieu seul connait le terme auquel arrivera ce gâchis général. Je n'ai à cet égard plus une idée après avoir usé toutes celles que j’ai trouvé à ma disposition pour retarder, sinon pour empêcher que le mal n’arrive à son comble.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 20 Juillet 1849
2 heures

J'arrive. Point de lettre de Richmond. Ce n’est pas encore une inquiétude ; mais c’est un mécompte. Je suis sûr que le retard n’est pas de votre fait. Quelque curieux probablement. On me dit qu’il faut prendre garde au nouveau directeur de la poste de Lisieux. Je n'y prendrai point garde. On lira mes lettres si on veut. On y trouvera peut-être quelque amusement, peut-être même quelque profit. On n’y trouvera rien que je sois bien fâché qu’on ait lu. Si j’avais quelque chose à vous dire que je tinsse vraiment à cacher, je saurais bien vous le faire arriver autrement que par la poste. Faites comme moi. Ne nous gênons pas en nous écrivant. Nous n'avons aucune raison pour nous gêner, et nous avons assez d’esprit pour nous ingénier, si nous en avions besoin. Les gens d’esprit sont toujours infiniment plus francs et plus cachés que ne croient les sots.
J’ai passé ce matin du Havre à Honfleur, par une mer encore grosse. J’ai trouvé à Honfleur la calèche qui m’attendait, et je suis venu ici en quatre heures à travers la pluie sans cesse traversée par le soleil.
Ma maison et mon jardin sont en bon état, comme si j’en étais sorti hier. Des fleurs dans le salon, et dans la bibliothèque ; mes journaux sur mon bureau, les allées nettoyées les parquets frottés. Cela m’a plu et déplu. Tant de choses m'ont rempli l'âme depuis que je ne suis venu ici ; je ne puis me figurer qu’elles n'aient laissé ici aucune trace. Et puis cette tranquillité tout autour de moi, cette non interruption du passé et de ses habitudes, cela me plaît, et même me touche, car je le dois aux soins affectueux de deux ou trois personnes, amis ou serviteurs, qui ont pris plaisir à tout conserver ou remettre en ordre, et qui m’attendaient à la porte. J’ai rencontré beaucoup d'affection en ma vie ; je voudrais en être assez reconnaissant.
Je me suis vanté trop tôt hier en vous disant que je n’avais rencontré dans l’accueil du Havre rien d’agréable, ni de désagréable, de la déférence dans l’indifférence. Cela a un peu changé deux heures aprés. Cinquante ou soixante gamins se sont réunis sous les fenêtres de l’auberge où je dînais, et se sont mis à crier : « à bas Guizot ! » et à siffler. Cinquante à soixante curieux ou plutôt. curieuses se sont attroupés autour d’eux. Pas l’ombre de colère ni de menace ; une curiosité mécontente de ce que je ne paraissais pas entendre les cris, et une petite démonstration malveillante organisée par le journal rouge de la ville qui l’avait annoncée le matin en annonçant mon arrivée. J'ai dîné tranquillement au bruit de ce concert, et je suis descendu dans la rue pour monter dans la voiture qui devait me reconduire à l’auberge où je couchais. J’ai trouvé autour de la voiture une douzaine de gentlemen qui en écartant les gamins, l’un m’a dit d’un très bon air : " M. Guizot, nous serions désolés que vous prissiez ce tapage pour le sentiment de la population de notre ville ; ce sont des polissons ameutés par quelques coquins. Non seulement nous vous respectons tous ; mais nous sommes charmés de vous voir de retour et nous espérons bien vous revoir bientôt où vous devez être. " Et ses compagnons m’ont tous serré la main. Les gamins étaient là, et se taisaient. Je suis rentré chez moi, et une demi-heure après, j’y ai vu arriver ce Monsieur qui parlait bien avec cinq autres, qui venaient me renouveler leur excuses pour la rue et leurs déclarations pour eux-mêmes. L’un était le colonel de la garde nationale du Havre, l'autre le capitaine des sapeurs pompiers, deux commissaires de police de la ville et deux négociants. C'était une petite représentation de l'état du pays, les polissons aux prises avec les honnêtes gens, les vestes avec les habits. Et moi entr’eux. Cela n’avait pas la moindre gravité en soi, beaucoup comme symptôme. Rien n’est changé et je ne suis point oublié. Ce matin, sur le bateau du Havre à Honfleur, les gentlemen étaient en grande majorité et m'ont fait fête. On parlait du tapage d’hier soir. J’ai dit que j’avais trouvé au Havre des gamins et des amis. Quelqu’un m’a dit : " C'est comme partout, Monsieur ; mais soyez sûr que les amis dominaient. " A Honfleur, première ville du Calvados, plus de partage ; on est venu me voir dans le salon de l’auberge où je me suis arrêté un quart d’heure, et on a crié : " Vive Guizot ! " dans la rue quand je suis monté en voiture. Ce pays-ci est bien animé, et bien prompt à saisir les occasions de le montrer. Je n’en suis que plus décidé à rester bien tranquille chez moi. Il n’y a absolument rien de bon à faire, et ma position est bonne pour attendre.
J’ai eu au Havre d’autres visites encore Poggenpoll et Tolstoy. Poggenpol est la première personne qui soit entrée chez moi et avec un empressement, un air de plaisir à me revoir que je n'avais pas droit d'attendre. Tolstoy est venu le soir ; il était là pendant la visite des gentlemen amis. Il se trouve très bien à Ingouville, et compte y rester jusqu'à la fin de novembre. Très affectueux et vraiment très bon. Ses enfants sont à merveille. Je lui ai donné vos nouvelles de Pétersbourg et de Hongrie. A demain quelque chose de mes conversations avec les visiteurs de Paris.

Samedi 21, 9 heures
J’ai très bien dormi. J'en avais besoin. Mes bois et mes près sont vraiment bien jolis. Que n'êtes-vous là ? Je viens de relire encore votre lettre de mercredi, si tendre. Je compte bien en avoir une ce matin qui vaudra peut-être celle de Mercredi, mais pas mieux.
Je reviens aux visiteurs de Paris. Les deux principaux décidément très favorables au Président. On ne dit rien de l'avenir. Personne n'en peut rien prévoir, et n'y peut rien faire aujourd'hui. Pour le présent, et pour un présent indéfini, le président est à la fois unique et bon, seul possible pour l’ordre et vraiment dévoué à l’ordre. Point faiseur, point vain, silencieux, autant par bon sens que par peu d’invention et d'abondance d’esprit, entêté, fidèle, très courageux, ayant foi en sa cause et en son droit étranger en France, un vrai Prince Allemand. Partout les honnêtes gens se rallient à lui, et prennent confiance en lui. Mais ils n'en ont pas plus de confiance dans l'ensemble des choses et dans le régime actuel. Régime impossible et qui empêche qu'aucune prospérité, aucune sécurité, aucun crédit, aucun avenir ne recommence. Rien ne recommence en effet. En toutes choses chaque jour, on fait tout juste le nécessaire. Une société ne vit pas de cela. Il faut sortir de cet état. Quand ? Comment ? Le probable aux yeux de la raison, c'est qu’on ira comme on est jusqu'aux approches, des deux élections de l'Assemblée et du Président, et qu'alors on prendra son parti, un parti inconnu, plutôt que de subir une nouvelle épreuve du suffrage universel. Mais ce n'est pas là le probable en fait. Les choses vont plus vite dans le pays-ci. La souffrance, l’impatience et la défiance sont trop grandes. Il arrivera quelque incident qui déterminera quelque acte décisif. Peut-être une prolongation pour dix ans de la présidence, et une refonte de la constitution. Deux choses seulement peuvent être à peu près affirmées ; que la phase actuelle, la phase présidentielle n’est pas près de finir, et qu’elle ne restera pas comme elle est aujourd’hui. Ceci vous conviendra assez ; ce n'est pas bien loin de votre prévoyance, en voyant de loin.
L'impression générale de mes visiteurs surtout du Duc de Broglie toujours très sombre. Moins sombre pourtant au fond de son âme que dans ses paroles. Je reviendrai sur les détails, et sur les autres dires. J’ai trois ou quatre lettres d'affaires à écrire et le facteur qui va arriver ne m'attendra pas tout le jour, si je veux, comme jadis. Cependant il est convenu qu'il attendra une heure chez moi. Cela me suffit. Adieu. Adieu.
Je vous dirai encore un mot, quand j'aurai votre lettre.

Dix heures et demie Voilà votre lettre de jeudi bien bonne, bien douce. Mais, pour Dieu, ne soyez pas malade. C’est à quoi je pense sans cesse. A vous toujours, à vous souffrante, beaucoup trop souvent. Adieu. Adieu. A demain, hélas, seulement pour vous écrire. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 29 juillet 1849, 8 heures

Je ne m'accoutumerai certainement pas à ce mauvais mardi qui sera mon dimanche ; mais il faudra bien s’y résigner. Je ferai comme vous ; je vous écrirai le vendredi et le samedi, sous une seule enveloppe, une lettre que vous aurez le lundi. 732 morts du Choléra en une semaine, c’est beaucoup. Pensez tous les jours à votre promesse. Du reste il me revient de toutes parts qu’à Paris même au milieu du choléra le plus intense, le bon régime, et les précautions soutenues, étaient très efficaces. Vous ne manquerez pas à cela. vous êtes prudente.

L’idée d'un événement, ou avènement nécessaire, prochain, l’Empire ou l’équivalent se répand dans les campagnes comme s'y était répandue, l'idée de la Présidence de Louis Bonaparte. Je ne sais pas qui, ni à quel moment le branle sera donné, mais il deviendra sur le champ général. On se trouve mal sous ce qui est, et on n’y croit pas. Ni foi, ni santé. On essaiera de tous les remèdes seulement, il y aura, quant au plus prochain remède, sinon lutte au moins dissidence, entre l’Assemblée et la population. Evidemment l’Assemblée ne croit pas à l'empire comme remède, ni à Louis Napoléon connue dynastie. Elle est bien pour lui, et lui donnera volontiers et du pouvoir, et de la durée, mais sans grandes idées ni longues espérances. La population n'en est pas encore là. Et si la population se met en mouvement l'assemblée suivra. J'ai lu le discours de Thiers. Sensé, spirituel et à propos. Petit. Et puis se donnant comme le représentant de tout le Gouvernement passé contre toutes les oppositions. Il a raison, puisque personne ne le contredit et ne lui rappelle ce qu’il a fait. Mais c’est drôle à lire. Toujours grande affluence de visites. Et je n'ai jamais été plus seul. Je ne dis pas deux paroles qui me plaisent à dire. Adieu, adieu jusqu'à la poste.

Onze heures
Voilà votre lettre d'avant hier vendredi. L'affranchissement ne l'a pas retardée. Je voudrais bien que votre grand orage eût tué le choléra à Londres, avez-vous eu peur pendant l'orage ? Que je voudrais avoir été là ! J’espère qu’on a raccommodé le plafond de votre chambre de manière à ce qu’il n’y pleuve plus. Rien d'important de Paris. Un ancien conservateur, membre de l'Assemblée, M. Moulin m'écrit : " Nous allons discuter la prorogation. Je la voterai ; non pour mes affaires et mes plaisirs personnels mais par ce motif, tout puissant à mes yeux qu’au milieu de nos impuissances constitutionnelles et financières, en présence d'un avenir qui n’est plus de trois ans il devient nécessaire que nous puissions porter dans nos départements nos impressions de Paris et rapporter à Paris les impressions des départements. " Adieu. Adieu. La seconde cloche du déjeuner sonne. Adieu, dearest beloved. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche, 5 août 1849
7 heures

J'allume mon feu, en me levant. André le prépare la veille ; un bon petit fagot ; je n'ai qu’une allumette à y mettre. J’ai toujours avec plaisir du feu pendant deux heures le matin pour ma toilette. Il fait très beau, mais point chaud. Décidément du moins jusqu’à ce que l’automne se fasse sentir, je garde l’appartement que j’avais ; je le préfère beaucoup ; il m'est plus commode mes deux cabinets de toilette sont beaucoup plus grands ; j'ai beaucoup plus de place pour mes papiers. Il est plus loin du service de la maison ; c'est de l'autre côté que se font les affaires de ménage, qu'on va et vient. D'ailleurs pas la moindre trace d’humidité pas plus de mon côté que de l'autre. Enfin j'aime mieux, pour moi, rester où je suis si je m’aperçois plus tard que l'exposition à quelque inconvénient ; je changerai. Jusqu'à présent, à mon goûts je perdrais au change.
Vous voyez que les bruits de 18 Brumaire et d'Empire s'en vont en fumée. Je vous l'ai dit ; personne ne croit que la durée du régime actuel sait possible ; mais personne n'a et n'aura le courage de prendre l'initiative d’un changement. La République et la Constitution seront, non pas respectées, mais pas touchées, parce qu'elles sont ce qu'on appelle le fait établi et l’ordre légal et parce que personne n'a bien envie de ni bien confiance sans ce qui viendront après. On attendra la nécessité de changer, la nécessité évidente, urgente, absolue. Et cette nécessité ne viendra si elle vient que lorsqu'on approchera d’une nouvelle élection du président et de l'Assemblée ; jamais une société n'a été plus résignée à l'état horrible et précaire, au pain et à l'eau, ce qu’il faut strictement pour vous aujourd’hui, sans certitude de l'avoir demain. Cela même ne peut pas durer j’en suis bien sûr. Mais combien de jours, de mois, d'années Pour la vie des grands états, nous m'avons pas la mesure du temps. La honte est immense ; le danger matériel et personnel peu de chose. A la condition d'abaisser à ce point leurs prétentions, les honnêtes gens sont les maîtres du terrain. Restent les évènements imprévus, les nécessités inattendues les coups du sort, qui sont les décrets de Dieu. Pour ceci, la France actuelle, n'est pas en état d’y pourvoir, et si elle y est forcée, il faudra bien quelle change. Je n’entrevois, pour le moment, rien de semblable à l'horizon. Il n’y a plus en Italie que des embarras. Le Pape bataillera plus ou moins longtemps pour avoir dans son gouvernement plus ou moins de laïques ; le Roi de Sardaigne luttera comme il pourra contre sa nouvelle chambre quasi-belliqueuse et républicaine mais l’un et l'autre vivront sous la tutelle du trio Français, Autrichien et Anglais qui sera plus ou moins d'accord, mais qui le sera assez pour maintenir ce qui vient de se rétablir. La Hongrie traine, malgré les prédictions de Lord Ponsonby. Les élections Prussiennes, à ce qu’il paraît modérées. L'Allemagne, qui a un avenir bien plus gros que l'Italie, semble faire une halte après une orgie. Les deux états sont Londres et Pétersbourg, ne demandent qu'à se tenir tranquilles en veillant auprès des Etats malades. Mes pronostics sont donc à l'immobilité pour demain, après-demain. Nous verrons plus tard. Je ne vois personne qui ait la moindre inquiétude pour la tranquillité de Paris.

Onze heures
Je suis bien aise que vous ayez revu M. Guéneau de Mussy. Je désire que même bien portante, il vous voie de temps en temps. Adieu. Adieu. J’ai reçu je ne sais combien de lettres insignifiantes deux ou trois exigent une réponse sur le champ. Adieu, dearest. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Dimanche 5 août 1849

Mauvais dimanche, qui ne m’apporte rien, c’est si triste. Les Duchâtel sont encore venus me dire Adieu hier. Je me suis presque attendrie en leur disant Adieu. C'est mon dernier lien avec la France dans ce pays-ci et c'est de vos amis. Si nous nous retrouvons à Paris, je me propose bien de continuer cette connaissance. Ils partent ce soir. Samedi 11 ils seront à Paris. Les Paul de Ségur étaient encore venues les voir de Dieppe. Duchâtel avait été à Claremont avant hier. Grande préoccupation là du séjour de la duchesse de Bordeaux à Ems. Evidemment préparatifs de lignée. Cela les trouble beaucoup. La Duchesse d'Orléans veut toujours partir le 15. M. Fould est revenu me voir aussi et m’a gâté ma dernière demi-heure avec Duchâtel. Je ne le trouve pas plus beau à la seconde visite qu'à la première, mais dans ces temps de révolution j'essaie d’être polie. Le soir Beauvale & les Delmas, habitude qui durera tout le mois d'août encore. Après quoi tout le monde part. Je dîne aujourd’hui chez Beauvale avec les Palmerston.

4 heures
J'ai été faire mon luncheon chez La Duchese de Glocester. Bonne. vieille princesse, bien contente de me voir. De là j’ai été faire visite à lady John Russell. Je les trouve toujours seuls, et ayant l’air content de me voir. Nous n’avons guère parlé que de la France. Il désire l’Empire. Il désire quelque chose qui ait l’air de durer. Il dit que Changarmier n’attend qu'un signe & l’armée proclame l’Empereur. Mais ce signe, on ne le donne pas. Il me dit aussi que Molé rêve à la présidence pour lui-même. Cela, je ne l’avais pas encore entendu dire ! Lundi 6 août, onze heures Le dîner chez Beauvale était fort agréable. Lord Palmerston très naturel & amical. Sa femme ni l’un ni l’autre tout-à-fait, quoique elle est l'intention de le paraitre. J’ai fait quelques questions. La paix avec le Piémont n’est pas douteuse quoique pas faite encore. En Hongrie Paskévith a essuyé quelques revers. Georges est meilleur tacticien que lui. En le nommant L. Palmerston disait Gorgy au lieu de Georgy, ce qui m'a fait lui demander qui lui avait enseigné cette prononciation, il m’a répondu. Les Hongrois qui sont ici. Sur la France vif désir d'y voir une forme de gouvernement plus solide. " La constitution est tout ce qu'il y a de plus absurde, c’est comme fait exprès pour rendre tout impossible. On ne peut pas aller comme cela. Il ne dépend que de la volonté de Louis Bonaparte de changer cette situation. Qu'il dise un mot, Changarnier se charge de reste. Cela pouvait se faire le lendemain de la visite à Amiens. Cela peut se faire tous les jours. Une fois fait, la France sera trop contente. "
Enfin, cela est fort désiré ici et moi j'en suis. Avant de venir chez Beauvale les Palmerston avaient passé à Richmond Green. Ils se sont montrés chez Metternich avec Disraeli. Sans doute mutuelle surprise. A propos, Lord Palmerston m’a dit que Disraeli s’est vanté à elle d’avoir été très heureux & glorieux du succès de son mari, parce qu'il avait prédit à ses amis que des attaques sur lui ne pouvaient aboutir qu'à un triomphe. 100 membres de la Chambre des communes ont souscrit pour un portrait de Lord Palmerston qui sera offert à sa femme ! Et voilà ! J'attends la poste avec impatience. A propos serait-il question de vous nommer pour le Conseil général ? Qu'est-ce que cela voudrait dire ? J’ai bien envie que vous n'en soyez pas. Je n’aime pas vous savoir au milieu de ces mauvaises populations. Adieu. Adieu. Dearest Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 22 août 1849
Sept heures

Je n’ai aucune nouvelle à vous envoyer. Vitet, de retour à Paris, m’écrit : " Paris est plus mort que jamais. Il n'y reste absolument personne. La politique est partie pour les Conseils généraux ; je ne crois pas qu’elle y fasse grand bruit. C’est un temps de sommeil. On essaiera quelques petites parodies d’Etats provinciaux ; mais ce seront des bluettes. Il n'y a pour le quart d'heure, de sérieux nulle part. " Il en sera ainsi jusqu'au retour de l’assemblée, c’est-à-dire jusqu'aux premiers jours d'octobre. Alors commencera une crise ministérielle. L’assemblée voudra faire, un ministère plus à son image. Elle y réussira probablement. Mais l'image sera pâle, et aura peur d'elle-même en se regardant. En sorte que l'opposition y gagnera plus que la réaction ; et on entrera, dans une série d’oscillations, et de combinaisons batardes où la République modérée et la Monarchie honteuse s’useront, l’une contre l'autre, sans que ni l’une ni l’autre fasse rien de sérieux. Mon instinct est de plus en plus qu’on se traînera, tout le monde jusqu’au bord du fossé. Sautera- t-on alors, ou tombera-t-on au fond ? Je ne sais vraiment pas. Je regrette que vous ne connaissiez pas M. Vitet. C’est un des esprits les plus justes, les plus fins, les plus agréables et aussi les plus fermés, que nous ayons aujourd'hui. Et tout-à-fait de bonne compagnie, malgré un peu trop d’insouciance et de laisser aller. Voici une nouvelle. J’ai fait vendre à Paris ma voiture, mon coupé bleu. On l’a revu dans les rues. Cela a fait un petit bruit.
Je trouve dans l'Opinion publique, journal légitimiste : " Ce matin à midi et demi, un élégant et massif coupé de ville, bleu de roi, cheminait à petits pas sur la chaussée du boulevard des Capucines. La curiosité nous ayant poussé vers cet équipage que nous avions cru reconnaître, nous nous sommes en effet assurés que c'était bien comme nous l'avions jugé à distance, la voiture de M. Guizot, son écusson y est intact, avec sa devise : Recta omnium brevissima, et le cordon rouge en sautoir autour de l’écu. Pourquoi cette voiture errait-elle autour de l’hôtel qu’elle a hanté si longtemps ? Nous ne savons." Si j’avais été à Paris, j'aurais fait dire dans quelque journal, le lendemain, que ma voiture roulait parce que je l’avais vendue. Vous avez bien raison, l'immobilité et le silence me servent parfaitement.

En fait de folie, je n'en connais point de supérieure à celle de la Chambre des représentants de Turin. Elle ne peut pas faire la guerre ; elle le dit elle-même, et elle ne veut pas faire la paix. Point de dévouement à la lutte et point de résignation à la défaite ; je ne me souviens pas que le monde ait jamais vu cela. Il est probable que la nécessité finira par triompher, même de la folie. Mais il y a là un symptôme bien inquiétant pour l’Autriche, l'impuissance ne guérira point l'Italie de la rage. Le monde est plein aujourd’hui de problèmes insolubles. Insolubles pour nous, qui sommes si impatients dans une vie si courte. Le bon Dieu en trouvera bien la solution.
Vous ne me manquez pas plus que je ne croyais, mais bien, bien autant. Je parle, j'écoute, je cause sans rien dire et sans rien entendre qui mérite que j'ouvre la bouche ou les oreilles. La surface de la vie assez pleine, le fond, tout-à-fait vide. Je suis entouré d'affection, de dévouement, de soins, de respect. Il me manque l’égalité et l’intimité. Et combien il manque encore à notre intimité même quand elle est là ! La vie reste toujours bien imparfaite, quoi qu’elle aie de quoi ne pas l’être. Je m’y soumets mais je ne m'en console pas.

Onze heures
Pas de lettre. Pourquoi ? Et je l’attends plus impatiemment le mercredi que tout autre jour. Il a fait beau. Ce n’est pas la mer. Je suis très contrarié. Je me sers d’un pauvre mot. Adieu. Adieu. Adieu. Ce sera bien long d’ici à demain. Adieu. Guizot.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Vendredi 14 Sept 1849 4 heures

Nous revenons d’une longue promenade, tous ensemble sauf Melle Chabaud qui ne peut marcher ni vite, ni longtemps. Nous causons beaucoup. Je crois que ma visite leur est très agréable. C’est du mouvement porté chez les gens qui l’aiment et qui ne savent pas s’en donner. Nous connaissons, vous et moi, ce genre de succès.

Samedi 15, 7 heures
J’ai été interrompu hier par des visites qui m'ont retenu jusqu'à l’heure du dîner. Je m’aperçois ce matin que c’est samedi et que j'ai mis hier ma lettre à la poste comme si vous pouviez l'avoir demain. Peu importe du reste. Le Duc de Broglie ne désespère pas au fond, autant qu’il le dit et qu’il le croit. Une idée le préoccupe constamment, et c’est une idée d'avenir. Comment faudrait-il reconstituer le Gouvernement si on avait à le reconstituer, mettant de côté la question du nom propre de ce gouvernement. Faire un bon lit, n'importe qui doive y coucher. Son avis est qu'on obtiendra beaucoup plus avant qu’on ne ferait après, en fait de garanties d’ordre, et de pouvoir. Parce que tant qu’il ne sera pas question de nom propre, tout le parti conservateur sera uni. Parce que, sous le manteau de la République on ira plus loin que sous aucun autre en fait de conservation. Parce qu'il faut que le gouvernement qui devra durer, trouve, quand il viendra, ses affaires essentielles toutes faites, faites par la France elle-même, sous sa responsabilité nationale, et ne soit pas obligé de les faire lui-même, et de répondre de la solution des questions. Le Duc de Broglie cherche donc la solution de toutes les questions constitutionnelles, la meilleure solution possible. Il ne croit pas qu'on révise la Constitution bientôt, ni par des coups d'Etat ; mais il ne croit pas non plus qu’on s’expose à une nouvelle épreuve de la constitution actuelle à la réélection d’une assemblée et d'un président par le suffrage universel, tel qu’il est établi aujourd’hui. Aux approches de cette épreuve-là, on prendra son parti de sauter le fossé plutôt que d’y tomber. 10 heures Je ne m'étonne pas que la malle ne soit pas arrivée en Angleterre. Nous avons vécu quatre jours au milieu des orages. Cela se calme.
Si les Holland sont en Angleterre, pourriez vous éclairer ceci ? Le Duc de Broglie était très lié avec eux et allait sans cesse à Holland House pendant son dernier séjour à Londres. Dés qu’il les a sus à Paris, il est allé les chercher et ne les a pas trouvés. Ils ont mis simplement une carte chez lui et il n’en a plus entendu parler du tout. Il ne comprend pas. Ils ne vivent, dit-il, que sur la frontière la plus rapprochée des rouges, et avec Jérôme Bonaparte. Il suppose que la froideur vient de là. La rigueur envers Gilberti est en effet un peu drôle. Pendant qu’Albert de Broglie, était encore à Rome, Gilberti y est venu. Le Pape l’a reçu, complimenté, embrassé, comblé. Et son livre avait paru. Les gouvernements oublient trop qu'aujourd’hui on n'oublie rien sur leur compte du moins. Ils sont condamnés à plus de prévoyance, et de conséquence que n’en comporte peut-être la faiblesse humaine.
A cela près du contraste trop choquant, je trouve fort simple que le Pape mette à l’Index, les livres, qu’il trouve mauvais et dangereux. C’est de sa part une simple déclaration de son jugement qui ne coûte pas un cheveu aux auteurs, et un avertisse ment à la conscience des Catholiques qu'il a charge de diriger. Quand on interdit au Pape l'index, et qu'on lui commande un gouvernement libéral, on lui interdit tout simplement d'être le Pape. Adieu. Adieu. Je suis préoccupé du Choléra de Londres. Celui de Paris est stationnaire. Adieu. G. Je n’ai pas su lire le nom de Lord .... avec qui vous avez dîné chez Lady Alice. Je trouve pourtant votre écriture meilleure que vos yeux ne se comportent.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 5 Novembre 1849

L’Empire était moins florissant hier que la veille. On a l’air de le croire trop difficile pour qu'il arrive. Cependant comment rester stationnaire après le message. Il faudrait donc reculer ? Mon salon hier était comme il y a deux ans, excepté vous de moins, et M. Molé & Berryer de plus, & quelques légitimistes. La diplomatie au complet moins l'Angleterre. Molé le [?]. Voici le vrai de la situation. Les ministres changent, mais deux hommes restent immuables, importants, sont Molé et Thiers. La diplomatie se tient à eux. On leur parle comme à des Ministres & on leur montre souvent plus qu'aux ministres. C’est naturel, c'est bien jugé, et cela profite. A nous, beaucoup, tous les deux sont bienveillants pour la Russie, et fort impatientés du joug de l'Angleterre. Hier Kisselef a eu sa première entrevue avec Hautpoul, avant d'entamer, celui-ci lui a annoncé que l’ordre pour le retour de la flotte venait de partir. à la bonne heure. Je ne sais pas encore si cela s'est fait d’accord, ou non avec l'Angleterre. Hautpoul très Russe. Je vous dis que tout le monde est russe. Tout le monde entrait chez moi hier en riant, une sorte de plaisir de retrouver du vieux. Cela m’a plu, le commencement m’a plu ; à la fin de la soirée, j’ai dit à Montebello, avec amertume " personne n’a prononcé le nom de M. Guizot. " Cela m’a choquée. Voilà les hommes. Voilà le temps. Montebello m’a cité une exception, la Prince Wittgenstein. Je lui en saurai gré. J'ai eu des lettres d'Aberdeen de Beauvale de Clauricarde. Tout le monde me demande d'écrire, d'expliquer, d'inexplicable message. Montebello est prié à dîner aujourd’hui à l’Elysée. Votre ami B.[roglie] lui a dit de refuser. Moi je lui ai dit d’aller, et il ira. Quelle idée a votre ami. En pratique quel pauvre esprit ! Comme il doit avoir fait des fautes de convenances et de tact dans sa vie. En y pensent bien je crois que le tact est un ingrédient bien nécessaire aux choses de toute taille. 1 heure. Point de lettres ce matin. Qu’est-ce que cela veut dire ? Je ne suis pas bien depuis quelques jours. Du rhumatisme, pas d’appétit et peu de sommeil. cela reviendra peut-être. Adieu. Adieu. Adieu. Que vous écrit-on sur vous ? Adieu. deux choses à relever. Molé ne croit pas à l’Empire. Et en fait d'avenir, il ne croit plus qu'une Monarchie constitutionnelle soit possible autre part qu’en Angleterre.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 7 Novembre 1849

C’est cela. Attendre un peu. Si cela ne se fait pas tout de suite ; vous venez. Sainte-Aulaire & le duc de Noailles ont dîné chez moi hier . Tous d'eux d’avis que vous veniez. Etonnés, que vos amis vous donnent un avis contraire ; cependant je dis ainsi attendez un peu. L’empire stationne. Il n’avance que lentement. Il faut s’assurer de bien des choses avant de le tenter. A la salle des conférences on ne s’entretient que de cela les rouges disent qu’ils reste ront armés de la Constitution et monteront sur les barricades pour la défendre. Les légitimistes préfèrent l'Em pire à la présidence décénale. Ils croient que l'Empire n'aura aucune durée. Ce que vous me dites aujourd’hui sur la situation et la conduite quoique sans conclusion est plein de raison et d'esprit. J’ai passé hier soir un moment chez Mad. de Rothschild qui part ce matin pour la Silèsie. J'y ai rencontré le gouvernement Changarnier. J'ai demandé à faire la connaissance. Je puis bien faire des avances à l'homme qui me fait dormir tranquille. Son extérieur est doux et peut être fin. Tout le monde. l'adore & l’accuse. Longue entrevue hier matin avec Kisselef 1 heure 1/2 entière confiance. Nous faisons une distinction marquée entre Paris & Londres, en pleine défiance de Londres. Très bienveillant pour ici. Content de Thiers, & le lui laissant savoir. Nous remarquons que la France s’est laissé un moment dupé par l'Angleterre, qui voyant poindre de l’intimité entre Pétersbourg & Paris a voulu la détruire en mettant en avant la flotte française. Je vous ai dit qu’elle est rappelée, mais ni Kisselef ni moi ne savons encore si c’est d'avoir avec l'Angleterre. J’espère que non. Il est très possible encore que Stratford Canning empêche à Constantinople ce que nous avons réglé à Pétersbourg nous avons explicitement dit à l'Angleterre comme ici que nous ne permettons à personne de se mêler de cette affaire. Je suis fort contente de tout ce que j’ai vu. L’Empereur est exaspéré des exécution en Hongrie. Ceci me revient par Londres. Aberdeen m'écrit que la presse anglaise revient à Palmerston, Morning Chronicle, même le Times. C'est bien dommage. Sainte-Aulaire m’a dit hier que les nouvelles d'Espagne étaient mauvaises. Narvaez succombera La petite reine joue son jeu, contre son mari, contre sa mère, contre son Ministre. Une perfidie sans exemple. Il me semble que je vous ai tout dit, les Normanby en grandes recherches pour moi. Mon quotidien est toujours Montebello. Excellent honneur et fort intelligent. J’ai vu Jaubert, qui est plein de dévouement, de respect pour vous. Et ce bon Thom à Paris pour quelques jours, qui veut que je vous dise son profond souvenir de vos bontés. Mad. de la Redorte me demande ainsi de vos nouvelles & Flavigny beau coup que j’ai rencontré chez Mad. Rothschild hier. Adieu. Adieu. Adieu.
Le duc de Noailles est pressé, pressant pour la fusion. sans elle on périt ; avec elle on est sauvé. Je vous redis. Il est fort éloquent sur ce point. M. de Saint Aignan est revenu de Clarmont porteur d'un blâme sévère du Roi de l’abstention. Il fallait voter pour la proposition. Le chagrin là est extrême. Ils voulaient tous revenir.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris jeudi le 8 novembre 1849

Beaucoup de monde hier matin comme de coutume, et la diplomatie hier soir comme jadis ; en fait de français. Le duc de Noailles, Berryer et Dalmatie. Rien de nouveau. On commence à croire que cela peut trainer cependant on veut se tenir préparé, et c'est là où me semble régner une grande confusion. C’est naturel, il n'y a aucune union. C'est ce qui fait la force du Prince. Il est plus puissant que l'assemblée. Hubuer s’accoutume à venir. Il a beaucoup d'esprit. Je trouve la situation de Kisselef très grandie ici. Cela provient ainsi de la que toutes les petites gens sont devenus quelque chose. La Sardaigne nous envoie une ambassade spéciale pour demander la reprise des relations. Elle chasse de son service tous les Polonais qui s’y trouvaient. C'est notre condition sine qua non. Quel dommage que Léopold ne puisse pas en faire autant. Nous sommes pour lui très bien, moins cela. Je vous envoie un petit Appendix à une lettre de Beauvale. Clever comme tout ce qui vient de lui. Je suis bien de son avis aussi. Je copie au lieu de l'original que je veux garder. Je vous ai dit de Richmond N'est-ce pas ce que me disait John Russell ? " il ne peut ressortir de ce bouleversement si profond que deux choses. Ou l'anarchie ou l'absolutisme, partout, hors l'Angleterre." Pardon de l'horreur de copie. On dit aujourd’hui que le président veut attendre l’année 52 et qu'il a des moyens d’attendre. C'est des mauvaises langues qui disent cela. Flahaut doit être parti. Il a aidé dans l’affaire du rappel de la flotte. J’ignore toujours si l'Angleterre en ait. Je n’ai pas vu Montebello depuis deux jours. Que pensez-vous de Germain ? Je lui aurai peut-être une bonne place. Mais je voudrais savoir ses mérites & ses inconvénients. Le gros de la lettre de Beauvale est toute à l’Empire." Donnez-moi de bonnes nouvelles de lui je vous en supplie. Régime militaire en Prusse, en Autriche, en France, en Piémont et le monde est sauvé. Mais qu’on fasse vite." Voilà textuel. Adieu. Adieu. Adieu.
Hier on parlait de la Grèce, d’Eyragues de la Rosière comme destinés au portefeuille si Rayneval n’accepte pas. Voici Flahaut qui est venu me voir tout botté pour le chemin de fer. Il emmène Morny qui a des affaires en Belgique. Lui va à Londres. Le coup d’état n’est pas encore probable au moins pour cette semaine.

extrait de la lettre d'un allemand constitutionnel " on assure que M. Guizot n’espère le salut de la France que de sa chère constitution à [?] gentiment l'Angleterre sans le vouloir a rendu un bien mauvais service au continent par l’exemple de sa constitution, admirable pour elle, mais qui copiée par des institutions forcément différentes menace de précipiter le centre du continent dans des bouleversements. sans fin. " We English nous avions à attribuer notre impopularité. La démocratie nous a toujours détestés comme trop aristocrates que, les rois & les royalistes n'ont pas trop de motifs pour nous aimer, & voilà maintenant les libéraux constitutionnels faisant la découverte que nous avons joué le tour d'un feu follet les engageant dans un chemin d'où il n'y a d’autre issue que dans l'anarchie ou le règne du sabre. Nous voilà bien. Mais a-t-on trop tort !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 5 juin 1850

La crise morale, au lieu de la crise matérielle. Voilà ce qui apparaît aux yeux de tous & surtout de celui qui désirait tant la lutte dans les rues. L'Assemblée avait fort mal accueilli les bruits qui circulaient sur une demande d’argent. Hier on a envoyé trois fois à l'Elysée pour conjurer de retirer le projet de loi. Edgard Ney y est allé encore à 5 1/2. Inutile Le Président a persisté. Achille Fould a lu le projet. La Montagne riant, huant. La majorité complet silence. Et contre le renvoi aux bureaux 10 ou 12 membres seulement ; Montebello, Thiers, Marny, je ne sais encore qui. Voilà où l'on en est. Les jeudis sont fermés. Il est impossible que la Chambre refuse. On ne peut pas laisser mettre le Président en prison. Tout calcul fait, la république coûtera à l’Etat 2 millions de plus que la Monarchie. Je vous écris en gros. Voici votre lettre. Ce qu’il y a de bon là dedans, et la chance de vous voir encore ici. Tout le monde parlait hier du mauvais état du Roi. Mais le frère de Duchâtel ne le représente pas du tout comme si mal, pas si près de sa fin. Beaucoup de monde est parti hier. Delessert est parti le soir, je lui ai donné une lettre pour Ab[erdeen]. On a lavé la tête à Marescalchi pour avoir été à la soirée de Lady Palmerston. Je laverais volontiers celle de B. pour le même fait. Manquer à la Reine et faire sa cour à Lady P[almerston] C’est trop fort. Thiers a dit hier soir à [?] " le Président doit faire son 18 Brumaire. Toute la France l’applaudirait." Que dites-vous de cela ? Pas la moindre question de fusion, de Monarchie, une ou deux.
2 heures La Redorte sort d'ici. Au désespoir, l'affaire de hier. Mauvaise pour le Président tout aussi mauvaise pour la majorité. Nous verrons. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, jeudi 6 juin 1850
7 heures

Deux choses me frappent dans les conversations et les journaux de province : le travail assez actif qui se poursuit pour rallier et échauffer le parti modéré au nom de sa récente victoire dans l'assemblée ; l'ardeur de la portion intrigante du parti légitimiste à accueillir et à propager les idées de la gazette de France et de M. de la Rochejacquelein. Le parti modéré a vraiment le sentiment de la victoire. La guerre légitimiste s'agite avec l’aveugle impatience d’enfants mal élevés qui se croient près de mettre la main sur l'objet de leurs désirs. Jamais peut-être le parti modéré n'a été plus disposé à s'organiser politiquement, et jamais le progrès qu’ont fait les théories et les habitudes anarchiques dans le parti légitimiste lui-même n’a été plus évident. Il faut absolument que cette queue là soit coupée et rejetée parmi ces débris de toutes nos révolutions qui feront longtemps encore une opposition absolue et absurde à tout gouvernement. Le vrai et complet parti modéré, ne s'organisera qu'à cette condition, et en luttant contre cette queue là comme contre toutes les autres.

9 heures
Voilà les journaux et votre lettre. Je comprends l'émotion ; mais convenez qu'elle est bien ridicule. Il faut choisir ; veut-on, avoir un président de la république comme on en a un aux Etats-Unis, ne voyant personne, ne donnant un verre d'eau à personne, faisant tout simplement les affaires du pays sans aucun lien ni rapport avec la société du pays ? Cela se peut ; cela ne va pas mal aux Etats- Unis. Mais si cela convient à la France et à l'Assemblée nationale, il faut le dire tout haut, et non seulement permettre, mais prescrire au Président cette façon de vivre. Je dis prescrire car il y a en France, sur ce point des habitudes, des traditions des siècles d’habitudes et de traditions à abolir. Ce n'est pas trop d’une loi formelle pour les abolir et introduire un régime nouveau. Si on ne veut pas de cette abolition, si on ne la croit pas possible, si le président. doit être un personnage non seulement politique, mais sociable, si la République française entend conserver un peu la physionomie de la France, France de l'ancien régime, France de l'Empire, France de la Restauration, France de la Monarchie de Juillet, il faut absolument donner au président ce qu’il lui faut absolument pour jouer ce rôle-là. Je ne connais rien de plus honteux et de plus odieux que cette double prétention d'avoir un Président qui dépense, et de ne pas payer ce qu’il dépense, ce double parti pris des fêtes, et de la banqueroute, des charités et de la banqueroute. Et quand cette situation éclate, on se récrie ou s'indigne : on dit : " Ne nous parlez pas de cela. ". Si j'étais le président, je n’en parlerais peut-être pas ; mais je publierais toutes les semaines, dans le Moniteur, les comptes de ma maison, de toutes les dépenses de ma maison, et je laisserais au public à juger, si c'est moi qui suis le banqueroutier. Sur cette misérable question domestique comme sur les grandes questions politiques le pays-ci ne sera pas gouvernable tant qu'on ne l'obligera pas à voir les choses comme elles sont, et à entendre toute la vérité.
Si l'affaire grecque n'est pas tout-à-fait arrangée et conclue, Normanby en familiarité publique avec le président est quelque chose de plus que du mauvais gout ; c'est de l’insolence. Adieu. Adieu.
Je suis bien impatient des réponses que j’attends sur le véritable état de St Léonard. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Dimanche 7 Juillet 1850
Six heures

Je me lève de bonne heure quoique je n'aie point à partir. Je me couche aussi de bonne heure, à 10 heures au plus tard. Je m’en trouve bien et comme santé et comme travail. J'écris et je fais mes affaires en me levant jusqu'à 11 heures. Dans le cours de la journée, je me promène beaucoup. Je vois peu de monde. Ce n'est pas, comme l'été dernier, un flux continu de visites de toutes parts, par amitié, par convenance, par curiosité. Il est impossible de mener une vie plus tranquille et plus régulière que la mienne. Mes enfants sont pleins d'affection et de soin. Je me passe très bien du mouvement extérieur qui me manque. Mais je ne me passe point de l’intimité intérieure. C'est là le vide.
Une chose me frappe dans les lettres de Paris dont je vous ai envoyé hier le résumé, et aussi dans les conversations que j'entends. Quoique personne ne devienne ni républicain, ni présidentiel, cependant la République et le président gagnent. Les légitimistes déplaisent de plus en plus. La monarchie sans les légitimistes paraît de plus en plus impossible. Point d'avenir donc hors de ce qui est; et qui n’a pas d'avenir non plus, mais qui est et que personne n'entreprend sérieusement de renverser n'étant pas sûr de le renverser à son profit. C’est un arbre qui ne grandit pas, qui ne s'enracine pas, qui ne pousse ni sur terre ni sous terre, mais qui reste debout. A quel point la nécessité, et l'habitude sont-elles suffisantes pour fonder un gouvernement ; voilà la question qui est en train de se résoudre. Je ne crois pas qu'elles soient suffisantes pour fonder, mais elles le sont, à coup sûr, pour faire durer longtemps. J’ai écrit cela hier à S Léonard avec détail, à la Reine. Mes nouvelles du Roi continuent d’être bonnes.

10 heures
Pas de lettre aujourd'hui. Cela ne m'étonne pas. Vous serez arrivée avant hier à Ems trop tard pour la poste. Je vois dans les journaux une crue subite du Rhin qui me déplaît. Vous avez dû aller de Cologne à Ems par le Rhin. J'espère que vous n'aurez eu ni sujet, ni seulement prétexte d'avoir peur. II ne me vient rien du tout de Paris ce matin. Je trouve que le ministère à l’air bien étourdi et bien impuissant. La loi sur la presse que tout le monde repousse, sa loi sur les maires qu’il voudrait et n'ose remettre à flot. Il semble que les esprits soient à bout comme les forces, et qu’on ne sache plus rien inventer qu'on puisse mener à bien. Adieu, Adieu. Vous me direz comment vous êtes établie à Ems. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 17 Juillet 1850

Ah me voilà contente puisque vous l’êtes. Hier enfin j’ai eu ce qu'on appelle une lettre, je la méritais. Cette Assemblée me faisait d'ici le même effet qu’à vous. Je ne suis pas fâché de voir les assemblées devenir ridicules. Vous ne pensez pas comme moi à cet égard, et cependant vous devriez être guéri de votre passion.
J'ai eu une longue lettre de Marion. L'Angleterre est encore toute abandonnée à ses regrets et à son admiration pour Peel, les quelques paroles de Dupin, ont flatté, touché, charmé. La petite malice n’a pas été perdue non plus. Sir Robert a laissé à son fils aîné 22 000 L. de rentes of entailed property. 70 000 £ à chacun de ses autres fils, & 25 000 à chacune de ses filles. J’ignore le douaire de sa femme. Sûrement considérable. Le fils aîné se conduit à merveille. Marion fait une foule de réflexions spirituelles & sensées sur cette mort, et elle finit en me disant, qu'on ne sait pas bien encore si elle est, ou n’est pas un grand malheur. pour le pays.
La princesse régnante vient me voir à peu près tous les jours. Elle est dans une véritable angoisse, elle a peur de s'ennuyer, elle a raison. Hier elle me parlait de votre beau discours à l'assemblée l’autre jour. La Princesse de Prusse quitte Coblence pour aller résider à Bade où son mari commande l’armée. Je ne verrai donc rien de tout cela. Je vous réponds que je vous reviendrai aussi peu instruite sur l’Allemagne que j’étais partie. La politique des petits princes ne s'éclairera pas.
Marion me demande si vous avez lu " Sophisms on free trade by a Barrister " (Serjeent Byles) et comment vous le trouvez. On en est à la 8ème édition. On espère toujours renverser le ministère. Bêtise. J’ai commencé Albert de Broglie sur M. de Châteaubriand. Excellents sentiments, beaucoup d’esprit, la manière un peu lourde & quelque fois confuse. Je crois qu'il écrira mieux. En attendant ceci m’intéresse beaucoup. 2 heures. Le duc de Saxe Meiningen qui avait toujours été interrompu quand il commencent à me parler intimement des affaires allemandes m’a enfin trouvée seule aujourd'hui. Il est Prussien, il est pour un parlement allemand. Il dit que si on veut revenir à l’ancienne confédération il y aura une explosion générale. Il désire que l’Autriche reconnaisse cette vérité, & la Russie aussi. La paix avec le Danemark amènera indubitablement & tout de suite la guerre entre le Danemark & les Duchés. C'est une inextricable difficulté. Je vous ai dit tout Saxe Meiningen. J'ajoute que c'est un homme très sensé & parfaitement gentleman surtout. Je continue à me baigner & à boire. Je n'ai rien à dire de l’effet, cela me fatigue, voilà tout. Je suis toujours dans mon lit à 9 heures ce soir, & debout à 61/2 du matin. Adieu, Adieu.

J’espère que tous mes adieux vous arrivent. Je reprends une petite critique sur Albert de Broglie. Je viens d'achever. C’est charmant. Cherchez la 109ème page, et dites-moi, qui est l'homme aux Mémoires du 17ème siècle. Ce ne peut être St Simon qui écrivait encore sur la régence. Qui est-ce ? Je suis bête sans doute, mais je ne trouve pas.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Jeudi 18 Juillet 1850

Hier une pluie battante, pas de promenade, misérable journée. Votre lettre est venue l’égayer, & deux autres de Montebello & Duchâtel. Ils me mandaient que tout tourne à l’Empire. Cela m’est égal, j’espère seulement que l'Empire me plaira autant que la République dont je m’accommode fort bien. Quel drôle de pays que le vôtre. On peut tout faire des Français. Ils sont charmants, ils ne sont pas grands. J’attends Constantin aujourd’hui. Il me dira quelques nouvelles. Je n’en sais pas une. 4 heures. Pas un mot à vous dire, point de lettre d'Angleterre. Des visites, pas de conversation. Le prince George de Prusse, neveu du roi est venu. Très timide jeune homme, mais quelque chose peut-être Adieu. Adieu. Vous trouvez qu’il ne vaut pas la peine de recevoir une si pauvre lettre. I cannot help it. La mésaventure de la reine d’Espagne n'aura pas déplu au Duc de Montpensier. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 20 Juillet 1850

Nous ménageons l'Angleterre parce que nous avons besoin d’elle dans l'affaire du Danemark qui nous tient fort au cœur, nous ne voulons en général pas aller jus qu’à nous brouiller avec elle. Nous détestons à mort Lord Palmerston, mais nous ne ferons pas plus que des notes quand l’occasion sera bonne pour cela. L’Empereur n’a pas goût au Prince Scharzemberg, mais il le respecte fort & approuve grandement ses principes, il n’y aura pas de Parlement général en Autriche. Chaque état de cet empire se gouvernera par des états locaux, et on leur dira un mot du budget. Voilà tout. Quant à la question allemande. Il faut que l’Autriche renonce à y entrer avec la Lombardie & & On est loin de s’arranger encore, mais la Prusse & l’Autriche savent que l'Empereur ne souffrira pas qu'on se batte et on ne se battra pas ! C'est Constantin qui parle.
En Allemagne la révolution est finie, battue, voilà l’opinion du Prince Emile, et s'il y avait un peu d’intelligence parmi les gouvernants ils seraient très bien remis à reprendre toute leur autorité. Le Roi de Prusse vaut mille fois mieux que son frère, le Roi est loyal, spirituel, on l’aime. Son frère est borné & entraîné aujourd’hui bien au delà de ce qu'a jamais été le libéralisme sur la [ ?] de son frère. Tout ceci sur la presse en est confirmé aussi par Constantin. Deux bonnes autorités, & je crois.
Le prince Emile est charmant. Mais hélas il est venu me voir une heure, et puis il est reparti grand, grand dommage. Ma nièce est mieux que je ne croyais. Elle est grande, belle taille, bon air, mais le visage est grand & la langue grande, je n’aime pas cela. Elle a tout a fait l'habitude du grand monde, elle parle français à merveille, elle a du tact. Voilà toutes mes remarques. Constantin est engraissé. Sa femme est un peu maigre. Hier j’ai été fatiguée de toutes les visites princières, ils tous venus venus les uns après les autres. Bonnes gens, mais si bornés ! Je trouve les 3 mois de prorogation de l'Assemblée bien longs. Paris sera ennuyeux. J’espère au moins que ses 25 seront bien choisis. Adieu. Adieu. Je suis mieux aujourd’hui que je n’étais hier. Mais je crois que ces bains sont un humbug. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer. Vendredi 26 Juillet 1850

J’aimerais mieux n'avoir pas pour mon voyage, les torrents de pluie qui nous inondaient hier. Une fois arrivé, j'oublierai la pluie ; mais je voudrais que tout eût l’air content et gai autour de moi. Je ne saurai que demain matin, si je suis partir de Paris dimanche soir pour être à Ems mardi avec la poste. En tous cas, je partirai d’ici demain soir. Je ne vous écrirai pas demain. Je vous écrirais dimanche de Paris si je ne pouvais en partir que lundi.
A en juger par les apparences, le Prince Emile a tout-à-fait raison sur l'Allemagne. La révolution est évidemment hors d'état de faire là ce qu’elle veut. Mais je doute que les vieux gouvernements en soient plus capables, eussent-ils de l’esprit de refaire ce qu'ils voudraient. De tels événements même quand ils avortent, ne laissent pas en vie ce qui était avant eux. Comme vous le disait votre Prince de Saxe-Meiningen, on ne ramènera pas purement et simplement l'Allemagne, à l'ancienne confédération. A la suite de tout ceci, il se fera, au-delà du Rhin, plus ou moins d'unité et de constitution, mais il s'en fera. Vous me dîtes que le Prince de Prusse est devenu plus libéral que son frère, qu’il n’y aura en Autriche que des États locaux à qui on dira un mot du budget. Des Etats locaux partout en Autriche, un mot du budget à tous ces états, et le Prince de Prusse libéral ; mais ce sont là des changements énormes. Et l’Empereur d’Autriche sur son trône et le Prince de Metternich dans sa retraite, et votre Empereur dans sa grandeur intacte et inaccessible, regarderont pourtant cela comme des victoires et ils auront raison. Le monde change ; il faut s'y résigner et changer soi-même autant qu'il le faut pour être en harmonie avec la grande métamorphose, au lieu d’y mourir.
On se sépare bien mal à Paris. Le Constitutionnel, le Pouvoir, tous les amis de l'Elysée prennent la nomination de la Commission permanente avec beaucoup d’amertume. Les Burgraves, si triomphants après le vote de la loi électorale n'ont pas que, ou n’ont pas voulu s'y faire nommer eux ou leurs amis déclarés. M. Molé figure là comme un portrait d'ancêtre. Piscatory s'est mis de côté soit pour échapper comme il me l'a dit, aux embarras de la situation dans l’intervalle, soit crainte de ne pas réussir. La majorité est en dissolution. L'Elysée ne peut rien. Je ne crois à aucun grand acte de personne. Mais il arrivera quelque évènement. Quand les hommes ne peuvent décidément plus rien, ni avancer, ni rester, Dieu s’en mêle.

9 heures
Voilà votre lettre. Je ne vous en dis pas d'avantage. La coalition n’a pas pu réussir à faire passer M. Grévy pour la Commission permanente. Adieu, adieu. Je suis charmé que vous partiez d’Ems le 8, puisque je n'y pourrais rester davantage. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville. Dimanche 18 août 1850

Vous avez dû bien rire, en effet, vous et le duc de Parme, au moment et après. Vous avez du bonheur, dans vos aventures. C'est juste.
Je dîne aujourd’hui chez Madame de Boigne. Je la divertirai, elle et le Chancelier de votre récit. Il ne se passe rien de si amusant à Trouville. J’ai été hier passer trois quarts d'heure au salon, pour un concert de charité. Un chanteur célèbre, dit-on, et dont je ne savais pas le nom a chanté, pour me faire plaisir le non pui andrai de Mozart, et quelques boléros espagnols. Il s’appelle M. Geraldy. Pas plus de personnes de connaissance qu’il y a huit jours. Beaucoup de gens évidemment riches et fort en train de vivre. Une société inconnue pullule autour de nous. Peu spirituelle, peu honnête, peu fière mais puissante par le nombre et le mouvement. Que d'efforts, et de mal et de temps il faudra pour la faire rentrer dans les bonnes règles, si elle y rentre ! Quelle produise du moins ses propres chefs, des hommes à elle, capables de la conduire. Jusqu'ici elle est aussi stérile que forte.
Le voyage du Président tourne à un assez grand effet. On m’a toujours dit que Lyon serait le lieu de son plus brillant triomphe, malgré les efforts contraires. Je ne vois encore de clair que ce résultat ci, un coup de fouet donné à tous les partis, un accès de fièvre au milieu de l’apathie générale. Les Conseils généraux, qui vont se réunir dans le feu de ce mouvement en seront peut-être un peu excités. Cependant ce qui me revient de ceux de la Normandie n’annonce pas grande ardeur. Ils se disposent à demander la révision de la constitution, sans s'expliquer sur la prolongation des pouvoirs du Président. Ce n’est pas la peine. Wiesbaden et Lyon en même temps. Si bizarre spectacle !
Une personne d’esprit m'écrit : " Rien n'empêchera que le public ne répète et ne croie que vous avez vu le comte de Chambord. Je sais des gens que cette idée console fort. " Ils sont bien bons. Peu m'importe du reste, J'ai besoin que dix ou douze personnes sachent positivement ce qui en est et elles le savent. Le surplus m'est, et est réellement indifférent.
Voici qui est bien loin de Wiesbaden. Notre consul en Californie homme intelligent, m’écrit de Panama, après avoir traversé les Etats-Unis : " M. Bulwer a gagné beaucoup de terrain à Washington. Avec son esprit et ses bons dîners, il mène le sénat. Il serait difficile de placer maintenant les relations entre la France et les Etats-Unis sur l'ancienne base d’une hostilité commune ou d'une méfiance commune à l'égard de l'Angleterre. Personne en Amérique ne croit à la république française. C'est, aux yeux des démocrates comme des Whigs, une expérience faite et manquée. Les Américains se sont sentis humiliés des hommes qu'on leur a envoyés. "

Midi.
Moi aussi, je suis bien contrarié de votre lit. C’est bien dommage que je ne sois pas là, nous nous soignerions mutuellement, car je ne suis pas non plus tout-à-fait en bon état. L'humidité paraît vouloir cesser ici. Adieu Adieu. Lisez dans la Revue des deux mondes (15 août) un article intéressant sur la première campagne du Maréchal Radetzki Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, Mardi 27 août 1850.

Est-ce que vous vous sentez plus fatiguée que de coutume ? Vous me parlez de votre besoin de repos en personne vraiment fatiguée. Vous renoncez à passer par Baden qui vous amuserait. Cela me préoccupe. Donnez moi quelques détails. Les eaux fatiguent quelque temps, même quand elles font du bien. Tout le monde le dit. Il me semble que Schlangenbad vous a moins réussi qu’Ems. Je sais gré à Fleischmann d'être venu vous y voir. Il aura un peu rompu votre solitude. Et je suis sûr qu’il ne vous aura pas rendue germaine unitaire. Cette question Allemande me déplait parce que je n'y vois pas clair. J’ai un instinct plutôt qu'un avis. Mais un instinct ne satisfait pas. Je ne veux pas de ce qu’on veut faire, et j’entrevois qu’il y a quelque chose à faire. Cette passion d’unité qui tient tant d'Allemands ne doit pas être uniquement l’ambition Prussienne ou la folie révolutionnaire. Il y a probablement là dessous quelque chose de sérieux et de nécessaire. Comment s'y prendre pour reconstituer la confédération germanique et la diète de Francfort d'une façon qui donne satisfaction à ce qui n’est ni révolution, ni bouleversement territorial ? Ou bien serait-ce là un but chimérique ? Et l'Allemagne, en serait-elle venue à l'une de ces époques où les gens sensés comme les fous, les honnêtes gens comme les coquins, sciemment ou aveuglément, veulent absolument refondre toutes choses et se lancent au hasard dans les nouveautés, n'importe à quel prix. La France en était là en 1789. J’ai peur que l'Allemagne n’y soit à son tour, si cela est, la guerre européenne est infaillible, et nos 34 ans de bon gouvernement et de paix n'auront été qu’une oasis dans le désert, une halte dans le chaos.
Je conjecture et je spécule comme si nous causions. J'ai peur aussi que M. de Nesselrode n'ait raison, et que Wiesbaden n'ait fait plus de fracas qu’il ne convient. Le fracas rouge sur le passage du Président est une compensation. Mais tenez pour certain qu’à son retour il y aura à Paris un effort en faveur d’un ministère tiers-parti.
Je suis bien aise de retourner au Val Richer. Le temps est superbe ce matin. J'ai droit à un beau mois de septembre. Août a été affreux excepté les jours d’Ems.
Je suis très occupé de mon Monk. J’y ai pas mal changé, ajouté. Je crois que c’est amusant et à propos. Une grande comédie politique remise en scène devant des spectateurs acteurs eux-mêmes. Et on veut réimprimer en même temps mon Washington. Comment on rétablit une Monarchie et comment on fonde une République. Choisissez. Pourvu qu'on ne me réponde pas : ni l’un ni l'autre ! Hélas je suis un peu, pour la décadence de mon pays comme Mad. Geoffrin pour les revenants " Je n’y crois pas, mais je les crains. "

Onze heures
Pas de lettre ici. Je suppose que vous m'avez écrit au Val Richer, et que j’y trouverai votre lettre en arrivant. J'ai de bien mauvaises nouvelles de Claremont d'avant-hier. Dumas mécrit : " Il est douteux que l'état du Roi permette que S. M. aille s’installer à Richmond où se trouvent déjà M. la Duchesse d'Orléans et Mad la Duchesse de Saxe Cobourg. Les forces déclinent, tous les organes s'affaiblissent, à l'exception des facultés intellectuelles qui restent entières. J'ai dû faire une absence de quatre jours pour aller porter à Dreux le Corps de l’enfant morte dont est accouchée Mad la Duchesse d’Aumale. J’ai trouvé à mon retour avant hier, les progrès de l'affaiblissement très notables. Le Roi a fait appeler les docteurs Chamel et Fouquier. Mad. la Duchesse d'Orléans est aussi bien que possible. La Reine se maintient en bonne santé. Le Duc de Nemours est très souffrant d’un Anthrax. M. le Prince de Joinville qui a été en Belgigue chercher sa soeur la Duchesse de Saxe Cobourg et qui a dû séjourner deux jours à Ostende, à cause du mauvais état de la mer, y a été l'objet d’un accueil remarquable de la part du grand nombre de Français qui y résident. Cela s’est passé sous les yeux du Roi des Belges. "
Adieu, Adieu. Je voudrais vous envoyer ce soleil. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer dimanche 15 sept 1850

Je suis frappé de ce que vous me dîtes de l’intimité de Changarnier et de Lamoricière. Cela coïncide avec ce qui m'est revenu d'ailleurs, ces jours-ci. Lamoricière dans des conversations intimes, s’est déclaré inconciliable, absolument inconciliable avec les rouges et l'Empire, ou toute combinaison bonapartiste analogue à l'Empire ; du reste prêt à accepter toute autre solution, l'une ou l'autre des deux branches, n'importe laquelle, ou mieux encore toutes deux ensemble ceci dans l’hypothèse où la république régulière ne pourrait pas durer, ce qu’il ne regarde point comme sûr, mais comme très possible. Je vous donne ces ouï dire pour ce qu'ils valent ; ils viennent de bon lieu. Ils peuvent être vrais aujourd’hui et point demain ; Lamoricière est si mobile ?
Les nouvelles de Bruxelles m'affligent beaucoup. La Reine, toute cette famille royale quittant le cercueil du Roi et traversant la mer pour venir s'asseoir auprès du lit de mort de leur fille, de leur sœur ! Quelle épreuve ! quel spectacle ! Les douleurs s’appellent et s'attirent. Je ne sais rien que par les journaux ; mais j’ai le cœur serré à l'idée de ce deuil sur deuil pour la Reine dont la personne, et le cœur, semblaient ne laisser plus de place à un deuil nouveau. Je voulais écrire ces jours-ci à la Reine et à M. le Duc de Nemours. Je n'ose pas. J’attends.
J'espère que vous me donnerez aujourd’hui d'un peu meilleures nouvelles de votre rhume. Décidément enrhumée ou non, et encore plus enrhumée, je vous aime mieux à Paris qu'ailleurs. Vous y avez à la fois plus de repos et plus de mouvement. Je compare ce que vous voyez là, avec votre solitude de Schlangenbad. Et pour avoir cela vous n'avez d'autre peine à prendre que de ne pas sortir de chez vous.
Je suis curieux de ce que vous me direz sur M. de Meyendorff. La nouvelle de Berlin est répétée dans tous les journaux. Je ne puis croire à cette retraite, et encore moins au motif. Mad. Swebach (est-ce bien son nom ? ) doit savoir le vrai. Midi Je regrette de n'avoir pas vu l'article du Times, sur Salvandy. Je suis frappé de la réserve des journaux de toute opinion sur ce sujet. Ils sentent tous que c’est sérieux, et ne veulent ni s’engager ni se compromettre. Je vois ce matin un article du Siècle qui pose, entre la Monarchie et la République, je ne sais combien de questions pleines d'embarras et qui admettent les réponses contraires.
Je suis bien aise d'avoir valu à Constantin les remerciements qu’il a reçus. Vous savez que je lui ai trouvé, sous sa tranquillité modeste et un peu stérile, l’esprit plus ouvert et plus sérieux que je ne supposais. Adieu, adieu. Vous aurez reçu ce matin une réponse sur Fleischmann. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 16 0ct. 1850
9 heures

Je reçois votre lettre qui me préoccupe. Je m'étais arrangé pour être tranquille par la retraite du Ministre de la guerre. Au fond, je persiste. Il me faut des faits positifs pour troubler ma tranquillité. Avant les revues, et le vin de Champagne, et la commission permanente, j'étais bien plus inquiet pour le Général Changarnier. Depuis longtemps, il n’avait rien fait, rien ne lui était arrivé ; je le trouvais un peu affaibli. Le dernier incident l'a rajeuni. Le voilà de nouveau le représentant de la discipline, de la légalité, de l'Assemblée. Dès que la question se pose ainsi, je ne crois plus que personne y touche. Il n’y a personne aujourd’hui pour rien tenter de gros. Les revues et vive l'Empereur sont le thème du jour. Ce thème mettrait dans son tort quiconque toucherait à quelque chose. Le public est de l'avis de Beauvale. Le vin de champagne a effacé la circulaire. Le public veut le Président et le Général Changarnier. Pourvu qu’ils s’arrangent ensemble, peu importe le reste. Mais il faut qu’ils s’arrangent, et celui des deux qui dérangera l'autre sera le mal venu. Je serais bien surpris, si M. Fould n'était pas de cet avis.
Voyez le Constitutionnel lui-même ; c’est tout ce qu’il peut faire que d’excuser les Vive l'Empereur ! Et il les excuse assez gauchement. Je comprends qu'on fasse l'Empire si on peut ; mais le crier, sans le faire, est absurde.

Midi.
Je suis fort aise de ce que vous me dites de la résolution du général Lahitte quant à l'Allemagne. J’espère qu’elle ne sera pas mise à l'épreuve. Je trouve du reste cette politique déjà annoncée dans le Bulletin de Paris. Lahitte prend ses précautions, et il a raison.
Si vous écrivez un de ces jours à Lord Aberdeen, soyez assez bonne pour lui demander s'il a reçu une longue lettre de moi, celle que vous savez. Je voudrais être sûr qu'elle est arrivée. Ce serait charmant qu’il vînt nous voir à Noël. Pourquoi pas ? Rien ne le retient à Londres et il se plaît à Paris.
Je ne trouve pas que la réponse de M. de Montalivet à Napoléon Bonaparte, dans la Revue des deux mondes qui m’arrive, soit bonne. Elle est vague et timide. Il y avait bien plus à dire, et à dire plus sèchement.
Je vois que la Reine est encore à Lacken, et y restera peut-être plusieurs jours. Je lui ai écrit à Claremont, en envoyant ma lettre au Général Dumas. J'espère qu’il la lui aura envoyée. Madame la Duchesse d'Orléans, s’est hâtée de retourner, sans doute à cause de ses enfants. Adieu, Adieu.
Je vais me promener. Il fait un temps magnifique, doux et pur. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Samedi le 5 juillet 1851

Je suis arrivée hier à 7 heures après un voyage excellent. Je me suis séparée de mon fils à Coblence, bien bon garçon. Ici je retrouve tout, très bien, matériellement, pas une âme de connaissance. Nous avons bien besoin l’un de l’autre. Duchatel & moi.
Votre lettre du 2 qui est venue ce matin. Une d’Ellice aussi. Le discours de Thiers n'a pas fait fortune en Angleterre du tout. Ellice me dit quel effort de déraison ! Lord john est parfaitement raffermi, & restera très solidement. pour l’éternité. Amen. On m’a dit à Bruxelles qu'on ne s’est pas douté à Paris de l’effet produit à Claremont par la lettre du comte de Chambord en février. La duchesse d’Orléans était rendue complètement. On songeait à une entrevue. La proposition Creton renversée par Berryer a renversé toute la [?]. Léopold est très sensé. Il donne les meilleurs conseils. Les doutes que j’avais exprimés à ce sujet ont beaucoup déplus & étonnés. J’ai dit des choses utiles.
A Bruxelles comme partout, on est convaincu de la durée du Président, et comme partout, on la désire car on ne voit rien de bon que cela en fait de choses possibles. A Naples chaque fois qu'on se rencontre, on fait un petit programme de phrases à s'adresser ni plus ni moins. C’est positif. Je crois que je vous ai dit tout ce que j'ai ramassé.
Marion est ravie d’Ems elle a une fort jolie chambre à la gauche de mon salon. L’air est délicieux, ni trop chaud, ni trop froid. Je ne regrette de Paris que vous, car du reste je pense de lui avec mépris, au physique & au moral. Adieu. Adieu. Adieu.
Brunnow ne parle de Walensky que comme d’un polisson. S'il fait comme il parle cela va faire une relation agréable. Le discours à Châtellerault est excellent.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, Mercredi 9 Juillet 1851
8 heures

Les journaux vous apportent le rapport de M. de Tocqueville. Tout a marché plus vite qu'on ne croyait. Il n’en sera probablement pas de même du débat. 55 orateurs inscrits, sans compter les incidents ! Le Président ne posera pas sa candidature à la présidence de la République plus clairement que M. Od. Barrot n'a posé la sienne à la Présidence du Conseil du Président réélu.
J’ai éprouvé tout à l'heure, en lisant ce rapport une singulière impression de surprise et de malaise. J'attendais toujours qu’il parlât des deux questions auxquelles le sort de ce pays est suspendu, la question socialiste et la question monarchique. Qui dominera dans notre société le haut ou le bas de la population ? Dans quel gouvernement s’arrêtera la France, la République ou la Monarchie ? Voilà de quoi il s’agit vraiment, et de cela presque pas un mot. Tout cela est renvoyé à l'assemblée constituante qui viendra, si elle vient. La crainte de la réélection inconstitutionnelle du Président et la mauvaise organisation constitutionnelle de la République, voilà les motifs dominants, et seuls développés de la révision ! Je ne connais pas de plus forte preuve de l'ineffable timidité et faiblesse des esprits et des cœurs. Il me paraît impossible que le débat public ne pousse pas plus avant. Qui sait pourtant ?
Voilà votre lettre de samedi. J'espère que nous avons ressaisi le fil et qu’il ne se rompra plus. L'absence est déjà beaucoup trop ; mais le silence dans l'absence est insupportable. Je suis content que vous soyez contente d'Ems. Et très content de ce qu'on vous a dit à Bruxelles. Cela confirme la lettre d'Aberdeen. Je n'espère que de ce côté-là un peu d'influence sur Claremont. Il se peut qu’on se soit trompé ici sur l'effet produit là par la lettre du comte de Chambord au moment du vote sur la proposition Créton, et c'est grand dommage. Pourtant, je doute beaucoup de ce qui serait arrivé, si le vote eût été autre. Les bonnes intentions auraient-elles suffi pour résister au courant ? Je n'ai rien de plus. Je suis resté chez moi avant-hier et hier soir, un peu souffrant. Cela passe. Moi aussi j'ai besoin de sortir de Paris et de changer d'air.
Dans son discours à Beauvais, le Président, en parlant de Jeanne d'Arc et de Jeanne Hachette, a dit, et trés vivement : " Elles marchaient en avant aux cris de vive le Roi ! Vive la France ! " Vous jugez de l'effet. Les Ministres ont retranché, cette phrase dans Le Moniteur. Adieu. Adieu. J’ai ce matin chez moi, à midi, le baptême des mes deux petites-filles. Je vais faire ma toilette. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 24 Juillet 1851
8 heures

Je viens d'écrire une longue lettre à Croker. Il faut payer ses dettes, surtout à ses vieux amis. Je serais bien triste si je parvenais à être réellement inquiet sur l’Angleterre. Je persiste à ne pas l'être. Il y a là une digue de bon sens et de vertu assez forte pour résister même à un gros torrent qui viendrait l'assaillir, et je ne vois pas encore le torrent.
J’ai eu hier des visites qui m’ont assez frappé ; deux des hommes les plus intelligents, et les plus froids du pays ; sans passion et sans parti pris sur rien. Ils m’ont parlé du débat sur la révision comme ayant été très favorable à la monarchie, et pas très favorable au Président. Ils trouvent que République et Président ont fait là assez pauvre figure. Ils examinent ce qu’ils ne faisaient pas du tout, il y a un mois, comment la monarchie pourrait revenir, l'an prochain, ou quel autre président pourrait être élu. Cependant ils concluent que la République et le président. actuel sont encore ce qui a le plus de chances.
J'envie à Marion et à Duchâtel leur course à Stolzenfels. Je pense à Ems avec plaisir, et regret. A cause de vous d'abord, ce qui va sans dire, mais un peu aussi à cause d'Ems même. Le pays est plus pittoresque que celui-ci, et au milieu de ce pays pittoresque il y a des restes du passé un peu de vieille histoire, Stolzenfels restauré et les ruines de Nassau. Il n'y a point du tout de passé autour de moi, à dix lieues à la ronde, point du tout. On prend de plus en plus le goût du passé en vieillissant, comme les ombres s'allongent le soir. Pardon de l'incohérence.
Que dites-vous du souffle que l'assemblée vient de donner à ce pauvre Léon Faucher ? C’est la seconde fois que cela lui arrive. Il y a des gens qui auront voulu se dédommager de l'effort qu'ils avaient fait en votant pour la révision. Cela amènera-t-il une crise de cabinet ? M. Od. Barrot est là, prêt à recevoir l'héritage et à servir de couverture pour la réélection du Président. Je soupçonne que quelques uns des collègues de M. Léon Faucher auront été, sous main, pour quelque chose dans son échec. C'est aussi ce qui lui arriva, à sa première chute. Il est déplaisant, et embarrassant.

Onze heures
On m'écrit de Paris : " Les ministres restent. Ce n'est pas qu'à l’Elysée, on n'ait un grand désir de profiter de l'occasion pour renvoyer Faucher qui est odieux à ses Collègues et au Président ; mais ce serait donner une victoire à l'Assemblée, et on se décide à laisser les choses comme elles sont. Il faudrait d'ailleurs prendre Barrot qui n’est pas plus aimé que Faucher. " " Berryer, a reçu une longue lettre du duc de Noailles, dont il est très content. Le Duc aussi est content." Ce pauvre Maréchal Sebastiani aurait mieux fait de mourir il y a quatre ans. Il en avait une admirable occasion. C'était un esprit politique remarquablement sûr, fin sans subtilité, et presque grand avec une pesanteur et une lenteur assommantes, et une extrême stérilité. Propre à l'action, quoique sans invention. Je ne l'ai pas revu depuis la révolution de Février.
Je suis bien aise que Mad d'Hulot vous plaise. C’est une honorable personne, et je l’ai toujours trouvée aimable. Adieu, Adieu. Nous sommes depuis hier, sous le déluge d’un orage continu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 9 Septembre 1851 Mardi

Thiers est revenu en très belle humeur, il dit que le pays est bien plus démocratique qu’il ne l’avait cru, mais qu'il s'accommoderait très bien de la forme monarchique recouvrant le socialisme. Il va à Londres. Voilà ce qui m’a été dit hier de source à ce qu’il me paraît. Changarnier est bien animé. Plein de professions de dévouement à la bonne cause. Il met toute la gloire à la servir, mais il ne peut pas affecter cela sans compromettre son élection à la présidence sur laquelle il compte, à quoi il travaille, & qui servira au moins à diviser les voix. On veut lui imposer un certain engagement, obtenir quelque garantie, il est prêt à la donner, il faut inventer, chercher. L'Elysée semble disposé à se rapprocher de Molé, on dit même de Changarnier ; je vous redis ce qu'on me dit et tout cela est encore à l’état de symptômes. Je n’ai pas vu Changarnier. J’ai vu hier Mad. Decazes. Elle est convaincu que Joinville sera élu. Elle dit : " Pourquoi pas ? Ceci vaut mieux que 1830. On ne chasse personne. " On fait aujourd’hui l'opération de la peine au Duc Decazes. Il en a fort peur. Lord Granville est ici. Il est venu me voir hier. Spirituel & doux, & ne m’apprenant rien de nouveau.
Je ne me sens toujours pas bien. Pas de sommeil et très nervous. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 15 septembre 1851

J'ai mené hier Kisseleff à [?] nous y avons passé deux heures. Je suis revenue dîner chez moi. J’ai trouvé très occupé de ce qui doit, ou de ce qui devrait se passer. S'il voyait le président voici le conseil qu'il lui donnerait. Une présence de cette multitude de partis incohérents voulant les uns une chose, les autres une autre, devant l'impossibilité de parvenir à s’entendre, lui le représentant de 6 millions se croit le devoir et le droit d’aviser & de sauver le pays et il le proclame.
La Constitution est suspendue, la France en état de siège. Il appelle à lui un ou deux représentants de chacun des partis honnêtes du pays. Et dans ce conseil intime on délibère et décide d'une autre forme de gouvernement et puis on l'impose au pays. Tout ceci demande des mesures vives. Ainsi, l’arrestation de tous les meneurs incommodes, [?] Cavaignac & Changarnier. Si le Président ne fait rien du tout, ou s'il fait tièdement, il est perdu et la France avec lui. Il ne faut pas risquer la proposition Creton. Voilà en gros & brutalement l’opinion de [?], je vous prie de ne point me compromettre ni lui. J'ai vu assez de monde hier soir mais je ne sais rien. On s’étonne bien de l’article sur l’Autriche & le Prince Metternich dans Le Journal des Débats. [?] au corsaire ou au charivari de parler de [?] qui arrivent solennellement, mais M. Bertin a vécu dans le monde.
Il n'y a pas un mot de vrai dans tout ce qui est relatif à Metternich, il va à Vienne parce que depuis longtemps il aurait pu le faire, mais il n'a pas été invité. Je suis bien contente de ce que dit le Times sur Gladstone. Morny a vu Mallak mais cela a été sans importance. Après mes insomnies, vient mon estomac. Un grand dérangement. Je n’ai pas de Médecin. Oliffe arrive enfin demain. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 15 sept 1851

Vous n'aurez aujourd’hui qu’une bien courte lettre. Je dîne à Lisieux. J’ai beaucoup de petites affaires à régler dans la matinée, partant demain pour Broglie. De plus, des épreuves à corriger et à renvoyer. Et pas grand chose à vous dire.
Je ne suis pas surpris du désespoir du duc de Noailles. Je l’y vois marcher depuis longtemps. Tout ceci est trop difficile et trop long. Il a raison dans ce qu’il dit qu'on ne fera rien que lorsqu'on aura vraiment peur, peur partout. La proposition Creton peut en effet amener cette peur-là. Si les meneurs en font tout ce qu’ils s’en promettent, elle nous lancera dans une nouvelle carrière d'événements et de révolutions. Nous recommencerons au lieu de finir. Aussi j’ai peur de cette affaire-là.
Vous ne lisez pas le journal le Pays. La République modérée est exactement dans la même situation, vis-à-vis du président, que les légitimistes. Elle se prépare à aller à lui pour échapper au Prince de Joinville. M. de Lamartine emploie tout ce qu’il a d’esprit à se préparer et à protester que non. Il cherche, à travers ce gâchis, une chance personnelle à poursuivre. Il ne la trouve pas ; la peur de l'Orléanisme le prend. Il revient autour du Président puis il recommence. Voilà la République ; Lamartine, Changarnier, qui sais-je ? Tous rêvent pour eux-mêmes le pouvoir souverain. Une alternative continuelle de rêve et d'impuissance.
L'article du Journal des Débats d'avant hier fera plaisir au Prince de Metternich. J’oublie ceci depuis quatre jours. Pouvez-vous me savoir l'adresse actuelle de M. de Montalembert ? J'ai besoin de lui écrire, et je ne sais où. M. de Mérode n’est probablement pas à Paris ; mais j’espère que Montebello pourra vous dire cette adresse.

11 heures
Puisque vous allez à Champlâtreux, vous y aurez vérifié ce qu’on m’écrit ce matin : " que M. Molé est fort inquiet de sa santé et qu’il a raison de l'être car M. Cloquet s'en inquiète aussi. " Adieu, Adieu. A demain une lettre moins courte. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 30 septembre 1851 Mardi

J’ai vu peu de monde hier, mais j’ai su par Marion quelques rapportages. Mad d'Asur lui a fait visite le matin. Et elle a remonté Thiers à dîner chez lady Sandwich. Assise entre lui & M. Royer à table. Il a parlé de Changarnier de ce qu’il eut été s'il avait su se conduire, précisé ment dans les mêmes termes que vous m'en avez parlé le matin & que Marion avait lus. Il n'épargnait rien à la ressemblance. Il n’est pas sûr que le prince de Joinville passe. Le pays est encore fort attaché au nom du Président. Quant à Changarnier c'est risible, le pays ne le connaît pas du tout, il aura pour lui les Légitimistes, & encore.. Beaucoup d’incertitude sur la proposition Creton. Thiers avait dit le matin à Mercier ( qui est venu chez moi le soir) Si Henry V était possible se serait ce qu'il y aurait de mieux peut-être. Mais c’est archi impossible. Le pays, le repousse absolument. Il est impossible. Il nous faut la Monarchie, il ne nous reste donc que la branche cadette, et bien pour faire arriver la Monarchie il faut que le Prince de Joinville soit à la tête du [gouvernement] du pays. Il ne serait pas longtemps président. Tout autre ferait durer la République. Le pays s’y accoutumerait, je ne veux pas de cela. Voilà mes motifs et pourquoi le Prince de Joinville a raison de se laisser faire.
Dumon hier soir était fort noir. On parle de message pour le 4 nov. invitant l'Assemblée à voter la révision à la simple majorité. C’est M. Fould qui avait dit cela à je ne sais qui que Dumon ne m’a pas nommée, le même anonyme ayant rencontré hier aussi M. Granier de Cassagnac celui-ci aurait ajouté et si l’Assemblée recule devant cette illégalité, on casse l'Assemblée. Mais l’armée que dira-t-elle, que fera-t-elle ? Voilà à quoi personne ne répond. On devient très triste très inquiet. Fould a dit que tout s’en allait dégringolant, crédit, ouvrage. & & De raisonnements en raisonnements, on en vient à dire qu’il n'y a que la guerre qui puisse tirer de là. On a tant jasé & si tard que j'en ai très mal dormi cette nuit. Je me lève et il est midi déjà. Bastide & Cavaignac se donnent tous deux pour Joinvillistes.
J'ai fait hier la plus mélancolique des promenades. J’ai été voir Neuilly. Ah quel aspect horrible ! Adieu. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 27 octobre 1851
4 heures

Je suis toujours bien aise de rentrer chez moi même quand il m'a réussi d'en sortir. Voilà trois jours que je vous écris bien sottement. J’ai fait hier à Falaise, tout le jour une vraie mission pour la fusion ; presque sans en parler, mais parfaitement compris de tout le monde ; conservateurs et légitimistes que j'ai laissés tout contents de moi, et d’eux-mêmes. L’un ne va guère sans d'autre. Avec du temps, beaucoup de temps, et en y prenant beaucoup de peine ; et avec l'aide de beaucoup de malheur et de beaucoup de peur, on pourra arriver à quelque chose. Les incidents dérangeront et précipiteront. Si tant est que les incidents dérangent le véritable cours de l'eau, le cours du fond. Nous vivons et nous nous remuons à la surface ; mais ce n'est pas à surface que se préparent et se décident les grands événements. Quels que soient les incidents, nous marchons à la monarchie par la fusion ou à la décadence par la République. Voilà les deux courants profonds qui sont, aux prises. Lequel des deux l'emportera ? Mon raisonnement est pour la crainte et mon instinct pour l'espérance.
Dans tout le monde que j'ai vu depuis les plus considérables jusqu'aux moindres, et soit bienveillants, soit malveillants, la situation du Président est mauvaise. On a porté sa santé au banquet, le maire de la ville, mon hôte. Un silence universel lui a répondu à la lettre. Le Préfet qui était là, s’en est tiré en homme d’esprit, et en répondant au toast qui lui était porté à lui-même ; il a parlé du Président, de l'appui qu’il avait donné au parti de l'ordre et qu'il avait trouvé dans le parti de l'ordre, en termes trés convenables qui ont été applaudis. Beaucoup de blâme, point de rancune, voilà la disposition. Jusqu'au dernier moment la transaction sera toujours possible et j'y crois toujours. Je n'ai jamais été plus applaudi. Les ennemis n’applaudissaient pas, mais ils approuvaient du geste les amis qui applaudissaient. Les Conservateurs, pris en masse, m'aiment vraiment ; et ceux-là même, qui n'ont nul goût pour la fusion me sont, au fond, gré de la vouloir et trouvant que j'ai raison.
J’attends toujours la lettre du duc de Noailles. Pour mon langage à quelques personnes, il m'importe un peu de savoir jusqu'à quel point M. de St Priest, M. Nettement et tout ce côté du parti, désavouent ou ne désavouent pas les bruits dont je vous ai parlé. Comme il n’y a plus aujourd'hui rien d'étrange ni de ridicule, il ne faut pas laisser passer. Sans y regarder ce qui paraît le plus étrange et le plus ridicule.
Je répète que je ne puis pas ne pas croire qu'on fera à Claremont ce qui convient. On aura bien pesé que M. le comte de Chambord n’en tire trop de parti et ne les mette dans un grand embarras. Mais je tiens pour impossible que cette peur arrête. Je crois que Montebello a bien fait de n'y pas aller. On ne fait pas ce qui déplaît sans déplaire ; surtout quand on veut le faire efficacement, et de manière à empêcher ce qui plairait.
Voici ce que j'ai écrit au sujet de cet incident du Times, au général Trézel, après lui avoir parlé de mes raisons contre la candidature du Prince ; je suis bien aise que vous le connaissiez textuellement. " Je suis absolument étranger, indirectement comme directement, à la correspondance du Times qui a raconté, bien ou mal, ma conversation avec M. le duc de Nemours. Je ne me permettrais jamais une telle inconvenance. Ce qui est vrai, c'est que, soit à Londres, soit à Paris, j'ai redit moi-même à plusieurs personnes le fond de cette conversation. A dessein, et par plusieurs motifs. D'abord, parce qu'opposé comme je le suis à la candidature de M. le Prince de Joinville, j'ai désiré que mon opinion fût connue, et qu’il fût connu aussi que je l'avais exprimée à la famille royale ; nous ne pouvons et ne devons agir librement qu'après avoir dit aux Princes ce que nous pensons et quand on sait que nous le leur avons dit. J'espérais de plus que la publicité de notre opinion rendrait peut-être un peu plus incertaine la publicité de cette candidature elle-même et comme je désire qu’elle ne le produise pas décidément je n'hésite point à faire ce qui peut y jeter quelque hésitation. Enfin, quoique je trouve que les Princes ont tout-à-fait raison de se tenir et de se montrer très unis, je ne regrette point qu’on sache, et je crois même qu’il est bon pour leur avenir qu’on sache qu’au fond ils ne sont pas tous du même avis, ni sur la même pente. Je trouve fort simple que parmi eux, quelques uns dressent leur tente au milieu de l'ancienne opposition au gouvernement du Roi leur père ; mais je ne pense pas que les chances de leur cause aient à souffrir si, parmi eux aussi, il y a encore les alliés fidèles de l'ancien parti conservateur, et si les conservateurs en sont convaincus. Voilà, mon cher général, pourquoi j’ai parlé assez ouvertement de la conversation que j’ai eu l'honneur d'avoir avec M. le Duc de Nemours. Je n’ai pas le droit de m'étonner qu’il en soit revenu quelque chose aux correspondants du Times, à Paris, et qu’ils l’aient racontée confusément et inexactement comme ils l'ont fait. Je le regrette puisqu’on l’a regretté à Claremont ; mais je ne puis pas ne pas penser que, pour la bonne politique de la bonne cause la candidature de M. le Prince de Joinville serait infiniment plus nuisible qu’il ne peut l'être qu'on entrevoie que M. le Duc de Nemours n'en est pas tout-à-fait d'avis."
Adieu jusqu'à demain.
J’ai trouvé vos deux lettres en arrivant ici Onze heures Le cabinet n’a rien d'effrayant, Tout ceci finira par une transaction. Mais j'attends Pétersbourg. Je ne peux croire ni au refus, ni au silence. Si cela arrive ! Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Mercredi 22 sept. 1849
9 heures et demie

Je suis dans mon Cabinet depuis six heures. Je n'ai pas encore mis le pied dans le jardin quoiqu’il fasse un soleil superbe. Je suis plongé dans mon histoire de la révolution d'Angleterre. Notre temps me sert beaucoup plus pour la comprendre qu’elle ne m'éclaire sur notre temps. Personne, ne me croirait si je disais que je cherche bien plutôt dans le présent des lumières sur le passé que dans le passé des allusions au présent. C'est pourtant très vrai.
Savez-vous un effet qu’on n’a pas prévu ? Il est très probable que ces bruyantes et innombrables démonstrations dont les journaux sont remplis, feront l'Empire ; mais en le faisant, elles l’usent d'avance. On en aura trop entendu parler quand il sera proclamé. On attendra et on demandera autre chose.
Le Constitutionnel allait avant hier au devant des craintes qu'inspirent déjà ces autres choses ; il promettait un Empire qui ne serait pas l'Empire, qui ferait des sociétés de crédit foncier et des chemins de fer une monarchie pacifique et bourgeoise. C’est trop de bruit pour arriver là. Il fallait attendre plus patiemment la nécessité de la monarchie ; elle serait venue, et elle serait venue plus tranquillement, sans blaser d'avance et sans exciter outre mesure. J'en reviens toujours, au chancelier Oxenstiern, qu’il y a peu de sagesse, même dans ce qui réussit !
C'est probablement par mauvais vouloir pour Lord Douro que le Duc de Wellington n’a pas fait de testament ; il a voulu que son second fils, qu’il aime mieux, et qui a des enfants, ont la moitié de sa fortune. Peel et Wellington, jamais les fils n'ont moins ressemblé aux pères ; le contraste est choquant.
Je suis convaincu qu’il y a de la faute des pères en cela, et que des enfants vraiment bien élevés, et en intimité avec leur père, n'en sont jamais si loin, quelque différente que Dieu ait fait la pâte, de toutes les jalousies, celle de père à fils est la seule que je ne comprenne pas du tout. Je ne conçois pas de plus grande satisfaction que de se survivre, et de la perpétuer soi-même dans ses enfants. J’ai pourtant vu de grands exemples de cette jalousie là, et dans de bien frappantes occasions.
Je vous quitte pour faire ma toilette. Je suis impatient de savoir Aggy revenue.

Onze heures
Je remercie Aggy de ses quelques lignes, quoiqu’elles me chagrinent. J’espère qu’un peu de nourriture vous relèvera de votre abattement. Le temps mou et pluvieux paraît vouloir casser ; peut-être qu’un air plus sec et plus vif vous vaudra mieux. Adieu, Adieu, en attendant demain. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 5 octobre 1852 Mardi

Sainte-Aulaire est venu me voir hier soir. Il me dit que Montalembert était venu à Paris pour soigner l'impression d'un ouvrage qui va paraître sur le gouvernement représentatif & sur l’église. Le fond sera que la religion ne peut fleurir qu’avec la liberté, qu'il n’y a pas de liberté en France & que les prêtres ne sont plus que des courtisans, il veut un [gouvernement] représentatif. Vous voyez comme cela va faire fortune ici ! Je doute que son ouvrage paraisse. Il est indigné de la servilité du clergé. On le dit très amer. comme je ne l'ai jamais vu seul, je n’en sais rien.
Hecken est aussi venu hier soir entre le sérieux & le comique c'était assez drôle et assez menaçant. Après l’empire on prendra la Savoie en conseillant au roi de Sardaigne de se dédommager par la Lombardie, & puis on effacera la Belgique. Et puis, si la Russie et l’Autriche se fâchent, on leur lancera la révolution. Tout cela accompagné d'éclats de rire, vous en ferez ce que vous voudrez. Non pas ceci à la lettre s’il vous plaît car même en plaisanteries je n'aime pas que rien ressorte de chez moi. On trouvera une princesse. Cela ne peut pas manquer. Le Moniteur annoncera les fiançailles un beau jour lorsqu'on s’en doutera le moins. Jérôme est inquiet et mécon tent. L’Empire héréditaire et l’adoption cela ne lui convient pas du tout, & il dit : " Le frère de l’Empereur est plus fort que le neveu. " Vous fais-je assez de commérages ? On voulait savoir hier qu'il était venu une note Anglaise sur le lac français. Je veux bien croire à une dépêche peut être, à une note non. Au reste, je ne sais rien de direct depuis ce que je vous ai dit sur ce sujet. Il y a des tempêtes affreuses la nuit. Kisseleff part dimanche. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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126 Val Richer, Jeudi 27 Juillet 1854

Plus de grosse chaleur. Nous avons échappé hier à un violent orage qui est allé éclater ailleurs. Aujourd’hui, il fait frais. Je voudrais vous mesurer à votre goût le soleil et la pluie. Au moins le bien être matériel, à défaut des grandes satisfactions. Je veux croire que le découragement et la désaffection ne pénétreront pas chez-vous, quoique vous en ayez donné de grands exemples ; mais votre Empereur, finira par comprendre, le mal qu’il se fait à lui-même, et par accepter quelque arrangement que l’Autriche et la Prusse seront toujours là pour proposer. Plus la guerre durera, plus les conditions de la paix lui seront dures. Il ne divisera pas la France et l’Angleterre. Il ne les ruinera pas. Je compte encore sur son intelligence, et son bon sens pour mettre fin à une situation dont il souffre et dont il souffrira beaucoup plus que personne, dans la puissance Européenne et dans la prospérité intérieure de son peuple ai-je tort ?
J’ai grand peine à croire qu’on soit obligé de se mêler de l’Espagne. Le désordre intérieur sera énorme peut-être la guerre-civile ; mais rien qui affecte l’Europe, même les voisins. Les révolutions Espagnoles ne sont pas contagieuses chez nous. Je doute quelles se propagent en Italie. Je vois qu'une tentative a déjà échoué à Péronne. Je persiste à penser qu’il n’y aura là, qu’une mauvaise monarchie radicale, substituée à une mauvaise monarchie quasi absolutiste.
Je vois par le bulletin d'Havas que c’est aussi le pronostic du gouvernement, et qu’il se prépare à vivre en bons termes avec Espartero. Il n’y aura plus de rivalité Franco-anglaise qui y mette obstacle.
Faites-vous envoyer l’histoire de la Turquie de M. de Lamartine. Ce ne sera certainement qu’une série de coups de théâtre et de décorations d'opéra. Mais comme décorateur, comme Sicari de l’histoire, il a beaucoup de talent. Il vous amusera. Lisez aussi le Charles Quint de M. Mignet. Il le mérite. Mlle de Cerini vient elle à bout de vous lire un peu ?

Midi
Adieu, adieu. Je ne reçois absolument rien ce matin.
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