Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 17 Sept 1850

Voilà donc le grand duc de Hesse en fuite, et devant la seule résistance passive ! Que lui dira le Roi de Hanovre, qui n’est ni fou, ni poltron. Ceci fait assez d’honneur aux Hessois. Ils se conduisent, ce me semble, prudemment et fermement. Nous assistons à de bizarres spectacles ; tantôt c'est le peuple qui fait seul toute la sottise, tantôt le Prince. Quand donc auront-ils un peu de sagesse et de dignité ensemble et à la fois.
Vous avez raison, l'article du Constitutionnel est remarquable et sensé. J’ai souvent dit en effet ce qu’il répète, et je n'en désavoue rien. Seulement, je suis plus décidé qu’il ne le dit sur la nécessité de la fusion, et de la fusion aussi prochaine qu’il se pourra. Les populations se gâtent sous le régime actuel et j'ai peur que le gouvernement du Président ne laisse faire plus de mal qu’il n'en répare. Certainement il faut qu’il dure tant qu’on ne pourra pas avoir à sa place, la vraie solution, et il faut, pendant qu’il dure, lui donner toute la force nécessaire pour que sa durée nous fasse regagner du terrain. Mais nous payons cher aussi cette durée, et nous aurions tort de la prolonger indéfiniment, par peur ou par paresse. Et le président lui-même s'il est bien conseillé, doit désirer que la solution définitive arrive pendant qu’il est debout et puissant, et peut s'y faire lui-même sa part, et non après quelque nouveau cataclysme qui le jetterait et le laisserait. le premier sur la plage noyé et nu.
Le courrier de ce matin m’apporte bien des articles de journaux remarquables. L'Univers répète, celui du Times sur nous et Salvandy à Claremont et à Richmond ; et j’y vois que l'Union et l'Opinion publique l'ont aussi répété. Je coupe dans un journal qui m’arrive de Marseille l'article sur le service funèbre célébré là en l'honneur du Roi, et je vous l'envoie avec la lettre du rédacteur qui me l'a envoyé, et que je ne connais pas du tout. Curieux et bons symptômes. M. de Villèle, pendant, son ministère, avait mis ce motto avec ses armes sur sa voiture : " Tout vient à point qui peut attendre. " Il avait raison.

Midi
Pouvez-vous me dire combien de temps nous devons porter le deuil du Roi ? Je vois qu'à Bruxelles on l’a pris pour trois mois, et à Séville pour un an. Peu m'importe à moi qui suis toujours en deuil ; mais je veux qu'autour de moi on soit parfaitement correct, et jusqu'au bout. On dit que la Reine des Belges va un peu mieux. Dieu le veuille. Il paraît qu'en tout cas la Reine a retardé son voyage à Bruxelles. Je n'ai point cru à la retraite de M. de Meyendorff. Mais je suis bien aise d'être sûr. Adieu, Adieu.
Merci de vos soins pour ma lettre en Angleterre. Que ne vous assurez-vous d'avance rue Chauchat, une place dans une petite tribune, hors des grands courants d’air ? Je crois que cela se peut. Adieu G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer dimanche 15 sept 1850

Je suis frappé de ce que vous me dîtes de l’intimité de Changarnier et de Lamoricière. Cela coïncide avec ce qui m'est revenu d'ailleurs, ces jours-ci. Lamoricière dans des conversations intimes, s’est déclaré inconciliable, absolument inconciliable avec les rouges et l'Empire, ou toute combinaison bonapartiste analogue à l'Empire ; du reste prêt à accepter toute autre solution, l'une ou l'autre des deux branches, n'importe laquelle, ou mieux encore toutes deux ensemble ceci dans l’hypothèse où la république régulière ne pourrait pas durer, ce qu’il ne regarde point comme sûr, mais comme très possible. Je vous donne ces ouï dire pour ce qu'ils valent ; ils viennent de bon lieu. Ils peuvent être vrais aujourd’hui et point demain ; Lamoricière est si mobile ?
Les nouvelles de Bruxelles m'affligent beaucoup. La Reine, toute cette famille royale quittant le cercueil du Roi et traversant la mer pour venir s'asseoir auprès du lit de mort de leur fille, de leur sœur ! Quelle épreuve ! quel spectacle ! Les douleurs s’appellent et s'attirent. Je ne sais rien que par les journaux ; mais j’ai le cœur serré à l'idée de ce deuil sur deuil pour la Reine dont la personne, et le cœur, semblaient ne laisser plus de place à un deuil nouveau. Je voulais écrire ces jours-ci à la Reine et à M. le Duc de Nemours. Je n'ose pas. J’attends.
J'espère que vous me donnerez aujourd’hui d'un peu meilleures nouvelles de votre rhume. Décidément enrhumée ou non, et encore plus enrhumée, je vous aime mieux à Paris qu'ailleurs. Vous y avez à la fois plus de repos et plus de mouvement. Je compare ce que vous voyez là, avec votre solitude de Schlangenbad. Et pour avoir cela vous n'avez d'autre peine à prendre que de ne pas sortir de chez vous.
Je suis curieux de ce que vous me direz sur M. de Meyendorff. La nouvelle de Berlin est répétée dans tous les journaux. Je ne puis croire à cette retraite, et encore moins au motif. Mad. Swebach (est-ce bien son nom ? ) doit savoir le vrai. Midi Je regrette de n'avoir pas vu l'article du Times, sur Salvandy. Je suis frappé de la réserve des journaux de toute opinion sur ce sujet. Ils sentent tous que c’est sérieux, et ne veulent ni s’engager ni se compromettre. Je vois ce matin un article du Siècle qui pose, entre la Monarchie et la République, je ne sais combien de questions pleines d'embarras et qui admettent les réponses contraires.
Je suis bien aise d'avoir valu à Constantin les remerciements qu’il a reçus. Vous savez que je lui ai trouvé, sous sa tranquillité modeste et un peu stérile, l’esprit plus ouvert et plus sérieux que je ne supposais. Adieu, adieu. Vous aurez reçu ce matin une réponse sur Fleischmann. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 29 août 1850

On a beau dire qu’on s'attend à la mort de quelqu'un. La mort est quelque chose de si grand qu’elle frappe toujours comme un coup imprévu.
Je lisais, il y a quelques semaines à mes enfants un sermon de Bossuet, prêché devant Louis XIV, et qui dit : " C’est une étrange faiblesse de l’esprit humain que jamais la mort ne lui soit présente, quoiqu’elle se mette en vue de tous côtés et en mille formes diverses. On n'entend dans les funérailles que des paroles d'étonnement de ce que ce mortel est mort. Chacun rappelle en son souvenir depuis quel temps il lui à parlé, et de quoi le défunt l’a entretenu ; et tout d’un coup, il est mort ! Voilà dit-on ce que c’est que l'homme. Et celui qui le dit, c’est un homme ; et cet homme ne s'applique rien, oublieux de sa destinée ; ou s'il passe dans son esprit quelque désir volage de s'y préparer, il dissipe bientôt les noires idées ; et je puis dire que les mortels n’ont pas moins de soin d'ensevelir les pensées de la mort que d’enterrer les morts mêmes. " Ce sont de bien belles paroles et bien vraies.
Que feront la Reine et ses enfants ? Je persiste à penser que le parti digne est de laisser le corps du Roi à Claremont, toujours le centre et le lieu de la famille royale, jusqu'à ce qu'elle puisse le ramener à Dreux, comme il y doit être ramené, sans désordre et sans indifférence. Aujourd’hui, il y aurait l'un ou l'autre spectacle. Et toujours quelques uns des Princes à Claremont pendant que les autres voyageraient à leur gré. C’est la conduite que nous avons indiquée à St Léonard le Duc de Broglie et moi. Je viens de lui écrire pour lui demander, s’il est toujours du même avis. Que de sottises seront dites d’ici à huit jours sur ce grand mort ! Sottises de haine et sottises de bêtise.
En France et aussi en Angleterre. J'espère qu’il y aura aussi des paroles convenables. Il y a droit, et il peut supporter la vérité. J’espère aussi avoir enfin des lettres de vous. Le silence dans l'absence est insupportable.

Dix heures
Voilà vos deux lettres. J'ai vraiment envie, pour vous, que vous puissiez aller à Bade. Vous y passeriez huit jours agréablement. Qu'avez-vous besoin du Duc de Noailles ? Plaisir, je comprends, mais besoin, non. Kolb suffit pour la sureté.. Les Débats sont très convenables sur le Roi. Les paroles sont justes et le sentiment vrai. Le Constitutionnel très inconvenant. Sec et petit. On dirait qu’il parle pour sa propre justification. Quand viendra le moment où la vérité pourra être dite ? Jamais peut-être de mon vivant. Adieu, adieu.
Vous ne me dites pas de ne plus vous écrire à Schlangenbad. Je continue donc. Je serai bien aise quand je vous en saurai dehors. Votre ennui me déplaît et le froid m'inquiète. Adieu, adieu.
Prendra-t-on à Wiesbaden le deuil du Roi ? Ce serait de bien bonne paroles convenables. Il y a droit, et il peut politique comme de bien bon goût.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 28 août 1850
7 heures

Je n'ai pas trouvé de lettre ici hier en arrivant. Je compte bien en avoir une ou deux ce matin. Les journaux que j’ai trouvés ne m’en disent guère plus que les lettres qui m’ont manqué.
Je ne regarde plus au voyage du président. C’est une tentative avortée. Il en sera de même des Conseils généraux. Le ministre de l'intérieur les pousse à demander la révision de la constitution et la prolon gation des pouvoirs du Président ; mais il parle timidement, indirectement, en solliciteur non en ministre. La plupart des Conseils généraux ne diront rien. Ce que diront ceux qui diront quelque chose ne sera rien. Tout tourne au statu quo. Il me revient que le nom du Prince de Joinville commence à courir dans les campagnes. Si on arrive à l'élection sans avoir rien fait, cette candidature là pourrait bien devenir tout-à-coup puissante. Ce pays-ci épuisera toutes ses cartes avant d’en finir. J'ai vidé mon sac dans lequel, il n'y avait rien.

9 heures
Point de lettre, et la mort du Roi. Voici dans quels termes, Dumas me l'écrit : " J'ai la douleur de vous annoncer la mort du Roi. La Reine me charge de vous faire cette communication et de vous exprimer son regret de ne pouvoir, dans ces premiers moments répondre elle-même à votre dernière lettre. Le roi a rendu le dernier soupir ce matin, à 8 heures, entouré de tous les siens après une agonie calme durant laquelle il a conservé toutes les facultés intellectuelles, toute la force et toute la dignité morales dont la Providence l’avait doué. Il a fini comme il avait vécu avec fermeté, avec résignation, avec bonté, avec simplicité. Il ne s'est pas démenti un seul instant depuis le moment où hier matin, l’avis solennel de sa fin prochaine lui a été donné, par la volonté et en présence de la Reine, qui ne l'a pas quitté un instant, et qui a été sublime de dévouement pendant et après la mort du Roi comme durant leur vie commune. "
“ J'écris à l’instant à Mad. de Witt pour lui dire tout le regret qu'éprouve la Reine de ne pouvoir la recevoir après-demain comme S. M. en avait le désir. "
" Les mêmes sentiments de douleur, de regret & d’union animent tous les Princes et les Princesses de qui j'ai l’honneur d'être l'organe, vis-à-vis de vous. "

J’ai plusieurs lettres de Paris. Dumon me dit : " Le Roi a dicté à la Reine divers écrits qu’il a signés. " Et Génie : " On dit qu'il a dicté l'expression de ses désirs, et de son opinion. " C'est un événement pour tout le monde. C'en est un pour moi. Il a tenu une grande place dans ma vie, et mon nom est fort lié au sien. A tout prendre, le monde à vu bien peu d'aussi bons rois. Il a donné à la France 18 années du gouvernement le plus juste, le plus sensé, le plus libre, et le plus bienveillant qu’elle ait jamais connu et que probablement elle soit jamais destinée à connaître. Adieu, adieu.
J’ai bien des lettres à écrire aujourd’hui. Je compte demain sur les vôtres. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville. Dimanche 18 août 1850

Vous avez dû bien rire, en effet, vous et le duc de Parme, au moment et après. Vous avez du bonheur, dans vos aventures. C'est juste.
Je dîne aujourd’hui chez Madame de Boigne. Je la divertirai, elle et le Chancelier de votre récit. Il ne se passe rien de si amusant à Trouville. J’ai été hier passer trois quarts d'heure au salon, pour un concert de charité. Un chanteur célèbre, dit-on, et dont je ne savais pas le nom a chanté, pour me faire plaisir le non pui andrai de Mozart, et quelques boléros espagnols. Il s’appelle M. Geraldy. Pas plus de personnes de connaissance qu’il y a huit jours. Beaucoup de gens évidemment riches et fort en train de vivre. Une société inconnue pullule autour de nous. Peu spirituelle, peu honnête, peu fière mais puissante par le nombre et le mouvement. Que d'efforts, et de mal et de temps il faudra pour la faire rentrer dans les bonnes règles, si elle y rentre ! Quelle produise du moins ses propres chefs, des hommes à elle, capables de la conduire. Jusqu'ici elle est aussi stérile que forte.
Le voyage du Président tourne à un assez grand effet. On m’a toujours dit que Lyon serait le lieu de son plus brillant triomphe, malgré les efforts contraires. Je ne vois encore de clair que ce résultat ci, un coup de fouet donné à tous les partis, un accès de fièvre au milieu de l’apathie générale. Les Conseils généraux, qui vont se réunir dans le feu de ce mouvement en seront peut-être un peu excités. Cependant ce qui me revient de ceux de la Normandie n’annonce pas grande ardeur. Ils se disposent à demander la révision de la constitution, sans s'expliquer sur la prolongation des pouvoirs du Président. Ce n’est pas la peine. Wiesbaden et Lyon en même temps. Si bizarre spectacle !
Une personne d’esprit m'écrit : " Rien n'empêchera que le public ne répète et ne croie que vous avez vu le comte de Chambord. Je sais des gens que cette idée console fort. " Ils sont bien bons. Peu m'importe du reste, J'ai besoin que dix ou douze personnes sachent positivement ce qui en est et elles le savent. Le surplus m'est, et est réellement indifférent.
Voici qui est bien loin de Wiesbaden. Notre consul en Californie homme intelligent, m’écrit de Panama, après avoir traversé les Etats-Unis : " M. Bulwer a gagné beaucoup de terrain à Washington. Avec son esprit et ses bons dîners, il mène le sénat. Il serait difficile de placer maintenant les relations entre la France et les Etats-Unis sur l'ancienne base d’une hostilité commune ou d'une méfiance commune à l'égard de l'Angleterre. Personne en Amérique ne croit à la république française. C'est, aux yeux des démocrates comme des Whigs, une expérience faite et manquée. Les Américains se sont sentis humiliés des hommes qu'on leur a envoyés. "

Midi.
Moi aussi, je suis bien contrarié de votre lit. C’est bien dommage que je ne sois pas là, nous nous soignerions mutuellement, car je ne suis pas non plus tout-à-fait en bon état. L'humidité paraît vouloir cesser ici. Adieu Adieu. Lisez dans la Revue des deux mondes (15 août) un article intéressant sur la première campagne du Maréchal Radetzki Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, jeudi 15 août 1850 8 heures

J’ai passé hier au Val Richer où j’avais des papiers à prendre. Je suis ici jusqu’au 28 ou 30 août. Je serai bien aise d'être rétabli au Val Richer. Quand je ne suis pas avec vous, je ne me trouve bien que chez moi. Je ne suis pourtant pas mal accommodé à Trouville. J’ai un assez bon cabinet, et une petite chambre où presque rien, ne me manque du comfort devenu presque nécessaire. C’est beaucoup à Trouville, encombré de monde et dans une maison que mes enfants et leurs deux familles remplissent jusqu'au toit.
Bien peu de monde du reste qui vous convînt. Toujours le chancelier et Mad. de Boigne Dumon qui m'attendait et que j'ai vu hier mais qui va repartir Quelques Delessert que vous ne connaissez pas. Hors de là personne de notre société et même à ce que disent mes enfants, un peu de mauvaise compagnie. Dumon ne m’a rien appris. Il venait de lire une lettre de M. Molé, triste et découragé. Triste pour lui-même ; il s’aperçoit de son peu d'influence. Son été de la Saint Martin est passé. Personne ne fait plus guère attention à ce qu’il dit et à ce qu’il fait. Sans parler de ses peines de coeur dont il ne parme qu'à Mad. Kalerdgi et dont il ne lui parle même plus. Je doute de cela. Je parierais qu’il y est retourné. Il est en fait de fierté comme pour tout le reste, tout apparence, rien au fond. Le Duc de Broglie toujours aussi noir et sans avenir que jamais. Changarnier de mauvaise humeur et impatient. Un homme d’action qui ne fait rien, c’est une situation difficile à prolonger. Il est d’une commission de l'assemblée qui prépare une loi bonne, dit-on, sur le recrutement et l’organisation de l’armée. Lamoricière qui en est aussi y fait meilleure mine et y a plus d'influence que lui. Lamoricière a des idées à tort et à travers, et parle bien. Changarnier se déplait là. Ceci inquiète quelques personnes. Je vous ai redit tout Dumon. Je vous quitte pour aller faire ma toilette. La poste arrive ici à 10 heures et part à 2 heures. C'est mieux arrangé qu’à Ems.

Midi
Je reçois votre dernière lettre d’Ems et la première de Schlangenbad. Si Schlangenbad vous engraisse c'est bien ; mais je crains pour vous cette complète solitude. La Princesse de Prusse aurait mieux fait de rester. Si vous retournez à Ems comme vous en aviez le projet, pour voir la grande Duchesse, soyez assez bonne pour m'acheter deux garnitures de boutons de gilet, en pierres du Rhin, comme celle que vous m'avez choisie pour Guillaume. Huit boutons pour chaque garniture ; cela coûte 8 francs. C’est pour mes deux gendres. Les cailloux du Rhin ont été trouvés très jolis.
Le Journal des Débats donne bien des pièces de votre cour. Il les tient de la bonne source. Je suis bien aise que tous ces documents soient publiés. Il vous font honneur. Les pièces venues de Pétersbourg sont mieux rédigées que celles de Brünnow. Adieu. Adieu. Je regarde un peu à ces récits du voyage, du Président. Je vous en dirai mon impression. Adieu adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 23 Juillet 1850

Si je me guérissait de mes passions, les Assemblées, ne seraient pas la seule dont j’aurais à me guérir. J’aime mieux rester comme je suis. A tout prendre en France du moins, et depuis 1814, les Assemblées ont empêché plus de mal qu'elles n’en ont fait. Sans elles en 1830, et en 1848, le démon révolutionnaire aurait triomphé. Elles l'avaient bien un peu encouragé ; mais elles le lui ont fait bien payer après. Je viens de parcourir tous mes journaux. Je n’y trouve rien. La nomination de la commission permanente sera le dernier acte. Et puis nous serons trois mois sans assemblée. Je souhaite de tout mon cœur que nous soyons mieux dans trois mois qu'aujourd’hui. Je suis bien aise que l'article d’Albert de Broglie vous ait plu. Mais maintenez vos critiques. Je les trouve très justes.
L'homme aux mémoires est bien Saint-Simon. Quoiqu'il écrivit encore sous et sur la Régence, c’est le 17ème siècle qu’il raconte le plus. Louis XIV et sa cour. J'en lis tous les soirs 30 ou 40 pages, là et là à mes enfants. Cela les amuse parfaitement. Je n’ai pas lu les Sophismes en frustrade dont vous parle Marion. Si cela en valait la peine, je les ferais demander. J’ai demandé s'il y avait déjà quelque chose d'un peu complet sur Peel. On me répond qu'il y a un livre, publié, il y a deux ou trois ans par un Dr. Cooke Taylor " Sir Robert Peel and his Times." Vous n'avez surement par entendu parler de cela.
J’ai des nouvelles de Ste Aulaire. Il me dit qu’Horace Vernet, raconte que votre Empereur est toujours charmé de la République en France et surtout partisan zélé du général Cavaignac. C'est sa plus grande nouvelle. Vous voyez que je suis à peu près aussi stérile qu'Ems. Adieu. Adieu. Voilà enfin le soleil revenu. La pluie nous a accablés pendant quelques jours. Adieu. G.

Midi
Je rouvre ma lettre. Je viens d'avoir une visite qui me rend ma liberté pour le 6 août. J'irai donc vous voir à présent. Je partirai d’ici samedi prochain 27. Je serai dimanche matin, à Paris. J’en partirai le soir ou lundi matin pour Bruxelles et je serai à Ems mardi soir 30 ou mercredi Il. J’y passerai huit jours avec vous. Il faut que je sois à Paris, dans la journée du 11. Si Aberdeen vient à Ems, tant mieux. Sinon encore tant mieux. Grand plaisir que cette petite course. Adieu, adieu.
Soyez assez bonne pour m’assurer à Ems un petit logement. J’aurai avec moi un domestique, Adieu encore. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Lundi 22 Juillet 1850
6 heures

Décidément, tout calcul fait, je dois recevoir aujourd’hui votre lettre délivrée de mon inquiétude. J’en suis presque aussi impatient que vous l’avez été vous-même.
J'ai reçu hier aussi le petit mot envoyé à Strybes. Je ne sais plus où j’en suis resté avec vous sur sir Robert Peel. J’ai été interrompu un jour où je vous parlais de lui. J’avais mille choses à vous en dire qui me reviendront. Sa grandeur actuelle est très grande. Un doute reste sur sa grandeur future. Si son pays et son gouvernement demeurent intacts, si cette belle organisation sociale se modifie, sans se briser. Peel grandira encore, car il aura eu raison dans ce qu’il a fait ; il aura bien jugé de la portée de ses réformes puisqu'elles n’auront pas ébranlé les fondements de l’édifice, si l’édifice tombe si l'Angleterre aussi entre en révolution, Peel descendra comme son pays car il aura fait ce qu’il ne voulait pas et ses réformes auront commencé les révolutions qu’il se promettait d'écarter. La question est là pour lui. Je ne la préjuge point. Je ne vois pas clair dans cet avenir. A vrai dire j'espère plus que je ne crains. Je crains pourtant. Reeve m'écrit : " Sir R. Peel a laissé des écrits considérables sur l'histoire de son temps et il a nommé Lord Mahon et Cardwell ses exécuteurs littéraires (vous le saviez). Ces écrits doivent être livrés à la publication puisqu'il a déclaré que les profits qu’on en retirerait seraient au bénéfice du Literary Found. Il paraît que, depuis trois ans c'était là sa principale occupation. On sent tous les jours davantage la place immense qu’il remplissait dans ce pays ; mais depuis sa mort les whigs sont devenus sinon plus forts, du moins plus inévitables. Lord Palmerston paraît très disposé à profiter de la dernière leçon qu’il a reçue ; il renonce the Devil and all his works, et jure qu'on ne l'y reprendra plus. Sa conduite dans l'affaire danoise est devenue tout à coup excellente et très ferme. Sans attacher à ces manifestations plus de prix qu'elles ne méritent, il est sage, je crois de les accepter comme si elles étaient les fruits d'une conviction. "
Mêmes nouvelles de Paris. On ne songe plus qu’à s'en aller. On s'en ira du 8 au 10 août. Je suis assez curieux de la commission permanente qui sera nommée aujourd’hui. Piscatory m'a écrit qu'il n’en voulait pas être. Il prévoit qu’elle pourra se trouver, dans une situation embarrassante. Peut-être eût-il eu quelque peine à en être nommé, si la liste que j'ai vue dans mes journaux d’hier, comme arrêtée par la réunion du Conseil d'Etat est authentique, elle est faite en méfiance du Président, et pour le surveiller en effet. Les républicains et les légitimistes y sont nombreux. L'assemblée a certainement perdu dans ces derniers temps. Mais peu importe elle est comme le Président ; ils peuvent perdre impunément l’un et l’autre ; ils sont, l'un et l'autre, le rempart contre l'anarchie, et il n'y a pas de rechange
L'article sur the Austrian révolution dans le Quarterly review est de Reeve. Il mérite que vous le lisiez. Rien de neuf ; mais un bon tableau des faits de Vienne ; clair et d’un bon effet. Je suppose que M. de Metternich en est content. Mais avez-vous à Ems le Quarterly ? [...]

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 17 Juillet 1850
Sept heures

J’ai aussi mes ennuis, que je ne compare pas aux vôtres. Je mène aujourd hui Pauline faire à Lisieux ses visites de noce. J'ai déjà fait cette corvée avec Henriette, heureusement, beaucoup de personnes sont à la campagne.
La loi de la presse est une mauvaise affaire. Je doute qu'elle passe. Au dernier jour, toute la montagne et le tiers parti, qui ont voté pour les amendements, voteront contre la loi, avec tous les mécontents et tous les timides du parti modéré, légitimiste et conservateur. Et si elle passe ce sera encore une mauvaise affaire. L’assemblée se sera brouillée avec la portion bruyante, et parlante de son propre public, avec les gens qui se sont battus pour elle, dans les départements comme à Paris, avec les honnêtes comme avec les malhonnêtes avec les sages comme avec les fous. Cela ne se peut pas. On retrouvera cela au jour des élections. Il faut avoir une armée, et des sous-officiers dans cette armée, et des braves, quelques fois embarrassants et compromettants, parmi ces sous-officiers. Je crains que nos amis les Burgraves n'aient fait là une mauvaise opération, et que cette loi ne coûte beaucoup plus qu’elle ne vaut. A moins qu'elle ne vaille à l'un d'eux les bonnes grâces de Mad. Kalergi. Mais je ne suppose pas ; n’est-elle pas toujours radicale ?
Je trouve que c’est beaucoup d'appeler la mort du Duc de Cambridge une catastrophe. A cela près que celle-là est connue de tout le monde, il n’y a guère de mort plus insignifiante. Comme sa vie. Du reste j'ai été bien aise de voir les témoignages de respect officiel pour son nom et sa veuve, les discours, les adresses du Parlement et du public. Tout respect est bon et devient presque d’autant plus frappant que la personne n’y entre à peu près pour rien.
Peu ou beaucoup, je suis bien aise que vous ayez Constantin et sa femme. Ce sont des soins, si ce n’est pas de la conversation. On me dit, quoiqu’il me dise lui-même le contraire, que Duchâtel n’ira pas en Allemagne. C'est assez pour lui de prendre les eaux de Carlsbad à Paris et il est plus préoccupé de sa propre santé, qui est bonne, que de celle de sa femme qui me paraît, à moi, très inquiétante. J'ai peur qu’il n'aime vraiment que lui-même. Avec sa disposition à s'ennuyer, c'est bien lourd. La préoccupation de soi-même ajoute à l'ennui, bien loin d'en distraire. Savez-vous ce qu’il faut faire pour se désennuyer ? Relire les Mémoires de St Léonard. Moi qui ne m'ennuie pas, je fais cela le soir, et je ne m'en lasse pas. Je conviens qu’il faut avoir des yeux. Comment vont les vôtres ? S'ils vont assez bien, ne me le dites pas par ménagement. Je comprendrai votre silence.
Comment fait-on l'hiver à Ems, dans des maisons sans poêle ni cheminée ? Est-ce que personne ne vit là en hiver ?
Voici une note qui m'est fort recommandée par des gens que je serais bien aise d'obliger. Excusez le constitutionnalisme des deux premiers paragraphes. Je connais le Général Rybinski, brave homme, ce qu’il y a de plus honnête et de plus tranquille dans l'émigration polonaise. Il me semble que l'Empereur, n'est pas mal disposé pour lui et les siens. Il s'agit uniquement d'aider de pauvres jeunes filles à ne pas mourir de faim. Pouvez-vous, quand vous verrez Constantin lui en dire un mot, et pourra-t-il en dire ou en écrire un mot au Maréchal Paskéwitch ?

9 heures
Votre visite au Prince et à la Princesse de Lippe Schaumbourg Bückebourg met le comble à ma compassion. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L013_00199.jpg
Val Richer, Mardi 16 Juillet 1850

Voici, à Paris la disposition d'avant hier, comme me l'écrit un des meilleurs juges : " Tout le monde dort et veut dormir. Les légitimistes seuls se tiennent les yeux ouverts, mais pour faire cent sottises. Ce pauvre Berryer me racontait tout à l'heure ses douleurs. Sa seule ambition, pour le moment, serait de leur rendre l'humeur un peu plus douce pour les personnes, de leur donner un peu de liant de confiance, d'abandon, avec nous autres ; et puis on verrait après. Mais non ; c’est plus fort qu'eux ; ils ont vécu d'absinthe, et ne veulent plus d’autre boisson. Le seul remède, selon Berryer, c’est de se séparer, c’est la prorogation de l'assemblée ; mais en la demandant, il éveille les soupçons. Vous voulez donc nous vendre au Président ? Quelles pauvres gens qui ne peuvent ni faire, ni laisser faire ! Et pourtant qu’y a-t-il de possible sans eux ? " " Thiers est revenu de Lille et de Valenciennes. Il s'est aperçu en chemin de fer que le pays voulait se laisser faire, et il m'a l’air d'avoir envie de faire comme le pays. "
Vous voyez que cela s’accorde avec vos pressentiments. La lettre d'Ellice est curieuse. Il a de l'esprit. Je suis de son avis ; je ne partage pas l’espoir d'Aberdeen que Palmerston, plus puissant au dedans, sera plus prudent au dehors. Palmerston s'est donné aux radicaux et les radicaux à lui. Les radicaux l'ont déjà payé ; il faudra bien qu'il les paye à son tour. Si Kossuth, Mazzini et Ledru Rollin étaient encore en action chez eux, sur le champ de bataille révolutionnaire, je serais très inquiet ; Palmerston les aiderait. Mais ils sont battus, et fugitifs chez lui ; il se contentera de les ménager. Pour le moment cela lui suffit. Faut-il vous renvoyer la lettre d'Ellice ou vous la garder ?
A-t-on à Ems le Quarterly Review ? Lisez, dans le numéro de Juin qui vient de paraître, un grand article, on the austrian revolution. C’est un résumé intéressant. Je suppose que c'est de mon ami le Dr Travers Twiss. Il est allé naguère à Bruxelles. Je vous avais recommandé sa brochure sur les affaires de Hongrie. L’avez-vous lue ?
L'article d'Albert de Broglie sur M. de Châteaubriand met en grande colère les débris de la coterie de Mad. Récamier. Ils s'indignent qu'on touche à leur idéal. Il faut être jeune pour être idole. M. de Chateaubriand ne se consolait pas de vieillir. Il avait raison.

9 heures
Certainement, je vous plains, et vraiment il y a de quoi avoir froid toute seule, c’est très triste. Prenez Ems en horreur tant que vous voudrez, mais non pas vous-même, je ne vois pas le lien nécessaire de ces deux haines. Dites-moi au moins si les eaux que vous buvez vous font du bien. Quelle est la nature de ces eaux là, ferrugineuses sulfureuses, gazeuses, alcalines, salines ? Comment s’appelle le médecin des eaux ? Quand vous êtes quelque part, j’ai envie de savoir tout ce qui y est.
Ma lettre à l’Institut réussit très bien, la démarche et la lettre. Que je fais bien de me tenir en dehors de tout ! Certainement Lady Alice, vous a écrit. Sa lettre aura été retenue quelque part. J’ai reçu d'elle une réponse très amicale. Ma lettre lui avait fait plaisir. Adieu, adieu. Je voudrais vous envoyer de quoi remplir votre journée de quoi échauffer votre chambre. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 9 Juillet 1850
5 heures

Je partirai demain de bonne heure pour Trouville. Pas avant la poste pourtant ; je veux avoir ma lettre. Mais je n'aurai guère le temps d’écrire. J'écris donc aujourd'hui. Je me suis beaucoup promené ce matin. Mon mal de tête est à peu près dissipé. Mais je n’ai pas plus de nouvelles à vous mander.
Avez-vous remarqué la lettre de Vienne dans le Journal des Débats d’hier lundi ? Je ne veux pas croire que l' ouvrage d’un port à l'embouchure du Danube puisse être entre vous et l’Autriche, une affaire sérieuse. Voulez-vous réellement que l’Allemagne se réorganise et se raffermisse ? Ou ne seriez-vous pas fâchés que son état d’anarchie et d'impuissance se prolongent ? Ce serait de là bien petite politique. Les plus grands s’y laissent quelquefois aller.
M. de Meyendorff va-t-il, ou non à Vienne ? Je le voudrais partout, tout son esprit me paraît bon. L'affaire danoise n'existe-t-elle vraiment plus qu'entre le Danemark et les Duchés ? Si la Prusse en est réellement sortie, il est impossible qu’elle ne finisse pas bientôt. Vous voyez qu'aux nouvelles je substitue les questions. Vous reviendrez d'Ems bien forte sur les affaires allemandes. Vous avez beau être Allemande et Russe ; ce ne sont pas ces affaires là qui vous intéressent le plus. Quand la France ou l’Angleterre ne sont pas en scène vous êtes bien tentée de vous endormir, soyez tranquille ; la France et l'Angleterre ne sont pas près de vous laisser dormir. Dalmatie, St Aignan et Mornay, qui reviennent de St. Léonard ont trouvé la Duchesse d'Orléans moins crispée, et plus abordable.

Mercredi 10, 8 heures
Pas de lettre encore aujourd’hui. C’est trop fort. Je m'en prends à la police allemande, nassauvienne, prussienne, n'importe laquelle. Je ne veux pas croire à quelque accident. Mais je suis très impatient, pour ne pas dire mieux. Adieu, Adieu. Je reviendrai ici ce soir attendre la poste de demain.
Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Dimanche 7 Juillet 1850
Six heures

Je me lève de bonne heure quoique je n'aie point à partir. Je me couche aussi de bonne heure, à 10 heures au plus tard. Je m’en trouve bien et comme santé et comme travail. J'écris et je fais mes affaires en me levant jusqu'à 11 heures. Dans le cours de la journée, je me promène beaucoup. Je vois peu de monde. Ce n'est pas, comme l'été dernier, un flux continu de visites de toutes parts, par amitié, par convenance, par curiosité. Il est impossible de mener une vie plus tranquille et plus régulière que la mienne. Mes enfants sont pleins d'affection et de soin. Je me passe très bien du mouvement extérieur qui me manque. Mais je ne me passe point de l’intimité intérieure. C'est là le vide.
Une chose me frappe dans les lettres de Paris dont je vous ai envoyé hier le résumé, et aussi dans les conversations que j'entends. Quoique personne ne devienne ni républicain, ni présidentiel, cependant la République et le président gagnent. Les légitimistes déplaisent de plus en plus. La monarchie sans les légitimistes paraît de plus en plus impossible. Point d'avenir donc hors de ce qui est; et qui n’a pas d'avenir non plus, mais qui est et que personne n'entreprend sérieusement de renverser n'étant pas sûr de le renverser à son profit. C’est un arbre qui ne grandit pas, qui ne s'enracine pas, qui ne pousse ni sur terre ni sous terre, mais qui reste debout. A quel point la nécessité, et l'habitude sont-elles suffisantes pour fonder un gouvernement ; voilà la question qui est en train de se résoudre. Je ne crois pas qu'elles soient suffisantes pour fonder, mais elles le sont, à coup sûr, pour faire durer longtemps. J’ai écrit cela hier à S Léonard avec détail, à la Reine. Mes nouvelles du Roi continuent d’être bonnes.

10 heures
Pas de lettre aujourd'hui. Cela ne m'étonne pas. Vous serez arrivée avant hier à Ems trop tard pour la poste. Je vois dans les journaux une crue subite du Rhin qui me déplaît. Vous avez dû aller de Cologne à Ems par le Rhin. J'espère que vous n'aurez eu ni sujet, ni seulement prétexte d'avoir peur. II ne me vient rien du tout de Paris ce matin. Je trouve que le ministère à l’air bien étourdi et bien impuissant. La loi sur la presse que tout le monde repousse, sa loi sur les maires qu’il voudrait et n'ose remettre à flot. Il semble que les esprits soient à bout comme les forces, et qu’on ne sache plus rien inventer qu'on puisse mener à bien. Adieu, Adieu. Vous me direz comment vous êtes établie à Ems. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 3 Juillet 1850

Je n'aurai donc pas de lettre ce matin. Je me trompe ; j'espère que vous m'aurez écrit quelques mots hier avant de partir. C’est demain que je n'aurai pas de lettre. Demain sera bien ennuyeux.
Je regrette de ne pas vous montrer une longue lettre que je viens d'écrire à ceux de mes amis de l'Institut qui voulaient me nommer l’un des trois membres qu’il doit envoyer au conseil supérieur de l’instruction publique. Je décline cet honneur. Je crois la lettre bonne et convenable pour moi. Il m’a convenu qu'on voulût me nommer, et qu'on le témoignât. Il ne me convient pas d'être nommé. Quoique vous n'entendiez pas grand chose à ces affaires là, vous avez tant entendu parler de cette loi et de son importance que vous seriez bon juge de ma résolution et de mon langage. Voici l'avant dernier paragraphe de ma lettre celui qui m’est tout à fait personnel : " Vous le voyez, mon cher ami ; je suis bien loin de la loi nouvelle. Comme mesure de transition, il se peut qu’elle soit utile, peut-être même qu’elle fût nécessaire ; elle n'atteindra, je crois, d’une façon durable, ni le but général d'éducation, ni le but spécial de pacification qu’elle se propose. Je serais donc bien peu propre à concourir à son exécution. Plus je considère ce qui m'entoure, plus toute situation fausse m’est antipathique. Rien ne ressemble plus à une situation fausse que de mettre la main à une œuvre au mérite et au succès de laquelle on ne croit point. C'est un grand bonheur, quelque chèrement qu’il soit acheté, que de pouvoir rester, non seulement par ses actions, mais aussi par les apparences, dans la vérité de ce qu'on pense et de ce qu'on veut. Je ne me sens pas disposé à y renoncer. " Je serais bien trompé, si ma lettre n’était pas approuvée. Elle finira peut-être par devenir publique ; mais non pas d'abord ; il faut qu’elle circule manuscrite parmi les membres de l'Institut, et pour eux seuls.

Midi
Pas de lettre de vous et l'accident de Sir Robert Peel à la place. J’en suis vraiment très fâché. Je déteste de voir disparaître les grandes figures. J’espère bien qu’il guérira. Je n’ai pas un mot de Paris. Hors de Paris, lisez toujours la Patrie. C'est le journal le plus franc. Il vient de mettre sur le tapis la fusion des deux branches, ou la prolongation des pouvoirs du Président avec une hardiesse, qui n'a rien de révolutionnaire et qui fait faire un pas aux questions. Adieu, Adieu.
Je n'aurai qu'après demain la lettre que vous m'écrivez aujourd’hui de Bruxelles. C'est bien long. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville lundi 24 juin 1850

Je pars tout à l'heure ; mais je crains de trouver le facteur parti quand j’arriverai au Val-Richer. Deux lignes donc d’ici. Pour ne vous rien dire du tout, car je n’ai pas entendu depuis deux jours une parole à redire ; quoique j'aie vu deux fois hier Mad. de Boigne. Bien fusionniste, pourvu que la fusion ne soit pas une cause de secousses, car le repos avant tout. Je trouve dans le journal l'Opinion publique que mon gendre reçoit une lettre de Claremont. empruntée à l'Univers, qui est assez piquante sur Thiers. Faites vous lire cela. C'est curieux comme la vérité perce vite, confusément, mêlée de mensonge ; mais elle perce. Ce temps-ci est fait pour le malheur des finesses et des situations doubles. La finesse n'est plus possible qu'aux esprits assez grands pour savoir s’en passer. Adieu, Adieu. Je rentrerai aujourd’hui en possession de notre correspon dance. Quel dommage que vous n’ayez pas été à Trouville hier et aujourd’hui ! Ciel et temps et mer sont charmants. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer Vendredi 7 Juin 1850
7 heures

Je trouve les journaux timides sur la dotation du Président, timides à la défense et timides à l'attaque. Il aura son argent, mais il le payera cher. Ce serait trop cher s’il était roi, ou destiné à le devenir. Un pouvoir temporaire peut risquer cela, le risque lui vaut mieux que de n'avoir pas le sou tant qu’il dure et d'être en banqueroute quand il s'en va. L’Ordre le journal d'Odilon Barrot, est bien vif contre. Il y a là des rancunes qui se donneront libre carrière toutes les fois que le Président leur en fournira l'occasion.
C'est ce soir le débat à la Chambre des Lords. La motion de Lord Stanley est bien rédigée, modérée et incisive. Mais je suis de l’avis d'Ellice ; je doute que Stanley et Aberdeen soient in earnest. Ils n’oseront pas se charger du gouvernement ; et les Whigs jouent évidemment le jeu de leur en imposer le fardeau pour les effrayer du succès. Ils déclineront, sous main, le succès. Ce sera grand dommage. Je suis convaincu qu’un grand Ministre conservateur, aurait aujourd’hui en Angleterre une admirable chance, et ferait jouer à l'Angleterre un rôle admirable en Europe. Ce ne serait plus le Torysme de M. Pitt et de Lord Castlereagh, un Torysme agressif et belligérant ; mais un Torysme grave et mesuré pratiquant pacifiquement la bonne politique, blâmant hautement la politique révolutionnaire et lui retirant partout tout appui, un Torysme de principes de langage, et d’attitude, puissant par l'autorité plus que par les coups. Il n'en faudrait pas davantage au point où en est aujourd’hui l’Europe, pour la faire rentrer dans la bonne voie. Les difficultés intérieures seraient plus grandes pour un cabinet Tory ; pourtant je les crois, surmontables. Rien ne me déplaît davantage que les honnêtes gens manquant à faire le bien ; bien plus que les coquins faisant le mal. C'est pourtant ce qui arrivera à Londres.

10 heures
Vous avez raison de prédire à Piscatory qu’il voterait les 3 millions. Bien d'autres en feront autant. Et ils voteront bien autre chose. Je suis très curieux de Varsovie. Je vois dans un journal que l'Empereur d’Autriche est parti pour y aller. Est-ce vrai ? Certainement le rôle Russe entre Berlin et Vienne est difficile. Prusse et Autriche prétendent l’une et l'autre à des choses fort nouvelles et qui dénaturent fort la confédération germanique. En tout, le monde est en train de vouloir du nouveau, et rien n'est plus difficile que de démêler, le bon dans le nouveau. Je suis charmé de votre nouvelle que rien n'est fini avec Lord Palmerston. Bon article dans les Débats d’hier. Mais je n'ai pas confiance dans Londres. Il n'y a point de prudence égale à la prudence anglaise.
Pas de réponse encore sur ce que j'ai écrit à propos des voyages à St Léonard. Adieu. Adieu. Hubner doit être bien content de vous avoir à dîner. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, jeudi 6 juin 1850
7 heures

Deux choses me frappent dans les conversations et les journaux de province : le travail assez actif qui se poursuit pour rallier et échauffer le parti modéré au nom de sa récente victoire dans l'assemblée ; l'ardeur de la portion intrigante du parti légitimiste à accueillir et à propager les idées de la gazette de France et de M. de la Rochejacquelein. Le parti modéré a vraiment le sentiment de la victoire. La guerre légitimiste s'agite avec l’aveugle impatience d’enfants mal élevés qui se croient près de mettre la main sur l'objet de leurs désirs. Jamais peut-être le parti modéré n'a été plus disposé à s'organiser politiquement, et jamais le progrès qu’ont fait les théories et les habitudes anarchiques dans le parti légitimiste lui-même n’a été plus évident. Il faut absolument que cette queue là soit coupée et rejetée parmi ces débris de toutes nos révolutions qui feront longtemps encore une opposition absolue et absurde à tout gouvernement. Le vrai et complet parti modéré, ne s'organisera qu'à cette condition, et en luttant contre cette queue là comme contre toutes les autres.

9 heures
Voilà les journaux et votre lettre. Je comprends l'émotion ; mais convenez qu'elle est bien ridicule. Il faut choisir ; veut-on, avoir un président de la république comme on en a un aux Etats-Unis, ne voyant personne, ne donnant un verre d'eau à personne, faisant tout simplement les affaires du pays sans aucun lien ni rapport avec la société du pays ? Cela se peut ; cela ne va pas mal aux Etats- Unis. Mais si cela convient à la France et à l'Assemblée nationale, il faut le dire tout haut, et non seulement permettre, mais prescrire au Président cette façon de vivre. Je dis prescrire car il y a en France, sur ce point des habitudes, des traditions des siècles d’habitudes et de traditions à abolir. Ce n'est pas trop d’une loi formelle pour les abolir et introduire un régime nouveau. Si on ne veut pas de cette abolition, si on ne la croit pas possible, si le président. doit être un personnage non seulement politique, mais sociable, si la République française entend conserver un peu la physionomie de la France, France de l'ancien régime, France de l'Empire, France de la Restauration, France de la Monarchie de Juillet, il faut absolument donner au président ce qu’il lui faut absolument pour jouer ce rôle-là. Je ne connais rien de plus honteux et de plus odieux que cette double prétention d'avoir un Président qui dépense, et de ne pas payer ce qu’il dépense, ce double parti pris des fêtes, et de la banqueroute, des charités et de la banqueroute. Et quand cette situation éclate, on se récrie ou s'indigne : on dit : " Ne nous parlez pas de cela. ". Si j'étais le président, je n’en parlerais peut-être pas ; mais je publierais toutes les semaines, dans le Moniteur, les comptes de ma maison, de toutes les dépenses de ma maison, et je laisserais au public à juger, si c'est moi qui suis le banqueroutier. Sur cette misérable question domestique comme sur les grandes questions politiques le pays-ci ne sera pas gouvernable tant qu'on ne l'obligera pas à voir les choses comme elles sont, et à entendre toute la vérité.
Si l'affaire grecque n'est pas tout-à-fait arrangée et conclue, Normanby en familiarité publique avec le président est quelque chose de plus que du mauvais gout ; c'est de l’insolence. Adieu. Adieu.
Je suis bien impatient des réponses que j’attends sur le véritable état de St Léonard. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 12 Nov. 1849
8 heures

Nous voilà dans la bonne semaine. Qu'il y a de temps que nous n'avons causé. Nous aurons beau faire. nous ne retrouverons pas tout ce que nous nous serions dit. Ce qui me revient de Paris (non par mes amis, mais par des personnes du gros public) est favorable à la perspective de l'Empire. Non par goût, mais parce que " on a soif de silence et d'autorité. " Ce court résumé me paraît bon. On ajoute qu’on ne croit nullement à du trouble dans la rue. Dans le pays que j'habite, grande insouciance sur cet avenir-là. Peu d’espérance, et point de crainte. J’ai trouvé hier le manifeste de M. Carlier dans mon Galignani. On aura voulu l'afficher dans Paris avant de le mettre au Moniteur. Le ton en est ferme et la suppression des termes sacramentels est assez frappante. J'admire de quoi on est réduit à être frappé. Si l'Empire fait, ou si, pour faire l'Empire, on fait la loi sur les gardes nationales dont le Prince Paul vous a parlé, cela seul vaut la peine de courir l'aventure. Mais je doute qu'on ose cela du moins aujourd’hui. Je suis assez curieux du Ministre des Affaires étrangères. Tenez pour certain que si c’est le Prince de la Moskowa, c'est très dangereux. Tout autre est préférable. Je serai charmé d'entendre le discours du Duc de Noailles. Seul d’abord, et puis à l'Académie. J’ai quelque peine à me figurer l'académie et tous les passetemps, littéraires ou autres de Paris. J’ai pris depuis si longtemps l'habitude de ne voir, dans Paris que l’une de ces deux choses, gouvernement ou révolution, qu'il me faut un effort pour y voir autre chose. Je ne me propose pas du reste de prendre grande part à ce qui s’y voit. Il me convient de porter le deuil et j'en profiterai. Mon penchant, et pas de voiture, et l’hiver, ce sont de bonnes raisons pour courir très peu. On m’écrit que ma petite maison est bien arrangée, et sera agréable à habiter. Vous devez bien jouir de votre appartement par ce charmant temps que nous avons depuis huit jours.

Onze heures et demie
Rien à ajouter. Et probablement pas grand'chose à dire d’ici à trois jours. Adieu, adieu. Adieu. Et encore. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, 9 novembre 1849
7 heures

Je vous ai dit hier tout de suite que mes lettres m’engageaient plutôt à revenir bientôt. Je suis charmé que Sainte-Aulaire et le duc de Noailles soit de cet avis, vers la fin de la semaine prochaine, nous serons réunis. Je ne puis fixer encore un jour précis. Je vous répète ce que je vous ai déjà dit hier, pour le plaisir de me le redire à moi-même. Ceux qui m’écrivent croient à une halle dans la station actuelle. Et ils la désirent. Personne n’a envie de fondre la cloche. Le Président est évidemment le plus décidé. C’est sa force. Voici ce qu’on me dit de Thiers, de visu (vous savez ce latin là) : " Très inquiet et très perplexe. Il prétend que, si le Président. veut tenter un coup d’Etat, l’assemblée résistera, et aura l’armée pour la défendre. Cela paraît fort douteux. Et d'ailleurs que ferait l'assemblée de sa victoire ? Au fond M. Thiers commence à avoir le sentiment de son impuissance, et il en est très humilié. Pour l'avenir, il en est toujours au même point. Il ne se dissimule aucune des difficultés de la régence ; mais il ne veut que cela. Il paraît plus décidé que jamais contre la fusion, et ce qu’on appelle la conciliation des deux branches. " On tient le refus de Rayneval pour certain et on parle de Lagrené. Je suis bien aise que vous ayez fait connaissance avec le général Changarnier. Vos nouvelles d’Espagne me déplaisent bien. Elles sont de bonne source. Tout est possible là, et la mauvaise santé de Narvaez peut lui ôter de l’entrain. Je ne sais si je vous ai dit que j’ai été frappé du ton, non pas découragé mais un peu abattu de la lettre que j’ai reçue de lui il y a quelques semaines. Si la petite Reine prend le mors aux dents, Dieu sait où elle ira. Savez-vous ce que prouve (si le fait est vrai) le retour de la presse Anglaise à Lord Palmerston ? Qu'on le sait aux prises, et seul aux prises avec vous. Je vous ai envoyé un extrait d’une lettre remarquable de Londres, où l’on me disait que l’incident Turc avait montré combien peu de fond il fallait faire sur le concours de la république française. Le public anglais, et la presse anglaise. la grande, soutiendront toujours un ministre engagé ; et engagé seul, dans une telle lutte. Ils le soutiendront sans crainte, car évidemment la guerre n’est pas au bout de cette lutte-là. Mais c'est une question d'influence, de dignité. On ne livrera pas Palmerston sur une telle question. On l’appuiera. Et au fond d'ailleurs, dés que cela devient un peu sérieux, l’Angle terre est infiniment moins russe que la France. Je dis l'Angleterre, le public anglais. M. Jaubert est donc redevenu votre voisin. Faîtes lui, je vous en prie, mes amitiés quand vous le verrez. Il n'y a pas un homme plus sincère, plus honnête, ni plus courageux. Je le pensais quand nous étions brouillés comme quand nous étions amis. Et j'ai toujours trouvé absurde que nous fussions brouillés. Il y a quelques personnes avec qui je serai charmé de n'être plus officiellement. brouillé. Madame de la Redorte par exemple. Je prenais plaisir à causer avec elle pour la contredire. J’espère qu’à présent, nous serons souvent du même avis.

Onze heures et demie
Merci, merci, Tout ce que je reçois me confirme dans mes projets. Adieu, adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Dimanche 7 oct. 1849
Cinq heures

Je viens d'écrire à M. Gréterin. Vous reviendrez donc bientôt. Quel bonheur de vous ravoir en France, de ce côté-ci du Canal ! Vous y resterez tranquillement. Pas de guerre et pas d'émeute. Mon optimisme naturel, et que je retrouve bien de temps en temps, m'inspire cependant, moins de défiance parce que je n'espère pas grand-chose. Ce ne sont pas les perspectives brillantes qui me cachent les sombres. Un repos bas et précaire, voilà l'avenir que j’attends. Pour longtemps. Je sais qu'à la rue St Florentin vous vous en contenterez.
Je suis bien fâché du bien mauvais article des Débats de ce matin sur l'Empereur à propos de Constantinople. Les journalistes ne se refusent jamais le plaisir des moqueries, et des bravades, quel qu’en soit l’inconvénient. C’est pitoyable et déplorable. Il était si facile de parler de cela convenablement et avec des paroles encourageantes au lieu de paroles blessantes ! Où ont-ils pris celles qu'ils attribuent à l'Empereur ? Mais tout cela donne bien lieu de penser que l'affaire n’ira pas loin.
Ce que Lord John vous écrit est très sensé. A moins qu’il n’y ait l’arrière pensée dont je vous ai parlé, c'est une grosse faute. Et la faute est grosse même avec l’arrière-pensée, car elle change (je reviens à mon expression) le courant de l'opinion Européenne sans motif et sans profit suffisant. Encore un exemple du peu d'esprit des poltrons même gens d’esprit ; le douaire de Mad. la Duchesse d'Orléans. Passy et Dupin ont espéré escamoter l'affaire en la faisant très petite et la fourrant parmi d'autres. Ils se sont attiré un échec qui est un désagrément pour Mad. la Duchesse d'Orléans, et qui y fera regarder de beaucoup plus près. Il fallait présenter cela la tête haute comme l'exécution d’un traité et l'accomplissement d’un devoir honteusement retardé. C’est la vérité et c'était aussi le moyen de succès.
Qu'y a-t-il de vrai dans le remplacement du Prince de Schwartzemberg par M. de Schmerling et qu’elle en serait la valeur ? M. de Schmerling était, si je ne me trompe, le plus Autrichien des Autrichiens à Francfort. Ce ne serait pas là un signe qu'on est près de s'entendre avec la Prusse sur les Affaires Allemandes. Le renvoi de notre Ministre à Washington n'a d'autre gravité que celle d’un gros désagrément pour la République qui, après avoir eu le tort d'employer M. Poussin, a eu celui de ne pas le rappeler à temps. Je ne le connais pas ; mais j’ai entendu dire que c’était un étourneau prétentieux et grossier.

Lundi 6 oct. onze heures
Je compte bien que votre lettre me dira que vous avez reçu les miennes. Mais j'ai peur qu’elle n’arrive une demi-heure plus tard. Il pleut par torrents continus. Hier, mon pré dans la vallée était un parfait étang, se déchargeant par je ne sais combien de cascades. J’ai pris mon parti de ne plus me soucier de mes alleés pour cet automne.
J’attends la semaine prochaine Madame Austin qui vient passer trois semaines chez moi pour traduire, mon discours sur l'histoire de la révolution d’Angleterre. Il doit paraître en Anglais à Londres, le même jour qu'en Français à Paris. Voilà votre lettre. Bien troublée et bien courte. On a beau dire et vous avez beau craindre. La guerre ne sortira pas de là. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 4 oct 1849
2 heures

Je ne puis croire à cette guerre ; à moins que votre Empereur n'ait un parti pris de la vouloir, ce que je ne crois pas. Je ne pense qu'à cela et j’arrive toujours à la même conclusion. Ils s’évaderont. Je vois déjà dans un journal de ce matin, que Kossuth s'est évadé. Ce n’est probablement pas encore vrai. Cela deviendra vrai. Faire la guerre parce qu’ils se seront évadés, pour en punir la Porte comme un geôlier négligent ou vendu, est impossible. Certainement si l’Angleterre soutenait effectivement la Porte, la France en ferait autant. Peut-être même, ici, n'en serait-on pas fâché. Une occupation qui serait distraction. Ce pays-ci s’inquiète des francs jamais des millions. Il déteste de donner de l'argent ; mais il aime à le jeter par les fenêtres. Je ne peux me résoudre à examiner sérieusement l’hypothèse où vous ne pourriez habiter ni Londres, ni Paris. Naples, si une fois vous y étiez arrivée aurait, pour l’hiver le mérite du climat. Bruxelles serait froid, mais sûr. La Belgique resterait neutre. Et au moins aussi bonne compagnie à Bruxelles qu'à Naples. Et bien plus près. J’en parle parce que vous m'en parlez. Je répète encore que je n'y crois pas. Mais il résultera de cette affaire-ci une situation bien plus accentuée, comme on dit aujourd'hui, en Europe ; la Russie et l’Autriche d'un côté, la France et l’Angleterre de l'autre, la Prusse entre deux, penchant géographiquement du premier côté, moralement du second. C’est très mauvais. L’Europe coupée en deux c'est de l'encouragement et de la force pour les révolutionnaires de tous les pays. Il ne se peut pas que l'Empereur ne voie pas cela. Certainement si cette guerre éclatait l'Italie et la Hongrie recommenceraient. Et Dieu sait qui les imiterait. Il ne faut pas ouvrir de telles perspectives. Pour la troisième fois, je n'y crois pas. Vous viendrez bientôt à Paris. Mais il est clair, qu’il faut attendre un peu pour y voir plus clair. Avez-vous remarqué dans les débats d’hier 3, la lettre de [Bucha?] ? Assez piquante probablement du vrai. La réponse napolitaine à Lord Palmerston est très bonne. Peu lui importe. Il veut. s'afficher Protecteur de la Sicile. Par routine et par mauvais esprit. Le même partout et toujours. C’est un spectacle qui m'ennuie. Je ne lis pas les Mémoires d’Outre-tombe. C’est vous qui me faisiez lire ces frivolités-là, Outretombe, Raphael. Quand je ne vous ai pas, je ne me doute pas qu'elles paraissent. Je vais demander les passages où il est question de vous. J’ai eu la brochure de M. Dunoyer. Honnête homme, lourd et courageux. Plein de pauvres idées, et d’erreurs de fait sur les journées même de Février, mais beaucoup de sens et de bonne hardiesse sur la situation générale d’à présent. Je n'ai rien du tout de Paris. Ce silence absolu et la nullité des premières séances de l'Assemblée me font croire qu’il se brasse quelque chose. On se tâte, on se prépare, on doute, on projette tout bas ; et en attendant on se tient coi. Je ne crois toujours à rien de plus gros qu’à une modification du Cabinet.
Onze heures et demie
Voici votre lettre. Je persiste toujours à ne pas craindre ce que vous craignez. J’ai écrit à Paris pour être bien précisément tenu au courant des intentions et des dispositions du gouvernement et du public. Ce que j'en sais déjà ne me permets pas de douter que la France ne fasse tout ce que fera l'Angleterre et qu'elle ne pousse l'Angleterre plutôt que de la retenir. Adieu, adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 3 Oct. 1849 9 heures

Je comprends que l’Autriche et la Russie insistent pour se faire rendre les fugitifs hongrois et polonais. Je comprends que la Turquie, refuse de les rendre. Certainement aucun des grands gouvernements Européens ne les rendrait. Être la seule nation en Europe capable de cela, c’est beaucoup. Les Turcs ne sont plus assez barbares. Sont-ils assez faibles ? Si j’avais à parier, je parierais que les fugitifs s’évaderont et iront en Angleterre. Vous ne ferez pas la guerre à la Turquie pour les reprendre. La France et l’Angleterre ne vous feront pas la guerre, avec la Turquie pour l'aider à ne pas vous les rendre. Tout le monde sera dans une impasse dont tout le monde voudra sortir. Ils s’évaderont. On criera d’un côté, on se taira de l'autre. Et bientôt on n’en parlera plus. Resteront dans le monde Kossuth, Bem, et Mazzini, trois hommes qui se seront fait un nom dans les événements de 48 et 49. La seule chose qui en reste. En apparence du moins et pour quelque temps car si les évènements ont été impuissants et ridicules, leurs causes subsistent, toujours redoutables, à ces trois hommes correspondent trois questions dont deux, l’Italienne et la Polonaise sont insolubles mais très vivaces et dont la troisième la Hongroise ne peut être résolue que par un bon gouvernement Autrichien, ce qui n’est par sûr. Et le vent de folie révolutionnaire, et socialiste soufflant toujours sur ces trois places de l’Europe, il y a à parier que l’accès de fièvre chaude qu'elles viennent de lui donner n’est pas le dernier. Si vous lisiez les journaux légitimistes, vous verriez que le parti catholique lui-même, les politiques du moins, M. de Falloux en tête ne songent qu’à profiter du Motu proprio du Pape pour sortir de Rome sauf à négocier encore après pour obtenir de lui quelque chose de plus, un peu plus d’amnistie ou un peu plus de constitution. On n'insistera pas sur le dernier point. Qui gardera le Pape et Rome après cela ? Peu importe. On aimera mieux les Espagnols que les Autrichiens. On se résignerait aux Autrichiens. L’armée française aura rétabli le Pape dans Rome, et protégé la politique modéré. C’est assez pour s'en aller. Que la politique modérée, et le Pape deviennent ensuite ce qu’ils voudront. La République française ne songe qu'à se laver les mains des révolutions et des restaurations qu'elle a faites. Ni pour les unes, ni pour les autres, elle ne se charge du succès.
Je suis frappé de la rentrée en scène, à Paris de Proudhon et de Louis Blanc par leurs nouveaux journaux la Voix du Peuple et le Nouveau monde. Le parti modéré a beau vouloir dormir ; ces gens-là, ne le lui permettront pas. Ou des batailles au moins annuelles dans les rues, ou un gouvernement assez fortement constitué pour que ceux-là, même qui ont envie de la bataille la croient impossible ; il n’y a pas moyen d'échapper à cette alternative. Il faut que la société mette le socialisme sous ses pieds, ou qu’elle meure de sa main. Et pour mettre le socialisme sous ses pieds, il faut ou cent mille hommes et le général Changarnier en permanence dans Paris, ou un vrai gouvernement. Combien de temps maintiendra-t-on le premier moyen pour s’épargner la peine de prendre le second ? C’est la question.

Onze heures
Nous ne pouvons nous répondre que le lendemain. Je vois que vous craignez plus que moi que la rupture entre la Russie et la Porte ne devienne sérieuse. Si elle devenait sérieuse, vous auriez le dernier. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 30 Sept.
1849 - 6 heures

J’ai été déjeuner ce matin à Lisieux, chez mon député à l’Assemblée, M. Leroy Beaulieu qui part ce soir pour Paris. J’ai trouvé là bien du monde, tous réactionnaires ardents, sans se soucier de leur passé. La révolution de Février aura servi à faire pénétrer la politique conservatrice dans une nouvelle couche de la société où elle n’eût jamais pénétré sans cela. Je crains seulement que le moyen ne coûte plus cher qu'il ne rapporte. On dit que M. de Falloux va beaucoup mieux, et qu’il parlera sur les affaires de Rome. On obtiendra du Pape un supplément d’amnistie et on sera content. On dit qu'on rétablira tous les impôts supprimés, même l’impôt sur le sel. Tout plutôt que de faire banqueroute, c’est la maxime courante dans l'Assemblée, parmi la majorité. Je n'aperçois aucune pensée sérieuse d'Empire. S’il doit venir il ne viendra pas naturellement et dans une forte pression extérieure sur l'Assemblée. On assure que l’armée n'y pense pas davantage. Les paysans qui l’approuveraient, et l’appuieraient ne prennent l’initiative de rien. Quant à la liberté de la presse, la loi qui a interdit la vente des journaux dans les rues et le colportage dans les campagnes a fait de l’effet. Un effet de ralentissement non de suppression du mal. On va rétablir et probablement élever l'impôt ou timbre, ce qui fera tomber beaucoup de petits journaux. Si cela ne suffit pas, on entrevoit comme mesure extrême, une interdiction de fonder, sans le consentement du gouvernement, aucun nouveau journal au delà de ceux qui se trouveraient exister au moment de la promulgation de la loi ; et pour ceux-ci, autorisation au gouvernement de les supprimer s'ils étaient condamnés deux fois par les tribunaux.
Je reçois aussi ce matin une longue lettre de Lord Aberdeen. Très tendre. Ne lui laissez pas oublier sa promesse de venir à Paris en décembre. A part notre plaisir, il serait vraiment bon qu’un homme comme lui, parfaitement impartial et sincèrement bienveillant, vît Paris et la France tels qu’ils sont aujourd’hui. Le Duc de Broglie, le désire presque autant que moi.

Lundi 1er Oct. 9 heures
Sachez que je suis rentré en possession de tous les originaux dont les copies sont en Angleterre. Il n'y a presque plus de choléra à Paris. J'y renvoie Guillaume samedi prochain pour rentrer le lundi 6 à son Collège. On est assez sérieusement préoccupé des premières séances de l'assemblée. Je n'en espère et n'en crains pas grand chose. Il n’y a plus, parmi les Montagnards personne qui puisse provoquer de vrais débats et mettre le feu sous le ventre aux gens qui voudraient rester tranquilles. M. Ledru Rollin faisait cela. Il n'a point de successeur. Il n’y aura ni l’initiative des coquins, ni celle des honnêtes gens. Onze heures Vous avez très bien parlé à Achille Fould. Adieu. Adieu. Je suis pressé. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie Lundi 24 sept 1849 5 heures

Je vais demain passer la journée à six lieues d’ici, chez M. Lenormant. Je partirai après l’arrivée de la poste, ce qui m'importe peu puisqu'elle ne m’apportera rien de vous. Je reviendrai dîner ici. J’ai promis cette visite depuis longtemps, et j’ai quelque chose à arranger avec Mad. Lenormant pour que les lettres de Mad. de Staël à Mad. Récamier ne courent pas le risque d'être publiées un de ces jours. Le Duc de Broglie y tient beaucoup.
On bat le rappel très vivement pour que tous les représentants soient à leur poste le 1er octobre. C’est un singulier état d’esprit de tout le monde, on s'attend à quelque chose et on ne s'attend à rien. On veut et on ne veut pas quelque chose de nouveau. On a fait une machine qui exige, et qui entraine le mouvement perpétuel ; elle l'impose a tout le pays malgré qu’il en ait. Les 99/100 du pays voudraient bien s’arrêter ; il n'y a pas moyen; ils sont dans le treadmill de la République. Voici comment on explique, la république et le suffrage universel à ceux qui demandent ce que ce régime là leur donnera à faire : " Vous aurez à travailler six jours pour faire toutes les élections, et on en vous laissera votre dimanche pour monter votre garde. " Mettant de côté tous les grands événements, le danger inévitable de la situation tranquille est celui-ci. Pour prévenir la banqueroute, il faut que l'assemblée actuelle rétablisse les impôts. Elle le fera, mais au grand mécontentement du peuple du suffrage universel qui s'en vengera le jour des élections. C’est la maintenant l’espérance des socialistes. Ils se promettent que le peuple aura plus de mauvaise humeur que de bon sens si on se laisse acculer au pied du mur, il y a bien à parier qu’ils auront raison. On dit qu'on ne se laissera pas acculer.

Mardi 25 sept. Sept heures J’ai devant moi un brouillard, tout semblable à ceux qui couvrent la vallée de Richmond. Précurseur assuré, ici, du beau temps pour la journée. La vallée de la Charentonne n’est pas si large, ni d'aussi riche aspect que celle de la Tamise, mais la forêt qui s'élève en amphithéâtre devant le château et les mouvements du terrain la rendent plus pittoresque. C'est bien dommage que nous ne nous y promenions pas aujourd'hui. Je n'ai rien de mieux à vous dire ceci pourtant. Quelques journaux de province qui reçoivent souvent des confidences de Paris disent depuis trois jours que si le pouvoir est offert à M. Molé il le prendra décidément. L'Impartial de Rouen, par ex. L'Emancipation de Bruxelles redit cela aujourd'hui. Ces bruits ont quelque valeur. Nous verrons bientôt. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Dimanche 23 sept. 1849 8 heures

Je vois que M. de Falloux va mieux. Mais on doute que d’ici à longtemps, il puisse reprendre les affaires. Si on le remplace, il aura probablement M. Beugnot, pour successeur. Ancien pair. mêmes opinions que M. de Montalembert. Ami des légitimistes sans l'être lui-même catholique, point fanatique. Honnête homme et homme d’esprit, mais au fond du cœur, sans conviction et sans passion. Il a choisi plutôt qu'embrassé ses opinions. Il pourrait boucher le trou de M. de Falloux, sans autre altération dans le Cabinet. On ne croit toujours pas, parmi les connaisseurs à un grand renouvellement. Si M. de Falloux se retire, on fera un effort pour que la modification aille jusqu'à deux ou trois ministres, M. Benoît au lieu de M. Passy, M. Piscatory au lieu de M. de Tracy. Piscatory me paraît de plus en plus pressé. Il n’est pas venu ici évidemment pour ne pas quitter le terrain. Dufaure est décidé à avoir toujours au moins un, jamais plus de deux légitimistes dans le Cabinet. Il se conduit avec assez de suite et de savoir faire. Je reçois des nouvelles de Duchâtel, de La Grange. Pas plus de politique que cette phrase-ci : Il y a bien peu de chose à dire sur les affaires de notre triste pays. Je vois dans tout ce qui m’entoure les sentiments très bons, mais comme partout, peu ou point de portée dans les esprits, et peu d’énergie dans les volontés. On ne sait plus ni comprendre, ni vouloir. " Il reviendra à Paris au commencement de décembre. L’Autriche sera médiateur entre la France et le Pape et dominera à Rome comme Turin. J’assiste ici tout le jour au chagrin du Duc de Broglie surtout d'abaissement. Je puis être aussi modeste que cela me convient. Il est plus noir que jamais aussi désespérant de l'avenir que désespéré du présent. Je ne partage pas cette impression. A tout prendre depuis que je suis en France, je crois un peu plus au salut, sans y voir plus clair. Votre visite à Claremont y aura fait plaisir. J'en ai eu des nouvelles hier par l'ancien précepteur du petit Duc Philippe de Wurtemberg qui vient d'y passer un mois. Il m’a dit que madame la Duchesse d'Orléans avait quitté à grand regret et en pleurant beaucoup. La lettre de Lord John à M. Hume sur Malte est décisive. Il ne peut plus reculer. Lord Minto y a certainement été pour beaucoup. Il n’y a rien de tel que les gens médiocres pour influer. Personne ne s'en méfie.
Je vois dans les Débats un grand article de M. Cuvillier Fleury sur la révolution de Février et sur le Roi. Je le lirai. Lisez-le aussi, je vous prie, si vous avez des yeux, où une lectrice. Je serais bien aise d’en savoir votre impression. C’est certainement un langage à peu près convenu. Adieu, Adieu. Le beau temps est tout à fait revenu ici. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie jeudi 20 Sept 1849 Sept heures

J’ai tout le jour sous les yeux une preuve frappante qu’il n’y a aujourd’hui pour la France, dans la pensée de tout le monde, point de politique extérieure. Personne n'en parle. Personne ne songe à en rien demander ni à en rien dire. Il vient ici assez de visites ; on ne parle que des affaires publiques ; point des Affaires étrangères ; un mot, en passant, sur Rome, qui tombe aussitôt et qui est dit plutôt pour parler du Président. qu'on est curieux de bien connaître, que de Rome dont on ne se soucie pas. La France n’est préoccupée que d'elle-même. Le Duc de Broglie me dit qu’il répète sans cesse aux Ministres : " La paix à tout prix, et point d'affaires ; la République ne peut pas avoir une autre politique. " Il a raison, et le public, est de son avis. Les journaux seuls sont en dehors de cette disposition du public, et raisonnent à perte de vue sur l'Europe. Et leurs lecteurs se plaisent assez à cela. Mais comment on se plaît à un moment de badauderie et d'oisiveté. Personne ne prend les journaux au sérieux. Ce qui n'empêche pas qu'à la longue ils n'agissent. Un jour viendra où le pays sortira de cette insouciance forcée sur sa politique et sa position au dehors, et s’en vengera sur le gouvernement qui lui en fait une nécessité. Etrange chaos que l'état des esprits et ce qu'ils ont à la fois d'activité et d’apathie de passion et d’indifférence de bon sens et d’inintelligence. Plus j'y regarde, plus je me persuade que c’est bien un état de transition, non une chute définitive. C'est ma seule consolation, et je crois que c’est la vérité.
Transition à quoi. Je n’en sais pas plus que je n’en savais quand nous avions le bonheur de causer ensemble de tout cela. Pourtant je suis plutôt confirmé qu’ébranlé dans l’idée à laquelle j'aboutissais en définitive quand nous voulions absolument voir à ceci une issue.

Onze heures
Je vous reviens après être allé entendre une homélie de l'évêque d'Evreux dans l’Eglise de Broglie. Hélas oui, il y a deux grands mois que nous nous sommes quittés ! Je n'essaie pas de vous dire combien vous me manquez. Vous me manquez non seulement pour les choses que je ne dis qu'à vous et que je n’entends que de vous, là où le vide est complet quand vous n’y êtes pas. Vous me manquez même dans les moments où il n’y a pas de vide, ou ce que j’entends et dis me plait et m'intéresse. Je suis toujours sur le point de me retourner pour voir si vous êtes là et pour vous mettre de part dans tout. Que de choses je ne dis pas que je vous dirais, et que de choses je vous dirais que je ne vous ai jamais dîtes ! Et la vie s’écoule dans cette impatience d’une affection qui ne donne et ne reçoit pas, tout ce qu'elle pourrait recevoir et donner dans le sentiment d’un grand bonheur possible et manqué.
Paris sera tranquille. Et si les rouges essayaient de le troubler la tranquillité serait pleinement rétablie en quelques heures comme au 13 Juin. La force et la volonté de faire cela y sont également. Certainement le choléra diminue. Pourtant il y en a encore, et presque toujours grave. Ne vous ai-je pas déjà dit hier qu'à cause du Choléra, on retardait de quinze jours la rentrée des écoliers aux collèges ?
La lettre de Marion est charmante et très originale, si cette aimable fille était heureuse, elle aurait tout le bon sens hors duquel elle se jette quelquefois pour répandre et animer son âme. Elle a naturellement beaucoup de bon sens. Mais il faut aux femmes même aux plus distinguées, du bonheur personnel, et de cœur, pour être dans cet équilibre intérieur qui met en état de voir les choses du dehors comme elles sont réellement, parce qu'on n'a rien à leur demander. Je parlais un jour à la Duchesse de Broglie d’une jeune femme de sa connaissance, et de la mienne qui avant son mariage avait un amour propre assez agité et exigeant, et qui depuis son mariage, était devenue parfaitement calme et modeste : " Je le crois bien, me dit-elle, elle a ce qui apaise et satisfait le plus grand amour propre possible d’une femme : elle est aimée et heureuse. " J'ai bien souvent reconnu la vérité de cela. J’ai peur que notre bonne Marion reste toujours républicaine, tantôt pour Cavaignac, tantôt pour Manin, faute d'avoir son roi à elle, un mari qu'elle adore, et qui l'adore. Adieu. Adieu.
Je ne vois rien dans mes journaux de ce matin. Je pars toujours le 28 pour retourner au Val Richer le Duc de Broglie, le 29 pour Paris. Il veut être au premier jour de l’assemblée aussi à la réunion du Conseil d'Etat qui aura probablement, lieu la veille. Adieu, Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie. Lundi 17 sept 1849 8 heures
Vous êtes devenue d’une grande intimité avec Lord John. Vous le voyez tous les jours. C’est très bien fait malgré son attachement à Kossuth. Lady John mérite que vous causiez avec elle. Elle a assez d’esprit pour se plaire avec ceux qui en ont plus qu'elle. Et son mari is very uxorious. Je me figure que si j’avais été là Madame de Metternich n'aurait pas. retenu cette expression de sa colère contre Lord Palmerston qu’elle vous a soustraite. Vous voyez ce que j'en pense. Je regrette que son mari devienne si ennuyeux. Les décadences me déplaisent toujours. Soyez tranquille ; je ne redeviendrai pas doctrinaire. Fatuité à part, je ne voudrais pas redevenir rien de ce que j’ai été. Je crois que ce serait déchoir. Redevenir jeune en restant ce que je suis à la bonne heure. Et si je ne me trompe, vous en diriez autant. J’ai écrit hier une longue lettre à Lord Aberdeen. Et aussi à Claremont.
M. Dufaure fait en ce moment une chose qui fera plaisir au Roi. Il a demandé au duc de Broglie de présider une commission chargée d'examiner et de trier tous les papiers enlevés aux Tuileries après Février et déposés aux archives générales. " Il est temps, dit-il de trier ces papiers, et de rendre à la famille royale, ce qui lui appartient. Le Duc de Broglie a accepté, comme de raison. Les journaux légitimistes qui m’arrivent ce matin me frappent assez. Ils détournent leur parti de l'attaque contre le Cabinet au retour de l'Assemblée. C'est M. de Falloux qui fait cela. Il n’espère pas refaire à son gré le Cabinet nouveau, et il aime mieux maintenir celui-ci, où il est plus gros qu’il ne serait avec Molé et Thiers. En tout les légitimistes travaillent plus encore que tout autre parti, à ajourner les grosses questions. Il ne se sentent pas en état de profiter des solutions. Ils veulent pénétrer plus avant dans le pouvoir sous le manteau de la République. Sans compter qu'ils sont comme des affamés qui depuis longtemps n'approchaient pas de la table, et qui ne veulent pas risquer la part qu’ils sont en train de reprendre du gâteau. J'ai lieu de croire qu'il y a eu entre les deux branches de la famille royale quelques paroles même quelque démarche réelle de réconciliation, pour arriver du moins aux apparences de la réconciliation. Les légitimistes se vantent de quelque chose parti de Claremont. Pouvez- vous sonder un peu ce qui en est ? Par la Duchesse de Glocester, ou la Duchesse de Cambridge, ou les aboutissants légitimistes ?
Est-il vrai que vous laissez en Hongrie 40 ou 50 000 hommes ? Je ne puis pas mettre la moindre importance à Céphalonie. J’en suis fâché pour ces pauvres grecs, qui certainement seront rudement punis. Les Anglais sont d'admirables égaux et de terribles maîtres. Avez-vous remarqué deux grands articles des Débats, l’un sur l’Autriche l’autre sur la Prusse ? Je serais assez curieux de savoir ce qu'en pense M. de Metternich s'il pouvait ne pas vous le dire si longuement.
Adieu, Adieu. Je ne sais rien de précis. Mais je suis sûr que le Cabinet est plus content de ses nouvelles de Rome. Adieu. Je ramasse toutes les petites choses que j'ai à vous dire ; mais je ne vous dis pas les grandes, c’est-à-dire la grande. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie. Dimanche 16 sept 1849 8 heures

J’ai un soleil superbe, un beau gazon, une belle vallée, et une belle forêt devant mes yeux. Je voudrais vous envoyer cela. C'est moins bien tenu que Richmnond. La Tamise n’y est pas et la main de l'homme y a moins fait. Mais la nature est aussi riante, et plus grande. Personne que nous ici, et un ancien député conservateur, M. Galos, beau-frère de Piscatory, galant homme, réactionnaire ardent, que ma conversation relève un peu de l'abattement où le jette celle du Duc de Broglie. Je crois que Piscatory viendra la semaine prochaine. Ils ont cru un moment qu'ils convoqueraient l’assemblée. Mais il n’en sera rien. Le Cabinet fait de son mieux pour ne pas se disloquer et le public l’y aide. Le plus probable paraît toujours une modification partielle ; MM. Benoît. Piscatory et Daru entrant aux finances à la Marine et aux travaux publics à la place de MM. Passy, Tracy et Lacrosse. Ne prenez pas cela pour ma propre opinion. Je n'en sais rien. C'est ce qu’on me dit.

Voilà votre lettre. Je ne vois et n’entends rien, absolument rien, qui confirme ce que Lord Normanby attribue au Gal Changarnier, sur une nouvelle bataille dans les rues. Tout le monde dit toujours que tout est possible. Mais personne ne croit à cela. C'est le procès des Ledru Rollin, Felix Pyat &&, annoncé à Versailles pour le 10 octobre, qui fait dire ou supposer ce que mande Lord Normanby. Et en effet, il se pourrait bien que les rouges, à cette occasion, fissent un peu de train. Mais les forces sont énormes à Versailles comme à Paris, et je ne puis découvrir aucune inquiétude, tant soit peu sérieuse de ce côté. Sachez bien que la position de Lord Normanby est plus ridicule qu’elle nait jamais été. Sauf ce qu’il dit de la part de l’Angleterre, personne ne le prend une minute au sérieux lui-même, ni ce qu’il dit ; ni ce qu’on lui dit. Le Marquis Italien est son nom populaire. Et les Italiens n’ont pas grandi depuis dix-huit mois. Ni les marquis. Les intrigues intérieures, du Cabinet à propos de l'affaire de Rome, les lettres, réponses, répliques, contre lettres de tout le monde, et la santé de M. de Falloux, voilà les seules choses qui préoccupent le public qui s’occupe d'autre chose que de ses affaires privées. Le Duc de Broglie persiste à croire que de tout cela, il ne sortira pas même une vraie crise ministérielle. Et je vois qu’il n’est pas seul de son avis car je lis dans une lettre d’un correspondant assez spirituel au journal Belge l’Emancipation : " La question romaine est déjà bien loin. Ce n'est plus de la guerre que l’on s'effraye ; c’est d’une crise à l’intérieur. Allons, vite, qu’on s'embrasse ; voilà ce que c’est que de trop parler. On a failli se brouiller pour avoir dit que l'on était d'accord. Dans les temps où nous vivons, il est bien permis de s'injurier de se diffamer de se calomnier, de se renier, de se trahir. Mais ce n’est pas une raison pour se brouiller. Au contraire." Du reste, je regarderai avec soin du côté où l'on vous montre un point noir.
Adieu. Adieu. Demain est encore un bon jour. Mais après-demain mardi, rien. Adieu. Adieu G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 12 Sept. 1849 3 heures

Je pars demain à onze heures pour Broglie, après l’arrivée de la poste qui ne m’apportera rien de vous. Je vous ai dit de m'écrire là hier. J’aurais pu retarder d'un cour. Je compte bien trouver votre lettre-là, en arrivant à quatre heures.
Voici de longs extraits d’une lettre de Piscatory qui m’arrive ce matin. Je vous l’enverrais si vous aviez des yeux pour lire cette infernale écriture. " On vient de me demander, et je viens de refuser d’aller à Berlin. Je ne suis pas de ceux qui couvrent avec de la dignité et de la fidélité, la nonchalance et la crainte de la responsabilité. Mais ce qu’il y a à faire à Berlin, quoique considérable, ne me plait pas, et ne me semble pas avoir une chance suffisante de succès. Aux yeux du public, Berlin est un poste, non pas une affaire actuelle et déterminée. Le choix et l'acceptation ne s'appliqueraient pas. Cependant je passerai par là dessus, si je croyais que le Roi de Prusse et les sujets, jacobins et caporaux, pussent être détournés de la voie dans laquelle ils sont engagés et où Palmerston les entraine. Mais je crois qu’on aura beau faire les derniers efforts pour les retirer ; en échouera. Alors la mission se borne à une observation plus ou moins intelligente. On a mieux à observer à Paris qu'à Berlin. Pour vous prouver que ce n’est pas la peur qui m'arrête, je vous avouerai que si on m'offrait Rome, j'aurais bien de la peine à m'empêcher de courir cette très chanceuse. aventure. " Viennent des détails sur la lettre du Président. Moins précis que ceux que je vous ai donnés : " Barrot explique la lettre en disant que c’est l’épanchement d’un jeune Prince qui cause avec un serviteur fidèle. Qu’il vienne dire cela à la tribune, et les plus modérés des républicains jetteront de beaux cris ... En lisant dans le Moniteur le démenti donné par Falloux à la note communiquée à la Patrie, j'ai cru le Cabinet détraqué ; mais on me dit ce soir que Falloux reste. Je ne sais si on viendra à bout d’apaiser tout cela ; mais certainement, quand l'Assemblée reviendra, l'affaire reprendra sa valeur pour désunir le majorité. Evidemment Dufaure l'emporte ; la lettre est à son profit et sur les consuls généraux il a eu influence. " Raisonnements pour établir que cela est inévitable, et qu’il faut lisser, M. Dufaure tranquille. " Nous devons, travailler à remonter le courant en nageant à côté du bateau, et non pas en ramant dans le bateau. Et d'abord est-il bien sûr que nous soyons décidés à ramer ? Thiers y répugne beaucoup. M. Molé n'a qu’une envie de femme grosse, ou plutôt il a appétit parce qu’il prévoit le moment où il n'aura plus de dents pour manger. " Les gros bonnets ainsi écartés, vient une question. " Peut-être est-il vrai que nous devrions avoir notre part dans le Cabinet. Je ne crois pas que cela fût difficile. Mais si les gens de mon opinion et de ma mesure y entrent un jour, je leur prédis que ce sera en victimes dévouées. " Je vous fais grâce des gémissements de la victime. Elle finit par me demander mon avis sur son sacrifice. Il doute que sa qualité de membre de la commission permanente, lui permette de venir me voir à Broglie. Je compatis fort aux embarras de l’Autriche point aux vôtres avec elle. Persistez dans votre très bonne conduite ; allez-vous en et tenez-vous tranquilles. Vous y grandirez encore, et l'Autriche délivrée de votre poids, pourra respirer et se relever. Il me semble que M. de Metternich doit regretter de ne plus gouverner son pays dans ce moment. C’est un grand moment. Sans doute il est fort dur d'avoir été sauvé ; mais c’est beaucoup d'être sauvé. Et d'ailleurs l’Autriche s'est si bien sauvée elle-même en Italie qu’elle peut le consoler de n'avoir pu en faire autant partout.
Pourquoi cherchez-vous une maison pour Lord Beauvale? Est-ce qu'il va revenir à Richmond ? J'apprends ce matin la mort d’un bon homme, l’évêque de Norwich. Rien étourdi et bruyant pour un évêque. Mais très honnête et très bon. Ami intime de mes amis les Boileau, qui en sont désolés. Je suis bien aise que Madame de Caraman vous soit bonne à quelque chose.

Jeudi onze heures
Adieu, adieu. Je pars. Je vais chercher votre lettre. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Mardi 4 sept. 1849 6 heures

J’ai fait comme je vous ai dit. J’ai travaillé et je me suis promené. Mon travail m'intéresse. C’est dommage que la vie soit si courte. Le vase est trop petit pour ce que j’y voudrais mettre.
Il paraît que le Président a été extrêmement bien reçu en Champagne, mieux que partout ailleurs. Montebello nous dira si les journaux disent vrai. Je les trouve bien vides. Ils ne savent que mettre à la place des scandales de l'assemblée. Les légitimistes, ce me semble. baissent un peu de ton. Ils se résignent d’assez mauvaise grâce à répéter le mot de M. le comte de Chambord sur M. le comte de Paris. Voilà vraiment un grand effort de raison. Cela coupe un peu l'herbe sous le pied au comte de Montemolin. Collaredo m’avait étonné. Il a bien fait de s'en excuser. J’ai des lettres de Genève. On y est inquiet des menées des réfugiés. On craint qu'elles ne forcent les Puissances à une intervention. Vous verrez que la République française ira mettre à la raison, celle de Berne comme celle de Rome et qu’elle remettra le Sonderbund sur pied.

Mercredi, 5 huit heures
Je me suis levé de bonne heure, malgré un accès, ou plutôt à cause d’un accès d’éternuement qui m'a empêché de me rendormir. Cette disposition a pourtant plutôt diminué qu’augmenté depuis quelque temps. J’attends la poste avec mon impatience du mercredi. J’irai chez le Duc de Broglie, pour dix ou douze jours, vers le milieu de la semaine prochaine. Vous m'adresserez alors vos lettres : chez M. de Broglie, à Broglie. Eure. Je vous dirai le jour précis. Vous avez surement remarqué, le petit article du Globe en réponse au Times à propos de la réponse du Prince de Schwartzemberg à Lord Ponsonby. C'est à mon avis, la meilleure preuve que la réponse a vraiment été faite. Il y a, dans l'article, une violence d'humeur contre Schwartzemberg et un dessein de le blesser qui ne peuvent venir que de Lord Palmerston et qui ne se rencontreraient pas, même dans Lord Palmerston. Si Schwartzemberg ne les y avait pas soulevés. Je regrette de voir que le grand Duc Michel est encore bien malade. Je n’ai rien fait dire au Journal des Débats sur l’attitude à prendre envers le Cabinet. C’est de lui-même qu’il prend celle que vous aurez vue dans son article d’hier. Il a raison. Ce n’est pas la peine de faire un grand effort pour amener les hommes qu'on amènerait à la place de ceux-là, et pour ce que feraient, aujourd’hui les hommes même qu'on amènerait. Il est peut-être bon que M. Dufaure soit vivement attaqué et même renversé. Il ne faut pas que ce soit par les mains de mes amis. Ils ont encore bien des choses à tirer de lui, et autre chose à faire après lui.

Onze heures
Voilà votre lettre. J'en aime tout, et surtout la fin. Votre disposition est toujours de venir à Paris à la fin du mois, malgré le choléra. La peur me prend quelquefois à la gorge, pour vous. Et dans d’autres moments, la conscience. Je me fais un devoir de vous tout dire. Mais j'aime mille fois mieux que vous veniez. Et certainement M. Gueneau de Mussy est une excellente occasion. Adieu, adieu. Je suis bien content d'avoir atteint le mercredi. J’ai six bons jours devant moi. Adieu G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 22 août 1849
3 heures

Si j’avais eu une lettre ce matin, je ne vous écrirais pas à cette heure-ci. Mais je ne puis pas tenir loin de vous. Il faut que je me rapproche de vous, n'importe comment. Je n’ai rien du tout à vous dire. Je ne comprends pas pourquoi, je n'ai pas de lettre, si elle a été mise trop tard à la poste, lavez bien la tête à Jean, je vous prie. Si c’est la faute de l’affranchissement, n'affranchissez plus du tout. Si vous étiez réellement malade, vous m'auriez fait écrire par quelqu'un. Je compte sur la bonne Princesse Crazalcovitch. Qu'il y a loin encore d’ici à demain ! Je viens de lire les journaux. Je n’y trouve rien à commenter. Il se fait, si je ne me trompe, un travail de décomposition, assez important dans le parti légitimiste. Le corps du parti se révolte contre la guerre, et se plaint de n'avoir pas de tête. Si la République dure quelque temps, ce travail portera ses fruits quelque soit le prétendant appelé à en profiter. Car je ne regarde point comme impossible que le parti légitimiste se décompose un jour, au profit de la branche cadette, comme le parti des Stuart s'est décomposé en Angleterre contre Jacques 2 donnant à la révolution de 1688 la plupart des Torys et ne laissant aux Stuart que les Jacobites. Mais ce jour ne viendra en France que s’il est encore bien loin car le parti légitimiste est encore bien loin de comprendre et la situation du pays et sa propre situation. Il lui faut, il faut à tout le monde en France de bien autres leçons. Cela fait trembler à dire. Quelles leçons nous ont manqué ? Je me dégoûte un peu d'ailleurs de chercher, dans les destinées de l'Angleterre, le secret de celles de la France. Peut-être n’est-il point du tout là. J'essaie de vous parler d’autre chose. Je ne réussis pas à penser à autre chose. Je vais me promener.

Onze heures
Voilà le Duc de Broglie et son fils. Et ce qui vaut mille fois mieux, vos deux lettres. Merci mille fois. Je chercherai d’où vient la faute du retard. Je ne veux aujourd’hui que la joie de l’arrivée. Mais je n'ai point de temps pour écrire. Adieu. Adieu, dearest. Mille fois. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 22 août 1849
Sept heures

Je n’ai aucune nouvelle à vous envoyer. Vitet, de retour à Paris, m’écrit : " Paris est plus mort que jamais. Il n'y reste absolument personne. La politique est partie pour les Conseils généraux ; je ne crois pas qu’elle y fasse grand bruit. C’est un temps de sommeil. On essaiera quelques petites parodies d’Etats provinciaux ; mais ce seront des bluettes. Il n'y a pour le quart d'heure, de sérieux nulle part. " Il en sera ainsi jusqu'au retour de l’assemblée, c’est-à-dire jusqu'aux premiers jours d'octobre. Alors commencera une crise ministérielle. L’assemblée voudra faire, un ministère plus à son image. Elle y réussira probablement. Mais l'image sera pâle, et aura peur d'elle-même en se regardant. En sorte que l'opposition y gagnera plus que la réaction ; et on entrera, dans une série d’oscillations, et de combinaisons batardes où la République modérée et la Monarchie honteuse s’useront, l’une contre l'autre, sans que ni l’une ni l’autre fasse rien de sérieux. Mon instinct est de plus en plus qu’on se traînera, tout le monde jusqu’au bord du fossé. Sautera- t-on alors, ou tombera-t-on au fond ? Je ne sais vraiment pas. Je regrette que vous ne connaissiez pas M. Vitet. C’est un des esprits les plus justes, les plus fins, les plus agréables et aussi les plus fermés, que nous ayons aujourd'hui. Et tout-à-fait de bonne compagnie, malgré un peu trop d’insouciance et de laisser aller. Voici une nouvelle. J’ai fait vendre à Paris ma voiture, mon coupé bleu. On l’a revu dans les rues. Cela a fait un petit bruit.
Je trouve dans l'Opinion publique, journal légitimiste : " Ce matin à midi et demi, un élégant et massif coupé de ville, bleu de roi, cheminait à petits pas sur la chaussée du boulevard des Capucines. La curiosité nous ayant poussé vers cet équipage que nous avions cru reconnaître, nous nous sommes en effet assurés que c'était bien comme nous l'avions jugé à distance, la voiture de M. Guizot, son écusson y est intact, avec sa devise : Recta omnium brevissima, et le cordon rouge en sautoir autour de l’écu. Pourquoi cette voiture errait-elle autour de l’hôtel qu’elle a hanté si longtemps ? Nous ne savons." Si j’avais été à Paris, j'aurais fait dire dans quelque journal, le lendemain, que ma voiture roulait parce que je l’avais vendue. Vous avez bien raison, l'immobilité et le silence me servent parfaitement.

En fait de folie, je n'en connais point de supérieure à celle de la Chambre des représentants de Turin. Elle ne peut pas faire la guerre ; elle le dit elle-même, et elle ne veut pas faire la paix. Point de dévouement à la lutte et point de résignation à la défaite ; je ne me souviens pas que le monde ait jamais vu cela. Il est probable que la nécessité finira par triompher, même de la folie. Mais il y a là un symptôme bien inquiétant pour l’Autriche, l'impuissance ne guérira point l'Italie de la rage. Le monde est plein aujourd’hui de problèmes insolubles. Insolubles pour nous, qui sommes si impatients dans une vie si courte. Le bon Dieu en trouvera bien la solution.
Vous ne me manquez pas plus que je ne croyais, mais bien, bien autant. Je parle, j'écoute, je cause sans rien dire et sans rien entendre qui mérite que j'ouvre la bouche ou les oreilles. La surface de la vie assez pleine, le fond, tout-à-fait vide. Je suis entouré d'affection, de dévouement, de soins, de respect. Il me manque l’égalité et l’intimité. Et combien il manque encore à notre intimité même quand elle est là ! La vie reste toujours bien imparfaite, quoi qu’elle aie de quoi ne pas l’être. Je m’y soumets mais je ne m'en console pas.

Onze heures
Pas de lettre. Pourquoi ? Et je l’attends plus impatiemment le mercredi que tout autre jour. Il a fait beau. Ce n’est pas la mer. Je suis très contrarié. Je me sers d’un pauvre mot. Adieu. Adieu. Adieu. Ce sera bien long d’ici à demain. Adieu. Guizot.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 6 août 1849 6 heures

Trezet vient de repartir. J’aime bien les gens qui viennent passer la journée et ne couchent pas. C’est beaucoup plus commode quand on a peu de domestiques. Il ne m’a rien appris et je n'attendais rien de lui. Quelques détails, sur le passé ; quelques souvenirs que je l’ai prié d’écrire. Je veux que chacun de mes collègues me donne son récit du 20 au 24 février. Je m’en servirai un jour. Duchâtel m’a promis le soir qui est le plus important. Il l'a déjà écrit. Il m’a écrit en partant de Londres. Ce qu’il vous avait dit. Il rentrera plus de deux jours à Paris.
La lettre de Morny est assez curieuse. Il en sera pour ses peines d’embauchage impérial. A moins de quelque gros incident nouveau qui le jette de force dans l'Empire, le Président n'ira pas. Personne ne fait plus, et ne veut plus rien faire aujourd’hui que par force. Personne ne veut avoir à répondre de ce qu’il fait " Je n’ai pas pu faire autrement. " C'est l’ambition de tous. Ils ne sont pas fiers. M. de Metternich non plus n'est pas fier. Quand on est petit, je comprends qu’on mente pour se faire croire grand. On a tort ; on est découvert ; on devient ridicule ce qui est un grand obstacle à devenir grand. Pourtant je le comprends. Mais quand on est grand mentir pour faire croire que les Princes sont reconnaissants, et qu'on a encore leur faveur ce n’est pas de l’orgueil quoi que vous lui fassiez l’honneur de ce nom, c’est une vanité d'antichambre. J’en suis fâché. A en croire les apparences, M. de Metternich prend bien sa disgrâce, simplement et fermement. Et il a raison ; un chêne reste chêne, même déraciné, quand il a fallu un tremblement de terre pour le déraciner. Je suis fâché que M. de Metternich soit au fond et dans le secret de la vie intérieure, moins digne qu’il n'en a l’air.
Dearest cette phrase de votre lettre me va au cœur : " Vous, et du repos, voilà ce que je demande. " Je ne voudrais pas vous donner plus de sécurité qu'il n'en faut avoir. Je n’ai que trop eu déjà trop de sécurité (Phrase bizarre que vous comprendrez). Mais vraiment je crois et tout le monde croit qu'il y aura désormais du repos à Paris du repos matériel ; pas de bruit et pas de danger dans les rues. C'est, pour longtemps, le seul repos auquel nous puissions prétendre. J’espère que celui-là vous suffira.

Mardi 7 8 heures
Je reçois beaucoup de lettres dont quelques paragraphes, quelques phrases vous intéresse raient. Je ne puis ni vous tout envoyer ni tout copier. L'absence. L'absence ! Je trouve dans ces lettres des symptômes curieux, des traits de lumière, sur le présent et sur l'avenir. Curieuse société à la fois si inerte et si active, qui se laisse tout faire et ne se laisse définitivement prendre par personne gardant toute l’indépendance de son esprit dans la servilité et l’impuissance de sa conduite ! J’en suis honteux. Mais je n'en désespère pas.
Avez-vous lu l’article de M. Forcade dans la Revue des deux Mondes (N° du 15 Juillet) sur l’histoire de la révolution de Février de M. de Lamartine ? Plein de talent et d'honnêteté. C'est le commencement de la flagellation publique de M. de Lamartine. Et le 5° Numéro qui vient de paraître, du Conseiller du Peuple de M. de Lamartine. Une Philippique contre Thiers. Ces deux choses valent la peine que vous les lisiez.

Onze heures
Je fais toujours la découverte du mardi au moment où la poste arrive. Elle ne m’apporte rien d'ailleurs. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 1er août 1849 6 heures

Je me lève d'impatience. J’attends la poste. Elle n’arrivera qu'à 10 heures et demie. Que m'apportera- t-elle ? J'ai reçu hier une lettre de Mad. Austin qui me dit que son mari, qui est à Brighton lui écrit que tout le monde s'y porte bien. Je désire beaucoup que vous ayez vu MM. Guéneau de Mussy. Mais que sert tout ce que je puis vous dire de loin ?
Avez-vous remarqué, dans le Times de samedi dernier 28, un excellent article sur l'état de la France que je retrouve dans le Galignani d'avant- hier 30 ? Vraiment excellent. Jamais la conduite de l’ancienne opposition dynastique, et de Thiers en particulier, n’a été mieux peinte et mieux appréciée. Beaucoup de gens en France voient et disent tout cela ; mais ils n'en font ni plus ni moins. Le bon sens porte ses fruits en Angleterre. Là où, il se rencontre en France, c'est une fleur sans fruits. Rien ne se ressemble moins chez les peuples du midi, que la conversation et la conduite ; ce qu’ils pensent et disent ne décide pas du tout de ce qu’ils font. Pleins d’intelligence et de jugement comme spectateurs, quand ils deviennent acteurs il n’y paraît plus. Bresson et Bulwer m’ont souvent dit cela, des Espagnols. Bien pis encore qu'ici, me disaient-ils. Nous n'avons plus le droit d’être sévères pour les Espagnols. Les Hongrois se défendent énergiquement. Je ne sais pas bien cette affaire-là. Je crains que le Cabinet de Vienne par routine ne se soit engagé dans des prétentions et des déclarations excessives non part contre le parti révolutionnaire de Hongrie, mais contre les anciens droits et l’esprit constitutionnel de la nation. On ne saurait séparer avec trop de soin ce qui est national de ce qui est révolutionnaire, ce qui a un fondement en droit et dans les mœurs du pays de ce qui n’est que rêverie et insolence de l’esprit d'anarchie. Le Prince de Schwartzemberg, est-il en état et en disposition de faire ce partage ? Je parle d'autre chose pour me distraire d’une seule chose. Je n'y réussis guères. Adieu. Adieu jusqu'à la poste.

10 heures trois quarts
M. de Lavergne et M. Mallac m’arrivent de Paris, et la poste n'est pas encore là. Parce que j’en suis plus pressé que jamais. Je n'ai pas encore causé du tout avec ces messieurs. Ils sont dans leurs chambres. Je ne pourrai causer avec personne que lorsque j'aurai ma lettre et pourvu qu’elle soit bonne. Voilà ma lettre. Excellente. J’ai le cœur à l'aise. J’étais sûr que M. Gueneau de Mussy vous plairait. Croyez-le et obéissez-lui autant que vous le pourrez faire pour un médecin. Il m’est très dévoué. Il vous soignera bien. Adieu. Adieu. Je vais rejoindre-mes hôtes. Adieu dearest. J’espère que le bien se soutiendra. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 31 Juillet 1849 7 heures

Qu'aurez-vous fait ? Où êtes- vous ? Comment êtes-vous ? Je ne puis pas penser à autre chose. J'espère que vous serez allée à Brighton. J'en ai eu hier des nouvelles. Sir John Boileau y est. Il parle du bon état de l’endroit, de la bonne disposition de ceux qui y sont, sans doute le choléra n’y est pas. Et la peur que vous avez du choléra m'inquiète autant que le choléra même. Quand je l’ai eu en 1832. Mes médecins, Andral et Lerminier, ont dit que, si j'en avais eu peur il aurait été bien plus grave. Je n'en avais point peur. Que je voudrais vous envoyer ma disposition ! Et aujourd’hui mardi, je n'aurai même pas de nouvelles de ces nouvelles déjà vieilles de 48 heures. J’espère que vous aurez vu M. Guéneau de Mussy. Il me paraît bon pour donner un bon conseil et de l’appui, aussi bien que des soins. Je serais étonné s’il ne s’était pas mis complètement à votre disposition. Demain, demain enfin, je saurai quelque chose. Quoi ?
Dearest, je veux parler d’autre chose. Voilà l'Assemblée prorogée. Avec une bien forte minorité contre la prorogation. Je doute que ce soit une bonne mesure. Dumon, qui va venir me voir, m'écrit : " Vous êtes arrivé au milieu d’une crise avortée. Le Président ne fera pas son 18 Brumaire dans une inauguration de chemin de fer et l’Assemblée n'a d’énergie que pour aller en vacances. Le parti modéré n'a ce me semble, que les inconvénients de sa victoire. A quoi lui serviront les lois qu’il fait si péniblement ! Est-ce le mode pénal qui nous manque ? Mais déjà les dissentiments percent, dans la majorité. Elle se divise comme si elle n’avait plus d'ennemis. Je crains bien que le parti légitimiste ne soit avant longtemps, un obstacle à la formation, si nécessaire du grand parti qui comprendrait les libéraux désabusés, les conservateurs courageux, et les légitimistes raisonnables. Il a bien bonne envie d'exploiter à son seul profit, cet accès de sincérité qui fait faire depuis huit jours tant de confessions publiques, et il semble disposé à marchander l'absolution à tout le monde, sans vouloir l'accepter de personne. Tout ce que je vois, tout ce que j’entends dire me donne une triste idée de la situation du pays. Avec l'économie sociale d’une nation civilisée nous avons l’état politique d’une nation à demi barbare. L'industrie et le crédit ne peuvent s’accommoder de l’instabilité du pouvoir ; la douceur de nos mœurs est incompatible avec sa faiblesse. Nous ne pouvons rester tels que nous sommes ; il faut remonter ou descendre encore. Notre faiblesse s'effraie de remonter ; notre sybaritisme s'effraie de descendre. Il faut bien pourtant ou travailler pour le mieux, ou se résigner au pis : tout avenir me semble possible excepté la durée du présent. Je ne crois pas que la prolongation (je ne dirai pas la durée) du présent soit si impossible. Le pays me paraît précisément avoir assez de bon sens et de courage pour ne pas tomber plus bas, pas assez pour remonter. On compte beaucoup, pour le contraindre à remonter sur l’absolue nécessité où il va être de retrouver un peu de prospérité et de crédit qui ne reviendront qu’avec un meilleur ordre politique. Je compte aussi, sur cette nécessité ; mais je ne la crois pas si urgente qu’on le dit. Nous oublions toujours le mot de Fénelon : " Dieu est patient parce qu'il est éternel. " Nous croyons que tout ira vite parce qu’il nous le faut, à nous qui ne sommes par éternels. Je suis tombé dans cette erreur-là, comme tout le monde. Je veille sans cesse pour m’en défendre. Je conviens qu’il est triste d'y réussir ; on y gagne de ne pas désespérer pour le genre humain ; mais on y perd d’espérer pour soi-même.
Dîtes-moi qu’il n’y a plus de choléra autour de vous et que vous n'en avez plus peur, je serai content, comme si j’espérais beaucoup, et pour demain.

Onze heures Je n'attendais rien de la poste et pourtant. il me semble que c’est un mécompte. Adieu, adieu, adieu, dearest. God bless and preserve you, for me ! Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 30 Juillet 1849
8 heures et demie

Je me lève tard. J’ai très bien dormi, quoique réveillé par le bruit de la pluie, point d’orage, mais des ondées fréquentes et violentes. Les agriculteurs ne s'en plaignent pas. Moi je trouve que cela me gâte mes allées et mes fleurs, sans compter mon goût pour le beau temps et le soleil. Les petits intérêts et les petits plaisirs de la vie ont cela de singulier qu'on les sent et qu’on sent en même temps leur petitesse. Je m'occupe et je jouis de ce qui se passe dans ma maison et dans mon jardin, mais sans la moindre illusion sur le peu que cela me fait. Toutes les petites pièces ont beau être remplies. Les grandes, ou la grande, n'en restent pas moins vides. C'est comme si on ne vivait qu'à la peau. Je bois des eaux de Vichy. Je me suis senti quelques velléités de calculs biliaires. Deux verres d’eau de Vichy par jour m’en débarrasseront. C'étaient des velléités lointaines et sourdes. Dans les trois ou quatre premiers jours de mon arrivée, j'ai eu aussi un peu d’émotion dans les entrailles, un certain sentiment d'une influence atmosphérique différente. J'ai été très attentif dans mon régime de nourriture. Il n'en est plus question du tout. Je me porte très bien.
Je suis jour par jour dans le Galignani, la marche du choléra à Londres et en Angleterre. On ne cite jusqu'ici, à peu près point de noms. Je vous demande positivement, instamment en grâce, pour peu que vous vous sentiez indisposée d'envoyer chercher M. Guéneau de Mussy (26 Maddox-Street. Regent street) Vous le croirez ou vous ne le croirez pas vous lui obéirez ou vous ne lui obéirez pas mais voyez-le et entendez le en même temps que vos médecins anglais. Je le crois un excellent médecin, et je suis sûr que l'homme ne vous dégoûtera pas du médecin.
Curieux spectacle que ce mouvement d'opinion en Angleterre, en faveur des Hongrois. Mouvement naturel, car les Anglais, sont toujours portés à prendre intérêt aux causes libérales. Et factice car ils ne savent pas du tout de quoi il s'agit en Hongrie ni si c’est vraiment une cause libérale ; ils sont remués aveuglément par quelques mots, et par quelques hommes qui n’en savent pas plus qu'eux, ou qui veulent tout autre chose qu'eux. Il y a bien des manières d'être un peuple d’enfant. Et tout cela est l'ouvrage de Lord Palmerston et de la Chambre des communes. Si la politique de Lord Palmerston était bonne ou si la vérité avait été dite dans la Chambre des Communes, la nation anglaise penserait et sentirait autrement. Quand l'Angleterre juge ou agit mal, ce sont toujours les chefs qui sont coupables car elle a assez de bon sens et d’honnêteté pour juger et agir bien si ses chefs lui montraient la voie. Mais elle n’en a pas assez pour trouver à elle seule la vraie voie, et pour y faire marcher ses chefs, surtout en matière d'affaires étrangères, qu’elle voit de si loin et dont au fond, elle se soucie si peu.

Onze heures
Quelle désolation! J'avais le présentiment que la lettre d’aujourd’hui me désolerait. Et je n'en aurais pas demain ! Mais je ne ne pardonne pas de penser à moi. C’est de vous qu’il s’agit, si vous pouviez être un peu moins troublée ! Si je pouvais vous envoyer, vous apporter un peu de calme et de courage ! Je suis disposé à approuver Brighton. Avez-vous quelque nouvelle de ce qui s’y passe en fait de choléra ? Si le mal se répand et augmente, quittez l’Angleterre. Il n’y en a presque plus en France. J’espère que vous aurez vu M. Guéneau de Mussy. Il va souvent à St. Léonard, mais il n’y habite point. Il est de bon conseil, et même de ressource au besoin. Que je voudrais être à après-demain. Adieu. Adieu. Dearest, si j'étais là, vous auriez moins peur. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 28 Juillet 1849 8 heures

D’une heure à cinq hier ma maison n'a pas désempli. Orléanistes, quelques légitimistes quelques quasi républicains honteux. Pour moi de la bienveillance, et de la curiosité. En soi, toujours les mêmes dispositions, les mêmes qualités et les mêmes défauts. Du bon sens, de l’honnêteté, même du courage ; tout cela trop petit et trop court. C'est la taille qui leur manque à tous. Ils ne sont pas au niveau de leurs affaires. Ils n'atteignent pas ou il faudrait atteindre pour faire quelque chose. Grandiront-ils assez et assez vite ? Mes arbres ont très bien poussé. Je ne suis pas aussi sûr des hommes que des arbres. Je suis content de la visite d’Armand Bertin. Le Journal restera dans une bonne ligne ; impartialement en dehors du présent, fidèle avec indépendance au passé. Et fidèle à moi avec amitié si j'étais à Paris pouvant causer deux ou trois fois par semaine, il ne s’y dirait pas un mot qui ne me convint. Spécialement sur les Affaires Etrangères. D’ici, il n’y a pas moyen d'y regarder de si près. Pourtant on marchera toujours du bon côté.

Des lettres de Barante, de Philippe de Ségur, de Glicksbierg. Barrante affectueux et triste, voyant toutes choses avec la sagacité un peu stérile d’un esprit juste et d’un cœur abattu. Un grand pays à moins qu’il ne soit réellement destiné à périr, n'est jamais si dépourvu de forces et de remèdes qu’il en a l’air. Il supporte et attend deux choses qui nous sont bien difficiles à nous passagers éphémères sur la scène, sans en avoir le projet formel, évidemment Barante finira par venir à Paris. " J’ai un bien vif regret, me dit-il, que mon lieu de retraite, soit si loin du vôtre. Sans cela, je serais allé tout de suite vous revoir. Si quelque circonstance de famille ou d'affaire m'appelle à Paris, je serai bientôt après au Val Richer On fait ce qu’on prévoit si clairement. Ségur très amical, croyant que ma maison à Paris n'est plus à ma disposition, et voulant. que, si j’y vais, j'aille occuper la sienne. Il n’y reviendra que tard, en hiver. Glücksbing est toujours à Madrid. Il m’écrit qu’il va publier quelque chose sur la réforme douanière et financière de l'Espagne, et finit par cette phrase : " M. Mon dit qu’il va vous écrire pour vous engager à venir passer quelques mois en Espagne. A part les bouffées de jalousie entre lui et le général Narvaez, dont il adviendra ce que Dieu voudra, tout marche admira blement ici. Les nouvelles d’Andalousie sont excellentes, et vous aurez remarqué l'accueil que le duc et la duchesse de Montpensier ont reçu à Gibraltar. "

En avez-vous vu quelque chose dans les journaux Anglais ? Si nous étions ensemble, je vous lirais les lettres, et elles vous amuseraient. Elles ne méritent pas d'être envoyées si loin. Je vous donne ce qu’il y a de mieux. Voulez-vous, je vous prie, faire mettre à la poste cette lettre pour Lord Aberdeen, en y ajoutant son adresse actuelle ? Je ne sais où le prendre. Onze heures Votre lettre m’arrive. Et Hébert en même temps. Pour la journée seulement. J’aime assez qu'on prenne cette habitude de venir me voir sans s’établir chez moi pour plusieurs jours. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Vendredi 29 Juin 1849
Midi

Rien dans les journaux et point de lettres. Rome devient vraiment ridicule. Donner l'assaut et rester debout sur la brèche, cela ne s'est jamais vu. Les savants du Génie ont probablement de quoi expliquer cela, mais le public n'y comprend rien. Je suis rentré hier à onze heures. On est resté à table, un temps énorme. Dîner, très insignifiant. Lord et Lady Morley, Sir W [?] et Lady Molesworth, Lord Clare qui m’a demandé de vos nouvelles deux ou trois autres hommes inconnus. Le soir il est venu beaucoup de monde ; entr’autre le Hongrois. Il avait l’air d'avoir l'oreille basse. On croyait fort à une grande victoire austro-russe.
Je n'aurai rien de vous aujourd'hui. Le temps est moins chaud et moins lourd. Cela vous conviendra peut-être mieux. Bien certainement, c’est Paris qui vous convient, quand il n’y aura plus de choléra du tout. Et vous y retrouverez une bonne partie de la société qui vous plaisait. Le Duc de Noailles sera probablement nommé pour le siège vacant à Chartres. Plus j’y pense, plus je crois qu’il a raison. D’ici à assez longtemps, il y aura à Paris des agitations de Chambre, des difficultés de gouvernement; point de grands désordres de rues. Vous tirerez vous-même vos pronostics quand vous y serez. Adieu.
Je sors avant 2 heures pour le Kings college. J'en reviendrai je ne sais à quelle heure. Mais je n'apprendrai rien là. Je ferme donc ma lettre. A demain. J’espère bien être à Richmond à 11 heures Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Mercredi 27 Juin 1849
2 heures

Voici la lettre du Duc de Noailles Sensée et au fond pas très découragée. Il reste dans son idée, en attendant qu’il puisse la poursuivre. Les articles qui devaient être publiés, sur son livre, dans le Quarterly et l'Edinburgh review, ont été retardés par de petites circonstances qu’il serait trop long de vous écrire, et que je vous dirai. Ces articles viendront. J’en reparlerai aux personnes qui s’en sont chargées. Beaucoup de monde hier chez Collaredo. Tous les diplomates. Kielmansegge et Lettp contents. Il y a de quoi l'être, mais ils le sont trop toujours. Brunow, à qui je demandais s'il avait des nouvelles, s’est penché vers mon oreille et m'a dit à voix basse : « On ne pourra pas entrer en campagne, tout de suite ; nous n'aurons probablement pas de nouvelles avant douze, ou quinze jours. Et si les Hongrois ne veulent pas livrer babaille, s’ils se retirent dans le pays, il faudra bien les y suivre, et ce sera long. " Je vous répète textuellement. Je vous répète aussi que Bunsen me fait toujours fort la cour, et veut décidément me rendre prussien. Il ne m’a parlé que des affaires de France. Je me trompe. Quelques mots de vive satisfaction sur la défaite de Microlawski à qui le Roi de Prusse avait déjà pardonné deux fois, et serait, pour cette fois, dispensé de pardonner, car, on a proclamé la loi martiale et il n’y aura qu'à laisser faire. En sortant, dans le cloak-room, j’ai rencontré Lady Palmerston. Moins de coquetterie avec moi que de coutume. Evidemment une nuance d'humeur. Le discours de Lord Aberdeen sur l'Espagne. Voici les frivolités du bal. La Princesse Augusta de Mecklembourg dansant avec passion, et venant s'asseoir ensuite dans l'embrasure d’une fenêtre pour me parler avec passion de la lâcheté des Princes. Elle me traite comme une ancienne connaissance qui lui a plu autrefois, et comme un compagnon de tristesse et de colère. Lady Alice Peel et Lady Aylesbury dansant, l’une près de l'antre, au même quadrille, et allant se reposer, l’une à côte de l'autre sur le même banc. Lady Jersey me disant très haut : " Venez donc causer. " En m'emmenant dans un petit salon où se tenaient trente ou quarante personnes uniquement occupées à regarder, celles qui causaient et à essayer de les entendre. Madame Duchâtel, moins jeune que Lady Alice et ne dansant pas, quoiqu’elle eût dansé la veille, à ce que m'a dit Guillaume, chez Mrs Jeniors. Une seule contredanse. Je le dis à l'honneur du bon sens français. Duchâtel n’était pas là. Il a été repris de sa fièvre tierce. Il en a eu trois accès. Dumon viendra de Dieppe, voir la Duchesse d'Orléans à St Leonard. Hébert aussi. Et d’Haussonville. Et Albert de Broglie. J’irai vers le milieu de la semaine prochaine. Je viens d'avoir une longue conversation avec Disraeli. Il fait lundi une grande attaque contre toute la politique intérieure et extérieure du ministère, une revue générale de l’état des affaires anglaises, au dedans, et au dehors. Où en était l'Angleterre, chez elle et en Europe, au printemps de 1846 ? Où en est-elle aujourd’hui ? Depuis trois ans vous êtes le gouvernement, un gouvernement sans opposition, qu'avez-vous fait du pays? Décadence de prospérité et décadence d'influence. Détresse et déconsidération. Vous dites que votre politique est libérale. Non ; révolutionnaire. Vous encouragez les révolutions avant qu'elles éclatent ; et quand elles ont éclaté vous ne savez ni leur inspirer la sagesse, ni leur prêter la force. Sans prévoyance avant, sans influence après. Que votre politique est pacifique. Non ; vous brouillez partout les cartes ; la paix ne sont pas des cartes brouillées. Qu'elle est vraiment nationale, Anglaise. Non ; elle est toute personnelle. La nationalité de l'Angleterre n'a que faire de servir d’instrument à la personnalité de Lord Palmerston & & Il dit que ce débat durera deux ou trois jours. Il ne pense qu'à planter son drapeau et à former, son armée pour la campagne prochaine. Adieu. Adieu.
J’aimais mieux ma matinée d'hier. J’ai été déjeuner cher Sir John Boileau, excellente famille, dont l'amitié me touche. Je resterai à lire et à écrire jusqu'à l’heure du dîner, chez Lady Galway. Je rentrerai de bonne heure et je me coucherai. Adieu. Adieu Je n'ai rien de Paris aujourd'hui. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Lundi 25 juin 1849
2 heures

Votre lettre m’est arrivée ce matin. J’aime mieux la journée d’hier que votre lettre. J’ai tort de dire la journée ; quatre heures ne sont pas une journée. Quatre bien douce heures ! Nous aurons plus de quatre heures demain. Je vois dans mon Bradshau que le train passe à Putney à 10 heures 37 minutes et arrive à Richmond à 10 h. 47. Il faut donc que je parte de chez moi à 10 heures précises, et que l’omnmibus, ne me manque pas. S'il me manquait, j’aurais la ressource d’un train qui part de Waterloo bridge à midi 25 m. et arrive à Richmond à midi 43 m. Mais il faudrait aller prendre ce train à Waterloo bridge, car il ne s’arrête pas à Putney. Je vous dis cela pour que vous ne vous inquiétiez pas si je n'arrive pas à 10 h. 47 m. La cause en serait le défaut d'omnibus. Mais j'espère que cela n’arrivera pas.
J’ai reçu ce matin plusieurs lettres de Paris, toutes à peu près semblables et telles que vous les présumez ; une seule importante, du duc de Broglie. Illisible pourquoi je ne vous l'envoie pas. Il me dit : " Je pense que vous ferez bien maintenant de venir vous rétablir au Val Richer, selon toute apparence, nous allons avoir quelques mois de tranquillité comparative. La victoire a été complète et plus facile qu’on ne s’y attendait, l’armée meilleure, et le vent retourné du bon côté. Nous ferons nos efforts pour en profiter. Il y aura suppression à peu près complète des clubs ; réduction de la presse, du moins extérieurement ; une loi sur l'état de siège qui en fera le ressort habituel du gouvernement et le contrepieds de la Chambre unique ; effort enfin pour rétablir les finances et pour voir, sur ce point à l'avenir. Il ne faut pas néanmoins se faire illusion : tous ces essais étant en contradiction avec le principe du suffrage universel, il faudra vu que ce principe périsse, ou qu’il triomphe de nos efforts. La presse à un sou les banquets à 25 centimes, l'impôt progressif sur les riches sont les conséquences forcées du suffrage universel ; s’il subsiste, il emportera tout ; nos vaines lois s’en iront en force ; c'est, comme disait le pauvre Rossi tapisser l'antre du lion avec des toiles d’araignées. Toutefois, vous pouvez venir sans inconvénient ; et une fois établi, vous pourrez rester tant que nous-mêmes nous pourrons rester. Quant à l'avenir j'en ai la même opinion qu’auparavant ; il n’y a ici ni gouvernement réel, ni gouvernement possible. Une société ne peut pas subsister sans gouvernement. Mes enfants sont à Dieppe. Je suis seul ici avec Mad. de Staël et Paul. Le choléra finit à Paris. Il sévit encore dans les environs. " Les autres lettres ne font que chanter les louanges du Gal Changarnier. Duchâtel que je viens de voir, en a de toutes pareilles. Changarnier a des mots courts et énergiques qui font obéir gaiment les troupes et amusent ensuite les corps de garde. Le 12, il a fait venir un capitaine du 24 de ligne : " Je sais que quand l’insurrection éclatera, des artilleurs de la garde nationale y prendront part ; ils doivent se réunir vers le Passage de l’opéra. Soyez avec votre bataillon, rue Le Pelletier. Vous leur ferez les sommations, s'ils résistent, attaquez sur le champ. S'il y en a dix très, vous serez chef de bataillon dans six mois ; s’il y en a vingt. Vous six jours. " Pour la première fois, le 10 juin, un régiment de ligne a cerné un bataillon de garde nationale désarmé les hommes et pris le lieutenant colonel. On l'a amené au général en lui demandant ce qu’il en fallait faire. " Mettez-le à la cave ; voici pour votre décharge. " Et il a écrit sur un chiffon de papier : " Reçu un lieutenant colonel de la garde nationale. Signé, Changarnier.
Je viens de déjeuner chez M. Hallam, avec un Américain qui vient de passer six mois en Hongrie, et qui dit que ces gens-là se battront longtemps, et que Kossuth est un grand. homme & & Adieu. Adieu. Je ne trouve rien, dans mes journaux. La dissension entre la majorité de l'Assemblée et le Cabinet éclatera évidemment bientôt. On dit que Thiers est le maître de la rue de Poitiers et que Molé en est la maitresse. Adieu. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, mardi 5 juin 1849 10 heures

Hier m’a remis en contentement. Je n'étais pas de mauvaise humeur, ni injuste ; mais je n'étais pas content. Je supporte assez bien à la surface, l’imperfection des meilleures choses de ce monde ; mais, au fond du cœur, je ne l'accepte pas du tout. Rien dans les journaux. Evidemment le nouveau cabinet ne réussit pas dans le parti modéré. L'univers en parle mal. L’Assemblée nationale n’en dit rien. Le Journal des Débats prêche la résignation plus que l’espérance. Si ce cabinet avait pour résultat de compromettre et d’engager les chefs du tiers parti dans le parti modéré, ce serait bien mais ce sont des gens que rien ne compromet, et n’engage. Je les ai vus à l'œuvre. Ils avaient presque tous voté, les lois de septembre. Ils ont été des premiers à les attaquer. Ils en feront autant. Après déjeuner, j’irai voir Duchâtel et Lord Aberdeen de qui j’ai trouvé un billet en rentrant hier soir. Je vous écrirai en en revenant. Ils m'apprendront quelque chose. Quelle bonne chaleur ! Je n’en ai pas moins éternué à tout rompre en me réveillant.
3 heures Duchâtel était à Ascot. Mais sa femme m'a montré les lettres qu’il avait reçues hier de M. Vitet. Mêmes détails et mêmes impressions que dans les miennes. Seulement il n’espérait pas grand chose du cabinet qui ne s'est pas formé. A l’Athenaeum, la 3e édition du Morning Chronicle, que vous verrez ce soir annonce que le Message du Président à l’Assemblée n’a pas été présenté hier. Le nouveau Cabinet y a trouvé à redire, et à changer surtout quant à la question Italienne. Dufaure et Tocqueville en ont, dit-on, trouvé la politique too bold. On prétend que le Président l'a rédigé lui-même. Je n'en crois rien. On ne dit pas à quel jour la présentation est remise. L'ajournement ferait hier un mauvais effet dans l'Assemblée. Des dissentiments dans le Cabinet, des hésitations. Tout le monde s’inquiétait et la majorité s’irritait. Voilà une longue lettre du duc de Broglie, qui m’arrive. Illisible pour vous. Je vous la lirai demain. Une appréciation de la situation générale aussi sombre que possible, pour l'avenir comme pour le présent. Point de faits spéciaux et nouveaux. Voici ce qu’il y a de plus actuel : " Notre Chambre nouvelle, prise en soi est bonne. La majorité est saine, nombreuse, honnête, décidée. Mais, comme elle est composée, pour moitié, de légitimistes, on la traite déjà de contre-révolutionnaire, et les tiers partis qui se forment ou se font par faute de donner les mains à cette prévention. Il n'a pas été possible, pour cette raison, de former un ministère d’une couleur tranchée. Les négociants, les banquiers, les industriels ont demandé, à grands cris, un ministère de la couleur Passy et Dufaure. Le président a dû céder à son grand regret, il faut le dire, et après avoir employé tous ses efforts pour en venir là. A tout prendre je crois que c'est pour le mieux. Dans l'état où est l’armée, il faut mieux qu’elle ait à défendre un gouvernement qui ne soit pas suspect de royalisme, et la médecine expectante que nous allons essayer vaut peut-être autant que la médecine héroïque. " Je ne crois pas du tout que ce soit pour le mieux. C’est à coup sûr pour le pire dans l'avenir, et dans un avenir prochain. Le duc de Broglie regarde la bataille prochaine comme inévitable. J’ai causé longtemps avec Lord Aberdeen. Toujours, et même de plus en plus persuadé qu’il y a, dans le cabinet, un travail aussi actif que sourd, pour se défaire de Lord Palmerston, et que ce travail gagne du terrain, même assez haut. Une douce violence, faite par le Parlement, serait accueillie et est peut-être cherchée. Adieu. Adieu. Adieu. A demain dans la matinée. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Vendredi 19 Janvier 1849 Brompton
Midi

Voici deux lettres venues hier ; l'une de mon libraire, l'autre de mon hôtesse. Lisez-les, je vous prie attentivement. J’espère que vous pourrez les lire vous-même sans trop de fatigue pour vos yeux deux grosses écritures. Je n'en persiste pas moins dans ma résolution. Plus j'y pense, plus je suis sûr que c’est la seule bonne. Mais il faut tout écouter. Evidemment le travail sera très actif contre moi. Quelles misères ! Si le bon sens et le courage de mes amis ne sont pas en état de les surmonter, ma présence pourrait bien me faire élire ; mais après l'élection, je serais affaibli de toute la peine que j'aurais prise moi-même pour mon succès. Je ne veux pas de cela ; il faut que j'arrive par une forte marée montante, ou que je me m'embarque pas. Je vais écrire dans ce sens à tout le monde. Renvoyez-moi tout de suite ces deux lettres. Je vous prie. Il doit être arrivé à Brighton encore des journaux pour moi. Le postman par excès de zèle, s'est obstiné à m'en envoyer là quelques uns, sans ordre. Cela cesse aujourd’hui.
Je suis frappé du silence de l'Assemblée et du peu de paroles des journaux sur l'expédition de Toulon. Je doute que l'affaire soit aussi avancée qu’on l'a dit d'abord. Cependant la nouvelle proclamation du Pape, que les Débats donnent ce matin est bien forte. C’est la guerre déclarée aux républicains romains, autant que le Pape peut faire la guerre. Il faut qu’il soit sûr d'être efficacement soutenu. Je n’ai encore vu personne ici. Je vous quitte pour écrire à Paris. J’ai trois ou quatre lettres à écrire. Et longues. Il ne me suffit pas de dire non. Il faut que je persuade ceux qui me demandent de dire oui. Si je ne les ramène pas à mon avis, ils n'auront pas de zèle, et il me faut leur joie. Adieu Adieu. Je n'ai pas encore, ma lettre de vous. J'espère bien qu’elle viendra dans la matinée. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Jeudi 11 Janv. 1849

Je vous ai envoyé ce matin par le railway, quatre exemplaires de ma brochure. Vous, le Prince de Metternich, Marion et Lord Mahon. Aurez-vous la bonté de charger Jean de porter le dernier exemplaire ? Je n'ai reçu qu’hier l’édition française. Les journaux commencent à en parler. Vous serez contente des Débats et de l'Assemblée nationale. Voyez-vous celle-ci ? Avez-vous lu le Morning Chronicle ? Me voilà bien et dument aristocrate. Je suis frappé du tour de quelques uns des journaux anglais. Ils sont évidemment plus démocrates que moi. J’ai été hier chez C. Greville. Bien pris de goutte. Grands compliments. J’y ai trouvé, Lord Ellesmere, Henri Greville et un M. Stanley que je ne connais pas. Nous avons beaucoup causé, mais trop de monde. Rien n'est fini pour le remplacement de Lord Auckland. On croyait assez là à Lord Carlisle.
Je n'ai rien de Paris ce matin. Louis Nap. n’ira pas. Mais il ne s'en ira pas sitôt. Si j’avais à parier je parierais qu’il finira par se mettre entre les mains de Cavaignac et des Républicains. C’est contre son origine, mais c’est selon sa nature, et sa sureté. Je serais étonné si nous avions à traverser la phase de l’Empire. Je la crois usée d'avance par le décri de l'homme. Henri Greville avait hier des lettres de Paris qui m’en tarissaient pas sur les ridicules, et sur les quolibets dont il est l'objet, parmi le peuple comme plus haut. Certainement les gros bonnets modérés ne s’entendent. pas. Et plus ils iront, moins ils s’entendront. Au fond, ils ne veulent point la même chose. Ils sont comme le pays ; il n'y a que l’extrême danger qui les unisse Adieu. Adieu. Je vais chez Lord Aberdeen. J’ai je ne sais combien de billets à écrire. Nous aurons bien à causer mardi. Je vous rapporterai Lady P. et Contantin. Adieu Je persiste à croire que les tablettes d'une révolution sont de Capefigue.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Lundi 8 Janv. 1849

J'ai dîné hier chez Duchâtel. Il ne savait rien. Je lui ai appris la situation. Bien confirmée par ce que vous me dîtes des nouvelles de Mad. Rothschild. Cela ne finira pas, mais continuera par un replâtrage. Les modérés soigneront, et soutiendront, un peu mieux Louis B. Mais Thiers et Molé ne deviendront pas des ministres. Ils gagneront tant bien que mal la dissolution de l’Assemblée et les nouvelles élections. La Presse venue ce matin, commence son mouvement d'abandon, de L. B.. Elle deviendra légitimiste. Ellice dinait chez Duchâtel. Plus hostile que jamais à Lord Palmerston. Disant que Lord John n'a pas autre chose à faire que d'aller trouver Sir Robert Peel et de lui demander trois ou quatre ministres. Mais qu’il ne le fera pas. Ellice va à Paris à la fin du mois. Il a vous surement dit tout cela. Le Roi n’a qu'une idée, mais idée fixe. Se justifier du renvoi de son cabinet le 23 février. Mon impopularité est sa seule défense. Il faut qu’il ait du mérite à m'avoir soutenu si longtemps, et une excuse pour m'avoir enfin, abandonné. Je ne lui en veux pas, mais je me tiens pour averti. Quant aux Princes, ils disent ce qu’ils croient utile de dire pour plaire au parti qu’ils craignent et ce qu'au fond ils croient assez eux-mêmes. La politique des Journalistes ne descend pas seulement très bas. Elle monte très haut. Je ne m’y rangerai pas pour cela. Je n'ai qu’un malheur c’est que je ne vivrai pas encore cent ans. Dans cent ans, plutôt probablement, j’aurai trop raison.
Je vais à Richmond tout à l'heure. Je n'ai rien de Paris, ce matin. J’attends quelque chose dans la journée. Ménagez bien vos yeux, même avec moi. J’ai été charmé de voir fondre la neige. Voulez-vous que je vous renvoie la lettre de Constantin, ou que je vous la rapporte ? Adieu. Adieu. Adieu.
Voici la note des livres dont j'ai besoin et envie. Mais remarquez bien que je n'en sais pas les prix, et que je ne veux pas tout , et tout est cher. Les n°2 et 3 sont d'anciens ouvrages. Les n°1 et 4 des ouvrages nouveaux. Je les ai rangés dans l'ordre de leur intérêt pour moi.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, samedi 6 Janv. 1849
Une heure

Je viens de passer ma matinée, avec Mrs Austin, et Mr. Murray à corriger des épreuves, à régler des détails de publication & Tout est long et difficile quand on veut que ce soit bien fait, et bien fait dans deux pays à la fois. Enfin, c’est fini. La brochure paraîtra décidement mardi prochain, à Londres et à Paris. Le Times a beaucoup insisté pour en avoir les prémices, et il en donnera un extrait lundi ou mardi. M. Murray s'en promet beaucoup de succès en Angleterre. Je n'ai vraiment rien de Paris. Pas le moindre fait et à peine quelques réflexions de Philippe de Ségur qui me promet sa voix pour le duc de Noailles à l'Académie. Génie ne me parle que de ma brochure. Il est évident que la crise ministérielle a un peu troublé tout le monde, ceux qui l’ont faite et ceux qui l’ont subie, et que personne, ne s’est soucié de pousser, quant à présent, la lutte plus loin. Il me semble même qu'on blâme Thiers de l'avoir commencée sitôt. J'ai vu ce matin un ancien député conservateur, M. de Marcillac, bon homme, sensé, et tranquille, qui n'a nulle envie que Louis Nap. dure mais qui trouve qu’on se presse trop de le faire tomber. Il m'a dit de plus, et ceci me chagrine que le maréchal Bugeaud avait été réellement fort malade et ne se remettait qu'à moitié. Il a un poumon en mauvais état. M. de Marcillac croit que les prochaines élections se feront fin de mars ou au commencement d’Avril, que beaucoup de conservateurs rentreront dans l’Assemblée et qu’elle sera beaucoup meilleure que celle-ci, mais que le parti républicain y sera encore fort, trop fort. Le parti n’est plus au pouvoir, et ne tardera pas à reprendre quelque faveur dans le bas de la société. Non comme république, mais comme opposition. Ségur est fort sombre. Sa lettre ne vaut pas la peine de vous être envoyée. Il y a plus de dissertation et d'Académie qu’il ne vous en faut. L’amiral Cécilla est un choix honnête. Il a du bon sens et du savoir-faire. Très étranger à la politique générale, il ne s'appliquera qu'à bien vivre avec Paris et avec Londres, et à les faire bien vivre ensemble. Il n’aura point d’idées et ne fera point d'affaires. On le regarde comme un excellent marin. Pourquoi vos yeux vous faisaient-ils mal hier soir, après une bonne nuit ? C'est l’approche de la neige. J’ai eu de l'humeur ce matin en la voyant. Je crois que Mardi de la semaine prochaine sera le jour qui me conviendra pour venir à Brighton. J’aimerais mieux lundi. Mais je ne suis pas sûr. Je vous l’écrirai positivement dans deux jours. Adieu. Adieu. Quel ennui de vous avoir quittée ! Mes amitiés à Marion. Voici un complet de M. Etienne Arago sur le nouveau ministère. L'assemblée est fort satisfaite Du ministère qu'on lui fait ; Elle n'avait qu'une buvette ; Elle a maintenant un Buffet.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, Samedi 28 octobre 1848
Une heure

Vous êtes partie. Donc vous n’êtes pas plus enrhumée. C’est bon. Mais si vous aviez été plus enrhumée, vous ne seriez pas partie. Je viens de me promener. A peu près sans la pluie. Je vais bien. Je n’ai pas encore mes journaux. Je n’ai vu personne. Excepté un garde national de Paris qui était là tout à l'heure, me racontant comment, le 24 février, il avait sauvé M. de Rambuteau et toute la peine qu’il avait eue à le hisser dans un cabriolet. A quoi il a ajouté qu’il avait une passion effrénée, non pas pour Mad. de R. mais pour la politique ce qui l’avait fait destituer de sa place à l’hôtel de Ville. Voilà toutes mes nouvelles.
J’espère que les journaux vont arriver. Je serai à Cambridge de lundi à Vendredi, Ecrivez-moi donc là, chez le Dr Whewell, Trinity lodge. Jusqu'à jeudi. Votre lettre de Jeudi arrivera à Brompton quelques heures avant moi. Je ne serai jamais content de vous voir à Brighton. Mais je serai moins mécontent quand je vous y aurai vraiment vue. Je ne puis souffrir de ne pas connaître votre maison, votre appartement. C’est bien assez de l'absence, sans y ajouter l'ignorance.
Vous aurez peut-être à Brighton des nouvelles du spectateur de Londres. M. de Matternich est très fâché qu’il ne paraisse plus. Il a fait venir Melle K. pour lui dire de continuer. Une bonne somme était venue de St Pétersbourg. Mlle K. ne peut pas. Elle ne sait pas où est son père, et dit qu’il l'a abandonnée, elle et le journal.
On vient de m’apporter la Revue des deux mondes. Le second article de M. d’Haussonville sur notre politique étrangère n’y est pas encore. Il y a en revanche, un assez curieux article de M. de Langsdorff sur Kossuth et Gellachion, des détails qu’on n'a pas vus ailleurs. Vous devriez vous faire lire cela. La Revue des deux mondes se trouve probablement à Brighton. C'est le n° du 15 octobre.

2 heures
Le Journal des Débats seul m'est arrivé. Je viens de lire la séance. Je ne comprends pas bien. Mon instinct est que la prompte élection est donc l’intérêt de Louis Bonaparte. Mais alors pourquoi Cavaignac l’a-t-il voulue ? Pourquoi l'Assemblée l’a-t-elle votée ? Je parierais presque que l’arrangement est fait entre Louis Bonaparte et Thiers. Odilon Barrot a parlé comme un compère. C'est une mêlée bien confuse. L’Assemblée se montre inquiète de sa propre responsabilité, et pressée de s’en décharger en partie sur un Président définitif. Nous y verrons plus clair dans quelques jours. Je n'ai rien de Paris. Ce qui me frappe c’est à quel point toutes les opinions, tous les partis se divisent, se subdivisent, se fractionnent en petites coteries qui cachent leur jeu. Grand symptôme de pauvreté d’esprit et de personnalité mesquinement ambitieuse. Je suis triste de l'aspect de mon pays. Plus triste qu'inquiet. La décadence me déplait plus que le malheur. Le discours de M. Molé est bien petit. Adieu. Adieu.
Je compte bien avoir lundi matin de vos nouvelles. Je ne pars pour Cambridge qu'à une heure. Adieu, puisqu’il faut recommencer Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Jeudi 23 nov. 1848

Voici une immense et curieuse lettre de Paris. J'en ai retranché deux feuillets qui n'étaient relatifs qu’à des affaires personnelles, maisons, vins, Calvados &. Je vous envoie tout ce qui est intéressant : la dernière page retranchée dit à la fin. " Lundi 20 nov. On m’apporte la lettre que vous m'avez écrite le 17. Vous avez parfaitement compris l’article des Débats, une impertinence à réprimer ; le ressentiment de la liberté qu’on avait prise de disposer, sans dire gare, de toute le parti modéré ; une rouerie à déjouer ; une position pour l'avenir. Il y a eu de tout cela ; et lorsque j'ai lu tout à l'heure à Bertin ce passage de votre lettre, il a ..." Le reste sur les feuillets que je vous envoie. Renvoyez-moi, je vous prie, dès que vous les aurez lus. Je veux répondre par ma prochaine occasion. C’est bien fin. Mais l'encre est un peu plus noire.
Merci de la lettre du duc de Noailles. Je vous la renverrai demain. Je veux la relire, et je suis pressé ce matin. J’apporterai mardi tout ce que vous me prescrivez. Je ne regrette pas, Miss Gibbons pour vous. Nous trouverons bien l’équivalent quand il le faudra absolument. Je vous ai dit hier mon impression sur Berlin. Bien d'accord avec la vôtre. Je ne m'étonne pas du galimatias du Prince de Metternich. C'est l'Allemagne. Il a respiré cela toute sa vie. Ce qui est de lui, c’est le bon jugement.
Je n’ai pas encore mes journaux français. Adieu. Adieu. J’aimerais mieux dire à demain qu'à mardi. J'ai beaucoup à vous dire. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Drayton-manor. Samedi 18 nov. 1848
5 heures

Nous nous sommes promenés ce matin dans le parc. Nous avons longtemps causé, Sir Robert et moi. Curieuse conversation où il y avait de quoi rire de l'un et de l'autre interlocuteur, si bien que j’en riais en parlant. Nous n'étions tous deux occupés qu’à nous démontrer que nous avions bien fait, lui de briser, à tout risque, le parti conservateur pour réformer la loi des céréales, moi d’ajourner, à tout risque, la réforme électorale pour maintenir le parti conservateur. Et je crois en vérité que nous nous sommes convaincus l’un l'autre. Mais il se fondait surtout sur ce qui est arrivé en Europe " Que serions-nous devenus, au milieu de ce bouleversement si la loi des céréales eût subsisté ? " En sorte que c’est nous qui en tombant lui avons fourni son meilleur argument.
Il me paraît avoir en ce moment une nouvelle idée fixe, c’est l’énormité partout de la « public expenditure. " Cela ne peut pas aller, on ne le supportera pas ; il faut absolument trouver un moyen de réduire, partout, les dépenses de l’armée de la marine d'avoir vraiment le budget de la paix. "Je n’ai pas manqué une si bonne occasion! " Si vous n'étiez pas tombé, si je n'étais pas tombé, cela eût peut-être été possible. La France et l'Angleterre conservatrices et amies, pouvaient se mettre sur le pied de paix, de paix solide et y mettre tout le monde. Mais aujourd’hui, sans vous, sans nous, il n'y a pas moyen. Les révolutions ne désarment pas. On ne désarme pas en présence des révolutions. " Cela lui plaisait. Il ne croit pas au bruit du fils de lord Cottenham. Il écarte la conversation sur ce sujet. Par précaution et par goût. Il n'aime pas cette perspective.
Le dean de Westminster et M. Hallam sont arrivés ce matin. Jarnac ne vient décidément pas. Il est toujours malade. Mon lit était très bon hier soir. Ma Chambre est excellente. Toute la maison est chauffée par un calorifère. Nous nous sommes promenés entre hommes. Lady Peel et Lady Mahon sont allées de leur côté.
Il y a une fille de Lady Peel qui me plaît. Jolie réservée avec intelligence de la vivacité sans mouvement. Je serais étonné qu’elle n’eût pas de l’esprit. Je ne vois pas que le soulèvement de Breslau se confirme. Il paraît que l'exécution de Blum fait beaucoup de bruit à Francfort Le droit est incontestablement du côté du Prince Windisch-Graetz. Reste la question de prudence.

Dimanche 19 nov. 4 heures
Encore une longue promenade à pied, mais pas seul, avec Sir Robert. Lord Mahon, M. Hallam et le dean de Westminster. Conversation purement amusante, mais amicale et animée. Beaucoup de jokes, latins et grecs. Sir Robert m'a mené ce matin au sermon, à Tamworth. Bien aise de me montrer. Il est impossible d'être plus courtois, sincèrement je crois, certainement avec l’intention d'être trouvé courtois, par moi-même, et par tous les témoins. Mais je comprends ceux qui disent que c’est un ermite politique, ne communiquant guères plus avec ses amis qu'avec ses ennemis.
Berlin me préoccupe beaucoup. Je crains que le Roi ne se charge de plus qu'il ne peut porter. Et s’il fait un pas en arrière, il est perdu. Voyez Francfort. Lisez les Débats. La résistance, quand elle devient efficace, effraye même ceux qui l’ont appelée. Ils y poussent et puis ils la repoussent. On ne veut, à aucun prix ; revenir au point de départ. Et on voudrait qu’en se défendant on ne fît de mal à personne. Quel est le plus grand mal, les esprits à l'envers ou les cœurs faibles ? je ne saurais décider. Les deux maux sont énormes.
Je suis bien aise que vous ayez rendu un petit service à Lady Holland. Cela vous dispense des autres. Vous avez bien raison de ne pas vous prêter à ses confidences.
Je n’ai rien de Paris. Je crois vraiment que l'acharnement de la Presse contre Cavaignac ne le serve au lieu de lui nuire. Cependant tout ce qui revient de France, continue d'être favorable à Louis Bonaparte. Parme qui est enfin arrivé hier avec sa femme, a les mêmes renseignements de son beau-frère, Jules de Larteyrie, qui est assez au courant, et qui déteste Louis Bonaparte sans vouloir de Cavaignac. Mad de Larteyrie revient ces jours-ci d'Orlombe. Jarnac la reconduira à Paris. Son mari croit à des coup de fusil, dans les rues de Paris, peu après l'élection, quelle qu’elle soit. La Princesse de Parme à Brighton m'amuse. Certainement votre visite est faite. Vous n’avez plus qu’à attendre. Adieu. Adieu.
Je pars après demain mardi, à 9 heures du matin. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Mercredi 15
3 heures

J’arrive sain et sauf et je vous tire d'inquiétude. On a toujours raison d'être inquiet Je trouve bien des lettres en arrivant.
Rien de bien nouveau, sinon que mon procès sera vidé avant l'élection du Président. C'est le procureur général qui me le fait dire. Situation beaucoup plus commode. J’en suis donc fort aise. Mais ce que je ne comprends pas ce qui est très grave, c’est l'article des Débats. La guerre au Constitutionnel. Je n’ai pas un mot qui m'explique cela. Je crains qu’on n'ait mis la main sur quelque escamotage de T. et qu’on ne se soit cru forcé de le déjouer. Enfin, je ne sais pas.
Voici une lettre assez curieuse de Mad. de M.. mon hôte le 24 février. Renvoyez-la moi tout de suite, je vous prie. Adieu. Adieu. Je ne veux pas manquer la poste. Quelle jolie journée. Pas toute une journée. Adieu, un billet de Montebello. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Samedi 4 nov. 1848

Je reçois votre lettre. L'adresse m'a inquiété. C’était vous et pas votre écriture. Je suis désolé. Est-ce que l’œil gauche a empiré ? Est-ce que l’œil droit est pris ? Marion aurait bien dû me donner, elle-même, quelques détails de plus. J’ai recours à elle, je me confie à elle, pour vous et pour moi. Je veux espérer que cette recrudescence de mal ne sera pas longue, que l’usage soutenu de votre remède. (j'oublie son nom) vous ramènera bientôt, à l'état antérieur. Mais que sert d'espérer ?
L'espérance est de toutes les consolations la plus égoïste, car elle soulage le cœur sans diminuer le mal. J’attendrai demain bien impatiemment, ou plutôt ce soir, car c’est demain dimanche. J’espère bien avoir quelques lignes.
J’ai vu hier Jarnac qui part mercredi pour Paris. Je lui ai remis votre lettre au duc de Noailles. Je n’avais pas d'occasion plutôt. Jarnac ramène sa sœur Mad. de Lasteyrie à Paris. Elle arrive aujourd'hui d'Irlande. Il passera en France quelques jours, les jours de l'élection. Les lettres de son beau- frère, Jules de Lasteyrie comptent toujours sur Louis Bonaparte. Et il est croyable, car cela lui déplaît quoiqu’il s’y prête dans l’intérêt de la Restauration de la Régence, et de la régente à qui il est tout dévoué. Les jalousies de Palais sont déjà actives. Thiers a fait dire à Mad. la duchesse d'Orléans qu'elle avait tort d'avoir tant de confiance dans Jules de Lasteyrie, qui n’était qu’un étourneau assez spirituel.
Mes journaux français ne sont pas encore venus. Le débat d'hier sur les Affaires de Rome a dû être intéressant, MM. de Montalembert, et de Falloux y auront pris part, certainement pour enlever au Général Cavaignac le profit d'une démonstration sciemment vaine à ce qu’il paraît, et qu’il serait bien embarrassé de continuer, si elle devait devenir sérieuse. J'ai vu hier au soir Mad. Austin et M. de Rabandy. Point de nouvelles. J’ai travaillé toute la matinée, sauf les visiteurs trop nombreux Et tant d’insignifiants !
Il fait beau ce matin. J’irai après déjeuner chez Lady Cowley. Il faut aussi que j'aille un jour à Richmond, matinée perdue. Jarnac m’a dit que la Reine était de nouveau assez souffrante. Il en est inquiet.
L’article du National sur Louis Bonaparte est très joli. C'est de la bonne plaisanterie ce qui est fort rare. La plaisanterie allemande, assomme. La plaisanterie anglaise déchire. La plaisanterie française pique. C’est la seule bonne, la seule qui fasse rire les spectateurs plus que pleurer le patient. Je trouve que nous sommes trop peu touchés de l'immense ridicule de l’élection de Louis Bonaparte si une autre nation faisait pareille chose, nous sifflerions sans fin. Je ne change pourtant pas d'avis.
3 heures
Les journaux arrivent et ne m’apportent rien qu’un bon discours de M. de Montalembert qui a enfin, parlé convenablement de ce pauvre Rossi. J’espère bien que le Prince Windisch-Graetz n'est pas assassiné. Quoiqu'un assassinat soit maintenant non seulement toujours possible mais toujours probable. Adieu. Adieu. Je sors. Dieu bénisse Vos yeux ! G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Cambridge. Jeudi 2 Nov.1848
5 heures

Je rentre d’une longue promenade, et je trouve votre lettre d’hier. J'espère bien que votre indisposition, est déjà passée. Vous succomberiez en deux jours à la vie que je mène ici. Non pas à table, car je ne mange pas plus qu'à mon ordinaire, et rien que du mouton, du bœuf et du poulet. Mais je marche ou je parle ou j'écoute tout le jour. Il y a ici bien des gens voués à avoir de l’esprit et quelques uns qui accomplissent leur vocation. C’est un beau spectacle de profonde, tranquillité matérielle et d'incessante activité intellectuelles. Plus d’activité qu'à Oxford. Moins de passion politique. On y pense moins. La jeunesse cependant très conservative, peut-être plus que ses maîtres. Ne redites pas cela. Les maîtres m'en voudraient, et ils sont excellents pour moi. D'ailleurs à vrai dire ils sont conservative. J'y deviens peut-être trop difficile. J’entrevois de si loin les déviations !
Mon hôte, le Dr Whowell est vraiment Un homme d’esprit. Un esprit robuste, infatigable, amusé de tout ce qui l’occupe. Je suis frappé de la phrase du Constitutionnel. Il en dit trop. En fait, il ne dit pas vrai. Thiers connait très bien Louis Napoléon. Daru m'a raconté une conversation entre eux. Louis Napoléon a dîné chez Odilon Barrot. Ce qui est clair, c’est que Thiers ne veut pas prendre d'avance ou être pris d'avance. Cela ne me prouve pas qu’il ne veuille pas être poussé au pouvoir, sous la présidence de Louis Napoléon, par la majorité de l'Assemblée nationale. S'il ne veut pas même de cela, s’il refuse absolument d’entrer dans la barque de N. B., Celui-ci sera bientôt usé.
En échange de votre article, en voici un de l'Assemblée nationale que je regarde comme un évènement. C’est la première fois que la fusion est ouvertement annoncée. Et elle se place convenablement sous son vrai drapeau. Je suis sûr que c'est le symptôme d’un pas considérable fait à Paris, par les deux partis. Je pars toujours demain vendredi à 2 heures. Et à moins que vous ne me disiez le contraire, je parlerai de Brompton samedi, à 2 heures, par le Railwvay de Brighton.

Vendredi 3 nov., 8 heures
Je pars tout-à-l ‘heure, par le train de 10 heures au lieu de celui de 2 heures. Il y à quelqu'un à Londres qui doit partir ce soir pour la France, et qui tient beaucoup à me voir auparavant. Je serai chez moi à 2 h. au lieu de 6. Je ne pense pas que cela change rien à mes projets pour demain. Adieu. Adieu.
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