La correspondance inédite du géomètre Gaspard Monge (1746-1818)

La correspondance inédite du géomètre Gaspard Monge (1746-1818)


44. Monge à son gendre Nicolas-Joseph Marey

Auteurs : Monge, Gaspard

Transcription & Analyse

Transcription linéaire de tout le contenu
[…] Figurez-vous un peuple de somnanbules conduit, non par un charlatan adroit comme pourrait l’être Mesmer,[1] mais par de misérables et grossiers farceurs, qui a de la répugnance pour toutes sortes de vérité, qui ne se repaît que des erreurs les plus ridicules, un peuple avide des malheurs des français et qui ne peut souffrir des papiers publics que ceux qui les bercent de leurs prétendus désastres. Ajoutez à cela une immoralité profonde et invétérée, fondée des pratiques ridicules de la superstition la plus sotte, pas une femme honnête, mais aussi pas une qui ne suspende ses opérations galantes pour réciter l’Angelus lorsque l’Ave Maria sonne. Les assassinats quotidiens, et quelques fois plusieurs par  jours sans que le gouvernement s’occupe d’en punir aucun ; une mendicité générale, au point que tout ouvrier quitte son atelier pour venir vous tendre la main dans la rue, s’il juge à votre mise que vous pouvez lui donner un quatrain, et jugez si, au milieu de tout cela, on est bien curieux d’écrire lorsqu’on ne veut pas affliger ses amis.[2] […]
 

[1] Franz-Anton MESMER (1734-1815) médecin badois ; fondateur de la théorie du magnétisme animal. Monge est de ceux qui pensent qu’il s’agit d’un charlatan. Et en cela, le géomètre, membre de l’Académie des sciences, se conforme à la position collective déterminée au sein de l’institution scientifique en 1784, mais aussi à celle de son ami Berthollet. Le chimiste prend une part active dans la querelle. En 1783, une société est fondée par souscription afin que le médecin autrichien enseigne sa doctrine et ses méthodes aux médecins intéressés. Berthollet, à la demande du duc d’Orléans, s’y inscrit et suit les premières séances du mois d’avril 1784 ; il est rapidement convaincu du manque de rigueur scientifique de ce qu’il entend et de ce qu’il voit et il exprime vivement son opposition au mesmérisme. (SADOUN-GOUPIL M. (1977), p. 15.) La question de l’engouement autour de la théorie du magnétisme animal est l’objet des travaux d’une commission spécialement constituée par l’Académie des sciences pour l’examen de cette théorie. Ce qui motive le travail des savants Franklin, Le Roy, de Bory, Lavoisier et  Bailly  sur la théorie du magnétisme animal est autant son acceptation par des hommes éclairés que son puissant effet sur l’esprit commun. La suppression d’une erreur est utile au progrès des sciences comme  l’acquisition d’une connaissance. De même, prévenir les esprits de l’erreur est utile à l’état qui se protège ainsi des phénomènes d’agitation du peuple. Cela est encore un bel exemple d’expression de l’idée de progrès au sein de la description des relations entre science, culture et politique en posant une fois encore la question de l’usage des sciences dans le domaine public et cela dès 1784. (Voir les lettres n°3, 4, 5.) « Il y a déjà plus de six ans que le Magnétisme animal a été annoncé à l’Europe, surtout en France et dans cette capitale ; mais ce n’est depuis deux ans environ qu’il a intéressé particulièrement un assez grand nombre de citoyens, et qu’il est devenu l’objet de l’entretien public. […] On proposait un moyen sûr et puissant d’agir sur les corps animés, un remède nouveau, un agent universel pour guérir et prévenir les maladies. […] On citait peu de cure réelle, mais beaucoup de personnes se disaient soulagées et le remède plaisait assez pour soutenir l’espérance des malades. Depuis quelque temps le secret a été communiqué. Alors on a vu des personnes instruites, éclairées, distinguées même par leurs talents, adopter la théorie et la pratique nouvelle qu’on leur enseignait ; on a vu un nombre de médecins et de chirurgiens admis à l’école du Magnétisme, en devenir les partisans, en défendre la théorie, en suivre la pratique. Ces témoignages rendus au Magnétisme devaient donner à penser aux meilleurs esprits, et faire suspendre le jugement des savants. […] C’était un scandale pour l’Europe de voir un peuple éclairé par toutes les sciences et par tous les arts, un peuple chez qui la philosophie a fait les plus grands progrès, oublier la leçon de Descartes qui en est le restaurateur, et renfermer dans son sein deux partis opposés, qui unissaient leurs vues et leurs pensées sur le même objet, mais qui se divisaient et se combattaient en annonçant le Magnétisme comme une découverte utile et sublime, l’autre en le regardant comme une illusion à la fois dangereuse et ridicule. […] On ne doit pas être indifférent sur le règne mal fondé des fausses opinions : les sciences qui s’accroissent par les vérités, gagnent encore à la suppression d’une erreur ; une erreur est toujours un mauvais levain qui fermente et qui corrompt à la longue la masse où elle est introduite. Mais lorsque cette erreur sort de l’empire des sciences pour se répandre dans la multitude, pour partager et agiter les esprits, […] lorsque surtout elle influe à la fois sur le physique et le moral, un bon gouvernement est intéressé à la détruire. C’est un bel emploi de l’autorité que celui de distribuer la lumière ! [ …] Le Magnétisme n’aura pas été tout-à-fait inutile à la philosophie qui le condamne ; c’est un fait de plus à consigner dans l’histoire des erreurs de l’esprit humain, et une grande expérience sur le pouvoir de l’imagination. » «Exposé des expériences qui ont été faites pour l’examen du Magnétisme animal par Mrs. Franklin, Le Roy ; de Bory, Lavoisier et  Bailly », Histoire de l’Académie royale des sciences pour l’année 1784, (1787), pp. 6-15. 

[2] Transcription établie par Cartan.

AnalyseTranscription établie par Cartan.
NotesLettre citée par P.V.AUBRY (1954), p. 183-184 et 358, note 14). Conservée alors dans les Archives Marey-Monge, elle n’a pu être retrouvée depuis.

Relations entre les documents


Ce document n'a pas de relation indiquée avec un autre document du projet.

Notice créée par Marie Dupond Notice créée le 12/01/2018 Dernière modification le 11/02/2022