Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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222 Du Val Richer, Samedi 20 Juillet 1839 9 heures

Je sors de mon lit. Je suis arrivé hier avec une grosse migraine. J’ai dormi stupidement et la migraine a disparu. Il fait très beau. Mes enfants sont ravis de me revoir. Mais je n’ai point de joies complètes sans vous, pas plus qu'avec vous. Voilà vos numéros 217 et 218. Je ne sais pourquoi je n’ai pas eu le premier avant-hier à Paris ! J’ai été deux jours sans lettres et point par votre faute. Outre le chagrin, il y a pour moi beaucoup d'étonnement quand un jour s’écoule sans que vous y ayez pris votre place. Je suis lente de dire comme Titus. Certainement, il n’aimait pas autant Bérénice. Ne soyez donc pas si près de la foudre. Je n'aime pas les dangers passés. Ils menacent.
Je suis charmé que vos arrangements de fortune soient conclus. J’attends le détail avec impatience ; mais je suis tranquille, puisque votre situation reste la même. J'en étais très, très préoccupé. Je ne me fie à personne chez vous et pour vous. Rien ne peut plus m'étonner de là, si ce n'est le bien. Que cette conclusion donne au moins à vos nerfs un peu de repos. Vous pourrez à présent régler d’une façon définitive le matériel de votre vie. Est-ce bien conclu ? Y a-t-il quelque chose de réglé pour le partage des meubles, tant ceux de Pétersbourg que le capital de Londres ? Tout sera-t-il bientôt effectivement exécuté ? Je vous demande là ce que vous me direz probablement demain. A demain aussi plusieurs petites choses que j’ai à vous dire. Le facteur me presse pour repartir.
Adieu. Adieu. Vous aurez été deux jours aussi sans lettres et celle-ci n'est rien. Continuez d’être mieux. Je vous le demande. Je vous en conjure et je vous l'ordonne. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
223 Du Val Richer, Samedi 20 Juillet 1839 3 heures

J’ai trouvé mes enfants très bien. Cependant Guillaume tousse un peu depuis quinze jours. Il mange et dort parfaitement. Il est très gai. Mon médecin dit que ce n’est rien du tout et que quelques pastilles d’ipécacuanha l’en débarrasseront.
Le Duc de Wellington s’est bien fâché contre Lord Melbourne. J'en ai été un peu surpris. Non qu’il n’eût parfaitement raison ; mais au dire de Pozzo, il y a entre eux la meilleure, intelligence ; et Lord Melbourne ne fait à peu près rien sans s'en être de près ou de loin, entendu avec le duc. Du reste il arrive à Birmingham ce qui arrive dans les grandes villes des Etats Unis d'Amérique, ce qui arrivera partout où la contagion de l'esprit démocratique aura atteint le gouvernement lui-même. On élit des magistrats mais il n’y en a plus. Il n’y a que des adorateurs et des serviteurs de la multitude. Elle est pour eux ce qu’était le Pape au Moyen-Âge pour l’Europe chrétienne. Leur premier mouvement est de la croire infaillible, et ils ne se décident à la réprimer un peu qu’en cas de nécessité absolue et après les derniers excès. Lord John s'est mieux défendu aux Communes que Lord Melbourne chez les Lords. Lord Melbourne a toujours l’air d’un homme qu'on réveille en souriant, et qui dit : " Laissez-moi tranquille. Pourquoi me tracassez-vous ? Croyez-vous que je sois là pour mon plaisir ? J’y suis pour vous empêcher d'être dévorés par cette bête. féroce. " Le Parlement ne sera prorogé que dans la seconde quinzaine d'août.

8 heures
Je rentre de bonne heure quoiqu’il fasse beau. Les soirées normandes sont trop humides pour moi. Je retomberais dans ces éternuements insensés qui m'hébètent et me fatiguent. Décidément, l’atmosphère du midi est la seule agréable la seule ou la chaleur ne soit pas celle d’une étuve et la fraîcheur celle d'une cave. C'est bien dommage que le proverbe ait raison : " Où la chèvre est attachée, il faut qu'elle broute. " J’aimerais bien à choisir mon herbe. A tout prendre, je me suis assez réglé, dominé, gouverné selon la raison, et je passe pour cela. Mais il me prend quelquefois de furieux accès de fantaisie, un désir passionné de n'en croire que mon goût mon plaisir. Personne ne saura jamais ce qu'il ma fallu d'effort la semaine dernière pour ne pas partir pour Baden dans la journée, et y aller voir moi-même.

Dimanche 6 h. 1/2
Je me lève de bonne heure ici, comme vous à Baden. Le calme du matin est charmant. La nature est animée et il n'y a point de bruit. Je crois que je travaillerai beaucoup, et avec plaisir. Pourvu qu’on ne vienne pas trop me voir. J’attends la semaine prochaine M. et Mad. Lenormant ; puis M. Devaines et son fils, puis M. Rossi. Mad. de Boigne qui ira passer un mois chez Mad. de Chastenay, près Caen, me fera une visite en passant. Ma route n'est pas tout à fait achevée. Cela éloignera quelques personnes.
Ne mettez pas grande importance, à ce que vous lisez dans les journaux sur les dissensions intérieures du Cabinet, sur le travail de M. Dufaure au profit, de la gauche, &. On essaie d’amener cela en le disant ; mais cela n'est point. Il n’y a dans le Cabinet point de dissensions, point de travail de personne au profit de personne. Ils sont tous contents d'être où ils sont, chacun tâche à se maintenir bien avec ses anciens amis pour en tirer quelque appui, M. Dufaure avec la gauche, M. Duchâtel avec le centre ; mais tout cela, sans conséquence. Au fait, ils s'accordent sans peine ; et quand ils différent, chacun dit son avis, le Roi décide, et ils n’y pensent plus.

9 heures
Je suis désolé que le courrier vous ait manqué. J’aime mieux que cela soit tombé sur le jour où vous avez eu Lady Carlisle. Lady Granville m’avait dit qu’elle irait passer une journée avec vous. Merci de ce premier aperçu sur vos arrangements. Ils me conviennent, à présent, il me faut les détails. Adieu. Adieu. Vous aurez été bien rassurés sur Paris. Adieu dearest. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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229 Du Val-Richer, Lundi 29 Juillet 1839 - 3 heures

Je rattraperai aisément la mesure, car l’air me plaît. Je voulais ménager votre force et vos yeux. Donnez m'en tout ce que vous voudrez. J’ai de quoi vous rendre. C'est, je crois le défenseur de l’archevêque Land qui a dit le premier qu'avec cent lapins blancs ou ne fait pas un cheval blanc. Avec cent lettres de Baden et du Val-Richer, on ne fait pas une conversation de la Terrasse. Mais j’aime mieux cent lettres que cinquante. Pourtant je ne redeviendrai quotidien qu’à partir de Jeudi 1er août.
Je mène demain mes deux filles à Caen, chez leur dentiste de province. Il faut leur ôter deux dents de lait que Brewster a voulu ajourner quand elles ont quitté Paris. Il y a un bon dentiste à Caen. J'en reviendrai après demain soir. Cette course me dérange ; mais je suis mère.
J’attends avec grande curiosité la confirmation des nouvelles d'Orient. On dit que le capitan Pacha est un homme à vous, qui avait beaucoup contribué au traité d'Unkiar-Skelessi et vous fut, aussitôt après, envoyé comme Ambassadeur. Les habiles soutiennent que tout cela n’est pas clair. Pour moi, je me suis décidément retranché les prophéties. Je veux voir.
Avez-vous entendu dire que le comte de Pahlen remplacerait Pozzo à Londres ? J’en serais fâché et pour vous et pour nous. A moins qu'on ne nous redonnât Pozzo mourant. Mais cela ne se peut guère. Votre pauvre ami de Hanovre commence à prendre peur. Il s’est chargé de plus qu’il ne peut porter. Ç'a toujours été un grand métier que celui de despote. De nos jours, il y faut Napoléon. Encore s’y est-il cassé le nez. Est-ce qu’il ne vous vient plus de lettres de là ? Du reste, il me semble qu’il vous parle toujours plus des Affaires d’autrui que des siennes. Il me semble que j'ai vu autrefois. M. de Malzahn à Paris, en 1820 et 1821. N’a-t-il pas été Ministre de Prusse à Munich, ou à Stuttgart ? Je le confonds peut-être avec un M. de Maltzen qui était aussi dans la diplomatie Prussienne ; homme d’esprit, un peu solennel.
L'humeur de la Chambre des Pairs porte ses petits fruits. On aurait voulu qu’elle fit sur le champ un second procès, pour en finir de ces gens du 12 mai, comme on en finit. Il n'y a pas du moyen. Les Pairs n’ont pas voulu en entendre parler. Leur commission d’instruction va en mettre en liberté tant qu’elle pourra, et ceux qui resteront attendront en prison que la Chambre ait un peu repris cœur aux procès. C'est encore un excellent instrument de gouvernement qu’on a bien vite usé. Les fêtes ont été on ne peut plus paisibles. Fort tièdes. Les hommes ne se réjouissent pas par commémoration. Il n'y a de solennité durable, en l’honneur d’un grand événement, que celles qui portent un caractère religieux. On ne puise un peu de durée que dans l'éternité. Notre temps a étrangement perdu l’intelligence de la durée et de ses conditions. Jamais les hommes n’ont vécu concentrés à ce point dans le présent. Petite vie, et qui fait toutes choses, à sa mesure. Et pourtant, il y a dans les idées, dans les sentiments, dans les institutions de notre temps, le germe de grandes choses très grandes. Mais pour que les grandes, choses viennent, il faut extirper les petites. On ne peut pas avoir de taillis sous les hautes futaies. Et de notre temps, les petites choses sont innombrables, petits intérêts, petits conforts, petits désirs, petit plaisirs. Il y a des facilités infinies pour dépenser sa vie et son âme en monnaie. C'est mon désespoir de voir de quoi on se contente aujourd'hui. Parmi vos raisons de me plaire, celle-ci m’a beaucoup touché, vous avez l’esprit et le cœur superbe. Cela coûte cher ; mais n’y ayez pas regret. Cela vaut encore davantage, n’est-ce pas ? Adieu pour aujourd’hui. Je vous dirai encore adieu demain avant de partir. J’oubliais de vous dire que Madane d'Haussonville est fort heureusement accouchée d’une fille. C'est ce qu'elle désirait. J’en suis charmé pour son père. Sa première couche avait été fort pénible et le tourmentait.

Mardi 9 heures 1/2
Bonjour et adieu. C'est la même chose, toujours la même et et toujours charmante. Je vous écrirai demain. Je ne vais à Caen que samedi. Encore adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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230 Du Val-Richer, Mardi 30 Juillet 1839 2 heures

Je rentre d’une longue promenade avec mes enfants. J'ai découvert, à quelques minutes de la maison, un terrain presque inculte que je ne me connaissais pas dans une position charmante, à droite la vue de la maison dont on n'est séparé que par un ravin où coule une petite source, à gauche, une percée sur une vallée large et riante, en face et derrière de grandes bois en amphithéâtre. Je planterai là un petit bois. L’idée de cette plantation et votre idée me sont venues en même temps absolument en même temps ; je ne saurais dire qu’elle a été le première. Tout ce qui me plaît me fait penser à vous. Rien ne me plaît vraiment qu'avec vous.
Je voudrais que votre frère eût raison pour votre fortune. Je connais cette façon de se débarrasser de toute inquiétude sur le compte des gens en exagérant leurs avantages. Certainement on dit hableur. Quand vous aurez reçu de nouveaux détails sur vos arrangements, sur le partage des meubles sur l'époque où vous toucherez les capitaux, mettez-moi au courant. Je suis beaucoup plus tranquille que je ne l'étais. Je ne le suis pas encore assez pour mon plaisir.
Mes dernières nouvelles d'Orient restent un peu en suspens. Ce qu'on m’avait mandé me paraît plutôt commencé qu'accompli. Si Méhémet trouve moyen de donner satisfaction à l'Angleterre pour l'isthme de Suez, ses affaires seront bonnes. Mais il faut qu’il fasse cela. Je n’ai rien reçu le matin.

9 heures
Vous voulez revoir ce que vous avez aimé. Vous voulez y croire. Vous y croyez bien plus que vous ne pensez. Vous y croyez naturellement, spontanément, par instinct, c’est-à-dire par l'élan primitif et libre de votre âme. Vous croyez à bien plus qu'à la réunion dans l'avenir. Vous vous croyez en rapport avec eux encore à présent, toujours d’un monde à l'autre. Pourquoi les appelez-vous les priez-vous ? Pourquoi levez-vous les yeux, joignez-vous les mains vers eux. Feriez-vous tout cela, la moindre de ces choses-là si réellement, au fond de votre âme, vous les croyiez sourds, insensibles, tout-à-fait étrangers à vous, morts vraiment morts ? Nous portons en nous une foi obscure, mais invincible à une relation inconnue, mais réelle, avec les êtres chéris qui nous ont quittés. Ils ont des droits sur nous, nous avons des devoirs envers eux. En nous acquittant de ces devoirs, nous croyons satisfaire à quelqu'un. Si nous y manquions nous croirions avoir manqué à quelqu'un. A cette croyance se joint même le sentiment que les morts ne pouvant réclamer, ni se faire rendre eux-mêmes, ce qui leur est dû la dette n'en est pour nous que plus sacrée. Qu’est-ce à dire ? Les morts jouissent-ils ou souffrent-ils donc de ce que leur accordent ou leur refusent les vivants ? Je ne puis pas vous répondre. Je ne dois pas toutes de vous répondre. Comment l'être qui n’est plus de ce monde peut-il être encore affecté de ce qui s’y passe ? Quelle société peut l’unir encore à ceux qui y sont restés ? L'homme ne le conçoit pas, et dès qu’il le cherche, il s'égare. Cependant il y croit, et ne peut pas plus échapper à l’instinct de sa nature que dépasser les limites assignées à sa science. Et remarquez que cet instinct n'a point de prétentions scientifiques ; il se suffit à lui-même. Au moment où l'homme, obéissant à cette voix intérieure, s’acquitte envers les morts de quelque devoir pieux, aucune curiosité, aucun doute ne le préoccupe ; il n’a nul besoin de savoir quel est leur mode d'existence ou quel mode de communication est possible entre eux et lui. Il agit en vertu d’une foi irréfléchie dont il se contente, certain, sans s’inquiéter de la route ni du moyen, que son action a un objet, que ses sentiments iront à leur but. C’est seulement lorsque d’acteur l'homme devient spectateur, lors qu’il interroge sa nature au lieu de la suivre et s'examine au lieu de se croire c’est alors que s'élèvent en lui les doutes de l’esprit, les besoins de la science, et qu’il entreprend, pour devenir savant, de franchir des limites au delà desquelles ses croyances instinctives ne le portaient point. Regardez dans l'âme de cette femme, de cette fille qui vont auprès d’un tombeau, offrir à un mari, à un père, tant de marques de tendresse et de respect. Croient-elles savoir, sur son état depuis la mort, sur sa relation avec elles, ce que cherchent les philosophes ? Pas du tout. Les problèmes qu'agitent les philosophes n'existent pas pour elles ; si elles les voyaient, elles seraient, comme les philosophes, tourmentés du besoin et de l’impossibilité de les résoudre. Essayez de soulever ces problèmes dans leur pensée : demandez-leur comment elles se figurent que le parfum de ces fleurs qu'elles cultivent la fraîcheur de cet ombrage qu'elles entretiennent, vont charmer l'être à qui s'adressent leurs soins. Vous les verrez saisies de trouble ; vous n'en recevrez que des réponses timides, contradictoires. Peut-être même leurs paroles démentiront- elles leurs actes ; peut-être s'accuseront-elles de faiblesse et d’erreur avant votre intervention, elles ne croyaient pas en savoir davantage ; elles ignoraient ce qu'elles. ignorent ; mais elles ne le cherchaient point. Elles adhéraient fortement à une foi simple, naturelle ; et jouissaient de ses espérances, et agissaient selon ses inspirations, sans rien demander de plus. C'est le caractère de cette foi qu'elle n’a point de réponse aux doutes, point de solution des problèmes qu’élève la curiosité de l’esprit. Elle n’est point curieuse elle-même ; elle existe ; elle affirme les faits qu'elle entrevoit. Ne lui demandez pas de les démontrer, de les expliquer. Elle est invincible et sans aucune prétention. Ecoutez-la ; elle vous consolera ; ne l’interrogez pas, car elle ne se chargera point de vous instruire, sublime et modeste à la fois, elle révèle l'avenir et ne tente pas de le dévoiler.

Mercredi 10 h.
Ne manquez pas de me répondre sur le petit hôtel de la rue Belle-Chasse, qu’occupait M. de Crussot. Beaucoup de vos convenances m'y paraissent réunies. J’aimerais bien mieux l'entresol de la rue St Florentin. Mais je crains qu'on n'en veuille 12 mille francs. Adieu. Adieu. Pendant une semaine, vous n'aurez eu de lettre que tous les deux jours. Mais nous voilà, au même pas. Encore adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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233 ( je crois ) Caen. Samedi soir 11 heures 3 Août 1839

Je ne veux pas qu’une lettre vous manque. Mais ce sera à peine une lettre. Je quitte quarante personnes et je repars demain à 6 heures. On a arraché trois dents à mes filles, trois dents de fait destinées à mourir et qui obstruaient le passage. Cela est devenu nécessaire en deux mois, car elles avaient été chez Brewster quelques jours avant leur départ. Elles ont très bien supporté le mal. Et Pauline surtout y a eu du mérite, car elle avait bien le frisson. Ce n'est pas un enfant d’un naturel ferme ; mais elle est capable, pour quelques moments, par affection, par fierté, d’un véritable héroïsme. Si les grandes personnes avaient la moitié des vertus qu'elles demandent aux enfants, le monde serait beau à voir. Mais on fait bien de demander beaucoup aux enfants. Il faut qu’ils acquièrent de quoi perdre.
Je n'ai rien appris ici comme de raison Et je ne vous envoie pas la politique de province. Ce n'est pas la plus intelligente. mais c’est bien souvent, je vous assure, la plus sensée ; non pas plus sensée que vous et moi, mais plus sensée que la plupart des gens avec qui nous passons notre vie et comptons beaucoup. Je reviens toujours de la campagne, avec un grand fond d'estime pour les country gentlemen et les farmers. Adieu. Je compte trouver deux lettres chez moi demain. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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235 (hier devait être 234) Du Val Richer, Lundi 5 août  1839 9 heures

Je n’ai trouvé hier en arrivant que votre 228. Vous voulez que je vous pardonne votre abattement. Je vous pardonne tout. Mais que sert le pardon ? Pas plus que ne ferait le reproche. Vous me donnez un sentiment auquel je suis peu accoutumé, celui de l’impossibilité, sentiment très pénible à placer à côté de beaucoup d'affection. Je ne sais pas si je l’accepterai jamais. Mais nous sommes trop loin pour que je vous dise tout ce que je voudrais ce que je devrais peut être vous dire. Je compatis peu, je l'avoue à votre ennui d’un notaire, deux témoins pour un nouveau plein pouvoir qui finira tout promptement. Finir promptement, c'est votre salut, c'est votre repos ! Je ne l'espérais pas. Et quand mon attente est trompée en bien, je suis un peu content et un peu reconnaissant envers la providence. Une faveur si rare? Jamais peut-être je n'ai plus désiré vous voir et causer avec vous qu'aujourd'hui. Je ne sais si tout ce que je vous dirais vous paraîtrait doux ; mais je suis sûr que ce serait sain pour vous. Car encore une fois, je vous aime trop pour accepter, l'impossibilité.
Parlons d’autre chose. Est-il vrai, comme on me l'écrit, qu'il est question d’un voyage de l'Empereur à Odessa avec le grand duc et M. de Nesselrode ? Personne ne peut prévoir aujourd'hui ce qui arrivera de ce côté. Un enfant Roi, une vieille Sultane-mère, deux jeunes négresses-maitresses, un vieux vizir haineux, un vieux Pacha vainqueur, toutes les habiletés de l’Europe diplomatique ne gouverneront pas cela. Nous sommes au hasard. La discorde est grande dans la gauche. Les projets de réforme électorale déplaisent à la plupart de ceux qui les acceptent, & ne sont pas acceptés de ceux à qui ils voudraient plaire. Ce sera, pour la prochaine session, un grand et bon champ de bataille. Je voudrais que ces deux questions, la réforme électorale et l'Orient restassent un peu longtemps sur le tapis. Nous avons besoin, pour nous former, de questions graves, pressantes, mais suspendues sur nos têtes, qui menacent de devenir, et ne deviennent pas tout à coup de grands événements. J’aurai probablement cette satisfaction.
Ma mère est mieux, et mes filles très bien. C’est demain, 6 août, le jour de naissance d'Henriette. Il y a dix ans. J’étais bien heureux !

9 heures
Voilà le n° 229. Je répondrai demain avec détail sur votre affaire du capital anglais. Je veux revoir le texte des lois. Mais en principe, il ne nous importe pas qu’on soit ou non étranger. Les biens de toute espèce, meubles ou immeubles qui se trouvent sur notre territoire sont régis par nos lois quelle que soit la nationalité du possesseur. Il me manque en effet beaucoup. Vous avez pleine satisfaction. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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239 Du Val Richer, vendredi 9 août 1839 7 heures

Il n'y a de repos nulle part. Hier, il a fallu me promener toute la journée avec des visiteurs. Aujourd’hui dès que j'aurai déjeuné, je vais à deux lieues d’ici voir les jardins de deux de mes voisins qui m’ont envoyé je ne sais combien de belles fleurs. Le voisinage et la reconnaissance, deux lourds fardeaux. Hier pourtant, parmi les visites, une était assez agréable, la fille du général Caffarelli qui a épousé le receveur des finances de Lisieux, femme d’esprit et de bonne compagnie, qui s'ennuie beaucoup à Lisieux, et paraissait se plaire fort au Val-Richer. Elle m'a amené ses enfants avec qui les miens se sont parfaitement amusés, son mari est un de mes principaux Leaders d’élections. Tout cela me dérange.
Du déjeuner au dîner, j’aime à passer la matinée enfermé dans mon Cabinet. Je lis beaucoup j'écris. Je descends deux ou trois fois dans le jardin. Je me promène cinq minutes. Je remonte. De la solitude, de la liberté, l’esprit occupé, mes enfants pour société et récréation, la journée s’écoule doucement, comme une eau claire, et peu profonde. Le soir quand je n’ai personne, nous nous réunissons dans la chambre de ma mère, à qui cela est plus commode, et de 8 à 9 heures jusqu’à ce que mes enfants se couchent, je leur fais une lecture. Nous achèverons ce soir Ville Hardouin, la conquête de Constantinople par les Français au 13e siècle. Sans allusion ni préméditation de ma part. Nous prendrons demain Joinville, St Louis. Je ferai passer ainsi sous leurs yeux les mémoires originaux et intéressants de l'histoire de France. Je m’arrête en lisant; j'explique je commente, j’écoute. Cela leur plait fort. Et puis, pour grand divertissement, j’interromps quelquefois nos lectures historiques par un roman de Walter-Scott ou une pièce du théâtre Français. En fait de lectures amusantes, je n'en connais point de plus saines pour des enfants et qui leur laissent dans l’âme des impressions plus justes et plus honnêtes que Scott. Racine, Corneille et Molière, un peu choisi. Je n'ai avec mes enfants point d'apprêt, ni de pruderie ; je ne prétends pas arranger toutes choses autour d'eux, de telle sorte qu’ils ignorent le monde et ses imperfections, et ses mélanges jusqu'au moment où ils y seront jetés. Mais je veux que leur esprit se nourrisse d'excellents aliments, comme leur corps de bon pain et de bon bœuf. L’atmosphère et le régime, c'est l’éducation morale comme physique. Je veille beaucoup à cela, et puis de la liberté, beaucoup de liberté. Cela m’avait admirablement réussi.
Il faut en effet que Félix soit fou. Du reste les maîtres n'ont pas le privilège de l’ennui. C’est la seule explication qui me soit venue à l'esprit hier. Elle m’y revient aujourd'hui. Elle vous fait peu d’honneur, et Félix n'est pas Russe. J'espère encore que ce n’est pas fini, et que vous me direz qu’il est resté. Vous dîtes donc que vous serez à Paris en septembre au commencement même. Cela me fait battre le cœur. Pour y rester ou pour aller à Londres ? Si vous le savez, dites le moi.
J’écris aujourd'hui pour faire examiner à fond, la rue Lascazes. Si vos fils sont pressés de retourner à leur poste, Alexandre ne viendrait-il pas vous voir à Baden, selon vos premiers projets ?

9 h. 1/2
Je suis charmé que Félix vous reste. Je n'avais pas pensé à l'ivresse. Et charmé aussi que vous alliez à l'hôtel Talleyrand. Le 1er étage vous convient à merveille. Adieu. Adieu. Quand tout le monde espère toutes les espérances sont des gasconnades. Je n’avais pas naturellement de pente aux gasconnades. Trop encore. On est toujours un peu de son pays. Vous m'en avez guéri tout-à-fait. Je vous en remercie. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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241 Du Val-Richer, Samedi soir 10 août 1839 9 heures

Si vous avez raison sur le sens de la lettre du Consul, votre lettre à votre frère est à merveille ; et si elle arrive à Pétersbourg avant la signature de l’arrangement tout est sauvé. Mais je crains encore que vous n'ayez pas raison ; et si vous avez raison, je crains que l’acte n'ait été signé bien vite, car Paul aura certainement pressé, pressé. Et alors ? A coup sûr il faudrait un procès, un procès éclatant pour vous, honteux pour eux, douteux comme tous les procès, surtout comme ceux qu’on ne conduit que de loin. Vous n'entrerez pas dans ce frêle et orageux bateau. Pourtant, si toute cette hypothèse se réalise, je ne crois pas qu’il faille renoncer d'avance et tout haut au procès. La crainte de le voir entamer pourrait être un puissant moyen d'accommodement. Je ne puis croire que la certitude même de le gagner rendit Paul indifférent au scandale. Il aurait pour lui, le droit légal, un arrangement conclu, votre signature. On n’est jamais sensé ignorer son droit. Paul serait autorisé à vous dire : Pourquoi n'avez-vous pas demandé à Londres des letters ef administration ? Tout cela est vrai devant les juges. Mais devant le monde, cette vérité là ne suffit pas, et Paul est du monde. Il voudrait donc probablement éviter le procès, et vous pourriez transiger. Voilà, ce me semble le plus probable et le plus raisonnable dans l’hypothèse qu’en effet la propriété de ce capital vous revient. Et si cette hypothèse est fondée, quelle odieuse réticence. qu’elle déplorable complication ! J’en suis depuis deux jours constamment préoccupé. Je ne veux pas écrire tout ce que je vous dirais à ce sujet. Et qui sait si je vous le dirais ? En tout cas soyez sûre que votre lettre à votre frère est très bien. Le rappel que vous y faites des intentions de votre mari à votre égard est frappant. C'est même la circonstance qui me porte le plus à vous donner raison, contre ma raison, dans votre interprétation de la note du Consul ; car c’est celle qui explique le mieux le défaut de testament. Je pense que vous avez écrit sur le champ à Londres pour demander des renseignements plus clairs et plus complets. A la vérité, il ne me parait pas que le sens que moi, j’attribue à la note du consul, vous soit seulement venu à l'esprit.

Dimanche, 8 heures

Vous aviez raison, et M. de Metternich, se flattait ou se vantait. L'Empereur se refuse aux conférences de Vienne. Mais en revanche, l'article qu’il a fait mettre dans la gazette d’Augsbourg est bien fanfaron ; les fanfaronnades, ces gasconnades ces espérances affichées quand on ne les a pas, tout cela, est-il bien nécessaire au Gouvernement du monde ? Ne sont-ce pas plutôt des satisfactions un peu puériles que se donnent les gouvernants eux-mêmes en s'abandonnant à toutes leurs boutades de vanité ou de fantaisie ? C’est bien peu digne et il ne vient point de pouvoir de là. Avez-vous jamais lu les historiens romains Salluste, Tacite, César ? Ce qui m'en plaît surtout, c’est la simplicité, l'absence de charlatanerie et de vanterie. C’est le grand côté du caractère romain. Les Anglais en ont quelque chose. Mais le gouvernement représentatif est très charlatan, très fanfaron à sa manière.

9 h 1/2
Le n° 235 vaut très fort la peine d'être envoyé Vous savez que j'aime tout ce qui vous passe par l'esprit. Vous avez raison sur les dents. Mais ne croyez pas que je fasse de la douleur physique une grande affaire pour mes enfants. Henriette y est assez forte. Sa sœur moins parce qu'elle a les nerfs très irritables. Je crois les douleurs très inégales selon les personnes. Adieu. Adieu. Comme le vôtre souligné ! G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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242 Du Val-Richer, lundi 12 août 1839 6 heures

On a été peu étonné de votre refus des conférences de Vienne. On s’y attendait malgré le Gascon du Danube et ses espérances. Il en résulte ceci que trois, au lieu de quatre agissent de concert, et se le promettent ; l’une, timidement, mais pourtant positivement et de très bon cœur au fond ; l'autre, avec un peu d'humeur contre l’égyptien, mais la témoignant sans la prendre pour règle de sa conduite. Elle voulait reprendre de force la flotte turque, prendre même la flotte égyptienne. Elle y a renoncé. Nous ne sacrifierons pas l’Egypte. Nous suivrons la politique que j'ai indiquée. Nous maintiendrons de l'Empire Ottoman tout ce qui ne tombera pas de soi-même. Et quand ce qui tombera paraîtra en mesure de se reconstituer sous quelque forme nouvelle et indépendante, nous le favoriserons. Nous ne nous chargerons pas de tout régler en Orient ; mais nous n’y serons absents nulle part. Nous n’interviendrons pas entre Musulmans; mais nous n'approuverons pas que d'autres interviennent pour achever là ce qui peut vivre encore, ou étouffer ce qui commence à vivre. C'est là le principe, l’idéal, comme on dit en Allemagne. Je crois que la politique pratique y sera assez conforme.
Thiers est encore à Paris tenant sur l'Orient un langage pacifique ; plus aigre que jamais contre MM. Passy et Dufaure qui le lui rendent bien. Je ne sais ce qui s’est passé récemment entre eux ; mais pendant quelque temps Thiers avait paru ménager Dufaure. Aujourd'hui il le traite fort mal, & chez lui devant tout le monde, le met au dessous de M. Martin du Nord Rien de nouveau du reste. Vous conviendrez qu'il y aurait du guignon si je me brouillais, avec le Duc de Broglie à propos de Mad. de Staël. Grace à la liberté de la presse il n’y a point de mensonge, si sot qu'il ne se trouve quelqu'un pour le dire. En attendant que nous soyons brouillés, j’ai eu hier des nouvelles du Duc de Broglie. Il va venir en Normandie pour le Conseil-général, et compte toujours passer l’automne, en Italie, avec sa fille et son fils, jusqu'à la session.
Dès que vous le pourrez, envoyez-moi la note des effets que vous voulez faire entrer en France et l’indication du bureau de douanes c’est-à-dire de la ville par où ils doivent entrer. Je l’enverrai au Directeur général des douanes en le priant de donner des ordres à ce bureau pour en autoriser l'entrée. Je crois que cela se pourra pour toutes choses puisque toutes sont des meubles anciens, et uniquement destinés à votre usage. Ne vous en embarrassez pas et laissez moi faire. Il faut seulement que je puisse désigner la nature des effets, et le point d'arrivée. Faites-vous adresser de Pétersbourg un état bien complet des caisses, de leurs numéros et de ce que chacune contient.
Je reviens aux dents des enfants français, c’est-à-dire des miens. Je ne réponds que de ceux-là. Si vous y aviez été vous auriez été content de leur petit courage, malgré le mouvement nerveux de Pauline. L'affaire a duré trois minutes, tragédie sans pathétique et sans longueur. Mais je tenais à y être moi-même. En tout, je tiens à témoigner, beaucoup de tendresse à mes enfants, et à ce qu’ils y comptent. La tendresse manque à ce lien-là, en Angleterre, et à presque toutes les relations de famille. C’est un grand mal. Toute la vie s'en ressent. Je vous disais l'autre jour qu'en fait d’éducation morale ou physique l’atmosphère, le régime et beaucoup de liberté, étaient tout à mon avis. J’ajoute beaucoup d'affection.

9 heures
Quand je suis triste pour vous, où par vous, je vous le dis. N'y voyez jamais que ce que je vous ai dit. Je veux savoir le mot qui vous a blessée. Quel qu’il soit j’ai eu tort de le dire & vous avez eu tort de vous en blesser. Je vous aime bien tendrement, et c'est mon plaisir de vous soutenir. Adieu. Adieu. J’ai beaucoup de choses à vous dire Demain.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
251 Du Val-Richer, mardi soir 20 août 1839, 9 heures

Je viens de rendre mes filles parfaitement heureuses. Nous avons fini la lecture de Villehardouin, et j’y ai fait succéder un roman de Cooper qui s’appelle Les Pionniers. C’est un village de planteurs établis sur la lisière de la terre sauvage et en lutte avec les forêts, les bêtes féroces, les Indiens. A part même les aventures, la vie agricole, ses intérêts, ses plaisirs, ont évidemment un grand charme, un charme naturel pour les hommes, enfants ou non. Je le comprends avec le bonheur domestique, avec la fixité et le long avenir de la famille. Sans cela, la campagne n'est bonne que pour se reposer dans les entr'actes, ou pour se retirer quand on a fini.
N’avez-vous point de nouvelles de Lady Clauricarde ? Je la suppose retournée à St Pétersbourg. Pour elle, ce moment-ci vaut la peine d'y être. Et je m'en rapporterais assez à son jugement. C’est, si je ne me trompe, une personne très agréable à voir la première fois, et à connaitre intimement. Il y a, entre ces deux termes, un moment où elle est moins agréable. Cela arrive assez souvent avec les personnes distinguées. Le mérite frappe d'abord puis les défauts apparaissent ; puis le mérite revient et surmonte tout. J'essaie de vous parler de toutes choses. Sachez bien que je ne pense qu’à une seule.

Mercredi 9 7 heures
J’ai un besoin inexprimable de causer avec vous. Il me semble que depuis le 1er Juin nous ne nous sommes rien dit. Toutes ces lettres écrites, reçues, tous les jours ce n’est rien, rien du tout. Il n’y en a point, et dans aucune pas une phrase qui ne soit insuffisante, incomplète, fausse. C'est comme si nous étions l'un vis à vis de l'autre, dans un état de réticence et de mensonge. Cela me déplaît horriblement. Et puis, j’ai tant d'envie de vous voir, de voir par moi-même à tout ce qui vous touche, votre santé, vos affaires. Je ne comprends pas pourquoi mon Génie ne m’a pas encore répondu sur le petit hôtel de la rue Lascazes. Je lui ai recommandé de le visiter avec le plus grand détail, s'il est encore à louer. Il doit s’informer aussi pour l’hôtel Crillon.
Le Duc et la duchesse d'Orléans réussissent vraiment très bien dans leur voyage. Il y a, de la part des Carlistes, beaucoup de curiosité pour eux, une curiosité qui combat la malveillance. Quand viendra, un nouveau règne, le parti se coupera en deux ; les uns retourneront à leurs espérances ; les autres regarderont l'usurpation comme couverte par l'hérédité et se rapprocheront. On voit déjà les deux mouvements se préparer.
Il y a un grand trouble matériel, dans les journaux de Paris. Plusieurs des plus bruyants, le Siècle par exemple et la Presse sont, dit-on, en danger de mort. Au fait plus ils durent et plus ils ont d'abonnés, plus aussi leurs actionnaires se ruinent. Jamais on n'a vu une spéculation plus évidemment fondée sur une friponnerie. Le Siècle a perdu, dit-on, beaucoup d'abonnés à cause de ses velléités de ministérialisme.

9 h. 1/2
Quand donc aurez-vous trouvé quelqu'un ? J'en suis plus agité que si je le cherchais moi-même. Adieu. Je vous quitte pour aller recevoir Mad. de Boigne. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
262 Du Val-Richer, Mercredi 11 septembre 1839 9 heures

Vous avez embaumé mon voyage. Le parfum de cette charmante minute dure encore. J’aurais voulu que Génie allât vous voir ce matin. Il ne le pouvait pas. Il avait des rapports à faire à sa cour, ce qui l'oblige à s'y rendre de bonne heure. Je vous le répète ; chargez-le de tout ce qui vous embarrassera ou vous ennuiera. Je réponds qu’il le fera bien et avec plaisir. Je suis arrivé il y a deux heures. J’ai trouvé mes enfants, à merveille, ma mère toujours un peu chancelante.
Il fait un temps admirable. Ce matin, à 5 heures, un brouillard affreux. Le brouillard et le soleil, la tristesse et la joie se touchent, se mêlent presque. Les contrastes de la vie ont bien de la peine à se concilier dans notre cœur. Je n’y prétends pas. Si vous pouviez voir au fond, cela me suffirait, et je suis sûr que cela vous ferait du bien. C’est un si grand repos qu’une sécurité parfaite, même de loin. Vous m’êtes nécessaire, nécessaire comme je le suis pour vous. Mais je suis nécessaire en deux endroits. Que j'aurais à vous dire ! Je ne vous ai rien dit. Adieu. Je n’ai pas dormi cette nuit. Je dormirai peut-être une heure dans la journée.
Adieu Adieu. Non pas farewell for ever, mais ever and ever farewell. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
263 Du Val-Richer Jeudi 12 septembre 1839

J’ai beaucoup dormi. J’étais fatigué. La fatigue, la vraie fatigue corporelle est un moyen de sommeil qui n’est pas à votre usage ; mais c'est le meilleur, peut-être le seul quand on a le cœur triste. Ici vous mêlez un regret profond, et presque un remord à tous les détails de ma vie. Mes enfants ont rempli hier ma journée de tout ce qu’ils avaient fait en pensant à moi, en mon absence des vers français, des vers anglais, appris par cœur, la marche de Moïse sur le piano, des coussins de tapisserie. J'en ai joui avec trouble. Je vous le dis avec trouble. Mais je vous dit tout. Tout est charmant avec vous. Mais j’ai besoin de vous partout. Vous verrez demain demain.
Je n’espère guère que Rothschild soit moins juif que lui et vous donne la maison pour 10 000 fr. Cependant ne vous laissez pas aller, et ne concluez rien avant la réponse de Rothschild. Je suis pressé de savoir quand M. de Jénisson s'en ira. N’ayez pas non plus de laisser-aller quant à ses meubles. Ne prenez que ceux qui vous conviennent vraiment. Démion, qui a envie que vous soyez là, trouvera bien moyen de le débarrasser du reste. Quand vous ferez vos achats pour l’arrangement de la maison, n'oubliez par M. de Valcourt. Il est très entendu et vous épargnera de payer trop cher. C’est le risque que vous courez toujours. Vous ne savez pas le prix des choses, ni vous défendre du savoir faire des Marchands.
Le tournoi de Lord Eglington a parfaitement amusé mes filles. Elles ont lu cela comme un roman et elles vous diraient les noms de tous les chevaliers et de toutes les dames comme si elles y avaient été personnellement intéressées.

9 h. 1/2
Non, je ne doute pas. Je suis sûr et ravi de ma certitude. Je l’avais. J’avais tort quand je ne l’avais pas. Mais vous me la donnez encore. Donnez-la moi toujours. Toujours, elle me sera aussi douce à recevoir que la première fois. Moi aussi, je suis blessé, de cette sotte parole inoculé à sa mère ! Autant qu'on peut être blessé d’une sottise venue d’un sot. Pardonnez-moi ma brutalité. Il ne faut répondre à cela que quand vos affaires seront finies bien finies tout-à-fait réglés. Vous verrez alors qui vous devez remercier, et dans qu’elle mesure. Vous n'avez lu dans tout ceci qu’un seul tort, c’est votre laisser aller dans les premiers moments. si on vous propose d'échanger des capitaux contre une augmentation de pension, je n’en suis pas d’avis. Tout ce qui augmentera votre dépendance ne vaut rien. Moins vous aurez à recevoir des mains d'autrui chaque année, plus vous serez tranquille et dans une situation convenable. Adieu. Adieu. Le facteur attend ma lettre. Je vous écrirai demain avec détail sur tout cela. Adieu. Comme si j'étais monté avant-hier à 6 heures en passant sous vos fenêtres !
Adieu. Il ne faut pas aller au delà des 12 000 fr pour Jenisson. Un appartement meublé ne vous convient plus du tout. J’aimerais mieux retourner à la rue de Lille. Quel ennui de n’être pas là pour vous aider à résoudre toutes choses !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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287 Du Val Richer, Lundi 14 oct. 1839 8 heures

Je ne comprends pas que vous n'eussiez pas vu Génie samedi à une heure et demie. Il m'a quitté à 6 heures emportant une lettre pour vous. Il faut qu’il ait eu quelque affaire obligée. Il vous aura surement vue, dans la journée.
Je suis arrivé hier à 4 heures, point fatigué. Il fait beau, mais je tousse toujours un peu. Je trouve en arrivant quatre invitations à dîner. Je les refuse toutes en disant que mon médecin veut que je me repose pendant le reste de mon séjour à la campagne. Mes enfants sont à merveille. Ma mère pas trop. Rien de grave cependant.
Le procédé de M. Jennison est en effet choquant. Mais il n’y a que lui qui puisse en souffrir. Vous avez votre bail signé. S’il ne voulait vous rien vendre, vous auriez un peu plus d'affaires pour votre arrangement voilà tout. Mais il vous vendra ; ne lui achetez pas plus, et ne le payez pas plus cher que vous ne voulez. Le monde est juif. La dispersion de la race juive a infecté le monde

9 heures et demie
Sans nul doute, les questions à votre fière sont trop péremptoires et il vaut mieux attendre. Quoiqu'il n’y ait rien d’impossible, il me paraît impossible que vous ne receviez pas bientôt la copie textuelle de l’arrangement définitif. Nous verrons alors ce qui manquera. Je vous enverrai demain matin une lettre pour le directeur des Douanes. Vous prierez Génie de la lui porter et de suivre cette petite affaire. Il faut toujours un homme à la suite d’une affaire. Rien ne se fait tout seul. Adieu.
Je trouve ici une foule de petites affaires à régler, et de lettres insignifiantes auxquelles il faut pourtant répondre. Adieu Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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295 Du Val-Richer, mardi 22 octobre 1839
7 heures

Pauline va bien. Je sors de sa chambre. Elle a parfaitement dormi. C’est un enfant prodigieusement nerveux, un petit instrument toujours tendu et qui retentit toujours. L’immobilité et le sommeil sont pour elle de vrais remèdes. Je ne sors jamais sans un serrement de cœur de la Chambre de mes filles. Il n'y a point de sécurité où il n'y a pas une mère. La mienne est excellente pour mes enfants, et de la tendresse la plus dévouée. Mais elle a 75 ans.
Votre appartement doit être en effet très bruyant. Mais vous devez pouvoir vous en défendre à force de sourdines. A côté du bruit, il y a de l’espace pour que le bruit s'y répande et s'y perde. Vous jouirez beaucoup du printemps. La verdure, le soleil et les oiseaux reviendront pour vous aux Tuileries plutôt que pour personne.
A propos de retour, les Granville sont-ils revenus ?
Il faut à présent que quelque incident survienne qui fasse faire à la question d'Orient un nouveau pas. Nous sommes tous en Occident arrivés au point où nous resterons sur cette affaire. Je ne vois pas d’où viendraient la concession et le mouvement. Le statu quo indéfini ne se peut pourtant pas. Je compte sur Méhémet. Avez-vous remarqué, dans le Constitutionnel l'humeur de Thiers sur les faveurs de Madrid pour le Maréchal, la toison la grandesse &.. ? Il va, en fait, de jalousie, sur les brisées de M. Molé. On dit que le Maréchal grogne un peu des 30 000 fr que lui coûte le brevet de la Toison. Voici ce qu’on me dit : " Thiers est ici ricanant. beaucoup, mais sans tapage. Ses amis sont très sombres. Ils sont chargés de faire quelques avances aux centres. Mais le mot d’ordre varie tous les jours. Il n’y a qu’un sentiment qui ne change pas, c’est la fureur contre Dufaure et Passy. " M. Passy a gagné quelque chose auprès du Roi. Le Roi le trouve plus intelligent que les autres sur les Affaires étrangères, et aussi plus large, un peu plus aristocratique en fait de Gouvernement. Il a consenti en effet à demander une dotation pour M. le duc de Nemours. Le Roi traitera toujours bien MM. Passy et Dufaure. Il leur sait un gré infini de ce que Thiers ne leur pardonne pas ! M. Dufaure s'affectionne beaucoup au Ministère.

10 heures
Vous m’arrivez à travers un brouillard effroyable. Vous avez le pouvoir de dissiper tous ceux du dedans. Mais ceux du dehors vous résistent. Je suis charmé que Lady Granville, soit de retour. Je reviendrai aussi. Et plus vous me presserez, plus je serai charmé de revenir. La coquetterie est indestructible. N'est-ce pas ? Adieu. Adieu. Ne vous tracassez pas. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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294. Paris, le 23 octobre 1839

Toute la diplomatie a été fort divertie hier des révélations du Thiers au sujet d’un entretien qu’aurait eu mon Empereur avec un étranger. Votre gouvernement n'en est pas fâché ; nos bons alliés non plus. Cela fera quelque bruit au palais à Pétersbourg, car le public ne sera pas les journaux qui rapportent cela. J’ai eu un long entretien hier avec Médem sur mes Affaires, et puis sur les affaires. Il m’a donné quelques conseils sur les premiers & quelques soupirs sur les secondes. J’ai eu une lettre de mon Ambassadeur. Il l'annonce pour le 10 Décembre, s'il ne survient pas d'obstacle impérial. Il se réjouit fort de me trouver à l'hôtel Talleyrand. Je suis sûre qu’après vous c'est lui qui aura le plus de plaisir à m'y voir bien établie, vraiment j'y serai bien. Mon appartement. sera arrangé pour votre arrivée, mon ménage pas encore, car pour cela il faut que je sache si j’ai ou si je n’ai pas la vaisselle.
J'ai été hier au soir chez Mad. de Boigne. J’y ai vu le chancelier, il dit qu’il faut relâcher Don Carlos.
Il me semble qu’il n’y a des nouvelles de nulle part. Lord Lansdown a été voir le prince Méternich au Johanisberg. Médem parle de M. de Brunow avec beaucoup de dédain & trouve fort naturel et assez agréable qu'il ait échoué dans sa mission, car le naufrage est sûr. Paul est arrivé à Londres je ne le sais qu’indirectement. Bunkhausen ne m’a point envoyé encore les lettres of administration quoique j'aie accompli toutes les formalités requises pour les obtenir. Je n’ai pas encore répondu à mon frère. Je ne sais pas comment faire pour me plaindre un peu et ne pas le choquer. Car Médem aussi ne comprend pas qu'on ait mis ainsi un oubli mes droits en Courlande et il croit qui c’est une grosse affaire, parce que cette terre est très riche en toute chose. Le prince Metternich n'écrit rien encore au sujet du mariage de Rodolphe Appony. Ce qui fait que la chose est parfaitement en suspens ici ; tandis qu’elle est publique à Pétersbourg. Adieu. Adieu. Je suis bien contente d’apprendre que Pauline est remise, et je suis transportée de joie en vous voyant bien résolu à revenir bientôt. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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302 Du Val-Richer, mardi 29 octobre 1839
8 heures

Je me lève tard. Décidément le froid s’établit. Je fais des feux énormes, qui ne me réchauffent pas autant que le plus petit feu au coin de votre cheminée. Votre appartement sera très chaud. Sous le règne de M. de Talleyrand c'était une étuve. Mais vous êtes une Reine du Nord. Vous ouvrez les fenêtres.
Est-ce le frère de Bulwer qui vient à Paris à titre de commissaire pour les négociations commerciales ? Il me semble que toute la famille le pousse. Je n’ai pas lu un seul des romans qu’ils ont faits car ils en ont fait tous deux, si je ne me trompe. Les connaissez-vous ? L'Empereur devrait bien ne pas perdre son argent aux sottises du Capitole. Si peu qu’il en donne, elles ne le valent pas. Il y a une région où les souverains font très bien de semer l'argent ; il y fructifie. Mais trop bas, il ne sert absolument à rien. Que de pauvretés je vous dis là ! J’ai pourtant beaucoup mieux à vous dire.

10 heures
Comment ? Votre aigreur pour votre appartement avait été jusqu'à Lady Granville. Je suis ravi qu’elle soit ravie. Je veux que vous soyez très bien. Je me plais à penser que vous resterez là toujours, que je vous y soignerai toujours, que vous y mènerez une vie douce, agréable. J’arrange l’agrément de cette vie. Je cherche ce qui pourra s’y ajouter. Vous n’avez pas d’idée de l'activité de mon imagination sur les gens que j'aime. J’ai tort de dire sur les gens. Il n'y a pas de pluriel en ceci.
Les mêmes nouvelles que vous avez sur l'Impératrice, me viennent par notre gouvernement. On s'attend à une fin, très prochaine. J’ai une immense pitié pour un tel malheur, n'importe sur quelle tête.
Ma mère est décidément beaucoup mieux. C’est une affaire que de lui faire quitter la campagne où elle se plaît beaucoup, et où elle se persuade qu'elle est mieux pour sa santé parce qu'elle marche et se promène. Cependant il est déjà convenu que nous serons à Paris pour le milieu de Novembre. A présent, je prépare la fixation et l'avancement du jour. Ce que je dis là n’est guère français. Mais peu importe. Vous parlez des tracas de votre intérieur. Ce n’est rien du tout que les tracas de meubles. J’aimerai mieux avoir à arranger trente salons que trois personnes. Henriette m’aide déjà en cela. Elle est pleine de tact sur ce qui peut plaire ou déplaire, embarrasser ou faciliter. Elle a l’instinct de la conciliation.
Adieu. Adieu. Je suis au coin du feu, j’ai les doigt gelés. Mais seulement les doigts. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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313 Du Val Richer Vendredi soir 8 Nov. 1839
9 heures

Je suis très contrariée. Je ne puis partir que le 13 au soir. Il me faut toute la voiture, et on ne peut me la donner toute entière que le 13. Le 12 elle est prise en partie. Je ne vous verrai que le jeudi soir 14 au lieu du Mercredi. J’étais si content d'avoir gagné un jour. Soyez bien contrariée aussi. C’est la moitié de mon chagrin et toute ma consolation.
Il faut que Génie vous soigne extrêmement car il s’excuse de vous négliger. Il m’écrit. " Depuis huit jours, je néglige un peu Madame le Princesse de Lieven. C'est que nous avons repris nos travaux à la cour. Je suis de Chambre trois jours de la semaine et obligé de travailler chez moi les autres jours, Seriez-vous assez bon pour expliquer cela à Madame de Lieven, afin qu'elle ne croie pas qu'il y a de ma faute ? Convenez que c’est une bonne et consciencieuse créature.
Je n’ai point et n'ai jamais eu d'inquiétude vraie sur nos rapports avec vous pour l'Orient. Encore une fois, nous sommes tous pacifiques. Et Pahlen reviendra le 10 décembre. Vous voyez bien que nous sommes au mieux. Vous me donnez le bulletin de toute la famille, Impériale, grands et petits, et je m’y intéresse. N’entendez-vous rien dire d'Afrique ? Au bout de toutes ces courses du Duc d'Orléans, de toutes ces enthousiasmes arabes, j'attends toujours des coups de fusil. Je n'en ai nulle envie. J’ai envie que ce jeune homme se conduise bien et réussisse. Parle-t-on, dans votre monde du voyage du Duc de Bordeaux en Italie ? Je vous fais des questions comme si je n'étais pas sur le point d’aller chercher les réponses. Que ce jour de plus me contrarie ?

Samedi 9 heures et demie
Je me lève. Je voudrais avoir quelque belle histoire à vous conter et à me conter pour charmer votre contrariété et la mienne. Je n’en ai point. J'ai pourtant reçu hier une lettre de Montevideo, (république nouvelle et chancelante, comme tant d'autres, entre le Brésil et Buenos Aires) d’un homme qui m’avait demandé un service, il y a quatre ans. Je le lui ai rendu il y a près de trois ans. Il l’a appris il y a plus d’un an, et il m'écrit avec passion pour m’en remercier mettant à ma disposition tout ce qu’il peut dans l’Amérique du sud, où il peut quelque chose. Je n'en ai que faire. Il ne peut m'envoyer le jour qu’on m'a pris.
Mes filles m'ont fait de la musique hier au soir leur musique. Pauline a beaucoup plus de dispositions qu’Henriette. Henriette a des doigts excellents, mais une intelligence plus active que ses nerfs ne sont susceptibles. Les impressions qu’elle reçoit ne lui suffisent pas ; il faut que son esprit agisse. Pauline est tout nerfs et impressions. Elle se fondrait à entendre de la musique comme la cire se fond au feu & la neige au soleil. L’une est aisément distraite l'autre aisément absorbée. L’une résonne, l'autre raisonne. Au fond, pour tout ce qui est vertu, caractère, jugement, elles sont parfaitement élevées. Il y manque deux choses l’une, que je suppléerai. L'autre je ne sais pas. Avec leur mère, rien n’eût manqué.

10 heures
Ne soyez pas souffrante, je vous en conjure. Je crains mille fois plus votre mauvaise santé que tout le reste. Je soignerai votre tristesse. Je soignerai votre ennui. Je ne puis rien pour votre santé, et de tous les sentiments, le plus amer est celui de l’impuissance dans l'affection. Adieu. Adieu. A jeudi seulement. Voilà un ennui. Ecrivez-moi jusqu'à mardi inclusivement. Je recevrai votre lettre mercredi avant de partir. Je vous écrirai encore Mercredi matin. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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317. Paris, vendredi 28 février 1840, midi

Votre lettre de Calais m’a fait tant de plaisir ! Comme vous avez été vite ! Vous voilà donc vraiment à Londres. Votre chambre à coucher donne-t-elle sur le square ou le jardin ? Vous devriez prendre le square, l’air doit y être meilleur. Comment supportez-vous l’odeur de Londres ? J’ai mille et une question à vous faire ; mais vous me direz tout. J’ai eu longtemps hier matin les Granville et les Appony. En fait de nouvelles ici, ni les uns ni les autres ne savaient la moindre chose. Mais l’un attendait patiemment le dénouement, et l’autre, avec une grande horreur de Thiers, et une presque certitude de retourner au Marechal.

Je ne me suis point promenée il faisait trop froid, je n’ai pas fait d’autres visites, j’ai manqué celle de Mad. Sébastiani dont j’ai trouvé la carte en rentrant ; je vous dis cela comme suite à ce que je vous mandais dans mon dernier n°. J’ai dîné à 6 heures seule, et je suis allée à l’opéra où j’avais donné rendez-vous à M. Molé et le duc de Noailles. Le dernier est venu et Lord Grainville nous avons entendu Mozart [ ? ] Les noces de Figaro mais charmant, chanté à ravir. Cela m’a plu j’y retournerai. Medem, [ ? ] et d’autres étaient venus chez moi. Je suis fâchée d’avoir manqué Médem. [Comte Paul] Je vous raconte tout et cela fait peu de choses. Je dus à Paris ce matin chez M. Jaubert, comme de raison j’ai été très effrayée.

2 heures
Je vais dîner et passer la soirée chez Lady Granville. En attendant l’émeute dans les rues, on s’occupe beaucoup d’une émeute chez Thorn, à une répétition où Mme de Ségur a presque boxé avec Rodolph Appony, Directeur du bal costumé qui aura lieu lundi. Décidément Génie n’a pas reçu d’instructions claires, ou il n’y veut pas obéir. Je n’entends pas parler de lui, d’après cela je vous conseille de ne point vous adresser vos lettres. On me dit que vos amis sont très hostiles contre moi ; qu’est-ce que je leur ai fait ?

5 heures
J’ai vu Appony chez moi ; il venait de chez le Maréchal. L’impression qu’il en remporte est qu’il restera ministre. Dans ma tournée des visites j’en ai fait une  à Mad. de la Redorte. Thiers y est venu . Il verra le Roi demain, « il n’est point encore chargé de faire un Ministère. C’est demain que le mot sera dit ou pas dit. Son ministère est tout prêt. Ce sera original de voir renaître le 11 octobre, mais séparé par la mer.» Voilà ce que j’ai recueilli dans un langage un peu embrouillé. Il fait excessivement froid. Il me semble que vous dinez demain chez Lord Palmerston ou au moins que vous y serez ce soir.
Dimanche vous dînerez chez Lord Holland ? [ ?]

Samedi 29 à 11heures.
Un petit billet d’Henriette m’annonce que vous êtes arrivé à Londres, et que vous n’avez pas souffert du mal de mer. Lord Grainville me disait hier à dîner que selon des nouvelles sûres venues du Château, c’est Thiers qui serait nommé président et ministre des aff. etr. Il le croyait parfaitement, les autres diplomates en doute. Ils ont foi en la mine sereine du Maréchal. On dit que nous verrons aujourd’hui. Il me semble que si c’est Thiers qui gouverne, quand même il y aurait une petite infusion de petits doctrinaires, comme c’est sur la gauche qu’il aurait à s’appuyer, vous ne pourriez pas rester à Londres. Tout l’intérêt de la crise ministérielle pour moi, est là.
Ce soir il y avait [ ?] et [ ? ]. Évidemment Médem serait charmé que le Maréchal n’y fut plus. Il ne voit pas un grand inconvénient à Thiers. Appony et [ ? ] y verraient la guerre. Il n’y a point de nouvelles du dehors, que je sache. Je vous prie de me mander beaucoup de choses. Racontez-moi [ ?], dites-moi tout ce qu’aurait sinon dit Génie, et une autre fois ne vous fier à des Génies. Moi je m’y fiais puisque vous me le disiez - mais il [faut­­] que j’apprenne à ne pas croire à tout ce que vous me dîtes. Je vous ai dot que j’étais rancunière et je vous le prouve. Cela n’empêche pas autre chose.
M. Molé est venu me chercher hier, mais je n’y étais pas.

1 heure. Enfin Génie est venu. Je lui fais amende honorable dans ma lettre. Il n’a voulu venir qu’avec quelque chose. Et bien, il a pris quelque chose de bizarre ! Il m’a raconté tout ce qu’il ne vous écris. Je n’ai rien à changer à ce que je trouve sur une 2ème page, mais à [ ? ]. C’est un moment important pour vous, prenez-y bien garde, votre parti se divise ; les braves gens iront au bon drapeau car c’est à la gauche  que tout cela tire. Vous qui avez toujours combattu la gauche vous resterez avec les braves gens. Vous ne les avez quittés qu’un moment, qu’une erreur, une faiblesse, une distraction, comme vous voudrez ; voilà ce qu’a été l’hiver dernier ; c’est le moment de réparer. Et vous ne pouvez pas rester neutre. Vous êtes un Ambassadeur des plus extraordinaires. Vous êtes le seul Français qui soit appelé à suivre la méthode anglaise. Les autres peuvent rester quand même. Vous ne le pouvez pas.
 
Savez-vous pourquoi je vous dis tant ? C’est que vous êtes faible pour vos amis !
Adieu. Adieu. J’attends vos lettres avec une si vive impatience !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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362. Londres, Vendredi 6 mai 1840
18 heures

Alexandre continue à aller mieux, c’est-à-dire qu’il va bien. J’ai encore votre inquiétude, sur le cœur. J’aurais voulu le voir, pour vous dire que je l’avais vu. Je n’ai pas cru devoir insister. Les accidens m’entourent. Hier, un de mes attachés que j’ai amené, le jeune Banneville a fait une chute de cheval à Turnham-Green. On a cru d’abord que c’était grave. Il était sans connaissance. On l’a saigné deux fois. J’ai été averti en m’éveillant et je suis allé sur le champ le voir et le chercher dans la mauvaise auberge, où il était. Il est bien. Je l’ai ramené. Ce ne sera qu’un accident. Je vais écrire à sa mère. Ce sont des Normands de mon voisinage. Je ne sais pourquoi la poste arrive si tard aujourd’hui. Je n’ai encore rien. J’ai dîné hier à Holland house, avec Lord Melbourne, Lord Lansdowne et Lord Normanby. De là chez Lady Willonghby. On me presse de toutes parts de prendre des engagements de châteaux pour août et septembre. Je n’en prends aucun. Je veux garder ma liberté. Ellice a été content de votre santé, de votre apparence. Il dit que vous courez beaucoup et sans trop de fatigue. Il m’a même parlé de je ne sais quel projet de spectacle où vous deviez aller avec Lady Granville et lu,i voir je ne sais quelles premières années de Richelieu et Mlle Déjazet. Je n’ai pas cru cela. Je ne me  figure pas vous vous amusant du mauvais goût, même gai.
J’ai trouvé Ellice assez préoccupé de l’état des affaires à Paris et sans grande confiance, pour le Cabinet. Vous a-t-il tenu le même langage?

2 heures

Voilà le 365. Je suis convaincu que votre impression, sur le Roi est la vraie. Il échappe à la pénétration de vos diplomates. Il a des premiers mouvements très irréfléchis et des profondeurs, incommensurables qui les trompent  également.
Ma réponse à vos copies vous sera arrivée trop tard à cause du retard d’Ellice. J’ai relu. Je me répète. C’est bien puérile ou bien maladroit. Je devrais dire et, non pas ou.
Que j’ai à vous dire sur les choses et sur les personnes! Quand vous le dirai-je? Lord Burlington, ne reste pas à Stafford-House. Il est reparti pour la campagne. Je ne vous réparle plus de Blackheath, ni de Norwood. La seule concession qu’il faille faire aux sots, c’est de ne rien faire que bien publiquement à leur barbe ; n’est-ce pas ? Vous devriez bien être déjà ici et m’indiquer quelque chose à envoyer à mes enfants. M. Lenormant part après demain. Je sais pour Guillaume.
Je lui enverrai une toque écossaise, vrai highlander, le bigarrage et la plume. Mais pour mes filles, je cherche sans succès. On donne trop aux enfants; ils ont de tout avant d’en jouir. Pourtant les miens ne sont point blasés, je vous en réponds ; le plus petit et le plus beau présent leur font le même plaisir et un plaisir très vif.
Mon dîner whig sera bien complet. Tout le monde accepte, même Lord Melbourne qui dîne peu en ville, et ne dînait à peu près jamais à Hertford-House. Puisque vous ne m’avez rien dit du dîner du 1er mai, c’est que rien ne vous est revenu, ni sur le cuisinier, ni sur le service.
On me répète que M. de Metternich a un dépit énorme de notre médiation à Naples. Est-ce pour quelque chose dans l’humeur d’Appony ? Je suis fort aise que cette médiation réussisse. Ce sont mes premières armes.
Les Ministres me paraissent ici assez préoccupés du bill de Lord Stanley et de leur budget. Ils ne finiront leur session que fort tard. La mort de ce pauvre Lord William Russel, leur fait perdre huit jours. On dit que Lord John est frappé du malheur des siens. C’est un excellent homme. Il vit beaucoup avec ses enfants et les élève en partie lui-même.
Adieu. La chaleur a cessé, mais la pluie n’est pas venue. Adieu Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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363. Londres, Samedi 9 mai 1840
midi
Votre question m’a fait sourire. Non, je ne vous prie pas de ne pas venir. Du reste, je vous ai répondu hier. Vous avez mille fois raison ; ce serait nous, vous et moi, qui serions des sots si nous écoutions les sots. Votre reponse à Lady Palmerston est excellente. Pourquoi en avez-vous donc coupé la fin ? Quel secret y avait-il là ? Je suis curieux.
Je vous attends comme je vous attendais. J’aime votre phrase : "Envoyez regarder à Blackheath." J’y enverrai après-demain, malgré ce que je vous disais hier. Alexandre va très bien. Je suppose qu’il ne tardera pas à partir. Bien des fois, depuis trois jours, j’ai pensé que ce serait vous peut- être qui partiriez pour venir le voir, et que lundi, mardi... Qui sait?
Si vous n’êtes pas partie, on ira vous montrer encore quelque chose. Votre jugement m’importe et votre approbation me charme. Du reste Kielmanseggo se trompe. J’ai lieu de croire que la proposition Rémilly tombera dans l’eau et avec elle toute chance de dissolution. J’en serai fort aise. Je ne fais nul cas de la politique pessimiste. Je suis prêt à accepter quand elles viendront, toutes les chances de ma destinée ; mais je n’en suis pas préssé.
J’ai reçu d’Henriette, sur l’abandon de leur voyage ici, une lettre d’une tendresse charmante, et aussi pieuse que tendre. Elle a le caractère fort tourné à la piété avec un petit esprit, fort indépendant, et même un peu entier, elle  aime à regarder en haut et à respecter. Elles partiront pour le Val Richer le 20 mai. On m’écrit que la Normandie est charmante ; un immmense verger en fleurs. Les champs sont couverts de pommiers.
Vous vous êtes donc décidée à vendre vos diamants. Vous ne me l’aviez pas dit. Que de choses on ne se dit pas en s’écrivant tous les jours !

3 heures
J’ai été interrompu par Alava et M. de Pollon. Je crois que je suis assez bien dans la petite diplomatie. Vous me le direz quand vous aurez passé quinze jours ici., Ma porte leur est toujours ouverte ; ma table souvent. Ils ont l’air de trouver que je fais honneur au corps.
Ils s’ennuyent beaucoup. Le départ de Mad. de Blome leur a été une de leurs ressources. Elle restait chez elle presque tous les soirs. On m’a amené hier un petit secrétaire de Suède, un baron de Manderstrome, qui a de l’esprit. Il a beaucoup vécu chez vous et vous connait bien. On dit qu’à la place de l’affaire de Naples qui s’arrange, Lord Palmerston va avoir une petite affaire avec le Portugal. Il s’agit d’une réclamation de quelques 350 000 livres Sterling
qu’on demande au Portugal et qu’il voudrait bien ne pas payer. Le Maréchal Bérerford y est compris pour 85 000 livres, et le duc de Wellington pour 17 000. Si le Portugal ne consent pas dans quinze jours, on parle de mesures coërcitives, comme l’occupation de quelque colonie, Goa ou d’une des Açores, ou l’une des Îles du Cap Vert. Ce sont les bruits de la petite diplomatie. Il ne faut pas. Le général Cordova est mourant à Lisbonne. Il était sur le point de partir pour se rendre en France.
Adieu. Je cherche si j’ai encore quelque chose à vous dire avant de me mettre à je ne sais combien de petites affaires qu’il faut que je règle aujourd’hui. J’ai beaucoup de petites affaires. Quel ennui d’être seul. Il est double ; le vide et le tracas. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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370 Paris Lundi 11 mai 1840,
10 heures

Je suis bien inquiète malgré ce que vous me dites, malgré les autres lettres que l’on m’écrit. Bulwer m’a envoyé une lettre de Cumming dans laquelle il dit que vendredi à 2 heures mon fils n’était pas hors de danger. C’est horrible à Bulwer de m’envoyer cela mais enfinr cela c’est la vérité, car c’était écrit dans la chambre d’Alexandre. J’en suis renversée. Votre lettre ce matin me parlera de lui, mais je la recevrai sans vraie sécurité. Tous mes amis veulent ma tranquillité. Ce sot est le seul qui dise vrai. Je veux partir, on me retient, on dit que je n’en ai par la force c’est vrai peut-être, et cependant cette inquiètude n’est pas souotenable. Il ne m’a pas encore écrit une ligne. Bruwer, lady Palmerston, lady Jersez m’ont écrit hier. Cela ne me fait plus rien. Vous ne savez pas comme je souffre, comme je suis sans force, sans courage, sans espoir. Je n’en puis plus. Midi Voici votre lettre. Vous me parlez si peu de mon fils et à peu près comme quelqu’un qui n’en sait rien de direct car tandis que lady Palmerston me mandait vendredi qu’on venait de le saigner encore, Vous me dites : " Je suppose qu’il ne tardira pas à partir. " Mais il ne faut pas supposer, il faut savoir. Pardon de ce reproche, mais même vous, vous ne savez pas ce que suis, ce qu’une mère éprouve d’angoisse, et vous savez cependant que personne n’a pour moi de véritable compassion, et de véritable soucis, je les attendais de vous. Vous aurez bien vu par mes lettres que je voulais parter de suite, mais raison nablement il fallait que j’attendisse quelque chose de précis sur son état, car votre première lettre me disait " dans deux ou trois jours il n’y paraîtra plus. " Ce n’est donc rien. D’autres lettres m’alarment plus on moins. Lui ne m’écrit pas une ligne, personne ne me dit l’opinion des médecins sur la durée de sa convalescence, enfin au milieu de beaucoup d’amis, je reste cependant ignorante de tout ce que je vous voudrais savoir. Pardonnez moi encore ce réproche, mais vous aurez dû me dire davantage et ne pas vous en rapporter seulement au dire de votre domestiques. Je suis bien triste et bien découragée de l’abandon dans lequel je reste ! Personne, personne qui me montre un intérêt vraiment tendre, vraiment intelligent.
Savez- vous que la vie m’est bien à charge, je ne sais plus qu’en faire. J’étais meilleurs à voler que lord William Russell, et on m’aurait fait moins de peine qu’à lui de me tuer. Si cela ne vous donne pas trop d’embarras ayez la bonté de parler ou d’écrire à sir Benjamin Brodie et de lui demander exactement combien peut durer encore la convalescence de mon fils. Et ayez la bonté aussi de m’envoyer sa réponse. J’attendrai donc jusqu’à vendredi, car ce jour là j’aurai votre réponse.
Vos filles sont venues me voir hier. Elles se portent à merveille. Toutts les deux sont engraissées. Pauline est bien jolie. Guilllaume n’avait pas voulu quitter son sabre et son tambour. vos filles m’ont trouvée couchée et bien triste.
Il n’y avait qu’un mot de plus à la lettre à lady Palmerston pour lui dire que Nicolas Pahlen irait à Londres aussi, la lettre n’’était pas finie. J’ai déchirée ce bout de lettres parce que j’étais pressée d’avoir une allumette et je n’avais rien sous la main. Ma chute d’hier n’a pas eu de suite, mais ma santé est fort altérée de l’inquiétude que j’éprouve pour Alexandre. Je n’ai pas un mot de nouvelle à vous dire, et je suis bien fatiguée, bien malheureuse. Adieu. Adieu.
Je viens de recevoir une lettre de Burkhausen. On ne lui permet encore ni de lire ni décrire, il est très faible dans son lit, la convalescence durera bien des semaines. Je fais mes préparatifs. Si j’ai la force. Vous voyez que c’est moi qui vous donne des nouvelles de mon fils. Pardonnez-moi, encore, pardonnez moi. Je ne veux pas être inquiète mais je suis très triste.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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370. Londres, Samedi 16 mai 1840
Une heure

Les nouvelles sont toujours bonnes. Je crois qu’il n’y aura bientôt plus de nouvelles. Je vous ai toujours dit le vrai, seulement comme j’ai pensé en même temps à la vérité de ce que je vous disais et à l’impression que vous en recevriez, j’ai ménagé mes paroles pour vous calmer sans vous tromper. Vous avez des correspondants qui n’y ont pas pris tant de soin. C’est fort, simple.
J’ai souri en voyant que vous croyez que je m’amuse beaucoup au bal. Demandez à Lady Palmerston qui me parlait l’autre jour de mon air fatigué et ennuyé en me promenant dans cette longue galerie de Buckingham-Palace. Mais deux choses sont vraies; je me défends de mon mieux contre l’ennui, et quand il l’emporte, je me résigne. Je m’impatiente peu. L’impatience me déplait et m’humilie. J’ai besoin de croire que je fais ce que je veux. Et quand je suis forcé de faire ce qui ne me plaît pas, j’accepte la nécessité pour échapper au sentiment de la contrainte. Si je ne me résignais pas, je me révolterais.

Je comprends tout ce qu’on dit sur les suites des cendres de Napoléon. Il y a beaucoup à dire. Je ne suis pas inquiet au fond. Les pays libres sont des vaisseaux à trois ponts ; ils vivent au milieu des tempêtes ; ils montent, ils descendent, et les vagues qui les agitent sont aussi celles qui les portent et les font avancer. J’aime cette vie, et ce spectacle. J’y prends part en France ; j’y assiste en Angleterre. Cela vaut la peine d’être. Si peu de choses méritent qu’on en dise cela ?
J’ai dîné hier chez Ellice, en famille. Il est vraiment très bon, et très spirituel. Et il s’amuse de si bon cœur ! Ils étaient fort contents. Le Chancellier de l’échiquier a eu un grand succès aux Communes. Son augmentation de 2 500 000 livres de taxes passera presque sans difficulté. Son statement a été trouvé excellent, simple, vrai. De plus le Cabinet est charmé de l’appui que le Duc de Wellington lui a donné l’autre jour en Chine. Jamais le Duc n’a été plus populaire parmi les whigs. Il y met un peu de coquetterie.
Il approuve fort ce qu’on a fait pour Napoléon.
Dedel est de retour. Le Roi de Hollande à parfaitement pris son parti sur Mlle d’Outremont. Il n’y pense pas plus que s’il n’y avait jamais pensé. Mais tout n’est pas fini entre lui et ses Etats-généraux. Ils auront beaucoup de peine à s’entendre sur les changements à la Constitution, car ni lui, ni les Etats ne cèderont. Mais point de guerre à mort non plus. A des entêtés qui ne se veulent pas de mal, il ne faut que du temps.
J’ai reçu un charmant petit portrait de ma fille Pauline ; d’une ressemblance excellente. Et elle a bon visage dans son portrait. On m’assure que ce n’est pas un mensonge. Ils ne partiront pour la campagne que vers la fin du mois. M. Andral a désiré qu’ils attendissent jusque là, pour prolonger un peu le lait d’ânesse.

3 heures et demie
Je viens de voir Lady Palmerston, et par elle son mari. C’est une personne de beaucoup de good sens et très pratique. Savez-vous qu’il n’est pas commode d’avoir à régler ce qui se passera à 2000 lieues, dans une affaire toute d’égards et de convenances, et de donner une pacotille de bon esprit et de mesure à des hommes qui n’en ont pas trop chez eux?
Je vous quitte pour écrire à Thiers le résultat de ma conversation, car j’ai vu aussi Lord Palmerston aujourd’hui comme hier les journaux ministériels ou quasi ministeriels, gardent le silence sur mon nom à propos de Napoléon. Je vous disais hier que je ne m’en étonnais pas. Pas plus aujourd’hui. Mais je suis bien aise qu’on sache que je le remarque, sans m’en étonner.
Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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377. Paris, lundi 18 mai 1840,
9 heures

Je ne sais ce que je ne donnerais pas pour ravoir ma lettre partie samedi. Je suis sûre que j’ai plus peur que le valet de chambre de lord William Russell lorsqu’il comparait devant le magistrat Je me dis mille fois, plus que vous ne pourrez me dire. je m’accuse de tout, de tout. C’est encore ma disposition de me regarder moi comme l’auteur de tous mes maux, je me fais à moi des sermons, des sermons. Les uns ne profitent pas, je manque aux autres. Livrez-moi à ma propre condannnation, ce serait vous venger assez. Mais je vous le demande à genoux, ne me dites pas une parole dure, pas une qui me laisse croire, ou deviner que vous m’aimez moins. Je vous demande pitié et clémence. Ah, quand nous reverrons-nous ? Tout alors sera bien ! Henriette et Guillaume sont venus me voir hier. Guillaume m’a montré son bonnet écossais et sa canne, il en est ravi. Henriette engraisse, trop selon moi mais enfin c’est de la santé ! On dit que vous aussi vous engraissez. Quand je serai heureuse, j’engraisserai pour le moment je ne puis pas m’en vanter.
J’ai fait tristement, le tour du bois de Boulogne, j’ai dîné tout aussi tristement seule. Le soir j’ai fait des visites, Mad. de Boigne, les Granville, Mad. de Brignoles. Chez Mad. de Boigne le chancelier, M. de Cases, M. Piscatory que je ne regarde plus si désagréablement. Le dire là est que Napoléon c’est peu de chose. Cela ne fera pas le moindre bruit, cela n’a pas la moindre emportance. Mad. de Boigne m’a dit en Anglais, qu’à son grand étonnement on en est ravi aux Tuileries. Si tout ce monde a raison il est bien clair que je radotte.
Granville est toujours couché Thiers y est venu et nous avons attendu seuls dans le premier salon. Il était excédé de fatigue, de mauvaise humeur ! Quand j’ai vu cela je n’ai pas été très aimable non plus. J’ai parlé Napoléon. Il m’a dit que cela se passerait grandement; magnifiquement et tranquillement. La famille ? Elle n’a rien à y faire et si un seul ose se montrer il serait jeté dans la prison. Il a été excessivement vif sur ce point. Il ne m’a pas parlé de vous pour la première fois, je crois.
A propos le Prince Paul de Wurtemberg était venu le matin tout gros des catastrophes qu’il prévoit. Il ne comprend pas la folie d’avoir été chercher de gaieté de cœur une occasion de trouble dans les esprits et de désordre sûrs dans les rues. Il en a parlé à Thiers en lui repré sentant tout cela avec des verres grossissants. Thiers a dit : " Je réponds de tout , mais il n’y a que moi qui le puisse. Sous tout autre ministère, cela pourrait faire une révolution." Si cela était vrai, il aurait donc fait un bail au moins de 6 mois. Et qui sait ? on dit déjà que les obsèques ne se feront qu’en avril prochain. le Prince Paul ajoute : " Thiers se croit le Cardinal de Richelieu, rien n’égale sa confiance, et son audace." Je vous redis tout.
Chez les Brignoles, j’ai rencontré toute la Diplomatie et la société élégante. M. de Pahlen a envoyé un courrier hier matin, ce courrier touvera l’Empereur et mon frère à Varsovie ; c’est à ce dernier que le courriier est adressé. Mon ambassadeur a rendu compte entre autre d’un incident du dîner qu’il a fait à la cour, où les Princes de Cobourg, père et fils ont pris le pas sur lui. Comme Appony y était aussi, et qu’il est le doyen, et qu’il a souffert cela sans souffler, il n’appartenait pas au plus jeune de faire une scène, mais il rend compte et demande des directions. S’il m’avait consultée, j’aurais protesté ici tout de suite après ce dîner, car cela est hors de toutes les règles.
Voici une lettre de mon fils, très bonne, très sassurante, et une longue lettre d’Ellice très intéressante qui me fait voir un peu dans la entrailles de toutes les intrigues Anglaises. Il me semble que les embarras ministériels ne sont pas tous surmontés. Qu’est- ce que veut dire Ellice en affirmant que l’Autriche pousse aux mesures coercitives contre le Pache, et qu’il est pour se vanger de la médiation de la France dans l’affaire de Naples ! Est-ce vrai ?

Midi. Voici votre lettre de Samedi qui me fait enore plus rougir de ma lettre de samedi. Je vous remercie de vous être ennuyé à un bal où je croyais que vous vous étiez amusé, et je suis prête à me battre de l’avoir cru ; & plus encore de vous l’avoir écrit. Traitez-moi comme un enfant, mais un enfant qu’on aime. Oui je vous en prie, qu’on aime.
Le portrait de Pauline ne vous trompe pas elle a bien bon visage et elle est jolie, très jolie. Je vous dis qu’elle sera bien belle. Je comprends fort bien le très grands embarras pour les très petites affaires, et votre votre affaire à Ste Hélène en est. D’abord le cérémonial entre des gens qui ne reconnaissent que le général, et ceux qui reconnaissent plus que le Souverain légitime (car M. de Rémusat l’a classé comme cela), car St Denis est trop peu pour lui, le cérémonial sera fort difficile à établir. Je suis bien aise que Lady Palmerston vous plaise et vous soit utile. C’est une personne qui applique toujours son esprit à rendre tout simple et facile. C’est une charmante qualité. J’aime aussi que vous aimiez Ellice. En général, il me semblerait étonnant que vous n’aimassiez par les gens que j’aime.
1 heure
Je viens de faire un tour aux Tuileries, je perds l’habitude de marcher et je me fatigue tout de suite. Je reviens à vous comme avant, comme toujours, avec répentir et tendresse, et celle-ci si vive, si vive. Adieu. Adieu. Je vous remercie de ce que vous me dites de mon fils. Il me trompe un peu je crois sur l’époque de son départ. Il ne faut pas qu’il se hâte ; maintenant que j’ai le cœur tranquille sur son compte ; je l’aurai attendu. Adieu. Adieu. On dispute sur le lieu de la sépulture. Pasquier veut le Panthéon. Beaucoup vont pour la Madeleine. Molé pour St Denis.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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376. Londres, Vendredi 22 mai 1840
Une heure

Voilà une bonne lettre. J’aime votre bonheur autant que le mien. Je ne peux pas dire plus. Quel ennui de parler à Londres et d’être quatre jours avant de savoir que vous m’avez entendu à Paris ! Vous voyez bien qu’il faut être juste et se comprendre sans avoir besoin de se parler. C’est vraiment odieux et ridicule de se donner à soi-même des chagrins, qui sont parfaitement absurdes, et qu’on découvrira absurdes en quatre jours. Mais il y a des chagrins qui aboutissent à des joies ravissantes. Je n’ose pas le dire ; je ne devrais pas le dire. En ce moment à aucun prix, le N° 379 ne me paraît trop payé.
Non, je n’ai point été consulté sur Ste Hélène. On m’a demandé, prié, conjuré de réussir dans une négociation dont on avait fait la première ouverture, à Lord Granville. On me l’a demandé, le 2 mai. On m’a parlé de "grande reconnaissance personnelle". On a fini en me disant : " Réussissez, et nous vous en laisserons tout l’honneur." J’ai réussi le 9 mai. Je l’ai annoncé le 10. On m’a répondu : " Je vous remercie mille fois : nous vous reportons la part qui vous est due. " Le Ministre de l’intérieur m'a écrit : " Votre affaire, des restes de Napoléon a fait un effet immense." J’ai souri de tant de reconnaissance ici, de tant de silence là. Et depuis je figure bien me tenir parfaitement tranquille. Je remets ici la phrase que je viens de rayer. C’est ici qu’elle doit être.
Savez-vous ce que j’ai fait hier soir? J’ai joué au whist, au coin de mon feu avec mon monde ; et je me suis couché à 10 heures et demie. J’étais excédé des routs. des bals, des Communes. J’avais besoin de silence et de sommeil. Je joue certainement au whist, aussi bien que vous. J’étais allé le matin, passer une heure à la Chambre des Lords où l’archevèque de Dublin devait faire une motion qu’il n’a pas faite. J’ai entendu Lord Lyndhurst à propos d’une pétition. Je trouve qu’il parle très bien, très bien avec une grâce forte et tranquille qui ne va pas à l’ensemble de sa vie. Mais il est bien changé. Il est devenu vieux depuis que je suis ici.

3 heures
J’ai été interrompu par le chargé d’affaires de Naples G. Capece Galeota dei Duchi di Regina, bien noir, bien crépu, pas si long que son nom, mais assez intelligent et sensé? beaucoup plus que le Prince de Castelcicala qui fait ici une figure bien ridicule et bien vulgaire. Il veut être venu pour quelque chose ; il a essayé de parler d’affaires à Lord Palmerston qui l’a renvoyé à Paris, et à Naples. Il a imaginé, de se lier avec les Torys, les plus violents Torys, et de leur parler de ce que Lord Palmerston ne voulait pas écouter. Il promène de côté et d’autre sa tête trépanée. Tout le monde prend pour de beaux coups de sabre les cicatrices de ce trépan qu’il a subi à Naples pour une chute de cheval. Il a porté sa carte à tout le corps diplomatique, moi compris, et ne s’est fait du reste présenter à personne, moi compris. En sorte que presque personne ne lui parle. Le Roi de Naples ferait bien de rappeler ce gros Pulcinella, au crane fendu, et de ne faire parler de ses affaires que par ceux qui peuvent les faire.
Je viens de recevoir un billet de Mad. de Chastenay qui est arrivée hier avec Mad. de St Priest ; elles viennent passer quinze jours à Londres, et un mois en Angleterre. Je vais tâcher de les amuser un peu. Dites-moi ce qu’il faut faire. Elles auront peut-être envie d’être présentées à la Reine, au drawing room. Est-ce Lady Palmerston ou la comtesse de Björstyerna, la doyenne du Corps diplomatique qui se charge de cela ? C’est pour lundi. Vous n’avez pas, le temps de me répondre. J’irai le demander à Lady Palmerston. Il faut aussi que je leur donne un petit dîner, pas trop ennuyeux ; quelques hommes, Lord Elliot, Lord Mahon, lord Leveson. Dites-moi quelques noms. Pas de femmes, n’est-ce pas ? Mon Dieu, que vous êtes loin ! Alava, Bülow, M. et Mad. Dedel ?
Ma galerie de portraits va être complète. Mad. Delessert vient de faire celui de Guillaume, et va faire celui d’Henriette. Je les aurai tous les deux dans quelques jours. Guillaume avec sa toque. On dit que le portrait est charmant. Je pense que je vais engager Mad. de Chastenay et Mad. de St Priest à venir dîner demain samedi avec tous mes Whigs. C’est, pour elles, une très bonne entrée dans le monde et qui préparera le reste. Adieu.
J’espère que vous me direz que vous vous portez bien. Voilà une espérance bien pleine de fatuité, n’est-ce pas ? Mais vous me la permettez ; vous voulez que je l’aie. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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382. Londres, Vendredi 29 mai 1840
Midi

Voilà un peu d’eau froide sur la mousse Bonapartiste et un petit dédommagement au réjet de la dotation Nemours. La chambre a montré plus d’intelligence et de fermeté que je n’en attendais. La forme est mesquine, mais le fond est bon. Gardez mon avis pour vous, je vous prie, puisque je ne suis pas obligé d’en avoir un. Vous me direz votre impression de la séance car j’espère que vous aurez été assez bien pour y aller.
Je n’ai jamais été si préoccupé du temps, de l’air, du soleil, du brouillard. Je vois tout cela sur votre tête. Et je vois tout ce qui se passe en vous sous toutes ces influences. Le beau temps persevère. Je fais beaucoup de courses la semaine prochaine. Ellice me mène Mercredi à Epsom ; je dînerai tout près, chez M. Motteux. Je reviendrai tard. Jeudi, je vais à Eton. C’est une grande solennité du Collège. On désire beaucoup que j’y sois. Tout cela ne me plaît pas beaucoup ; mais je me prête assez facilement à ce qui ne me plaît pas beaucoup, surtout quand je n’ai rien qui me plaise beaucoup. L’indifférence me rend très complaisant. Je ne le serai pas tant quand vous serez ici. Je deviendrai avare de mes chevaux. Et de mon temps.
J’attends mon gros Monsieur. Je sais qu’il vient d’arriver, et qu’il va venir chez moi. Je sais aussi qu’il vous a laissée mieux et meilleur visage que trois jours avant son départ. Il m’a apporté un très joli petit portrait de Guillaume par Mad. Delessert ; rien, une ébauche à moitié ébauchée, mais parfaitement ressemblant, et gracieux. Ressemblant au modèle et au peintre. C’est ce qui arrive souvent. On met du sien partout. Qu’est-ce qu’un comte Woronzoff qui vient d’arriver et que M. de Brünnow m’a présenté ? Il m’a parlé du comte Michel, comme de son frère ou de son cousin ; je n’ai pas bien entendu. Il y avait hier soir un concert chez la duchesse d’Argyll, un bal chez la duchesse de Montrose. Je n’y ai pas été. Je me retire de la frivolité, comme vous dites. Je ne veux pas qu’on dise que je ne m’en retire qu’à cause de vous. Je vais ce soir au concert de la Cour après le dîner de Lord Haddington.

4 heures
Mon bonheur s’est fait attendre longtemps. Enfin il est venu. Il ne faut pas beaucoup de lettres pour faire beaucoup de bonheur. Vous avez déjà mon impression sur la séance où vous étiez. De loin, j’ai été frappé surtout du fond. Vous de près, surtout de la forme. C’est dans l’ordre. Je persiste dans mon impression. C’est un acte de bon sens et de fermeté contre le brouhaha populaire. Je ne crois à aucun évènement prochain où je puisse être intéressé. Vous savez sur quel terrain je me suis placé, et vous m’y approuvez. La proposition Rémilly pourrait seule murir rapidement la situation. On m’écrit de tous côtés qu’elle sera rapportée peut-être, ce qui ne signifie rien, mais point discutée ce qui serait grave, decisif peut-être. En tout cas, j’y regarde beaucoup ; et si j’y voyais quelque chose, je vous le dirais sur le champ. Certainement, un chassé croisé serait déplorable, ridiculement déplorable. J’ai tant attendu qu’il faut que je finisse. Dans trois semaines, nous ne finirons jamais n’est-ce pas ? Je suis assez d’avis que vous arriviez d’abord près de Londres. Adieu, Adieu. En attendant. Cette fois, l’erreur était double. Pour 386, vous avez mis 287. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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389. Paris, Samedi 30 mai 1840

Mon fils est arrivé hier, pâle, faible, mais bien portant. Sourd d’une oreille complètement. Le bras gauche en écharpe. Il reste ici une quinzaine de jours, et c’est toujours le 13 que je compte partir. Voilà ma principale nouvelle pour aujourd’hui.
Le duc de Noailles est rencore revenu me voir hier au soir. L’affaire de la souscription préoccupe et échauffe toutes les têtes. C’est une grosse aventure. Comment sera le dénouement ? Que vous denvz ête étonné de ce qui se passe ! On dit que le Roi est très content. Je voudrais bien savoir de quoi ? Génie est venu me voir ce matin, nous avons parlé de mon voyage, d’un compagnon de voyage. Il voudrait que vous lui demandiez de l’être, et dans ce cas que vous obtinssiez pour lui un congès par Thiers. Est-ce possible ? Je n’ose pas vous dire que je le désire beaucoup, parce que alors vous seriez capable de le faire, même, en y voyant quelques petits inconvénients ; et je ne veux jamais que le moindre embarras de cette espèce vous vienne de moi. Je vais me mettre en train de me reposer avant mon départ. Je ne veux plus recevoir le soir. J’aime mieux une promenade avant de me mettre au lit et vraiment les Ambassadeurs ne m’amusent pas assez. Hier j’avais outre eux le Maréchal Paulini, gouverveur de Gènes, une vieille connaissance intime de 30 ans en arrière, plein d’esprit et d’animation italienne. Il a été 25 ans au service de Russie. Il me dit que moi à l’âge 18 aus je lui ai rendu une fois un emminent service auprès de mon mari. Voilà de vieux souvenirs !
M. de Brünnow m’a fait faire les message les plus plats et les plus insolents à la fois. C’est vraiment un sot. Cela ne vaut pas la peine de vous être redit. Les grands inconvénients qu’il avait d’abord vu à mon arrivée en Angleterre étaient ; l’embarras où il allait ce trouver vis-avis de la cour en me recevant bien, et l’embarras vis-à-vis de l’Angleterre en me recevant mal ! Mais vraiment je n’ai pas besoin qu’il me reçoive du tout, qu’ai-je besoin de M. de Brünnow ? Il est pour moi parfaitement imperceptible. Il l’a éte jusqu’ici, et plus que jamais cette espèce le demeure à mes yeux ; car je n’ai plus besoin de personne. Vraiment il y a de quoi rire de toutes les bétises qu’il a dites à ce pauvre Alexandre. Il me fait recommander d’être bien pour lui dans mon intérêt. L’Angleterre aura les yeux sur nous deux pour examiner chaque geste, chaque parole ! Non, c’est trop bête. Ce qui ne le sera pas c’est nos causeries à nous. Imaginez tout ce que nous aurons à nous dire ! Adieu. God bless you. Votre lettre ne m’est point parvenue encore. Il est 1 heure. C’est bien long! Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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384. Londres, dimanche 31 mai 1840
Une heure et demie

Le voilà ce prétendu 388 qui est le 387. Où est-il allé ? Qui l’a arrêté en route? Je n’en sais rien. Je n’y comprends rien. Enfin le voilà, avec le vrai 388. J’ai passé une très mauvaise journée. J’avais l’imagination très noire. J’ai promèné mon mal partout, chez Lady Kinnout à Holland-House, chez Lady Jersey. Vous m’avez suivie partout, malade, mourante, je ne sais quoi. En rentrant, j’ai monté l’escalier quatre à quatre ; j’ai regardé sur ma table, s’il n’y avait pas une lettre quelque oubli de la poste, quelque voyageur. En ne voyant, rien, j’ai eu un mécompte comme si j’avais attendu quelque chose. Par moments, des moments bien courts, je m’en voulais de tant d’anxiète que les spectateurs, s’il y en avait eu, auraient à coup sûr, appelée tant de faiblesse. Ah, que les spectateurs sont sots ! Pour comprendre le chagrin, il faut sentir l’affection ; et l’affection, le chagrin, tout cela est personnel ; on ne le sent que pour soi-même. On passerait pour fou si on laissait entrevoir la millième partie de ces suppositions, de ces émotions innombrables, ingouvernables, qui obsèdent le cœur.
Il y avait dans la lettre du gros Monsieur, 386 une phrase dont je ne pouvais me délivrer : " Je me sens si malade ? " Je lisais cela partout, dans les yeux de mes voisins, dans les journaux du soir. Je n’y veux plus penser. Non, je ne veux pas vous faire courir la poste comme un courrier, ni vous forcer à traverser un jour de gros temps. Mais voulez-vous bien sérieusement que je ne sois pas trop impatient pour le 15 ? Voyons dites ; voulez-vous ? Convenez que j’ai un bon caractère. Rappelez- vous vos colères, vos reproches quand j’ai tardé d’un jour, quand je n’ai pas été parfaitement sûr. J’ai bien envie, pour me venger, de vous conter toutes les coquetteries que m’a faites hier Lady Kinnoul. Je voudrais bien savoir de quel droit lady Kinnoul me fait des coquetteries. Mais droit ou non, elles étaient bien coquettes.
Lord & lady Hatherton, lord et lady Manvers, lord et lady Cadogan, lord et lady Poltiemore, lord Liverpool, M. Leshington. Voilà le dîner. Personne, le soir à Holland house, Si ce n’est au bout de la bibliothèque, lady Essex, l’actrice Miss Stephens, assise au piano et chantant très agréablement pour Lord Holland et M. Allen. 3 heures J’ai été interrompu par la visite de Chekib. Effendi. Celui-là est intelligent. Il est pressant. aussi. Il a raison. Son Empire s’en va. Et si on fait naître là une guerre, quelle qu’elle soit il s’en ira encore plus vite. L’immobilité de l’Orient, l’accord général de l’Occident, à ces deux conditions la Porte peut encore durer. Si l’une ou l’autre manqur, si nous nous divisons ici et si on se bat en Asie, c’est le commencement du grand inconnu. Je dis cela beaucoup, et tout le monde est de mon avis, presque tout le monde. Mais les avis sont peu de chose ; c’est la volonté qui fait.
Ce cabinet-ci est dans une situation bien critique pour élever dans ses chambres et dans le monde, une si grande question. Et je doute que sa situation critique soit de celles dont en sort en élevant une grande question. Je ne crois pas qu’il y ait à s’abstenir définitivement, beaucoup de jugement, ni de prévoyance. Et j’attendrais sans beaucoup de crainte la démonstration des évènements. Votre conversation avecT hiers est charmante. Je suis quelque fois tené de croire qu’il est embarrassé et se déchargerait volontiers de son embarras, pour un temps, sur les épaules d’autrui. Nous verrons jusqu’à quel point la fécondité de l’esprit, la dextérité de la conduite et le talent de la parole suffisent au gouvernemen t! En attendant, il est absurde de se plaindre qu’il ne s’occupe pas des petites affaires. Je suis sûr qu’il s’en occupe plus qu’on n’a le droit de l’exiger dans sa situation. C’est précisément une de ses qualités de pouvoir penser à la fois à beaucoup de choses, grandes et petites, et porter rapidement de l’une sur l’autre son activité et son savoir faire.

Lundi 1 juin
Je trouve en m’éveillant le Roi de Prusse mort de plus grands que lui sont morts. Je le regrette. C’est toujours beaucoup qu’un Roi honnête et sensé. Je me suis intéressé à lui dans ses temps de malheur. La façon dont ils étaient traités lui, sa femme, son pays, m’indignait. Je n‘ai pas à me reprocher d’avoir pris plaisir à à Mexico et à Calcutta comme dans un écho. La place manquera à l’ambition et à la puissance des hommes. Priez Dieu qu’ils ne deviennent pas fous.

2 heures
Je reviens d’un meeting on the slave trade, où le Prince Albert a fait son début in the chair. et je trouve le 389, votre départ pour le 13. Vous ne m’avez jamais donné de si principale nouvelle. J’ai quelques doutes sur un congé à demander à Thiers pour Génie. Sans cela, rien de plus simple que de le faire venir ici pour huit jours en vous accompagnant. Il faut que j’y pense, et que je lui en écrive à lui-même. Cela se pourra peut-être sans inconvénient. Je serais charmé de vous donner ce gardien là. Mais je ne veux pas que Thiers suppose je ne sais quoi. C’est bien intime de faire ainsi passer mon intérêt avant votre agrément. Mais je suis sûr que vous le trouvez bon. Le meeting était très nombreux et intéresant. Le Prince a été fort bien reçu. O’Connell et Sir Robert Peel également bien reçus, également applaudis. Public très impartial, et prenant. plaisir à se séparer de la politique. Grand applaudissement aussi à mon nom et à ma l’arrogance brutale et déréglée que j’ai vu régner. Elle était pleine de grandeur ; mais la grandeur à son tour était pleine de grossiéreté et de folie.
Le rappel de Ste Hélène, c’est juste. Les Invalides c’est juste, St Denis aussi serait juste, quoique moins convenable. L’apothéose serait une impièté. Et aussi une demence. La Prusse elle-même m’intéresse. Il y a en Europe trois pays que j’aime après le mien : l’Angleterre, la Hollande et la Prusse. Je suis très protestant par là. C’est la Réforme qui a fait ces trois pays, qui a fait leur caractère, et en bonne partie leur grandeur. Et l’Europe leur doit une bonne partie de la sienne, sans compter l’avenir. Il n’y en a plus pour la Hollande. Les petits pays sont morts. Deux choses aujourd’hui sont trop grandes pour eux, les idées et les évènements. Ni l’esprit, ni l’activité des hommes ne peut plus se contenir dans un étroit espace sur notre terre, le plus grand espace sera bientôt si étroit ! De Londres à New York, douze jours ; bientôt six jours ; on construit en ce moment à Bristol une machine qui double la force de la vapeur. On se promènera autour du monde. Les paroles dites à Paris retentiront. personne, mentionnés assez éloquemment par le sir Lushington. Mais puisque, vous ne devez ignorer aucune de mes vanités, voici mon plaisir de ce matin. Je suis arrivé un peu tard à Exeter hall. Le Prince était déjà in the chair. On se pressait pour entrer. Sur l’escalier, à la porte de la salle dans la salle, la foule était immense. En abordant la foule, j’ai dit the french ambassador, pour m’aider à avancer. Le premier venu à qui je l’avais dit, a dit à ses voisins. Mr Guizot. Tout le monde, a répété mon nom, personne ma qualité, et tout le monde m’a fait place. Un fils de M. Wilberforce, archidiacre dans l’ile de Wight, a parlé supérieurement avec beaucoup d’éloquence, naturelle et spirituelle. Sir Robert Peel a bien parlé, éternellement bien. Je vous dis que vous ne connaissiez pas M. de Brünnow. Savez-vous comment il était vendredi dernier, à une heure du matin, dans le vestibule de Buckingham Palace, sortant du concert de la Reine et attendant sa voiture au milieu de la très bonne compagnie qui attendait comme lui ? Une sale casquette de voyage sur la tête pour ne pas s’enrhumer. Je suis un peu choqué que vous m’ayez dit que je lui plairais. Du reste, je crois que vous avez eu raison. Il parle très bien de moi Il me semble que l’approche de notre rencontre me rend bien bavard. Vous ne vous plaindrez pas que cette lettre soit courte. J’en ai bien plus long à vous dire. Adieu. Adieu. Quand vous serez ici, il me semble impossible que nous n’arrangions pas tout vous, moi, Londres, et la campagne. Il y a deux choses avec lesquelles on peut tout. La seconde, c’est de l’esprit. Devinez la première. Adieu. Ma mère vous priera peut-être de m’apporter le portrait d’Henriette, dans une boite. J’espère qu’il ne vous embarrassera pas trop. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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390. Londres, Dimanche 7 juins 1840
3 heures

Je vous écris avec une pensée charmante, dans le cœur. Plus que trois fois. demain, mardi et mercredi. Car sans doute vous partirez samedi matin. Vous me direz. Ma course à Epsom ne m’a pas paru si drôle qu’à lord Granville. J’ai peu ri. Ce qui me fait sourire, c’est l’importance qu’on attache quelquefois, dans le monde, à certaines choses, et tout ce qu’on y voit. J’ai été à Epsom. Epsoms est frivole. Tous les gens frivoles y vont. Donc, je deviens frivole, donc, je ferai ce que font, les gens frivoles. Donc, donc, .... Il y a bien du factice et bien de la servilité en cela d’agir plus simplement et plus librement. On me dit qu’Epsom est un spectacle curieux. Ellice me propose d’aller dîner à la campagne, tout près, avec sa famille et lord Spencer, et d’aller de là, voir ce spectacle. Je vais dîner avec Ellice et lord Spencer. Je vais avec eux me promener à Epsom. Je trouve que c’est long, et je reviens me coucher à onze heures. Si le monde voit dans ma promenade quelque chose de plus, et s’en promet, sur moi quelque empire de plus, le monde se trompe et le verra bien. Epsom m’a laissé comme il m’a pris, sans embarras d’y aller et sans envie d’y retourner.
Je vous en prie ; ne soyez pas un peu malade, dans vos lettres ni ailleurs, pour ces misères. Ayez foi. Vraiment ceci ne vaut pas la peine de douter. Et dites moi toujours tout à chaque occasion, petite ou grande, je vous en aime davantage. Même quand ce que vous me dîtes, me fait sourire.
J’ai beaucoup causé hier avec la Reine, à dîner surtout, causé de je ne sais quoi mais assez agréablement. Soyez sure qu’elle a de l’esprit, et pas mal de sérieux et de fermeté dans son jeune esprit. Elle est bien jeune. Elle rit toujours. Et on voit qu’elle a envie de rire encore plus qu’elle ne rit. Peu de monde, lord Melbourne et lord Palmerston, le Maréchal Saldanha, le comte de Hartig, M. et Mad. Van de Weyer qui sont revenus de Bruxelles, la maison. J’avais à ma droite lady Mary Howard, fille du comte de Surrey, enfoncée dans sa shyness et ses beaux cheveux blonds. Après le dîner, quelques uns ont joué au Whist, d’autres aux échecs. Nous nous sommes assis, autour d’une table. Conversation froide et languissante. La Reine va à Windsor, dans deux ou trois jours, je crois. La Duchesse de Sutherland est partie ; mais Charles Greville m’a dit qu’elle vous donnait Stafford-House, et que vous seriez là, en son absence. Cela me paraît très bien. Vous ne le saviez donc pas encore. Vous me l’auriez dit.

6 heures
Je viens de faire le tour complet de Regent’s park. J’ai marché une heure et demie, seul, lentement, pensant à vous. Quand vous serez ici, je ne ferai plus guère ces grandes promenades solitaires. Je vous donnerai mon loisir. Le beau temps dure. Je le regarde. Je lui demande, s’il durera dans huit jours. Alava a été assez malade. Il est bien bon enfant et pas mal au courant ; mais personne ne compte avec lui. Est-il vrai que M. Van de Weyer est un peu remuant et commère ? Que de choses j’ai encore à vous demander, quoique je commence à être établi ! N’est-ce pas, vous aurez la bonté avant de partir, de faire demander à Génie s’il n’a rien à m’envoyer. Décidément, il y aurait, à ce qu’il vint dans ce moment, assez d’inconvénients.

Lundi une heure
Je suis charmé que nous ne veniez à Londres qu’à cause de moi, et je veux que vous y trouviez infiniment plus de plaisir que de tracas. Je n’aime pas du tout le tracas. J’ose dire qu’il n’y a personne à la nature de qui il soit plus antipathique qu’à la mienne. Mais quand au bout du tracas, il y a un plaisir, un vrai plaisir, le tracas disparaît, je l’oublie absolument, je le traverse indifféremment. C’est si beau d’être heureux ! Si charmant ! Peu importe le prix du bonheur. Vous n’êtes pas si bien douce que moi. Vous avez le bonheur, très vif, mais la contrariété très-vive aussi, et au moment ou vous payez le bonheur, vous pensez à ce qu’il coûte. Moi, je ne pense jamais qu’à ce qu’il vaut. On m’a apporté hier le petit portrait d’Henriette, très ressemblant et très joli. Je viens de recevoir des nouvelles de leur arrivée à Lisieux. Les voilà établis à la campagne. J’espère qu’ils y seront bien. Vers le 15 suillet. ils iront aux bains de mer, à Trouville sur cette côté où je me suis promené en m’efforçant de traverser des yeux l’Océan pour alles vous chercher en Angleterre où vous étiez alors. C’est moi qui suis en Angleterre, et c’est vous qui venez m’y chercher. Mais pas des yeux seulement.
Adieu. Cet adieu est très à sa place.
Je ne crois pas à la guerre. Vous savez qu’en général je n’y crois pas. Mais pas en particulier non plus. Thiers s’amuse à en parler. cela lui plaît ; et cela lui sert aussi. Un peu de fièvre dans le présent, en perspective d’un peu de bruit dans l’avenir ; sa position s’arrange de cela. Il le croit du moins. Je ne connais personne ici qui accepte la pensée de la guerre. On est déjà assez préoccupé de celle de Chine qui sera probablement plus sérieuse qu’on n’a prévu. Je n’ai pas grande estime pour le nombre ; pourtant c’est quelque chose et en Chine ce quelque chose est immense. Adieu décidément. Plus que deux lettres. Adieu. Adieu. En attendant.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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400. Trouville, Dimanche 9 août 1840
Une heure
Je suis arrivée ici, ce matin. La joie de mes enfants est charmante. Je voudrais vous en envoyer la moitié. Je ne jouis qu’avec remords de ce que je ne partage pas avec vous. Henriette m’a déjà demandé de vos nouvelles. Elle est comme vous dîtes ; elle a bien de l’esprit, dans le cœur. Je les ai trouvés à merveille tous les trois ; Henriette, forte et vivante ; les deux petits pas forts, mais très vivants et sans excès. Ma mère aussi est bien ; l’air de la mer lui a réussi. Elle vous aurait bien plu ce matin ; elle m’a reçu avec ce mélange de vivacité passionnée et de gravité pieuse qui n’appartient qu’aux natures méridionales. Ils retourneront tous au Val- Richer samedi 15. Moi, je les quitterai ici après demain mardi, à 4 heures. Je serai à Eu Mercredi matin. J’en répartirai, dans la nuit du Mercredi au jeudi, pour aller coucher à Calais, et vendredi, je dînerai à Londres. Il me semble que je vous ai déjà dit cela. Pourquoi ne vous le redirais-je pas ? Je me le suis déjà redit à moi-même plus de vingt fois. Je dois vous avoir écrit bien bêtement hier et avant-hier. Je vous ai écrit avec un ennui poignant. Vous m’avez grondé une fois de ce que je décriais les lettres quand il ne restait plus que cela. Il faut un peu de temps pour se faire à une telle décadence. J’aurai une lettre de vous demain. Vaudrait-elle mieux que les miennes ? A chaque nouvelle expérience de la séparation, je suis épouvanté du progrès. J’ai bien tort de dire épouvanté ; mais je ne veux pas parler vrai.
Ce qui est vrai, c’est qu’à tout prendre je suis content de ce que j’ai vu à Eu, des deux partis. J’ai vu, d’une part de la révolution, de l’autre, de la modération. Les penchants, les désirs au fond ne sont pas, les mêmes ; mais les conduites pourront fort bien s’accorder. On travaillera sincèrement à maintenir la paix ; on fera hardiment la guerre si l’occasion l’exige. Et on prévoit des occasions qui pourraient l’exiger. On ne provoquera point ; on ne commencera point. Mais on n’éludera point. Le pays est dans la même disposition ; nulle envie de la guerre, tant s’en faut ; mais un grand parti pris de ne pas accepter tel ou tel dégoût et d’accepter les sacrifices. C’est une démocratie fière sans exaltation et résigner à souffrir plutôt qu’ambitieuse et confiante. Vous verrez cette physionomie passer même dans la presse, malgré ses fanfaronnades, et ses colères. Je ne fais qu’entrevoir mon pays ; mais ce que j’en entrevois me convient. J’espère qu’il ne sera pas mis à de trop dures épreuves. Je crois qu’il s’y ferait honneur. Lord Palmerston m’a dit souvent : « Je ne comprends pas que vous ne soyiez pas de mon avis. On me dit ici la même chose à son égard. Il y a bien peu d’esprits qui se comprennent les uns les autres. Chacun s’enferme dans son avis comme dans une prison, et agit du fond de cette prison-là. Cette complète préoccupation de son propre sens joue dans les affaires un infiniment plus grand rôle qu’on ne croit. Voici ce que je n’ai pas entendu, mais ce qui m’a été répété bien authentiquement : - " Que deviendrais-je aujourd’hui si j’avais Molé pour ministre ? " Louis Bonaparte, et son monde vont être traduits à la cour des Pairs. J’ai peur que ceci ne vous arrive pas avant jeudi. Je suis hors des grandes routes. Vous accepter tel ou tel dégoût et d’accepter les sacrifices. C’est une démocratie fière sans exaltation et résigner à souffrir plutôt qu’ambitieuse et confiante. Vous verrez cette physionomie passer même dans la presse, malgré ses fanfaronnades, et ses colères. Je ne fais qu’entrevoir mon pays ; mais ce que j’en entrevois me convient. J’espère qu’il ne sera pas mis à de trop dures épreuves. Je crois qu’il s’y ferait honneur. Lord Palmerston m’a dit souvent : « Je ne comprends pas que vous ne soyez pas de mon avis. On me dit ici la même chose à son égard. Il y a bien peu d’esprits qui se comprennent les uns les autres. Chacun s’enferme dans son avis comme dans une prison, et agit du fond de cette prison-là. Cette complète préoccupation de son propre sens joue dans les affaires un infiniment plus grand rôle qu’on ne croit. Voici ce que je n’ai pas entendu, mais ce qui m’a été répété bien authentiquement : - " Que deviendrais-je aujourd’hui si j’avais Molé pour ministre ? " Louis Bonaparte, et son monde vont être traduits à la cour des Pairs.
J’ai peur que ceci ne vous arrive pas avant jeudi. Je suis hors des grandes routes. Vous serez déjà à la campagne. Je vous écrirai encore 400 demain, à tout hasard. Samedi, en revenant de West, vous trouverez une lettre et moi. Adieu. J’aspire à demain. Trois jours sans un signe de vie ! Cela m’est-il jamais arrivé ? Adieu Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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401. Trouville, Lundi 10 août 1840
une heure

Je ne devrais plus vous écrire. Cette lettre-ci sera à Londres, Vendredi. Vous n’y serez pas. Et quand vous y serez, j’y serai. N’importe. Je vous écris. Je viens de recevoir votre lettre 409. J’ai oublié de numéroter les miennes. Il me semble que ceci doit être 405. Il y a trois jours, je ne me résignais pas aux lettres. Aujourd’hui une lettre vient de me charmer. Il fait très chaud, très beau. J’irai tout à l’heure promener ma mère et mes enfants, dans la forêt de Touques ; ma mère en calèche, mes enfants, sur des ânes. Ils sont bien heureux. Je les ai menés à la mer ce matin ; ils se sont baignés devant moi. Mad. de Meulan vient d’arriver. Elle retournera au Val-Richer demain. Ma mère et mes enfants samedi 15.
J’ai déjà parlé à Eu de mon congé en octobre. J’y compte. Toujours subordonné à l’état de cette malheureuse question d’Orient. Mais ou je me trompe fort ou elle sera immobile à cette époque. Le blocus durera sans aboutir. C’est, je vous jure un curieux spectacle que la complète opposition des conjectures sur le Pacha, les uns si sûrs qu’il cédera, les autres qu’il ne cédera pas. Très sincèrement sûrs. Il y a de quoi prendre en grande pitié les convictions diplomatiques. L’erreur sur l’insurrection de Syrie a été grossière ; elle n’a pas été un moment sérieuse, et Lord Alvanley est un badaud. Lord Francis Egerton a donné aux insurgés trois canons rouillés, et 800 fusils hors de service ; par ardeur chrétienne et pour affranchir les frontières de la Terre Sainte. Il n’y a eu personne pour se servir de ses fusils. Méhémet en profiterait s’ils étaient bons à quelque chose. Les Carlistes aussi ont eu la main dans l’insurrection ; par Catholicisme et par Carlisme. Tout cela a abouti à élever un nuage de poussière que Lord Palmerston a pris, pour un orage. De son erreur je conclus qu’il se trompe probablement sur Alexandrie comme sur Beyrout. M. Thiers est infiniment plus sceptique, plus modeste. Pourtant il ne doute pas de la résistance obstinée du Pacha.
Conseillez à Lady Clauricarde de retirer sa joie sur Louis Bonaparte. Elle a des joies un peu légères. Voilà les obsèques de Napoléon accomplies, tranquillement accomplies. Le Roi, ses ministres, le public, tout le monde est charmé. Le Bonapartiosme est tombé plus bas que l’insurrection de Syrie, le pauvre Louis Bonaparte ne voulait pas se coucher dans le château de Boulogne parce qu’il n’avait pas son valet de chambre pour le déshabiller. Et jeudi dernier, quand on l’a retiré de l’eau et conduit en prison, comme il ne voulait pas poser sur la pierre froide ses pieds nus (il venait d’ôter ses bas) un des gardes nationaux qui venaient de lui tirer des coups de fusil, l’a pris dans ses bras, et l’a porté sur son lit.
Vous avez bien fait de m’envoyer la lettre du duc de Poix. Il n’y a en effet rien à faire à présent. On a fait quelque objection à son fils, très haut. Cette nouvelle vilenie de Pétersbourg (pardonnez-le moi) m’a indigné comme si elle m’avait surpris. Je croyois que nous avions atteint le terme. Vous n’avez sans doute plus rien entendu dire de la prochaine arrivée. Vous m’en parleriez. Mais j’oublie que vous m’avez écrit vendredi, vingt, heures après m’avoir vu. Les heures sont bien longues.
Adieu. Ceci est pourtant ma dernière lettre. Mais non pas mon dernier adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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424. Londres, Lundi 28 septembre 1840
10 heures

Il n’est arrivé à personne de devenir louche après, cinquante ans. Et puis quand même. Je dis cela de tout, absolument.
M. de Flahaut est très soigneux, très caressant. Il vient tous les jours à l’Ambassade. Nous causons le soir à Holland house, very privately. Que sait-on ? Peut-être, si je voyais aujourd’hui Mad. de Flahaut, elle serait aimable pour moi. Je l’ai en idée. Bien du monde hier à Holland house. Lord Melbourne, lord John Russell, lord Normanby, lord Clarendon. Ceux-là y avaient dîné. Lord et lady Palmerston y sont venus le soir. J’ai causé avec lord Melbourne. Je suis arrivé de bonne heure et parti de bonne heure. On croit que lord Lansdowne et lord Morpeth arriveront ce matin pour le Conseil de cabinet. Lord Duncannon seul y manquera. J’ai été hier à Carlton-Terrace. Lord Palmerston n’étant pas rentré, je suis monté chez lady Palmerston. Nous avons parlé de vous. Pour la première fois, son accent m’a plu, vraiment plu. Il y avait de l’affection et un sentiment vif de ce que vous êtes. J’ai regretté de couper court à la conversation. Au bout de dix minutes, lord Palmerston est rentré. Je vous remercie de me dire ce que pense le duc de Noailles. Son jugement est excellent. Je regrette toujours que sa position ne soit pas aussi libre que son jugement.
Il a raison dans tout ce qu’il vous dit, excepté sur les firmans exécutoires, en Egypte et en Syrie. Je ne crois pas que le Pacha se préoccupe beaucoup de cet article là.

Une heure
Rien encore. Ces irrégularités ne vous sont pas plus intolérables qu’à moi. Qu’y faire ? Elles ne proviennent ni de vous, ni de moi. Et quand on se sort de plusieurs machines, machines humaines, il n’y a pas moyen de leur imposer à toutes une exactitude mathématique. Vous aurez une lettre demain que vous n’attendez pas. Je m’en réjouis comme si elle venait de vous à moi.
Croyez bien tout ce que je vous dis dans cette lettre là. J’y pense sans cesse. Ma conviction est profonde. De près, elle vous ferait du bien. Ah, pourquoi êtes-vous partie sitôt ? Votre fils n’arrive pas. De petites considérations de petites raisons nous ont décidés. Toutes les grandes, les vraies raisons étaient contre.
Lord Grey, est charmé de moi. Il me remercie avec effusion de ce que j’ai arrangé pour Lady Durham. Elle arrive à Londres ces jours-ci, et elle en repartira presque aussitôt. Lord Tankerville va très bien. Il a vu la main de son médecin. Lady Tankerville ne peut pas partir pour Paris, faute d’argent. Ses fonds étaient chez Hammersley. On parle beaucoup de cette affaire là. On ne sait pas si tout sera payé.

4 heures
Toujours rien. Je n’aurai rien aujourd’hui. Je comprends les retards, mais non pas le manque complet. De quoi voulez-vous que je vous parle ? Je penserai à autre chose. Il fait un temps affreux. Il tombe des torrents. Comme s’il n’y avait pas assez d’eau entre vous et moi. J’ai de bonnes nouvelles de mes enfants. Ils ont eu la jaunisse tous les trois. Elle est parfaitement passée pour mes deux filles. Guillaume en retient encore quelque chose. Ma mère est bien. Adieu. Adieu. De près, il n’y a point d’adieu triste. De loin, il peut y en avoir. Adieu. Elle arrive. Au moment où j’allais cacheter ceci. Le meilleur des adieux.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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434. Londres, Vendredi 9 octobre 1840
9 heures

Je ne veux dire à personne, pas même à vous, pas même à moi. même, de quelle impatience je suis dévoré. J’attendais un courrier ce matin. Il ne vient pas. Je vois dans les journaux anglais que les Chambres sont convoquées, pour le 28 octobre. Dans vingt jours ! Et d’ici là, que se passera-t-il ? Que va-t-on m’envoyer, me donner à dire, à faire ici ? Je persiste à croire à la paix très décidément. Il faudra encore bien des méprises pour amener la guerre. J’espère qu’il n’y en aura pas assez, de part ni d’autre. Dans vingt jours enfin. J’ai le cœur et l’esprit pleins, pleins ! Quel moment que l’ouverture des Chambres si tout est encore en suspens ! Vous vous porterez bien, n’est-ce pas ? Je n’aurai pas à m’inquiêter sur vous ? Je vous quitte. Je ne puis pas parler.

3 heures
Ma disposition est toujours la même. Je veux pourtant vous parler. On est inquiet ici. Je ne veux pas dire très inquiet. On n’est jamais très inquiet. On est très brave et très en sureté. C’est heureux d’être une grande nation avec l’Océan pour enceinte continue. Mais on redoute réellement, sinon les périls du moins les maux de la guerre. Et puis, on n’a nul goût pour une rupture avec la France ; on tient vraiment à vivre en paix et en amitié avec la France. Cela est profitable et cela a bon air. Les deux grands pays civilisés ; two gentlemen-countries. Et puis encore, au fond du cœur, on aurait honte d’une guerre si peu motivée, amenée uniquement parce qu’on ne l’aurait pas prévue, parce qu’on ne l’aurait pas crue possible. Car si on l’avait crue possible, on n’aurait certainement pas fait ce qui peut l’amener. Voilà la disposition au vrai. Je ne puis pas ne pas croire qu’on peut encore en tirer parti et sortir de cet abominable défilé. Mais, dans les actes et les paroles, la nuance est délicate et indispensable à saisir. En même temps qu’on a envie d’éviter la guerre et de s’accommoder, on est fier surceptible même. Pour rien au monde, on ne voudrait avoir, l’air de céder à la menace. On est, à cet égard, d’une préoccupation presque maladive. Ma principale inquiétude de ce moment est là. De part et d’autre, on a la peau d’une sensibilité prodigieuse. Il y faut des mains de velours. Mains rares, surtout après tant de révolutions, et de guerres.
Avoir raison au fond, et raison dans la forme, c’est beaucoup exiger. Ce sont des moments bien périlleux que ceux auxquels la perfection seule suffit. Et qui sait si la perfection même suffirait ? Je passe ma journée, en alternatives d’inquiétude et d’espérance, situation fort contraire à ma nature qui est portée à conclure, non à flotter et quand elle a conclu, à marcher ferme selon sa conclusion. Par mon instinct je dirai plus par mon expérience, j’ai confiance, grande confiance dans le courage au service du bon sens. Mais l’épreuve peut être bien rude. Et encore je ne vois les obstacles que de loin.
Je désire beaucoup, en me rendant à la session, pouvoir aller prendre ma mère et mes enfans au Val-Richer et les ramener avec moi à Paris. Je respirerais deux ou trois jours l’air de la campagne. Je ferais ce que vous me conseillez et j’arriverais un peu reposé. Car j’arriverai. C’est encore une chose dont je ne peux pas parler. Je n’ai point de petite nouvelle à vous mander. Je me trompe. M. de Brünnow, vient de m’écrire pour me prier d’aller après-demain prendre du thé et jouer au Whist à Ashburnham house. Je ne suis encore entré qu’une fois dans cette maison Ià, et certes pas avec indifférence. Unir à ce point dans le présent et étrangers, dans le passé, cela ne vous semble-t-il pas impossible ? Le comte de Noé est venu me voir il y a deux jours, m’apportant la nouvelle que Mad. Sébastiani était morte, morte à Richmond, au Star and Garter. C’est Mad. Bathiany qui est morte là. Voilà l’ordonnance de convocation, des chambres dans la seconde édition du Morning Post. C’est bien pour le 28. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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437. Londres, lundi 12 octobre 1840
2 heures

Vous ne serez pas contente de ma lettre d’aujourd’hui. J’ai bien peur qu’elle ne soit courte, et vide aussi. J’ai travaillé toute la matinée. Je viens de chez lord Melbourne. J’irai tout à l’heure chez lord Palmerston. Bien des choses et bien des gens se remuent. Nous verrons le résultat. Je suis las d’attendre et de prédire. D’attendre surtout, car pour prédire, je n’en ai pas abusé. Je parie encore pour beaucoup de longueurs. Comme toujours, on est plein ici de présomption et d’illusion Parce qu’on a bombardé Beyrouth et débarqué 6000 Turcs, on se croit maître de la Syrie. Des renseignements, qui méritent au moins autant de confiance que ceux dont on se prévaut, me donnent lieu de croire qu’eût-on fait partout, sur le littorab, ce qu’on a fait à Beyrouth, on ne serait pas si avancé, tant s’en faut. Ibrahim et Soliman-Pacha se promettent de tenir très ferme dans l’intérieur, et de faire durer la guerre. Napier lui-même dans ses rapports officiels donnés à Ibrahim 120 000 hommes.
En vérité jamais plus de passions, n’ont été excitées, et de hasards courus pour un si mince motif. Hier soir à Holland house. Nous sommes de mieux en mieux. Lady Holland et moi. Il y a quelque temps, elle m’a demandé, la gravure de mon portrait. Je la lui ai envoyée hier. Elle a été charmée. J’ai envie qu’on me mette dans l’escalier au dessus de vous. J’y dîne aujourd’hui. Ils ne retournent pas à Brighton. Il y a conseil de Cabinet Jeudi.
J’ai fait connaissance hier avec lord Ebrington, qui a l’air d’un bien bon et honnête homme. Il arrive d’Irlande et me paraît fort peu préoccupé du bruit pour le repeal. Il y a bien du bruit partout. J’ai de très bonnes nouvelles du Val-Richer. Mes enfants, deux surtout ont été assez longtemps languissants, après la jaunisse. Ils sont très bien à présent. J’espère toujours aller les prendre et les ramener avec moi à Paris. J’aime bien 448.
J’aime bien vos inquiétudes, vos ombrages, vos susceptibilités. Je m’explique bien des choses, quelques unes tristes, toutes bien petites. C’est dommage. Mad. 62 avait plus de grandeur que 20. Il a le cœur élevé rien de grand. Quant à 1, il s’ignore beaucoup lui-même comme il ignore les autres. Je répète à son sujet, ce que je disais l’autre jour, à propos de 99, mais dans un bien moindre degré. Que Dieu me garde quelque chose de complet et d’immuable ! Je supporterai sans la moindre humeur les imperfections et ces vicissitudes, des relations humaines. C’est bien solennel ce langage là ; pas plus solennel que les sentiments qui me fait parler. J’ai vu que votre belle sœur avait fait route de Pétersbourg au Havre avec Mauguin. Il lui aura dit d’étranges choses. Il a assez d’esprit pour faire croire à ceux qui n’en ont pas, qu’il en a beaucoup. J’ai été dérangé deux fois en vous écrivant. Il faut que je sorte. Adieu Votre adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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3. Je mets 3 à cause de mes deux billets d’Evreux non numérotés.

Du Val Richer. Lundi 14 Août 1843, 6 heures du matin

Que je vous remercie ! Vous êtes charmante. Je comptais sur une lettre ; et encore vous ai-je fait une sotte question. J'en ai trouvé deux. Ne craignez jamais de me fâcher. Dites-moi toujours tout. Tout me plait venant de vous. Je ne me pique point de n'avoir jamais pour ceux que j’aime, pour ma mère surtout, quelque complaisance quelque faiblesse si vous voulez. Vous y êtes vous-même pour quelque chose. J’ai tort de vous dire cela ; je touche là une triste corde. Mais moi aussi, je vous dis tout. Le spectacle d’un fils que n’est pas pour sa mère ce qu’il doit être m'a tellement blessé que cela a tourné au profit de la mienne ; et je suis devenu, pour elle, plus soigneux, plus affectueux qu'auparavant. Il est vrai qu'elle et mes enfants avaient un très vif désir de ce voyage. Il m'a plu de leur donner ce plaisir. Je n'ai pas perdu ma bonne intention. Ils sont dans le ravissement.
Je mentirais, si je ne disais pas que je prends aussi quelque plaisir à la vue de mes bois, de mon jardin, de ma bibliothèque, de ma serre, de mes orangers. Le soleil brille ce matin ; ses rayons percent avec éclat une vapeur légère et fine qui flotte encore sur les bois et les près, les plus verts du monde. C’est charmant. Mille fois moins charmant qu’un moment près de vous, une parole, un regard de vous. Croyez-moi dearest, car je vous dis tout. Ne soyez pas jalouse de mon plaisir d’ici ; il ne le mérite pas. Mais pardonnez-moi de le sentir.
Puisque le mot de jalousie est venu là, sachez que vous êtes vous dans ma maison, pour ma mère surtout un objet d'immense jalousie. Si je n'étais pas venu ici elle aurait été parfaitement convaincue que vous seule en étiez la cause. Vous la comprendrez et vous ne lui en voudrez pas. Vous avez le cœur si juste ! Gardez-moi pourtant tout ce que vous m’avez montré le jour où vous m’avez dit qu'avec moi seul vous n'aviez ni justice, ni impartialité. Je déraisonne. Je vous demande les contraires. Oui, je vous les demande, bien sûr de vous en récompenser amplement. Je ne crains jamais d'être en reste avec vous.
Le 26. Politiquement soyez tranquille. Le jour où mon absence aura un inconvénient réel je partirai sur le champ. Je suis très attentif à cet égard. Je ne vous retire point la question d’un Ambassadeur à envoyer à Madrid. Si elle vient, elle me ramène le lendemain. Dans la nuuit de samedi à dimanche, à Evreux, à une heure du matin, le directeur de la poste m'a réveillé pour m’apporter une lettre du Ministre de l’Intérieur, disait-il. J’ai cru que j'étais rappelé à Paris. Ma première, bien première impression a été de plaisir, de plaisir pour Beauséjour. Il n’y avait point de lettre de Duchâtel. C’était tout bonnement des papiers que Génie m'envoyait et qui auraient fort bien pu attendre mon réveil. Il y avait pourtant une lettre du Roi. Bonne à voir, tant elle montre son sincère éloignement pour le mariage Espagnol, son vif désir de s’entendre avec l'Angleterre, et son humeur de ce brouillard si épais de préjugé, de méfiance et de crédulité qu'il ne peut parvenir à dissiper. Je vous quitte pour lui écrire. Je vous reviendrai quand la poste sera arrivée. Adieu. Adieu. Cent fois, adieu.

10 heures
Que j’aime le N °31 ! Si Oudinot a passé à Copenhague je ne comprends pas qu’il n'aille qu'à Ems ou à Vienne et s’il n’y a pas passé, je ne comprends pas où St. Priest a pris ce qu’il m'a dit. Oudinot n'aurait-il voulu aller à Pétersbourg qu'en cachette pour porter lui-même ses regrets à l'Empereur et revenir aussitôt. Ce serait bien galant. On écrit de Madrid qu'Aston fait ses préparatifs de départ. Vous me renverrez ce que je vous envoie. Adieu. Adieu. Il faut que j'écrive au Roi, à Désages et à Génie. Adieu. Au 26.
Ni brigands, ni accidents, ni maladies.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Je vous dépêche Stryboss pour que ces lignes vous arrivent encore. Pendant que Béhier sera auprès de vous. J’ai l’esprit frappé du très mauvais air de votre appartement. Non seulement triste et sombre mais évidemment très humide à cause de ces grands arbres qui ôtent le jour. Et puis deux murs extérieurs. C'est abominable par le temps qu’il fait, & je me souviens que Serra Capriola fut obligé de rentrer en ville à cause de ses filles qui habitaient en chambres-là et qui tombèrent malades de cet air-là. Je vous conjure de faire attention à ce que je vous dis. C’est très grave. Même bien portant on peut souffrir de cela à plus forte raison malade comme vous l’êtes. Accordez-moi cette grâce, passez en ville. L'air de votre appartement est bon, grandes, bonnes chambres. La belle saison est finie. Je vous prie, je vous supplie, faites cela. Vous risquez de ne pas vous remettre tant que vous resterez dans ce vilain trou. Moi je suis persuadée que cela vous fait du mal. Si vous étiez seul, vous feriez sûrement ce que je vous demande. Eh bien il me semble que dès qu'il s’agit de votre santé, votre mère et vos enfants peuvent bien se conformer ; j’irai le leur demander si vous voulez. Ecoutez-moi je vous en prie. Adieu.

Mercredi 10 h 1/2

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris, Vendredi 27 Septembre
1 heure

Vous venez de me quitter, et il faut que je vous dise deux mots encore avant de partir. Ce beau temps me donne un remord horrible. Moi seule j’en profiterais et vous vous restez en ville, et c'est moi qui vous ai enlevé au bon air de la campagne. Vous avez de bonnes nuits ici, mais les journées auraient mieux valu à Auteuil. J'avais raison quand il pleuvait & faisait froid. J’ai tort quand il fait chaud. J'ai mal prévu et je m’accuse, et je pars très triste. Ne pourriez-vous pas aller passer les bonnes heures du jour à Auteuil y prendre vos enfants ou les y envoyer. Avoir du feu dans le salon qui donne sur la terrasse, et rester là de midi à 3 ou 4 heures. Cela vous ferait du bien, c’est juste le moment du jour le meilleur, si ce beau temps se soutient. Je pense à tout cela, je ne penserai qu'à vous, je prierai Dieu, et j’attendrai vos lettres avec une immense impatience.
Dites-moi bien comment vous êtes. Aujourd’hui par la poste Château de Ferrière par Lagny, Seine et Marne. Demain avant d’aller au conseil envoyez-moi un mot chez Rothschild 15 rue Laffite et puis en revenant du Conseil encore par la poste par Lagny, Adieu. Adieu. God bless you.
Voici mon fils qui entre. Il vient de recevoir une lettre de Morny de Clermont le remerciant beaucoup de lui avoir donné la préférence & lui annonçant pour demain le remboursement de la loge ! Et puis on est venu chez Paul ce matin de la part du Directeur pour lui parler, mais il n'était pas levé et ne l’a pas reçu. Encore adieu. Adieu.
Paul est extrêmement confondu et reconnaissant de la peine que vous voulez bien prendre. Il me semble que l’affaire s’arrange. Adieu. Adieu encore again and again.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris, Jeudi le 10 octobre 1844
8 h 1/2 matin

Voilà votre bon petit mot de Portsmouth. Merci. Merci. Bien dormi, bien mangé. C'est là ce qu’il faut me dire. C'est la seule chose qui m’intéresse vraiment. Hier soir Génie est venu m’apporter la dépêche télégraphique de Windsor. J’en ai été médiocrement contente, elle ne parlait pas de vous. Sachez bien qu’il n'y a que vous pour moi dans le monde.
A propos de cette dépêche la colère de Génie était sans bornes, restée 23 1/2 heures entre Windsor & Calais ! C'est vrai que c’est fort.
Il est impossible de faire plus. La venue du Prince Albert à Portsmouth à bord du Gomer, c’est parfait. Que je serai curieuse maintenant des détails. Comme les journaux vont nous en régaler ! Je voudrais qu’ils me racontent aussi ce que vous mangez.
Hier pauvre journée de larmes. Constantin m'a écrit la plus touchante lettre du monde. Vous verrez qu’elle vous touchera. Cette lettre a enfin fait pleurer la pauvre Annette. Elle n’a pas quitté son lit depuis l’arrivée de la nouvelle.
J’ai vu hier matin Fagel deux fois, Fleishman, Kisseleff, Bacourt, l'Ambassadeur d’Autriche. J'ai fait ma promenade au bois de Boulogne après mon dîner. J'ai été chez Annette où je suis restée jusqu'à 1 heure de me coucher. Je ferai cela tous les jours. Bacourt vous demande s'il doit attendre votre arrivée. Il voulait aller lundi à Bruxelles pour en revenir le 1er Nbre. Mais si vous en disposez autrement, il fera votre volonté et vous attendra. Il ne sait rien que le fait que vous avez peut être besoin de lui. Fagel est excellent d’abord pour moi (il a le cœur très charitable) et puis excellent par les rapports avec Londres. Lord Aberdeen a lu le rapport de Fagel sur son entretien avec le roi où celui-ci-li a fait un éloge si vif & si mérité d’Aberdeen. Cela lui a fait une satisfaction visible. Il s’est beaucoup loué & d'ici, et de vos agents d'Espagne surtout de Glusbery. C'est absurde de vous adresser tout cela à Windsor. Je ne sais que vous mander. Vous comprenez bien qu'ici il n’y a pas de nouvelles, & que moi plus recluse que jamais à présent à cause de mon deuil, je ne puis rien apprendre.
Le Toulonnais donne votre traité avec le Maroc. Certainement, cela n’est pas en règle. Comment ces choses là arrivent-elles chez vous ? J'espère que Tahiti ne va pas faire un nouvel embarras. Ah que j'arriverais à jeter Tahiti au fond de la mer. Revenez je vous en prie avec le droit de visite au fond de mer aussi. Je ne sais pourquoi, je l'espère beaucoup. Mais surtout je vous en supplie portez vous bien. Dormez, mangez, prenez des forces et parlez moi de cela tous les jours.
Sans doute le Roi se louera de Cowley à Windsor. Je voudrais que cela valût à ce bon vieux homme le titre d’earl. Je n’ai pas vu Lady Cowley hier elle était malade, elle viendra aujourd’hui.

Midi et demi. Dans ce moment m’arrive votre petit mot de Windsor. Mardi 5 heures Mille fois thank you dearest que c’est charmant de lire écrit de votre main : Je suis très bien. Continuez à l’être et à me le dire.
Que la bonne réception de Portsmouth m'enchante. Au fait tous ces hourras feront du bien au roi ici. Cela le réhausse encore. Quelle honte pour les Français de si peu reconnaître ce qu’ils possèdent. Mais savez vous qu’au fond il y a un sentiment d’inquiétude de son absence, on sera content de le savoir de retour. Il manque, c’est un vide. On s’aperçoit que c’est une grande affaire que le roi. Je crois moi que tout ceci fera du bien.

9 heures
J’ai été accablée de visites. Il faut que je ferme ceci & que je le porte chez Génie. Adieu. Adieu. Vos filles sont venues elles ont été très aimables pour moi, et m'ont apporté de charmantes brioches bien chaudes très utiles. Elles ont bonne mine toutes les deux. Adieu. Adieu.
Voilà le petit Nessellrode qui reste aussi. Je vous redirai tout demain. Adieu. Adieu. God bless you dearest.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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28 Val-Richer Lundi 25 août 1845

Vous me faites trembler avec votre : " Je serai à Beauséjour avant vous si Dieu le permet. " C’est bien vrai, toujours vrai ; et on a grand tort de n’y pas penser toujours. J'ai donc raison de trembler, pourtant samedi prochain, c’est bien près. Oui, vous y serez avant moi, et j’y serai samedi. Et nous ne nous quitterons plus. Mais, je n’aime pas que vous attendiez un compagnon de voyage, je ne sais lequel. Je n’aime pas que vous soyez à la merci de ces incertitudes. Pourquoi n'avoir pas écrit à Génie ? Ma recommandation est tardive. Vous ne l'aurez qu’après demain. Et j'espère bien qu’après demain, Mercredi, vous seriez à Beauséjour, ou tout près d’y être. Certainement vous ne rencontrerez pas une trombe en route. J’ai beaucoup pensé à celle de Monville. Je vous en ai peu parlé parce que je n'aime pas à arrêter votre imagination sur les choses tristes et effrayantes. Vous vous en laissez trop saisir.
Si vous aviez des yeux, je vous enverrais une lettre de Barante, assez intéressanite. Il a quitté la Suisse et m’écrit d'Auvergne où il est allé pour son Conseil général. Il me dit : " Mon inutilité me pèse moins ici qu'à Paris." Je le comprends. Sa position est vraiment désagréable. Et il n'y a pas moyen qu’elle change.
Je suis fort sensible à la bonne intention de lord Cowley sur Tahiti. Il a raison, & j'y comptais. Je l’ai toujours trouvé excellent, plein de sens et de bon vouloir. Et je compte aussi beaucoup sur Lady Cowley, à qui j’ai toujours trouvé bien de l’esprit, et qui en a, j’en suis sûr plus qu’elle n'en montre. Elle est très franche & ne cache jamais ses sentiments ; mais elle n’en fait nul étalage. J’aime bien cette manière là.
On dit que le Roi de Prusse a dépensé, pour recevoir la Reine 400 000 thalers. C'est le compte de Berlin. L’émeute de Leipzig l’a frappé. Il est rentré à Berlin, en veine d'humeur et de répression contre la liberté religieuse. Il a fait défendre à Uhlich, Ronge et Czerski, toute promenade prosélytique. Mais personne ne le craint huit jours de suite.
Je me suis promené hier pendant quatre heures dans un pays charmant, tout autour du Val Richer, avec tout ce qui se peut d’escortes à cheval et à pied, d'arcs de triomphe de fleurs, de discours, de coups de fusil. J’ai rendu beaucoup de services à cette population. Ses affaires vont bien. Elle me trouve bon et de facile accès. Il y avait hier un sentiment de bienveillance vrai et général, et un désir vif de le manifester, et de s'amuser en le manifestant. Mes enfants étaient charmés. Cela m’a plu. Ce qui est assez remarquable, c'est l’empressement du Clergé. Jamais tant de curés ne sont venus me voir, et avec autant de témoignages de déférence et de dévouement. Evidemment ce que j’ai fait quant aux Jésuites ne m’a fait aucun tort parmi les prêtres. Au contraire. Mais on a peur des Jésuites et ces prêtres, qui sont plus constants que fâchés de les voir un peu battus, se seraient bien gardés de s'en laisser soupçonner auparavant.
Le chancelier est malade. Il devait venir passer un jour chez moi, en allant à Trouville où Mad. de Boigne a acheté une petite maison. Il est resté à Paris avec la fièvre. Duchâtel le trouve frappé et m’en paraît lui-même assez inquiet. Adieu. Vous ne me dites pas si toute bile est passée. Vous me direz ce qui vous convient en attendant Page. Adieu. Adieu. Dans six jours, un meilleur adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Beauséjour onze heures
Dimanche 7 septembre

Beau temps, bon vent. J'espère que cette reine arrivera aujourd’hui. Mais j’espère sur tout que le changement d'air vous aura été bon pour vous débarrasser de votre rhume. Hier j’ai vu chez moi Appony, les Flahaut, Keisseleff, Malkan.
L'arrivée de la reine n'a pas l’air de surprendre. beaucoup. Mais certainement elle ne plait pas à Appony Il n’est préoccupé au reste que de son gendre. Il ne peut plus traîner longtemps.
Je m’ennuie bien sans vous. Vous pourrez compter sur cela. Je m'en vais à l’église, & puis rentrer ici pour mon lunchon. Je renonce à tenir mes assises en ville, cela me gêne. D’ailleurs le temps est trop beau pour le dépenser là. 2 heures. Je rentre. Après l'église. J’ai vu Génie chez moi Il n'ttend de vos nouvelles qu’à 3 heures. C’est long. Je. voudrais pouvoir répondre & il me semble que cette lettre-ci partira avant l’entrée de la vôtre. Je la remets à votre fille. Adieu. Adieu. What a bore to be without you. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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4. Paris Mardi 14 juillet 1846 onze heures.

La lettre d'Aberdeen est charmante. Tout ce qui vient de Peel est un peu tendu comme son jarret. Comme Aberdeen a raison de ne point vouloir venir à Paris. Ma journée a été mauvaise hier. Verity est parti. 2 heures après j’ai pris mal aux yeux. Je suis très nervous de cela. J'ai renoncé à Dieppe. Je m’en vais voir aujourd’hui ce que je puis trouver à St Germain. J’ai vu hier matin Harvey Fleischmann, Kisseleff, Pahlen, Decazes, Génie. Rien de tout cela qui vaille la peine de dire quelque chose. Hervey toujours préoccupé de l'Espagne, & voyant là de loin de gros orages. C’est très probable. Je parle toujours de Don Enrique comme votre candidat N°2 depuis l'origine. A diner chez les Cowley, il n’y avait qu’Adair. Trop vieux, trop sourd, et trop lent. Mon voisin est tout cela aussi de sorte que ce n'était pas drôle. Lady Cowley triste, pas un mot de nouvelle. J’ai fait un tour en calèche accompagnée jusqu'à 10 h. J’ai passé une mauvaise nuit. Il y a eu de l'orage mais sans rafraîchir l’air. Il fait étouffant. Suis-je tenue à une indemnité envers le courrier qui devait m’accompagner ? et dans ce cas là quoi ? Je lui avais toujours dit qu’il n’y avait rien de décider et que je l'informerais aussitôt que je le serai, ce que j'ai fait. 2 heures Génie est venu causer. Nous avons beaucoup causé de votre ménage ; nous sommes d’accord sur ce point qu'Henriette devrait s’accoutumer à le mener, tenir les comptes, & &. C'est des habitudes bonnes à prendre dans toutes les conditions de la vie. En Angleterre il n'y a pas de jeune fille des plus huppées qui n’entend fort bien & dans le plus menu détail les affaires de ménage. Cela fait partie d'une bonne éducation. Henriette me paraît avoir un peu de disposition aux idées trop grandes. Il arrive alors des mécomptes dans la vie. De l’ordre & de l'économie sont nécessaires également aux riches & à ceux qui ne le sont pas. Je fais là de la morale mais vous ferez bien de songer à cette partie-là. Je crois que Melle Wesly saurait y aider. Vous voyez que voilà une pauvre lettre. Je suis furieuse de ce qu'on vous réveille la nuit. C’est de la maladresse de votre part, car vous savez très bien que si le roi s’en doutait il en serait désolé. J’ai prie Génie de faire parvenir cette observation en haut lieu par Duchatel ou autrement. Que je m’ennuie sans vous ! Adieu. Adieu. 4 heures. W. Hervey est venu il m'a lu une petite lettre de Bulwer accompagnant une dépêche monstre sorte de tableau de la situation de l’Espagne depuis un an. Les partis, les personnes. C’est pour mettre Palmerston au fait de tout ce qui est survenu. Je n'ai pas lu cela naturellement. La petite lettre atteste un peu d'humeur entre Aberdeen sans qu'il le nomme, mais il dit qu’il aurait eu envie des ? de Naples, car Madrid lui déplait. iI est question dans cette lettre des mariages possibles ou impossibles. des mêmes ? De Bresson avec les Carlistes : il ne sait pas si tous les tripotages français n’auraient pas pour but de rendre tout impossible sauf Monpensier ! J'ai bien fait, je crois, de dire que c’était peut être le jeu qu'on jouait à Madrid chez la reine ? que pour ici cela ne réussirait pas du tout. à quoi Hervey a dit: mais c’est que Bulwer & beaucoup d’autres ne voient pas pourquoi pas. Et certainement Palmerston laissait le ? plus aisément qu'Aberdeen. Car il a plus de courage. J’ai dit tout cela, bêtises. Epousez franchement Cadix ou Séville, donnez-vous la main pour cela, & finissez l’affaire. Bulwer a lu la lettre de Christine au roi sur Tenerife. Est-ce que je dis bien ? Mais vous savez ce que c’est. Pas un mot de Palmerston encore comme affaires. On attend jeudi Adieu adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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4 Val Richer, Mercredi 15 Juillet 1846,

Vos yeux malades me déplaisent beaucoup. Presque autant que vos yeux bien portants me plaisent. Vos yeux bien portants ont, par moment, un caractère de profondeur de regard recueilli et intérieur, admirable. Je les vois tels dans ce moment-ci. Qu'ils ne soient pas malades. Mad. Danicau vous lit-elle beaucoup ? Vous ne me dites rien d'elle. Je suis presque bien aise que vous renonciez à Dieppe. Je n’y avais pas goût. C’est bien loin pour ce que vous alliez y chercher. Et en cas de grand ennuis, il faut deux jours pour revenir à Paris. J’aime mieux St Germain ou Versailles. Je pense que vous allez samedi à Mouchy. Moi, j’irai ce jour-là établir Pauline à Trouville. Je devais y aller demain. Quelques arrangements me font retarder de deux jours. Fleischmann tient-il sa parole ? Le temps est resté un peu gâté de l'orage. Je me suis moins promené hier. Pourtant une course d’une heure dans les bois. On m’annonce pour aujourd’hui beaucoup de visites. Si je savais m’ennuyer, l’occasion serait bonne. L’état des esprits est excellent, ici et dans les environs. Je ne crains que le trop de confiance. Tous les nôtres se croient sûrs du succès trop sûrs.
Rien aujourd’hui d’aucun point. Si ce n’est de Bruxelles où l’Infant D. Enrique s’est rendu en deux jours, à charge à tout le monde, en particulier à sa sœur qui parle mal de lui et dit qu’il faut bien le veiller. Il ne s’est entouré que des émigrés progressistes. Il a dîné le 14 à la Cour, et il part aujourd’hui même pour la Hollande, d’où il ira sans nul doute à Londres. Vous avez toute raison de parler toujours de lui, comme de notre candidat N° 2. J’attends la première lettre de Jarnac pour lui écrire en détails à ce sujet. A tout prendre, je serais bien aise que Bulwer quittât Madrid pour Constantinople. C'est aussi l’avis de Bresson. Palmerston a été à Tiverton, bien réservé sur les affaires étrangères, et bien aigre sur Peel. Il me paraît impossible que l’hostilité ne recommence pas bientôt entre eux. Les Whigs feront ressortir les fautes de Peel, et il ne se laissera pas faire, je suppose. Je reçois un mot de Flahaut qui trouve sa retraite (la retraite de Peel) magnifique. Mais M. de Metternich a été très choqué de l’éloge de Cobden.
J’avais tort tout à l'heure de vous dire que je n’avais rien de nulle part. J’oubliais ce mot de Flahault qui me demande de la part de Metternich, des renseignements très détaillés sur l'organisation et le service de la Gendarmerie en France. On veut établir un service semblable en Galicie. On vient, d’Autriche, nous emprunter de la police. Pas un mot sur le discours de Montalembert et sur mon silence. Flahaut a tort. Que M de Metternich ne lui en ait rien dit, je le comprends ; mais il devrait avoir lui des informations, des conjectures, sur ce que Metternich en a pensé, et me les dire. Il fait comme bien d’autres, plus en pouvoir que lui ; dès qu’il y a quelque embarras, il s'efface. Vous ai-je dit qu’il avait écrit à Morny ? Il y a peu de temps qu’on lui disait que je n'étais pas content de lui, que j’avais envie de donner son poste à un autre, &. pour peu que cela fût vrai, disait-il, il voudrait le savoir, car pour rien au monde, il ne voudrait rester à son poste contre mon gré ou seulement contre mon goût. J’ai pleinement rassuré Morny. Adieu.
Je reviens à vos yeux. J'en attends de meilleures nouvelles. Merci de vos excellents conseils pour Henriette. J'en ai fait usage d’autant que je les avais devancés. Elle est à l’œuvre. Vous avez mille fois raison. Vous êtes vous-même, un modèle d’ordre. Adieu. Adieu. Je viens d’écrire longuement au Roi sur l’Espagne. Adieu G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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7. Val Richer, Samedi 18 Juillet 1846, 6 heures

Où êtes-vous à St Germain ? Je suppose au Pavillon de Henri 4. Vous ne me l’avez pas dit. J'espère que vous y avez plus beau temps qu’il ne fait ici ce matin. Ma vallée est sous un voile de pluie. C'est ennuyeux pour aller à Trouville. J’y vais pourtant. Je pars à onze heures. Le soleil percera peut-être d’ici-là. Le temps est très variable depuis deux jours. Je vous dirai demain matin ce que j'aurai trouvé pour vous à Trouville. On dit que la maison où ma fille, et Mlle Wislez vont s’établir est la meilleure de l’endroit, la plus confortable, par la vue, et au dedans. Elles ont le projet de s’établir au second étage et de laisser le premier disponible. Je vous dirai quand j'aurai vu. L’aide de Guillet y sera. Facilité de plus.
Le Roi fait venir du château d’Eu son portrait en pied par Winterhalter, et le donnera à Lord Cowley. A propos de portrait, il a fait faire, en porcelaine, à Sèvres, d’après Winterhalter, deux très beaux portraits de la Reine Victoria et du Prince Albert, pour Windsor. Mais à la dernière cuisson, une crevasse s’est déclarée dans celui du Prince Albert, ce qui sera difficile à réparer. Peut-être faudra-t-il recommencer ? En attendant. celui de la Reine est parti. On dit que c’est un chef d’œuvre.
Le Roi a été frappé de la dépêche de M. de Nesselrode sur les croix. Voici sa phrase : " Cela est gracieux. Il y a quelque progrès ; mais je doute fort que cela aille plus loin. " L’idée de l’initiative franche avec Londres pour l’un des fils de D. François de Paule est fort approuvée. Je vais la mettre à exécution, lundi probablement. J'en écrirai en même temps à Madrid et à Naples. La Reine Christine m’a mis bien à l'aise à Naples en faisant attaquer elle-même dans ses journaux, par son secrétaire Rubio, la candidature de son frère Trapani, et en en rejetant sur nous la responsabilité. C'est bien elle qui l'abandonne et la tue. Je réserverai pour cette combinaison-là, comme pour celle de Montemolin, les chances de retour, toujours possibles avec un tel monde. Je maintiendrai notre principe tous les descendants de Philippe V si seulement, nous nous portons selon les termes, vers celui qui peut réussir, favorable à celui-là sans en abandonner aucun. Rien encore de Londres qui indique avec un peu de précision ni sur cette question-là, ni sur aucune autre, le tour que va prendre Palmerston. La réserve des Whigs est extrême. En tout, la situation donnée, je ne trouve pas leur début malhabile. Ni de mauvais air. C’est assez tranquille, et sensé. Avez-vous remarqué ces jours-ci un article du Morning Chronicle qui n'aura pas fait plaisir à Thiers ? On lui donne poliment son congé, comme War-party. N’avez-vous rien reçu de Lady Palmerston ? Avez-vous écrit à Byng ? Mad. Danicau sait-elle vous lire le Galignani ? Le Prince de Joinville et sa flotte, et sa rencontre là, avec le Duc d’Aumale, ont fait grand effet à Tunis. Nos affaires sont bonnes à l'est et à l’ouest de l'Algérie. Après son apparition devant Tripoli, il (Joinville) ira à Malte, de là à Syracuse, de là une visite au Roi de Naples, puis une au grand Duc à Florence, puis une au Pape à Rome. Tout sauvages qu’ils sont, ces Princes là se montrent volontiers quand il y a quelque effet à faire. Ils se regardent bien comme les serviteurs du pays et obligés de soigner ses intérets et sa grandeur. Le comte de Syracuse passera, dit-il, l’hiver prochain à Paris. Il va parcourir la France, en attendant. Voilà mon sac vidé. Mon cœur reste plein. Loin de vous, il se remplit de plus en plus. Nous nous croyons bien nécessaires l’un à l'autre. Nous le sommes plus que nous ne croyons.
9 heures Je vais déjeuner et partir pour Trouville. Bon petit billet de St. Germain. Je suis content de vos yeux et de Mad. Danicau. Bonnes nouvelles de Londres même sur l’Espagne. Ce demain les détails. Je suis pressé. Soyez tranquille. Rien à craindre que la pluie. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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12 Val Richer, Jeudi 23 Juillet 1846 7 heures

Décidément je ne puis pas me promener dans ce pays-ci passé huit heures du soir. Je l’ai fait un peu hier, par la plus belle soirée du monde. J’ai été pris, cette nuit d’un éternuement ridicule, qui dure encore. Si j’étais dans cet état-là dimanche prochain, je serais parfaitement incapable de dire quatre paroles devant tout ce monde qui en attendra plus de quatre. C’est un sentiment très désagréable que d'être indispensable, à heure fixe, pour quelque chose d'important. Je n'ai point d’inquiétude. Mon éternuement sera passé ce soir. Je me tiendrai strictement dans la maison, à partir du dîner et j'aurai dimanche en ma possession mon cerveau et ma gorge. Il me les faut absolument. Si mes filles m’entendaient, elles me diraient avec un peu d’embarras et beaucoup de foi, qu’il n’y a point d'absolument devant Dieu, et que c’est à lui qu’il faut demander ce dont j’ai besoin. Elles auraient raison. J’ai ici M. et Mad. Austin qui me sont arrivés hier à l’heure du dîner. J’attends ce matin, M. Libri. Ils me resteront, je crois, deux ou trois jours. Ce sont vraiment des gens d’esprit. Mais il n'y a plus dans le monde qu’un esprit qui me plaise toujours et que je n'épuise jamais.
J’ai écrit au Roi les faveurs envoyées de Pétersbourg à l'Ambassade russe, et toute cette coquetterie envers la France, sauf le Roi des Français après un petit mouvement d’impatience, cela le fera rire. Il est enchanté de ses promenades, aux fortifications. Il m’écrit : " Vous n'imaginez pas le succès de celle d’aujourd’hui. Il était évident que les foules d'ouvriers, de gens de la campagne, étaient enchantées que le Roi visitât les forts et voulaient le lui témoigner. C'est magnifique, très important et pour moi délicieux à contempler. On peut à présent répondre de la sureté de la France et dire, comme Léonidas à Xerxès : " Viens les prendre. " Il ajoute à la fin de ses lettre : " Le Duc d’Aumale a eu, au col, un dépôt assez gros qu’il a fallu ouvrir. Il a de la fièvre. Cela ne donne pas d'inquiétude, et on m'assure quelle diminue et ne durera pas. Nous n'en faisons pas de bruit et la Reine ne décommande nullement ses invitations. N'en parlez donc pas si vous n'en entendez pas parler. 9 Heures J’ai des nouvelles de Londres. Very gloomy, comme les vôtres. On croit très probable que le Sugar bill, sera rejeté et alors la dissolution immédiate. Et proba-blement une majorité protectionniste. Avenir plus obscur que jamais. Peel, a favourite to the nation autant que perdu dans le Parlement. A Madrid Bulwer mal pour les fils de D. François de Paule ; cherchant à les décrier, y compris De Enrique. Remettant sur le tapis un archiduc, un brouillon dépité. Je lui croyais plus d’esprit. Et j’ai encore peine à croire qu’il fût impossible d’en tirer meilleur parti. Mais les deux hommes se sont heurtés, dés le premier moment au lieu de s'accrocher. J’ai toujours pensé que Thom avait de l’esprit. J’ai essayé plusieurs fois d’aller au devant de cet esprit, de le faire sortir à l’air. J’ai causé. J’ai été bon enfant. Il n'y a pas eu moyen. La peur le paralyse. Ses informations et ses idées espagnoles lui viennent évidemment de Bourges. Adieu. Adieu. J'ai à écrire à Génie pour je ne sais combien d'affaires. Votre estomac et vos jambes me déplaisent. Il faisait froid ici aussi ces jours derniers., Aujourd'hui le chaud revient. La promenade serait charmante. Adieu. Mon éternuement m'irrite. J’ai pris cinquante fois mon mouchoir en vous écrivant. Adieu de loin. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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13 Val Richer Vendredi 24 Juillet 1846, 7 heures

Je n'ai point éternué, point pleuré cette nuit. J’ai bien dormi. Je suis beaucoup mieux ce matin. C’est vraiment curieux avec quelle vivacité ce mal-là me vient, avec quelle rapidité il s'en va. Hier, s'il avait fallu aller et parler à mon banquet, j’en aurais été incapable. J'en étais vraiment préoccupé, et attristé. Ce n’est qu'à vous que je dis mes satisfactions orgueilleuses, à vous seule aussi mes faiblesses. J'en ai bien plus qu’il n'en paraît. Les circonstances importantes, les nécessités absolues, prévues, annoncées, de paraître et d’agir, me mettent bien souvent, plusieurs jours à l'avance dans un état de malaise, de frémissement intérieur, de doute et d’inquiétude, que je ne laisse pas du tout percer, que je contiens et comprime fortement en moi, car j’ai beaucoup d'empire, sur moi-même mais qui n'en est pas moins, très réel et très désagréable. Tout le monde est convaincu que la tribune ne m'inquiète et ne me trouble jamais. Tout le monde se trompe. Je suis très souvent et très vivement troublé, pas quand une fois je suis à la tribune et dans l’action, mais auparavant, en pensant au succès nécessaire et toujours incertain.

8 heures Décidément les bains ne vous valent pas mieux que le serein à moi. Cela m'étonne. Nerveuse comme vous l’êtes il me semble que les bains devraient vous être bons, J’espère que votre estomac se remettra bientôt en ordre. Pour les petits soins contre les petits maux, j'ai assez de confiance dans Chermside. Il vous connait bien et me parait sensé. Pourvu qu’il n'abuse pas des blue pills. Je vais attendre tout le jour la lettre de demain. Que de temps dans la vie on passe à attendre ? Palmerston me fait demander, en effet ce que nous pensons des Affaires de Rome, [?] et autres, et ce qu’il doit dire et faire pour être comme il veut, d'accord avec nous. Cela sera facile à Rome où il n’est rien, et nous n'en tirerons pas grand profit. C’est à Madrid qu’il faudrait-se mettre d'accord, et j'en doute tous les jours d'avantage. J’ai fait ma démarche. Nous verrons le résultat. En tout cas elle est bonne, et si elle ne nous met pas d’accord ; elle me mettra, moi, à l'aise. Comme on peut être à l'aise dans une si grosse et si difficile affaire. Un grand point sera au moins obtenu. Il n’y aura, rien avant mes élections. Les nouvelles en sont toujours très bonnes. De plus en plus bonnes, si je m'en rapporte à ce qui m’arrive de tous côtés. Mais j’ai aussi ma méfiance. Le Roi d’Hanôvre a été assez malade pour qu’on ait été sérieusement inquiet pendant trois jours. C’est du moins ce que M. d’Houdetot m'écrit. Il est mieux. Il aura M. de Béarn le 4 août. L’ordonnance sera signée ce jour-là comme ministre définitif.
Les bains de mer réussissent parfaitement à ma fille Pauline. On lui jette sur les reins des seaux d’eau qui j’espère seront bons à sa taille. Le temps est charmant depuis trois jours. Revenu au chaud, trop peut-être à Paris, et pour vous. Pas ici. Adieu, dearest. Plus j'avance, moins l'adieu me suffit. Je pense sans cesse à vous. Je vous suis dans tous les détails, à toutes les heures de votre journée. Il me semble que si j'étais là, tout serait mieux. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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14. Paris vendredi 24 juillet 1846

D’abord, je vais mieux ; je sais que je suis pour vous la première personne. Et puis voici ma révolte. Des instructions pour Bulwer ont traversé Paris Mardi dernier le 21. Elles portent ceci. Aucune puissance n'a le droit de se mêler du mariage de la Reine. L’Espagne est libre, & ce serait une attitude portée à son indépendance. L'Angleterre ne s’en mêle donc pas, mais elle ne saurait voir avec indifférence un mariage qui donnerait à une puissance quelle conque une influence prépondérante en Espagne. Elle s’y oppose donc, & Bulwer le déclarerait. Trappany & Montémalin sont aux yeux de Lord Palmerston hors de cause. Reste les deux enfants espagnols & Coburg. Celui des trois qui conviendra le mieux à la reine semblera très bon à l'Angleterre. Mais elle reste en dehors de toute intervention là-dedans ! Observations générales sur l’Espagne. Elle a une constitution qui n’existe que de nom. En fait il n'y en a pas. Quand les Cortez incommodent le pouvoir on les chasse. La presse on la suspend. L'Angleterre n’intervient pas pour faire à cet égard des remontrances. Mais Bulwer est invité à donner cours à l’opinion que porte son Cabinet sur cet état de choses. Tel est le sommaire des instructions. Des avis particuliers disent que la reine penche beaucoup pour un Coburg. Palmerston est assez d’avis de Enrique. Il n’est pas sûr encore qu’il aille à Londres. Il y a des embarras pour sa réception. La reine ne veut pas le voir. Elle a trouvé très impertinent qu'il lui ait écrit de Bayonne une lettre de félicitations sur ses couches. (la lettre de Palmerston au roi !!) Dans tout cela elle marque la préférence pour la candidature Coburg.
Voilà votre lettre. Suis-je furieuse ! Je vous dirai ce que vous faites pour faire plaisir à Henriette vous la menez promener le soir, & voilà votre rhume. Prenez garde, je n'aimerai pas du tout votre fille, & je trouve vos faiblesses très ridicules. Est-ce que moi je vous prendrais cinq minutes pour le soupçon du plus léger risque d'un seul éternuement ? Ecoutez je vous défends formellement de vous promener le soir, et si vous le faites je vous promets que je serai malade de façon à vous inquiéter. Je savais l’indisposition du duc d'Aumale avec tous les détails. Les gens de cour sont très bavards ici, Thom m’avait conté cela. J’ai vu hier Génie et lord W. Je me suis tenue fort tranquille pour me soigner, & je suis mieux. Je ne sais encore si je reste ou si je retourne à St Germain. Je penche pour retourner ou pour aller à Lisieux et vous barrer la promenade dès 7 heures du soir. Comme c’est ridicule ce que vous faites. Je suis en grande colère. Je vous en prie mariez votre fille & que son mari la mène promener. votre éternuement m'a dérouté de l’Espagne, je reviens car il y a encore quelque chose. Miraflores est chargé de demander formellement le duc de Montpensier & si on le refuse, de déclarer qu'on prendra le Coburg. Le roi a répondu qu’il ne donnerait pas son fils & qu’il ne souffrirait pas le Coburg. Si la reine est si pressée qu’elle prenne un infant Espagnol ou si son aversion pour eux est plus fort que sa hâte d’un mari, qu’elle attende. Il ne l’a pas dit si fortement que cela mais voilà cependant dans le fond. Miraflores a conté tout cela à Cowley. Cowley a reçu une réponse de Palmerston. Il remercie l'ambassade de sa very handsome letter (probablement il insinuait qu'il se rendrait si on le pressait.) Il eut été charmé de lui voir continuer ce qu'il faisait à bien mais des partis considerations le forcent à soumettre à la Reine la demande du nouveau lord Normanby. Voilà Cowley furieux & qui ne comprend pas ce que veulent dire des partis considérations. Je ne les ai pas vus. On leur insinue que dans quinze jours Normamby pourra venir à Paris. Voilà une longue lettre, vous ne la méritiez pas du tout. Vraiment vous ne m’aimez pas. Vous aimez mieux une fantaisie de votre fille que ma tranquillité, mon bonheur. Je suis triste car tout cela me mène loin, et je prévoyais que je dégringolerais au Val Richer. 1 heure. Je vous envoie une lettre de Bulwer. On m’a dit en confidence qu'il avait demandé un congé. Sa lettre est bien aigre selon moi. Un homme irrité, blessé, dérouté et espérant de Mischiefs. Lord Willian trouve bien mauvais que vous soyez absent dans ce moment. Il dit qu'on aurait bien besoin de vous à présent pour ces tracasseries espagnoles. Moi Je trouve qu'il faut vous laisser votre repos, mais si vous comptez l'employer à éternuer je vous prie de revenir. Savez-vous qu’à tout prendre vous auriez mieux fait d’épouser don Enrique que tout de suite il y a un ou deux ans. Quel gâchis à présent. Adieu je ferme, je vous gronde au milieu de deux ou trois adieux.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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17 J’arrive. Peu fatigué. J’ai dormi. Très belle nuit, mais bien loin de la soirée. Ces deux soirées ont été charmantes. La seconde encore plus. Toutes les fois que nous nous retrouvons, il semble que nous fassions des découvertes. Je crois vraiment que nous en faisons. Rien n’est si inépuisable que de s'aimer. Et toujours si nouveau ! Ma mère et ma fille avaient été bien inquiètes. Hier de ne pas me voir arriver. Elles n’ont eu mon estafette qu'à 4 heures. Ce nouvel attentat fait en province, (je viens de voir trois personnes) un effet d'humeur et de colère impatiente. On s’irrite de cette bêtise obstinée à recommencer toujours, toujours pour rien. Cela dérange. Adieu. Adieu. Ceci n’est que pour mémoire. Je vais écrire quelques lignes au Roi pour lui envoyer ma lettre à Jarnac. Adieu dearest. Ce soir ne vaudra pas hier soir. Adieu. G. Val Richer Vendredi 31 Juillet 1846

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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20 Val Richer, Lundi 3 août 1846

C’est fini ici. S’il en était ainsi partout, il n’y aurait certainement pas assez d’opposition. Il en faut plus que cela. Mais je suis tranquille ! D'après ce qui me revient, la lutte est extrêmement vive dans les environs. On s'est presque battu à Bernay et un peu battu à Cherbourg. Aucun résultat n'était encore connu hier à 9 heures, quand j'ai quitté Lisieux. Je me suis levé ce matin de très bonne heure pour dicter encore quelques paroles de remerciement que j’ai dites hier, quand l'élection a été proclamée et qu'on a voulu absolument recueillir. Elles ont bien réussi. Je retourne à Lisieux ce matin à 10 heures, pour entendre, lire et signer le procès verbal du Collège électoral. Puis, j’irai à Trouville, avec ma mère et Henriette, pour y chercher Pauline et la ramener demain au Val Richer que je ne quitterai plus que pour aller vous retrouver, vous mon seul vrai plaisir, mon plus charmant repos. Oui, nous retrouverons ensemble des soirées comme les deux dernières : nous irons les chercher. Leur parfum ne s'est pas encore évanoui.
Je suis un peu fatigué. J’ai eu hier & avant-hier deux déjeuners, et deux dîners assommants. Je n’ai certes pas plus mangé ni bu qu'à mon ordinaire, mais l'estomac se fatigue de ce qu’il voit comme de ce qu’il prend. Et l’assiduité, tant d’heures durant à une conversation si insipide, & qui ne doit pas un moment en avoir l’air ! J'y réussis très bien. Je ne fais pas les choses à demi. J’attends bien impatiemment l’estafette qui m’apportera les premiers résultats. Elle ne sera pas encore arrivée à Lisieux quand j’y passerai tout à l'heure. On me l’enverra à Trouville. Vous aurez tout cela avant moi. Castellane m’écrit de ses montagnes : " Je crois moi, au grand succès dans les élections ; ce qui est très juste, car l'opposition est enviable et ce qui donnera de grands devoirs au parti conservateur. J’irai à la petite session, à moins qu’elle ne soit tout-à-fait une forme. Je m’attends en effet, en cas de grand succès aux exigences du parti conservateur. Il se sentira à son aise et voudra avoir quelques plaisirs de popularité. Nous verrons. Je vous quitte pour écrire au Roi. J’ai à lui envoyer une lettre de Bresson qui ne m'apprend pas grand chose. Plus j’y pense, plus je me persuade qu’à Londres on n’a pas en effet dessein d'entrer en lutte avec nous. Mais je crains leur faiblesse, faiblesse pour la Reine, faiblesse pour Espartero faiblesse pour les préjugés des journaux. Ils ont besoin de tout le monde, et l’âme pas bien haute. Je n’ai pas autre chose à faire que ce que je fais. Adieu. Adieu. En attendant votre lettre.
8 heures. La voici. Charmante. J'y comptais. Quand j’ai lu et relu, je passe aux affaires. Il y en a beaucoup aujourd’hui mais rien d'important. Deux lettres du Roi qui se porte mieux que jamais. " Toutes nos santés sont bonnes, me dit-il, la forte secousse que la Reine et ma sœur ont éprouvée est bien passée. Quant à moi, je suis à merveille, et je fais faire un peu d'exercice au Ministre de la guerre, dans mes promenades dont je jouis beaucoup. ". Et dans la seconde : " Je vais me promener dans mon char à bancs. Hélas ! avec escorte ! " La formation des bureaux, que m’apportent les Débats, est de bon augure. Adieu. Adieu. Je vous écrirai demain de Trouville. Je n'en reviendrai que le soir. Soyez tranquille. Ni assassin, ni rhume. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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21 Trouville sur mer. Mardi 4 août 1846, 7 heures du matin

Je compte, je recompte. Je suis sévère. La partie est gagnée, gagnée au delà de mon attente. Sur 201 élections connues ce matin, nous en avons perdu 4, gagné 25. Reste 21 en gain, c’est-à-dire déjà 42 voix de différence en plus sur l'ancienne majorité. Il y a vingt à parier contre un que les 259 élections encore inconnues ne changeront pas en mal ce résultat. Bonne affaire. L'avenir n’en sera pas moins laborieux ; mais nous l'aborderons en excellente situation. J’ai eu confiance depuis seize ans dans le bon droit du bon sens. J’ai eu raison. C’est un grand plaisir. J’ai eu hier deux estafettes l’une à 5 heures, l'autre à onze. Celle-ci m’a réveillé. Je venais de me coucher. Mais je ne me plains pas. J'en aurai deux aujourd’hui qui m'apprendront à peu près tout. Vous aurez su tout cela avant moi. Tant mieux. J’aime votre plaisir au moins autant que le mien.
Beau temps ici, malgré quelques ondées soudaines. La mer toujours aussi belle. Décidément, de tous les spectacles naturels, si ce n'est pas le plus magnifique (la terre a dans les grandes montagnes et les grandes forêts, des aspects supérieurs), c'est le plus constamment saisissant et intéressant. Je vous écris, au bruit de la marée montante qui monte et vient mourir sous mes fenêtres. Je passe la journée ici, et à 6 heures, je retournerai au Val Richer, remmenant Pauline à qui les bains de mer ont parfaitement réussi. Point d’autres nouvelles, comme de raison. Le monde en suspens, du moins le monde en France. Le Roi m’écrit qu'il est parfaitement content de la conversation du Prince Royal de Bavière qui a passé samedi, et dimanche au château d’Eu et qui a dû quitter Dieppe hier pour le Havre, et puis pour Paris. Le Prince Jean de Saxe a donné sa démission du Commandement en chef des gardes nationales saxonnes. Une revue générale approchait & on a cru, lui compris, qu'après l'affaire de Leipzig l’an dernier, il ne pouvait s'y présenter. La dernière session des Chambres a fait faire, au parti Constitutionnel en Saxe, un progrès décisif. Ne dédaignez pas la Saxe. De tous les petits états allemands, c'est celui où j’entrevois le plus de bon sens politique. Adieu dearest. Je vous reviendrai après l'arrivée de mon courrier. Je l’aurai un peu plus tard ici qu’au Val Richer. 9 heures et demie Bonnes nouvelles encore, malgré quelques pertes cruelles. 25 voix de gain net sur 323 élections connues. Je regrette beaucoup MM. Jacques Lefèvre à Paris et Alphonse Périer à Grenoble, sort inévitable des batailles. J’attends ce soir les détails. Génie ne m’a envoyé que les chiffres. Je garde la lettre de Lord John. Je vous la renverrai bientôt. Jarnac doit arriver aujourd’hui à Paris. Je l’aurai au Val Richer du 8 au 10. Adieu. Adieu. J’ai là une foule de lettres insignifiantes, où il faut des réponses indispensables. Adieu comme à St. Germain. G.
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