La correspondance inédite du géomètre Gaspard Monge (1746-1818)

La correspondance inédite du géomètre Gaspard Monge (1746-1818)


147. Monge à sa femme Catherine Huart

Auteurs : Monge, Gaspard

Transcription & Analyse

Transcription linéaire de tout le contenu

Lyon, le 21 pluviôse de l'an VI de la République française[1]

Les mauvais chemins, ma chère amie, nous ont empêché d'arriver ici plus tôt que ce matin à 10 heures. Nous[2] allons en partir ce soir, du moins à ce que je pense, pour filer vers le Mont-Cenis. Je t'écrirai encore un mot de Lanslebourg qui est le dernier endroit au bas de la montagne, et ensuite, à mesure que nous nous éloignerons, les époques auxquelles tu recevras de mes nouvelles se reculeront de plus en plus.[3]

Nous rencontrons de temps à autre les parties de l'armée d'Italie qui rentrent en France et qui se succèdent. Partout, sur leur route, on voit des trophées élevés en son honneur ; il y a même un petit arc de triomphe à la sortie du pont de la Guillotière sous lequel passent les demi-brigades à leur arrivée. Aujourd'hui est venue la Terrible 57e.[4] Il paraît que les Lyonnais font tous leurs efforts pour plaire à nos braves guerriers. Ce matin, nous avons rencontré le 9e régiment de dragons qui sortait de Lyon ; il s'en fallait de beaucoup qu'il ne fut complet mais nous en avons trouvé un grand nombre qui avait bien de la peine à quitter Lyon, et que les volontaires du pays reconduisaient. Au reste, il me semble que cette ville-ci est dégoûtée de sa résistance, et que désormais elle n'aura plus envie de figurer sur le théâtre de la Révolution, on se passe aisément des rôles sacrifiés.[5]

Il faut espérer que quand nous aurons passé le Mont-Cenis, les chemins nous permettront d'aller un peu plus vite.[6] Nous nous portons tous très bien ; je pense souvent à toi, et t'embrasse de tout mon cœur.

Dis mille choses aimables de ma part aux citoyen et citoyenne Eschassériaux,[7] au ménage Monge,[8] Berthollet,[9] Baur,[10] à Lermina, à Le Brun,[11] à mon frère,[12] au ménage Oudot[13] que j'ai eu le regret de ne pas voir avant de partir ; enfin rappelle-moi au souvenir de tous nos amis.

 

[À la citoyenne Monge

à l’Ecole Polytechnique

Palais Bourbon à Paris]


[1] Monge a écrit par erreur "Paris", au lieu de "Lyon". [R.T.]
[2] Avec Monge sont envoyés en tant que commissaires de la République française Pierre DAUNOU (1761-1840), Joseph Antoine FLORENS (1762-1842) pour la fondation de la République romaine et leur secrétaire Louis-Pierre MARTIN de SAINT-MARTIN (1733-1819). Voir la lettre n°145 et 150
[3] Lettre n°148. La commission emprunte le même trajet que celui emprunté par la commission des sciences et des arts en mai 1796. Voir les lettres n°7 et 8. Dans sa lettre du 27 pluviôse [an VI ] [15 février 1798]. Catherine informe Monge qu’elle a reçu cette lettre écrite de Lyon en même temps que celle de Lanslebourg le 29 pluviôse an VI [17 février 1798]. La lettre est datée du 27, mais elle la complète le 29.

[4] Le nom de « Terrible » est donné à la 57e brigade par le général Bonaparte après la bataille de la Favorite du 16 janvier 1797 [27 nivôse an V]. Voir lettre n°51.  « C’est à cette bataille que la 57e mérita le nom de terrible. Seule elle aborda la ligne autrichienne à la baïonnette et renversa tout ce qui voulut lui résister. » LAS CASES (1966), Le Mémorial de Sainte-Hélène, p. 565. « Le 27 une heure avant le jour, les ennemis attaquèrent La Favorite, dans le temps que Wurmser fit une sortie et attaqua les lignes du blocus par Sant’Antonio. Le général Victor, à la tête de la 57e demi-brigade, culbuta tout ce qui se trouva devant lui. Wurmser fut obligé de rentrer dans Mantoue presque aussitôt qu’il en était sorti, et laissa le champ de bataille couvert de morts et de prisonniers. Le général Sérurier fit avancer alors le général Victor avec la 57e demi-brigade, afin d’acculer Provera au faubourg de Saint-Georges, et par là, le tenir bloqué. Effectivement la confusion et le désordre étaient dans les rangs ennemis : cavalerie, infanterie, artillerie tout était pêle-mêle. La Terrible 57e demi-brigade n’était arrêtée par rien : d’un côté elle prenait trois pièces de canon ; d’un autre elle mettait à pied les régiments des hussards de Her-Dendi. Dans ce moment le respectable général Provera demanda à capituler ; il compta sur notre générosité, et ne se trompa pas. Nous lui accordâmes la capitulation dont vous trouverez ci-joint les articles. 6000 prisonniers, parmi lesquels tous les volontaires de Vienne, 20 pièces de canon, furent le fruit de cette journée mémorable. L’armée de la République a donc, en quatre jours, remporté deux batailles rangées et six combats, fait près de 25 000 prisonniers, parmi lesquels un lieutenant général et deux généraux, douze à quinze colonels etc., pris 20 drapeaux, 60 pièces de canons, et tué ou blessé au moins 6000 hommes. […] Toutes les demi-brigades se sont couvertes de gloire et spécialement les 32e , 57e  et 18e de ligne que commandait le général Masséna, et qui en trois jours ont battu l’ennemi à Saint-Michel, à Rivoli et à Roverbello. Les légions romaines faisaient, dit-on, vingt-quatre miles par jour, nos brigades en font trente, et se battent dans l’intervalle.[…] » Bonaparte au Directoire exécutif le 29 nivôse an V [18 janvier 1797] Quartier général Vérone. (1300, CGNB).

[5] Au cours de la Révolution, la ville de Lyon est déchirée par de nombreux troubles populaires et luttes politiques. En 1793, la ville devient girondine au moment même où la Gironde est mise hors la loi par les montagnards parisiens. Le 12 juillet 1793, la Convention décrète Lyon en état de rébellion et fait avancer les armées révolutionnaires. Le siège de Lyon dure d’août à octobre 1793, lorsque la ville capitule. En 1795, des violences secouent une fois encore la ville. Les jacobins sont exécutés. De 1795 à 1797 les luttes entre républicains et contre-révolutionnaires ne s’apaisent pas. Si le coup d’état du 17 fructidor an V (voir les lettres n°131, 132 et 135) permet de changer les autorités lyonnaises et de multiplier des événements  tels que les fêtes nationales, les Lyonnais deviennent difficilement républicains. Voir la lettre n°149.
[6] Voir la lettre n°148.
[7] Sa fille Louise MONGE (1779-1874) et son gendre Joseph ESCHASSÉRIAUX (1753-1824) qui se sont mariés le 11 brumaire an VI [1er  novembre 1797]. Voir les lettres n°136 et 137.
[8] Louis MONGE (1748-1827) et Marie-Adélaïde DESCHAMPS(1755-1827).
[9] Marie-Marguerite BAUR (1745-1829) épouse de Claude-Louis BERTHOLLET (1748-1822) et leur fils Amédée BERTHOLLET (1783-1811). 
[10] Anne Françoise HUART (1767-1852) sœur de Catherine Huart, son mari Barthélémy BAUR (1752-1823), frère de la femme de Berthollet et leur fils Émile BAUR (1792- ?).
[11] Catherine Monge continue d’occuper le logement de fonction du Directeur de l’École polytechnique, elle se trouve ainsi en contact quotidien avec les collègues de Monge, notamment les administrateurs Claude LERMINA (1749-1806) et Charles GARDEUR-LEBRUN (1744-1801), chargé de la police de l’enseignement et de la surveillance des élèves. Elle sert ainsi d’intermédiaire entre Monge et l’École voir les lettres n°151, 154, 156, 164, 167 et 177.
[12] Son autre frère, Jean MONGE (1751-1813).
[13] Charles-François OUDOT (1755-1841) et sa femme.
Auteur(s) de la transcriptionDupond, Marie
AnalyseLettre non signée sur laquelle figure à la quatrième page l’adresse de "La Citoyenne Monge à l’Ecole Polytechnique, Palais Bourbon à Paris"
Auteur de l'analyseDupond, Marie

Relations entre les documents


Collection 1798 : Seconde mission en Italie Institution de la République romaine et préparation de l’expédition d’Égypte Pluviôse – prairial an VI

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Notice créée par Marie Dupond Notice créée le 08/11/2016 Dernière modification le 11/02/2022