Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


Votre recherche dans le corpus : 823 résultats dans 3296 notices du site.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00191.jpg
9. Beauséjour Mercredi le 6 septembre 1843

Me revoilà dans mon home et j'en suis bien aise. J’ai encore dîné hier à Versailles et j’étais ici à 8 heures, & dans mon lit à 9. J'ai bien dormi jusqu'à 6 heures. à 7 heures j’étais sur les fortifications, je viens de faire ma toilette et me voici à vous. J’attends votre lettre. Le Galignani et les journaux ont devancé votre récit. Je sais que Lundi s’est bien passé. Belle promenade & concert. Je voudrais que tout fut fini. Dieu merci c'est le dernier jour.
Kisseleff est venu me trouver à Versailles hier sur les 3 heures, nous ne nous sommes vus seuls que dix minutes. Le Duc de Noailles est arrivé. Dans les 10 minutes il m’a dit qu'il avait écrit à Brünnow ceci : " On dit que le corps diplomatique (de Paris) montre quelque dépit de l’entrevue royale, quant à moi je me tiens dans un juste milieu. Je dis que c'est un événement très favorable au Roi et à son gouvernement et voilà tout. Si les autres disent plus ou autrement je trouve que c’est de la gaucherie. " Je l'ai encore loué. Il me dit qu'Appony avait changé de langage. Je le savais moi-même de la veille. Il est évident que c’est le rapportage de Molé et La confidence que je lui en ai faite qui ont amené ce changement. C'est donc un service que je lui ai rendu. Mais il n'en sort pas sans quelque petits blessure.
J’ai régalé le duc de Noailles de tout ce récit qui l’a fort diverti. Il a jugé l'homme comme vous et moi. Je lui ai dit qu’on savait que son langage à lui était très convenable. Cela lui a fait un petit plaisir de vanité. Il est évident que tous les jours ajoutent à son éducation politique, et qu’il meurt d’envie de la compléter. Je lui ai lu ainsi qu'à Kisseleff les parties descriptives de vos lettres. Cela les a enchantés surtout le duc de Noailles. Il trouve tout cela charmant, curieux, historique, important. Non seulement il n’y avait en lui nul dépit mais un plaisir visible comme s’il y prenait part. Je lui ai lu aussi un petit paragraphe, où vous me parlez du bon effet du camp de Plélan. Il m’a prié de le lui relire deux fois. Il est évident qu'il voudrait bien qu'on se ralliât. Il suivrait, il ne sait pas devancer. Il m’a parlé avec de grandes éloges du Roi, et de vous, de votre fermeté de votre courage, de votre habileté, de votre patience sur l’affaire d’Espagne. Il est très Don Carlos il a raison, c’est la meilleure combinaison parce qu'elle finit tout et convient à tous. Mais se peut-elle ? Il regrette que la Reine ne soit pas venue à Paris. " Un jour pour Paris, un jour pour Versailles. Elle aurait été reçue parfaitement. Le mouvement du public est pour elle aujourd’hui tout à fait. Une seconde visite sera du réchauffé. Aujourd’hui tout y était, la surprise, l’éclat. " C’est égal j’aime mieux qu’elle n'y soit pas venue. Kisselef m’avait quittée à 4 1/2 pour s’en retourner par la rive droite. Comme le Duc de Noailles partait par la gauche nous avons eu notre tête-à-tête jusqu'à cinq. Kisseleff partait triste, il avait peu recueilli. Tous les deux avaient dû dîner en ville et n'ont pas pu rester. J’ai dîné ave Pogenpohl que j’ai ramené jusqu’ici. J’ai remarqué qu'il en avait assez de Versailles. Un peu le rôle de Chambellan. La promenade et le dîner, et encore par la promenade quand j'en avais un autre. Mais c’est juste sa place.

Onze heures. Voici le N°8 merci, merci. Que vous avez été charmant de m'écrire autant ! Enfin vendredi je vous verrai c’est bien sûr n’est-ce pas ? Passez-vous devant Beauséjour ou bien y viendrez-vous après avoir été à Auteuil ? Vous me direz tout cela. Que de choses à me dire ; nous en avons pour longtemps. Et puis, l’Europe a-t-elle donc dormi pendant Eu ? Comme nous allons nous divertir tous les jours des rapports de partout sur l'effet de la visite ! J’irai ce matin en ville mais tard. Je passerai à la porte de Génie pour causer avec lui. Et puis commander ma robe de noce pour lundi. Ensuite en Appony pour voir le trousseau. J’y resterai pour dîner. Voici donc ma dernière lettre. Adieu. Adieu. Adieu. Apportez-moi moi la jarretière, je m’inquiète que vous ne m'en parlez pas. Ce que vous dites de la princesse de Joinville est charmant ! Adieu encore je ne sais pas finir. Adieu. Prenez soin de vous demain. J’ai si peur de la mer. Et puis j’ai peur de tout. Revenez bien portant, revenez. Adieu. Je me sens mieux aujourd'hui.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00199.jpg
10. Beauséjour le 6 septembre
3 heures

Ayez la bonté de remettre ceci à Lady Cowley. Cette lettre a été oublié sur ma table à Versailles et je voudrais qu’elle l’eût. Je n’ajoute que ce mot. Je n’ai vu personne et je vais en ville dans ce moment. Adieu. Adieu.
A vendredi. Quel plaisir. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23017_00052.jpg
9 Bruxelles le 9 Mars 1854
Jeudi

Je vous prie écrivez-moi toujours où vous allez le soir. Je pense sans cesse à tout. Voici mes nouvelles. Nous avons envoyé à Vienne des propositions sur lesquelles on délibère là, & qui ont en attendant fait ajourner l’envoi de l’ultimatum anglais français. Vous savez que l’Autriche & la Prusse étaient invitées à s’y joindre. La Prusse ne le fera pas, l’Autriche, oui mais avec des modifications. On n’a donc pas envoyé cet ultimatum encore. Il est venu hier un courrier de [Pétersbourg] : nous désirons fort éviter la guerre. Comment cela sera-t-il possible après tout ce qui s’est fait et dit ?
Je fais mal à mes yeux en vous écrivant. Quel désespoir que mes yeux. Quel horrible climat que ceci, et quel ennui de toutes sortes. Kisseleff a l'ordre de rester indéfiniment ici, & Brunnow d'y venir pour y rester aussi. Nous ne voulons pas encore entendre parler de guerre. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L007_00207.jpg
6 Chateau d’Eu Dimanche 3 sept. 1843,
10 heures et demie

Un mot puisque j'ai une lettre de Lady Cowley à vous envoyer ; un seul car je suis fatigué et je meurs de sommeil. Ce matin une promenade d’une heure et demie par un mauvais chemin, pour arriver à un joli point de vue. C’est notre Reine qui a le goût de ce point de vue, et n’a pas songé au mauvais chemin. L'autre Reine s'en est amusée. Avant la promenade, une très bonne conversation avec Lord Aberdeen sur l'Espagne. L'affaire ira. Ce soir une bonne aussi sur toutes choses, dans le salon de la Reine : salon sévère, comme le Sabbath. On a regardé des images et fait des patiences. M. le duc de Montpensier y excelle. A dîner en revanche, la Reine V.. s’était parfaitement amusée ; le Roi l’a fait rire tout le temps, je ne sais avec quoi. Moi, j’ai amusé Lady Cowley. Si j’avais le temps, elle m'aimerait. Adieu. Adieu.
Dieu nous garde ce beau temps la semaine prochaine, pour notre dîner de St Germain. Quel plaisir ! Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00042.jpg
9. Schlangenbad le 11 juin 1852

Je me suis couchée à 9 h. hier soir, et levée à 9 ce matin j’ai beaucoup dormi & je ne suis pas reposée. Il me faut du repos & des soins. Il est clair que si je dois rester seule je n’aurai ni l’un ni l’autre, & que dans ces conditions là les bains les plus efficaces seront sans efficacité pour moi. Si donc je n’ai la certitude ici de Marion, ni d'Aggy, Je finis l’Allemagne en même temps que l’Impératrice c’est-à-dire le 1er Juillet, & je retourne à Paris avec un blanc, un bleu, un rouge, tout m’est égal pourvu que ce soit un homme qui me protège en route. Je le cherche pourriez-vous écrire encore un mot à Marion. Clothal, Mad. Baldoux Herti. L’une d’elle pourrait elle venir ici avant cette date ? La soeur ne mourra pas, le médecin du lieu le dit. Elles ont pris l’alarme inutilement et m'ont fait à moi un mal bien grand. Elles pourraient réparer. Si elle vient je reste et je fais quelque chose pour cette pauvre santé. Si non, Paris et là Dieu sait quoi.
J’ai écrit à Beauvale aussi sur cela, mais vous pouvez davantage. Tous les soirs en m'envoyant coucher l’Impératrice crie Marion, Marion. Dites lui cela. Mad. Narichkin a passé quelques heures ici. Elle est partie. L’Empereur envoie tous les deux jours un courrier. Je voudrais bien que Constantin fut le prochain.

5 h. J'ai essayé mes jambes soutenue par Meyendorff. J’ai eu une longue visite du général Philosofof gouverneur des grands Ducs. Ceux-ci n'ont donné au Comte de Chambord que le Monseigneur. Le grand duc Constantin avait été plus loin, mais jamais devant un témoin étranger, ce qui explique que les autorités autrichiennes interrogées sur cela ont répondu néga tivement. L'Empereur en apprenant que le [grand duc Constantin] avait dit Majesté, a dit de son fils, il s’est émancipé. Meyendorff averti par moi en temps utile à empêcher les cadets d’imiter leur aîné.
Voici votre lettre d’avant hier. Je suis mieux traitée que vous ne l'êtes par les facteurs. Le temps est laid depuis deux jours froid et pluvieux. Je suis fâchée que vous ayez manqué Fould & Noailles. J’espère que vous me donnerez des nouvelles de l’un et de l'autre. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
2301_00145.jpg
9. Stafford House le 17 juillet
3 heures

Je suis monsieur dans un très pitoyable état. Il me semble impossible de durer comme cela. Après vous avoir le écrit ce matin on m’a amené ce petit chien dont je vous ai parlé. Je ne l’avais pas vu depuis l’heure de la mort de mon Arthur, il était sur son lit : "ce chien m’a reconnue au bout de deux ans et demi ! Il m’a caressée, il ne voulait pas me quitter. Des sanglots horribles se sont échappés de mon cœur. J’ai poussé des cris de désespoir. Rien depuis bien longtemps ne m’a émue comme cela. J’ai invoqué le secours de Dieu, le vôtre. Ah le manteau de Raleigh avait perdu toute sa puissance ! Ou plutôt c’est lui, lui qui ajoutait à ma douleur. Je suis triste triste comme si j’allais mourir. Tout me parait tragique dans mon existence, & les idées les plus affreuses, se sont emparées de moi depuis ce matin. Je n’ai point de lettres ! De quoi voulez-vous que je vive ?
Mardi 18. La poste est venue rien, rien. J’ai demandé à Dieu à genoux une lettre. Dieu m’abandonne. Vous ne pouvez pas m’abandonner ? Cela est impossible. Monsieur vous êtes malade. Faites-moi écrire par quelqu’un. Mad. de Meulan. Je lui demande par pitié un mot.
J’envoie ceci à l’ambassade d’Angleterre à Paris avec prière de faire porter ma lettre à la premières des adresses convenues. Serait-il possible qu’on interceptât nos lettres lettres ? Il m’est revenu un propos qui prouve toute la fureur de 17 [Molé] contre moi.
Monsieur que voulez-vous que je devienne ? Je suis sans un état pitoyable. Je ne dors pas, je ne vis pas. On ne me reconnait plus. Faites-moi savoir que vous vous portez bien. Ne me laissez pas mourir.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L007_00075.jpg
9. Val Richer, Dimanche 20 août 1843
10 heures

Je serai bien court aujourd’hui. C’est un jour d'audience universelle. J’avais déjà trois visites ce matin, à 8 heures. On sait mon départ mardi. Tout le monde viendra. Et j’attends Salvandy dans la journée. Mes nouvelles d’Espagne sont bonnes. L’union des coalisés persiste et s'affermit au lieu de s’ébranler. Prim est chargé de pacifier Barcelone. Nous verrons bientôt une autre coalition, la Carlo-républicaine. Déjà on m'avertit que les Coalisés se remuent beaucoup. Coalition contre coalition. Olozaga viendra à Paris comme Ambassadeur vers la fin de septembre. On nous demandera d'en envoyer un à Madrid après le serment de la Reine aux Cortes. Jusqu'ici ce sont des affaires conduites sensément, sans presse et sans peur.
Espartero, en arrivant à Lisbonne a fait demander les honneurs de Régent. Le Ministre d’Espagne lui a fait dire qu’il avait reconnu, il y a deux jours, le gouvernement de Madrid, et le Cabinet Portugais qu’il allait le reconnaître. Espartero a déjà les illusions d'un émigré. Comme le monde va vite !
Ecrivez-moi encore demain. J’aurai votre lettre mardi matin, avant de partir. Le Roi de Prusse s’est personnellement. rejoui de la chute d’Espartero. Et Bülow aussi. Mais le travail anti-français est toujours bien actif en Allemagne. Il n’y aura pas de divorce légal entre le Prince et la Princesse Albert ; mais séparation de fait. Quand nous sommes ensemble à défaut de grandes nouvelles, il y a nous. Mais de loin, rien que des petites nouvelles, c’est pitoyable. Que Mercredi sera bon !
Piscatory fait très bien en Grèce. La conférence de Londres a adopté toutes ses vues. Adieu. Adieu. J’ai mon paquet à fermer et des gens qui attendent. Adieu, encore. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
2301_00172.jpg
N°9 Vendredi 21 Midi.

Madame que vous dirai-je ? Je n’aime pas les sentiments combattus ; ils sont peu dans ma nature. En général, quand deux impressions contraires m’arrivent ensemble, mon cœur choisit décidément choisit et l’une devient bientôt dominante, tout à fait dominante. Mais aujourd’hui que faire ? Vos N°7 et 8, le dernier surtout que je reçois à l’instant, me pénètrent de tristesse et de bonheur. Votre inquiétude me désole et me charme. Je lis, je relis, je relis vingt fois les paroles pleines d’une agitation pour vous si douloureuse, pour moi si tendre ! Que ne donnerais-je par pour vous l’épargner? Que ne vous dois-je pas pour l’avoir sentie? Pardonnez-moi dearest Princess, pardonnez-moi mon égoïste joie ; elle n’ôte rien, je vous jure à ma peine pour votre peine. Je crois que si ce n° 8 était arrivé avant-hier, le chagrin, l’eût emporté en moi. Je vous aurais vue encore si triste, si troublée ! Mais, depuis hier j’espère, le mal est passé ; hier au plus tard, vous avez reçu une lettre; vous en aurez une autre demain ; elles iront à vous désormais régulièrement, souvent, bien souvent. Chacun à notre tour, nous avons traversé l’un et l’autre un bien sombre nuage. De petites circonstances, des circonstances tout-à-fait étrangères à notre volonté, mon déplacement, des adresses inexactes, des postes mal réglées voilà la vraie cause du mal. Il ne se reproduira plus. Nous y veillerons. J’y veillerai comme les Guèbres sur la dernière étincelle du feu sacré, comme une mère sur son enfant malade. Les témoignages de votre affection me sont mille fois plus doux que je ne vous le dirai jamais. Mais je ne veux jamais les devoir à une minute de souffrance de votre cœur.
Et Lord Aberdeen ? Il est donc parti ? Et je puis en toute sûreté, le plaindre, être juste envers lui ? Que je vous remercie de m’avoir ainsi mis à l’aise avec moi-même ! Je ne connais rien de plus pénible que de nourrir en son âme un mauvais sentiment contre un galant homme malheureux. Et pourtant vous êtes une noble créature. Et moi j’ai le cœur bien fier. Je pressentais cela et depuis longtemps. Même avant votre départ, le nom de Lord Aberdeen me frappait plus sérieusement qu’aucun autre. Pauvre homme ! C’est si naturel !
Vous ne savez pas Madame, pour un homme sérieux et malheureux, quel charme il y a en vous, dans votre air, dans votre accent, dans ces entretiens où éclatent, avec tant de dignité et d’abandon, votre esprit si haut si simple, si libre, votre âme si gravement et si finement émue, si sensible aux grandes choses, si indifférente aux petites, pleine de tant de sympathie et de tant de dédain ! Je voudrais avoir quelque occasion d’être en bon rapport avec Lord Aberdeen de lui être agréable en quelque chose. Je me sens comme des devoirs envers lui. Vous me direz s’il vous écrit s’il doit revenir à Londres avant votre départ. Vous me direz tout, comme vous l’avez fait.
Samedi 22 midi. Dearest Princess, il n’y a plus de sentiment combattu. Je n’en ai plus qu’un absolument qu’un. Je suis désespéré de votre inquiétude. Je crains quelle ne vous fasse mal. Je reçois à la fois votre petit billet, sans numéro du lundi 17 qui m’est venu directement, après être encore allé me chercher à Caen et votre N°9, du Mardi 18, qui m’arrive par Paris. J’ai beau me dire qu’à présent, depuis Jeudi vous êtes tranquille, que vous savez combien vos inquiétudes étaient vaines. Je n’en suis pas moins désolé, troublé, inquiet de nouveau moi-même et de la façon la plus douloureuse. Je vous vois, vous êtes là devant mes yeux, impatiente, préoccupée quel charme agitée, triste, attendant, attendant encore. Vous me pardonnez, n’est-ce pas? Je veux que vous me pardonniez, quoique je n’ai point de tort, non certainement point de vrai tort, point de tort devant Dieu; car moi aussi j’ai attendu et bien des jours, et avec une impatience dont j’ai contenu, dont j’ai étouffé l’expression en vous la témoignant. Et si j’avais suivi ma pente, quand vos lettres ne m’arrivaient pas quand mon imagination se lassait, s’épuisait à chercher la cause du retard ou du silence, je vous aurais écrit tous les jours ; tous les jours je vous aurais demandé pourquoi je n’avais pas de lettre. J’aurais mieux fait. Je ne l’ai pas fait à cause de vous, de vous seule. J’ai craint quelque odieuse malice. J’ai voulu y voir clair.
Enfin tout est passé n’est-ce pas, bien passé? Vous ne craignez plus, vous ne souffrez pas, vous n’êtes pas malade ? Que la parole est pitoyable, & que tous mes efforts seraient vains pour vous envoyer sur ce papier, ce que j’ai en ce moment dans le cœur ? Voyez le, devinez-le. Vous le pouvez, j’en suis sûr ; je me confie à vous. C’est ma consolation dirai-je ma joie, mon inexprimable joie de savoir, d’avoir vu, de voir tout ce qu’il y a dans votre cœur de tendresse et de puissance. Ceci encore, cette joie vous me la pardonnez également. Dites-le moi, que j’aie le plaisir de l’entendre, quoique je n’en aie pas besoin. Demain enfin, après demain au plus tard j’aurai une lettre rassurée, et qui me rassurera j’espère. Mais que d’heures encore d’ici à demain ! Aujourd’hui, il me serait impossible de vous parler d’autre chose.
Adieu adieu. Mais, je vous en conjure, soignez-vous ; ne vous livrez pas à des émotions comme celle que ce petit chien a causée. L’absence est déjà assez lourde ; au moins faut-il être tranquille sur votre santé. Je ne serais pas tranquille quand vous vous porteriez toujours le mieux du monde. Comment l’être un moment si des secousses continuelles vous assiègent ? Éloignez-les ; abrégez-les. Vous pouvez avoir de l’empire sur vous? Vous m’avez dit que vous réprimeriez tout ce qui pourrait m’affliger. Pensez à moi. Je suis sûr que vous le ferez comme vous me l’avez dit. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L008_0345.jpg
10 Val Richer Mardi 21 Juillet 1846,

Je m'étais promis de vous écrire à mon aise aujourd’hui ; et j’ai été depuis que je suis levé (j’avais mis élevé) et je suis encore en si grande presse que vous n'aurez que quelques lignes. Quatre personnes m’attendent en bas. Génie m’a envoyé tout plein d’affaires. J’ai à lui donner des instructions, pour faire finir, d’ici à trois jours, celle de Béarn et de Lavalette. Je travaille vraiment beaucoup ici de 7 heures à 1 heure. Ensuite je me promène et je me repose.
Pour vous dédommager (ce qui j'espère bien ne vous dédommagera pas) voici une lettre de Brougham. Curieuse et d'accord avec celle de Lady Palmerston, expliquée par votre commentaire. Ils ne sont certainement ni en bonne position, ni en high spirit. Nous verrons. Ils ont toujours pour eux l’impossibilité des autres. Plus, une lettre qui m’arrive ce matin, de M. Durangel, l'homme de confiance de Duchâtel, à l’intérieur, et qui a aussi la mienne. Vraiment homme d’esprit de son honnête et véridique, plutôt enclin à voir en noir. Vous verrez que les pronostics électoraux continuent à être bons. Nous approchons bien du moment. Je mets de l'importance à ce que je dirai dimanche. Je parlerai à tout le pays. Ce banquet est ici fort à la mode. On y viendra de loin et il n’y aura pas de place pour tous les souscripteurs. Merci de vos conversations avec Hervey. J’ai écrit hier à Jarnac, aujourd’hui à Bresson dans le sens convenu. Il me reste Naples. Adieux tristes et affectueux. Tenez pour certain que le Roi ne fera rien pour Trapani aux dépends de Cadix. Il est pressé d'en finir. S’il y a en Espagne quelque revirement, ce qui est toujours possible, il sera naturel et point de notre fait. Nous irons droit devant nous, dans la voie où nous sommes. Vous ne me dîtes rien de vos yeux. Donc c’est bien. Et Trouville. J’y pense sans cesse. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23017_00062.jpg
11 Bruxelles Dimanche le 12 mars 1854

Je vous en prie ne m'écrivez pas sur du petit papier. Cela m’attriste. Voilà l’émancipation des Chrétiens consentie par les Turcs, c.a.d. plus que nous n’avions demandé pour les Grecs. Comment mon Empereur laissera-t-il échapper cette occasion de se déclarer content & de finir cette misérable querelle ? Vous devriez bien m'écrire ce que vous pensez de cela. Greville est très animé si le congrès russe de Bruxelles pouvait venir à la paix l'Angleterre seule n’en voudrait pas. Elle veut l'humiliation, l'abaissement de la Russie. Il y a eu une vive scène entre Clarendon & Brusen (ce n’est pas de Gréville que je le tiens) le prussien annonçait la neutralité résolue de la Prusse. On en est venu aux gros mots, il voulait chasser Brusen d'[Angleterre]. Walewski a apaisé l'orage. L’Autriche sans être aussi explicite que la Prusse, ne sera pas non plus féroce. Elle ne nous fera pas la guerre. Je crois, mais je prends cela de ma seule tête que la première opération navale sera une attaque sur l'île d'Aland. Cette position commande Stockholm. Nous y avons fait de grands travaux. Dans huit jours la flotte Anglaise sera dans la Baltique.
Je me sers de mes yeux comme vous voyez, mais j’ai tort. L'ultimatum anglo-français a dû arriver à Pétersbourg hier. Adieu. Adieu. Tâchez de savoir comment Castel bajac a été reçu et s'il a été reçu ? Le premier venu diplomate vous dira cela. J'oublie qu'ils ne se trouvent plus sur votre chemin.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
2301_00197.jpg
N°11 (duplicata) Mardi 25.

Je viens de vous écrire par la voie que vous m’indiquez aujourd’hui. J’en essaie une autre. Nous romprons cette glace fatale. Non certainement, il n’y a rien de pis que d’attendre là, immobile, sous le feu des coup du sort bien plus redoutable que toute l’artillerie du monde. Mais encore une fois, il est impossible que demain vous ne me disiez pas que vous avez reçu une lettre. J’en ai tant écrit ! Cinq du Dimanche 16 au lundi 24. Comment pouvez-vous craindre que la vivacité de votre peine me déplaise ? Ah, dearest Princess, si je suis coupable, c’est par là, et ce n’est pas par un sentiment de déplaisir. Je vous dirai un jour, tout ce que j’ai éprouvé, pensé. Mais d’ici là, au nom de Dieu, soignez-vous. Souffrir de votre chagrin et trembler pour votre santé, c’est trop. Je le sais depuis longtemps, ce qui m’épouvante le plus en ce monde, c’est de voir tout ce qu’on peut supporter.
Adieu. Adieu. Il n’y a pas moyen de vous dire un mot de quoi que ce soit. G.
Mercredi 10 h Enfin, enfin, vous avez une lettre. Votre N°12 me l’annonce. Quelle délivrance, pour moi comme pour vous, oui pour moi comme pour vous. Vous vous trompez sur mes N°. Vous aviez reçu le N°4 et vous me l’aviez dit. Le n° 5 était ce petit billet de Dimanche 9 que j’avais oublie de numéroter. Il ne vous manque que le N° 6 qui vous arrivera certainement. Il était allé par une autre voie qui aura retardé. Adieu, Adieu, dearest. Vous allez être accablée de lettres, accablée. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00063.jpg
11. St Germain, vendredi 3 heures.
Le 18 août 1843

J’ai répondu trop courtement tout à l'heure à votre lettre. J’étais pressée de renvoyer Etienne. Je suis très frappée de ce que vous me dites sur Metternich et Naples. Il faut lui enlever cette clientelle, ou plutôt ce client. Faire reconnaître par Naples. Je crois moi, en tout, que vous menerez bien cette affaire là. Elle est grande vous vous y ferez hommes. Mais il faut la surveiller et la suivre de très près.
Samedi Midi le 19 août. Je fus interrompue hier par l'arrivée des [Delosdeky], de Rodolple Appony. Ils sont restés jusque près de l'heure du dîner. Le mari va aujourd’hui à Dunckerque où il s'embarque, & la femme au Havre où elle reste. Elle a eu une lettre de mon frère par laquelle il est évident, qu'il voudrait que sa femme passât l'hiver à Paris pour se débarrasser d’elle, & il garderait Sophie. The better half, et nous aurons the worse. Nous avons eu à dîner le prince Kourakine et M. Balabine. Vous ne vous attendez pas que cela me fournisse quoi que ce soit à vous dire. Voici huit jours depuis votre départ. Et bien le temps a passé. il passe sur l'ennui comme sur la joie. Mais Dieu merci il n’y a plus que trois jour. Que vous aimeriez St Germain ! C’est charmant et un air si pur si bon. Une heure. Votre lettre m’arrive. Je suis enchantée que vous ayez renvoyé à Londres, avec le changement. Décidément c’est avec Londres qu'il faut s’arranger, et vous y parviendrez. Comment Espertaro serait vraiment en France ? C’est certainement original. Depuis votre lettre qui fixe Mardi pour votre retour je médite sur les moyens de m'échapper. Si je le puis convenablement vous savez bien que je le ferai, mais si cela devait offenser ou chagriner cette bonne jeune comtesse, je ne pourrais pas. Vous ne sauriez croire toutes les attentions qu’elle a pour moi. Adieu. Adieu. Il me semble donc que je ne vous lirerai plus que demain. Je mens, je vous écrirai, toujours puisque Genie saura bien où vous trouver. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
2301_00148.jpg
10. Stafford house mardi 18 juillet midi

Je recommence tristement un nouveau N°. Que sont devenues les autres ? Que deviennent vos lettres ? Que devenez-vous? Je ne puis plus penser à autre chose. Je ne sais que vous dire, mon cœur est si angoissé. J’écris à " you are safe" pour la conjurer d’apprendre de vos nouvelles & de me les dire. J’ai envoyé par courrier une lettre à l’adresse convenue, & je me suis assurée qu’elle sera postée, & non remise à la petite poste. Je viens d’écrire au porteur de votre N°2 pour le prier de passer chez moi & voir s’il y a moyen de se rendre utile. Enfin je me creuse le cerveau pour y trouver des réponses. Je veux savoir que vous vivez que vous vous portez bien. Je dévore les journaux, je tremble que votre nom ne se présente avec quelque accident. Je défie qu’il y ait au monde aujourd’hui une personne plus agitée plus inquiète que moi. Vous voyez ce bon effet que cela doit faire sur moi. Aussi suis-je bien changée & il m’est impossible de vous promettre des bras. Au contraire, je puis vous assurer qu’il ne m’en restera plus.

Mercredi 19 9h. J’ai passé la nuit la plus affreuse. Monsieur mon faible corps ne résistera pas longtemps aux angoisses que j’endure. Ma raison ne me présente rien qui puisse les calmer, et cette image qui devait tout adoucir est devenu aujourd’hui la cause de toutes mes souffrances. Il me fallait donc ce malheur de plus ! Apprenez-moi, Monsieur, à me résigner aux volontés de Dieu. Hélas vous ne m’apprenez plus rien. Je suis abandonnée, et le comble des maux pour moi devait être d’avoir entrevu, senti le bonheur joui d’une jouissance inconnue, divine, & de me voir tout arraché comme une illusion. J’ai donc rêvé. Ah ma pauvre tête, je sens qu’elle n’y est plus.

Midi. Cet horrible moment de la poste s’est passé comme ils se sont tous passés depuis dix jours. Point de lettres ! Grand Dieu qu’est ce qui s’est donc passé entre nous. La mort, l’enfer, quoi ? Dois-je douter de vous ? Ah cela m’est impossible. Dites le moi vous-même Je ne croirai que comme cela.
Je fus chez la Reine hier, je la vis seule pendant une demi-heure. Lord Palmerston m’a demandé un entretien. Je l’ai reçu seul aussi. Ce fût long & intéressant. Une grande heure avec le comte Orloff. Tout cela Monsieur occuperait bien des pages. Mais je n’ai pas ma tête. Je n’ ai qu’une pensée, il n’y a plus place pour autre chose. Mon entrevue avec Orloff y a rapport cependant, & c’est elle seule qui m’a laissé quelque sommeil. J’avais raison de me promettre quelque chose d’un homme d’esprit. Il en a et de l’indépendance. Il m’a parfaitement comprise, et je ferai comme je veux. Vous savez ce que je veux. Je le veux plus que jamais. Le voulez-vous ? Quel horrible doute.
Mon mari débarque aujourd’hui en Europe, il va d’abord aux eaux en Bohème. Il veut me voir. Monsieur, cela m’est impossible.

Jeudi le 20. J’ai la respiration suspendue. Voici onze heures, l’heure de la poste, le moindre. bruit me fait tressaillir. Je joins les mains, je prie Dieu "qu’il vive, qu’il m’aime que je le revoie." Je ne trouve plus que cela à demander au Ciel. Toute autre pensée est bannie de mon sommeil. Ah non, il y en a d’autres. Il y a tous ces tombeaux Monsieur je suis prête à perdre la raison. Une lettre un mot, pourraient m’aider à la retrouver. Mais ce mot n’arrive pas, il n’arrivera jamais. Je vis hier le porteur du N°2. Je l’ai supplié d’écrire pour demander directement des nouvelles. Je me suis parfaitement compromise, & je me suis sentie parfaitement contente.
Aujourd’hui. j’écris à Mad. de Meulan pour la conjurer de me donner de vos nouvelles. Je veux savoir que vous vivez. Il me semble que pour le moment c’est tout ce qu’il me faut. Mais Monsieur moi je ne vivrai pas longtemps. Toutes les personnes qui m’entourent sont effrayées de mon changement ? Le facteur est venu. Pas de lettres. Mes larmes, mes prières, tout est inutile. Qu’ai-je fait à Dieu pour qu’il ne punisse si cruellement.
Monsieur tout est confusion dans ma tête Je vous prends, je vous laisse, j’ai une fièvre ardente. J’oublie tout, je pense à tout. L’air de Londres m’étouffe. J’entends une voix chérie, j’entends de douces de divines paroles ! Ah je devais mourir en revenant de Chateney. Je serais morte heureuse. Aujourd’hui mourir dans le désespoir ! Hier et aujourd’hui j’ai lu les livres que j’avais en voyage. Cette lecture m’exalte & me fait du mal. Ah, qu’elles valaient mieux que moi ! Que je voudrais leur ressembler.

2 heures. J’ai été m’asseoir ou plutôt me coucher ! Dans le jardin, l’air ne m’aide pas à respirer. Il est frais cependant, tout le monde me le dit. J’ai pensé, repensé, examiné toutes les possibilités. Nos lettres sont interceptées, cela me semble hors de doute. Les journaux annoncent votre arrivée à Lisieux. Le 14 vous vous portiez bien, et je me suis un peu soulagée, mais que faire pour notre correspondance ?
J’adresse ceci à M. Aston secrétaire de l’ambassade d’Angleterre. Je le prie d’envoyer ma lettre à l’adresse convenue par un de mes gens. Je demanderai à cette adresse de Vous faire passer ceci par une vois sûre, à votre tour faites porter votre réponse à l’ambassade d’Angleterre à M. Aston que je préviendrai, & il m’adressera votre lettre pas courrier, la même voie qui vous porte ceci. Les Granville quittent Paris sans cela c’est eux qui auraient été les intermédiaires pourvu que vous prenez bien vos précautions de votre côté il me parait que ce moyen est infaillible.
Si vous ne le jugez pas tel je ne vois plus d’autres réponses que de n’envoyer quelqu’un de sûr. Un courrier ad hoc lequel viendrait me trouver à Broadstairs, c’est un lieu de bain de mer située un peu au nord de Douvres, prés de Ransgate et Margate. L’homme ferait adresser à Lady Cowper qui s’y trouve. The Dawage’s countess Cowper.
Il va sans dire Monsieur que c’est moi qui aurai à lui remettre les frais de l’allée & de la venue. Trouvez seulement un homme sûr et intelligent. Je me charge de lui faire aimer les voyages. Maintenant j’ai épuisé je crois toutes les inventions.

Vendredi. Le 21. Prenez pitié de moi, Monsieur que Dieu prenne pitié de moi. Je sens prête à perdre la raison. Comment supporter longtemps l’état affreux où je me trouve ! On me regarde avec étonnement. Je suis méconnaissable mes idées sont confuses. Il me semble que je n’ai pas connu de véritables malheurs. avant celui-ci et j’ignore la nature de ce malheur. Ai-je à amuser le Ciel ou les hommes ? Êtes-vous malade ? Mais comme il faudrait que vous le fussiez pour ne pas m’écrire un mot ! & dans ce cas assurément les journaux m’en instruiraient. Comment en supposant que mes lettres sont interceptées comme les vôtres n’avez vous pas trouvé un moyen quelconque de me faire parvenir un mot ? Je me perds dans toutes ces hypothèses & je ne puis pas en aborder une troisième. Vous ne pouvez pas m’avoir abandonnée ! Je vous l’ai demandé un jour, venez-vous du Ciel ou de l’enfer. Il y a quelque chose de surnaturel dans la puissance que vous exercez sur moi, vous l’avez établie, mon âme s’est vouée à vous. Dois-je y trouver mon salut ou ma perdition ? Pour le moment il n’y a que mort ou désespoir dans mon cœur. Secourez-moi, prenez pitié de moi. Je n’ai rien à vous dire, je ne trouve rien
J’ai subi hier une fête magnifique que donnaient mes hôtes. Comprenez-vous rien de plus horrible dans l’état de mon âme. Mon cœur était gonflé de larmes, ma vue en était troublée quelquefois. & quand elle s’éclaircissait, je cherchais parmi tous ces yeux, deux yeux. Je les évoquais, il m’a semblé un moment les rencontrer c’était un moment de frénésie. C’est alors que j’ai cru que je devenais folle. J’ai saisi le bras de quelqu’un je ne sais qui, je ne voyais rien. Il m’a dit très doucement : " vous vous trouvez mal." Je ne me suis par trouver mal. On a dit autour de moi que l’odeur des oranges était trop forte.
Monsieur j’ai un souvenir horrible de cette fête, l’une des plus belles que j’aie jamais vues. Je rêvais le cottage, le bonheur, & je ne trouvais pas, même une pauvre feuille de papier ! Monsieur si cette lettre tombe entre vos mains, ne serez-vous pas effrayer de la vivacité de la violence de ma douleur. Me pardonnerez-vous de tant savoir aimer ? Je ne savais pas moi-même, Monsieur, que cela ne fut possible, & je ne le sais aujourd’hui que pour souffrir.
C’est cependant à Lady Granville que j’adresse ceci. Je lui recommande toutes les précautions. possibles pour faire tenir ma lettre à la première de nos adresses, & dans le mot que j’adresse à cette adresse, je le prie de ne vous envoyer ma lettre que par une occasion très sûre en lui annonçant que vous lui en saurez gré. Monsieur tout bien pesé il me semble que M. Aston est l’intermédiaire le plus sûr possible. Faites porter vos lettres chez lui si jamais vous m’écrivez encore. Quelle horreur que ce doute ! Lui me les fera tenir par courrier Anglais.
M. Aston premier secrétaire de l’Ambassade de d’Angleterre,
à l’hôtel de l’ambassade
39 rue du Faubourg St Honoré.

Monsieur, vous souvenez-vous de la menace que je vous ai faite un jour. Vous souvenez-vous de ce que je voulais faire si je recevais jamais une lettre aussi douce aussi enivrante que vos paroles. Y êtes-vous ? Eh bien, savez-vous que cet horrible silence peut avoir les mêmes conséquences s’il se prolonge encore. N’y comptez pas Cependant écrivez, écrivez au nom de Dieu écrivez-moi. Ah comment ma voix ne parvient-elle pas jusqu’à vous. Quelle force dans nos âmes & quelle impuissance que nous sommes grands, & que nous sommes misérables !
God bless & protect you dearest, ever dearest.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
2301_00195.jpg
N°11 Mardi 4 heures

C’est incompréhensible, c’est impossible. Mes N°6, 7, 8, 9 et 10 sont partis d’ici du Val-Richer, les 16, 18, 21, 23 et 24 Juillet, par des voies différents. Le N°6 devait vous arriver le jeudi 20, au plus tard le 21. Voilà votre lettre du 21, et vous n’avez rien reçu. Vous en recevrez plusieurs coup sur coup à la fois. Mais vous aurez attendu, vous aurez souffert. Dieu sait combien. Je le vois; je le sens, je vous entends. J’assiste à tout ce qui se passe dans votre âme, à tout ce qui la traverse dearest Princess, ever dearest, une seule pensée me fait quelque bien, c’est que ma peine vaut la vôtre ; tout ce que vous avez pu souffrir, je le souffre. Je souffre presque de l’exactitude avec laquelle vos lettres m’arrivent depuis le 14. Je me reproche cette inégalité entre nous, comme si elle était mon ouvrage. Mais il est impossible que le 22 au moins, le N°6 ne vous soit pas parvenu.
Si vous saviez toutes les combinaisons que j’ai faites ! Elles m’ont bien réussi ! Je crois à tout prendre, que le moyen le plus simple est aussi le plus sûr. Cependant, j’envoie ceci à M. Aston. On le lui remettra en mains propres, on lui demandera de vous l’envoyer par le plus prochain courrier. J’écris en même temps par une autre voie. Comment vous parlerais-je d’autre chose? Je ne pense pas à autre chose. Non aujourd’hui, je ne vous reprocherai même pas cette supposition qui a pu, qui n’aurait pas dû, qui n’aurait jamais dû se présenter à vous comme possible. Princesse, il n’y a pas longtemps que nous nous connaissons ; mais que fait le temps ?
Adieu. Adieu. Il faudra bien que nous sortions de cette odieuse impuissance de nous parler et de nous entendre. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00061.jpg
11. Val Richer Mardi 7 Juin 1853

Les Anglais n'ont pas envie de la guerre. Vous ne prendrez pas Constantinople. L'Empire Ottoman ne tombera pas demain. Greville a raison de se dire sûr de l’Autriche et de la Prusse en tant qu’il veut dire que l’Autriche et la Prusse s'employeront à empêcher la guerre, c’est-à-dire à faire en sorte que vous ne demandez pas trop et que la Turquie vous cède assez.
Dans Phèdre, Hippolyte dit :
Un seul jour ne fait pas d’un mortel vertueux,
Un coupable assassin, un lâche incestueux.
J'en dis autant de Pétersbourg, de Londres, de Vienne, un seul jour ne fait pas, d’un gouvernement sensé, un fou. Vous resterez sensés, et les autres aussi. Et vous aurez où aller, Paris ou Londres, à votre choix. Il n’y a de question que celle des plus ou moins grands embarras qu’il faudra traverser pour arriver au but. Peut-être quelques coups de canon avant la paix. J'en doute. Pourtant cela se peut. Vous êtes en effet bien engagés ; et il vous faut quelque chose pour vous dégager. Si l'Europe a un peu d’esprit, elle vous ouvrira la porte qu’il vous fait. Cela ne me paraît pas bien difficile.
Je viens de retourner mon papier. Pardonnez moi les tâches qui sont sur la dernière page. Je n’ai pas fait attention que la première n'était pas séche.
Le rapport de M. Billault à l'Empereur sur la session au corps législatif, m'a amusé. Encore quelques injures au régime parlementaire, pour la convenance. Et puis de grands efforts pour bien établir que dans la session qui finit, on a fait beaucoup de rapports, beaucoup de lois, beaucoup discuté, beaucoup amendé, qu’on a été très parlementaire, sans que personne s’en doutât.
Les hommes ne peuvent se résoudre, à dire tout simplement la vérité, ni à mentir tout à fait. Je vois que le mariage du duc de Brabant se fera à Bruxelles et non pas à Vienne. C'est donc à Bruxelles qu’ira la Reine Marie Amélie. Point d’embarras donc pour les rencontres dans la maison de Bourbon. On en était assez préoccupé.
Je garde les lettres d’Ellice puisque vous ne me demandez pas de vous les renvoyer.
L'étourderie de Lord John Russell me paraît grosse. La commission de ces trois catholiques peut avoir des conséquences graves pour le cabinet. Qu'avait-il besoin de se laisser aller à cet accès de franchise protestante ? Est-ce pure étourderie ou bien recherche de popularité ?

Dix heures et demie.
Votre grosse nouvelle ne me fait pas changer d’avis depuis le commencement, j'admets la possibilité au canon, mais d’un canon qui n'allumera pas un grand feu, le seul qui mérite qu’on s'en inquiète. Seulement je deviens de plus en pas curieux de savoir comment Europe et Russie se tireront de cet embarras. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23017_00050.jpg
12 Paris, Mercredi 8 mars 1854

J’ai reçu votre N°6. Je ne vous ai pas écrit hier. Je n’avais rien à vous dire et j'étais dérangé par toutes sortes de visites. Moins on sait, plus on cherche.
On est toujours un peu perplexe sur l’Autriche. On croit pourtant, et je crois qu’elle signera la convention qui est sur le tapis et qu’on regarde comme suffisante. La Prusse, dit-on. refuse formellement de la signer ; mais elle engage l’Autriche à la signer, lui promettant appui si cela lui attire quelque gros embarras. Le bruit a couru hier que M. de Manteuffel s'était retiré comme trop peu Russe. On n'y croyait pas. Je vous donne le résumé de ce que j'ai entendu dire dans la journée, et le soir chez Molé. Il y avait assez de monde, entr'autres les Cowley. Vous devez du reste savoir les nouvelles Allemandes mieux que nous.
La demande de M. Gladstone pour le doublement de l'Income tax a été assez mal accueillie dans le Parlement. Personne n’aime à payer la guerre, même celle qui plaît. Le corps législatifs d’ici était plus en train. Il voulait voter l'emprunt de 250 millions le jour même où on le lui a présenté. C’est M. Billault qui, par respect pour les formes, a fait retarder d’un jour en disant : " A demain ; cela suffira." Montalembert voulait parler ; point du tout pour combattre l’emprunt, ni la guerre ; il en est tout à fait d’avis, très approbateur de l'alliance Anglo- française et de la résistance à vos prétentions en Orient. L’Assemblée était si pressée qu’il a renoncé. Flavigny, seul, a dit quelques mots convenables et écoutés.
Le Maréchal St Arnauld a eu une nouvelle crise de son mal. Il persiste cependant à vouloir partir. Il dit à l'Empereur : " Vous m'avez donné un bâton de Maréchal ; j’aime mieux mourir en m'en servant que dans mon lit ? " S'il ne peut pas partir, ou s’il meurt après être parti, les gens bien informés croient que le Général. Baraguey d'Hilliers le remplacera. Les badauds disaient hier qu'on avait fait faire des ouvertures au général Changarnier. Les nouvelles levées d'hommes se font sans difficulté et partent sans mauvaise humeur. La longue paix a fait oublier les maux de la guerre. Le goût du mouvement et des aventures s’est ranimé. Cela contrebalance un peu le goût du bien-être et le besoin de la prospérité matérielle.

2 heures
Voilà votre N°8. Que je déplore vos yeux ! On a été bien gauche à Pétersbourg si on avait envie que vous restassiez à Paris. C'était si aisé ! En admettant que vous ne vous trompez pas aujourd’hui, ce ne serait plus si aisé, car il serait plus grave. Il faut que vous sachiez la vérité dans le gouver nement, et aussi un peu dans le public, l’esprit de guerre s'échauffe ; on s'y prépare sérieusement, et pour longtemps. On parle sans sourciller, de ce qu’on fera dans deux ans, dans trois ans, si on ne réussit pas tout de suite, et de toutes les chances en pourraient s'ouvrir alors. Votre Empereur seul peut encore et pourra toujours faire tout finir promptement ; mais s'il ne le fait, les autres accepteront la longue lutte et le grand chaos. Adieu, adieu. Triste adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00048.jpg
12 Paris, Samedi 14 Juin 1852

On parlait beaucoup hier de l'entrée prochaine de M. de Persigny au ministère des affaires étrangères. Vous savez ce que valent en général les commérages. Ceci serait un coup de bascule du côté de l'Empire et des grandes aventures ; les méfiants disent que le Président joue avec l'Europe le même jeu qu’il a joué avec l’Assemblée législative, reculer et avancer tour à tour, sans jamais renoncer. Pour moi, je crois à l’ajournement réel de tout projet.
En attendant, s'il y a quelque chose à attendre, M. de Persigny prépare d’assez grandes mutations de personnes au Ministère de l'Intérieur. Un préfet révoqué, M. de Luçay, est venu se plaindre ; M. de Persigny lui a répondu : " Vous êtes une trentaine de préfets qui ne me convenez pas. "
Ce sont les préfets d’origine légitimiste. Je ne crois pas qu’il y en ait trente, bien s'en faut. En tout cas, il y a de l'humeur contre les légitimistes et de la dissension entre eux. La plupart prêtent serment et restent dans leurs positions. Le Duc de Broglie qui vient de traverser Paris en allant en Alsace où il a des affaires me disait hier que, dans son département (l’Eure), c'était le parti qu’ils avaient pris à peu près tous de l'avis du Duc de Clermont Tonnerre, leur chef local. Le Constitutionnel se tient coi. M. Véron a l'oreille basse. Il ne s'attendait pas à être mené si rondement. Le Président, une fois dans l'action a le mérite de ne pas hésiter. Non seulement cela aide beaucoup au succès, mais cela dispense d'aller plus loin dans la rigueur ; l'opposition s'arrête tout court devant des mesures promptes, nettes et vives. Je ne sais rien de plus, et je saurai encore moins demain, car je pars décidément ce soir.
Le Val Richer ne ressemblera guère à Schlangenbad. Cependant, il me semble que vous n'avez guère plus de nouvelles que je n'en aurai. Soyez assez bonne, je vous prie, pour ne pas oublier de me donner des nouvelles de Marion. Je tiens à savoir où elle en est, pour vous et pour elle-même.

2 heures
Pas de lettre aujourd’hui. Je ne comprends pas pourquoi. C’est très ennuyeux. Il ne faut pas être sur la rive droite du Rhin. Adieu. Je ne suis pas sûr de pouvoir vous écrire demain matin du Val Richer. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
2301_00164.jpg
12. Stafford House le Vendredi 21 juillet 1837

Mon dernier N° est à peine sorti de mes mains que j’en commence un autre. Je me regarde avec curiosité. N’y a-t-il pas de la folie dans tout ce que je fais dans tout ce que je pense ? Qu’ai- je fait de ma raison, de ma dignité, du peu d’esprit que je croyais avoir. Il semble que tout m’ait abandonné à la fois. Je me sens livré sans réserve à quelques instants de bonheur. Je me donne sans réserve aussi au désespoir. Mais ce bonheur, il était trop grand, trop inattendu. Il devait me tourner la tête. & vous l’avez vu, je n’avais pas en moi de quoi le supporter. Je vous ai fui, croyant retrouver un peu de calme; m’accoutumer à la félicité ; et en effet je voyais dans vos lettres de quoi faire face à la fois à de déchirants souvenir et soutenir une séparation qui m’a coûtée plus encore que je ne l’ai montré. Tout cela s’est trouvé vrai pendant huit jours. Huit jours pas davantage ; mais vos lettres étaient là. Je n’en ai plus. Depuis le 9 pas un mot, pas un signe de vie. Quand elles venaient tout était riant autour de moi. Jamais tout le monde, j’écoutais tout, je prenais part à tout. J’étais touchée, honorée de l’amitié qu’on me montrait. Tout est changé, je ne comprends rien, je n’aime rien, tout m’importune. Je vous voyais partout mais cette vision me donnait de la force, du bonheur, de l’esprit. Je vous vois partout encore, sans cesse, mais votre image me bouleverse, me trouble, m’anéantit. Je veux pleurer, je pleure. Je suis les battements de mon cœur. Il ne semble qu’il battra ainsi aux approches de la mort, car eût une angoisse qui me rend difficile de comprendre comment je vis encore.
Et si je mourrais au milieu de ce tourment de cœur, de ces doutes, de ces horribles craintes, quelle mort affranchie ! Que faites-vous ? Souffrez-vous aussi ? Mais dans ce cas & dans tous les cas (cas où vous n’avez pas de lettres, ou, si elles vous arrivent, vous savez toutes mes douleurs) Comment n’avez-vous pas trouvé un moyen quelconque pour faire cesser les tourments que nous endurons ? Je dis nous ai-je tort ?

Samedi 22. 9 heures du matin, Une lettre une lettre ! La voilà devant moi. J’ai passé la nuit en pleurs, en prières. Je vous voyais, malade, mourant, mort. Qui peut deviner jusqu’où la nuit, le silence, la fièvre peuvent porter une imagination malade, un cœur passionné. Vous voyez que je ne me gêne plus. J’aurais su me contenir dans le bonheur, dans la sécurité. Vos lettres eussent été cela pour moi. Vos lettres ne venant pas l’inquiétude, les alarmes, ont tout dominé en moi. Mon style s’en est ressenti. Je me rappelle avec effroi que je n’ai plus accepté la moindre contrainte. Il y aurait gaucherie à m’y soumettre maintenant. Le mal est fait si mes lettres sont lues. Le mal est fait depuis longtemps vis à vis de vous, car si mes paroles n’ont pas exprimé tout ce que ressentait mon cœur. Vous y liriez, vous saviez bien que toute parole restait au dehors de ce qui le remplissait. Il me semble Monsieur que je ne vous ai jamais tant dit que je vous ai écrit ? mais j’en viens à votre lettre. Avec quelle ardeur j’ai déchiré l’enveloppe.
C’est le N°7. 4, 5 & 6 me manquent & ce N°7 ne traite que de haute politique. Rien que de cela. J’y cherche en vain autre chose. Cette autre chose que renfermait sans doute les lettres égarées ou interceptées. C’est celles-là qu’il me fallait. Par quel étrange hasard ou quelle infernale intention, me vois-je privée de ce qui valait tout pour moi, & rien pour tout autre ! Mais je ne dispute pas vous vivez ! J’en tiens la preuve en main j’en rends grâce à Dieu, à vous.
Il me semble que je vais revivre. Mais qu’il me faudra de temps pour revenir en fait de santé là où vous m’avez laissée ! Monsieur je suis méconnaissable. Je n’ai ni mangé, ni dormi depuis dix jours. Et ne croyez pas que j’exagère vous le verriez bien à ma mine si vous me voyiez aujourd’hui. Votre lettre est admirable, mais il me semble que celles que je n’ai pas, que ces trois N° qui me manquent, devaient être bien autrement précieux. Aujourd’hui je ne saurais haïr, mais demain après, je crois que haïras celui-qui m’a volé mon bien autant que j’aime celui-qui me le donnait. Voilà un homme très parfaitement détesté. Ah, je respire ; c’est vrai ce que je vous dis. Je respire. & il me semble que je fais respirer les autres. Marie, une femme, les enfants de la maison (ils viennent chez moi le matin) tout cela a été reçu avec douceur. Tout cela me dit que j’ai bien dormi, qu’ils voient cela à ma mine. Quel mensonge que ma mine. Je n’ai pas fermé l’œil ! Mais une lettre, quelques feuilles de papier & pas un mot affectueux cependant, voilà ma mine du moment.
Ah Monsieur quel empire que celui que vous avez sur moi. Pourquoi vous le dis-je tant ? Quel mauvais calcul.... Voilà un vilain propos, le jour où je me livrerais à un calcul, je ne saurais plus aimer. Soyez tranquille Monsieur, je ne calculerai jamais.
Votre lettre me rappelle que je ne vous ai plus rien conté depuis huit jours je crois. Je ne sais ou aller retrouver mes souvenirs, je ne sais où je vous ai laissé. Lord Palmerston a fait des démarches pour me voir seule. Je l’ai reçu. Je l’ai même reçu avec amitié, & il m’a parlé comme par le passé avec confiance. Il confirme tout ce que je vous ai déjà dit de la Reine. Il est en pleine sérénité & contentement. La proclamation du roi de Hanovre ne me parait pas le contrarier beaucoup. Elle a fait du tort au parti conservateur ici ; & elle peut donner de l’embarras en Allemagne. Cela le fait rire.
Mon audience chez la Reine m’a laissé d’elle une très favorable impression. Nous avons été seules pendant une demi-heure. Il y a beaucoup de réserve & de convenance dans sa conversation un peu de timidité qu’elle sait fort bien allier avec un peu de hauteur. Un visage charmant ouvert, l’œil fort intelligent, un sourire très gracieux, le nez bien fait, la fraîcheur de 18 ans & de joues charmantes à baiser. Elle se fatigue beaucoup mais elle dort fort bien sur tout cela. Dès que ses Ministres la quittent elle chante. Elle chante toujours, à sa toilette lorsqu’on lui met le manteau royal. la royauté lui parait charmante, et puis elle aime vouloir. Elle veut de la musique après le dîner. Il n’y a pas de tente pour la placer dans son jardin. On court au galop, on trouve, on place, on place mal, mais cela lui est égal, elle veut que cela soit & cela est. Tout est à l’avenant et tout le monde est gai de sa gaieté, jeune de sa jeunesse. Il y a longtemps qu’il n’y a rien ou de jeune sur le trône d’Angleterre. Les plus vieux, les plus frondeurs souriant avec complaisance. Tout cela est joli à voir. J’ai eu un long tête à tête avec la Duchesse de Kent. Elle est mécontente. C’est dans toute l’Angleterre la seule personne désappointée. Elle le dit trop. Il est évident que dans peu de temps d’ici il ne restera plus entre la mère & la fille que des rapports de stricts convenance. Personne n’en est fâché.
Depuis le commencement de cette semaine j’ai manqué à tous les grande dîners que j’avais acceptés. J’ai offensé bien du monde, j’ai donné du chagrin à quelques personnes. Lord Grey entre autres. Il est parti hier pour sa province vraiment affligé, & lorsque j’ai vu sur ce noble visage une larme descendre vraiment de cet œil si doux, je me suis sentie du remord et j’étais prête à lui demander pardon de toutes les angoisses qui m’ont empêchée de lui montrer de l’amitié comme il avait le droit de l’attendre de moi.
Je relis pour la quatrième fois votre N°7. Vous ne me parlez pas de mes lettres mais comme vous ne portez pas de plaintes, je dois en conclure qu’elles vous parviennent. Je risque donc encore celle-ci par la voie directe, mais saurai-je jamais si elle vous est parvenue ? Faites donc faire des recherches au bureau de poste de votre ville car enfin trois lettres me manquent, et celle-ci du 17 est bien vieille. Adieu monsieur, adieu. Que j’aurais l’âme heureuse si notre correspondance allait comme elle va pour tout le monde. Verrai-je encore une lettre ? Tout ce que j’ai gagné aujourd’hui, c’est de ne plus me faire des dragons quand il n’en viendra pas. Ah les horribles images qui m’ont poursuivies ! Tout mon corps tressaillait. Il me semblait que j’allais mourir. Mon prochain N° vous apprendra à quoi je me décide en conséquence des mouvements de mon mari.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
2301_00206.jpg
N°12 Mercredi 26, 2 heures

Et moi aussi je respire. Quel horrible cauchemar ! et si long ! Depuis deux jours je n’y tenais plus. Dearest, every day dearer Princess, vous avez cependant trouvé le secret de mêler à une peine déchirante une joie ineffable. Ah ne regrettez pas l’abandon de vos sentiments, de vos paroles : j’en ai reçu un bonheur incompréhensible pour moi même au milieu de mon angoisse, et pourtant si réel, si puissant ! Ma raison, ma justice me le reprochaient, mais sans le détruire. Encore une fois, il faut me le pardonner. Vous le savez ; à un seul sentiment l’égoïsme est permis ; mais il lui est bien permis, car c’est le seul où le cœur, la personne, l’être tout entier se donnent vraiment et sans réserve, et avec plein droit par conséquent de tout accepter, de tout attendre. Oui, j’ai plein droit d’être égoïste avec vous. Je ne crains pas de trop recevoir. Je ne compte pas, je ne mesure pas. Donnez, donnez-moi; je m’acquitterai. Mais ce que je vous demande aujourd’hui, ce que je vous conjure de m’envoyer par tous les courriers, c’est la certitude que votre santé n’est pas trop atteinte, que le repos du corps vous revient avec celui du cœur. Là est la préoccupation, la cruelle préoccupation qui me reste.
Déjà, quand j’étais près de vous, j’ai si souvent tremblé en vous voyant, si aisément et si profondément ébranlée en voyant à la moindre émotion un peu vive, même douce, vos nobles traits, toute votre personne près de tomber dans ce frémissement qui fait mal, même quand la joie le cause et dont on ne sait même bientôt plus, quand il vous envahit, s’il vient de la joie ou de la douleur ! Vous ne savez pas quelles inquiétudes vous m’avez déjà causées, quels regards de minutieuse et infatigable inquisition j’ai cent fois porté sur votre physionomie, sur votre maintien, sur votre démarche, pour y découvrir la moindre trace de la moindre altération de la moindre souffrance. Et que faire de telles craintes dans l’absence, quand on ne peut s’assurer à chaque instant, de leur erreur, de leurs limites du moins ?
Vous me connaîtrez un jour, Madame ; vous savez un jour quelles agitations, quelles faiblesses infinies se cachent dans mon cœur, quand une affection vraie le possède, et emploient, à leur triste service dès que l’occasion s’en présente, tout ce que je puis avoir d’imagination, d’esprit d’énergie. Épargnez moi des troubles intérieurs qui atteint le bonheur le plus grand et lassant le plus ferme courage. Veillez sur vous, soignez-vous ; rapportez moi ce teint reposé, ces bras que vous m’avez promis ? Vous aurez des lettres, vous en aurez souvent, exactement. Il est impossible que la cruelle épreuve, par laquelle nous avons passé l’un et l’autre se renouvelle. Je suis enclin à croire qu’elle n’a eu que des causes matérielles, des méprises d’adresse, des ignorances de notre part quant aux arrangements de la poste ; peut-être des combinaisons trop variées et trop savantes. Certainement nous y pourvoirons. Vérifiez, je vous prie, ce que je vous ai dit ce matin sur les numéros de mes lettres. Vous avez eu le N°4. Le N°5 était le petit billet non numéroté, écrit le Dimanche 9. Et quant au retard du N°6, j’en entrevois la raison dans la route particulière qu’il a suivie, si je ne me trompe. Vote prochaine lettre me dira j’espère, qu’il vous est arrivé. Votre N°11 n’était que le n°10. Il commence le mardi 18 à midi, et votre N°9 finissait le mardi au moment de l’arrivée du postman. Votre N°12 que j’ai reçu ce matin, n’est donc que le N°11. J’entre dans ce détail pour qu’il n’y ait point d’erreur entre nous.
Jeudi 10 heure
Je n’ai pas de lettre ce matin. Je n’en espérais pas n’importe ; je suis désappointé. Quelle insatiable avidité que celle de notre âme ! Dès qu’elle entrevoit le bonheur elle s’y précipite, elle s’y attache ; elle le vous tout entier à tout moment. A demain mon âme. Je suis charmé de votre conversation avec le comte Orloff. Vous ferez ce que vous voulez. J’attends à présent. vos projets en raison des mouvements de M. de Lieven. Toujours attendre ! Je voudrais connaitre au moins tous les gens à qui vous parlez, de qui vous me parlez. Les noms qui m’arrivent par vous qui sont importants pour vous, et qui ne me représentent ni une figure, ni une voix, ni un caractère cela me déplaît. C’est du vague, de l’obscur, de l’étranger. Je n’en puis souffrir en ce qui vous touche. Ah, notre misère! Que de choses dont nous disons. Je ne puis les souffrir et qu’il faut souffrir pourtant, et que nous souffrons en effet.
2 heures
La proclamation du rois de Hanovre, fera du mal partout. Les conservateurs sont intéressés partout à la bonne conduite du pouvoir. Ceci est vraiment un acte de folie. Je serais bien fâché que les élections anglaises s’en ressentissent profondément. Quant à nous malgré les apparences je doute toujours que nous ayons des élections. Le mieux informé de mes amis m’écrit que jusqu’ici le Roi, qui en décidera seul, y a à peine songé, qu’on se traînera probablement jusqu’au mois de Novembre avec des velléités sans résultat, et qu’alors, quand le vent des Chambres commencera à souffler, s’il secoue un peu fort le roseau ministériel, le Roi préférera un remaniement du Cabinet à une dissolution.
Je ne pense guère à tout cela; d’abord, parce que je pense à autre chose, ensuite, parce que rien ne me déplaît tant que de penser à vide, et quand il n’y a rien à faire. La bavardage vain est la maladie de notre temps et de notre forme de gouvernement. L’esprit s’y hébète et la volonté s’y énerve. Vienne le moment d’agir ; je penserai alors. Jusque là, je veux jouir de ma liberté et n’appartenir qu’à moi-même, pour me donner à mon choix. Mais quand ce choix est fait on ne s’en dédit plus. C’est ce que dit Pompée à Sertorin dans les beaux vers, de Corneille. Je suis de l’avis de Pompée. Adieu dearest Princess. Pour la première fois depuis bien des jours, je vous ai écrit la cœur un peu à l’aise. Mais cette aise a encore besoin de confirmation. G.
Je ne sais ce qu’il y a de vrai dans les bruits de journaux sur l’état grave de M de Talleyrand. Je vais écrire à la duchesse de Dino. Vous pensez bien que je n’ai par remis votre lettre à Mad. de Meulan.)
Vendredi, 10 h. Je n’ai pas de lettre ce matin. J’en attendais pourtant. Jusqu’à ce que je sois pleinement rassuré sur votre santé, je n’aurai aucun repos.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00065.jpg
12 Val Richer. Mercredi 8 juin 1853

De près, on peut causer indé finiment sur le même thème ; on apprend ou on pense à chaque moment, quelque détail nouveau. De loin, beaucoup de choses s'ignorent ou se perdent ; il faut s’en tenir aux grands traits.
Je ne rabâche donc pas sur mes pronostics qui resteront les mêmes, même quand vous m’apprendrez qu’on se bat. On ne se battra pas bien fort, ni bien longtemps, ni tous à la fois. Mais je n’ai guère vu d'affaire dans laquelle tout le monde, par faute ou par hasard, fût plus mal engagé. Vous avez cru l'affaire trop facile ; à Londres, on ne l’a pas crue assez grosse à Paris, on s’est mis mal avec tout le monde dès le premier moment. C'est pourquoi tout le monde est embarrassé aujourd’hui. On souffrira quelque temps de cet embarras ; puis, on s’en tirera. Il y a un admirable proverbe Portugais qui dit : " Dieu écrit droit sur les lignes de travers. " Ceci est bien loin de la politique.
Vous cherchez des livres un peu amusants. Lisez Les contes et nouvelles de M. Armand de Pommartin. C'est un homme d’esprit et d’un esprit qui n’est pas encore blasé, ni usé, comme ce sont presque tous les gens d’esprit de notre temps. Quatre petits volumes. Vous feriez bien de garder cela pour Ems, si vous partez. Je reviens à la politique. Je viens de lire dans les débats notre article du Journal de Francfort. Il est bien pacifique : Y a-t-il quelque chose de vrai dans l’envoi d’une grande ambassade turque à Pétersbourg ? Autre petit ouvrage assez intéressant, à lire pour vous et qui me revient à l’esprit : Histoires de la vie privée d’autrefois, par M. Oscar Honoré un seul volume.

Onze heures
Certainement la situation est vive. Et l’article du Times important. Si les quatre puissances s'entendent pour vous engager à une solution pacifique, vous aurez bien de la peine à vous y refuser, et elles vous en trouveront une convenable. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23017_00068.jpg
13 Bruxelles le 15 mars 1854

Portez demain votre lettre chez Hatzfeld, il envoie un courrier, il recevra votre lettre jusqu'à 6 heures. J’ai vu hier le roi. Bien bonne & longue conversation. Plein de raison, & sachant se placer au point de vue de chacun. Il n’y a rien de nouveau. Si la négociation pour l'émancipation des Chrétiens réussit à Constantinople (Je vois qu'on s'était trop pressé de la regarder comme faite) tout devrait finir. Adieu. Adieu.
Priez mes amis de ne pas m'oublier. Votre rencontre avec Thiers m'amuse.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00077.jpg
13. St Germain Lundi, midi
Le 21 août 1843

Nous avons fait une promenade charmante dans la forêt avant le dîner. C’est superbe, je ne conçois pas que tout le monde ne vienne pas habiter St Germain. Rien ne manque pour en faire la plus belle, la plus ravissante habitation d'été. Pauvre Beauséjour il est en grande décadence. Kisseleff et Pogenpohl sont venus dîner. Pas l’ombre de nouvelle seulement Kisseleff m'apprend que le Maréchal Sébastiani a passé son temps à Ems avec le général Oudinot. Voilà qui est catégorique, & St Priest est un écervelé. Vous ai-je dit que Madame de Castellane est à Paris depuis huit jours ? Elle y est venue le jour où vous êtes parti. Elle me l’a fait dire en me priant de passer chez elle. Je n'y ai pas été. Elle reste encore quinze jours je crois. Aujourd’hui elle dîne chez les Appony avec Molé je suppose. Albert Esterhazy devait arriver hier. Je quitterai St Germain après demain entre 10 & 11 heures.
Voici votre lettre, j’espère bien en avoir encore une demain. C’est vrai, point de nouvelles, rien. Cela m'est égal. Je n’y pense pas. C’est étonnant comme un changement de localité change la direction de mes idées. Je n’assiste plus au spectacle du monde. Je suis très absorbée par la belle vue, la nouveauté des objets qui ne me rappellent rien. La conversation de la jeune comtesse. L'incertitude d'un bon ou d'un mauvais dîner. La journée se passe de la façon du monde la plus tranquille et la plus bête ; et cela me plait puisque vous êtes au Val-Richer. Mercredi à midi cela ne me plairait plus.
J'ai attaqué le dernier paquet de plumes que vous m’avez donné. Elles sont détestables, et j’ai toute la peine du monde pour écrire ceci. Vous le voyez je crois. Je voudrais bien écrire quelques lettres d’ici mais cet obstacle m'arrête. Adieu, adieu. Je vous écrirai encore demain. Adieu dearest.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
2301_00177.jpg
13. Stafford House dimanche 23 juillet 1837

Il y a longtemps que j’ai laissé là mon journal, j’ai passé huit jours à vous envoyer des soupirs & des plaintes. Vous ai-je bien manqué ? Cet ennui au reste je l’ai fait partager à tout le monde. Monsieur vous savez commander à vos chagrins. Je l’ai vu. Moi je n’ai pas cette faculté. Je l’ai moins que ne l’aurait un enfant. Je suis transparente. La joie, la peine, l’inquiétude tout se lit sur ma physionomie. Vous ne me connaissez pas encore. Je crains que vous ne me trouvez un peu primitive. En Angleterre un dîner est une affaire si grave, que lorsqu’on y manque on passe pour être très malade. J’ai tout renvoyé en journée alors on est accouru. J’ai fermé ma porte, & je n’ai vu que les plus indispensables.
J’ai dîné seule avec le duc & la duchesse. Le soir tard on me trainait en calèche. J’aimais à me trouver sous les étoiles à les regarder. y regardez vous jamais. Je ne connais pas une de vos habitudes. Je voudrais savoir comment votre journée est arrangée. Peut-être me l’avez vous dit, mais vos lettres où sont elles ? Attendu que j’en ai reçu une hier (toujours le N°7) je sortirai aujourd’hui, j’irai dîner à Holland House, je me propose même d’y être fort aimable.

2 heures. J’ai été à l’église, j’en sors à l’instant, je n’ai pas beaucoup écouté le prêtre. J’ai prié à ma façon, il me semblait que je ne priais pas seule, que tout ce que je pensais, tout ce que je demandais, un autre le pensait, le demandait avec moi. Il n’y avait rien qui ne fut digne du lieu où je me trouvais et cette image terrestre que je porte au fond de mon cœur loin de nuire à ma dévotion me semblait la redoubler, l’élever, l’épurer enfin, Dieu et vous étiez si bien confondus, dans mon âme qu’il me semble qui c’est de chez vous que je sors, mais non pas vous que je quitte. Ah jamais je ne vous quitte Monsieur je vous dis tout, parce que je vous crois bien digne de comprendre mon âme.
4 heures Je viens d’avoir un fort long entretien avec le comte Orloff, j’en suis complètement satisfaite. Tout a été réglé entre nous cela ne pouvait pas manquer car il est homme d’esprit. Entre nous, il est convenu que je ne tiendrai compte que de ses paroles, & pas de celles de mon mari, (c’est original, mais c’est ainsi.) Je retourne là où il me plait.
Cependant il faudra que je fixe un rendez-vous à mon mari. C’est Dieppe que le comte Orloff a choisi. Je n’ai pris l’intiative sur rien mais je me suis arrangée de façon à ce qu’il m’indique lui-même tout ce qui me convenait le mieux. Je ne suis jamais sortie d’une agitation aussi satisfaite.que je l’ai été de celle-là au reste comme les ratifications y manquent il faut que je prenne une mesure pour le cas où elles vinssent traverser ces projets. Dans l’esprit d’Orloff elles sont inutiles, à la bonne heure, & j’agirai en conséquence. Je serai en France avant le moment où de nouveaux ordres pourraient m’atteindre.

Lundi le 24. Lord Holland m’égaya beaucoup à dîner ; c’est un esprit aimable, toujours serein, pas le sens commun en politique mais toujours doux dans son extravagance. Il a vu la Reine pour la première fois il y a peu de jours il en est tranmporté. Il la trouve charmante & l’ensemble de la situation la plus jolie qu’on puisse imaginer. Ainsi, arrivé au palais pour son audience ou lui dit que la reine est enfermée avec Lord Melbourne et lui même on l’enferme avec une fille d’honneur de dix-huit ans aussi comme sa maîtresse, et jolie comme un ange. L’usage veut qu’au lieu d’un Chambellan, ce soit une fille d’honneur qui soit constamment dans le salon d’attente. Tout cela entretient la bonne humeur des vieilles perruques et comme je vous l’ai dit déjà la joie me semble être complètement l’ ordre du jour pour tout le monde. Savez-vous que cela donne de tristes pensées ? Cette petite princesse si innocente, si heureuse encore, combien longtemps jouïra-t-elle de cette ignorances des peines attachées à la condition ! Aujourd’hui encore elle rit, elle chante qui sait les soucis, les inquiétudes qu’elle aura dans peu de semaines & combien vite toutes les joies de son âge seront flétries !
J’ai beaucoup causé hier avec Lord Melbourne puis avec Lord Durham. Le premier me semble encore tout aussi innnocent que la reine, c’est l’effet qu’il a toujours fait sur moi. C’est un excellent homme. l’air rude & le cœur le plus mou possible. Beaucoup d’esprit & de droiture, & prodi gieusement d’indolence. Un abandon extrême quand il est sûr de quelqu’un, il lui dit tout. Toujours nous avons causé intimement ensemble. Il a des inquiétudes pour les élections. Lord Holland me parait en avoir aussi, à moins d’une accession considérable de voter à la Chambre, le gouvernement serait toujours obligé de s’appuyer sur le parti radical, je demande pourquoi ce ne serait pas sur le parti conservateur à quoi on m’objecte que dans ce parti il n’y a que le duc de Wellington & sir Robert Peel de modéré, & que leur monde ne leur permette pas de soutenir le ministère. On ne sait que faire de lord Durham et il me parait possible qu’on l’associe au gouvernement. Il y a également de l’embarras pour choisir des ambassadeurs car Pétersbourg & Vienne vout devenir vacants. Je crains même qu’il ne soit question de Paris. Mes paroles ne manquent pas pour détourner de ce projet qui me parait fort contraire aux intérêts du ministère Anglais.
Monsieur la poste est venue et mon refrain recommence. Pas de lettres ! Je ne m’agiterai plus comme j’ai fait toute la semaine dernière du moins je l’espère ; mais comment voulez-vous que je ne sois par triste ! Pas un mot d’affection depuis le N°4 qui finissait le samedi 8 juillet et nous sommes au 24. Il me parait que voici ce que je décide je quitterai Londres Samedi le 29. Je ne suis pas bien sûre si j’irai ou non passer une huitaine de jours auprès de Lady Cowper à Broadstairs. De là à Douvres et Boulogne. Je vais annoncer que ma santé m’empêche de faire les visites que j’avais projetées dans les châteaux. Trois motifs me déterminent à ceci Monsieur. D’abord je ne puis pas vivre sans lettre, je le sens, et il est inutile d’espérer que notre correspondance aille mieux, et puis dans le parti que j’ai arrêté pour mon avenir, mon incapacité de voyager doit être mise en première ligne. Troisièmement je vous l’ai dit dans cette lettre, il faut que j’aie le pied en France. Arrivée à Boulogne, j’aviserai. Veuillez aviser de votre côté c-à-d. régler notre correspondance en France. Voulez-vous que je vienne à Dieppe. Cela me rapproche de vous. Que j’aille à Paris cela fera mieux aller les lettres. Je vois bien que tout mon sort est suspendu à ces lettres. Quelle rage de lettres !
Dans tout cela et à tout hasard faites-moi trouver une lettre à Boulogne, poste restante vers le 8 août. Elle peut m’y attendre pour le cas où je tarde mais prenez vos mesures pour qu’elle y arrive, & qu’elle tombe vraiment entre mes mains. J’ai bien envie de vous dire que vous êtes maladroit. Dans tous les cas j’ai bien du guignon. Je dors un peu maintenant mais j’ai une mine épouvantable, & je serais très fâchée que vous me vissiez, quoique ce soit votre ouvrage. Eh bien il est venu le N°6. Je l’ai, je le tiens, et je l’aime ! je l’aime ! Quel pays barbare que cette France, quoi le cours de la poste n’est pas réglé ! Mais il l’est en Russie. Allons je ne querellerai plus personne et pour être bien sûre de ma résolution. Je m’arrangerai de façon à n’avoir besoin de personne. Il me reste à vous informer de ce que je vais dire ici et en France. C’est que le changement d’air d’existence, les émotions douces mais douloureuses que j’ai rencontrées ici ont tous subitement altéré ma santé, cela est vrai et visible. Que les médecins ne me permettent pas les voyages, cela est parfai tement vrai aussi ; qu’ayant rencontré ici tous mes amis réunis ayant passé trois semaines au milieu d’eux, j’ai atteint le but qui me ramenait momentanément en Angleterre. & qu’aujourd’hui qu’ils se dispersent, je vais retrouver l’air & l’existence qui ont si bien comme pendant deux ans à ma santé ! Je viens de confier tout cela à la duchesse, je ne le proclamerai que dans quelques jours. Je vais déranger déranger bien des arrangements mais je suis décidée.
Continuez cependant à m’écrire. Il vaut mieux que ses lettres me reviennent un peu vieillies que de ce que je reste sans nouvelle. C’est toujours à Londres que vos lettres seront adressées. La duchesse veut que je vous dise son souvenir. Elle a été flattée des paroles que vous lui adressez. C’est une très noble personne avec une très belle âme. La petit princesse est dans une dissipation et une coquetterie perpétuelle. Quel drôle de métier. Il me semble que j’ai été jeune, mais coquette jamais. Que de choses à vous dire quand je pourrai dire ! Monsieur vous figurez-vous nos moments de causerie ? Ce bonheur me sembe si grand, si immense, que je tremble en y pensant, car le bonheur est si rare. Adieu. Adieu, quelle lettre que votre N° 6 ! Êtes-vous content de me savoir heureuse par une lettre ? Monsieur, il me parait que vous devez être bien content de moi.
Mardi 25. Ma lettre ne part qu’aujourd’hui. J’ai reçu une énorme épitre de M. de Lieven. Il me fait part de ses plaiss. (Il venait d’arriver à Lubeck) jusqu’à la fin de septembre aux eaux, & puis il veut me voir, & me demande de lui fixer un rendez-vous. Il ne croit pas que ce puisse être en France. Ensuite il m’emmène à Rome, à Naples ; en avril il doit se retrouver à Pétersbourg. Je lui écris aujourd’hui pour lui faire comprendre que je ne puis rien faire que le rendez-vous, en France et le plus près possible de Paris. Il faudra bien que cela lui entre en tête. Il est si joyeux dans sa lettre, de sa liberté, de se retronner avec moi, de courrir avec moi que je suis un peu triste de devoir lui gâter tout cela. Que de réflexions j’ai faites ! Il y a deux mois quel accueil différent j’eusse fait à cette lettre ? Car quoique la société de mon mari ne soit pas ce qui convient à mon esprit ni peut-être à mon cœur cependant c’est une créature qui m’aime, à qui j’appartiens, qui s’occcupe de moi. C’est de l’intimité, de l’habitude, un intérieur tout ce qui est si indispensable, si doux pour une femme ! Mais une autre vie a commencé pour moi, une vie qui n’efface pas mes douleurs mais qui me fait oublier, qui me fait en plus comprendre cette vieille vie qui cependant a été si longue. Et encore, pourquoi fallait-il que tout juste à l’entrée d’une nouvelle existence pour moi. M. de Lieven qui devait se trouver naturellement en Sibérie, au bout du monde, se rapprochât de celui-ci, que son désir de me revoir devient plus vif qu’il ne l’a été pendant deux années de séparation. Tout cela Monsieur me mène bien loin, il y a du triste dans ces pensées, il y a même du remord, & je suis sûre que je n’ai pas besoin de poursuivre ce sujet pour que vous compreniez parfaitement. tout ce qui se passe en moi. Je serais peu digne de vous si je n’étais affectée par toutes nos réflexions.
Adieu vraiment, mais je recommencerai aujourd’hui une nouvelle lettre qui ira doit. J’adresse encore celle-ci à Paris. Je ne suis pas aussi sûre de partir Samedi que je l’étais hier. J’ai recommencé à manger et à dormir. Si ces bonnes habitudes se continuent, je ne vois pas pourquoi je ne me prolongerais pas encore un peu ici. Vous ne sauriez croire les efforts, les finesses, les tendresses qu’on met en oeuvre pour cela. Votre dernière lettre me rassure sur nos lettres dès lors je ne vois pas que M. Aston soit si nécessaire, vous en jugerez. Voici tout juste votre N°8. Je n’ai pas un moment à perdre. J’y répondrai dans la journée ; mais ceci doit partir. Que je vais lire, relire, jouïr ! Ah mon Dieu que la vie est une belle chose quand les lettres arrivent. J’ai copié votre N°7 & pour cause.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00052.jpg
N°13 Val Richer, lundi 14 Juin 1852

Je n'ai pu vous écrire hier ; le service de mon facteur n'était pas encore arrangé. Rien ne se ressemble moins en effet que le Val Richer et Schlangenbad. Je suis seul ici, avec mon fils, et mes paysans (le mes est très abusif), qui me racontent leurs tristesses ou leurs espérances de récolte. Il pleut. Mes fleurs, qui en ont joui d’abord, en souffrent aujourd’hui. Mais, même avec la pluie ce séjour me plaît, après la société de ceux que j’aime, ce que j’aime la mieux c’est ma liberté, et mon loisir. Rien ne m'ennuie plus que de vivre à la merci des indifférents.
Quoique j'eusse fait fermer ma porte le jour de mon départ, j’ai vu assez de monde, Duchâtel, Montebello, Vitet, Salvandy, Mallac, Armand Bertin. On croyait assez à un remaniement de Cabinet qui mettrait Persigny aux affaires étrangères, et ferait rentrer Morny, Fould et Rouher. On arrangeait une bonne occasion. Le Président devait gagner au Conseil d'Etat, demain mardi, la question du conflit. On savait le compte des voix, 9 contre 7 après ce succès, il devenait généreux ; il réglait à nouveau ou faisait régler par le conseil d'Etat l'affaire des biens de la maison d'Orléans, modérément, équitablement en assurant les droits des créanciers et ceux de sa sûreté à lui, aussi bien que ceux des propriétaires. Cela fait, tout était facile. Le public était satisfait et les hommes capables redevenaient ministres. Voilà l’utopie.
Le Président se trouverait en effet très bien d’agir ainsi ; il s'ôterait un fardeau fâcheux, et se donnerait une meilleure administration. Je ne crois guère aux Utopies. Non pas pour toujours, mais pour quelque temps, ce n’est peut être pas tout à fait une utopie que de se promettre un peu plus de retenue de la part des journaux étrangers. Si on leur fait craindre de voir leurs correspondants expulsés de Paris. Ce serait en effet pour eux un grand inconvénient. Ils finiraient par le surmonter ; ils trouveraient d’autres moyens d'information, et en dernière analyse, ils n'en seraient que plus violents contre le pouvoir qui les aurait ainsi maltraités. Mais au premier moment, et pour échapper à cet embarras, ils lui feraient probablement quelques concessions.
Le langage du Times, et même du Morning Chronicle, l'indique un peu. Comme expédient, l'expédient est assez bien imaginé. Je regrette bien que l’Autriche et la Prusse ne se mettent pas d'accord sur la question douanière. Il n’y a qu’une seule mauvaise chance pour la paix de l'Europe, c’est le défaut d’union entre les grandes puissances. Mais si cette chance là se laisse entrevoir les partis révolutionnaires l'exploiteront infailli blement. Ils ont autant de verse que d’ardeur. Et qu’on ne se fasse point d'illusion ; le venin révolutionnaire n'éclate et ne circule plus en ce moment ; mais il subsiste et il s'amasse. Le bon parti n’a pas de marge pour faire des fautes ; le mauvais en a pour attendre.
Adieu, Princesse. J’ai pris quelque soin pour avoir des nouvelles de Paris ; mais ne comptez pas sur moi. Je serai très stérile. D'ailleurs le free trade n’est pas, en ce moment, aussi à la mode pour l’esprit que pour la matière. Adieu, adieu. Ma fille va bien. Elle viendra me retrouver dans les premiers jours de Juillet et sa soeur la précèdera de quelques jours. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00061.jpg
14. Schlangenbad le 17 juin jeudi 1852

Pardonnez-moi la lacune d'un jour. J’ai été vraiment malade et quand hier j’ai trouvé la force & le moment pour vous écrire la grande Duchesse Olga est entrée et il n'y a pas eu moyen de trouver 3 minutes de liberté.
Ce n’est que hier que j’ai vu la princesse de Prusse. Je lui trouve certainement de l’esprit mais pas le moindre naturel. Elle n’a pas beaucoup cherché à me plaire, mais cela c'est égal. Pour juger quelqu’un c’est même plus commode.
Quand elle a vu que je n’étais pas forte en littérature moderne elle n’a parlé que de cela. Son mépris pour moi a été énorme quand je lui ai dit que je n’avais pas entendu parler des Causeries du Lundi par Ste Beuve. Je lui ai promis que je demanderai raison à mes amis de Paris de l'ignorance où il m'ont laissée sur ce point, et très sérieusement je vous demande de me dire si vous connaissez cela, & si cela à quelque mérite. J'aurai votre réponse à temps pour en faire usage. Ne vous gênez pas, et si cela valait la peine d’être lu & dites que je ne valais pas la peine qu’on m’en parle. Ma place est fort bien prise déjà sur ce point.
Nous nous passons des billets, le roi Léopold et moi sans parvenir à nous voir. Il faudra bien pourtant que cela aboutisse. Je regrette les embarras qui se sont glissés là, il était mal renseigné et a employé des intermédiaires mal choisis, cela a gâté l’affaire. Mon petit favori le Prince. Nicolas de Nassau, vient me voir quelques fois. Il est vraiment bien gentil on l’invite quelque fois mais c’est rare. Quand il y est c’est avec la jeunesse. Il n'y a à la table de l’Impératrice que ses frères, la grande duchesse Olga, Meyendorff et moi, quelque fois un [comte Sch] de Paris qui a bien de l'esprit & dont je ne me doutais pas à Paris.
Il pleut à verse c’est un déluge depuis 3 jours. Je ne bouge, quand je puis bouger, que pour aller en chaise à porteur chez l’Impératrice. Les montagnes sont enveloppées dans un épais brouillard. Adieu. Adieu.
Dites moi ce que je deviendrai après ceci Je n’en sais pas le premier mot. Ah si Marion, Aggy avaient pitié de moi Adieu. Adieu, voici votre première lettre du Val Richer, mais au moment où je suis forcée de fermer la mienne. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
2301_00199.jpg
14. Stafford house le 26 juillet
9 heures

Il ne m’a plus été possible hier de vous écrire et cependant que j’étais pressée de vous parler de ce N°8. Il m’a fait tant de plaisir, tant de bien ! Que vous êtes ingénieux à me dire sous toutes les formes, dans toutes les langues, ce qui peut plaire, le plus à mon cœur ! Vous voulez me faire aimer la poésie, vous vous y prenez très bien. Je pense d’elle tout ce que vous en pensez, mais ce n’est que d’aujourd’hui qu’elle me va. Jusqu’ici elle me faisait mal et je ne vais pas chercher ce qui me tourmente. Comme vous j’y ai souvent retrouvé mon âme mais je repoussais cette image abandonnée, car toute ma vie a passée seule. C’était en effet de la poésie, rien que de la poésie, elle ne me paraissait pas pouvoir jamais devenir réalité pour moi, aujourd’hui elle s’offre à moi, distincte, sensible, je l’accepte avec transport. Elle ne me fera pas aller comme il y a 15 ans attendre que la marée monte sur une petite pointe de rocher. (Vous ai-je conté cela ? Si je ne l’ai pas fait Je vous dirai cela un jour.) Elle me fera jouir mille fois jouir, du bonheur que le Ciel m’a envoyé. Mais quand ce bonheur sera présent je ne lui promets plus mon attention. Ah comme deux mots feront pâlir tous les plus beaux vers du monde ! Comme j’y pense à ces deux mots, comme je les répète !
Vous croyez que vous m’appreniez quelque chose en me transcrivant ce que faisait le méthodiste. Comme lui j’appelle, j’appelle mais tout bas, sans nom. Je profère des mots cependant, je ne sais ce que je dis. Je sais ce que je sens, & cela est bien au-dessus de toutes les expressions heureuses. Monsieur, je me crois un grand poète.
Je mens si je vous dis que j’ai noté votre N°8 vingt fois. Je l’ai lu plus souvent.
Monsieur j’ai le cœur bien joyeux, je retourne en France. Le comte Orloff est venu hier encore une heure avant son départ. Nous avons tout récapitulé, tout examiné. Je me suis fort épanchée, par lui au besoin. Il s’est compromis Moi je suis où j’en étais. Je vous raconterai beaucoup de choses. Lord Melbourne est venu dîner hier ici. La grande maîtresse de la reine était au palais. J’ai bien causé avec le premier ministre qu’il vous divertirait, que de bonnes réflexions vous ferez sur lui, sur tout le monde, sur toute chose ! Comme je pense à vous en voyant tout cela ! Vous croyez peut être que je n’y pense qu’alors ?
Maintenant que nous savons que nous ne sommes pas morts & qu’on n’enlève pas nos lettres comme toutes mes précautions me paraissent bêtes ! Il m’en revient des témoignages de Paris, dont je suis forcée de rire. Mais c’est charmant Monsieur, nous avons fait à la fois les mêmes conjectures l’une plus absurde que l’autre. La ressemblance est complète à une chose près. Vos inquiétudes & votre mauvaise humeur vous portaient à vous taire & moi à bavarder. Qu’est-ce que cela prouve ? Il me semble que mon caractère vaut mieux que le vôtre. Vous me punissiez de mes peines & moi je vous accablais de lettres.

Jeudi 27
Je passai ma journée hier à Chiswik chez le duc de Devonshire. C’est un palais italien environné du plus beau jardin du monde. Je suis restée trois heures au moins couchée sur un divan sous le plus beau cèdre connu en Europe. Vous ne sauriez concevoir le beauté de cet arbre, de ce jardin, l’élégance, la magnificence de tout cela. Le temps était admirable. Il avait invité all my friends. Nous dînâmes de bonne heure. Un concert de 60 personnes. Ce fut gai & parfaitement beau. Je ne rentrai en ville que pour me coucher. On me parla beaucoup des élections. On ne parle pas d’autre chose, à Londres tout a été ministériel, en province c’est différent, mais à tout prendre jusqu’ici il me parait que cela se balance.
J’ai eu une lettre de M. Molé hier, toute pleine d’amitié. Il m’invite bien à revenir. Je vais le faire. Comme je passe ma soirée à la cour vendredi & que cela me mènera tard je ne crois pas que je puisse partir. Samedi. Dimanche cela ne va pas en Angleterre, ainsi ce ne sera que lundi ou mardi que je me mettrai en route sans savoir encore combien de temps je m’arrête chez Lady Cowper, mais je crois positivement que je serai en France le 8 ou 10 au plus tard.
Cependant ne vous relâchez pas dans votre correspondance ; car vos lettres me reviendront si je suis partie, & si je restais au-delà de ce que je pense vous comprenez bien que je ne peux pas vivre sans lettres. Je vous écris tant Monsieur qu’il m’arrive de ne plus écrire à personne.
Je vous quitte aujourd’hui pour remplir mille devoirs infligés. Que j’envie vos bois, vos ombrages ! Hier au milieu de ce luxe de végétation & de magnificence, c’est à eux que je pensais vous le savez bien. Adieu. Adieu. 3 heures Je rouvre ma lettre. Le N°9 est venu. Il m’a trouvée au milieu d’une conférence de 2 heures avec le duc de Wellington. Je l’écoutais avec curiosité avec attention. Quand on est entré & que j’ai senti ce petit morceau de papier entre mes mains, mon attention, ma curiosité tout est parti. Cependant il est resté une heure encore. J’étouffais. Enfin j’ai ouvert, j’ai lu, j’ai baisé. J’étouffe encore, mais de bonheur, de complète félicité. Je ne saurai imaginer, laissez moi vous montrer ce que je suis.
Ah mon Dieu il y a longtemps. que vous le voyez, et il y a quelque temps aussi que la poste le sait complètement mon bonheur me parait trop grand. J’en jouis avec trop de vivacité. Il me tue. Ainsi, je n’échappe pas. Je meure de chagrin, ou je meure de joie. Je suis une bien frêle créature. Comment tant d’âme, tant de passion dans un si faible corps !
Monsieur je vous quitte pour m’occuper de vous, pour lire, relire mille fois ces paroles, si douces, si chaudes, si pénétrantes. Vous me demandez pardon des inquiétudes que vous m’avez causées ? Ah vous voyez trop bien tout ce que ces tourments me valent aujourd’hui de jouissances. J’aime mess tourments, j’aime mes joies, car tout me vient de vous.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00054.jpg
N°14 Val Richer, Mardi 15 Juin 1852

Certainement, mon petit ami est et sera toujours à votre disposition. Je comprends que ce ne soit qu'à la dernière extrémité. Si vous avez besoin de lui, vous arrangerez cela vous-même, car il ira, ou bien il est peut-être déjà allé vous voir dans sa promenade sur le Rhin. A part ses inconvénients, il est très intelligent, très zélé et très sûr.
Je regrette que vous ayez rebuté notre neveu Tolstoy. Il serait allé vous chercher très volontiers, il croyait avoir quelque chose à réparer. Pourquoi fermer la porte aux petits repentirs ? Dieu ne la ferme pas aux grands. Vous êtes disposée à exiger beaucoup ; quand on est exigeant, il ne faut pas être susceptible. J'étais là quand vous avez traité sévèrement ce pauvre garçon ; je vous aurais arrêtée si j’avais pu. Il n’y avait pas moyen.
L’épitaphe de M. de Meyendorff pour le Prince de Schwartzenberg est excellente je devrais dire belle, car elle résume en deux traits d’une vérité frappante et d’une précision élégante, tout ce qu’il y a eu de moralement et politiquement grand dans la vie du Prince de Schwartzenberg. C'est la perfection du genre. Qui Caesari imperium imperioque Caesarum dedit est particulièrement heureux. Je me permets de soumettre à M. de Meyendorff un petit amendement, rededit au lieu de dedit. Ce serait, je crois, d’une aussi correcte latinité, et peut-être historiquement encore plus exact.
L'Empereur avait perdu son Empire, et l'Empire, son Empereur ; Schwartzenberg les a rendus l’un à l'autre. Pardonnez-moi de vous faire ainsi truchement latin, et veuillez remercier. pour moi, M. de Meyendorff. J’aimerais encore mieux communiquer avec lui sans truchement.
En fait de raretés, je ne suis curieux que les hommes rares, mais je le suis beaucoup. Est-ce que nous ne nous rencontrerons jamais chez vous, rue St Florentin ? J’attends bien impatiemment votre lettre d'aujourd’hui.
J’espère que vous ne vous serez pas trouvée mal une seconde fois en vous habillant.
Le mot de M. de Meynard m'inquiète : ce serait manquer au respect. Il a raison ; auprès des Rois, le respect passe avant tout, même avant la santé. C’est beau mais c’est lourd, et vous êtes bien faible pour porter ce fardeau.
Toujours point de nouvelles. Ce sera quelque temps notre état. Il y a évidemment parti pris de se tenir tranquille. Tâchez de prendre quelque intérêt aux querelles des évêques. Les questions religieuses sont et seront de plus en plus à l’ordre du jour. Il faut aux hommes des questions et des passions seulement ils en changent. Pour mon compte, je ne serais pas très fâché de ce changement là ; un concile me consolerait de la chambre. Mais nous pourrions avoir un synode. Le président serait bientôt bien embarrassé de ces Parlements-là. Il ira le 10 Août prochain, inaugurer l’ouverture du chemin de fer de Paris à Strasbourg. C'est un discours à faire sur le Rhin. Il sera écouté bien attentivement des deux rives. Adieu, princesse.
Je ne fermerai ma lettre qu'après avoir vu mon facteur. Pauvre homme il arrivent bien mouillé ; il pleut toujours.

10 heures
Votre lettre est un peu moins abattue, mais toujours bien fatiguée. Adieu, adieu. J’ai une bonne lettre de Marion. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00071.jpg
14 Val Richer. Vendredi 10 Juin 1853

Je ne sais si ceci ira vous trouver à Paris, ou à Ems. J’écris toujours. J’ai une raison pour n'être pas fâché que vous partiez. L’agitation de ce moment-ci vous fatigue. A part l’agitation de l'amusement, vous avez celle de l’intérêt que vous prenez aux choses mêmes. Vous vous donnez quelquefois l’air de croire à la très fausse maxime de votre fils Paul : not to care : mais au fond, votre nature à cette insouciance prétendue philosophique, et qui n’est qu’un pauvre petit égoïsme. Les choses qui méritent de toucher les hommes vous touchent, réellement, et quand vous êtes dans le foyer où elles se traitent, vous vous y consumez.
Ems vous reposera, et j’espère que l'ennui n’y sera pas trop fort. Dites vous seulement que vous êtes décidé à tirer parti des gens que vous y trouverez et vous en trouverez.
Si je croyais aux apparences, et si j'avais goût aux parallélismes historiques je m'amuserais à comparer 1853 et 1840. Il y a un grand air de ressemblance. Le traité à quatre n’est pas encore fait, et ne se signera probablement pas ; mais c’est la même situation à propos de la même question. Et toujours l'Angleterre protectrice de l'Empire Ottoman, envers et contre tous ; France ou Russie. Elle doit vraiment avoir grand crédit à Constantinople. Je ne puis croire que vous engagiez la grande affaire, la conquête sur le terrain où vous êtes aujourd’hui. Quel que soit l'état de l’esprit public, en Russie, le prétexte est trop peu sérieux aux yeux de l'Europe. Tout le monde vous donnerait tort, encore plus qu'à nous en 1840 pour notre patronage de Méhémet Ali.
Duchâtel est-il encore à Paris ? Je le présume d'avoir une lettre de Mad. Lenormant. Je suppose qu’il partira pour Vichy en même temps que vous pour Ems.

Onze heures et demie
J'adresse donc encore ceci à Paris. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23017_00077.jpg
15 Bruxelles le 18 mars 1854

Je vous ai écrit hier par une occasion. Au fond les occasions sont des bêtises c’est toujours plus incertain et plus lent que la poste, et comme je ne me compromets pas en disant ce que je pense, parce que je pense très bien, on me dit quelquefois trop bien, j'en resterai à l’ordinaire. Rien de nouveau. Mon neveu a reçu l’ordre de rester à Berlin, cela me fait plaisir. Il est évident que le rappel était de la bouderie pour la cour de Prusse, & que l’ordre contraire prouve que nous sommes content d’elle. L’Empereur est allé à Sveaborg. Je crois vous avoir dit cela. Une énorme activité dans nos préparatifs maritimes. Je crois qu'on se fait des illusions à l’Occident. Nous sommes & nous serons très forts et très persistants, et toujours plus forts à la longue. Ah mon Dieu qu’on fasse donc que cela soit court.
Pas de Brunnow encore ce qui est drôle. Votre empereur me disait " quelques coups de canons & tout sera fini." Que je voudrais qu’il eût dit vrai ! Van Praet tous les jours. Brouckère souvent. Tous les diplomates presque quotidiens, voilà mon régime. Pas de conversation comme était mon habitude, ah que je ferais des coquetteries à la moitié des derniers de ceux que je voyais tous les jours ! Je pense même à Chasseloup Laubat. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
2301_00224.jpg
N°15 Caen 1er Août 1837

J’ai bien peur que vous ne m’ayez averti trop tard et que ma lettre ne vous trouve plus à Boulogne. J’ai bien peur ! Qu’est- ce que je dis là ? Si vous n’êtes plus à Boulogne, vous serez à Paris. Cela est vrai ; cependant je voudrais que vous me trouvassiez à Boulogne. Je voudrais être le premier à vous parler, en France. Mais dans le n°15, il y a sur votre santé, des paroles qui me font frémir. Je ne serai un peu tranquille que quand j’aurai vu, bien vu. J’irai voir dès que vous serez arrivée. En attendant, je vous écrirai demain à Paris. Je suis ici pour trois jours. J’étais ce matin au bord de la mer à Trouville. Mais l’autre, rive ne m’attirait presque plus. Que j’aurais voulu me promener avec vous sur la rive où j’étais ! Chaque fois que je revois la mer, c’est un monde nouveau que je découvre ; et je ne découvre plus un monde nouveau sans vous y chercher, ou vous y mettre. Mais je ne veux pas que vous soyez malade.
11 h 1/2 du soir J’ai été interrompu par je ne sais combien de visites, et je sors un moment du salon, qui en est encore plein, pour vous dire adieu et donner ma lettre qui partira de grand matin.
Adieu donc. Adieu sur la terre de France. Je vous l’ai déjà dit; il y a des moments en bien comme en mal, où il faut se taire, se taire absolument. L’insuffisance de la parole est trop évidente. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
2301_00211.jpg
15. Stafford house vendredi 28 juillet 1837
Midi

Décidément c’est mardi 1er Août que je quitte Londres, adressez moi un mot à Boulogne en réponse à ceci. J’y serai plutôt que je ne vous ai dit, car je ne veux m’arrêter qu’un jour chez Lady Cowper. Votre lettre aura à peine le temps d’arriver à Boulogne, ainsi dépêchez-vous. Le N°9 me reste dans la tête dans le cœur dans tous les fibres. Il ne m’a pas laissé dormir. Je me rappelle sans cesse le propos de la petite Princesse dit tout au commencement " Er ist ihnen nicht gesund" Elle a parfaitement raison et je ne m’en inquiète pas. Ma vie sera plus courte, mais elle sera heureuse, elle l’est. Ce bonheur immense, inconnu jus qu’ici, & qui se révèle à moi avec une force dont mes paroles ne peuvent pas vous donner une idée, il me consume Il me fera mourir, car je n’espère plus m’y accoutumer. Quel sort étrange que le mien ! Monsieur songez y bien ; regardez nos destinées comme tout nous séparait ! Et pourtant ! Ah mon Dieu comme ces réflexions me mènent loin, il y a de quoi en devenir folle. & je m’imagine quelques fois que je le suis. Ah je ne veux pas guérir de ma folie. Dieu m a enlevé ses enfants, il me laissera ma folie, je veux mourir avec elle.
Monsieur je me crois bien malade ; je suis pressée de partir. Ne vous inquiétez pas cependant, je serai mieux sur cette terre de France. Je vous écrirai encore au moins une fois avant de partir. Mes lettres ne vous manqueront pas. Pardonnez moi si je ne vous donne aucune nouvelle. Ma tête n’est pas à ce qui se passe autour de moi. Je crois que c’est intéressant cependant.
Les ministres ne sont pas contents des élections. Hier au soir lord Holland était soucieux. Ils ont perdu déjà 4 voix. S’ils en perdent encore quelques unes, ils ne peuvent pas marcher sans s’unir au parti conservateur. Les chefs de ce parti sont prêts à leur donner appui. Le duc de Wellington m’a tenu à ce sujet le langage le plus convenable & le plus noble. Il me parait qu’il ne s’agit que de s’entendre, & c’est là ce qui manque souvent ici. Les intermédiaires manquent aujourd’hui plus que jamais. Reebuck a échoué, ce devrait être une bonne fortune pour les ministres. J’espère qu’ils l’entendent comme cela.
Adieu. Adieu, dearest.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23017_00081.jpg
16. Bruxelles le 19 mars. 1854

Je pense que ma lettre vous trouvera encore avant votre départ. Cela m'ennuie que vous soyez plus loin de moi pendant 4 jours. Ah que les jours sont longs pour moi. Quel supplice que cet exil, et quand finira- t-il. Nesselrode écrit : " la lutte sera longue. Les préparatifs chez nous sont énormes, il n’y aura pas moyen de nous entamer." Qui se lassera le premier ? Je doute que ce soit nous. Entêtés, éloignés et barbares. Il ne me paraît plus qu'il puisse être question d’arrangement. L'Angleterre veut l'annulation des anciens traités. Jamais nous n'accorderons cela à moins que le nouveau nous vaille mieux et cela n’est pas possible. J'ai beaucoup de doutes sur les Allemands. La Prusse nous donne des bonnes paroles qui déplaisent beaucoup à Londres & à Paris. Elle ameute les états secondaires, la Saxe, la Bavière, le Wurtemberg, et voudrait qu'avec l’Autriche, l’Allemagne fédérale déclarât sa neutralité ; c’est bel et bon, mais si l'[Angleterre] va ravager les côtes de la Prusse, & la France fait avancer ses bataillons, je doute qu’on reste neutre. Tout cela est une énorme affaire, et qui se présente vraiment comme la fin du monde. Je suis bien triste.
Le soir j’ai toujours Van Praet, et quelques diplomates, le mien qui n’est pas brillant. Je suis très au courant de tout ce qu'on sait ici. Et mon rôle est comme à Paris la confidente de tout le monde. Mais la causerie où est elle ? Adieu. Adieu.
Je coupe Cromwell c’est encore tout ce que je puis faire, mais je tombe sur des sublimités toujours.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00082.jpg
16 Bruxelles Lundi le 13 juin 1853

Adressez vos lettres à Ems ayez soin de mettre par la, Belgique en haut et près de Coblence. Quelle fatigue, mais je vais me reposer un jour. Je suis venu commodément avec Paul et Marion. Je trouve ici Hélène K. Chreptoviz part demain pour la reine. Nous allons ensemble à Cologne. Paul est un charmant compagnon de voyage. Ma dernière journée de Paris a encore été bien occupée & bien employée. Tout ira bien. Nous entrerons. Vous n’entrez pars. On négociera. On aboutira car c'est de vous & le besoin de tous. Nous sommes très contents de vous. Contents d'Aberdeen. Bien contents du roi Léopold.
Menchikoff a été maladroit & Stratford Canning détestable. Mais les cours respectives soutiennent leurs agents. La diplomatie à Paris est dans un [?] énorme, je vais bien leur manquer. Je vous ai dit que j'étais charmée de ma dernière conversation avec Fould. La France se fait & se fera un grand honneur dans cette affaire tant mieux pour elle et pour tout le monde. On a fait beaucoup d'arrestations à Paris des rouges.
Adieu, car je suis prise de tous les côtés. Hier j'étais bien malade, je me sens mieux aujourd’hui. Adieu. Adieu. L’Autriche, nous appuiera.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00064.jpg
N°16 Val Richer 17 Juin 1852

Voilà votre lettre que j'aurais dû avoir hier. Je vous envie l'exactitude. de vos facteurs. Je vais écrire aujourd’hui même à Marion. Je dirai de mon mieux. Tout dépendra de l'état et de la volonté de Fanny. Il est clair que les deux soeurs placent là leur premier devoir. La lettre que je vous ai envoyée me donne à penser qu'au fond Aggy a envie de venir. Marion la promet presque pour le mois de Juillet. J'insisterai pour les derniers jours de Juin à Schlangenbad. Ma crainte, c’est que le terme est très prochain ; à des gens qui hésitent, les résolutions soudaines sont difficiles. Je voudrais bien qu’elle se décidât promptement. Vous verrez un peu en repos sur vous-même et moi sur vous.
Quant au retour, je ne comprends guères que dans tout ce monde qui vous entoure, l'Impératrice n'ait pas un homme à vous donner pour vous ramener à Paris, si vous n'en trouvez pas un vous-même.
J’ai des nouvelles d'Angleterre insignifiantes. sur la situation générale tristes pour ce pauvre Lord Malmesbury ; il fait, à ce qu’il paraît, bévue sur bévue ; sa nouvelle convention d'extradition avec la France en fourmille. Tout le monde le houspille, on ne peut pas dire l'attaque ; ce serait trop sérieux. Je crains bien que le Cabinet Tory ne se dissolve assez piteusement après les élections, quelques morceaux en resteront bons et beaux, et prendront place ailleurs ; mais un vrai cabinet conservateur, avec sa politique et son autorité, je n'y compte plus.
Savez-vous que Stockhausen ne reste pas à Paris ? Son Roi l’envoie à Vienne. Il en fait encore mystère, à ce qu’on me dit ; mais c’est sûr. Vous le regretterez. Que dites-vous de M. Cruvelis faisant attendre une heure et demie la Reine d'Angleterre, et n'ayant seulement pas l’air de s'en apercevoir ? Je ne trouve pas qu'elle chante assez bien pour cela.
On dit que Morny soutient qu’il a droit de reprendre la direction politique du Constitutionnel et veut l'ôter à Véron qui veut la garder. On parle d’un procès entre eux. Si le procès a lieu, c’est que Morny est réellement bien avec le Président. Je viens de lire le compte-rendu de la séance d'avant hier au Conseil d'Etat.
Le plaidoyer de M. Fabre pour la maison d'Orléans me paraît médiocre. C'est bien loin de Paillet et Berryer. Tout le monde a été, là, timide et terne, le rapporteur, l'avocat et le ministère public. On ne me dit rien de l’issue probable. Je persiste à croire que le conflit sera confirmé.
Adieu. J’ai vidé mon pauvre sac. Je voudrais bien vous envoyer un peu de santé et de force. Cela vaudrait mieux que des nouvelles. Je vous quitte pour écrire à Marion. Adieu.

P.S. On m’écrit à l’instant de Paris : " Ce que vous croyiez fait à Claremont semble défait ; on ne s'entend pas sur le mode ; grands débats domestiques à ce sujet. L'aîné de la famille l'écrit ici. "

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00080.jpg
16 Val Richer, Dimanche 12 Juin 1853

Deux lignes seulement qui courront après vous si vous partez demain. J’ai été dérangé hier et ce matin.
Je suis charmé que vous partiez tranquille ; charmé, et pour vous et pour le fond des choses. Je n’ai jamais cru à la guerre, à la vraie guerre. Vous entrez dans les Principautés. Vous en sortirez si la Porte vous contente, ou à peu près, ce qu’elle fera. Vous serez très fiers, et pas très difficiles. Il y a au fond de toute cette affaire, un résultat que vous ne dites pas, et auquel vous tenez plus qu'à tout ce que vous dites. Vous y arriverez. L’Europe, dans son état actuel, n’est pas en mesure, et pas toute entière en humeur de vous en empêcher. Adieu, adieu.
Vous me direz où et par où il faut vous écrire désormais. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23017_00087.jpg
17 Bruxelles le 22 mars 1854

Quel ennui que ce N°15 égaré ou retardé ! Je crois que j’y répondais à votre charmant projet de me me voir. J’accepte la date avec bonheur. Dites-moi quand vous aurez reçu cette lettre chanceuse. On est très vif ici à propos de la nouvelle de Constantinople. Certainement l'envoi des troupes dépendait des consentements de la porte à la demande d'émancipation des Chrétiens. Si cette émancipation est vraiment obtenue et on y croit, et si mon empereur à la bonne foi & le bon esprit de s'en tenir pour satisfait voilà la guerre évitée, mais c’est trop beau pour croire à ce facile dévouement.
Lord Holland & M. Barrot se sont rencontrés chez moi hier, bien contents & tous deux bien pacifiques. J’ai été très contente du langage de l'Anglais, un grand changement depuis huit jours. Le français avait toujours été convenable et bien. On annonce Brunnow pour aujourd’hui. Quelle curieuse correspondance que celle qu’on vient de produire au parlement. Pauvre dépêche que celle de lord John, mais quel entrain de mon empereur. Dites-moi je vous prie votre avis de tout cela. La publi cation ne me paraît pas une chose bien inventée, pourquoi avons-nous provoqué cela ? à tout instant je me sens le besoin de vous interroger, de vous entendre. Je n’ai pas encore lu cette correspondance jusqu'au bout. Mes yeux sont très capricieux. Je les croyais mieux, ils sont repris. Le temps est froid. Je serai charmée de vous savoir revenu à Paris.
Adieu. Adieu, je suis restée deux jours sans vous écrire à cause de votre absence. J'ai eu peut être tort, mais je croyais que mes lettres reposeraient à Paris. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
2301_00226.jpg
17. Rochester mardi 1er août 1837
7 h. du soir.

J’ai quitté Londres à 4 heures. J’ai passé ma matinée en adieux, en pleurs. Une pluie battante m’a accompagnée jusqu’ici, & je m’y arrête par pitié pour mes yeux & un peu pour moi-même. Voici du repos. Au fond je n’en ai pas eu à Londres. J’ai été la proie de mes amis et je trouve véritablement que j’en ai trop. Le ménage Sutherland et tout ce qui y tient m’a paru bien ému de mon départ. Quand un Anglais a la larme à l’œil c’est bien quelque chose. J’ai fini ma journée hier avec lord Melbourne. Notre entretien de la veille lui était bien resté dans l’esprit & ne sera pas perdu. Il est venu dîner avec nous et resté jusqu’à minuit, couché littéralement couché à côté de moi alternativement du plus grand sérieux et de la plus grande bouffonnerie. Il vous faudrait bien du temps pour vous accoutumer à lui.
Comprenez-vous le sentiment de joie avec lequel je me suis placée dans cette voiture que j’aime tant ? Concevez-vous tout ce qu’il y a de passé & tout ce qu’il y a d’avenir dans ce sentiment ? Eh bien rien de plus simple que de croire qu’elle me mène vers ce qui est devenue ma vie, mon bonheur, car enfin c’est pour cela que j’abandonne tout mon voyage l’Angleterre et cependant je tremble, il me semble que ce bonheur Je ne l’attendrai pas, tant il me parait immense. Je ne sais ce que vous allez décider. Si vous voulez que j’aille à Dieppe j’y irai plus loin non, car on le saurait mais voudrez-vous venir à Dieppe ?
Je ne vous demande rien, il me parait que je serai très patiente, qu’une fois en France avec notre correspondance réglée je saurai attendre cependant ce qui me semble essentiel c’est de vous voir avant ma rencontre avec mon mari, celle-là aura lieu à la fin de septembre. Vous aviserez.

Douvres vendredi 4 août. Il n’y a pas eu moyen de vous dire un mot ces deux derniers jours, avant hier à Brodstairs, hier voyager de Brodstairs ici avec lady Cowper. Elle ne m’a pas quittée. & la voilà encore attendant que je me décide à partir ou à rester. La mer est mauvaise. Le vent est fort. J’ai peur du mal de mer. Je ne sais si j’aurai le courage de passer. Je n’ai pas eu de lettre ce matin. Il m’en vendra peut être une demain. C’est une étrange passion que j’ai pour ces lettres ! Je n’aime de mieux qu’elles que celui qui les écrit ; & quoique je m’en rapproche en partant, il y a quelque chose qui me retient encore dans le pays où se trouve sans doute une lettre. Elle sera arrivée à mon fils hier au soir tard, il ne peut me l’envoyer que par la poste de ce soir.

Boulogne, samedi 5. On m’a persuadée de m’embarquer hier. Le temps s’annonçait beau, on me le disait au mieux, quoique je visse bien des vilains montons blancs qui me rendent si malade. Sir Robert Adair qui passait aussi est venu me décider à peine à bord j’ai été saisie du mal plus fort que je ne l’ai jamais eu ; pendant quatre heures je suis restée alternativement évanouie et souffrante de cet horrible mal, dans les bras du seul homme à bord qui ne fut pas malade.
On m’a tenue sur le pont exposé à un vent très fort et un soleil ardent ; en conséquence de quoi j’ai un coup de soleil à la tête qui est une fort vilaine chose. C’est dans cet état que je suis arrivée à Boulogne on a de suite cherché un médecin, car pendant deux heures dans l’auberge déjà je n’avais pas recouvré la force de parler. Le médecin m’a fait mettre au lit. J’y suis restée douze heures.
Je suis mieux mais très faible. Imaginez comme j’ai dû l’être. On me dit en arrivant qu’il y a des lettres à la porte et je n’ai pas pu donner l’ordre de les chercher ! Enfin, enfin, j’ai pu trouver quelques lignes pour le réclamer. Il y en avait trois de Paris ; si mes correspondants avaient pu voir la classification que j’en ai faite il y en aurait eu un au moins bien blessé.
Monsieur quoique le mot ne vous aille pas je suis forcée de vous dire que vous êtes un étourdi. Il n’y a pas de N° à votre lettre. Cela me dérange & me déroute. J’ai sauté du N° 11 duplicata à cette petite lettre sans chiffre. Le véritable N°11 n’est pas encore entre mes mains ce qui fait que je n’ai pour toute nourriture depuis huit jours que deux mots un peu froids. Non, ils ne le sont pas. Je devine, je sens tout ce que vous ne dites pas, mais j’aime mieux croire à mes sens qu’à mon imagination. Je veux entendre voir, lire, enfin Monsieur, je suis affamée. J’ai relu vingt fois la lettre de Caen.
Ne venez pas me trouver à Paris encore. J’ai besoin de me remettre, & si je vous vois ce n’est pas le moyen. Laissez-moi me reposer, il me semble qu’en réglant bien notre correspondance je pourrai me calmer. Vous adresserez vos lettres à l’hôtel Bristol place Vendôme, c’est là que j’irai descendre car la rue Rivoli n’est pas tenable en été, il y fait trop chaud. Je n’y rentrerai qu’au 1er septembre.
Monsieur, je suis donc en France votre patrie ma... Ah mon Dieu quel mot j’allais tracer. Vous me l’avez dit un jour Monsieur vous aviez alors déjà la certitude que j’adopterais tout ce qui vous appartient. Vous avez vu le fond de mon cœur avant que je n’ai su y regarder moi-même. Vous voyez tout trop vite. Il ne me reste rien à vous apprendre. Et cependant que de choses à vous dire tout, tout ce qui traverse ma pensée !
Le duc de Saxe Meinengen est venu m’interrompre, il demeure dans l’appartement à côté du mien. C’est un très bel allemand, & bien lourd d’esprit. Je le connais d’Angleterre, il est près de la reine veuve. Il me conte ses chagrins en conséquence de la proclamation du Roi de Hanovre, qu’est-ce que cela me fait ? Je passerai ici toute la journée encore, demain si je suis mieux j’irai coucher à Abbeville.

Lundi à Beauvais. Vous voyez que je me ménage. J’en ai extrêmement besoin. Je trouverai des lettres à Paris, mais encore une fois n’y venez pas. Mandez moi quand, à quelle époque ce voyage vous conviendrait le mieux. Ecrivez-moi beaucoup, beaucoup. Vous saurez à peu près tous les jours comment je suis. En attendant ne vous inquiétez pas il n’y a rien de grave. C’est des mots abominablement dérangés. Apprenez-moi à être calme, & ma santé me reviendra. Adieu. Adieu. Il me semble que je respire plus librement en vous disant ce mot de Boulogne, il est bien tard cependant Adieu Monsieur, écrivez-moi.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00084.jpg
17 Val Richer, Mardi 14 Juin 1853

Je ne vous ai pas écrit hier. Vous ne m’avez pas dit si vous partiez dimanche ou lundi. J'enverrai ma lettre à Paris, et elle sera à Ems aussitôt que vous, ou bien près. Je suis pressé de vous savoir arrivée. J’espère que vous m'aurez écrit, ou fait écrire, par Marion, quelques mots de la route.
Il me paraît qu’on commence à se calmer à Paris. La hausse reprend à la bourse. Les joueurs intelligents auront fait de bonnes affaires, et les badauds de bien mauvaises. La politique et les libertés de la France sont là, entre les fripons et les badauds. Ce que les journaux me disent de la dernière dépêche de votre Empereur est sensé et rassurant. Je regrette de n'avoir pas ici sous la main mes collections de Traités. Je suis assez curieux de savoir s’il a raison de dire qu'aux termes des traités avec la Porte, il a le droit, dans son débat actuel avec elle, d'occuper temporairement les Principautés. J’ai des doutes sur cette question là. Il n’y a du reste, pas grand chose à répondre à tout ce qu’il dit, sa seule faute, c’est de ne l’avoir pas dit complètement, hautement, tout de suite et à tout le monde. Il l'aurait fait plus aisement, et avec moins d’inconvénients pour lui en Europe qu’il ne le fait aujourd’hui.
Les journaux Anglais aussi se calment soit qu’ils y voient plus clair, soit qu’ils se résignent. Aberdeen ne sera pas plus compromis que la paix. Je n'ai point de nouvelles d'ailleurs, et je n'en aurai pas souvent à vous envoyer. Tous mes correspondants possibles sont partis avant vous, ou avec vous. Vous n'aurez de moi que des bribes, et des bribes rares.
Il fait ici aujourd’hui un temps superbe. Je vous le souhaite pour votre arrivée à Ems. La première impression dans un lieu qu’on va habiter est quelque chose, elle se répand sur tout le séjour. La vallée de la Lahn est charmante par un beau temps.

Onze heures
Voilà votre lettre de Bruxelles qui me fait grand plaisir. Pour vous d’abord, ni aussi pour ce qu’elle contient de nouvelles. Je suis pour la paix, par conscience parce que je la crois bonne par amour propre parce que j'y ai toujours cru. Adieu, adieu. G.

Collection : 1837 (7 - 16 août)
Auteur : Guizot, François (1787-1874)
2301_00258.jpg
N°18 Mardi 8 3 heures

Vous arrivez aujourd’hui à Paris. Peut-être y êtes vous déjà, car de Beauvais à Paris il n’y a que huit postes et demie. Vous y devez trouver je ne sais combien de lettres, les N°11, 12, 13 d’ici, 15 de Caen et 16 d’ici. J’ai reçu ce matin votre dernier mot de Boulogne, N°18.
Je ne vous réponds pas sur le sujet dont vous me parlez. Nous en causerons en pleine liberté. Il n’y a pas un de vos sentiments que je ne comprenne et qui ne me plaise dans le sens le plus intime et le plus sérieux de ce mot, si souvent profané. Gardez-les tous dearest ; ce sont des notes justes, l’harmonie s’y mettra. Que seulement le calme physique vous revienne. Je suis sûr que si vous vous portiez bien vous ne seriez pas en proie à ces troubles dont vous vous plaignez. Vous avez le jugement si droit l’esprit si haut et si fin que certainement, quand l’état de vos nerfs n’y fait pas obstacle vous savez voir toutes choses, choses et personnes, comme elles sont, mettre chacune à sa place, en vous-même comme au dehors, choisir décidément ce qui est vrai, juste, ce qui vous convient, et accepter, dans votre choix, les inconvénients, les difficultés, les peines même la part de mal enfin, inséparables de toute résolution. comme de toute situation humaine. Vous voulez que je vous apprenne à être calme. Je ne sais pas un si beau secret. Mais si j’ai un peu de calme, c’est que pour mes sentiments aussi bien que pour mes actions, dans ma vie intérieure comme dans ma vie extérieure, j’ai assez de prévoyance et peu d’irrésolution. Quand quelque chose commence en moi ou autour de moi, j’en vois promptement et d’un coup d’œil assez libre toutes les faces, toutes les conséquences. Si j’accepte, j’accepte sans hésitation sans retour le bien et le mal, la joie et la peine, l’avantage et l’embarras, le mérite et le tort même, s’il y en a. Et dans la suite, à mesure que les choses se développent et portent leurs fruits, bons ou mauvais, je ne suis pas plus incertain qu’au début. Je ne connais guère le regret ni le repentir. Je veux ce que j’ai voulu ; je me tiens à ce que j’ai fait. Je n’ai point la prétention que ma vie soit sans souffrances et ma conduite sans fautes. Je porte le poids des unes et la responsabilité des autres sans m’en plaindre, sans en déplacer les causes, car ces causes, je les ai en général connues et voulues. En général, dans chacun de mes sentiments, de mes actes, je pressens leur avenir et j’y consens. Et s’il m’arrive, comme il m’arrive en effet de n’avoir pas tout prévu, je ne m’en prends qu’à mon insuffisance et j’y consens encore ; car à tout prendre, en fait d’intelligence et de sagacité, je n’ai point droit de me plaindre de la part que Dieu m’a faite. En tout, je suis soumis, Madame, soumis aux imperfections de la condition humaine à mes propres imperfections aux volontés de Dieu, à mes propres volontés. Je ne me révolte point; je ne me tracasse point ; je ne délibère point à chaque minute, je ne tâtonne point à choque pas. Je veux surtout de l’unité dans mon âme et dans ma vie, et pourvu que l’ensemble me convienne, je ne marchande pas sur les détails. Quelle est, dans cette disposition la part de mon naturel et celle de ma volonté ? Je l’ignore ; mais si j’ai quelque sérénité, voilà à quoi elle tient.
Vous êtes femme, dearest, et par conséquent, un peu plus mobile, un peu plus accessible que moi à l’empire des impressions du moment. Mais vous avez beaucoup d’esprit, de raison, de courage, de dédain. Vous allez naturellement à tout ce qui est grand, simple. Soyez sûre qu’avec un peu de santé et d’habitude, il vous viendrait... laissez-moi dire il vous viendra du calme. J’ai du bien à vous faire, comme du bonheur, à vous donner. Vous me dîtes que je vous ai aidée à supporter vos peines. Je vous aiderai à vous affranchir de ces troubles intérieurs, de ces incertitudes de ces luttes répétées où l’âme se lasse et perd sa force la force dont elle a besoin, et pour résister, et pour jouir. Que je serais heureux de voir la sérénité se répandre sur votre noble physionomie, et de goûter le charme infini de votre affection. sans crainte qu’elle vous fasse mal !
Je voulais vous parler des élections anglaises qui prennent, ce me semble, un tour bien conservateur. Mais je n’y ai plus pensé. A demain les affaires. Adieu. Vous ne vous figurez pas ou plutôt vous vous figurez bien avec quelle impatiente j’attends votre première lettre de Paris. G.

Mercredi 10h.
Je reçois à présent même votre N°19 de Paris. Au nom de Dieu, calmez-vous, soignez vous. Que la fatigue du voyage, de l’absence, de la mer disparaisse. Je me charge du reste. J’attends votre réponse à ma proposition pour la semaine prochaine. Les N°12 et 18 vous ont été adressés à Londres. Le N°15 à Boulogne, porte restante- il était écrit de Caen. Le N°17 vous a été adressé à l’hôtel Bristol.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00073.jpg
N°18 Val Richer samedi 19 Juin 1852

Je vous plains, si vous avez autant de pluie que moi. Je ne me promène qu’entre deux déluges. Je me promène pourtant, car je me porte bien. Mais vous vous promenez-vous un peu en voiture ? J'espère que malgré vos mauvaises jambes, vous ne restez pas toujours enfermée. Le grand repos vous est nécessaire, mais le grand air aussi ; vous en avez l'habitude, et le goût. Dites-moi, je vous prie, ce que vous faites chaque jour à cet égard.
Pourquoi le Roi de Prusse refuse-t-il au général Lamoricière les eaux d'Aix la Chapelle ? Je trouve cela dur et d’une dureté inutile. Lamoricière ne conspirera et ne parlera pas plus à Aix la Chapelle qu'à Bruxelles. Je ne sais si les bannis sont incommodes ; ils sont, à coup sûr, bien inoffensifs.
Voilà Thiers qui débarque tout à coup à Gênes, et se rend en Suisse. Sa santé est altérée, comme celle de Madame la Duchesse d'Orléans. Cela me frappe assez. Puisque vous n’avez plus le Journal des Débats vous n'aurez pas lu un article assez intéressant sur Kossuth. Purement de l’histoire, mais de l’histoire dont Kossuth ne sera pas content. C'est à propos des Mémoires de Georgey.
Je voudrais savoir un peu réellement ces affaires de Hongrie. Je n’y vois pas clair. Je sais seulement que Kossuth est un révolutionnaire, et un charlatan, les deux espèces d'hommes qui me déplaisent le plus. C’est peut-être le mérite principal des Anglais de n'être point charlatans. Rien ne l'est moins à coup sûr, que le discours du Duc de Wellington sur la milice. Frappant mélange d’un esprit qui reste ferme et d’un vieux corps impuissant, et chancelant que l’esprit, par un dernier et pénible effort de volonté, fait encore servir à son image.
Le matin de je ne sais plus quelle bataille, M. de Turenne avait un accès de fièvre, et le frisson : on l’entendit qui marmottait entre ses dents : " Tu trembles, carcasse, si tu savais où je te mènerai tantôt ! " Je ne connais pas de parole qui prouve mieux l'immatérialité et l'immortalité de l’âme.
On dit, et ce sont les feuilles du Ministère qui le disent qu’il n’y aura pas de prolongation de la session du Corps législatif. Ils me paraissent, les uns et les autres pressés de se séparer. Je vois que M. et Mad. de Persigny sont rentrés dans le monde, ou plutôt que le monde est rentré chez eux. Le journal qui l’annonce dit que le même jour, M. de Maupas a donné un grand dîner. " Ainsi le faubourg St Germain était en fête. " Voilà M. de Persigny et M. de Maupas représentants du faubourg St Germain. Qu'on dise que le système représentatif est en décadence. Madame de Persigny voilà probablement un nouvel hôte de votre dimanche. Tout le monde la trouve jolie et agréable.
Qu'y a-t-il de vrai dans le travail et les espérances de rapprochement commercial entre l’Autriche et la Prusse ? Les journaux font bruit de la mission de M. Le Bismarck Schoenhausen à Vienne. Je voudrais bien qu'elle aboutît à l'accord. L'accord, l'accord, toute la politique est là. Adieu, en attendant votre lettre. Je ne viens pas à bout de comprendre pourquoi il y a plus loin de Schlangenbad à Paris que de Paris à Schlangenbad. 10 heures Pas de lettre aujourd’hui. C'est bien pis que d’arriver tard. Tant que vous ne vous porterez pas très bien, je ne pardonnerai pas l’inexactitude des courriers.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00095.jpg
19. Ems le 20 Juin Lundi 1853

Mon fils m’a quitté avant hier soir. Me voilà vraiment sans une âme. Je n’ai pas voulu le retenir. Il a été bien & charmant. Plus longtemps j'aurais trop vu l'ennui, je n’ai pas voulu abuser. Je n’attends personne. Quelle jolie perspective ! Je commence à m'alarmer vraiment. Les chances de la guerre sont grandes, car rien ne peut satisfaire mon empereur qu’une satisfaction directe, écla tante ; et le firman pour tous les cultes n'est pas cela.
Je me suis un peu orientée sur ce qui s’est passé chez nous. Au fond Nesselrode n'était pas d'opinion d'envoyer le Prince Menchikoff. C'est l'Empereur qui l’a voulu. Cet ambassadeur a été cassant, hautain. Redcliffe est venu brochant sur la mauvaise humeur des Turcs. Des querelles de visites ont aigri l’un contre l’autre les deux ambassadeurs. Menchikoff a été maladroit en toutes choses et lorsque enfin la place n’a plu été tenable, il a mis sur le compte des faiblesses de Nesselrode la décadence de notre influence auprès de la porte, ce qui avait préparé sa défaite. L’[Empereur] a reproché à Nesselrode tout le passé des dernières années. Et la scène a été vive dit-on. M. Le ministre a voulu racheter cela par une rédaction très insolent de sa note à Rechid Pacha. Nous allons en apprendre le résultat après-demain. Sans doute la porte nous répondra par un refus, nous entrerons dans les principautés. Je crois savoir que ce ne sera pas cas de guerre aux yeux de l'[Angleterre]. & de la France, à moins que cela n’ait changé depuis mon départ de Paris.
Voici une lettre de Greville qui vous intéressera. Nous sommes dans une position très embarrassée. Dans tous les cas notre bonne situation en Europe restera bien endommagée ; mais je le répète je crains plus que cela.
La mort du Nonce m’a vraiment beaucoup affligé. Marion en pleurs. C'était un brave homme. si tolérant, si doux, si facile & fin. Il pleut à verse aujourd’hui. Pas de promenade, pas une visite. J'ai commencé les bains. Nous verrons dans quelques jours comment ceci me convient. Adieu. Adieu.
Nous sommes bien loin. Vos lettres m'arrivent en quatre jours. Comment vont les miennes ? Adieu.

Collection : 1837 (7 - 16 août)
Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
2301_00254.jpg
19. Paris. Hôtel de Londres place Vendôme, Mardi 8 août
10 heures du matin.

Je voudrais avoir la force de me réjouir de ce mot Paris. Monsieur vous ne concevez pas le bonheur que j’éprouve. Il me semble que je suis au près de vous avec vous. Toute cette nuit je vous ai parlé mais pas en rêve. Si j’avais rêvé j’aurais dormi, mais non je n’ai pas fermé l’œil. Je causais avec vous sans cesse, sans cesse. C’est bien la fièvre que j’ai en arrivant ici à 8 h. Je reçus votre N°11. Au moment de me coucher le 16 me fut apporté par la personne à laquelle vous l’avez adressé. Ces deux lettres ont reposé toute cette nuit sous mon oreiller dans mes mains. Mais J’ai été effrayée de mon agitation de ma faiblesse à l’aube du jour. J’ai fait venir mon médecin. Il m’assure qu’il n’y a rien de grave que la mer m’a complètement bouleversée que c’est une affaire de nerfs pas autre chose. Pour me le prouver il ne me donne à boire que de l’eau de camphre. C’est le seul remède que j’ai jamais accepté, je vous conte tout cela afin que vous n’alliez pas vous inquiéter. Quand je vous verrai je vous dirai cependant comme j’ai été mal à Abbeville.
Je vous avais écrit heureusement le bureau de la poste était fermé, on m’a rapporté ma lettre, quand je l’ai relue j’ai été effrayée pour vous, je l’ai déchirée. Je ne veux pas que vous veniez encore. Vous voyez bien que je suis trop agitée pour vous voir. Laissez-moi quelques jours de repos.
Quand je vous ai quitté il y a cinq semaines, c’était votre image qui devait effacer, adoucir au moins des images bien douloureuses. Aujourd’hui je pense tant à vous, j’y pense tant ... que je cherche un remède, et je ne sais le trouver que dans le souvenir de mes malheurs, là, il y a du calme, auprès de vous de l’agitation. Voyez Monsieur où j’en suis venue, et imaginez le déplorable état de mes nerfs ! Je vous écrirai tous les jours et le jour où je me sentirai mieux, le jour où je les serai pas si troublée en pensant à vous ; le jour où je croirai pouvoir supporter votre vue avec plus de celui, ce jour-là je vous appellerai et vous viendrez n’est-ce pas ? Est-ce donc du bonheur que j’ai trouvé auprès de vous? Je ne sais pas me répondre, mais ma vie, mon âme sont à vous, vous me répondrez.
Ah mon Dieu cela me fait mal de vous écrire. Ma pauvre raison, elle m’abandonne. Adieu. Que sont devenus les intermédiaires entre 11 & 16 ?

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00080.jpg
19 Schlangenbad le 22 juin1852

Aujourd’hui la reine de Wurtemberg que je n’avais pas vue depuis 31 ans, pas changée du tout. Les bénéfices d'une vie uniforme, sans grand plaisir, sans grande peine, sans affection vive, sans intérêt, sans curiosité. Si elle n'était pas reine, je dirais le bénéfice de n'être pas incommodée par trop d’esprit. La pluie continue et abondante. Les palpitations sont revenues à l’Impératrice. C’est une saison mauvaise pour faire usage des bains. Je me fais traîner mais en voiture fermée, il fait trop froid pour la voiture ouverte. J’ai toute sorte d’équipages ici entre autres une chaise à porteurs. J'en ai demandé le soir de mon arrivée, le comte Schouvaloff m’a vite fait venir par télégraphe électrique de Dresde, & le roi de Saxe envoie ses hommes & sa chaise. Le plus grotesque équipage avec les plus étranges couleurs. Cela fait mourir de rire l'Impératrice.
Vous voyez que je n’ai pas un mot de nouvelle à vous écrire. Ce qui fait cependant que j'aurai beaucoup à vous dire si je vous voyais quand je vous verrai. Depuis dimanche prochain le 27 adressez vos lettres à Francfort, sur le Main Légation de Russie.
C'est le 30 que l'Impératrice quitte ceci & moi aussi. Adieu. Adieu.
On me demande ce qu'on pense, ce que vous pensez de l’attitude de l’Empereur. Je dis mais pas si bien que vous savez dire. Je cite le duc de Broglie, comme le grognon qui se rend. La duchesse d’Orléans a passé un jour auprès de son amie la princesse de Prusse à Coblence. Certainement Thiers va la trouver en Suisse pour viser son passeport pour Paris Adieu. Adieu.
Jusqu’à présent j'aime mon Impératrice tous les jours davantage. Vous trouverez que c’est trop, vu que vous en saviez déjà.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00077.jpg
N°19 Val Richer 20 Juin 1852

Je n'ai pas de goût à vous écrire quand j’attends impatiemment une lettre. Le manque de celle d’hier m’a contrarié plus vivement encore que de coutume. Seriez vous plus souffrante ?
Ni mes lettres, ni mes journaux ne me disent rien. Si nous étions, en temps ordinaire, cette chute de la convention d'extradition entre la France et l'Angleterre, signée et ratifiée par le président et par la reine Victoria, serait un gros échec pour les deux gouvernements, et un gros embarras entre eux. Rappelez-vous ce qui est arrivé quand je n’ai pas fait ratifier la convention sur le droit de visite. Mais aujourd’hui rien ne fait rien. Je suppose pourtant que Lord Malmesbury payera son étourderie.
Décidément les affaires du cabinet Tory vont mal. Lord John est un opiniâtre fellow. Il persiste, en dépit de tout le monde, à être le chef de l'opposition. Il en viendra à bout.
Il pleut. Je me suis levé tout à l'heure par un beau soleil. Mais le ciel redevient tout noir. Je m'en consolerai quand j'aurai une lettre. Je suis plongé dans l’histoire de Cromwell et de son travail pour se faire Roi. Jamais homme n’a eu à la fois tant d’ambition et tant de bon sens. Aspirer à tout et savoir s'arrêter, c’est le seul exemple.

10 heures
Pas de lettre encore aujourd’hui. C'est désolant. Si vous êtes malade, pourquoi ne pas me faire écrire deux lignes, n'importe par qui, par Auguste ou Emilie. La journée sera bien longue. Adieu. Adieu.
On m’écrit : " Il n’y aura point de petite session. Les lois somptuaires seront retirées. Le corps législatif votera le budget sans mot dire, malgré les coups que le Conseil d'Etat, lui a donnés sur les doigts. "

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L008_0126.jpg
17 Val Richer. Vendredi 15 août 1845

Ceci vous trouvera à Boulogne. Je pense avec plaisir que la mer n’est plus entre nous. Quand je nagerais aussi bien que Léandre, le Pas de Calais est plus large que le Bosphore. Et ce pauvre Léandre n'est pas arrivé.
Guillet a écrit à Page de passer à la rue St Florentin et d’y donner son adresse. Je vous engage encore à passer quelques jours à Boulogne avec les Cowley. Vous n'aurez personne à Beauséjour, surtout le soir. Le Roi de Prusse a beaucoup d'humeur de ce que la Reine comme elle le lui a fait savoir ne reste à Stolzenfels que jusqu’au 14 et veut en partir le 15 pour être à Cobourg le 17. Il avait fait de plus longs préparatifs. Il s’est écrié, sur cette nouvelle : " Ah, c’est trop fort. Il y a de la part des Princes allemands et des hommes considérables, fort peu d'empressement pour se présenter chez le Roi de Prusse & lui rendre des devoirs pour lui-même, avant l’arrivée de la Reine d'Angleterre. On va au contraire beaucoup au Johannisberg. On peut évidemment se montrer froid pour le Roi de Prusse et confiant dans M. de Metternich. Le Roi en est choqué. Et comme il est surtout homme d'impressions et d'amour propre, cette petite manœuvre n’aura probablement pas l'effet qu’on s’en promet.
La Reine d’Espagne et même la Reine Christine ont été très bien reçues à St Sébastien et dans les Provinces basques, en général ; mieux qu’on ne s’y attendait. Voilà encore des conspirations qui échouent. Ce ne sont pas les conspirations que le général Narvaez a à craindre ; c'est l'opposition dans son propre parti. Les prochaines cortes seront orageuses. Le grand Duc de Modène a décidément et pour la seconde fois refusé sa fille à M. le Duc de Bordeaux. On a donné un bal à Schönbrunn dans cette vue. Il a déclaré que si le Duc de Bordeaux y allait, ses filles n'iraient pas. Le Duc de Bordeaux a été indisposé. Le parti est très chagrin, très déconfit de cet échec. Ils disent qu’ils n’ont plus d’espoir que dans la seconde fille du Prince Jean de Saxe, 15 ans, bien laide & pauvre ; et que si cela aussi échoue, il faudra que le Duc de Bordeaux épouse une française de bonne maison, car il faut absolument qu’il se marie. La Dauphine a fort essayé de causer politique et France avec l’Electrice douairière de Bavière qui s’y est refusée. Elle (la Dauphine) s'est montrée parfaitement découragée et résignée. On lui a demandé si elle passerait l’hiver à Vienne ou à Frohsdorf : " Je n'en sais rien et cela ne me fait rien, avec le peu de jours qui me restent à vivre, et ce que j’ai à en faire, qu'importe ? " Voilà mon bulletin. Le calme est profond.
Le Roi et tout le château d’Eu ont été charmés de mon discours à St Pierre. Il m'écrit avec effusion. Henriette est décidément très bien. Mais le temps redevient mauvais, froid. Quel été ! J’ai écrit à Charles Greville. Adieu. Adieu.
Vous avez déjà passé où vous passerez après-demain. Il n'y a pas de vent aujourd’hui. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L008_0135.jpg
20. Boulogne, Dimanche le 17 août 1845
Onze heures

J’ai quitté Londres hier à 9 h., arrivée à Folkestone à 6 1/2 embarquée à 7 1/2, et à Boulogne à 9 1/2 mais pas dans mon lit avant minuit à cause des désagréments de votre douane qui a failli me faire passer la nuit sur le bateau. J’ai dormi, mais je suis bien fatiguée. Bulwer m’a menée ici. Il est retourné à Londres ce matin, tout cela sera une histoire drôle à vous conter. Je n’ai pas des yeux suffisant pour cela. Je me borne au stricte nécessaire.
Voici vos N°18 & 19 merci, merci. Quand ne nous écrirons nous plus ? Combien j'espère à Beauséjour ! J'ai besoin de me réposer de ma rude journée d’hier. J'ai ici les Cowley ; je n’ai encore vu que la fille. Adieu, pardonnez-moi cet abrégé. Brunnow était chez moi hier à 9 h. du matin & m'a mis en voiture. Mes Anglais ont été charmants pour moi tous. Beaucoup mieux que jamais. Adieu, adieu, adieu.
P. S. Voici la lettre de vendredi merci, merci.

Collection : 1837 (7 - 16 août)
Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
2301_00262.jpg
20. Mardi 8 août 6. h.

J’ai été obligée de recevoir M. Molé, lady Granville, le comte Médem avec le premier deux heures de tête-à- tête, avec lady Granville longtemps. aussi, mais une causerie si bonne, si intime sur un sujet qui me tient le cœur si serré, que j’ai fini par tomber sur son épaule. Je n’avais plus de force. Si je pouvais me débarrasser de mes nerfs mais je suis bien faible, bien faible. Le médecin me dit que je reprendrai des forces au bout de quelques jours. Il faut en reprendre avant de vous voir. Telle que je suis aujourd’hui c’est impossible. J’en tomberais gravement malade, et vous ne le voulez pas ? Je ne cesserai donc de vous le répéter, attendez je vous en conjure. Laissez-moi me remettre un peu ; je vous promets que je ne m’occuperai que de cela. Si je pouvais vous promettre de ne pas m’occuper de vous, je serais bien plus sûre de remplir le premier engagement. M. Molé m’a trouvé bien changée.

Mercredi 9 à 8 h du matin Je suis mieux, il me semble que c’est là ce que vous êtes pressé de savoir. J’ai dormi cinq heures cette nuit, je vous ai oublié un peu, Dieu merci. Et en me levant j’ai vraiment senti que mes jambes me porteraient mieux. Voyez Monsieur, voilà du progrès. Tous les jours j’espère vous en annoncer et puis, & puis. Vous viendrez quand je vous le dirai vous viendrez n’est-ce pas ? Cela me paraît simple, cela me parait sûr, & quand je pense au moment où je vous reverrai, il me semble que j’en mourrai.
Est-il possible qu’en si peu de temps vous soyez devenu pour moi ce que ma peine cherchait dans le ciel, que cette vision qui m’avait un moment enivré de délices sont devenus une réalité ? Je vous ai dit ce que j’ai éprouvé alors, je me rappelle distinctement. Cette sensation mais jamais je ne saurais la décrire, elle surpassait ce que la parole peut exprimer. Et bien de même aujourd’hui ce que j’éprouve est au-dessus de toutes les expressions humaines. Monsieur est-ce que je rêve. Y a t-il de la folie dans ce que je vous dis ? Je ne suis plus sûre de moi. Monsieur défendez-moi de vous parler.
Je lis vos lettres, je les relis. Savez-vous bien ce que sont vos lettres ? Ah quel danger pour ma pauvre raison ! onze heures On m’apporte dans ce moment votre N° 17. Voilà qui est réglée, j’accepte le 18. Je l’accepte avec transport. Pensez donc au 18, pensez y beaucoup, et faites des vœux pour que je n’y pense pas. Car ma pauvre tête pourrait aller. Votre dîner chez le curé me rappelle qu’il y a quelques temps déjà je voulais vous demander une faveur. J’ai lu dans en livre que vous m’avez donné, ces livres dont j’approche avec respect avec mille sentiments contraires que je ne peux, que je ne veux pas vous exprimer. J’y ai lu entre autres choses que celle que vous aimiez surement le mieux s’occupait des pauvres. Est-ce à St Ouen qu’elle avait des pauvres des écoles, enfin des objets de ses charités. Je voudrais bien de cette manière au moins chercher à lui ressembler. Il est une manière où je la surpasse, oui, Monsieur je la surpasse, ne me disputez pas cela j’en suis sûre, sûre.
J’en reviens à mon sujet. Monsieur ayez la bonté d’arranger ce que je vais vous dire. Je destine mille francs à votre comme. Vous distribuerez cela comme vous l’entendez, mais je voudrais bien entre autre ; que ce cottage où vous avez dîné soit mieux tenu, et que l’année prochaine vous me racontiez que cela avait l’air propre et bien rangé. Dites-moi à quelle adresse mon banquier aurait à faire passer cette somme. Adieu. Adieu. Je veux une lettre tous les jours. Je vous en supplie, je vous en conjure, tous les jours un mot jusqu’au jour qui me semble qui n’arrivera jamais !
Mon médecin sort d’ici il me trouve mieux ce matin, mais très faible. Il veut de l’air, de l’air. Une pieds sont froids comme glace, & je n’ai pas la force de marcher. Il veut me faire prendre du quinine. N’allez pas tomber malade, soignez- vous bien. Imaginez que je vais maintenant m’inquiéter de votre santé. Mais elle est bonne n’est-ce pas ? Tous vos N° entre 11 et 16 me manquent encore. Excepté la lettre de Caen sans N°.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23017_00079.jpg
20 Paris, Samedi 18 mars 1854

Le Prince Pierre d'Arenberg, qui part aujourd’hui pour Bruxelles, est venu hier me demander si j’avais quelque chose à vous envoyer. Je n'avais rien du tout. Il n’y a ici rien de nouveau. On ne croit guère à vos nouvelles propositions dont parle le Times, et encore moins à leur efficacité qu'à leur réalité. On parle à peine de la neutralité de la Prusse. Rien ne fait grand effet. On n’a pas plus de goût pour la guerre qu’il y a six semaines, mais on y est plus résigné.
Les préparatifs de l'expédition se font plus vivement depuis huit jours. Quatre ou cinq mille hommes de la garnison de Paris sont partis hier et avant hier par le chemin de fer de Marseille. On attend un corps de cavalerie anglaise qui doit traverser la France. Le maréchal St Arnaud ne partira, dit-on, qu’au commencement d'Avril.
M. Molé était chez moi hier, en même temps que le Prince Pierre. Il a été, pendant deux jours, très inquiet de la Duchesse d’Agen qui avait une fièvre violente sans que rien n'indiqua pourquoi. Une fièvre scarlatine simple et régulière s'est déclarée. Ils ne sont plus inquiets du tout. Mais Molé ferme sa maison. Plus de Mardi.
Mad. de Laborde est morte hier, à midi. Vraie douleur pour ses enfants qui l’aimaient tous beaucoup. C’est une famille très unie, en dépit de toutes les dissidences. Elle est morte d’un retour caché du mal dont elle avait été, il y a deux ans, opérée et guérie.
Avant hier soir, assez de monde chez moi ; Broglie, qui ne me quitte guère, Montalembert, sir Henry Ellis, Senior, Berryer, Moulin, Lavergne, Cuvillier. Fleury, Vitet. Hier soir, j’ai passé une heure, chez Mad. de Montalembert, et la fin de ma soirée chez Broglie. Sa belle fille est bien souffrante, et abattue de sa grossesse. C'est la cinquième. Il n'en faudrait pas, je crains, beaucoup d’autres. Je vous donne les petits détails de la vie de vos connaissances.
Je vois avec plaisir que le banquet du Reform-Club n'a guère réussi en Angleterre. Je l’avais trouvé inconvenant et ridicule. Dans tous ces toasts et speeches, c’est Napier qui a été le plus réservé, et le plus modeste. Rien n’est tel que d'avoir le fardeau sur ses épaules. L'Emprunt sera archi-couvert. Aussi dit-on qu’on le doublera pour mettre sur le champ à profit cet empressement des capitaux, au lieu de lui faire un nouvel appel dans six mois. Ce pays-ci est très riche et s'enrichit tous les jours. Adieu.
Voilà, le facteur qui m’apporte plusieurs lettres, et rien de vous. J'espère Montalembert, sir Henry Ellis, Senior, bien avoir quelque chose, dans la journée. Adieu. Adieu. G.

Collection : 1837 (7 - 16 août)
Auteur : Guizot, François (1787-1874)
2301_00631.jpg
N°20. Jeudi 10 4 heures

Non Dearest vous ne rêvez point. Je l’espère bien. Qui perdrait plus que moi au réveil ? Que vous êtes aimable! Ce n’est point à St Ouen que m’a femme s’occupait de charité. Je n’avais point le Val-Richer alors. Je l’ai acheté l’année dernière. C’est à Paris, d’ans le faubourg St Honoré, où elle s’était chargée des pauvres d’un côté de la rue de la Madeleine et où pendant le choléra elle les soignés si bien que de ses pauvres, il ne mourut qu’une vieille femme de 32 ans. Ici, il y a peu de charités à faire. Les moindres paysans possèdent et cultivent quelques champs qui leur suffisent. Ils sont assez fiers d’ailleurs, et tiennent à ne rien recevoir. L’école; qui n’est pas mauvaise est située dans un village voisin où les enfants se rendent ; en hiver surtout ,car pendant l’été ils sont occupés aux travaux de la campagne. Le cottage dont je vous ai parlé appartient à un habitant de là commune qui l’a prêté au curé jusqu’à ce qu’un presbytère soit construit. C’est de ce presbytère que nous avons besoin, et c’est là que vous m’aiderez puisque vous le voulez. Nous en causerons quand je vous verrai. Car je vous verrai, J’ai mon jour devant moi ; j’y marche.
Si je pouvais presser le temps comme l’aiguille de ma pendule ! Il faut que j’en convienne. Dieu à bien fait de ne pas nous laisser régler l’allure du temps. Comme nous la précipiterions tantôt pour fuir la douleur tantôt pour arriver à la joie ! Employez bien du moins toutes vos journées d’ici au 18. Reposez-vous calmez vous, promenez-vous, fortifiez-vous. Je répète toujours la même chose. Comment faire autrement quand il n’y en a qu’une ?
Vous voulez savoir comment ma journée à moi, est réglée, quelles sont mes habitudes. Les voici. Je me lève entre 7 et 8 heures. Je vais voir ce que font mes ouvriers, car j’en ai encore. Je me promène un moment. J’entre chez ma mère, chez mes enfants. Il sont encore aux bains de mer pour tout ce mois. Remonté dans mon cabinet j’écris mes lettres ; j’attends la poste. Je l’attends toujours même quand elle arrive plutôt que je ne dois l’attendre. La poste venue, je me donne plein loisir, pleine liberté jusqu’au déjeuner; je lis, je relis, je marche, je m’assieds, je rêve, c’est mon moment de plus grande complaisance pour moi-même.
Nous déjeunons à 11 heures. Après le déjeuner, on passe une demi-heure, une heure ensemble dans le salon ou dans le jardin. Vrai jardin de curé encore je ne me suis ruiné cette année que dans la maison, je me ruinerai l’année prochaine au dehors, à faire un jardin. J’ai du gazon, des arbres, de l’eau qui court de l’eau qui dort, du mouvement de terrain, des points de vue. L’espace est petit ; cinq ou six arpents seulement ; mais les près et les bois l’entourent et l’étendent indéfiniment. Je ferai quelque chose de gracieux au milieu d’une solitude assez sauvage.
Vers une heure tout le monde est rentré chez soi. Mes filles viennent dans mon cabinet, lire avec moi de l’anglais, et causer. Je crois à la conversation, surtout quand elle est affectueuse quand un peu d’émotion se lie aux idées, et les fait pénétrer plus avant que dans l’intelligence seule. Ma fille aînée, elle a huit ans, aime passionnément la conversation, & la sienne en est presque déjà une pour moi.
Il y a quelques jours à Trouville, j’étais préoccupé, triste. Je ne sais plus de quoi. Elle était là; elle vint tout à coup se jeter dans mes bras en me disant tout bas et toute rouge; « Mon père, à quel age aurai-je toute la confiance ? Elle appartient à la petite armée des natures d’élite. Mes filles parties, je m’occupe, je lis, j’écris. Je reçois qui vient. Nous dînons à 6 heures.
Après dîner, on se promène on on reste ensemble ou seuls, chacun à son gré. Je protège la liberté des autres pour garder la mienne. Le soir, quand il n’y a point d’étranger on se réunit dans la chambre de ma mère, à qui cela est plus commode. Je fais une lecture, pour l’amusement de mes enfants, un romans de Walter-Scott, un voyage. Ils vont se coucher à 9 heures ; et avant 10 heures, je rentre chez moi; j’ouvre mes fenêtres. Le ciel est souvent beau. Le calme profond : la lune éclaire et endort toute ma vallée. C’est mon heure à moi. Prenez-la, Madame ; mettez-y ce que vous voudrez ; à coup sûr, je l’y mettrai ; je l’y ai déjà mis.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23017_00107.jpg
21 Bruxelles le 29 mars 1854 Mercredi

Voici une commission. Priez votre valet de chambre de la faire et de m’apporter cela & de la payer. Je le rembourserai exactement ici. Qu'il ne prenne pas du carré arrondi ; il faut rond rond. Ma derniers lettre, c’est charmant ! Mais après il faudra recommencer. Ce qui est affreux c’est de n’avoir aucun bonheur tranquille en perspective. Nous ne croyons pas ici au passage du Danube par nos troupes. défensive, défensive, pas autre chose. Brunnow est sur cela très affirmatif. Dieu ! Qu'il est laid. Vous me trouverez mauvaise même. Je suis malade depuis Paris. Ces quelques jours me feront du bien. Adieu. Adieu.
Formats de sortie

atom, dcmes-xml, json, omeka-xml, rss2