La correspondance inédite du géomètre Gaspard Monge (1746-1818)

La correspondance inédite du géomètre Gaspard Monge (1746-1818)


12. Monge à sa femme Catherine Huart

Auteurs : Monge, Gaspard

Transcription & Analyse

Transcription linéaire de tout le contenu
Bologne, le 17 messidor de l'an IV de la République
Comme nous arrivions ici,[1] Ma chère amie, le général Bonaparte en partait à son retour de Livourne[2] pour aller vers Mantoue.[3] Nous n'avons pas vu le quartier général et nous n'avons point reçu de lettres. Il est probable que celles qu'on nous a écrites de Paris courent après le quartier général qui est ambulant, et ensuite après nous, et comme nous sommes très mobiles, il est probable qu'elles ne nous rejoindront pas de sitôt. Je dois partir demain avec un de nos collègues pour Ferrare, Ravenne et une partie de la Romagne.[4] Nous reviendrons ici dans 7 ou 8 jours pour rejoindre nos autres collègues et partir incontinent après pour Rome. Ce sera là qu'il faudra nous adresser vos lettres, et ce sont les seules que nous ayons espérance de recevoir.
Depuis Milan jusqu’ici, nous avons fait une belle et grande récolte de tableaux ; toutes nos richesses sont dirigées vers Tortone d'où elles formeront un convoi pour Paris.[5] Quant à ce que nous recueillerons du côté de Rome, il est vraisemblable que cela formera un second convoi, et nous ne savons encore de quel côté et par quelle voie nous le ferons arriver.
On encaissera demain les tableaux de Bologne qui sont au nombre d'environ 35. La fameuse Sainte Cécile de Raphaël est du nombre. C'est un tableau ravissant et je t'avouerai que, malgré sa sainteté, je serais facilement amoureux de la bonne Cécile[6] ; mais c'est presque le seul tableau que j'ai vu ici.[7] Ils sont placés les uns derrière les autres et je les aurais vus si j'étais resté à l'emballage ; mais je partirai demain, et à mon retour je ne verrai que les caisses, en sorte qu'il faudra qu'à Paris j'aille au Muséum pour voir ce que nous sommes venus chercher ; mais ce n'est qu'un petit malheur.
Nous nous portons tous bien; je t'embrasse de tout mon cœur ; rappelle-moi au souvenir de toute la famille, à celui de la citoyenne Berthollet[8] et compte sur le tendre attachement de ton ami
                                                 Monge
[À  la citoyenne Monge
Rue des Petits Augustins
N°23
Paris par Milan]

[1] Bologne, ville des états pontificaux, à 200 km de Milan, occupée par les troupes françaises le 19 juin 1796, elle se déclare affranchie du joug du pape le 21 juin. Napoléon y séjourne du 23 au 25 juin 1796 et y signe le 23  l’armistice avec le Pape qui s’engage à livrer 100 tableaux.

[2] A 200 km au S.E. de Gènes, en bordure de mer. Napoléon BONAPARTE (1769-1821) en occupe le port le 9 Messidor an IV [27 juin] et y reste jusqu’au 30 juin 1796. Le 14 Messidor an IV [2 juillet 1796], Bonaparte fait le récit au Directoire de son action à Livourne « Je fis arrêter le chevalier Spanocchi, gouverneur de la ville pour le grand-duc, qui avait favorisé le départ des Anglais, avait cherché à soulever le peuple en lui montrant notre petit nombre, et avait laissé prendre, peu d’heures avant, deux bâtiments français par une frégate anglaise, sous le feu des batteries.[…] Cet officier est connu dans Livourne pour sa haine contre les Français […] Vous trouverez ci-joint l’ordre que j’ai donné au Consul de la République […]. Il a fait aussitôt mettre les scellés sur les magasins des Anglais et il espère que cette capture rendra sept à huit millions à la République. L’épouvante à Livourne n’a été que momentanée ; la bonne conduite de nos troupes a parfaitement rassuré les habitants. J’y ai laissé une bonne garnison et le général Vaubois pour y commander […]. » (743, CGNB). Le 18 Messidor [6 juillet] : « Depuis plusieurs mois […] les patriotes de la Corse sont en insurrection contre les Anglais. Je leur ai envoyé quelques fusils de chasse et quelques barils de poudre, avec une vingtaine de Corses réfugiés, habitants des cantons qui ont montré le plus d’énergie. Aujourd’hui que nous sommes maîtres de Livourne, il est très facile de chasser les Anglais de la Corse sans envoyer un seul homme de troupe, mais seulement en y faisant passer les réfugiés. […] Je ferai imprimer quelques brochures dans le style convenable, et dès l’instant où l’on sera bien préparé, je crois qu’il sera nécessaire d’y faire passer le citoyen Saliceti, commissaire du gouvernement. C’est un moyen infaillible d’avoir ce département sans qu’il nous en coûte en homme. » (763, CGNB). Voir les lettres n°36 et 37.

[3] Ville d’Italie du Nord. La province du même nom est réunie en 1785 au Milanais, elles forment ensemble la province autrichienne de la Lombardie. Place forte, elle devient la clé de la Haute Italie : elle commande les débouchés des vallées du Mincio et de l’Adige. Tant que les Autrichiens détiennent cette place, ils peuvent faire passer des troupes. Selon Miot, dès leur première rencontre le 17 Prairial an IV [5 juin 1796], Bonaparte expose le caractère crucial des châteaux de Milan et de celui de Mantoue. « Il me dit que rien n’était fini tant que l’on n’aurait pas Mantoue ; qu’alors seulement on pourrait se dire maître de l’Italie ; qu’un siège aussi difficile ne pouvait être que très long ; qu’on ne se trouvait pas en mesure même de le commencer et qu’il fallait, pour le moment se contenter de resserrer la place ; qu’il était hors de doute que l’Autriche mettrait sur pied une autre armée pour secourir une forteresse si importante, mais qu’il lui fallait du temps pour rassembler cette armée ; que nous avions par conséquent un mois devant nous, et qu’il voulait le mettre à profit pour s’avancer vers le centre de l’Italie et s’en rendre maître […] » (MIOT A.F. (1858), p. 89). L’armée d’Italie assiège Mantoue du 4 au 31 juin 1796. Le 14 Messidor an IV [2 juillet 1796] Bonaparte écrit à Carnot « Je me rends sur le champs à Mantoue. Je compte que le 20 du mois [8 juillet] nous ouvrirons la tranchée par trois attaques. Il y a dans cette place 8000 Autrichiens ; ce sera une jolie capture. L’ennemi fera probablement des mouvements pour dégager cette place ; nous nous battrons alors s’il le faut. » (740, CGNB). Trois jours plus tard, le 17 Messidor an IV [5 juillet 1796], Bonaparte est à Roverbello près de Mantoue et écrit au général Despinoy afin de préparer la tranchée du 20 Messidor [8 juillet] mais aussi celle du 25 qui doit s’ouvrir contre le château. (752, CGNB). Le 18 Messidor [6 juillet] au Directoire exécutif de Roverbello près de Mantoue : « J’apprends à l’instant […] que la garnison de Mantoue a fait une sortie ; elle est rentrée plus vite qu’elle n’était sortie, en laissant une cinquantaine de mort. Je ferai ce soir une dernière reconnaissance pour fixer les dernières opérations du siège : dans quatre ou cinq jours ; la tranchée sera ouverte.[…] La division du général Sérurier qui assiège Mantoue et qui est forte de 7000 hommes, commence à avoir cinquante malades tous les jours. Il m’est impossible de tenir moins de monde autour de Mantoue, où il y a au moins 8 ou 10 000 hommes de garnison. Il y a un mois que je tiens cette place bloquée de cette manière. L’ennemi, instruit probablement de la faiblesse des assiégeants, a voulu souvent faire des sorties, et a été toujours battu. Mais actuellement je suis obligé de renforcer cette division, puisque l’ouverture de la tranchée va commencer. J’espère que nous aurons bientôt la ville, sans quoi nous aurions bien des malades. Wurmser commence à faire des mouvements pour chercher à débloquer Mantoue. J’attends avec quelque impatience les dix bataillons de l’armée de l’Océan, que vous m’avez annoncés depuis longtemps et dont je n’ai pas encore de nouvelles. » (761, CGNB). Au Directoire le 24 Messidor an IV [12 juillet 1796] : « […] Nous sommes occupés au siège de Mantoue. Je médite un coup hardi. […] tout sera prêt le 28. Les opérations ultérieures dépendront entièrement de la réussite de ce coup de main, qui, comme ceux de cette nature, dépend absolument du bonheur ; d’un chien ou d’une oie. » (776, CGNB). Les opérations militaires pour prendre Mantoue vont finalement prendre neuf mois  (voir les lettres 18, 21, 22, 29, 30, 42, 45 et 49) ; c’est le 15 pluviôse an V [3 février 1797] que Mantoue est à l’armée d’Italie (voir les lettres n°51, 53, et 55).

[4] Voir lettre n°13. Finalement Monge ne part pas pour Ferrare. C’est Berthollet qui part à sa place. L’autre collègue est un des deux peintres de la commission Jean-Simon BERTHÉLÉMY (1743-1811) ou Jacques-Pierre TINET (1753-1803) puisqu’il faut effectuer une saisie de tableaux.

[5] Voir les lettres n°11, 12, 15, 17,  22, 28,  33 et 41.

[6] La « Sainte-Cécile et quatre saints » de Raffaello SANZIO DA URBINO (1483-1520) est datée approximativement de 1515. Elle est désormais conservée à la Pinacothèque nationale de Bologne.  Sur les tableaux saisis à Bologne voir LUI F. (2012), « L’École de Bologne passée au crible », CeROArt [En ligne],  | 2012, mis en ligne le 10 avril 2012, consulté le 01 mai 2012. URL : http://ceroart.revues.org/2317. Au sujet de la Sainte-Cécile Émile-Mâle G. (1983) Le transport, le séjour et la restauration à Paris de la Sainte Cécile de Raphaël 1796-1815, La Santa Cecilia di Raffaello : indagini per un dipinto, Bologna, Alfa, et (1798), Notice des principaux tableaux recueillis dans la Lombardie dédiée à l’Armée d’Italie

[7] Le 2 juillet 1796, la commission arrive dans la matinée. D’après la sélection déjà effectuée par Berthélemy, les commissaires procèdent à l’enlèvement de 33 tableaux dont la Saint Cécile de Raphaël dans l’église de San Giovanni in monte. Si Monge n’a pas participé à la saisie des tableaux, c’est qu’il fait partie des membres scientifiques de la commission  qui visitent la bibliothèque, le cabinet des antiquités, celui d’histoire naturelle et celui de physique de l’Institut de Bologne. Ils enlèvent de la bibliothèque du couvent de Saint Sauveur 921 manuscrits dont Monge a choisi la plupart.

[8] Marie-Marguerite BAUR (1745-1829) épouse de Claude-Louis BERTHOLLET (1748-1822).

Relations entre les documents


Collection 1796-1797 : Première mission en Italie, La commission des sciences et des arts Prairial an IV - vendémiaire an VI

Ce document a pour thème CSA- Italie (Convois) comme :
La correspondance inédite du géomètre Gaspard Monge (1746-1818)
15. Les commissaires au ministre des relations extérieures
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22. Monge à son gendre Nicolas-Joseph Marey
120-2088_IMG.JPG 28. Monge à sa femme Catherine Huart
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33. La Commission au ministre des relations extérieures
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41. Les commissaires au ministre des relations extérieures
Ce document a pour thème Campagne militaire (Italie) comme :
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18. Monge à sa femme Catherine Huart
120-2079_IMG.JPG 20. Monge à sa fille Louise
120-2082_IMG.JPG 21. Monge à sa femme Catherine Huart
La correspondance inédite du géomètre Gaspard Monge (1746-1818)
29. Monge à sa femme Catherine Huart
120-2092_IMG.JPG 30. Monge à sa femme Catherine Huart
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36. Monge à sa femme Catherine Huart
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37. Monge au ministre des relations extérieures
121-2108_IMG.JPG 42. Monge à sa femme Catherine Huart
121-2111_IMG.JPG 45. Monge à sa femme Catherine Huart
La correspondance inédite du géomètre Gaspard Monge (1746-1818)
49. Monge à son gendre Nicolas-Joseph  Marey
121-2122_IMG.JPG 51. Monge à sa femme Catherine Huart
53_280197_4_IMG.JPG 53. Monge à sa femme Catherine Huart
La correspondance inédite du géomètre Gaspard Monge (1746-1818)
55. Monge à sa femme Catherine Huart

Collection 1796-1797 : Première mission en Italie, La commission des sciences et des arts Prairial an IV - vendémiaire an VI

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121-2114_IMG.JPG46. Monge à sa femme Catherine Huart
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121-2118_IMG.JPG48. Monge à sa femme Catherine Huart
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121-2128_IMG.JPG54. Monge à Catherine Huart
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Notice créée par Marie Dupond Notice créée le 12/01/2018 Dernière modification le 11/02/2022