La correspondance inédite du géomètre Gaspard Monge (1746-1818)

La correspondance inédite du géomètre Gaspard Monge (1746-1818)


7. Monge à sa femme Catherine Huart

Auteurs : Monge, Gaspard

Transcription & Analyse

Transcription linéaire de tout le contenu
De Lanslebourg, dernier village de la vallée de la Maurienne au pied du Mont-Cenis,

le 15 prairial de l'an IV

Nous ne nous proposions d'écrire, Ma chère amie, que de Turin ; mais quelque retard que nous a fait éprouver une indisposition du citoyen Moitte[1] et le défaut de communication entre Turin et la France nous déterminent à écrire d'ici parce que vous seriez trop longtemps à recevoir de nos nouvelles et que vous pourriez avoir quelques inquiétudes. Il paraît même que nous nous y prenons trop tard, car le courrier de la malle ne remonte pas jusque ici.[2]
Nous nous disposons à passer le Mont-Cenis dans un moment. Nos voitures sont déjà démontées : on les charge sur les mulets et tout à l'heure la caravane se mettra en marche.[3] Nous sommes précédés par un bataillon qui passe en Italie et qui est parti il y a quelques heures.[4]
Nous sommes très contents du patriotisme de toute la longue vallée de la Maurienne[5] ; il serait bien à souhaiter qu'il en fut ainsi dans toute la France.
J'ai eu l'occasion de voir aux Échelles la sœur de notre belle-sœur Huart.[6] C'est précisément à elle que je m'adressais pour en parler ; elle nous a reçus, Berthollet et moi, avec beaucoup de caresses ; elle nous a fait rafraîchir.
Cette lettre, ma très chère amie, est pour la citoyenne Berthollet[7] et pour toi ; j'écris pour nous deux, et Moineau veut aussi en être et qu'il y soit question de lui.[8] Nous nous portons tous très bien. Nous sommes très gais, et presqu'autant que l'était ce matin le bataillon en partant quoiqu'il plût à seaux et qu'il neigeât dans la montagne.[9]
Présente donc mes hommages à la citoyenne Berthollet et reçois ceux de son bon mari.[10] Mille compliments à la citoyenne Baur, à son mari[11], à Louise, à Paméla[12], à Victoire[13] et au petit mimi[14].
Je t'embrasse bien tendrement; adieu, nous partons.
Tu ne manqueras pas de dire à la citoyenne Moineau[15] que son mari se porte bien et lui fait ses tendres compliments.

[1] Une crise d’hémorroïdes. Jean-Guillaume MOITTE (1746-1810). Voir les lettres n° 8 et 13.

[2] Dans sa première lettre, Catherine indique qu’elle est restée 21 jours sans nouvelle. Paris, le 8 messidor [an IV] [26 juin 1796]. 

[3] André Thouin, commissaire des sciences et des arts rédige un récit de voyage dans lequel il décrit très précisément comment les voitures sont démontées et transportées mais aussi comment les commissaires accomplissent le passage du Mont-Cenis. « Lorsque enfin nous pûmes nous occuper de  notre passage, nous appelâmes le syndic de la paroisse, avec lequel nous fîmes prix pour le transport de nos voitures, de nos effets et de nos personnes jusqu’à la Novalèze. Il fallait du temps avant de se mettre en chemin. Les arrangements se faisaient avec ordre, mais avec lenteur. D’abord le syndic composait des lots de tous les objets qui devaient être transportés, et les adjugeait au rabais aux muletiers, rangés en cercle autour de lui. On commençait par les pièces les plus lourdes, caisses de voitures, brancards, roues essieux ; venaient ensuite les effets de moindre pesanteur, malles, porte-manteaux, sacs de nuit, etc. À mesure que le lot était prisé et adjugé, on le chargeait sur les mulets. On en prenait deux pour porter une caisse de voiture que l’on plaçait comme une chaise à porteur au moyen de deux perches formant brancard de chaque côté. Chacune des grandes roues était mise à plat sur le dos d’un mulet dont le bât se trouvait disposé pour recevoir le moyeu. Les deux petites roues étaient chargées sur un seul mulet. Notre caravane exigea quarante mulets et trente-quatre hommes. Elle défila devant nous, d’abord confusément ; bientôt les mulets prirent leurs rangs à la suite des uns des autres, afin que leur charge, qui occupait beaucoup de place en longueur et en largeur, ne fût pas heurtée par ceux du voisinage et en danger d’être renversée. » THOUIN A. (1841), Voyage dans la Belgique, la Hollande et l’Italie, pp. 17-18. Voir lettre n°8.

[4] Bonaparte reçoit des renforts, venus de la région de Nice. 

[5] La commission traverse la vallée de la Maurienne pour aller de Lyon à Lanslebourg.

[6] Sœur de Françoise CHAPELLE, veuve de Joseph RIONDEL elle se marie ensuite avec Jean-Baptiste HUART (1753-1835) un des frères de Catherine HUART-MONGE. 

[7] Marie-Marguerite BAUR, femme de Claude-Louis BERTHOLLET (1748-1822). Les familles Monge et Berthollet se lient plus encore en 1791 avec le mariage du frère de Marie-Marguerite, Barthélémy BAUR (1752-1823) avec Anne-Francoise HUART (1767-1852), la plus jeune sœur de Catherine Monge.

[8] Moineau et sa femme, Rose sont tous deux au service des Monge. Moineau reste au service de Monge lors de sa mission en Italie.

[9] La motivation et l’enthousiasme des soldats sont décisifs pour les succès militaires. La proclamation aux troupes de Bonaparte le 29 mars 1796 est caractéristique de son discours aux soldats : « Je veux vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde. De riches provinces, de grandes villes seront en votre pouvoir. Vous y trouverez honneur, gloire et richesse. Soldats d’Italie manqueriez-vous de courage et de constance ? ». cité par TULARD J.(2005), Les Thermidoriens, Paris, Fayard, p. 147.

[10] Marie-Marguerite BAUR (1745-1829) qui a épousé Claude-Louis BERTHOLLET (1748-1822), membre de la commission comme Monge .

[11] Anne-Françoise HUART (1767-1852) épouse de Barthélémy BAUR (1752-1823), employé au ministère de la Marine.

[12] Louise MONGE, (1779-1874), Marie-Élisabeth Christine LEROY (1783-1856) appelée Paméla, est la fille naturelle d’Alexandre Huart, frère de Catherine Monge. Catherine et Gaspard Monge accueillent Paméla dans leur famille pour veiller à son éducation. Dans sa lettre de Paris du 27 germinal an VI [16 avril 1798], Catherine le rappelle : « Pamela que tu as bien voulu me permettre de prendre avec nous est encore un acte de bonté auquel je n’avais nul droit d’attendre. » Sur l’attitude de Monge envers les jeunes enfants, voir les lettre n°9, 13, 14, 20, 48, 118, 171 et 173. Le prénom devient très à la mode à la moitié du XVIIIe siècle grâce à la renommée du premier roman diffusé en France de l’anglais Richardson Pamela ou la vertu récompensée. C’est Prévost qui en 1742 le traduit et le publie, deux ans après sa publication en Angleterre. (HARTMANN P. (2002), « La Réception de Paméla en France : les anti-Paméla de Vollaret et Mauvillon », Revue d’histoire littéraire de la France, Paris, P.U.F., Vol. 102, pp. 45-56.)

[13] Victoire BOURGEOIS ( 17 ? - ? ) jeune fille originaire de La cassine petite commune des Ardennes. Il s’agit sans doute de la fille d’amis que les Monge ont pris chez eux un moment.  Elle repart avec son père le 16 messidor an V [4 juillet 1797].

[14] Émile BAUR (1792-1872) Le petit Mimi est le fils d’Anne-Françoise et Barthélemy BAUR, petit-neveu de Catherine Monge, Emile Baur a alors quatre ans.

[15] Rose MOINEAU ( ?- ?)  au service des Monge comme son mari.

 

Relations entre les documents


Collection 1796-1797 : Première mission en Italie, La commission des sciences et des arts Prairial an IV - vendémiaire an VI

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14. Monge à sa femme Catherine Huart
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La correspondance inédite du géomètre Gaspard Monge (1746-1818)
9. Monge à sa femme Catherine Huart

Collection 1798 : Seconde mission en Italie Institution de la République romaine et préparation de l’expédition d’Égypte Pluviôse – prairial an VI

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171. Monge à sa femme Catherine Huart
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173. Monge à sa fille Émilie Monge
Notice créée par Marie Dupond Notice créée le 12/01/2018 Dernière modification le 11/02/2022